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Voici un extrait d’une recherche approfondie
concernant les origines d’un toponyme et d’un
patronyme apparus à la fin de la période
carolingienne ou au temps des premiers rois
capétiens, voire sous la domination romaine, ou
bien encore à l’époque des Gaulois.
10 - Essai de synthèse sur les Chalenge ayant vécu à la fin du XIIIème siècle ou au début du
XIVème

La découverte des 2 personnages précédents, à savoir Guill(aume) Chalange, moine de
l’Abbaye Saint-Martin de Sées au début du XIVème siècle, et Messire Renaud de C(h)ale(n)ge,
doyen (ou prieur) du chapitre cathédral de Sées entre 1287 et 1293, est déterminante, car, du
coup, il est possible d’affirmer qu’à cette époque, cette famille comportait déjà 2 branches, dont
une était noble. De plus, par le fait que les chanoines du chapitre régulier de Sées étaient
choisis par cooptation, laquelle tenait une place dans leur recrutement qui s’effectuait
vraisemblablement dans un milieu régional étroit, et que, à la même époque, un membre de
ladite famille fut moine dans l’abbaye de cette cité, il est quasi-certain que les Chalenge avaient
fait souche à Sées, en étant liés à l’évêché du diocèse.

Souvenons-nous qu’en 1368, Guillaume Chalenge s’était déclaré citoyen de ladite cité. Et
Jehan Chalenge, qui avait rédigé cette année-là à Sées les 2 actes scellés par ledit Guillaume
Chalenge, fut avocat et conseiller de l’archevêque de Rouen en 1380. Or pour être connu de
l’archevêque de Rouen qui était à l’époque le cardinal Philippe d’Alençon (1359-1375), fils de
Charles II, comte d'Alençon, puis le cardinal Pierre de la Montre (1375-1376), et enfin
Guillaume de Lestrange (1376-1388), il paraît évidemment indispensable que Jehan Chalenge
ait tenu des fonctions analogues auprès de l’évêque de Sées, à savoir Guillaume de Rancé
(1363-1379), puis Robert Langlois (1379-1404).

Cela dit, l’hypothèse selon laquelle Robertus de Chalonge, notaire du roi à la cour de Riom en
1293, serait un membre de la branche noble des Chalenge est, du coup, encore plus crédible.
Car Renaud de Chalenge était membre de droit de l’Echiquier de Normandie en tant que doyen
du chapitre de Sées, ce entre 1287 et 1293. Il était donc en contact avec les membres du
Parlement de Paris, sinon lui, du moins son évêque qui, de plus, ne reconnaissait que la
juridiction royale, et non celle du comte d’Alençon. Ainsi a-t-il pu favoriser l’accession d’un sien
parent, Robertus de Chalonge (ou Chalenge) en l’occurrence, à la fonction de notaire du roi.

En conséquence, les « 3 soleils d’or en champ de gueules », blason des Chalenge, sont
apparus au plus tard dans les années 1290, si on les lie à la parentèle de Renauld de
C(h)ale(n)ge. Ils apparaissent d’une part sur le sceau de Jehan Chalenge, vicomte de
Quatremare dès 1380, lequel était originaire de Sées, et d’autre part dans l’église Notre-Dame
de Louviers où Guillaume Chalenge Laisné avait fondé une chapelle en 1428. Et Jacques
Chalenge, descendant dudit Guillaume, les avaient déclarés, dans sa recherche de noblesse,
comme ayant été de tout temps les armoiries de sa famille qui, disait-il, provenait d’Auvergne,
plus particulièrement de la région de Montferrand. A ce stade de notre étude, nous pouvons
maintenant affirmer que les « Chalenge de Normandie » avaient, à la fin du XIIIème siècle, une
origine commune à Sées. Il serait alors intéressant de pouvoir remonter leur filiation au cours
de ce siècle, voire au siècle précédent. Malheureusement les documents font défaut.
                                                 1
S’agissant des actes émis par l’évêché et son chapitre, ils sont très rares, car la cathédrale et
son environnement immédiat de maisons ont brûlé à maintes reprises. Yves de Bellême (1035-
1070), l’un des successeurs d’Azon le Vénérable qui fut évêque de Sées de 986 à 1010, avait
été contraint de mettre le feu aux maisons qui entouraient la cathédrale afin de débusquer les
brigands qui s’y étaient fortifiés, l’église en fut atteinte et entièrement consumée. Sa
reconstruction devait être longue et dispendieuse et quoique ce prélat possédât les comtés du
Perche et d’Alençon, ses moyens ne lui permettaient pas une entreprise de cette importance. Il
prit donc le parti d’aller dans la Pouille et dans la Palestine chercher, auprès des riches parents
qu’il y avait, les secours en argent dont il avait besoin. On mit la main à l’œuvre vers 1053.
Après 70 années de travaux, celle-ci fut consacrée le 21 mars 1126. C’était la 4ème cathédrale,
construite en style roman. Entre-temps Robert II, duc de Normandie, avait donné la ville de
Sées à Robert de Bellême. Guillaume de Ponthieu, fils dudit Robert, conserva la seigneurie de
Sées et fit construire dans la ville le fort Saint-Pierre. Louis VII le Jeune, roi de France de 1137
à 1180, et le comte de Dreux, son frère, mécontents de Guillaume de Ponthieu, vinrent
l’assiéger. Ils brûlèrent la ville, quoiqu’une partie en appartint à l’évêque. Et en 1174, la
cathédrale fut à nouveau incendiée, cette fois-ci par Henri II, roi d’Angleterre.

Sées fut ensuite plongée dans une suite de malheurs dus à la Guerre de Cent Ans, de 1337 à
1453, au cours de laquelle elle fut par 2 fois assiégée et ruinée par les Anglais. En effet, après
la défaite de Crécy, en 1346, les murs de Sées furent consolidés afin de résister à d’éventuelles
attaques anglaises. En 1356, après la défaite de Jean-le-Bon, près de Poitiers, Sées fut prise à
nouveau par les Anglais et réduite en cendres. Jean Bouillet, bailli d’Alençon, en fit raser les
faubourgs afin qu’ils ne tombent pas aux mains des ennemis. Ce fut après 1356 qu’on bâtit le
fort Saint-Gervais. Charles V, par lettres données en 1367, confirma l’évêque dans la charge de
capitaine de ce fort.

Il est donc évidemment impossible, compte tenu de ces faits de guerre, d’espérer retrouver
quelque document que soit, s’agissant des Chalenge ayant vécu à Sées antérieurement au
XIVème siècle. Le cartulaire de l’Abbaye Saint-Martin de Sées est d’ailleurs muet sur ce sujet.
Sur le plan juridique, Sées était rattaché à la vicomté de Falaise qui dépendait elle-même du
bailliage de Caen. Or les baillis sédentaires ont vu leurs fonctions bien spécifiées sous le règne
de saint Louis. Par conséquent, il est fort improbable qu’on puisse un jour découvrir quelque
acte particulier qui ait eu trait aux agissements d’une personne ayant porté le patronyme de
Chalenge à Sées au cours du XIIIème siècle (voir tous les actes des baillis de Louviers aux
XIVème et XVème siècles - Neuvième et Dixième Livres).

Par contre, nous avons découvert un extrait de texte où figure Hugues de Vaunoise,
descendant probable de Hubert de Vaunoise dont nous allons nous entretenir ci-après, ledit
Hugues ayant été tué au siège de Saint-Jean d’Acre en juillet 1191. Voici cet extrait : « … Cette
charte, scellée de son sceau (il s’agit du sceau de Rotrou, comte du perche), fut donnée à
Mâcon, l’an 1190, au moment du départ pour la Palestine… Rotrou (*), peu de jours après, fit
voile vers la Palestine pour rejoindre les autres barons, dont les rois Philippe-Auguste et
Richard d’Angleterre… Jean de Bellême-Montgommery(*), comte de Ponthieu d’Alençon, de
Séez et autres lieux… Hugues de Vaunoise… * (*morts en juillet 1191 au siège de Saint-Jean
d’Acre)… » (Antiquités et chroniques percheronnes, de Louis Joseph Fret, 1838).

Nous ne saurons donc jamais quand les Chalenge vinrent s’installer à Sées. La plus ancienne
de leur trace date de la fin du XIIIème siècle, c’est celle de Renauld de Chalenge, personne
noble, prêtre et doyen des Sagiens. Or à cette époque, les patronymes étaient figés. Le
patronyme de ce Renauld nous indique que ses ancêtres tiraient leur origine d’une localité
désignée sous le toponyme de Chalenge. Mais 2 siècles auparavant, nous avons tenté
d’identifier, dans le Premier Livre, Guérin et Hugues de Chalenges (Guarinus et Hugo de
Calumniis), comme étant des seigneurs rattachés à la famille de Bellême et originaires du

                                                 2
Chalange, localité située à 10 kilomètres à l’Est de Sées. Avant d’aller plus avant dans l’analyse
de cette thèse, il convient auparavant de s’assurer de son bien-fondé.

11 - Guarinus et Hugo de Calumniis (Guérin et Hugues de Chalenges), originaires du Maine

Analysons donc, une fois encore, les chartes qui mentionnent les témoins au rang desquels
figurent Guérin et Hugues de Calumniis

En 1067, Hubert de Vaunoise est cité comme témoin dans une charte par laquelle Hugues de
Rocé, lors de son entrée en religion, confirme la donation précédente de ses biens pour la
fondation du prieuré Saint-Martin du Vieux-Bellême, en présence d’Yves de Bellême, évêque
de Sées (Cartulaire de Marmoutier pour le Perche). Y sont cités : monseigneur Eudes, prieur, et
monseigneur Béraud, prévôt (de Bellême). Quelques années plus tard (autour de 1067), le
même Hubert de Vaunoise est témoin de la vente faite par Guérin, frère de feu Eudes, prieur de
Saint-Martin, au dit Béraud, religieux et prévôt au château de Bellême, d’une terre d’un demi-
muid à ensemencer, située entre le bois de Gautier Le Roux et le chemin d’Eperrais, pour 20
sous, du consentement d’Adélaïde, son épouse, de Guillaume, leur fils et d’Arenberge leur fille.
Comme Gautier, frère du vendeur, n’avait pas été présent à la vente, il promit qu’il y donnerait
son consentement et ratifierait l’acquisition faite par les religieux, et que s’il refusait, ledit Guérin
leur donnerait en échange une autre pièce de terre de la même valeur (témoins : Guérin de
Chalanges (ou de Chalonges, voir de Calonges), Hugues son frère, Hugues du Vieux Bellême,
Hubert de Vaunoise, Hildebert Le Pelletier).

Comme nous l’avons déjà envisagé, la liste des témoins est probablement donnée par ordre
d’une préséance due à l’ancienneté des témoins en tant que fidèles de la famille de Bellême.
Hildebert Le Pelletier (tanneur de peaux) est cité en fin de liste, juste après Hubert de Vaunoise,
lequel tirait probablement son origine du village situé à quelques lieues de Bellême, au Sud-
Ouest. Quant à Hugues du Vieux Bellême, il n’apparaît qu’une seule fois dans le cartulaire de
Marmoutier pour le Perche. Le Vicomte du Motey ne le cite pas dans sa liste des seigneurs
vassaux de la maison de Bellême au cours de la 2ème moitié du XIème siècle, pas plus que
sous Yves de Bellême, évêque de Sées (Origines de la Normandie et du duché d’Alençon, de
l’an 850 à l’an 1085). Il en est de même s’agissant d’Hubert de Vaunoise et de Guérin et
Hugues de Chalanges.




                                                   3
Certes, mais essayons
                                                                         de fixer l’époque qui vit
                                                                         s’installer les Bellême
                                                                         dans le castrum du
                                                                         même nom. Nous ferons
                                                                         appel à 2 sources
                                                                         successives : celle du
                                                                         Vicomte du Motey et
                                                                         celle de Gérard Louise.

                                                                          Voici ce qu’a écrit le
                                                                          Vicomte du Motey : « …
                                                                          Au sommet d’un roc de
                                                                          pierre blanche et tendre,
                                                                          formant un mamelon
                                                                          très escarpé au Sud-
                                                                          Ouest de la colline sur
                                                                          laquelle s’étagent les
                                                                          maisons de Bellême, est
encore visible une très vieille chapelle romane. Cette chapelle est le seul reste du château des
seigneurs de Bellême. Yves la dédia à Notre-Dame et à tous les saints, et la destina à être sa
sépulture familiale. Il était fils de Fulcoin, seigneur de Bellême, lequel avait épousé Rothaïs et
mourut jeune, avant 940. Guillaume 1er de Bellême, dit Talvas, fils d’Yves, fit construire une
nouvelle forteresse : en ce temps-là, le château d’Yves était déjà appelé Le Vieux, car un
château plus vaste, inexpugnable, séparé de la première forteresse par une dépression de la
colline, s’élevait sur un point très culminant pour protéger le bourg qui s’était formé autour des
oratoires dédiés à saint Sauveur et à saint Pierre. Guillaume Talvas y fonda la collégiale saint
Léonard de Bellême. Il trépassa en 1031… » En 1885 déjà, donc avant la parution du livre du
Vicomte du Motey qui eut lieu en 1920, le docteur Rousset écrivait : « … Yves s’était fixé fau
bord d’une forêt magnifique et c’est sur un rocher que fut fondé Bellême (l’actuel Vieux-
Bellême). Or Yves avait une famille, des serviteurs, des fidèles. Le clan devait s’agrandir. Force
fut d’aller gîter plus loin. Yves y transporta sa colonie entière. Alors Bellême fut définitivement
fondé… »

Quant à Gérard Louise, il nous dit ce qui suit : « … Les premières dates attestées dans le
Bellêmois permettent de placer le décès d’Yves 1er l’Ancien (de Bellême) entre 1005 et 1012.
Par ailleurs, Avejot, fils d’Yves 1er l’Ancien et neveu de l’évêque Sifroi, succède à son oncle sur
le siège épiscopal du Mans entre 998 et 1004. Ces dates se placent à une bonne cinquantaine
d’années après l’existence hypothétique d’Yves de Creil et permettent d’envisager la naissance
de la Seigneurie de Bellême peu avant l’an mil, plus précisément dans le dernier tiers, voire le
dernier quart du Xème siècle. Le lignage de Bellême doit son succès à l’évêque Sifroi dont
l’épiscopat se place entre 968-971 et 998-1004. C’est lui qui a vraisemblablement doté Yves
l’Ancien, son frère ou beau-frère, de biens venus de l’évêché du Mans. C’est lui qui a transmis
le siège épiscopal directement aux Bellême par l’intermédiaire de son neveu Avejot entre 998 et
1004. De plus, Yves 1er l’Ancien possède des biens à la lisière de la forêt de Perseigne, qui
appartenaient au comte du Maine Hugues II, confirmant ainsi l’implantation du lignage des
Bellême dans le Nord-Est du Maine (le Saosnois ou Sonnois), pour la même époque… » (La
Seigneurie de Bellême Xème-XIIème siècles, dévolution des pouvoirs territoriaux et
construction d’une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine à la
charnière de l’an mil, de Gérard Louise).

Cet auteur suppose donc, dans le dernier quart du Xème siècle, une implantation ancienne des
Bellême dans le Maine, voire une politique d’alliance systématique avec de vieilles familles de
l’aristocratie mancelle. Et il admet que l’abandon du vieux château de Bellême, par Guillaume
                                                4
1er, au profit d’une nouvelle fortification installée sur le point le plus élevé du site actuel, eut lieu
vers 1025.

Revenons maintenant à notre charte où figure Hugues du Vieux-Bellême. L’appellation de cet
Hugues nous indique qu’autour de 1067, il tirait son origine du vieux castrum édifié par Yves 1er
l’Ancien. En tant que tel, il ne pouvait descendre (comme nous l’avons déjà envisagé) que d’un
compagnon, serviteur, voire d’un parent éloigné de cet Yves qui, rappelons-le, trépassa dans
les années 1005-1012, ou de son fils Guillaume 1er Talvas. Or le Vieux Bellême n’était-il pas un
bien provenant de l’évêché du Mans, et donné par Sifroi à Yves 1er dans le dernier tiers du
Xème siècle ? C’est bien là une conséquence de ce que Gérard Louise nous indique. Mais
Vaunoise serait également un bien des Bellême, d’après ce même auteur. Qu’en est-il alors de
la provenance de Guérin et Hugues de Chalanges (ou de Chalonges, voire de Calonges), car
aucun toponyme situé dans la région de Bellême, tel que Chalanges, Chalonges, ou Calonge,
n’est parvenu jusqu’à nous ? Guérin et Hugues seraient-ils venus du Maine ? Il apparaît,
d’après Gérard Louise qui a analysé avec précision tous les biens détenus par la famille de
Bellême dans les pays suivants : Domfrontais, Seigneurie de Mayenne, pagus de Sées,
Corbonnais, Saosnois et Maine, que l’implantation des Bellême en Saosnois est liée aux
possessions de l’évêque du Mans, en particulier dans la vallée de l’Huisne, à savoir les
châteaux épiscopaux de Duneau et La Ferté-Bernard construits ou remis en état par l’évêque
Avejot (de la famille de Bellême). D’après l’auteur, entre 1015 et 1025, dans cette vallée de
l’Huisne, la construction d’un castellum à Duneau par l’évêque Avejot provoqua l’intervention du
comte du Maine qui s’empara de la fortification et la détruisit : l’évêque se réfugia à Bellême
chez son frère Guillaume. Se peut-il alors qu’un des prédécesseurs de Guérin et Hugues de
Chalanges ait été mêlé à cette affaire ? Observons en effet la vallée de l’Huisne.

                                                                      A 9 kilomètres en
                                                                      amont de Duneau, on
                                                                      peut identifier le village
                                                                      de Boesse-le-Sec, et à
                                                                      proximité de ce village
                                                                      le      hameau          de
                                                                      Chalonges. Guérin et
                                                                      Hugues de Chalanges
                                                                      seraient-ils           des
                                                                      descendants           d’un
                                                                      homme originaire de
                                                                      ce hameau, homme
                                                                      qui aurait participé à
                                                                      l’élévation du château
                                                                      de Duneau avant de
                                                                      fuir à Bellême pour y
                                                                      rejoindre son évêque,
                                                                      et ce dans les années
                                                                      1025 ? Or une autre
                                                                      hypothèse, pour peu
                                                                      crédible qu’elle soit,
                                                                      peut           s’appuyer
                                                                      cependant sur les faits
                                                                      qui suivent : en l’année
                                                                      1351, un paroissien de
Montaillé, nommé Guillaume de Challonges, vendait une rente sur ses biens à la Maison-Dieu
de Saint-Calais (ville située très au Sud de la vallée de l’Huisne). Or les Challonges sont
effectivement un hameau de la commune de Montaillé, cité déjà au cours du XIIIème siècle
(apud Chalonge). Dans l’affirmative, 40 à 50 années après la destruction du château de
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Duneau par le comte du Maine, Guérin et Hugues de Chalonges auraient-ils pu porter ce
patronyme tout en demeurant dans le Bellêmois ? C’est très probable ! Néanmoins, vérifions si
l’hypothèse retenue dans le Premier Livre reste toujours envisageable.

12 - De Guérin de Chalanges et Hugues son frère, originaire du Chalange

Comme nous le rappelions ci-dessus, nous avons étudié, dans le Premier Livre, une notice
d’acquisition de terres au profit d’un religieux, prévôt du château de Bellême, sur laquelle
apparaissent comme premiers témoins « Garinus de Calumniis » et « Hugo » son frère. Cette
notice a très probablement été rédigée dans les années 1067. Nous ne reprendrons pas sa
description. « Guérin » et « Hugues de Chalanges » furent, à n’en pas douter, des vassaux de
la famille de Bellême, du fait que leur patronyme soit apparu en tête de la liste des témoins de
la notice d’acquisition de terres par le prévôt de Bellême, cette constatation nous indiquant que
leur lignée était de plus haut rang que celles des autres témoins : Hugues du Vieux-Bellême et
Hubert de Vaunoise. Ils étaient donc seigneurs (ou barons) relevant du prince de Bellême qui,
compte tenu de notre analyse paléographique de cette fameuse notice d’acquêt, était Yves de
Bellême, évêque de Sées jusqu’à sa mort en 1070, voire Mabile de Bellême, sa nièce, qui fut
assassinée en 1082, mais certainement pas Robert de Bellême, fils de la dite Mabile.

Toujours dans le Premier Livre, nous avons noté que les témoins, inscrits sur une autre notice
d’acquêt de plusieurs terres et prés à Bellême, achetés à Gaultier Le Roux par Béraud, moine
de Bellême, sont Eudes de Saint-Martin, qui possédait un moulin jouxtant ces terres ; Warin de
Saint-Martin ; puis Saluste qui est homme de Gautier Le Roux ; Hugues, fils d’Etienne de
Courtioux ; enfin Jean et Eudes, domestiques ; la notice étant signée par Eudes, moine. Nous
avions aussi avancé l’hypothèse que les deux premiers témoins de cette vente pourraient être
des féodaux de la puissante famille de Bellême, dont les terres englobaient celles mises en
vente. En effet, nous avons découvert que Geoffroy de Saint-Martin fut vassal du Bellêmois
sous Yves, Prince de Bellême et évêque de Sées, tout comme Gaultier (et Guillaume) Le Roux
(Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085, du Vicomte du Motey). Dans
ce cas, pourquoi n’en serait-il pas de même s’agissant de « Guérin de Chalanges » et
« Hugues », son frère, premiers témoins de la notice d’acquêt de la terre achetée par Béraud à
Guérin, frère d’Eudes, autrefois prieur de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême ? Mais pour aller plus
avant dans notre analyse, il nous faut mieux comprendre l’histoire de la seigneurie de Bellême.

13 - Histoire de la seigneurie de Bellême

Installée sur une région de forêts et de collines, la
seigneurie de Bellême constituait une bande de terre
longue de 120 km. De larges vallées (Sarthe,
Huisne, Mayenne) la traversaient du Nord au Sud et
constituaient autant d'axes de communication entre
la Normandie et la vallée de la Loire. Les seigneurs
de Bellême ont tiré parti de cette situation en élevant
des châteaux au-dessus de ces couloirs et en
percevant taxes et péages sur les marchandises en
transit. La seigneurie voisinait de grandes
principautés : royaume de France, comté de Blois et
de Chartres, duché de Normandie et comté d’Anjou...
En conséquence, elle relevait de différents maîtres : son chef devait prêter hommage au duc de
Normandie, au comte du Maine (pour le Passais et le Sonnois) mais aussi au roi de France
(pour le Bellêmois). Cette position marginale fit la fortune et en même temps la décadence de
ce territoire. Les stratégies mises en oeuvre par la maison de Bellême, en particulier
l'appropriation et la maîtrise du sol forestier par les châteaux, la combinaison d'alliances
matrimoniales traçant des réseaux de part et d'autre de cette barrière, permirent à ses
                                               6
seigneurs de construire et de maintenir leur domination sur cet espace convoité mais aussi de
façonner un territoire qui finalement tomba dans l'orbite anglo-normande. En résumé, la
seigneurie de Bellême est un modèle de seigneurie de frontière que la réassurance du pouvoir
des princes au XIIème siècle raya de la carte (source : Wikipédia). Mais revenons pour l’instant
à l’époque de Guillaume Talvas.

