LA COMMUNICATION AUTOMOBILE APRÈS LE ‘DIESELGATE’
ET À L’HEURE DES NOUVELLES MOTORISATIONS
Entretien avec Bernard Jullien
Ex Directeur du groupe de recherches sur l'industrie automobile (GERPISA)
Je crois que l’effet principal du DieselGate est à situer autour des élites bien plus qu’autour du
public. Ça a fait bouger les autorités européennes/française pour changer un système de
régulation qui était centré autour de la connivence entre constructeurs et le policy-maker. Toute
l’expertise paraissait être chez les constructeurs et du coup il y avait une polydéfinition des
normes, ce que le DieselGate a pas mal accusé.
Sur le marché français, la précaution qu’on avait lorsqu’il s’agissait de dédiéliser les voitures des
marques est quand même en train de se lever. Du coup il y a une espèce de catalyseur d’une
évolution qui était assez inéluctable.
L’évolution elle est certaine, on va vers une inversion/réduction de la proportion diesel/essence
sur un marché comme le nôtre qu’il faut gérer intelligemment pour ne pas qu’il y ait de problème
industriel ou de perte de parts de marché des constructeurs français. Il y a un changement de
pied des élites, le public attend que les prix du diesel et de l’essence s’alignent et que sur le
marché de l’occasion le véhicule diesel perde au profit de l’essence pour changer de
comportement. Sur le cœur du marché français, composé de petits modèles, les choses bougent
très vite. Les observateurs ont tous été surpris sur la vitesse à laquelle s’est basculé la
proportion diesel/essence sur le marché.
Il y a là une fenêtre d’opportunité qu’on commence à voir sur le marché des flottes pour les
motorisations alternatives : hybrides et électriques.
L’argument clé est la déductibilité de la TVA sur le gazole, si elle passe sur l’essence là il y a un
vrai changement.
2016
3ÈME ÉDITION
L’OBSERVATOIRE
PRISM’AUTOMOBILE
ENTRETIEN D’EXPERT
La France est un peu moins fragile car on a des constructeurs qui ont leur R&D chez nous. Du
coup, les équipes du ministère de l’industrie qui s ‘intéressent à l’automobile sont relativement
mieux fournies que dans d’autres pays mais elles sont nettement moins nombreuses qu’il y a 20
ans. Quelqu’un qui aujourd’hui sort d’une grande école a plus de chance de se retrouver chez un
constructeur qu’au ministère de l’industrie.
Aujourd’hui le pouvoir d’achat en Europe progresse très lentement. Il y a un surcroit de dépenses
de logement et télécom, par conséquent le consentement à payer pour l’automobile est plutôt en
décroissance. Il y a également une accumulation de réglementations qui, prises individuellement,
sont défendables, mais ajoutées les unes aux autres finissent par générer des surcoûts sur la
production de chaque véhicule, ce qui se chiffre à plusieurs centaines d’euro.
Cela met une pression absolument terrible sur l’ensemble du système automobile. La régulation
s’avère être un problème pour les constructeurs qui aujourd’hui se demandent si les coûts de
fabrication et d’utilisation du diesel sont rentables. Si vous voulez créer des voitures diesel
propres, vous ne le ferez pas sur des modèles de moins de 15000 euros. Les dépolluer
sera trop onéreux alors que le contexte de la consommation automobile est en bonne
réduction.
Le DieselGate donne effectivement un gros coup de fouet aux formes de motorisations
alternatives.
Motorisations alternatives :
On est reparti depuis 10 ans sur la voie de l’électrification. La dédielisation donne du volume à
des technologies qui aujourd’hui n’attendent que les volumes pour voir leur prix descendre
fortement et leur technologie se développer notoirement. Au niveau de l’autonomie, il y a des
avancées technologiques considérables à venir dans les trois prochains mois. On pourrait avoir
sur certains modèles pur électrique une augmentation de 80 % de l’autonomie.
Les ménages s’équipent en occasion à 70%. Le fait qu’il y ait un marché de l’occasion qui se
développe va fortement changer la donne et diffuser cette technologie à une population plus
large. Ça contraint les particuliers et les entreprises à aller vers l’ensemble d’un écosystème à
portée de main.
Je crois qu’il y a un enthousiasme fondé autour d’un storytelling très fort, on a cru que ça allait
aller très vite en 2009-2010. Il y a eu une descente de spin sur 2011-12-13 assez évidente.
Malgré cela, cette voie ne s’est pas éteinte chez les premiers acteurs, les newcomers ont pointé
leur nez. Même les constructeurs beaucoup plus prudents ont maintenu vivant ce projet
électrique. Progressivement on s’est dit que ce n’était pas un mouvement qui irait aussi vite que
l’on espérait, mais que c’était un mouvement qui ne se démentait pas. On en a même besoin
dans un certain nombre de pays comme la Chine. Personne n’a jeté l’éponge et les
constructeurs de batterie ont continué à développer leurs technologies. Il y a une multiplication
par 3 des volumes vendus en cinq ans en France, ce qui indique que les 5% de PDM sont a
porté.