                                                     Nous avions relaté, dans le Premier Livre,
                                                     que Guillaume, premier prince de Bellême,
                                                     surnommé Talvas (bouclier), fit construire un
                                                     nouveau château à Bellême et l’église Saint-
                                                     Léonard, consacrée entre 1023 et 1026, le
                                                     château de Domfront et l’église Notre-Dame-
                                                     sur-l’Eau. Mais l'ancien pays de Sées vit
                                                     édifier par Guillaume Talvas bien d'autres
                                                     forteresses entre lesquelles furent réparties,
                                                     pour en former des châtellenies, une
                                                     soixantaine de paroisses. Des fiefs y furent
                                                     créés en vue du service militaire de ces
                                                     places. A six lieues à l'Est d'Alençon, au
    La citadelle de Domfront et l’église Notre-      Mesle, fut élevé un château destiné à
                  Dame sur l’Eau                     défendre le « pont de bois » qui fut jeté sur la
Sarthe pour unir cette région au Bellêmois. A deux lieues, au Nord-Ouest du Mesle, un autre
château s'éleva à Essai sur une colline, un autre domina la butte de Boitron (cette dernière
forteresse fut considérablement augmentée par Robert de Bellême). Ces châteaux devaient
couvrir la ville épiscopale de Sées, située à moins de deux lieues, qui avait elle-même sa
forteresse. Guillaume de Bellême, qui avait à un haut degré le sens de la stratégie défensive,
hérité de son père Yves 1er l’Ancien, avait fait, de l'ensemble de ses domaines, un vaste camp
retranché.

Or ce qui manquait le plus, dans ses châtellenies normandes, c'étaient les Normands. Car il est
impossible d'affirmer l'origine normande d'un seul de ses vassaux. Les mêmes familles
seigneuriales se retrouvent d'un bout à l'autre de ce que nous serions tenté d'appeler ses états.
Elles sont, en grande majorité, d'origine bellêmoise ou mancelle. Cela s'explique aisément :
dans le pays de Sées, les massacres des invasions danoises, attestés par saint Adelin, avaient
fauché une partie des populations, et en particulier les descendants des leudes mérovingiens et
carolingiens. La maison de Bellême les remplaça par des parents, par des amis, par d'anciens
vassaux, par des compagnons d'armes. Ce système lui avait permis, malgré les suzerainetés
différentes qui s'exerçaient sur ses domaines, d'obtenir, dans les deux cent cinquante paroisses
et plus, soumises à son autorité, l'unification nécessaire au commandement (Origines de la
Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085, du Vicomte du Motey).

Cela dit, les ducs de Normandie essayèrent de dominer ce territoire mais les seigneurs de
Bellême s'attachèrent à développer une certaine indépendance, au point qu'ils devinrent au
XIème et XIIème siècles une menace permanente pour la tranquillité du Sud de la Normandie.
Alors que les ducs ont toujours essayé de limiter la puissance de leurs vassaux en leur confiant
des domaines dispersés, le territoire de la famille de Bellême était « la seule seigneurie d'un
seul tenant qui ait existé en Normandie ». Vers 1050, Guillaume-le-Bâtard, le futur Guillaume-
le-Conquérant, parvint à soumettre la région et contraignit son chef, Guillaume II Talvas, à
donner en mariage sa fille, unique héritière, à un fidèle du duc de Normandie. Mais le fils issu
de cette union, Robert de Bellême, reconstitua le domaine familial. Au début du XIIème siècle,
la seigneurie était à son apogée. Environ 40 châteaux la défendaient. Pourtant c'est à cette
période que le roi d'Angleterre et duc de Normandie, Henri Ier Beauclerc, réussit à abattre
définitivement la dite seigneurie. En 1112, il arrêta Robert de Bellême, reprit Alençon, puis
l'année suivante, il mena une coalition qui s'empara de Bellême et des autres places fortes de la
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seigneurie. En 1119, sur la requête de Foulques V, Henri Ier Beauclerc reçut en grâce
Guillaume III Talvas, fils de Robert de Bellême, et lui rendit toutes les terres que son père avait
possédées en Normandie : toutes, excepté Bellême (source : Wikipédia).

Nous affirmions aussi, dans le Premier Livre, que Guérin de Chalanges et Hugues son frère,
étant placés en tête des témoins de la charte que nous avons analysée, furent probablement
d’un rang plus important que les autres. Pour ce qui concerne particulièrement Hubert de
Vaunoise (Hubertus de Valnoisa), il était aussi présent, nous l’avons déjà dit, comme témoin
lorsqu’en 1067 Hugues de Rocé confirmait par une charte en faveur de Marmoutiers, à
l’occasion de son entrée en religion, ses donations précédentes pour la fondation du prieuré de
Saint-Martin du Vieux-Bellême, avec la concession d’Yves de Bellême, seigneur suzerain ; ce
qui confirme, au passage, que la charte qui nous intéresse a bien été rédigée avant la fin du
XIème siècle, et non au cours du XIIème siècle.

Or cet Hubert de Vaunoise fut la souche d’une famille noble, puisqu’en 1185-1190, une charte
de Lisiard, évêque de Sées, répartissait les parts (deux pour les religieux et une pour le prêtre),
entre les religieux de Bellême et le prêtre desservant de Saint-Martin du Vieux-Bellême avant
Nicolas de Vaunoise (Nicholaus de Vaunoise), des oblations qui se font en la dite église
(Cartulaire de Marmoutiers pour le Perche), et que plusieurs chartes de ce cartulaire, dont une
de 1362, mentionnent les seigneurs de Vaunoise. Nous n’avons par ailleurs retrouvé aucune
trace du patronyme d’un autre témoin, Hugues du Vieux-Bellême (Hugo de Veteri Bellissimo),
et il en fut de même de celui de Guérin et Hugues de Chalanges (Guarinus et Hugo de
Calumniis), probablement parce que les descendants de chacune de ces 2 familles avaient
quitté Bellême et sa région quelques années après la rédaction de la charte qui concernait, en
tant que témoins, Hugues du Vieux-Bellême ainsi que Guérin et Hugues de Chalanges.

14 - La frontière au Sud-Ouest de la Normandie à l’époque de Guillaume Talvas



                                                       La ffronttiière au Sud--Ouestt
                                                       La ron ère au Sud Oues
                                                       de lla Normandiie en 1066
                                                       de a Normand e en 1066




                                                          Les remparts de
                                                              Bellême




                                         Le
                                         SONNOIS



                                                   8
Il est certain que les seigneurs de Bellême ont guerroyé, pendant tout le XIème siècle, avec      le
Maine et avec la Normandie pour s’agrandir et aussi pour résister à l’invasion. On sait que       la
famille de Bellême a donné des architectes habiles, particulièrement Robert de Bellême, dit       le
Diable, auquel Guillaume Le Roux confia la construction de Gisors en Normandie pendant            la
lutte anglo-française :

« … Guillaume le Roux, non content du royaume d'Angleterre, que son père en mourant lui
avait laissé en partage, venait d'acheter, de son frère Robert, la Normandie, moyennant dix
mille marcs d'argent. Héritier de la politique et des desseins de Guillaume le Conquérant,
Guillaume le Roux demanda au roi de France (Philippe 1er) une partie du Vexin français. Il
n'attendit pas la réponse, et commença par mettre la main sur les châteaux de la Roche-Guyon,
de Véteuil et de Mantes, favorisé qu'il était par leurs châtelains. Sans se laisser enivrer par ce
premier succès, ce prince habile, prévoyant les suites que pouvaient amener son agression et
les chances ordinaires de la guerre, résolut d'élever, entre le roi de France et lui, une barrière
capable de l'arrêter, et de couvrir au besoin la frontière de Normandie. Il confia la défense du
pont, et le soin d'y construire une forteresse, à Robert de Belesme, dont les connaissances
dans l'art militaire étaient justement célèbres, ingeniosus artifex, comme dit Orderic Vital. Cet
habile homme de guerre sentit que Guillaume le Roux étant déjà maître du cours de la Seine et
de la route basse de France en Normandie, par la possession de Mantes, de Véteuil et de la
Roche-Guyon, qu'appuyait en seconde ligne la place forte de Vernon, il fallait couvrir la route
haute, qui de Pontoise conduisait à Rouen par Gisors. Cette dernière ville, assise sur la rivière
d'Epte, et faisant pour ainsi dire tête de pont du côté de la France, lui parut donc le véritable
point à défendre ; Ad irruendum in Franciam gratum Normannis prœbens accessum, Francis
prohibent (dixit Suger)… » (Revue anglo-française, publication sous la direction de M. de la
Fontenelle de Vaudoré, 1837)

« … Sur le penchant d'une colline, au bas de laquelle serpentent les eaux pures et limpides de
la rivière d'Epte, s'élève en amphithéâtre une riante et charmante cité : Gisors, ville au doux
climat, aux mœurs patriarcales, à la jeunesse ardente, où l'on pourrait se croire à une distance
immense de la capitale, bien qu'elle n'en soit éloignée que de dix-huit lieues. Gisors,
matériellement parlant, est surtout remarquable par les admirables ruines de son immense
château, dont les contours majestueux dominent la cité et l'enveloppent comme d'une auréole
de gloire. Ce fut en l'an 1000, sous le règne du roi Robert, que furent jetées les fondations du
château de Gisors qui, 100 ans après, fut considérablement agrandi et fortifié par Guillaume-le-
Roux. L'histoire de ce château compte parmi ses événements la réception que Henri 1er, roi
d'Angleterre, y fit en 1119, du pape Caliste II. Ce souverain pontife venait pour pacifier deux rois
chrétiens et pour obtenir de Henri qu'il rendît à son frère Robert le duché de Normandie,
ravi injustement à Robert avec sa liberté… » (Histoire pittoresque et anecdotique des anciens
châteaux, demeures féodales, forteresses, citadelles, etc., de M. de Thibiage, 1846)

15 - Les lignes de défense du Sonnois à l’époque des Talvas

Ces forteresses (Saint-James, Mortain, Domfront, Sées, Alençon) prouvent que le Sonnois
n’existait pas avant le Xème siècle et qu’à cette époque seulement remonte son autonomie, car
sans les fortifications élevées par les Talvas, il n’aurait pas pu se fonder, se maintenir et
s’agrandir (ce qui fait dire à certains chercheurs contemporains que la lignée des Bellême serait
issue du Sonnois). Les seigneurs de Bellême étaient protégés sur les flancs par les
possessions de l’Alençonnais et du Bellêmois, en arrière, comme alliés du duc, s’appuyant sur
la Normandie. La première ligne d’occupation du Sonnois est représentée par Saint-Paul,
Blèves, Maulny, Lurson, Allières, les buttes de la Nue et de Mamers. En avant, Robert éleva
Saint-Rémy du Plain, Saône, le mont de la Garde et Perray. A titre d’exemple, le camp
retranché de Saône se composait d’une motte en terre, surmontée d’un donjon en pierres aux
murs épais de deux mètres, dont l’appareillage très caractéristique nous autorise à dater sa
construction du XIème siècle, et permet donc de l’attribuer à Robert de Bellême.
                                                 9
Lignes de défense du Sonnois face au Sud-Ouest

                      10
16 - La ligne de défense au Sud-Est du pays de Sées à l’époque des Talvas


                                                              Pays de Sées : Les
                                                              vassaux des
  Sées                                                        Princes de Bellême
                                                              dans la 2ème moitié
                                                              du XIème siècle
                                                              (en noir)

                               Guérin et Hugues
                               de Chalanges

                                                              Alain et Hugues de
                                                              Sainte-Scolasse


                 Arnoul Corbet de Boitron



                 Masselin d’Essay



                                                                       On voit que le site du
                                                                       Tertre du Chalange
                                                                       (altitude   de     200
                                                                       mètres) est bien
                                                                       placé pour surveiller,
                                                                       à hauteur du Mesnil-
                                                                       Guyon, la pénétrante
                                                                       qui joint Mortagne-au
                                                                       Perche,           puis
                                                                       Montchevrel, à la
                                                                       forteresse de Sées ;
                                                                       tout comme le site
                                                                       de Boitron (altitude
                                                                       de 224 mètres) l’est
                                                                       par rapport à la
                                                                       pénétrante qui joint
                                                                       Le Mêlé-sur-Sarthe,
                                                                       puis       Saint-Aubin
                                                                       d’Appenai,      à    la
                                                                       forteresse de Sées ;
                                                                       et enfin le site
                                                                       d’Essey (altitude de
                                                                       180 mètres) par
                                                                       rapport       à      la
                                                                       pénétrante qui joint
                                                                       Le Mêlé-sur-Sarthe à
                                            11
la dite forteresse de Sées. Cette étude topographique suppose que les voies d’accès pour
    atteindre la ville de Sées à partir de Mortagne-au-Perche et du Mêlé-sur-Sarthe furent de tous
    temps identiques (tant au XIème siècle qu’à notre époque).




N
                   O
               Ç
           N
          E




           L’’anciienne maiison ffortte du Challange
           L anc enne ma son or e du Cha ange


                                                 12
Le site où l’ancienne maison forte du Chalange a été édifiée est désigné sur la carte par le
toponyme « Le Tertre ». Nous disions, dans le Premier Livre, que pour notre part, il était évident
que ce manoir avait été construit à l’emplacement d’un poste de défense élevé à l’époque de
Guillaume 1er Talvas, dans les années 1020, en même temps d’ailleurs que la ceinture de
forteresses et de forts avancés s’appuyant sur Sées, Bellême, Alençon, Essay et Boitron. Et
notre thèse était que Guérin et Hugues de Chalanges, furent probablement les descendants
d’une famille qui avait reçu, de Guillaume Talvas, la garde de la maison forte du Chalange,
poste avancé de la citadelle de Sées. Ce pouvait être une motte en terre, surmontée d’un
donjon en pierres, comme l’étaient les retranchements des lignes de défense du Sonnois.




                Le tertre du Chalange, avec son manoir
                            accolé à une tour

Car s’agissant d’Essay, on sait que, dès le XIème siècle, c’était une place forte aux mains des
princes de Bellême qui y firent construire l'église Saint-Pierre et la forteresse. Du château, il ne
                                                13
reste de nos jours que des débris de murs, une chapelle et quelques remparts. La forteresse a
été détruite par les Anglais au cours de la Guerre de Cent Ans. Quant à la place forte de
Boitron, il y subsiste encore une tour de facture récente, qu’on peut distinguer au centre de la
photo ci-dessous.




                                                 Ces rudiments d’archéologie confortent donc
                                                 notre hypothèse, ayant retrouvé la trace
                                                 d’Arnoul Corbet de Boitron, vassal des
                                                 Bellême dans la seconde moitié du XIème
                                                 siècle (Origines de la Normandie et du duché
                                                 d’Alençon de l’an 850 à l’an 1085 ; Vicomte
                                                 du Motey), et celle de Masselin d’Essay, vers
                                                 1074, dans une charte qui relate l’arrêt rendu
à la cour de Jean, archevêque de Rouen, en présence de Guillaume (Le Conquérant) roi
d’Angleterre, et de Mathilde sa femme, en confirmation des privilèges d’exemption de l’église
Saint-Léonard de Bellême, à l’encontre des prétentions de Robert, évêque de Sées : témoins…
Mathelinus de Axe (Masselin d’Essay). Essay étant situé près de Sées, Axis ou Axeium est bien
le nom de ce lieu à cette époque (Cartulaire de Marmoutiers pour le Perche). Pour rendre
encore plus crédible cette hypothèse, on citera cet extrait du Vicomte du Motey,
                                              14
dans « Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085 » : « … Mancicas,
vassal de Guillaume Talvas, fit alors bâtir (au début du XIème siècle), près de la motte sur
laquelle s'élevait son manoir, et dont le nom d'une rue (d’Alençon) conservera longtemps le
souvenir (il s’agit de la rue Etoupée, dont le nom primitif fut la rue de la Motte), une église
dédiée à Notre-Dame… »

Il est vrai que Le Chalange fut une seigneurie, au moins au XVIIIème siècle (voir les 3 extraits
ci-dessous) :

« … La terre et seigneurie de la Boullaye, située au Chalenge et s’étendant en Montchevrel et
autres paroisses… » (Bulletin de la société historique et archéologique de l’Orne, 1909).

« … Seigneur honoraire de Sainte-Scolasse et du Chalenge (fin du XVIIIème siècle)… »
(Annuaire des cinq départements de la Normandie, de l’Association normande, 1895).

« … contrat passé au Mans en 1587 : Philibert de Barville, écuyer, sieur de la Mauguinière,
garde du corps du roi, demeurant habituellement au Chalenge (paroisse du Chalenge)… »
(Bulletin de la société historique et archéologique de l’Orne, 1903).

Dans ce cas, la tour qui est accolée au manoir situé sur le tertre du Chalange est-elle un ancien
donjon ou un colombier ? On sait que l’architecture carrée des donjons sera abandonnée au
cours du XIIème siècle, au profit de constructions à plan hexagonal, octogonal ou cylindrique. A
titre d’exemple, au « … Château du Puiset… Le donjon est une tour hexagone d’un diamètre
considérable… Louis-le-Gros (1108-1137), qui passa presque toute sa vie à guerroyer contre
les seigneurs turbulens et indisciplinables, après s’être rendu maître du Château de Montlhéry,
assiégea celui du Puiset… » (Mémoires, publié en 1823 par la Société des ingénieurs civils de
France).

On remarquera aussi que, s’agissant des communes, « … Il y en avait où les pigeons s’étaient
tellement multipliés que dans une seule paroisse on trouvait quatre colombiers établis. Tel était
le cas de la paroisse de Chalange en Normandie… » (La France économique & sociale à la
veille de la révolution, de Maksim Maksimovich Kovalevskii, 1909).

Mais un colombier ne pouvait être attenant à une maison d’habitation, donc la tour accolée au
manoir du Chalange fut probablement un ancien donjon hexagonal. Pour autant, ce manoir fut-il
une sergenterie ?

Qu’est-ce qu’une sergenterie ? « … On donnait en Normandie ce nom à des fiefs nobles
patrimoniaux et héréditaires qui passaient aux filles comme aux fils, dont l’exercice pouvait être
affermé, et dont les propriétaires, soit hommes, soit femmes, devaient foi et hommage. La
création des sergenteries était aussi ancienne que celle des autres fiefs dans cette province.
C’était la récompense militaire, praediae militaria, des premiers guerriers qui avaient conquis la
Normandie. Leurs anciennes fonctions étaient de rétablir, par la force des armes, le droit de
justice dans toute sa splendeur ; c’est pourquoi ils étaient nommés sergents nobles du plaid de
l’épée ou sergent de la querelle. Les privilèges des sergents nobles consistaient dans le droit
d’assister, de donner leur avis et d’avoir une place honorable aux séances de l’Echiquier,
qu’eux seuls pouvaient semoncer ou convoquer. Ils jugeaient provisoirement dans les affaires
ordinaires, recevaient les plaintes, faisaient les informations, citaient et ajournaient les parties
devant le duc ou la cour de l’Echiquier… » (France, dictionnaire encyclopédique, de Philippe Le
Bas, 1845).

S’agissant de « … La chastellenie d’Essey. Il n’y avoit originairement qu’une sergenterie du
plaid de l’épée, qui fut inféodée le 20 juillet 1454, par Jean II, duc d’Alençon. Elle a été depuis
divisée en quatre branches, dont la branche d’Essey, qui comprenoit Essey, Boitron… la
                                                15
branche de Sées, la branche de Courtomer et la branche du Mesle-sur-Sarthe… Quant à la
Chastellenie de Saint-Scolasse, on ignore absolument le temps où les juridictions cessèrent d’y
exister. Il y a bien de l’apparence que ce fut sous Pierre II (d’Alençon). Ce prince ayant fait
rétablir le château d’Essey, voulut, suivant l’usage de ce temps-là, y attacher de nouveaux
vassaux pour le défendre. On sait qu’il y attacha ceux du domaine de Graville (peut-être les
Malet), dont une porcion de la sergenterie d’Almenèche, branche de Mortée, anciennement de
la chastellenie de Sainte-Scolasse, faisoit partie. Il y a tout lieu de conjecturer que le même
prince y attacha le surplus des vassaux de la chastellenie de Sainte-Scolasse, dont le château
estoit détruit depuis longtemps. La chastellenie de Sainte-Scolasse contenoit anciennement
trois sergenteries du plaid de l’épée, inféodée en différents temps. Plusieurs ont été divisées
depuis. Celle, appelée de Sainte-Scolasse, fut inféodée vers 1404, & a été divisée depuis en
deux branches : branche de Sainte-Scolasse, comprenant Sainte-Scolasse, Bures, Le
Chalange, Mont-Chevrel ; et la branche du Mesle-Rault… » (Mémoires historiques sur la ville
d’Alençon et sur ses seigneuries, de Pierre Josepeh Odolant Desnos, 1787).

En lisant attentivement ces textes, on s’aperçoit que le manoir du Chalange n’a jamais été une
sergenterie. En fait, les points d’appuis militaires cités dans les textes sont uniquement Essey et
Boitron (lire les 3 extraits ci-après) :

« … 1449 - Le duc (d’Alençon) et comte Jean II (du Perche) avait, à la tête de plusieurs
hommes d’armes, reprit le château d’Essey et le fort de Boitron sur la garnison anglaise… »
(Antiquités et chroniques percheronnes, de Louis Joseph Fret, 1838).

« … Un lignage d’Essay apparaît dans le dernier quart du XIème siècle : Maschelinus de Auxe
est cité vers 1074 (Orderic Vital) et en 1092 (cartulaire de Marmoutiers pour le Perche).
Guarinus de Esseio, à la fin du XIème siècle ou au début du XIIème (1er cartulaire de Saint-
Vincent du Mans)… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise,
1993).

« … Un Raoul prepositus de Boitron est connu par le cartulaire Saint-Martin de Sées dans les
années 1080-1094. Vers les mêmes dates, Jean Burnet donne ce qu’il possède sur l’église et le
moulin de Boitron à l’abbaye. Roger II de Montgommery confirme la donation avec ses fils,
Hugues et Arnoul… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise,
1993).

Quant à la seigneurie de Sainte-Scolasse, le duc Richard II la donna à Richard de Sainte-
Scolasse, puis elle releva de la dot de Mabile, épouse du frère utérin de Guillaume-Le-
Conquérant (conformément aux 2 extraits ci-dessous) :

« Le duc Richard II mit tous ses soins à organiser la frontière du Sud…. Il fit construire les
châteaux de Moulins-La-Marche et de Sainte-Scolasse… Un vassal de Moulins, Herbert de
Mélicourt, entouré de seigneurs d’origine française, revendique soigneusement sa qualité de
Normand. On ne peut contester celle du guerrier Richard, qui reçut Sainte-Scolasse dont il
construisit le château. Cette châtellenie et celle de Moulins étaient limitrophes des possessions
de Bellême… Hugues, fils de Richard de Sainte-Scolasse, et Alain de Sainte-Scolasse vivaient
en 1089… » (L’origine du duché d’Alençon, Vicomte du Motey, 1920).

« … les 4 filles de Roger (de Montgommery) et de Mabile (de Bellême) furent… dont Mathilde,
épouse de Robert, comte de Mortain, frère utérin de Guillaume-Le-Conquérant, qui reçut en dot
la seigneurie de Sainte-Scolasse, où son mari fonda un prieuré… » (Antiquités et chroniques
percheronnes, de L. Joseph Fret, 1838).

Effectivement, d’après Gérard Louise, vers le Nord-Est du pagus, l’influence des Bellême fut
inexistante au-delà de Courtomer et Sainte-Scolasse-sur-Sarthe. Car « … Le pouvoir ducal a su
                                                16
imposer ou récupérer un droit de garde à l’intérieur des châteaux de la Seigneurie de Bellême
pendant la période 1050-1087, toute la période qui va de la fin du Xème au début du XIIème
siècle montre un phénomène essentiel, celui de privatisation des châteaux… Cependant, il y a
deux âges dans le type de fortifications utilisées par les Bellême pour implanter leur pouvoir au
sol. Le premier âge doit correspondre à la première Seigneurie de Bellême, avant 1050 : les
fortifications gardent un aspect traditionnel ou perpétuent des structures archaïques : enceintes,
éperons barrés, sites de marécage. Cette première seigneurie a probablement récupéré,
réutilisé des forteresses anciennes… Le deuxième âge correspond à l’implantation de mottes
castrales dans la deuxième moitié du XIème siècle… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-
XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). A titre d’exemple d’un château édifié dans un site
marécageux, « … En 1838, J.F. Galeron indique que le vieux château de Sainte-Scolasse était
situé au centre de marais et vallon, défendu par d’énormes redoutes de terres, du côté le plus
accessible, et que sa masse ronde était couverte de constructions. Le site était probablement
installé dans la vallée marécageuse du ruisseau des Petits-Touvois, affluent de la Sarthe en
rive droite, et à faible distance du bourg… Alannus de Sancta Scolassa et Hugo, fils de Ricardi
de Sancta Scolassa sont signalés dans l’entourage de Robert II de Bellême, à la fin du XIème
siècle, par le cartulaire de Saint-Martin de Sées… » (Les seigneuries de Bellême ; Xème -
XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993).

Toujours d’après Gérard Louise, s’agissant du Vieux-Château de Bellême, il est cité pour la
première fois dans un acte faux du cartulaire de Vierzon, daté de 991 : ce document indique
qu’un personnage est venu de Belesma castro. Le site fut abandonné dans le premier tiers du
XIème siècle, puisque Guillaume 1er de Bellême cèda à l’église Notre-Dame de Bellême la terre
qui jouxtait le vieux château (terramque que adjacet veteri castro de Belismo) peu de temps
après le décès de son père, Yves 1er l’Ancien, soit entre 1005-1012 et 1035.

La question qu’on doit maintenant se poser est alors la suivante : après avoir défendu les accès
du Chalange, après s’être installé à Bellême, quand, certains membres de la famille « de
Chalanges » (de Calumniis), ont-ils quitté le pays bellêmois pour venir s’installer à Sées ?
Probablement en 1119, lorsque Guillaume III Talvas recouvra les possessions de son père,
excepté la forteresse de Bellême !

17 - Une terre ayant fait l’objet d’un litige, telle est l’origine de la paroisse du Chalange




                                                  17
Notre thèse explicitée et construite tant au début qu’à la fin de cette saga est que Guarinus et
Hugo de Calumniis, demeurant à Bellême dans les années post-1067 et ante-1119, étaient
originaires des « Chalanges », terres ayant fait l’objet de litiges, à savoir l’actuelle commune du
Chalange dans le département de l’Orne, et que les prédécesseurs de ces « de Calumniis »
durent y élever dans les années 1020, sur le tertre de la dite paroisse, une maison forte, sorte
de poste avancé aux profit de Guillaume Talvas, afin d’éclairer la cité de Sées face au Sud-Est.
Or le terroir en question se nommait très certainement « Chalonge », au temps où la langue
romane rustique était parlée en Gaule (voir les explications dans le Premier Livre). On peut
donc se demander à juste titre entre quels justiciables cette terre a pu faire l’objet de litiges,
s’agissant de son appropriation, et aussi quand fut élevée l’église du Chalange. Ces justiciables
étaient-ils les habitants d’un des villages voisins : Gaprée, Courtomer, Le Mesnil-Guyon, Saint-
Germain-le-Vieux, Le Plantis, Sainte-Scolasse-sur-Sarthe, Planche ou Montchevrel ? Pour
répondre à cette question, il nous faut analyser les terroirs de cette région, qui ont pu exister
avant et après les invasions normandes.

Quand, en 854, Charles-le-Chauve eut prescrit une enquête pour faire l’état de son royaume,
l’évêque de Sées, Hildebrandt, reçut deux commissions de « missi » (envoyés extraordinaires
du roi). Or quelle était la configuration générale du pays de Sées qu’ils découvrirent ? Dans les
intervalles des massifs forestiers, dans les clairières, existaient un certain nombre de paroisses
lentement formées, depuis le Vème siècle, autour des possessions épiscopales, des villas des
leudes, et des oratoires, construits au VIème siècle, par des cénobites. Sauf quelques
bourgades, les agglomérations de la population clairsemée étaient rares. L'église rurale,
construite en clayonnage sur une base de pierre, apparaissait, avec son presbytère, isolée au
sommet d'un coteau ou au fond d'un vallon. Si les « missi » de Charle-le-Chauve parcoururent
l'Est du pays de Sées, ils y trouvèrent d'anciennes paroisses comme Courtomer, Saint-Lhomer,
Sainte-Scolasse, Gaprée et Planches (Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850
à 1085, du Vicomte du Motey).

Mais Le Chalange existait-il en tant que paroisse à cette époque ? Certes, si, vers 1067,
Guarinus fut désigné sous le patronyme de Calumniis, c’est relativement à ce fameux poste
avancé que nous venons de présenter, lequel fut construit sur le Tertre actuel du Chalange par
les ancêtres de Guérin, probablement dans les années 1020. Observons avec attention ce
patronyme, il s’écrit au pluriel, signifiant « les Chalanges » (ou « terrae de Calumniis » ; voir
l’exemple décrit dans le Premier Livre), en tant que terres ayant fait l’objet de litiges dans le
passé, et non une quelconque paroisse. C’est donc après la construction de ce poste avancé
que la paroisse du Chalange s’est peut-être peu à peu constituée, prenant le nom de ces terres
litigieuses, mais au singulier.

Véronique Gazeau nous indique que les dîmes de cette église (et d’autres) furent attribuées à
l’Abbaye de Grestain à l’époque des ducs de Normandie (Normannia monastica : Princes
normands et bénédictins ; Xème-XIIème siècle). D’ailleurs il en sera de même au XIVème
siècle, car si, sur le Pouillé du diocèse de Sées, établi en l’année 1373 et conservé aux
Archives Nationales, la paroisse du Chalenge (Chalengeyum) était quitte de 52 sols et 6 deniers
tournois pour l’année LXXI et de 52 sols et 6 deniers tournois pour l’année LXXII, sur le Pouillé
de 1335, elle était rattachée à l’Abbaye de Grestain (abbas et conventus de grestano). Cette
abbaye était bénédictine et de la même congrégation que celle de l’Abbaye Saint-Martin de
Sées, puisque Foulque, un des religieux de Saint-Martin, devint abbé de Grestain dans les
années 1110. On sait que le feu détruisit le monastère sous son abbatiat et que la charité des
princes, des seigneurs et des fidèles ne tarda pas à réparer ce désastre. Comme l’Abbaye de
Grestain avait été fondée vers 1050 par Hellouin de Conteville qui épousa Arlette, mère de
Guillaume-le-Bâtard, après la mort du duc Robert en 1035, le patronage de l’église Saint-Jean-
Baptiste du Chalange, par la dite abbaye, fut probablement une donation du chapitre de Sées,
suite à l’incendie qui détruisit l’abbaye en 1124, voire avant, puisque Véronique Gazeau indique
que l’Abbaye de Grestain était pourvue de biens situés non seulement dans ses environs, mais
                                                18
encore dans le Bessin et dans la partie occidentale du Cotentin, sans oublier des parts d’église
situées dans l’actuel département de l’Orne, des dîmes et des terres dans le pays de Caux et
dans la moyenne vallée de la Dives (Normannia monastica : Princes normands et abbés
bénédictins - Xème-XIIème siècle, de Véronique Gazeau). Il faut peut-être voir là, s’agissant
particulièrement des parts d’église situées dans l’actuel département de l’Orne, une usurpation
des biens ecclésiastiques de l’épiscopium de Sées par Guillaume 1er Talvas, épiscopium dont il
faut sans doute rattacher les débris du monastère Saint-Martin de Sées (Sées était peut-être,
dès l’époque carolingienne, un monastère épiscopal, comme le fut à Rouen le patrimoine de la
cathédrale et celui de Saint-Ouen). Cette usurpation est confirmée par une charte de
restauration du chapitre cathédral de Sées vers 1025, par laquelle Guillaume 1er de Bellême
octroie trois domaines avec leurs dépendances en prébende aux chanoines qu’il a placés
auprès de la cathédrale de Sées (La seigneurie de Bellême ; Xème-XIIème siècles, dévolution
des pouvoirs territoriaux et construction d’une seigneurie de frontière aux confins de la
Normandie et du Maine à la charnière de l’an mil, de Gérard Louise). Il paraît donc
envisageable que les « terrae de Calumniis » aient pu être attribuées par Guillaume 1er de
Bellême, vers 1025, au chapitre de Sées qui venait d’être remis sur pied. Par la suite, l’église du
Chalange fut probablement l’objet de litiges avec l’Abbaye Saint-Martin de Sées, raison pour
laquelle sa dîme fut peut-être attribuée à l’Abbaye de Grestain. Rappelons que l’Abbaye Saint-
Martin de Sées, fondée dans les années 550, puis détruite pendant les invasions danoises et
norvégiennes des VIIIème et IVème siècles, ne fut reconstruite qu’en 1060, sous l’impulsion de
Mabile de Bellême. On peut donc avancer l’hypothèse que les « terrae de Calumniis » furent,
au moins dès le début du XIème siècle, des terres en litiges, peut-être entre les anciennes
paroisses avoisinantes, lesquelles retrouvèrent une partie de leurs habitants après les
dévastations engendrées par les hommes du Nord, mais plus sûrement entre le chapitre
cathédral de Sées et l’Abbaye Saint-Martin de cette cité, avant que les raids des pirates
normands ne viennent dévaster non seulement la cathédrale et son chapitre, mais aussi
l’Abbaye Saint-Martin de Sées.

On notera également que la thèse du dépeuplement consécutif aux invasions danoises est
actuellement battue en brèche, notamment par Mathieu Arnoux et Christophe Maneuvrier. Nous
les citons : « La dévastation et le dépeuplement des campagnes normandes au moment où
Rollon s’installe à Rouen relèvent vraisemblablement d’un mythe historiographique créé par
Dudon de Saint-Quentin pour servir l’histoire de la jeune dynastie normande. Tout, au contraire,
laisse croire que les structures rurales n’ont pas été profondément transformées par les
changements politiques des IXème et Xème siècles. La présence de fortes densités de
population, le maintien du réseau urbain plaident par exemple en faveur d’une certaine
continuité du peuplement, ce qui n’interdit pas l’existence de fortes nuances régionales (Le pays
normand : Paysages et peuplement du IXème au XIIIème siècles ; Mathieu Arnoux et
Christophe Maneuvrier). » Cette absence relative de dépeuplement confirmant notre hypothèse
précédente, les « terrae de Calumniis », dont nous avons examiné l’apparition dans ce dernier
paragraphe, ont certainement fait l’objet de litiges bien avant l’arrivée des pirates danois et
norvégiens, à savoir au temps où la romane rustique était encore parlée en Neustrie du Nord-
Ouest.

Ainsi se termine notre incursion dans le pays de Sées, car nous venons de découvrir une charte
qui remet fondamentalement en cause la thèse que nous venons de longuement présenter,
s’agissant de l’origine de Guarinus et Hugo de Calumniis, origine qui ne peut être en aucun cas
au Chalange. Mais avant d’abandonner au néant nos supputations qui s’avèrent vaines,
laissons-nous bercer par quelques strophes d’un beau poème tiré du recueil de poésies
« Plaine d’Alençon et du Mesle-sur-Sarthe », de Ch. Du Hays :

                      Le pays dont je cherche à faire la peinture
                      Tient son nom d'un gros bourg sur la Sarthe bâti ;
                      Cette rivière y ferme une large coupure,
                                                19
Quatre moindres cours d'eau viennent s'y engloutir.

                       Ces rivières au Sud : l'Erine, la Pervenche,
                       Avec leurs affluents, nées des mêmes coteaux ;
                       Au Nord, c'est la Vesone, et plus loin c'est la Tanche
                       Grossies toutes les deux de dix petits ruisseaux.

                       Le Bassin de la Sarthe a six lieues d'étendue
                       Du levant à Longpont, à Saint-Paul, au couchant ;
                       Du Chalenge aux Aulneaux, dirigez votre vue
                       (le Nord et le Midi), vous mesurez autant.

                       Cet espace formule à peu près un losange,
                       Par de hardis coteaux nettement limité ;
                       Le centre est pittoresque, à tous les pas il change,
                       Chaque colline semble y danser un ballet.

                       Parcourez les coteaux qui servent de ceinture,
                       Au Nord : Bure, Laleu, Montchevrel et Vaudon ;
                       A l'Ouest Essay, Boitron (une large coupure
                       Laisse tout entrevoir la Plaine d'Alençon) ;

                       A l'Est : Saint-Quentin, Coulimer, Mesnière ;
                       La forêt de Perseigne, ornement du Midi,
                       Prolongeant les coteaux de Louze et Pervenchères,
                       L'horizon sous vos yeux va s'ouvrir agrandi.

18 - Guarinus et Hugo de Calumniis, originaires des Challonges, entre Ecorpain et Montaillé

Tout récemment, nous avons eu la chance de découvrir une charte inédite qui a fait l’objet
d’une étude en Angleterre, il s’agit de donations faites à l’Abbaye de Grestain en l’année 1082.
En voici un large extrait :

« … N° 158. Grestain, abbey of Notre-Dame, Autumn 10 82 :
A record that the abbey of Grestain had been founded by Herluin (de Conteville) in the year
1050 for the souls of his relatives, and which duke William's agreement. William himself gave
the manor of Penton Grafton (Hants) with whatever belonged to him throughout Grestain's
holdings on anything transported in both England and Normandy, in the same manner as Saint-
Etienne of Caen held what the king had given it, and an entire villein at Conteville, who actually
resided at Folamara. He also gave all customs relating to tolls and carriage which belonged to
him throughout Grestain’s holdings on anything transported in both England and Normandy, in
the same manner as Saint-Etienne of Caen held its holdings.
Herluin himself gave thirty acres of land, and the bordars and fishermen he had at Grestain; the
wood of Normare near the abbey; part of another wood at Mont-Saint-Georges; seven
measures of grain from the mills of Sainte-Mère-Eglise; two villeins at Boulleville; the land of
one plough, a horseman, a villein and three bordars at Tilly-sur-Seulles; thirty acres and a half
of the church at Saint-Scolasse-sur-Sarthe, with the third sheaf belonging to this half; half of the
church of Saint-Aubin at Bures, with the third sheaf and the burial dues which belong to it; with
the agreement of Richard de Sainte-Scolasse and of king William; all the church at La
Chalange, with the third sheaf of tithe belonging to it; one hundred acres of land which William
son of Maingot held in the same will; all the tithe of these one hundred acres; all the tithe of the
land of Warin son of Arnulf in the same will; all the tithe of the land of Thurstan Trenelinus in the
same will; these (i.e. all the grants at La Chalange) were Tancuard's land and were given with
the agreement of earl Roger de Montgommery... Calumnia (La Chalange)… »
                                                 20
Notes : the contents of this previously unknown charter haves been discussed at length
between Bates and Gazeau (1990). (Regesta Regum Anglo-Normannorum the Acta of William
I, 1066-1087, de David Bates, 1998).

Comme cette charte est essentielle pour ce qui nous concerne, en voici donc une traduction
aussi fidèle que possible :

« … Un acte concernant l’Abbaye de Grestain qui a été fondée par Herlouin de Conteville en
l’an 1050 pour l’âme de ses parents, avec l’agrément du duc Guillaume (Le Conquérant).
Guillaume lui-même donna le manoir de Penton Graston (Hampshire) avec ce qui lui
appartenait des exploitations de Grestain sur toutes les choses transportées tant en Angleterre
qu’en Normandie, comme Saint-Etienne de Caen tenait ce que le roi lui avait donné, et un vilain
à Conteville, qui réside actuellement à Folamara. Il donna aussi toutes les coutumes ayant trait
aux péages et transports tant en Angleterre qu’en Normandie, de la même manière que Saint-
Etienne de Caen tenait ses exploitations.
Herlouin lui-même donna trente acres de terre, les bordiers (vilains attachés à des tâches
subalternes) et les pêcheurs qu’il avait à Grestain, le bois de Noremare près de l’abbaye, une
partie d’un autre bois à Mont-Saint-Georges, sept mesures de grain provenant des moulins de
Saint-Mère-Eglise ; deux vilains à Boulleville, une charruée de terre, un cavalier, un vilain et
trois bordiers à Tilly-sur Seulles, trente acres et la moitié de l’église de Sainte-Scolasse-sur-
Sarthe, avec le tiers de la dîme appartenant à cette moitié ; une moitié de l’église de Saint-
Aubin à Bures, avec le tiers de la dîme et les droits d’enterrement qui lui appartiennent ; avec
l’agrément de Richard de Sainte-Scolasse et du roi Guillaume ; toute l’église de La Chalange,
avec le tiers de la dîme lui appartenant ; cent acres de terre que Guillaume, fils de Maingot,
tenait dans le même testament ; toute la dîme de ces cent acres, toute la dîme de la terre de
Guérin, fils d’Arnulphe, dans le même testament ; toute la dîme de la terre de Thurstan Trenilus
dans le même testament ; celles-ci (c’est-à-dire toutes les cessions de La Chalange) étaient
des terres de Tancuard et furent données avec l’agrément du comte Roger de
Montgommery… »

Le texte dit que la moitié de l’église de Sainte-Scolasse, la moitié de l’église de Bures et la
totalité de l’église de La Chalange furent données par Herlouin de Conteville à l’Abbaye de
Grestain, avec l’agrément de Richard de Sainte-Scolasse et du roi Guillaume pour les 2
premières églises citées, et celui de Roger de Montgommery pour l’église de La Chalange.
Donc en 1082, La Chalange (église et terres) était une possession de la famille de Bellême. Par
ailleurs, des terres de La Chalange - celles de Maingot, Guérin et Thurstan Trenilus - qui
appartenaient à Tancuard, furent également données à l’Abbaye de Grestain.

Quand Roger II de Montgommery reçut-il ce terroir du duc de Normandie ? Un élément de
réponse est présenté ci-après :

« … Au haut Moyen-Age, le Hiémois (dont le nom vient de sa capitale Uxuma, Exmes) est un
pagus, c'est-à-dire une région placée sous le commandement d'un comte. On lui connaît 4 ou 5
subdivisions : la centena Noviacensis, autour de Neuvy-au-Houlme ; la centena Saginsis,
autour de Sées et d’Exmes ; la centena Alancioninsis, autour d'Alençon ; et la centena
Corbonensis, autour de Corbon, dans le Perche, base du futur comté du Perche. L'historien
Lucien Musset pense qu'au IXème siècle, le comté d'Hiémois revêt une assez grande
importance pour le roi carolingien puisqu'il joue probablement le rôle de marche face au
royaume breton d'Erispoë et face aux Vikings débarqués sur la côte. Afin de resserrer
l'encadrement administratif et militaire, certaines parties de l'Hiémois sont érigées en pagus
entre 802 et 853 : la centena Saginsis et la centena Corbonensis. S’agissant de son intégration
au duché de Normandie, Lucien Musset estime que c'est en 924 que la région passe sous le
contrôle de Rollon, premier duc de Normandie. Sous ses successeurs, le Hiémois n'a plus la
grande étendue qu'il avait à l'époque carolingienne (le Perche n'en fait plus partie). Il s'intercale
                                                 21
entre les comtés de Mortain et d'Evreux. Selon Guillaume de Jumièges, en 1026, le duc de
Normandie Richard II confie sur son lit de mort le comté d'Hiémois à son deuxième fils Robert
(le futur Robert le Magnifique). Celui-ci devient duc à son tour en 1027 et donne l'Hiémois à un
de ses plus proches compagnons Roger Ier de Montgommery. Les chartes de l'époque révèlent
toutefois que le nouveau titulaire n'a pas rang de comte mais de vicomte, un titre confirmé pour
les successeurs de Roger : Turstin Goz (vers 1035-vers 1043), Roger II de Montgommery,
Robert II de Bellême (1107-1112)… » (source : Wikipédia).

Cela dit, quelles pouvaient être les origines de Maingot, Guérin, Thurstan et Tancuard ?

Si Guérin est un nom d’origine neustrienne, Maingot ne l’est pas :

Maingot, ou Manegot, est un nom d’origine saxonne : « … Earl Roger de Montgomery, Earl of
Arundel and Shrewbury ; one of the chief counsellors of William The Conqueror, to whom, as
reward, Chichester and Arundel castles, and the earldom of Shrewburry, were given to him. He
had land in twelve counties... Saxon possessors of land, in the time of King Edward the
confessor… Manegot… Hugh, the son of Constance, holds of Hugh (de Grentemaisnil), 1
virgate of land in Lochesley (Loxley). The arable employs half a plough. There is 1 villein. It was
and is worth 5s(hillings). Manegot held his freely… » (Domesday book, for the county of
Warwick, tr. by W. Reader, 1835).
Il est vrai qu’une colonie saxonne s’était installée dans la région de Sées depuis le IIIème
siècle.

Quant à Thurstan ou Turstin, c’est un nom d’origine normande et scandinave (voir les 2 extraits
ci-dessous) :

« … L’Eglise finit par l’accepter, après avoir suggéré de suivre l’exemple de Rollon (Hrôlfr)
devenu Robert à son baptême : on eut ainsi des Turstin, alias Richard, Stigand alias Odon ou
Ospac alias Robert. La colonisation rurale est encore plus difficile à étudier… C’est ce
qu’illustre l’histoire des Goz : leur première assiette territoriale est à Toutainville, près de Pont-
Audemer ; puis ils s’établirent en Bessin, près de Creuilly, dont un de leurs rameaux eut la
seigneurie ; la faveur de Richard II valut vers 1020 à Turstin Goz d’être vicomte d’Hiémois… »
(Histoire de la Normandie, de Michel de Boüard, 1970).

« … Turstin Goz, fils d’Onfroy, et Le Danois, vicomte d’Argentan et gouverneur de Falaise, se
liguèrent avec le roi de France contre le duc de Normandie, et lui promirent de lui livrer Falaise
(1045)… Herluin, mari d’Arlette, mère du duc Guillaume, saisi d’une partie des biens confisqués
sur Turstin Goz… » (Histoire du duché de Normandie, de Ignace-Joseph-Casimir Goube, 1815).