Hydrogène :
Il y a deux manières de voir les choses : Européenne/Américaine puis les militants/partisans
Japonais et Coréens qui maintiennent en vie cette option-là.
Les constructeurs français disent très clairement qu’avec ce contexte économique, les dossiers
technologiques à gérer, ils ne peuvent pas faire le véhicule électrique, le véhicule autonome et le
véhicule hydrogène en même temps. Ils sont en veille sur ce dossier là mais très clairement ils
ont d’autres chat technologiques à fouetter.
Par rapport à avant 2008-2009, le gâteau hydrogène est retombé en Allemagne, clairement
l’Europe n’est pas très hydrogène contrairement à l’Asie.
Aujourd’hui soutenir l’hydrogène en France c’est ouvrir la porte à des constructeurs qui sont les
principaux concurrents des constructeurs français/européens. Le contexte géopolitique est peu
favorable au développement du carburant ici.
D’autres types de motorisation ?
Non, aujourd’hui il y a essentiellement un travail d’optimisation sur les motorisations thermiques
existantes (en matière d’allègement).
C’est essentiellement autour de l’hybride et de l’optimisation du moteur thermique sous tous ses
aspects (aérodynamique, allègement, etc) que tout se joue. On est quand même obsessionnel en
France sur l’affordability. Il faut que les nouvelles technologies automobiles passent sur des
véhicules de – de 15 000 euros. Ça laisse beaucoup de chance encore à l’optimisation des
moteurs Essence.
En Suisse, l’électrique va avoir les volumes pour faire baisser les prix et faire grimper les
performances.
En 2035 on va être essentiellement sur un cocktail entre électrique et thermique, avec un
hybride, un hybride rechargeable et un pur électrique qui va bientôt percer à la même hauteur.
Les pouvoirs politiques public vont devoir voir comment ils vont organiser la décroissance des
subventions sur les véhicules électriques.
Pour les bornes de recharge il y a une évolution très forte, dont il va falloir se demander si elle
est vraiment nécessaire. La recharge résidentielle et sur le site de travail permettront de satisfaire
l’essentiel des besoins. Il faudrait être à même aujourd’hui de déclarer un plan de décroissance
des aides sur une quinzaine d’années, mais il faudrait avoir une idée claire des volumes
impliqués.
Ce sont des dispositifs fonctionnellement qui sont peu nécessaires pour rassurer les gens. Leur
nécessité s’amoindrira au fur et à mesure que les dispositifs de recharge à domicile ou au travail
permettront de satisfaire l’essentiel des besoins. On verra alors une approche plus mesurée dans
la politique d’expansion des bornes de recharge publiques.
Il y a encore beaucoup d’indétermination sur l’évolution du rythme. C’est un mouvement qui
lentement mais sûrement va s’affirmer et va être boosté par les effets du Dieselgate.
Voiture du futur :
A mon sens il y a une concurrence entre deux points de vue : le véhicule comme outil de
valorisation et de plaisir et le véhicule comme outil à louer qui varie selon l’usage que j’en fait,
retenu par le service qu’il rend.
Balancement entre ces deux visions fonctionnaliste et l’autre plutôt centrée sur la conception
traditionnelle qui va mener à une réforme de politique de produit.
Avec Leaf et Zoé on est toujours dans un schéma de véhicule traditionnel avec une exigence
commerciale qui prime sur l’exigence fonctionnelle.
Il y a des défis très lourds pour gérer ce cocktail de conceptions de l’automobile opposées l’une à
l’autre.
Nouveaux acteurs :
Il y a une grande partie des ménages qui ont des voitures aujourd’hui et qui n’achètent jamais
rien à un constructeur et pourtant ils sont automobilisés. La galaxie automobile, ça fait longtemps
que les constructeurs n’en sont plus la seule composante.
64M€/an sont dépensés par les ménages sur l’automobile, il y’a 45Ma qui relèvent des
constructeurs, le reste leur échappe.
Dans l’automobile il va y avoir des acteurs issus de la techno informatique, qui vont prendre une
part importante, vont faire partie de l’expo auto au même titre que le constructeur mais ce n’est
pas si nouveau que ça.
Google incarne cette vision du véhicule de plus en plus autonome, mais elle se fera sans doute
en partenariat avec Chrysler ou Ford. L’allègement des véhicules aujourd’hui relève plus des
fabricants des composites que des constructeurs qui sont là.
Ma vision consiste à dire qu’il y a rarement de révolutions dans l’automobile mais il y a
quand même des changements importants et des transitions. Dans la presse auto on parle
de révolution des services, véhicules autonomes et électriques. Ces révolutions on ne les
voit jamais, on voit des changements porteurs d’évolutions mais sur un mode beaucoup
plus continuiste que ce que l’on imagine.