Pour terminer la revue des noms apparaissant dans cette charte de 1082, relativement à
l’église et aux terres situées à La Chalange, citons Tancuard qui est aussi un nom d’origine
saxonne :

« … Henri l’Oiseleur, duc de Saxe, né en 875, empereur en 919, mort 936… Ses enfants :
Tancard, tué à Mersbourg en 939… » (Irish Names and Surnames, de Partick Woulfe, 1993) ;
« … Tankard, tancard ; son of Tancred, (a Norman personal name, Teutonic Tancrad, early
corrupted to Tancard and Tankard… » (Mémoires de la Société d’archéologie de la Manche,
publié en 1884) ; « … Ward entra dans la composition d’un grand nombre de mots : Edward,
heureux gardien ; Sigward, gardien victorieux ; Tancard, Tancuard ou Tancward, gardien
reconnaissant (on retrouve le thank anglais, qui provient probablement du saxon - dank en
Allemand)… » (Œuvres complètes de Voltaire, 1860).

Il faut donc nous rendre à l’évidence. En 1082, l’actuelle paroisse du Chalange dans l’Orne se
nommait déjà La Chalange, ou Calumnia en latin (et non Les Chalanges), et certaines des
                                                 22
terres de cette paroisse, faisant partie du Hiémois, appartenaient, depuis la mort de Turstin Goz
vers 1043, à Roger II de Montgommery, elles avaient été remises à Tancuard, d’origine
saxonne, donc issu des Saxons implantés dans la région de Sées depuis des générations. Par
conséquent il est impossible que Guarinus et Hugo de Calumniis, vers 1067, soit environ 25
années auparavant, puissent provenir de La Chalange. On remarquera que La Chalange
relevait de Roger de Montgommery, en limite du Hiémois, alors que Sainte-Scolasse,
dépendant du duché de Normandie, appartenait à Richard de Sainte-Scolasse. Voilà une
constation qui pourrait expliquer la raison pour laquelle cette paroisse ait été soumise à des
litiges entre les 2 parties, peut-être depuis Turstin Goz, vicomte du Hiémois, d’où son
appellation de La Chalange, appellation qui entraîna pus tard la donation de l’église entière à
l’Abbaye de Grestain, pour éviter toute contestation ultérieure

Alors, d’où provenaient Guérin et Hugues de Chalanges ? Le Vicomte du Motey affirme que les
vassaux et fidèles des premiers princes de Bellême provenaient du Bellêmois, ou étaient
d’origines mancelles.

Quant à Gérard Louise, il écrit que « … Les Bellême avaient assurément un prévôt à Bellême,
mais sa fonction était sans doute administrative et subalterne… Le château de Bellême a été
sans doute peuplé de milites castri, chargés de la défense, qui furent dotés de biens fonciers à
faible distance de la forteresse. Vers 1100, on trouve ainsi un Geoffroy, fils de Lambert de
Bréviart qualifié de miles de Belismo. D’autres lignages proches apparaissent dans l’entourage
des Bellême : ceux de Rocé, Clinchamp, Vaunoise, Montgaudry, Eperrais… Les garnisons
ducales à l’intérieur des châteaux de la Seigneurie de Bellême, sous le règne de Guillaume de
Normandie, ont sans doute été installées après la conquête de 1049 à Alençon… » (Les
seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993).

Ainsi avons-nous trouvé quelques-uns des fidèles de la famille de Bellême, à savoir Yves et
Eudes de Clinchamp, Hugues de Rocé et Hervé de Breviard dans une charte d’Yves de
Bellême, évêque de Séez, par laquelle il confirme une donation à l’Abbaye Saint-Vincent du
Mans :

« … Confirmation par Yves, évêque de Séez, des dons faits par diverses personnes à l’Abbaye
Saint-Vincent du Mans (1035-1070)… Signum Yvonis de Clino Campo, signum Odonis de Clino
Campo, Guillelmi vicarii, Hugonis de Rocet, Hervei de Bremart (ou de Breviard)… » (Histoire de
l'église du Mans, de Paul Léon Piolin, 1856).

D’ailleurs Hugues de Rocé et Hervé de Bréviard étaient parents, comme on peut le constater
dans les 2 textes qui suivent concernant la fondation du Prieuré de Saint-Martin-du-Vieux-
Bellême :

« … Il y eut néanmoins une difficulté là-dessus, parce que Hugues de Rocet avoit fait
un pacte avec Hervé de Bréviard, son parent, que celui qui mouroit le premier des deux feroit
héritier de ses biens celui qui survivroit à l’autre, Mais Eudes et Bérald, religieux de Marmoutier,
entre les mains desquels il avoit fait cette donation, firent désister ce seigneur en lui
donnant… » (Mémoires de la Société archéologique de Touraine, de la Société archéologique
de Touraine, 1874).

« … Charte notice de la confirmation, en faveur de Marmoutier, par Hugues de Rocé, à
l’occasion de son entrée en religion, de ses donations précédentes pour la fondation du prieuré
de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême, avec la concession d’Yves de Bellême, évêque de Sées,
seigneur suzerain - et de l’accord intervenu avec Hervé de Bréviard, parent dudit Hugues de
Rocé, qui prétendait avoir droit, en vertu d’un contrat précédent, d’hériter de tous les biens du
susdit Hugues… cum testibus pluribus aliis, nominibus his :… Huberto de Valnoisa… »
(Cartulaire de Marmoutier pour le Perche, de M. L’abbé Barret, 1894).
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Certes, mais nous sommes obligés de constater qu’aucun toponyme provenant de
« Calumnia » n’existe dans le Bellêmois ; c’est donc que les 2 frères « de Calumniis » tiraient
leurs origines du Maine. Or dans le Premier Livre, nous avons répertorié les toponymes
« Chalonge » des départements de la Mayenne et de la Sarthe. Les voici rappelés :

Département de la Mayenne ;

- « La Petite Chalonge », ferme de la commune de Saint-Denis-des-Gastines,
- « Le Chalonge », ferme de la commune d’Alexain,
- « Le Chalonge », lieu-dit de la commune de Bouère,
- « Le Chalonge », ferme de la commune de Charchigné,
- « Le Chalonge », hameau de la commune de Fougerolles,
- « Le Chalonge », ferme de la commune d’Origné,
- « Le Chalonge », hameau de la commune de Saint-Cyr-le-Gravelais,
- « Le Chalonge », hameau de la commune de Saint-Gault,
- Ruisseau de « Chalonge », commune de Louverné, affluent du ruisseau du Fresne,
- « Les Chalonges », hameau de la commune de Bourgon,
- « Les Chalonges », ferme de la commune de Châlons,
- « Les Chalonges », ruisseau affluent de la Chopinière,
- « Les Chalonges », ferme de la commune de Saint-Georges-sur-Erve,
- et « Les Chalonges », ferme de la commune de Vautorte.

Département de la Sarthe ;

- « Chalonge », bois de la commune de Roèze, « Boscus de Calumnia » vers 1050,
- « Les Grandes et les Petites Chalonges », bois de la commune de Beaufay, « Decima de
Calumpniis » au XIIIème siècle,
- « Les Chalonges », hameau de la commune de Boésse-le-Sec,
- « Les Chalonges », hameau de la commune de Montaillé,
- « Les Chalonges », bois de la commune de Saint-Vincent-du-Lorover,
- « Les Chalonges », bois de la commune de Savigny-l’Evêque,
- et « Les Chalonges », ferme de la commune de Vibraye.

Ces topoymes sont nombreux, aussi devons-nous maintenant étudier quelles furent les raisons
qui amena quelque prédécesseur des frères « de Calumniis » à venir s’installer à Bellême, en
provenance du Maine. C’est ce que nous allons tenter d’éclaircir maintenant, en lisant les textes
du Vicomte du Motey et de Gérard Louise :

 « … Cet état complet de la famille (de Bellême) est présenté par une charte de la fin du Xème
siècle. (Charte 1ère de l’Abbayette : consensu et voluntate meorum parentum, dit Yves dans la
charte précitée, duarum videlicet sororum mearum : Billehendis atque Eremburgis, nec non
duorum avunculorum, Seinfredi episcopi et Guillelmi, atque cognatorum : Guillelmi clerici,
Roberti, Sutsardi, rursusque Guillelmi laici.)… Il ne serait pas téméraire de penser qu’elle était
de haute extraction bretonne et qu’elle s’était implantée dans le Maine et à Bellême, lors des
guerres dirigées par les chefs de la Bretagne contre Charles-Le-Chauve… Elle avait en effet,
avant les invasions normandes, des possessions très importantes sur les confins du Maine et
de la Bretagne, entre Landivy et La Dorée. Certains de ses officiers, comme Abbon, ancêtre
des Giroie de Saint-Cébery, sont des Bretons. Certains de ses membres portent le surnom
caractéristique de Le Breton (Guérin, fils de Rotrou II, comte de Mortagne, et d’Adèle de
Bellême, fille de Guérin, est apelé Warinus Brito - cartulaire de Saint-Vincent du Mans, n° 587 -
Un Maurice de Bellême, issu d’une branche bâtarde, est appelé Mauricius de Bellissimo, qui
dicitur Brito - cartulaire du chapitre du Mans, charte DCLII.)…
Yves de Bellême, avait des sentiments religieux profonds qui sont prouvés par ses
restaurations d’églises, la construction de sa chapelle castrale dédiée à la Vierge… ses
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restitutions au monastère du Mont-Saint-Michel (Charte Première du cartulaire de
l’Abbayette)…
Herbert Eveille-Chien, comte du Maine qui succéda à son père en 1016, résolut d’abaisser
l’autorité féodale et les prérogatives de l’évêque du Mans (Avesgaud de Bellême). Voyant sa
sécurité menacée dans sa capitale, Avesgaud fit construire, à Duneau près de Connerré, une
forteresse de refuge que le comte assiégea et prit. L’évêque, craignant de tomber dans les
mains de son ennemi, quitta Le Mans et se retira au château de Bellême, auprès de son frère
(Guillaume 1er de Bellême)… Herbert Eveille-Chien s’étant emparé du Sud du Saosnois,
Avesgaud réunit les vassaux épiscopaux aux troupes de son frère pour refouler l’agresseur et
marcher sur Le Mans… Le comte Herbert eu d’abord l’avantage… puis la maison de Bellême
fut victorieuse… Avesgaud rentra au Mans en 1020…
Le duc de Normandie (Robert-Le-Diable, frère de Richard III et fils de Richard II), ne vint pas
facilement à bout du prince de Bellême (Guillaume 1er Talvas) qui n’avait pas hésité à lui refuser
obstinément l’hommage… Nous ignorons les combats qui précédèrent le siège d’Alençon, où
Talvas alla s’enfermer avec toutes les troupes dont il pouvait disposer… mais le chef de la
maison de Bellême dut capituler… Guillaume de Bellême se risqua à faire de nouveau appel
aux armes… Il s’enferma peut-être dans la forteresse de Domfront… Une sanglante bataille
s’engagea dans la forêt de Blavou, près de Pervenchères. Foulque de Bellême, son fils, fut tué,
et Robert, son autre fils, fut blessé et ne ramena du combat qu’un petit nombre de chevaliers…
Guillaume de Bellême en mourut subitement… C’était vers 1031… »
(Origines de la Normandie et du duché d’Alençon, du Vicomte du Motey, 1920).

« … L’expansion de la Seigneurie de Bellême dans le Maine - les conflits.
Les rapports de Bellême et des comtes du Maine furent rapidement très tendus, en particulier
dans le premier tiers du XIème siècle, sous le règne du comte Herbert Eveille-Chien. Quatre
conflits nous sont rapportés par les sources narratives, dont voici le premier : Entre 1015 et
1025, dans la vallée de l’Huisne, autour du château de Duneau, la construction d’un castellum à
Duneau par l’évêque Avejot provoqua l’intervention du comte du Maine qui s’empara de la
fortification et la détruisit ; l’évêque se réfugia à Bellême chez son frère Guillaume ; il
excommunia le comte Herbert et mit l’interdit sur le diocèse. Une guerre s’ensuivit. Il s’agit
probablement du conflit rapporté par Orderic Vital entre Guillaume 1er de Bellême, aidé des
Giroie, et le comte Herbert : le comte du Maine mit le seigneur de Bellême en fuite, mais sa
victoire fut compromise par l’arrivée des Giroie ; l’évêque du lever l’interdit et faire la paix… »
(La Seigneurie de Bellême : Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1992).

De ces 2 textes, il apparaît que l’évêque du Mans, Avesgaud (ou Avejot), se réfugia à Bellême
chez son frère Guillaume 1er Talvas lorsque le comte du Maine, Herbert Eveille-Chien, détruisit
son castellum de Duneau, et qu’Avesgaud réunit ses vassaux épiscopaux aux troupes de son
frère pour refouleur l’agresseur et marcher sur Le Mans.

Un des premiers vassaux épiscopaux de l’évêque du Mans fut bien l’abbé de Saint-Calais (voir
les 2 textes ci-dessous) :

« … Un monastère fut fondé dont saint Calais fut le 1er abbé. A sa mort, son compagnon
Daumer le remplaça. Il obtint de Childebert un nouveau dipôme d’immunité. Les successeurs
de ce prince, Chilpéric 1er et Thierry, ne se montrèrent pas moins bienveillants à l’égard des
abbés Gall et Siviard… Les faveurs dont cette maison avait été l’objet, l’avaient sur certains
points, rendue indépendante, ou du moins relevait-elle directement du roi. Ces concessions
avaient un caractère essentiellement précaire et chaque fois qu’un nouveau prince arrivait au
trône, l’abbé devait lui en demander la confirmation. Il ne paraît pas qu’elle n’ait été jamais
refusée, et Gontran, Clotaire II, Dagobert 1er, Clovis II, Childebert III et Dagobert III l’accordèrent
les uns après les autres… Les princes carolingiens ne se montrèrent pas moins généreux… A
la mort de l’abbé Ebroin en 801, Charlemagne conféra à Francon l’ainé, évêque du Mans, la
jouissance de l’abbaye à titre de bénéfice viager… Le pape Nicolas 1er, sur les renseignements
                                                  25
que l’évêque du Mans lui donna, prit sa défense. Les moines recevaient en même temps du
souverain pontife l’ordre d’avoir à se soumettre à leur évêque… Finalement en 863, tout en
restant soumis pour le spirituel à l’autorité de leur évêque, les moines retrouvaient
définitivement la liberté des élections… » (Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Calais, de l’abbé L.
Froger, 1888).

 « … Genesius, abbé de Saint-Calais, fut remplacé par Foulques qui fit édifier, vers 1020, la
tour du clocher de son église. Il est probable que la basilique toute entière fut renouvelée dans
le même temps. L’abbé Adaelelme lui succéda, c’était l’un des premiers hommes de son temps
dans l’architecture et la sculpture. Il reconstruit en 1025 l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire qui
fut consumée par un incendie. Adaelelme fut remplacé par Ebrard qui occupait le siège
épiscopal en 1040… Quoique la perte des documents sur cette abbaye nous enlève presque
toujours la connaissance des faits qui s’y passèrent… Ce fut vraisemblablement vers la même
époque que les droits féodaux et les prérogatives de l’abbaye de Saint-Calais furent établis
d’une manière permanente. Le prélat qui la gouvernait tenait le premier rang parmi les abbés du
diocèse ; il devait cette prérogative à l’ancienneté de son monastère, et à sa qualité de
fondation royale. Il était aussi premier chanoine prébendé de la cathédrale du Mans, après le roi
toutefois. Il avait le droit de visiter les 4 paroisses suivantes : Notre-Dame de Saint-Calais, qui
comprenait toute la ville, et celles de Marolles, Montaillé et Rahay. Il avait un grand vicaire et
était aidé dans l’exercice de la justice ecclésiastique, qui était pleine comme celle du grand
doyen du Mans, par 3 officiers : un official, un promoteur et un greffier… L’Abbaye de Saint-
Calais avait aussi les seigneuries de Marolles et de Rahay, quelques fiefs situés à Saint-Calais,
Montaillé, et dans les paroisses voisines au nombre de 15 ; elle entretenait pour exercer la
juridiction civile et criminelle en son nom 4 officiers : un bailli, son lieutenant, un procureur fiscal
et un greffier… » (Histoire de l’église du Mans, de Paul Léon Piolin, 1856).

Ainsi à Montaillé, l’abbé de Saint-Calais possédait le fief des « Chalonges » (conformément aux
2 extraits ci-après) :

« … religieux, abbé et couvent de Saint-Calais, tiennent et relèvent à foy et hommage simple
leur fief des Chalonges… » (Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire du
Vendômois, Launay, 1901).




« … On peut citer encore les fiefs de la Chevalerie et des Chalonges, à quelque distance au
Nord d’Ecorpain. L’abbé de Saint-Calais, par raison de cedit fief des Chalonges, possédait dans
la paroisse plusieurs cens, tailles et justice. Ce droit de justice était exercé comme appartenant
primitivement à sa crosse, sur les métairies de La Lande, Fay, les Chemins, les Brières, Crucé,
la Jaunaie et les Chalonges… » (Bulletin de la Société d’agriculture, sciences et arts de la
Sarthe, 1849).

N’oublions pas qu’une famille « de Challonges », demeurant à Montaillé, avait existé au milieu
du XIVème siècle, elle était certainement originaire du fief des Chalonges de ladite paroisse.
Car Il existe, dans les Archives Hospitalières de Saint-Calais dans la Sarthe, une copie d’un
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contrat passé le 8 mai 1351 par lequel « Guillaume de Challonges », paroissien de Montaillé,
vend à Hugues, prêtre de la Maison-Dieu de Saint-Calais, une rente de 30 sous sur tous ses
biens (Archives Départementales de la Sarthe).

Ce fief apparaît sous le toponyme « Chalonge » (sans « s » terminal) au XIIIème siècle dans
une copie d’une lettre écrite en parchemin scellée du scel de l’officialité du Mans, copie réalisée
en 1488. Dans cette copie, les toponymes sont mal écrits. Donc on ne pourra pas prendre en
considération l’écriture du mot « Chalonge » au singulier :

« … L’incendie qui détruisit le monastère au XVème siècle, pendant l’occupation anglaise, fit
disparaître les archives. On sauva néanmoins quelques titres, un nécrologe rédigé à la fin du
XIVème siècle, un vieux cahier connu sous le nom d’ancienne caterne de l’abbaye, et un
cartulaire rédigé au XIème siècle, incomplet mais néanmoins fort précieux… (Nous avons
trouvé aux archives de la fabrique d’Evaillé, canton et arrondissement de Saint-Calais, un
exemplaire de ce vidimus, transcrit sur parchemin en 1488. Le texte en est ordinairement plus
correct que celui du cartulaire, écrit le rédacteur dans son cartulaire)… Gros des cures (XIIIème
siècle) : A tous ceux qui ces presentes lettres verront Jacque de Touteville, chevalier, seigneur
de Beuré, baron d’Ivry et Saint-Andry en la Marche, conseiller chambellan du roy notre sire,
garde de la prevosté de Paris salut, scavoir faisons que l’an de grace mil quatre cent quatre
vingt huit, le samedi vingt huitieme du mois de mars, vismes et leumes mot après mot une lettre
de vidisse écrite en parchemin scellée comme il appartient sur double queue et cire verd, du
scel de la cour de l’officialité du Mans saine et entière contenant cette forme… In ecclesia
sancti Johannis de Montailler percipiunt dicti abbas et conventus unum modium bladi in magna
decima, videlicet, quatuor sextaria avenae et octo siliginis et in residuo medietatem ; percipiunt
etiam parvam decimam Sanci Johannis et medietatem tractus et tertiam partem mestivae
(redevance coutumière sur les céréales) apud Chalonge et medietatem decimae et sextam
partem tractus et sextam mestivae in terra Adam (Odon) Founeau medietatem decimae ; haec
sunt quae percipiunt abbas et conventus Sancti Carilephi… » (Cartulaire de l’Abbaye de Saint-
Calais, de L. Froger, 1888).

La conséquence de ces analyses est la suivante : une famille de Challonges vivait à Montaillé
en 1351. Elle tirait très certainement son nom du fief des Chalonges appartenant à l’Abbaye de
Saint-Calais, dont l’abbé fut l’un des premiers vassaux épiscopaux de l’évêque du Mans. Notre
thèse est alors celle qui suit, malheureusement indémontrable : Guarinus et Hugo de Calumniis
furent les fils (ou petits-fils) d’un homme d’armes tenant, de l’Abbé de Saint-Calais, le fief des
Chalonges, homme d’armes qui avait été attaché à l’évêque du Mans, Asvegaud de Bellême.
Lorsque cet évêque se réfugia à Bellême, ce « milites » le suivit, puis s’installa définitivement
près du Vieux-Château de Bellême. Par la suite, il est probable que les terres qui ont fait l’objet
de la transaction entre Guérin, frère du prieur Eudes (trépassé) de Saint-Martin-du-Vieux-
Bellême, et Béraud, religieux et prévôt de Bellême, bordaient les terres de Guarinus et Hugo de
Calumniis, fils ou petits-fils du « milites ». D’où d’éventuelles constestations qui auraient pu en
découler puisque Gautier, frère du vendeur, n’ayant pas été présent à la vente, il promit qu’il y
donnerait son consentement et ratifierait l’acquisition faite par les religieux, et que si la vente ne
pouvait se faire, ledit Guérin leur donnerait en échange une autre pièce de terre de la même
valeur.

Cette thèse a l’avantage de se placer dans le droit fil des constatations que nous avons
rapportées auparavant. En effet, en remontant le temps, les Chalenge furent liés à l’archevêque
de Rouen puis à l’évêque de Sées. Dans ce cas, pourquoi leur antécédent originel n’aurait pas
été lié lui aussi à un évêque, celui du Mans en l’occurrence !

Or ce fief des Chalonges est probablement aussi ancien que l’Abbaye de Saint-Calais elle-
même. C’est l’objet du chapitre qui suit.

                                                 27
19 - Les Chalonges, terres en litiges depuis la création de l’Abbaye de Saint-Calais par
Childebert I

Grâce à une copie du dipôme de Childebert I, par lequel il fonde l’Abbaye de Saint-Calais en
515, nous pouvons imaginer quelles furent les limites des terres attribuées à ladite abbaye :

DIPLOMA CHILDEBERTI REGIS I, DE MADVALLE.

CHILDEBERTUS1, REX FRANCORUM, VIR INLUSTER2. Si petitionibus servorum Dei, pro
quod eorum quietem vel juvamen pertinet, libenter obaudimus, Regiam consuetudinem
exercemus. Noverint igitur omnes Fideles nostri praesentes atque futuri, quia monachus
quidam peregrinus Carilephus nomine, de Aquitaniae partibus, de pago videlicet Alvernio
veniens, Nobis postulavit, ut ei locum ubi habitare, et pro Nos Domini misericordiam implorare
potuisset, donaremus, ut Eumcum monachis suis in nostra defensione et tuitione susciperemus.
Cujus petionem, quia bonam esse cognovimus, et Ipsum Domini servum miraculis declarantibus
veraciter perspeximus, libenti animo emplere studuimus. Dedimus ergo Ei de Fisco nostro
Maddoallo3, super fluvium Anisola in loco qui vocatur Casa-Gajani, per locis descriptis et
designatis, ubi Oratorium et Cellam Sibi et ab suis monachi, et qui post Eum venturi fuerint,
construeret, et Receptaculum pauperum in eleemosyna domni et genitoris nostri Clodovei
aedificare potuisset. Terminus ergo de nostra donatione, qui est inter Dominationem Fisci
Maddoallensis et nostra traditione, incipit a villa quae appellatur ROCCIACUS4 super fluvium
BRIA5… etc.

1 - Auctor libri de Vita Bertae abbatissae Bertum, darum, fulgentem et splendidum interpretatur.
- Ab Honorio principe in usu caepit lenem Francos Bertum appellavisse. - Hinc CHILD-BERT
proles praeclara vel potius puer lenis.

2 - Illuster. Tres honoratorum gradus passim adnotare est apud scriptores : Illustrium,
Clarissimorum, Spectabilium. lllustrium potior erat, tribuebaturque Praefectis Praetorio,
Praefectis Urbi , Quaestoribus, Magistris militum, etc. Apud nostros etiam haec dignitatis
praerogativa diu, stante prima et secunda Regum Franciae stirpe oblinuit, cum Reges ipsi,
atque adeo Majores Domus, Viras illustres sesemet indigitarent. Quomodo vero a Romanis in
Franciam ea dignitas transierit a nemine hactenus proditum. Inde ortum existimo, quod
Clodoveus, acceptis ab Anastasio Consularis dignitatis codicillis, Inlustris titulum qui
Consulibus, caeterisque summis magistratibus competebat, tanquam Consul et imperii ofiicialis
sibi adscripserit. (Acta SS. Omn. jul. T. I)

3 - MADVALLIS. « Childebertus... in villam Madvalis nuncupatam devenit... Rex Ei (Carilefo)
Madvalem concedit ad condendum caenobium » S. Siviard. ineunte seculo VIII. (Acta SS. Ord.
S. Bened. 1, 03) - MATVALLIS. IX° seculo. « Erat in pago Cenomanico rus nobile... cui
nomen... Matvallis inditum est » (Vita S. Medardi. Spicileg. VIII, 408). - IX° secul o. « Lotharius...
in pagum Cenomanicum, in villam cujus vocabulum est Matualis devenit » (Vita Ludovic Pii,
apud Duch.,II, 312).

4 - L'abbé de Saint-Karlès est seigneur de la ville (villa) de Merroles, hors chemin et y a haute
justice, étangs qui « doivent cens, corvées et Halles aux moulins de Roçay. Et icelle terre de
Merroles et appartenances DE LA FONDATION ANCIENNE DE L'ABBAYE, tenue sans moyen
en garde royale du Comte du Maine » - « Item, il a en la paroisse dessus dite un manoir appelé
ROÇAY et une métairie et une borde au la fuie » - (Censif de 1391. Bibliothèque de Saint-
Calais) - Rocciacus adjectif possessif formé du nom propre, très-connu, Roscius ; Roçay ou le
Bas-Rossay est un moulin près de Savigny, mais sur la commune de Marolles et dans le
département de la Sarthe ; le Haut-Rossay est une ferme qui domine le côteau voisin du Bas-
Rossay.

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  • 1. Voici un extrait d’une recherche approfondie concernant les origines d’un toponyme et d’un patronyme apparus à la fin de la période carolingienne ou au temps des premiers rois capétiens, voire sous la domination romaine, ou bien encore à l’époque des Gaulois. 10 - Essai de synthèse sur les Chalenge ayant vécu à la fin du XIIIème siècle ou au début du XIVème La découverte des 2 personnages précédents, à savoir Guill(aume) Chalange, moine de l’Abbaye Saint-Martin de Sées au début du XIVème siècle, et Messire Renaud de C(h)ale(n)ge, doyen (ou prieur) du chapitre cathédral de Sées entre 1287 et 1293, est déterminante, car, du coup, il est possible d’affirmer qu’à cette époque, cette famille comportait déjà 2 branches, dont une était noble. De plus, par le fait que les chanoines du chapitre régulier de Sées étaient choisis par cooptation, laquelle tenait une place dans leur recrutement qui s’effectuait vraisemblablement dans un milieu régional étroit, et que, à la même époque, un membre de ladite famille fut moine dans l’abbaye de cette cité, il est quasi-certain que les Chalenge avaient fait souche à Sées, en étant liés à l’évêché du diocèse. Souvenons-nous qu’en 1368, Guillaume Chalenge s’était déclaré citoyen de ladite cité. Et Jehan Chalenge, qui avait rédigé cette année-là à Sées les 2 actes scellés par ledit Guillaume Chalenge, fut avocat et conseiller de l’archevêque de Rouen en 1380. Or pour être connu de l’archevêque de Rouen qui était à l’époque le cardinal Philippe d’Alençon (1359-1375), fils de Charles II, comte d'Alençon, puis le cardinal Pierre de la Montre (1375-1376), et enfin Guillaume de Lestrange (1376-1388), il paraît évidemment indispensable que Jehan Chalenge ait tenu des fonctions analogues auprès de l’évêque de Sées, à savoir Guillaume de Rancé (1363-1379), puis Robert Langlois (1379-1404). Cela dit, l’hypothèse selon laquelle Robertus de Chalonge, notaire du roi à la cour de Riom en 1293, serait un membre de la branche noble des Chalenge est, du coup, encore plus crédible. Car Renaud de Chalenge était membre de droit de l’Echiquier de Normandie en tant que doyen du chapitre de Sées, ce entre 1287 et 1293. Il était donc en contact avec les membres du Parlement de Paris, sinon lui, du moins son évêque qui, de plus, ne reconnaissait que la juridiction royale, et non celle du comte d’Alençon. Ainsi a-t-il pu favoriser l’accession d’un sien parent, Robertus de Chalonge (ou Chalenge) en l’occurrence, à la fonction de notaire du roi. En conséquence, les « 3 soleils d’or en champ de gueules », blason des Chalenge, sont apparus au plus tard dans les années 1290, si on les lie à la parentèle de Renauld de C(h)ale(n)ge. Ils apparaissent d’une part sur le sceau de Jehan Chalenge, vicomte de Quatremare dès 1380, lequel était originaire de Sées, et d’autre part dans l’église Notre-Dame de Louviers où Guillaume Chalenge Laisné avait fondé une chapelle en 1428. Et Jacques Chalenge, descendant dudit Guillaume, les avaient déclarés, dans sa recherche de noblesse, comme ayant été de tout temps les armoiries de sa famille qui, disait-il, provenait d’Auvergne, plus particulièrement de la région de Montferrand. A ce stade de notre étude, nous pouvons maintenant affirmer que les « Chalenge de Normandie » avaient, à la fin du XIIIème siècle, une origine commune à Sées. Il serait alors intéressant de pouvoir remonter leur filiation au cours de ce siècle, voire au siècle précédent. Malheureusement les documents font défaut. 1
  • 2. S’agissant des actes émis par l’évêché et son chapitre, ils sont très rares, car la cathédrale et son environnement immédiat de maisons ont brûlé à maintes reprises. Yves de Bellême (1035- 1070), l’un des successeurs d’Azon le Vénérable qui fut évêque de Sées de 986 à 1010, avait été contraint de mettre le feu aux maisons qui entouraient la cathédrale afin de débusquer les brigands qui s’y étaient fortifiés, l’église en fut atteinte et entièrement consumée. Sa reconstruction devait être longue et dispendieuse et quoique ce prélat possédât les comtés du Perche et d’Alençon, ses moyens ne lui permettaient pas une entreprise de cette importance. Il prit donc le parti d’aller dans la Pouille et dans la Palestine chercher, auprès des riches parents qu’il y avait, les secours en argent dont il avait besoin. On mit la main à l’œuvre vers 1053. Après 70 années de travaux, celle-ci fut consacrée le 21 mars 1126. C’était la 4ème cathédrale, construite en style roman. Entre-temps Robert II, duc de Normandie, avait donné la ville de Sées à Robert de Bellême. Guillaume de Ponthieu, fils dudit Robert, conserva la seigneurie de Sées et fit construire dans la ville le fort Saint-Pierre. Louis VII le Jeune, roi de France de 1137 à 1180, et le comte de Dreux, son frère, mécontents de Guillaume de Ponthieu, vinrent l’assiéger. Ils brûlèrent la ville, quoiqu’une partie en appartint à l’évêque. Et en 1174, la cathédrale fut à nouveau incendiée, cette fois-ci par Henri II, roi d’Angleterre. Sées fut ensuite plongée dans une suite de malheurs dus à la Guerre de Cent Ans, de 1337 à 1453, au cours de laquelle elle fut par 2 fois assiégée et ruinée par les Anglais. En effet, après la défaite de Crécy, en 1346, les murs de Sées furent consolidés afin de résister à d’éventuelles attaques anglaises. En 1356, après la défaite de Jean-le-Bon, près de Poitiers, Sées fut prise à nouveau par les Anglais et réduite en cendres. Jean Bouillet, bailli d’Alençon, en fit raser les faubourgs afin qu’ils ne tombent pas aux mains des ennemis. Ce fut après 1356 qu’on bâtit le fort Saint-Gervais. Charles V, par lettres données en 1367, confirma l’évêque dans la charge de capitaine de ce fort. Il est donc évidemment impossible, compte tenu de ces faits de guerre, d’espérer retrouver quelque document que soit, s’agissant des Chalenge ayant vécu à Sées antérieurement au XIVème siècle. Le cartulaire de l’Abbaye Saint-Martin de Sées est d’ailleurs muet sur ce sujet. Sur le plan juridique, Sées était rattaché à la vicomté de Falaise qui dépendait elle-même du bailliage de Caen. Or les baillis sédentaires ont vu leurs fonctions bien spécifiées sous le règne de saint Louis. Par conséquent, il est fort improbable qu’on puisse un jour découvrir quelque acte particulier qui ait eu trait aux agissements d’une personne ayant porté le patronyme de Chalenge à Sées au cours du XIIIème siècle (voir tous les actes des baillis de Louviers aux XIVème et XVème siècles - Neuvième et Dixième Livres). Par contre, nous avons découvert un extrait de texte où figure Hugues de Vaunoise, descendant probable de Hubert de Vaunoise dont nous allons nous entretenir ci-après, ledit Hugues ayant été tué au siège de Saint-Jean d’Acre en juillet 1191. Voici cet extrait : « … Cette charte, scellée de son sceau (il s’agit du sceau de Rotrou, comte du perche), fut donnée à Mâcon, l’an 1190, au moment du départ pour la Palestine… Rotrou (*), peu de jours après, fit voile vers la Palestine pour rejoindre les autres barons, dont les rois Philippe-Auguste et Richard d’Angleterre… Jean de Bellême-Montgommery(*), comte de Ponthieu d’Alençon, de Séez et autres lieux… Hugues de Vaunoise… * (*morts en juillet 1191 au siège de Saint-Jean d’Acre)… » (Antiquités et chroniques percheronnes, de Louis Joseph Fret, 1838). Nous ne saurons donc jamais quand les Chalenge vinrent s’installer à Sées. La plus ancienne de leur trace date de la fin du XIIIème siècle, c’est celle de Renauld de Chalenge, personne noble, prêtre et doyen des Sagiens. Or à cette époque, les patronymes étaient figés. Le patronyme de ce Renauld nous indique que ses ancêtres tiraient leur origine d’une localité désignée sous le toponyme de Chalenge. Mais 2 siècles auparavant, nous avons tenté d’identifier, dans le Premier Livre, Guérin et Hugues de Chalenges (Guarinus et Hugo de Calumniis), comme étant des seigneurs rattachés à la famille de Bellême et originaires du 2
  • 3. Chalange, localité située à 10 kilomètres à l’Est de Sées. Avant d’aller plus avant dans l’analyse de cette thèse, il convient auparavant de s’assurer de son bien-fondé. 11 - Guarinus et Hugo de Calumniis (Guérin et Hugues de Chalenges), originaires du Maine Analysons donc, une fois encore, les chartes qui mentionnent les témoins au rang desquels figurent Guérin et Hugues de Calumniis En 1067, Hubert de Vaunoise est cité comme témoin dans une charte par laquelle Hugues de Rocé, lors de son entrée en religion, confirme la donation précédente de ses biens pour la fondation du prieuré Saint-Martin du Vieux-Bellême, en présence d’Yves de Bellême, évêque de Sées (Cartulaire de Marmoutier pour le Perche). Y sont cités : monseigneur Eudes, prieur, et monseigneur Béraud, prévôt (de Bellême). Quelques années plus tard (autour de 1067), le même Hubert de Vaunoise est témoin de la vente faite par Guérin, frère de feu Eudes, prieur de Saint-Martin, au dit Béraud, religieux et prévôt au château de Bellême, d’une terre d’un demi- muid à ensemencer, située entre le bois de Gautier Le Roux et le chemin d’Eperrais, pour 20 sous, du consentement d’Adélaïde, son épouse, de Guillaume, leur fils et d’Arenberge leur fille. Comme Gautier, frère du vendeur, n’avait pas été présent à la vente, il promit qu’il y donnerait son consentement et ratifierait l’acquisition faite par les religieux, et que s’il refusait, ledit Guérin leur donnerait en échange une autre pièce de terre de la même valeur (témoins : Guérin de Chalanges (ou de Chalonges, voir de Calonges), Hugues son frère, Hugues du Vieux Bellême, Hubert de Vaunoise, Hildebert Le Pelletier). Comme nous l’avons déjà envisagé, la liste des témoins est probablement donnée par ordre d’une préséance due à l’ancienneté des témoins en tant que fidèles de la famille de Bellême. Hildebert Le Pelletier (tanneur de peaux) est cité en fin de liste, juste après Hubert de Vaunoise, lequel tirait probablement son origine du village situé à quelques lieues de Bellême, au Sud- Ouest. Quant à Hugues du Vieux Bellême, il n’apparaît qu’une seule fois dans le cartulaire de Marmoutier pour le Perche. Le Vicomte du Motey ne le cite pas dans sa liste des seigneurs vassaux de la maison de Bellême au cours de la 2ème moitié du XIème siècle, pas plus que sous Yves de Bellême, évêque de Sées (Origines de la Normandie et du duché d’Alençon, de l’an 850 à l’an 1085). Il en est de même s’agissant d’Hubert de Vaunoise et de Guérin et Hugues de Chalanges. 3
  • 4. Certes, mais essayons de fixer l’époque qui vit s’installer les Bellême dans le castrum du même nom. Nous ferons appel à 2 sources successives : celle du Vicomte du Motey et celle de Gérard Louise. Voici ce qu’a écrit le Vicomte du Motey : « … Au sommet d’un roc de pierre blanche et tendre, formant un mamelon très escarpé au Sud- Ouest de la colline sur laquelle s’étagent les maisons de Bellême, est encore visible une très vieille chapelle romane. Cette chapelle est le seul reste du château des seigneurs de Bellême. Yves la dédia à Notre-Dame et à tous les saints, et la destina à être sa sépulture familiale. Il était fils de Fulcoin, seigneur de Bellême, lequel avait épousé Rothaïs et mourut jeune, avant 940. Guillaume 1er de Bellême, dit Talvas, fils d’Yves, fit construire une nouvelle forteresse : en ce temps-là, le château d’Yves était déjà appelé Le Vieux, car un château plus vaste, inexpugnable, séparé de la première forteresse par une dépression de la colline, s’élevait sur un point très culminant pour protéger le bourg qui s’était formé autour des oratoires dédiés à saint Sauveur et à saint Pierre. Guillaume Talvas y fonda la collégiale saint Léonard de Bellême. Il trépassa en 1031… » En 1885 déjà, donc avant la parution du livre du Vicomte du Motey qui eut lieu en 1920, le docteur Rousset écrivait : « … Yves s’était fixé fau bord d’une forêt magnifique et c’est sur un rocher que fut fondé Bellême (l’actuel Vieux- Bellême). Or Yves avait une famille, des serviteurs, des fidèles. Le clan devait s’agrandir. Force fut d’aller gîter plus loin. Yves y transporta sa colonie entière. Alors Bellême fut définitivement fondé… » Quant à Gérard Louise, il nous dit ce qui suit : « … Les premières dates attestées dans le Bellêmois permettent de placer le décès d’Yves 1er l’Ancien (de Bellême) entre 1005 et 1012. Par ailleurs, Avejot, fils d’Yves 1er l’Ancien et neveu de l’évêque Sifroi, succède à son oncle sur le siège épiscopal du Mans entre 998 et 1004. Ces dates se placent à une bonne cinquantaine d’années après l’existence hypothétique d’Yves de Creil et permettent d’envisager la naissance de la Seigneurie de Bellême peu avant l’an mil, plus précisément dans le dernier tiers, voire le dernier quart du Xème siècle. Le lignage de Bellême doit son succès à l’évêque Sifroi dont l’épiscopat se place entre 968-971 et 998-1004. C’est lui qui a vraisemblablement doté Yves l’Ancien, son frère ou beau-frère, de biens venus de l’évêché du Mans. C’est lui qui a transmis le siège épiscopal directement aux Bellême par l’intermédiaire de son neveu Avejot entre 998 et 1004. De plus, Yves 1er l’Ancien possède des biens à la lisière de la forêt de Perseigne, qui appartenaient au comte du Maine Hugues II, confirmant ainsi l’implantation du lignage des Bellême dans le Nord-Est du Maine (le Saosnois ou Sonnois), pour la même époque… » (La Seigneurie de Bellême Xème-XIIème siècles, dévolution des pouvoirs territoriaux et construction d’une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine à la charnière de l’an mil, de Gérard Louise). Cet auteur suppose donc, dans le dernier quart du Xème siècle, une implantation ancienne des Bellême dans le Maine, voire une politique d’alliance systématique avec de vieilles familles de l’aristocratie mancelle. Et il admet que l’abandon du vieux château de Bellême, par Guillaume 4
  • 5. 1er, au profit d’une nouvelle fortification installée sur le point le plus élevé du site actuel, eut lieu vers 1025. Revenons maintenant à notre charte où figure Hugues du Vieux-Bellême. L’appellation de cet Hugues nous indique qu’autour de 1067, il tirait son origine du vieux castrum édifié par Yves 1er l’Ancien. En tant que tel, il ne pouvait descendre (comme nous l’avons déjà envisagé) que d’un compagnon, serviteur, voire d’un parent éloigné de cet Yves qui, rappelons-le, trépassa dans les années 1005-1012, ou de son fils Guillaume 1er Talvas. Or le Vieux Bellême n’était-il pas un bien provenant de l’évêché du Mans, et donné par Sifroi à Yves 1er dans le dernier tiers du Xème siècle ? C’est bien là une conséquence de ce que Gérard Louise nous indique. Mais Vaunoise serait également un bien des Bellême, d’après ce même auteur. Qu’en est-il alors de la provenance de Guérin et Hugues de Chalanges (ou de Chalonges, voire de Calonges), car aucun toponyme situé dans la région de Bellême, tel que Chalanges, Chalonges, ou Calonge, n’est parvenu jusqu’à nous ? Guérin et Hugues seraient-ils venus du Maine ? Il apparaît, d’après Gérard Louise qui a analysé avec précision tous les biens détenus par la famille de Bellême dans les pays suivants : Domfrontais, Seigneurie de Mayenne, pagus de Sées, Corbonnais, Saosnois et Maine, que l’implantation des Bellême en Saosnois est liée aux possessions de l’évêque du Mans, en particulier dans la vallée de l’Huisne, à savoir les châteaux épiscopaux de Duneau et La Ferté-Bernard construits ou remis en état par l’évêque Avejot (de la famille de Bellême). D’après l’auteur, entre 1015 et 1025, dans cette vallée de l’Huisne, la construction d’un castellum à Duneau par l’évêque Avejot provoqua l’intervention du comte du Maine qui s’empara de la fortification et la détruisit : l’évêque se réfugia à Bellême chez son frère Guillaume. Se peut-il alors qu’un des prédécesseurs de Guérin et Hugues de Chalanges ait été mêlé à cette affaire ? Observons en effet la vallée de l’Huisne. A 9 kilomètres en amont de Duneau, on peut identifier le village de Boesse-le-Sec, et à proximité de ce village le hameau de Chalonges. Guérin et Hugues de Chalanges seraient-ils des descendants d’un homme originaire de ce hameau, homme qui aurait participé à l’élévation du château de Duneau avant de fuir à Bellême pour y rejoindre son évêque, et ce dans les années 1025 ? Or une autre hypothèse, pour peu crédible qu’elle soit, peut s’appuyer cependant sur les faits qui suivent : en l’année 1351, un paroissien de Montaillé, nommé Guillaume de Challonges, vendait une rente sur ses biens à la Maison-Dieu de Saint-Calais (ville située très au Sud de la vallée de l’Huisne). Or les Challonges sont effectivement un hameau de la commune de Montaillé, cité déjà au cours du XIIIème siècle (apud Chalonge). Dans l’affirmative, 40 à 50 années après la destruction du château de 5
  • 6. Duneau par le comte du Maine, Guérin et Hugues de Chalonges auraient-ils pu porter ce patronyme tout en demeurant dans le Bellêmois ? C’est très probable ! Néanmoins, vérifions si l’hypothèse retenue dans le Premier Livre reste toujours envisageable. 12 - De Guérin de Chalanges et Hugues son frère, originaire du Chalange Comme nous le rappelions ci-dessus, nous avons étudié, dans le Premier Livre, une notice d’acquisition de terres au profit d’un religieux, prévôt du château de Bellême, sur laquelle apparaissent comme premiers témoins « Garinus de Calumniis » et « Hugo » son frère. Cette notice a très probablement été rédigée dans les années 1067. Nous ne reprendrons pas sa description. « Guérin » et « Hugues de Chalanges » furent, à n’en pas douter, des vassaux de la famille de Bellême, du fait que leur patronyme soit apparu en tête de la liste des témoins de la notice d’acquisition de terres par le prévôt de Bellême, cette constatation nous indiquant que leur lignée était de plus haut rang que celles des autres témoins : Hugues du Vieux-Bellême et Hubert de Vaunoise. Ils étaient donc seigneurs (ou barons) relevant du prince de Bellême qui, compte tenu de notre analyse paléographique de cette fameuse notice d’acquêt, était Yves de Bellême, évêque de Sées jusqu’à sa mort en 1070, voire Mabile de Bellême, sa nièce, qui fut assassinée en 1082, mais certainement pas Robert de Bellême, fils de la dite Mabile. Toujours dans le Premier Livre, nous avons noté que les témoins, inscrits sur une autre notice d’acquêt de plusieurs terres et prés à Bellême, achetés à Gaultier Le Roux par Béraud, moine de Bellême, sont Eudes de Saint-Martin, qui possédait un moulin jouxtant ces terres ; Warin de Saint-Martin ; puis Saluste qui est homme de Gautier Le Roux ; Hugues, fils d’Etienne de Courtioux ; enfin Jean et Eudes, domestiques ; la notice étant signée par Eudes, moine. Nous avions aussi avancé l’hypothèse que les deux premiers témoins de cette vente pourraient être des féodaux de la puissante famille de Bellême, dont les terres englobaient celles mises en vente. En effet, nous avons découvert que Geoffroy de Saint-Martin fut vassal du Bellêmois sous Yves, Prince de Bellême et évêque de Sées, tout comme Gaultier (et Guillaume) Le Roux (Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085, du Vicomte du Motey). Dans ce cas, pourquoi n’en serait-il pas de même s’agissant de « Guérin de Chalanges » et « Hugues », son frère, premiers témoins de la notice d’acquêt de la terre achetée par Béraud à Guérin, frère d’Eudes, autrefois prieur de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême ? Mais pour aller plus avant dans notre analyse, il nous faut mieux comprendre l’histoire de la seigneurie de Bellême. 13 - Histoire de la seigneurie de Bellême Installée sur une région de forêts et de collines, la seigneurie de Bellême constituait une bande de terre longue de 120 km. De larges vallées (Sarthe, Huisne, Mayenne) la traversaient du Nord au Sud et constituaient autant d'axes de communication entre la Normandie et la vallée de la Loire. Les seigneurs de Bellême ont tiré parti de cette situation en élevant des châteaux au-dessus de ces couloirs et en percevant taxes et péages sur les marchandises en transit. La seigneurie voisinait de grandes principautés : royaume de France, comté de Blois et de Chartres, duché de Normandie et comté d’Anjou... En conséquence, elle relevait de différents maîtres : son chef devait prêter hommage au duc de Normandie, au comte du Maine (pour le Passais et le Sonnois) mais aussi au roi de France (pour le Bellêmois). Cette position marginale fit la fortune et en même temps la décadence de ce territoire. Les stratégies mises en oeuvre par la maison de Bellême, en particulier l'appropriation et la maîtrise du sol forestier par les châteaux, la combinaison d'alliances matrimoniales traçant des réseaux de part et d'autre de cette barrière, permirent à ses 6
  • 7. seigneurs de construire et de maintenir leur domination sur cet espace convoité mais aussi de façonner un territoire qui finalement tomba dans l'orbite anglo-normande. En résumé, la seigneurie de Bellême est un modèle de seigneurie de frontière que la réassurance du pouvoir des princes au XIIème siècle raya de la carte (source : Wikipédia). Mais revenons pour l’instant à l’époque de Guillaume Talvas. Nous avions relaté, dans le Premier Livre, que Guillaume, premier prince de Bellême, surnommé Talvas (bouclier), fit construire un nouveau château à Bellême et l’église Saint- Léonard, consacrée entre 1023 et 1026, le château de Domfront et l’église Notre-Dame- sur-l’Eau. Mais l'ancien pays de Sées vit édifier par Guillaume Talvas bien d'autres forteresses entre lesquelles furent réparties, pour en former des châtellenies, une soixantaine de paroisses. Des fiefs y furent créés en vue du service militaire de ces places. A six lieues à l'Est d'Alençon, au La citadelle de Domfront et l’église Notre- Mesle, fut élevé un château destiné à Dame sur l’Eau défendre le « pont de bois » qui fut jeté sur la Sarthe pour unir cette région au Bellêmois. A deux lieues, au Nord-Ouest du Mesle, un autre château s'éleva à Essai sur une colline, un autre domina la butte de Boitron (cette dernière forteresse fut considérablement augmentée par Robert de Bellême). Ces châteaux devaient couvrir la ville épiscopale de Sées, située à moins de deux lieues, qui avait elle-même sa forteresse. Guillaume de Bellême, qui avait à un haut degré le sens de la stratégie défensive, hérité de son père Yves 1er l’Ancien, avait fait, de l'ensemble de ses domaines, un vaste camp retranché. Or ce qui manquait le plus, dans ses châtellenies normandes, c'étaient les Normands. Car il est impossible d'affirmer l'origine normande d'un seul de ses vassaux. Les mêmes familles seigneuriales se retrouvent d'un bout à l'autre de ce que nous serions tenté d'appeler ses états. Elles sont, en grande majorité, d'origine bellêmoise ou mancelle. Cela s'explique aisément : dans le pays de Sées, les massacres des invasions danoises, attestés par saint Adelin, avaient fauché une partie des populations, et en particulier les descendants des leudes mérovingiens et carolingiens. La maison de Bellême les remplaça par des parents, par des amis, par d'anciens vassaux, par des compagnons d'armes. Ce système lui avait permis, malgré les suzerainetés différentes qui s'exerçaient sur ses domaines, d'obtenir, dans les deux cent cinquante paroisses et plus, soumises à son autorité, l'unification nécessaire au commandement (Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085, du Vicomte du Motey). Cela dit, les ducs de Normandie essayèrent de dominer ce territoire mais les seigneurs de Bellême s'attachèrent à développer une certaine indépendance, au point qu'ils devinrent au XIème et XIIème siècles une menace permanente pour la tranquillité du Sud de la Normandie. Alors que les ducs ont toujours essayé de limiter la puissance de leurs vassaux en leur confiant des domaines dispersés, le territoire de la famille de Bellême était « la seule seigneurie d'un seul tenant qui ait existé en Normandie ». Vers 1050, Guillaume-le-Bâtard, le futur Guillaume- le-Conquérant, parvint à soumettre la région et contraignit son chef, Guillaume II Talvas, à donner en mariage sa fille, unique héritière, à un fidèle du duc de Normandie. Mais le fils issu de cette union, Robert de Bellême, reconstitua le domaine familial. Au début du XIIème siècle, la seigneurie était à son apogée. Environ 40 châteaux la défendaient. Pourtant c'est à cette période que le roi d'Angleterre et duc de Normandie, Henri Ier Beauclerc, réussit à abattre définitivement la dite seigneurie. En 1112, il arrêta Robert de Bellême, reprit Alençon, puis l'année suivante, il mena une coalition qui s'empara de Bellême et des autres places fortes de la 7
  • 8. seigneurie. En 1119, sur la requête de Foulques V, Henri Ier Beauclerc reçut en grâce Guillaume III Talvas, fils de Robert de Bellême, et lui rendit toutes les terres que son père avait possédées en Normandie : toutes, excepté Bellême (source : Wikipédia). Nous affirmions aussi, dans le Premier Livre, que Guérin de Chalanges et Hugues son frère, étant placés en tête des témoins de la charte que nous avons analysée, furent probablement d’un rang plus important que les autres. Pour ce qui concerne particulièrement Hubert de Vaunoise (Hubertus de Valnoisa), il était aussi présent, nous l’avons déjà dit, comme témoin lorsqu’en 1067 Hugues de Rocé confirmait par une charte en faveur de Marmoutiers, à l’occasion de son entrée en religion, ses donations précédentes pour la fondation du prieuré de Saint-Martin du Vieux-Bellême, avec la concession d’Yves de Bellême, seigneur suzerain ; ce qui confirme, au passage, que la charte qui nous intéresse a bien été rédigée avant la fin du XIème siècle, et non au cours du XIIème siècle. Or cet Hubert de Vaunoise fut la souche d’une famille noble, puisqu’en 1185-1190, une charte de Lisiard, évêque de Sées, répartissait les parts (deux pour les religieux et une pour le prêtre), entre les religieux de Bellême et le prêtre desservant de Saint-Martin du Vieux-Bellême avant Nicolas de Vaunoise (Nicholaus de Vaunoise), des oblations qui se font en la dite église (Cartulaire de Marmoutiers pour le Perche), et que plusieurs chartes de ce cartulaire, dont une de 1362, mentionnent les seigneurs de Vaunoise. Nous n’avons par ailleurs retrouvé aucune trace du patronyme d’un autre témoin, Hugues du Vieux-Bellême (Hugo de Veteri Bellissimo), et il en fut de même de celui de Guérin et Hugues de Chalanges (Guarinus et Hugo de Calumniis), probablement parce que les descendants de chacune de ces 2 familles avaient quitté Bellême et sa région quelques années après la rédaction de la charte qui concernait, en tant que témoins, Hugues du Vieux-Bellême ainsi que Guérin et Hugues de Chalanges. 14 - La frontière au Sud-Ouest de la Normandie à l’époque de Guillaume Talvas La ffronttiière au Sud--Ouestt La ron ère au Sud Oues de lla Normandiie en 1066 de a Normand e en 1066 Les remparts de Bellême Le SONNOIS 8
  • 9. Il est certain que les seigneurs de Bellême ont guerroyé, pendant tout le XIème siècle, avec le Maine et avec la Normandie pour s’agrandir et aussi pour résister à l’invasion. On sait que la famille de Bellême a donné des architectes habiles, particulièrement Robert de Bellême, dit le Diable, auquel Guillaume Le Roux confia la construction de Gisors en Normandie pendant la lutte anglo-française : « … Guillaume le Roux, non content du royaume d'Angleterre, que son père en mourant lui avait laissé en partage, venait d'acheter, de son frère Robert, la Normandie, moyennant dix mille marcs d'argent. Héritier de la politique et des desseins de Guillaume le Conquérant, Guillaume le Roux demanda au roi de France (Philippe 1er) une partie du Vexin français. Il n'attendit pas la réponse, et commença par mettre la main sur les châteaux de la Roche-Guyon, de Véteuil et de Mantes, favorisé qu'il était par leurs châtelains. Sans se laisser enivrer par ce premier succès, ce prince habile, prévoyant les suites que pouvaient amener son agression et les chances ordinaires de la guerre, résolut d'élever, entre le roi de France et lui, une barrière capable de l'arrêter, et de couvrir au besoin la frontière de Normandie. Il confia la défense du pont, et le soin d'y construire une forteresse, à Robert de Belesme, dont les connaissances dans l'art militaire étaient justement célèbres, ingeniosus artifex, comme dit Orderic Vital. Cet habile homme de guerre sentit que Guillaume le Roux étant déjà maître du cours de la Seine et de la route basse de France en Normandie, par la possession de Mantes, de Véteuil et de la Roche-Guyon, qu'appuyait en seconde ligne la place forte de Vernon, il fallait couvrir la route haute, qui de Pontoise conduisait à Rouen par Gisors. Cette dernière ville, assise sur la rivière d'Epte, et faisant pour ainsi dire tête de pont du côté de la France, lui parut donc le véritable point à défendre ; Ad irruendum in Franciam gratum Normannis prœbens accessum, Francis prohibent (dixit Suger)… » (Revue anglo-française, publication sous la direction de M. de la Fontenelle de Vaudoré, 1837) « … Sur le penchant d'une colline, au bas de laquelle serpentent les eaux pures et limpides de la rivière d'Epte, s'élève en amphithéâtre une riante et charmante cité : Gisors, ville au doux climat, aux mœurs patriarcales, à la jeunesse ardente, où l'on pourrait se croire à une distance immense de la capitale, bien qu'elle n'en soit éloignée que de dix-huit lieues. Gisors, matériellement parlant, est surtout remarquable par les admirables ruines de son immense château, dont les contours majestueux dominent la cité et l'enveloppent comme d'une auréole de gloire. Ce fut en l'an 1000, sous le règne du roi Robert, que furent jetées les fondations du château de Gisors qui, 100 ans après, fut considérablement agrandi et fortifié par Guillaume-le- Roux. L'histoire de ce château compte parmi ses événements la réception que Henri 1er, roi d'Angleterre, y fit en 1119, du pape Caliste II. Ce souverain pontife venait pour pacifier deux rois chrétiens et pour obtenir de Henri qu'il rendît à son frère Robert le duché de Normandie, ravi injustement à Robert avec sa liberté… » (Histoire pittoresque et anecdotique des anciens châteaux, demeures féodales, forteresses, citadelles, etc., de M. de Thibiage, 1846) 15 - Les lignes de défense du Sonnois à l’époque des Talvas Ces forteresses (Saint-James, Mortain, Domfront, Sées, Alençon) prouvent que le Sonnois n’existait pas avant le Xème siècle et qu’à cette époque seulement remonte son autonomie, car sans les fortifications élevées par les Talvas, il n’aurait pas pu se fonder, se maintenir et s’agrandir (ce qui fait dire à certains chercheurs contemporains que la lignée des Bellême serait issue du Sonnois). Les seigneurs de Bellême étaient protégés sur les flancs par les possessions de l’Alençonnais et du Bellêmois, en arrière, comme alliés du duc, s’appuyant sur la Normandie. La première ligne d’occupation du Sonnois est représentée par Saint-Paul, Blèves, Maulny, Lurson, Allières, les buttes de la Nue et de Mamers. En avant, Robert éleva Saint-Rémy du Plain, Saône, le mont de la Garde et Perray. A titre d’exemple, le camp retranché de Saône se composait d’une motte en terre, surmontée d’un donjon en pierres aux murs épais de deux mètres, dont l’appareillage très caractéristique nous autorise à dater sa construction du XIème siècle, et permet donc de l’attribuer à Robert de Bellême. 9
  • 10. Lignes de défense du Sonnois face au Sud-Ouest 10
  • 11. 16 - La ligne de défense au Sud-Est du pays de Sées à l’époque des Talvas Pays de Sées : Les vassaux des Sées Princes de Bellême dans la 2ème moitié du XIème siècle (en noir) Guérin et Hugues de Chalanges Alain et Hugues de Sainte-Scolasse Arnoul Corbet de Boitron Masselin d’Essay On voit que le site du Tertre du Chalange (altitude de 200 mètres) est bien placé pour surveiller, à hauteur du Mesnil- Guyon, la pénétrante qui joint Mortagne-au Perche, puis Montchevrel, à la forteresse de Sées ; tout comme le site de Boitron (altitude de 224 mètres) l’est par rapport à la pénétrante qui joint Le Mêlé-sur-Sarthe, puis Saint-Aubin d’Appenai, à la forteresse de Sées ; et enfin le site d’Essey (altitude de 180 mètres) par rapport à la pénétrante qui joint Le Mêlé-sur-Sarthe à 11
  • 12. la dite forteresse de Sées. Cette étude topographique suppose que les voies d’accès pour atteindre la ville de Sées à partir de Mortagne-au-Perche et du Mêlé-sur-Sarthe furent de tous temps identiques (tant au XIème siècle qu’à notre époque). N O Ç N E L’’anciienne maiison ffortte du Challange L anc enne ma son or e du Cha ange 12
  • 13. Le site où l’ancienne maison forte du Chalange a été édifiée est désigné sur la carte par le toponyme « Le Tertre ». Nous disions, dans le Premier Livre, que pour notre part, il était évident que ce manoir avait été construit à l’emplacement d’un poste de défense élevé à l’époque de Guillaume 1er Talvas, dans les années 1020, en même temps d’ailleurs que la ceinture de forteresses et de forts avancés s’appuyant sur Sées, Bellême, Alençon, Essay et Boitron. Et notre thèse était que Guérin et Hugues de Chalanges, furent probablement les descendants d’une famille qui avait reçu, de Guillaume Talvas, la garde de la maison forte du Chalange, poste avancé de la citadelle de Sées. Ce pouvait être une motte en terre, surmontée d’un donjon en pierres, comme l’étaient les retranchements des lignes de défense du Sonnois. Le tertre du Chalange, avec son manoir accolé à une tour Car s’agissant d’Essay, on sait que, dès le XIème siècle, c’était une place forte aux mains des princes de Bellême qui y firent construire l'église Saint-Pierre et la forteresse. Du château, il ne 13
  • 14. reste de nos jours que des débris de murs, une chapelle et quelques remparts. La forteresse a été détruite par les Anglais au cours de la Guerre de Cent Ans. Quant à la place forte de Boitron, il y subsiste encore une tour de facture récente, qu’on peut distinguer au centre de la photo ci-dessous. Ces rudiments d’archéologie confortent donc notre hypothèse, ayant retrouvé la trace d’Arnoul Corbet de Boitron, vassal des Bellême dans la seconde moitié du XIème siècle (Origines de la Normandie et du duché d’Alençon de l’an 850 à l’an 1085 ; Vicomte du Motey), et celle de Masselin d’Essay, vers 1074, dans une charte qui relate l’arrêt rendu à la cour de Jean, archevêque de Rouen, en présence de Guillaume (Le Conquérant) roi d’Angleterre, et de Mathilde sa femme, en confirmation des privilèges d’exemption de l’église Saint-Léonard de Bellême, à l’encontre des prétentions de Robert, évêque de Sées : témoins… Mathelinus de Axe (Masselin d’Essay). Essay étant situé près de Sées, Axis ou Axeium est bien le nom de ce lieu à cette époque (Cartulaire de Marmoutiers pour le Perche). Pour rendre encore plus crédible cette hypothèse, on citera cet extrait du Vicomte du Motey, 14
  • 15. dans « Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085 » : « … Mancicas, vassal de Guillaume Talvas, fit alors bâtir (au début du XIème siècle), près de la motte sur laquelle s'élevait son manoir, et dont le nom d'une rue (d’Alençon) conservera longtemps le souvenir (il s’agit de la rue Etoupée, dont le nom primitif fut la rue de la Motte), une église dédiée à Notre-Dame… » Il est vrai que Le Chalange fut une seigneurie, au moins au XVIIIème siècle (voir les 3 extraits ci-dessous) : « … La terre et seigneurie de la Boullaye, située au Chalenge et s’étendant en Montchevrel et autres paroisses… » (Bulletin de la société historique et archéologique de l’Orne, 1909). « … Seigneur honoraire de Sainte-Scolasse et du Chalenge (fin du XVIIIème siècle)… » (Annuaire des cinq départements de la Normandie, de l’Association normande, 1895). « … contrat passé au Mans en 1587 : Philibert de Barville, écuyer, sieur de la Mauguinière, garde du corps du roi, demeurant habituellement au Chalenge (paroisse du Chalenge)… » (Bulletin de la société historique et archéologique de l’Orne, 1903). Dans ce cas, la tour qui est accolée au manoir situé sur le tertre du Chalange est-elle un ancien donjon ou un colombier ? On sait que l’architecture carrée des donjons sera abandonnée au cours du XIIème siècle, au profit de constructions à plan hexagonal, octogonal ou cylindrique. A titre d’exemple, au « … Château du Puiset… Le donjon est une tour hexagone d’un diamètre considérable… Louis-le-Gros (1108-1137), qui passa presque toute sa vie à guerroyer contre les seigneurs turbulens et indisciplinables, après s’être rendu maître du Château de Montlhéry, assiégea celui du Puiset… » (Mémoires, publié en 1823 par la Société des ingénieurs civils de France). On remarquera aussi que, s’agissant des communes, « … Il y en avait où les pigeons s’étaient tellement multipliés que dans une seule paroisse on trouvait quatre colombiers établis. Tel était le cas de la paroisse de Chalange en Normandie… » (La France économique & sociale à la veille de la révolution, de Maksim Maksimovich Kovalevskii, 1909). Mais un colombier ne pouvait être attenant à une maison d’habitation, donc la tour accolée au manoir du Chalange fut probablement un ancien donjon hexagonal. Pour autant, ce manoir fut-il une sergenterie ? Qu’est-ce qu’une sergenterie ? « … On donnait en Normandie ce nom à des fiefs nobles patrimoniaux et héréditaires qui passaient aux filles comme aux fils, dont l’exercice pouvait être affermé, et dont les propriétaires, soit hommes, soit femmes, devaient foi et hommage. La création des sergenteries était aussi ancienne que celle des autres fiefs dans cette province. C’était la récompense militaire, praediae militaria, des premiers guerriers qui avaient conquis la Normandie. Leurs anciennes fonctions étaient de rétablir, par la force des armes, le droit de justice dans toute sa splendeur ; c’est pourquoi ils étaient nommés sergents nobles du plaid de l’épée ou sergent de la querelle. Les privilèges des sergents nobles consistaient dans le droit d’assister, de donner leur avis et d’avoir une place honorable aux séances de l’Echiquier, qu’eux seuls pouvaient semoncer ou convoquer. Ils jugeaient provisoirement dans les affaires ordinaires, recevaient les plaintes, faisaient les informations, citaient et ajournaient les parties devant le duc ou la cour de l’Echiquier… » (France, dictionnaire encyclopédique, de Philippe Le Bas, 1845). S’agissant de « … La chastellenie d’Essey. Il n’y avoit originairement qu’une sergenterie du plaid de l’épée, qui fut inféodée le 20 juillet 1454, par Jean II, duc d’Alençon. Elle a été depuis divisée en quatre branches, dont la branche d’Essey, qui comprenoit Essey, Boitron… la 15
  • 16. branche de Sées, la branche de Courtomer et la branche du Mesle-sur-Sarthe… Quant à la Chastellenie de Saint-Scolasse, on ignore absolument le temps où les juridictions cessèrent d’y exister. Il y a bien de l’apparence que ce fut sous Pierre II (d’Alençon). Ce prince ayant fait rétablir le château d’Essey, voulut, suivant l’usage de ce temps-là, y attacher de nouveaux vassaux pour le défendre. On sait qu’il y attacha ceux du domaine de Graville (peut-être les Malet), dont une porcion de la sergenterie d’Almenèche, branche de Mortée, anciennement de la chastellenie de Sainte-Scolasse, faisoit partie. Il y a tout lieu de conjecturer que le même prince y attacha le surplus des vassaux de la chastellenie de Sainte-Scolasse, dont le château estoit détruit depuis longtemps. La chastellenie de Sainte-Scolasse contenoit anciennement trois sergenteries du plaid de l’épée, inféodée en différents temps. Plusieurs ont été divisées depuis. Celle, appelée de Sainte-Scolasse, fut inféodée vers 1404, & a été divisée depuis en deux branches : branche de Sainte-Scolasse, comprenant Sainte-Scolasse, Bures, Le Chalange, Mont-Chevrel ; et la branche du Mesle-Rault… » (Mémoires historiques sur la ville d’Alençon et sur ses seigneuries, de Pierre Josepeh Odolant Desnos, 1787). En lisant attentivement ces textes, on s’aperçoit que le manoir du Chalange n’a jamais été une sergenterie. En fait, les points d’appuis militaires cités dans les textes sont uniquement Essey et Boitron (lire les 3 extraits ci-après) : « … 1449 - Le duc (d’Alençon) et comte Jean II (du Perche) avait, à la tête de plusieurs hommes d’armes, reprit le château d’Essey et le fort de Boitron sur la garnison anglaise… » (Antiquités et chroniques percheronnes, de Louis Joseph Fret, 1838). « … Un lignage d’Essay apparaît dans le dernier quart du XIème siècle : Maschelinus de Auxe est cité vers 1074 (Orderic Vital) et en 1092 (cartulaire de Marmoutiers pour le Perche). Guarinus de Esseio, à la fin du XIème siècle ou au début du XIIème (1er cartulaire de Saint- Vincent du Mans)… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). « … Un Raoul prepositus de Boitron est connu par le cartulaire Saint-Martin de Sées dans les années 1080-1094. Vers les mêmes dates, Jean Burnet donne ce qu’il possède sur l’église et le moulin de Boitron à l’abbaye. Roger II de Montgommery confirme la donation avec ses fils, Hugues et Arnoul… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). Quant à la seigneurie de Sainte-Scolasse, le duc Richard II la donna à Richard de Sainte- Scolasse, puis elle releva de la dot de Mabile, épouse du frère utérin de Guillaume-Le- Conquérant (conformément aux 2 extraits ci-dessous) : « Le duc Richard II mit tous ses soins à organiser la frontière du Sud…. Il fit construire les châteaux de Moulins-La-Marche et de Sainte-Scolasse… Un vassal de Moulins, Herbert de Mélicourt, entouré de seigneurs d’origine française, revendique soigneusement sa qualité de Normand. On ne peut contester celle du guerrier Richard, qui reçut Sainte-Scolasse dont il construisit le château. Cette châtellenie et celle de Moulins étaient limitrophes des possessions de Bellême… Hugues, fils de Richard de Sainte-Scolasse, et Alain de Sainte-Scolasse vivaient en 1089… » (L’origine du duché d’Alençon, Vicomte du Motey, 1920). « … les 4 filles de Roger (de Montgommery) et de Mabile (de Bellême) furent… dont Mathilde, épouse de Robert, comte de Mortain, frère utérin de Guillaume-Le-Conquérant, qui reçut en dot la seigneurie de Sainte-Scolasse, où son mari fonda un prieuré… » (Antiquités et chroniques percheronnes, de L. Joseph Fret, 1838). Effectivement, d’après Gérard Louise, vers le Nord-Est du pagus, l’influence des Bellême fut inexistante au-delà de Courtomer et Sainte-Scolasse-sur-Sarthe. Car « … Le pouvoir ducal a su 16
  • 17. imposer ou récupérer un droit de garde à l’intérieur des châteaux de la Seigneurie de Bellême pendant la période 1050-1087, toute la période qui va de la fin du Xème au début du XIIème siècle montre un phénomène essentiel, celui de privatisation des châteaux… Cependant, il y a deux âges dans le type de fortifications utilisées par les Bellême pour implanter leur pouvoir au sol. Le premier âge doit correspondre à la première Seigneurie de Bellême, avant 1050 : les fortifications gardent un aspect traditionnel ou perpétuent des structures archaïques : enceintes, éperons barrés, sites de marécage. Cette première seigneurie a probablement récupéré, réutilisé des forteresses anciennes… Le deuxième âge correspond à l’implantation de mottes castrales dans la deuxième moitié du XIème siècle… » (Les seigneurs de Bellême, Xème- XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). A titre d’exemple d’un château édifié dans un site marécageux, « … En 1838, J.F. Galeron indique que le vieux château de Sainte-Scolasse était situé au centre de marais et vallon, défendu par d’énormes redoutes de terres, du côté le plus accessible, et que sa masse ronde était couverte de constructions. Le site était probablement installé dans la vallée marécageuse du ruisseau des Petits-Touvois, affluent de la Sarthe en rive droite, et à faible distance du bourg… Alannus de Sancta Scolassa et Hugo, fils de Ricardi de Sancta Scolassa sont signalés dans l’entourage de Robert II de Bellême, à la fin du XIème siècle, par le cartulaire de Saint-Martin de Sées… » (Les seigneuries de Bellême ; Xème - XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). Toujours d’après Gérard Louise, s’agissant du Vieux-Château de Bellême, il est cité pour la première fois dans un acte faux du cartulaire de Vierzon, daté de 991 : ce document indique qu’un personnage est venu de Belesma castro. Le site fut abandonné dans le premier tiers du XIème siècle, puisque Guillaume 1er de Bellême cèda à l’église Notre-Dame de Bellême la terre qui jouxtait le vieux château (terramque que adjacet veteri castro de Belismo) peu de temps après le décès de son père, Yves 1er l’Ancien, soit entre 1005-1012 et 1035. La question qu’on doit maintenant se poser est alors la suivante : après avoir défendu les accès du Chalange, après s’être installé à Bellême, quand, certains membres de la famille « de Chalanges » (de Calumniis), ont-ils quitté le pays bellêmois pour venir s’installer à Sées ? Probablement en 1119, lorsque Guillaume III Talvas recouvra les possessions de son père, excepté la forteresse de Bellême ! 17 - Une terre ayant fait l’objet d’un litige, telle est l’origine de la paroisse du Chalange 17
  • 18. Notre thèse explicitée et construite tant au début qu’à la fin de cette saga est que Guarinus et Hugo de Calumniis, demeurant à Bellême dans les années post-1067 et ante-1119, étaient originaires des « Chalanges », terres ayant fait l’objet de litiges, à savoir l’actuelle commune du Chalange dans le département de l’Orne, et que les prédécesseurs de ces « de Calumniis » durent y élever dans les années 1020, sur le tertre de la dite paroisse, une maison forte, sorte de poste avancé aux profit de Guillaume Talvas, afin d’éclairer la cité de Sées face au Sud-Est. Or le terroir en question se nommait très certainement « Chalonge », au temps où la langue romane rustique était parlée en Gaule (voir les explications dans le Premier Livre). On peut donc se demander à juste titre entre quels justiciables cette terre a pu faire l’objet de litiges, s’agissant de son appropriation, et aussi quand fut élevée l’église du Chalange. Ces justiciables étaient-ils les habitants d’un des villages voisins : Gaprée, Courtomer, Le Mesnil-Guyon, Saint- Germain-le-Vieux, Le Plantis, Sainte-Scolasse-sur-Sarthe, Planche ou Montchevrel ? Pour répondre à cette question, il nous faut analyser les terroirs de cette région, qui ont pu exister avant et après les invasions normandes. Quand, en 854, Charles-le-Chauve eut prescrit une enquête pour faire l’état de son royaume, l’évêque de Sées, Hildebrandt, reçut deux commissions de « missi » (envoyés extraordinaires du roi). Or quelle était la configuration générale du pays de Sées qu’ils découvrirent ? Dans les intervalles des massifs forestiers, dans les clairières, existaient un certain nombre de paroisses lentement formées, depuis le Vème siècle, autour des possessions épiscopales, des villas des leudes, et des oratoires, construits au VIème siècle, par des cénobites. Sauf quelques bourgades, les agglomérations de la population clairsemée étaient rares. L'église rurale, construite en clayonnage sur une base de pierre, apparaissait, avec son presbytère, isolée au sommet d'un coteau ou au fond d'un vallon. Si les « missi » de Charle-le-Chauve parcoururent l'Est du pays de Sées, ils y trouvèrent d'anciennes paroisses comme Courtomer, Saint-Lhomer, Sainte-Scolasse, Gaprée et Planches (Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085, du Vicomte du Motey). Mais Le Chalange existait-il en tant que paroisse à cette époque ? Certes, si, vers 1067, Guarinus fut désigné sous le patronyme de Calumniis, c’est relativement à ce fameux poste avancé que nous venons de présenter, lequel fut construit sur le Tertre actuel du Chalange par les ancêtres de Guérin, probablement dans les années 1020. Observons avec attention ce patronyme, il s’écrit au pluriel, signifiant « les Chalanges » (ou « terrae de Calumniis » ; voir l’exemple décrit dans le Premier Livre), en tant que terres ayant fait l’objet de litiges dans le passé, et non une quelconque paroisse. C’est donc après la construction de ce poste avancé que la paroisse du Chalange s’est peut-être peu à peu constituée, prenant le nom de ces terres litigieuses, mais au singulier. Véronique Gazeau nous indique que les dîmes de cette église (et d’autres) furent attribuées à l’Abbaye de Grestain à l’époque des ducs de Normandie (Normannia monastica : Princes normands et bénédictins ; Xème-XIIème siècle). D’ailleurs il en sera de même au XIVème siècle, car si, sur le Pouillé du diocèse de Sées, établi en l’année 1373 et conservé aux Archives Nationales, la paroisse du Chalenge (Chalengeyum) était quitte de 52 sols et 6 deniers tournois pour l’année LXXI et de 52 sols et 6 deniers tournois pour l’année LXXII, sur le Pouillé de 1335, elle était rattachée à l’Abbaye de Grestain (abbas et conventus de grestano). Cette abbaye était bénédictine et de la même congrégation que celle de l’Abbaye Saint-Martin de Sées, puisque Foulque, un des religieux de Saint-Martin, devint abbé de Grestain dans les années 1110. On sait que le feu détruisit le monastère sous son abbatiat et que la charité des princes, des seigneurs et des fidèles ne tarda pas à réparer ce désastre. Comme l’Abbaye de Grestain avait été fondée vers 1050 par Hellouin de Conteville qui épousa Arlette, mère de Guillaume-le-Bâtard, après la mort du duc Robert en 1035, le patronage de l’église Saint-Jean- Baptiste du Chalange, par la dite abbaye, fut probablement une donation du chapitre de Sées, suite à l’incendie qui détruisit l’abbaye en 1124, voire avant, puisque Véronique Gazeau indique que l’Abbaye de Grestain était pourvue de biens situés non seulement dans ses environs, mais 18
  • 19. encore dans le Bessin et dans la partie occidentale du Cotentin, sans oublier des parts d’église situées dans l’actuel département de l’Orne, des dîmes et des terres dans le pays de Caux et dans la moyenne vallée de la Dives (Normannia monastica : Princes normands et abbés bénédictins - Xème-XIIème siècle, de Véronique Gazeau). Il faut peut-être voir là, s’agissant particulièrement des parts d’église situées dans l’actuel département de l’Orne, une usurpation des biens ecclésiastiques de l’épiscopium de Sées par Guillaume 1er Talvas, épiscopium dont il faut sans doute rattacher les débris du monastère Saint-Martin de Sées (Sées était peut-être, dès l’époque carolingienne, un monastère épiscopal, comme le fut à Rouen le patrimoine de la cathédrale et celui de Saint-Ouen). Cette usurpation est confirmée par une charte de restauration du chapitre cathédral de Sées vers 1025, par laquelle Guillaume 1er de Bellême octroie trois domaines avec leurs dépendances en prébende aux chanoines qu’il a placés auprès de la cathédrale de Sées (La seigneurie de Bellême ; Xème-XIIème siècles, dévolution des pouvoirs territoriaux et construction d’une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine à la charnière de l’an mil, de Gérard Louise). Il paraît donc envisageable que les « terrae de Calumniis » aient pu être attribuées par Guillaume 1er de Bellême, vers 1025, au chapitre de Sées qui venait d’être remis sur pied. Par la suite, l’église du Chalange fut probablement l’objet de litiges avec l’Abbaye Saint-Martin de Sées, raison pour laquelle sa dîme fut peut-être attribuée à l’Abbaye de Grestain. Rappelons que l’Abbaye Saint- Martin de Sées, fondée dans les années 550, puis détruite pendant les invasions danoises et norvégiennes des VIIIème et IVème siècles, ne fut reconstruite qu’en 1060, sous l’impulsion de Mabile de Bellême. On peut donc avancer l’hypothèse que les « terrae de Calumniis » furent, au moins dès le début du XIème siècle, des terres en litiges, peut-être entre les anciennes paroisses avoisinantes, lesquelles retrouvèrent une partie de leurs habitants après les dévastations engendrées par les hommes du Nord, mais plus sûrement entre le chapitre cathédral de Sées et l’Abbaye Saint-Martin de cette cité, avant que les raids des pirates normands ne viennent dévaster non seulement la cathédrale et son chapitre, mais aussi l’Abbaye Saint-Martin de Sées. On notera également que la thèse du dépeuplement consécutif aux invasions danoises est actuellement battue en brèche, notamment par Mathieu Arnoux et Christophe Maneuvrier. Nous les citons : « La dévastation et le dépeuplement des campagnes normandes au moment où Rollon s’installe à Rouen relèvent vraisemblablement d’un mythe historiographique créé par Dudon de Saint-Quentin pour servir l’histoire de la jeune dynastie normande. Tout, au contraire, laisse croire que les structures rurales n’ont pas été profondément transformées par les changements politiques des IXème et Xème siècles. La présence de fortes densités de population, le maintien du réseau urbain plaident par exemple en faveur d’une certaine continuité du peuplement, ce qui n’interdit pas l’existence de fortes nuances régionales (Le pays normand : Paysages et peuplement du IXème au XIIIème siècles ; Mathieu Arnoux et Christophe Maneuvrier). » Cette absence relative de dépeuplement confirmant notre hypothèse précédente, les « terrae de Calumniis », dont nous avons examiné l’apparition dans ce dernier paragraphe, ont certainement fait l’objet de litiges bien avant l’arrivée des pirates danois et norvégiens, à savoir au temps où la romane rustique était encore parlée en Neustrie du Nord- Ouest. Ainsi se termine notre incursion dans le pays de Sées, car nous venons de découvrir une charte qui remet fondamentalement en cause la thèse que nous venons de longuement présenter, s’agissant de l’origine de Guarinus et Hugo de Calumniis, origine qui ne peut être en aucun cas au Chalange. Mais avant d’abandonner au néant nos supputations qui s’avèrent vaines, laissons-nous bercer par quelques strophes d’un beau poème tiré du recueil de poésies « Plaine d’Alençon et du Mesle-sur-Sarthe », de Ch. Du Hays : Le pays dont je cherche à faire la peinture Tient son nom d'un gros bourg sur la Sarthe bâti ; Cette rivière y ferme une large coupure, 19
  • 20. Quatre moindres cours d'eau viennent s'y engloutir. Ces rivières au Sud : l'Erine, la Pervenche, Avec leurs affluents, nées des mêmes coteaux ; Au Nord, c'est la Vesone, et plus loin c'est la Tanche Grossies toutes les deux de dix petits ruisseaux. Le Bassin de la Sarthe a six lieues d'étendue Du levant à Longpont, à Saint-Paul, au couchant ; Du Chalenge aux Aulneaux, dirigez votre vue (le Nord et le Midi), vous mesurez autant. Cet espace formule à peu près un losange, Par de hardis coteaux nettement limité ; Le centre est pittoresque, à tous les pas il change, Chaque colline semble y danser un ballet. Parcourez les coteaux qui servent de ceinture, Au Nord : Bure, Laleu, Montchevrel et Vaudon ; A l'Ouest Essay, Boitron (une large coupure Laisse tout entrevoir la Plaine d'Alençon) ; A l'Est : Saint-Quentin, Coulimer, Mesnière ; La forêt de Perseigne, ornement du Midi, Prolongeant les coteaux de Louze et Pervenchères, L'horizon sous vos yeux va s'ouvrir agrandi. 18 - Guarinus et Hugo de Calumniis, originaires des Challonges, entre Ecorpain et Montaillé Tout récemment, nous avons eu la chance de découvrir une charte inédite qui a fait l’objet d’une étude en Angleterre, il s’agit de donations faites à l’Abbaye de Grestain en l’année 1082. En voici un large extrait : « … N° 158. Grestain, abbey of Notre-Dame, Autumn 10 82 : A record that the abbey of Grestain had been founded by Herluin (de Conteville) in the year 1050 for the souls of his relatives, and which duke William's agreement. William himself gave the manor of Penton Grafton (Hants) with whatever belonged to him throughout Grestain's holdings on anything transported in both England and Normandy, in the same manner as Saint- Etienne of Caen held what the king had given it, and an entire villein at Conteville, who actually resided at Folamara. He also gave all customs relating to tolls and carriage which belonged to him throughout Grestain’s holdings on anything transported in both England and Normandy, in the same manner as Saint-Etienne of Caen held its holdings. Herluin himself gave thirty acres of land, and the bordars and fishermen he had at Grestain; the wood of Normare near the abbey; part of another wood at Mont-Saint-Georges; seven measures of grain from the mills of Sainte-Mère-Eglise; two villeins at Boulleville; the land of one plough, a horseman, a villein and three bordars at Tilly-sur-Seulles; thirty acres and a half of the church at Saint-Scolasse-sur-Sarthe, with the third sheaf belonging to this half; half of the church of Saint-Aubin at Bures, with the third sheaf and the burial dues which belong to it; with the agreement of Richard de Sainte-Scolasse and of king William; all the church at La Chalange, with the third sheaf of tithe belonging to it; one hundred acres of land which William son of Maingot held in the same will; all the tithe of these one hundred acres; all the tithe of the land of Warin son of Arnulf in the same will; all the tithe of the land of Thurstan Trenelinus in the same will; these (i.e. all the grants at La Chalange) were Tancuard's land and were given with the agreement of earl Roger de Montgommery... Calumnia (La Chalange)… » 20
  • 21. Notes : the contents of this previously unknown charter haves been discussed at length between Bates and Gazeau (1990). (Regesta Regum Anglo-Normannorum the Acta of William I, 1066-1087, de David Bates, 1998). Comme cette charte est essentielle pour ce qui nous concerne, en voici donc une traduction aussi fidèle que possible : « … Un acte concernant l’Abbaye de Grestain qui a été fondée par Herlouin de Conteville en l’an 1050 pour l’âme de ses parents, avec l’agrément du duc Guillaume (Le Conquérant). Guillaume lui-même donna le manoir de Penton Graston (Hampshire) avec ce qui lui appartenait des exploitations de Grestain sur toutes les choses transportées tant en Angleterre qu’en Normandie, comme Saint-Etienne de Caen tenait ce que le roi lui avait donné, et un vilain à Conteville, qui réside actuellement à Folamara. Il donna aussi toutes les coutumes ayant trait aux péages et transports tant en Angleterre qu’en Normandie, de la même manière que Saint- Etienne de Caen tenait ses exploitations. Herlouin lui-même donna trente acres de terre, les bordiers (vilains attachés à des tâches subalternes) et les pêcheurs qu’il avait à Grestain, le bois de Noremare près de l’abbaye, une partie d’un autre bois à Mont-Saint-Georges, sept mesures de grain provenant des moulins de Saint-Mère-Eglise ; deux vilains à Boulleville, une charruée de terre, un cavalier, un vilain et trois bordiers à Tilly-sur Seulles, trente acres et la moitié de l’église de Sainte-Scolasse-sur- Sarthe, avec le tiers de la dîme appartenant à cette moitié ; une moitié de l’église de Saint- Aubin à Bures, avec le tiers de la dîme et les droits d’enterrement qui lui appartiennent ; avec l’agrément de Richard de Sainte-Scolasse et du roi Guillaume ; toute l’église de La Chalange, avec le tiers de la dîme lui appartenant ; cent acres de terre que Guillaume, fils de Maingot, tenait dans le même testament ; toute la dîme de ces cent acres, toute la dîme de la terre de Guérin, fils d’Arnulphe, dans le même testament ; toute la dîme de la terre de Thurstan Trenilus dans le même testament ; celles-ci (c’est-à-dire toutes les cessions de La Chalange) étaient des terres de Tancuard et furent données avec l’agrément du comte Roger de Montgommery… » Le texte dit que la moitié de l’église de Sainte-Scolasse, la moitié de l’église de Bures et la totalité de l’église de La Chalange furent données par Herlouin de Conteville à l’Abbaye de Grestain, avec l’agrément de Richard de Sainte-Scolasse et du roi Guillaume pour les 2 premières églises citées, et celui de Roger de Montgommery pour l’église de La Chalange. Donc en 1082, La Chalange (église et terres) était une possession de la famille de Bellême. Par ailleurs, des terres de La Chalange - celles de Maingot, Guérin et Thurstan Trenilus - qui appartenaient à Tancuard, furent également données à l’Abbaye de Grestain. Quand Roger II de Montgommery reçut-il ce terroir du duc de Normandie ? Un élément de réponse est présenté ci-après : « … Au haut Moyen-Age, le Hiémois (dont le nom vient de sa capitale Uxuma, Exmes) est un pagus, c'est-à-dire une région placée sous le commandement d'un comte. On lui connaît 4 ou 5 subdivisions : la centena Noviacensis, autour de Neuvy-au-Houlme ; la centena Saginsis, autour de Sées et d’Exmes ; la centena Alancioninsis, autour d'Alençon ; et la centena Corbonensis, autour de Corbon, dans le Perche, base du futur comté du Perche. L'historien Lucien Musset pense qu'au IXème siècle, le comté d'Hiémois revêt une assez grande importance pour le roi carolingien puisqu'il joue probablement le rôle de marche face au royaume breton d'Erispoë et face aux Vikings débarqués sur la côte. Afin de resserrer l'encadrement administratif et militaire, certaines parties de l'Hiémois sont érigées en pagus entre 802 et 853 : la centena Saginsis et la centena Corbonensis. S’agissant de son intégration au duché de Normandie, Lucien Musset estime que c'est en 924 que la région passe sous le contrôle de Rollon, premier duc de Normandie. Sous ses successeurs, le Hiémois n'a plus la grande étendue qu'il avait à l'époque carolingienne (le Perche n'en fait plus partie). Il s'intercale 21
  • 22. entre les comtés de Mortain et d'Evreux. Selon Guillaume de Jumièges, en 1026, le duc de Normandie Richard II confie sur son lit de mort le comté d'Hiémois à son deuxième fils Robert (le futur Robert le Magnifique). Celui-ci devient duc à son tour en 1027 et donne l'Hiémois à un de ses plus proches compagnons Roger Ier de Montgommery. Les chartes de l'époque révèlent toutefois que le nouveau titulaire n'a pas rang de comte mais de vicomte, un titre confirmé pour les successeurs de Roger : Turstin Goz (vers 1035-vers 1043), Roger II de Montgommery, Robert II de Bellême (1107-1112)… » (source : Wikipédia). Cela dit, quelles pouvaient être les origines de Maingot, Guérin, Thurstan et Tancuard ? Si Guérin est un nom d’origine neustrienne, Maingot ne l’est pas : Maingot, ou Manegot, est un nom d’origine saxonne : « … Earl Roger de Montgomery, Earl of Arundel and Shrewbury ; one of the chief counsellors of William The Conqueror, to whom, as reward, Chichester and Arundel castles, and the earldom of Shrewburry, were given to him. He had land in twelve counties... Saxon possessors of land, in the time of King Edward the confessor… Manegot… Hugh, the son of Constance, holds of Hugh (de Grentemaisnil), 1 virgate of land in Lochesley (Loxley). The arable employs half a plough. There is 1 villein. It was and is worth 5s(hillings). Manegot held his freely… » (Domesday book, for the county of Warwick, tr. by W. Reader, 1835). Il est vrai qu’une colonie saxonne s’était installée dans la région de Sées depuis le IIIème siècle. Quant à Thurstan ou Turstin, c’est un nom d’origine normande et scandinave (voir les 2 extraits ci-dessous) : « … L’Eglise finit par l’accepter, après avoir suggéré de suivre l’exemple de Rollon (Hrôlfr) devenu Robert à son baptême : on eut ainsi des Turstin, alias Richard, Stigand alias Odon ou Ospac alias Robert. La colonisation rurale est encore plus difficile à étudier… C’est ce qu’illustre l’histoire des Goz : leur première assiette territoriale est à Toutainville, près de Pont- Audemer ; puis ils s’établirent en Bessin, près de Creuilly, dont un de leurs rameaux eut la seigneurie ; la faveur de Richard II valut vers 1020 à Turstin Goz d’être vicomte d’Hiémois… » (Histoire de la Normandie, de Michel de Boüard, 1970). « … Turstin Goz, fils d’Onfroy, et Le Danois, vicomte d’Argentan et gouverneur de Falaise, se liguèrent avec le roi de France contre le duc de Normandie, et lui promirent de lui livrer Falaise (1045)… Herluin, mari d’Arlette, mère du duc Guillaume, saisi d’une partie des biens confisqués sur Turstin Goz… » (Histoire du duché de Normandie, de Ignace-Joseph-Casimir Goube, 1815). Pour terminer la revue des noms apparaissant dans cette charte de 1082, relativement à l’église et aux terres situées à La Chalange, citons Tancuard qui est aussi un nom d’origine saxonne : « … Henri l’Oiseleur, duc de Saxe, né en 875, empereur en 919, mort 936… Ses enfants : Tancard, tué à Mersbourg en 939… » (Irish Names and Surnames, de Partick Woulfe, 1993) ; « … Tankard, tancard ; son of Tancred, (a Norman personal name, Teutonic Tancrad, early corrupted to Tancard and Tankard… » (Mémoires de la Société d’archéologie de la Manche, publié en 1884) ; « … Ward entra dans la composition d’un grand nombre de mots : Edward, heureux gardien ; Sigward, gardien victorieux ; Tancard, Tancuard ou Tancward, gardien reconnaissant (on retrouve le thank anglais, qui provient probablement du saxon - dank en Allemand)… » (Œuvres complètes de Voltaire, 1860). Il faut donc nous rendre à l’évidence. En 1082, l’actuelle paroisse du Chalange dans l’Orne se nommait déjà La Chalange, ou Calumnia en latin (et non Les Chalanges), et certaines des 22
  • 23. terres de cette paroisse, faisant partie du Hiémois, appartenaient, depuis la mort de Turstin Goz vers 1043, à Roger II de Montgommery, elles avaient été remises à Tancuard, d’origine saxonne, donc issu des Saxons implantés dans la région de Sées depuis des générations. Par conséquent il est impossible que Guarinus et Hugo de Calumniis, vers 1067, soit environ 25 années auparavant, puissent provenir de La Chalange. On remarquera que La Chalange relevait de Roger de Montgommery, en limite du Hiémois, alors que Sainte-Scolasse, dépendant du duché de Normandie, appartenait à Richard de Sainte-Scolasse. Voilà une constation qui pourrait expliquer la raison pour laquelle cette paroisse ait été soumise à des litiges entre les 2 parties, peut-être depuis Turstin Goz, vicomte du Hiémois, d’où son appellation de La Chalange, appellation qui entraîna pus tard la donation de l’église entière à l’Abbaye de Grestain, pour éviter toute contestation ultérieure Alors, d’où provenaient Guérin et Hugues de Chalanges ? Le Vicomte du Motey affirme que les vassaux et fidèles des premiers princes de Bellême provenaient du Bellêmois, ou étaient d’origines mancelles. Quant à Gérard Louise, il écrit que « … Les Bellême avaient assurément un prévôt à Bellême, mais sa fonction était sans doute administrative et subalterne… Le château de Bellême a été sans doute peuplé de milites castri, chargés de la défense, qui furent dotés de biens fonciers à faible distance de la forteresse. Vers 1100, on trouve ainsi un Geoffroy, fils de Lambert de Bréviart qualifié de miles de Belismo. D’autres lignages proches apparaissent dans l’entourage des Bellême : ceux de Rocé, Clinchamp, Vaunoise, Montgaudry, Eperrais… Les garnisons ducales à l’intérieur des châteaux de la Seigneurie de Bellême, sous le règne de Guillaume de Normandie, ont sans doute été installées après la conquête de 1049 à Alençon… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). Ainsi avons-nous trouvé quelques-uns des fidèles de la famille de Bellême, à savoir Yves et Eudes de Clinchamp, Hugues de Rocé et Hervé de Breviard dans une charte d’Yves de Bellême, évêque de Séez, par laquelle il confirme une donation à l’Abbaye Saint-Vincent du Mans : « … Confirmation par Yves, évêque de Séez, des dons faits par diverses personnes à l’Abbaye Saint-Vincent du Mans (1035-1070)… Signum Yvonis de Clino Campo, signum Odonis de Clino Campo, Guillelmi vicarii, Hugonis de Rocet, Hervei de Bremart (ou de Breviard)… » (Histoire de l'église du Mans, de Paul Léon Piolin, 1856). D’ailleurs Hugues de Rocé et Hervé de Bréviard étaient parents, comme on peut le constater dans les 2 textes qui suivent concernant la fondation du Prieuré de Saint-Martin-du-Vieux- Bellême : « … Il y eut néanmoins une difficulté là-dessus, parce que Hugues de Rocet avoit fait un pacte avec Hervé de Bréviard, son parent, que celui qui mouroit le premier des deux feroit héritier de ses biens celui qui survivroit à l’autre, Mais Eudes et Bérald, religieux de Marmoutier, entre les mains desquels il avoit fait cette donation, firent désister ce seigneur en lui donnant… » (Mémoires de la Société archéologique de Touraine, de la Société archéologique de Touraine, 1874). « … Charte notice de la confirmation, en faveur de Marmoutier, par Hugues de Rocé, à l’occasion de son entrée en religion, de ses donations précédentes pour la fondation du prieuré de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême, avec la concession d’Yves de Bellême, évêque de Sées, seigneur suzerain - et de l’accord intervenu avec Hervé de Bréviard, parent dudit Hugues de Rocé, qui prétendait avoir droit, en vertu d’un contrat précédent, d’hériter de tous les biens du susdit Hugues… cum testibus pluribus aliis, nominibus his :… Huberto de Valnoisa… » (Cartulaire de Marmoutier pour le Perche, de M. L’abbé Barret, 1894). 23
  • 24. Certes, mais nous sommes obligés de constater qu’aucun toponyme provenant de « Calumnia » n’existe dans le Bellêmois ; c’est donc que les 2 frères « de Calumniis » tiraient leurs origines du Maine. Or dans le Premier Livre, nous avons répertorié les toponymes « Chalonge » des départements de la Mayenne et de la Sarthe. Les voici rappelés : Département de la Mayenne ; - « La Petite Chalonge », ferme de la commune de Saint-Denis-des-Gastines, - « Le Chalonge », ferme de la commune d’Alexain, - « Le Chalonge », lieu-dit de la commune de Bouère, - « Le Chalonge », ferme de la commune de Charchigné, - « Le Chalonge », hameau de la commune de Fougerolles, - « Le Chalonge », ferme de la commune d’Origné, - « Le Chalonge », hameau de la commune de Saint-Cyr-le-Gravelais, - « Le Chalonge », hameau de la commune de Saint-Gault, - Ruisseau de « Chalonge », commune de Louverné, affluent du ruisseau du Fresne, - « Les Chalonges », hameau de la commune de Bourgon, - « Les Chalonges », ferme de la commune de Châlons, - « Les Chalonges », ruisseau affluent de la Chopinière, - « Les Chalonges », ferme de la commune de Saint-Georges-sur-Erve, - et « Les Chalonges », ferme de la commune de Vautorte. Département de la Sarthe ; - « Chalonge », bois de la commune de Roèze, « Boscus de Calumnia » vers 1050, - « Les Grandes et les Petites Chalonges », bois de la commune de Beaufay, « Decima de Calumpniis » au XIIIème siècle, - « Les Chalonges », hameau de la commune de Boésse-le-Sec, - « Les Chalonges », hameau de la commune de Montaillé, - « Les Chalonges », bois de la commune de Saint-Vincent-du-Lorover, - « Les Chalonges », bois de la commune de Savigny-l’Evêque, - et « Les Chalonges », ferme de la commune de Vibraye. Ces topoymes sont nombreux, aussi devons-nous maintenant étudier quelles furent les raisons qui amena quelque prédécesseur des frères « de Calumniis » à venir s’installer à Bellême, en provenance du Maine. C’est ce que nous allons tenter d’éclaircir maintenant, en lisant les textes du Vicomte du Motey et de Gérard Louise : « … Cet état complet de la famille (de Bellême) est présenté par une charte de la fin du Xème siècle. (Charte 1ère de l’Abbayette : consensu et voluntate meorum parentum, dit Yves dans la charte précitée, duarum videlicet sororum mearum : Billehendis atque Eremburgis, nec non duorum avunculorum, Seinfredi episcopi et Guillelmi, atque cognatorum : Guillelmi clerici, Roberti, Sutsardi, rursusque Guillelmi laici.)… Il ne serait pas téméraire de penser qu’elle était de haute extraction bretonne et qu’elle s’était implantée dans le Maine et à Bellême, lors des guerres dirigées par les chefs de la Bretagne contre Charles-Le-Chauve… Elle avait en effet, avant les invasions normandes, des possessions très importantes sur les confins du Maine et de la Bretagne, entre Landivy et La Dorée. Certains de ses officiers, comme Abbon, ancêtre des Giroie de Saint-Cébery, sont des Bretons. Certains de ses membres portent le surnom caractéristique de Le Breton (Guérin, fils de Rotrou II, comte de Mortagne, et d’Adèle de Bellême, fille de Guérin, est apelé Warinus Brito - cartulaire de Saint-Vincent du Mans, n° 587 - Un Maurice de Bellême, issu d’une branche bâtarde, est appelé Mauricius de Bellissimo, qui dicitur Brito - cartulaire du chapitre du Mans, charte DCLII.)… Yves de Bellême, avait des sentiments religieux profonds qui sont prouvés par ses restaurations d’églises, la construction de sa chapelle castrale dédiée à la Vierge… ses 24
  • 25. restitutions au monastère du Mont-Saint-Michel (Charte Première du cartulaire de l’Abbayette)… Herbert Eveille-Chien, comte du Maine qui succéda à son père en 1016, résolut d’abaisser l’autorité féodale et les prérogatives de l’évêque du Mans (Avesgaud de Bellême). Voyant sa sécurité menacée dans sa capitale, Avesgaud fit construire, à Duneau près de Connerré, une forteresse de refuge que le comte assiégea et prit. L’évêque, craignant de tomber dans les mains de son ennemi, quitta Le Mans et se retira au château de Bellême, auprès de son frère (Guillaume 1er de Bellême)… Herbert Eveille-Chien s’étant emparé du Sud du Saosnois, Avesgaud réunit les vassaux épiscopaux aux troupes de son frère pour refouler l’agresseur et marcher sur Le Mans… Le comte Herbert eu d’abord l’avantage… puis la maison de Bellême fut victorieuse… Avesgaud rentra au Mans en 1020… Le duc de Normandie (Robert-Le-Diable, frère de Richard III et fils de Richard II), ne vint pas facilement à bout du prince de Bellême (Guillaume 1er Talvas) qui n’avait pas hésité à lui refuser obstinément l’hommage… Nous ignorons les combats qui précédèrent le siège d’Alençon, où Talvas alla s’enfermer avec toutes les troupes dont il pouvait disposer… mais le chef de la maison de Bellême dut capituler… Guillaume de Bellême se risqua à faire de nouveau appel aux armes… Il s’enferma peut-être dans la forteresse de Domfront… Une sanglante bataille s’engagea dans la forêt de Blavou, près de Pervenchères. Foulque de Bellême, son fils, fut tué, et Robert, son autre fils, fut blessé et ne ramena du combat qu’un petit nombre de chevaliers… Guillaume de Bellême en mourut subitement… C’était vers 1031… » (Origines de la Normandie et du duché d’Alençon, du Vicomte du Motey, 1920). « … L’expansion de la Seigneurie de Bellême dans le Maine - les conflits. Les rapports de Bellême et des comtes du Maine furent rapidement très tendus, en particulier dans le premier tiers du XIème siècle, sous le règne du comte Herbert Eveille-Chien. Quatre conflits nous sont rapportés par les sources narratives, dont voici le premier : Entre 1015 et 1025, dans la vallée de l’Huisne, autour du château de Duneau, la construction d’un castellum à Duneau par l’évêque Avejot provoqua l’intervention du comte du Maine qui s’empara de la fortification et la détruisit ; l’évêque se réfugia à Bellême chez son frère Guillaume ; il excommunia le comte Herbert et mit l’interdit sur le diocèse. Une guerre s’ensuivit. Il s’agit probablement du conflit rapporté par Orderic Vital entre Guillaume 1er de Bellême, aidé des Giroie, et le comte Herbert : le comte du Maine mit le seigneur de Bellême en fuite, mais sa victoire fut compromise par l’arrivée des Giroie ; l’évêque du lever l’interdit et faire la paix… » (La Seigneurie de Bellême : Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1992). De ces 2 textes, il apparaît que l’évêque du Mans, Avesgaud (ou Avejot), se réfugia à Bellême chez son frère Guillaume 1er Talvas lorsque le comte du Maine, Herbert Eveille-Chien, détruisit son castellum de Duneau, et qu’Avesgaud réunit ses vassaux épiscopaux aux troupes de son frère pour refouleur l’agresseur et marcher sur Le Mans. Un des premiers vassaux épiscopaux de l’évêque du Mans fut bien l’abbé de Saint-Calais (voir les 2 textes ci-dessous) : « … Un monastère fut fondé dont saint Calais fut le 1er abbé. A sa mort, son compagnon Daumer le remplaça. Il obtint de Childebert un nouveau dipôme d’immunité. Les successeurs de ce prince, Chilpéric 1er et Thierry, ne se montrèrent pas moins bienveillants à l’égard des abbés Gall et Siviard… Les faveurs dont cette maison avait été l’objet, l’avaient sur certains points, rendue indépendante, ou du moins relevait-elle directement du roi. Ces concessions avaient un caractère essentiellement précaire et chaque fois qu’un nouveau prince arrivait au trône, l’abbé devait lui en demander la confirmation. Il ne paraît pas qu’elle n’ait été jamais refusée, et Gontran, Clotaire II, Dagobert 1er, Clovis II, Childebert III et Dagobert III l’accordèrent les uns après les autres… Les princes carolingiens ne se montrèrent pas moins généreux… A la mort de l’abbé Ebroin en 801, Charlemagne conféra à Francon l’ainé, évêque du Mans, la jouissance de l’abbaye à titre de bénéfice viager… Le pape Nicolas 1er, sur les renseignements 25
  • 26. que l’évêque du Mans lui donna, prit sa défense. Les moines recevaient en même temps du souverain pontife l’ordre d’avoir à se soumettre à leur évêque… Finalement en 863, tout en restant soumis pour le spirituel à l’autorité de leur évêque, les moines retrouvaient définitivement la liberté des élections… » (Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Calais, de l’abbé L. Froger, 1888). « … Genesius, abbé de Saint-Calais, fut remplacé par Foulques qui fit édifier, vers 1020, la tour du clocher de son église. Il est probable que la basilique toute entière fut renouvelée dans le même temps. L’abbé Adaelelme lui succéda, c’était l’un des premiers hommes de son temps dans l’architecture et la sculpture. Il reconstruit en 1025 l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire qui fut consumée par un incendie. Adaelelme fut remplacé par Ebrard qui occupait le siège épiscopal en 1040… Quoique la perte des documents sur cette abbaye nous enlève presque toujours la connaissance des faits qui s’y passèrent… Ce fut vraisemblablement vers la même époque que les droits féodaux et les prérogatives de l’abbaye de Saint-Calais furent établis d’une manière permanente. Le prélat qui la gouvernait tenait le premier rang parmi les abbés du diocèse ; il devait cette prérogative à l’ancienneté de son monastère, et à sa qualité de fondation royale. Il était aussi premier chanoine prébendé de la cathédrale du Mans, après le roi toutefois. Il avait le droit de visiter les 4 paroisses suivantes : Notre-Dame de Saint-Calais, qui comprenait toute la ville, et celles de Marolles, Montaillé et Rahay. Il avait un grand vicaire et était aidé dans l’exercice de la justice ecclésiastique, qui était pleine comme celle du grand doyen du Mans, par 3 officiers : un official, un promoteur et un greffier… L’Abbaye de Saint- Calais avait aussi les seigneuries de Marolles et de Rahay, quelques fiefs situés à Saint-Calais, Montaillé, et dans les paroisses voisines au nombre de 15 ; elle entretenait pour exercer la juridiction civile et criminelle en son nom 4 officiers : un bailli, son lieutenant, un procureur fiscal et un greffier… » (Histoire de l’église du Mans, de Paul Léon Piolin, 1856). Ainsi à Montaillé, l’abbé de Saint-Calais possédait le fief des « Chalonges » (conformément aux 2 extraits ci-après) : « … religieux, abbé et couvent de Saint-Calais, tiennent et relèvent à foy et hommage simple leur fief des Chalonges… » (Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, Launay, 1901). « … On peut citer encore les fiefs de la Chevalerie et des Chalonges, à quelque distance au Nord d’Ecorpain. L’abbé de Saint-Calais, par raison de cedit fief des Chalonges, possédait dans la paroisse plusieurs cens, tailles et justice. Ce droit de justice était exercé comme appartenant primitivement à sa crosse, sur les métairies de La Lande, Fay, les Chemins, les Brières, Crucé, la Jaunaie et les Chalonges… » (Bulletin de la Société d’agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 1849). N’oublions pas qu’une famille « de Challonges », demeurant à Montaillé, avait existé au milieu du XIVème siècle, elle était certainement originaire du fief des Chalonges de ladite paroisse. Car Il existe, dans les Archives Hospitalières de Saint-Calais dans la Sarthe, une copie d’un 26
  • 27. contrat passé le 8 mai 1351 par lequel « Guillaume de Challonges », paroissien de Montaillé, vend à Hugues, prêtre de la Maison-Dieu de Saint-Calais, une rente de 30 sous sur tous ses biens (Archives Départementales de la Sarthe). Ce fief apparaît sous le toponyme « Chalonge » (sans « s » terminal) au XIIIème siècle dans une copie d’une lettre écrite en parchemin scellée du scel de l’officialité du Mans, copie réalisée en 1488. Dans cette copie, les toponymes sont mal écrits. Donc on ne pourra pas prendre en considération l’écriture du mot « Chalonge » au singulier : « … L’incendie qui détruisit le monastère au XVème siècle, pendant l’occupation anglaise, fit disparaître les archives. On sauva néanmoins quelques titres, un nécrologe rédigé à la fin du XIVème siècle, un vieux cahier connu sous le nom d’ancienne caterne de l’abbaye, et un cartulaire rédigé au XIème siècle, incomplet mais néanmoins fort précieux… (Nous avons trouvé aux archives de la fabrique d’Evaillé, canton et arrondissement de Saint-Calais, un exemplaire de ce vidimus, transcrit sur parchemin en 1488. Le texte en est ordinairement plus correct que celui du cartulaire, écrit le rédacteur dans son cartulaire)… Gros des cures (XIIIème siècle) : A tous ceux qui ces presentes lettres verront Jacque de Touteville, chevalier, seigneur de Beuré, baron d’Ivry et Saint-Andry en la Marche, conseiller chambellan du roy notre sire, garde de la prevosté de Paris salut, scavoir faisons que l’an de grace mil quatre cent quatre vingt huit, le samedi vingt huitieme du mois de mars, vismes et leumes mot après mot une lettre de vidisse écrite en parchemin scellée comme il appartient sur double queue et cire verd, du scel de la cour de l’officialité du Mans saine et entière contenant cette forme… In ecclesia sancti Johannis de Montailler percipiunt dicti abbas et conventus unum modium bladi in magna decima, videlicet, quatuor sextaria avenae et octo siliginis et in residuo medietatem ; percipiunt etiam parvam decimam Sanci Johannis et medietatem tractus et tertiam partem mestivae (redevance coutumière sur les céréales) apud Chalonge et medietatem decimae et sextam partem tractus et sextam mestivae in terra Adam (Odon) Founeau medietatem decimae ; haec sunt quae percipiunt abbas et conventus Sancti Carilephi… » (Cartulaire de l’Abbaye de Saint- Calais, de L. Froger, 1888). La conséquence de ces analyses est la suivante : une famille de Challonges vivait à Montaillé en 1351. Elle tirait très certainement son nom du fief des Chalonges appartenant à l’Abbaye de Saint-Calais, dont l’abbé fut l’un des premiers vassaux épiscopaux de l’évêque du Mans. Notre thèse est alors celle qui suit, malheureusement indémontrable : Guarinus et Hugo de Calumniis furent les fils (ou petits-fils) d’un homme d’armes tenant, de l’Abbé de Saint-Calais, le fief des Chalonges, homme d’armes qui avait été attaché à l’évêque du Mans, Asvegaud de Bellême. Lorsque cet évêque se réfugia à Bellême, ce « milites » le suivit, puis s’installa définitivement près du Vieux-Château de Bellême. Par la suite, il est probable que les terres qui ont fait l’objet de la transaction entre Guérin, frère du prieur Eudes (trépassé) de Saint-Martin-du-Vieux- Bellême, et Béraud, religieux et prévôt de Bellême, bordaient les terres de Guarinus et Hugo de Calumniis, fils ou petits-fils du « milites ». D’où d’éventuelles constestations qui auraient pu en découler puisque Gautier, frère du vendeur, n’ayant pas été présent à la vente, il promit qu’il y donnerait son consentement et ratifierait l’acquisition faite par les religieux, et que si la vente ne pouvait se faire, ledit Guérin leur donnerait en échange une autre pièce de terre de la même valeur. Cette thèse a l’avantage de se placer dans le droit fil des constatations que nous avons rapportées auparavant. En effet, en remontant le temps, les Chalenge furent liés à l’archevêque de Rouen puis à l’évêque de Sées. Dans ce cas, pourquoi leur antécédent originel n’aurait pas été lié lui aussi à un évêque, celui du Mans en l’occurrence ! Or ce fief des Chalonges est probablement aussi ancien que l’Abbaye de Saint-Calais elle- même. C’est l’objet du chapitre qui suit. 27
  • 28. 19 - Les Chalonges, terres en litiges depuis la création de l’Abbaye de Saint-Calais par Childebert I Grâce à une copie du dipôme de Childebert I, par lequel il fonde l’Abbaye de Saint-Calais en 515, nous pouvons imaginer quelles furent les limites des terres attribuées à ladite abbaye : DIPLOMA CHILDEBERTI REGIS I, DE MADVALLE. CHILDEBERTUS1, REX FRANCORUM, VIR INLUSTER2. Si petitionibus servorum Dei, pro quod eorum quietem vel juvamen pertinet, libenter obaudimus, Regiam consuetudinem exercemus. Noverint igitur omnes Fideles nostri praesentes atque futuri, quia monachus quidam peregrinus Carilephus nomine, de Aquitaniae partibus, de pago videlicet Alvernio veniens, Nobis postulavit, ut ei locum ubi habitare, et pro Nos Domini misericordiam implorare potuisset, donaremus, ut Eumcum monachis suis in nostra defensione et tuitione susciperemus. Cujus petionem, quia bonam esse cognovimus, et Ipsum Domini servum miraculis declarantibus veraciter perspeximus, libenti animo emplere studuimus. Dedimus ergo Ei de Fisco nostro Maddoallo3, super fluvium Anisola in loco qui vocatur Casa-Gajani, per locis descriptis et designatis, ubi Oratorium et Cellam Sibi et ab suis monachi, et qui post Eum venturi fuerint, construeret, et Receptaculum pauperum in eleemosyna domni et genitoris nostri Clodovei aedificare potuisset. Terminus ergo de nostra donatione, qui est inter Dominationem Fisci Maddoallensis et nostra traditione, incipit a villa quae appellatur ROCCIACUS4 super fluvium BRIA5… etc. 1 - Auctor libri de Vita Bertae abbatissae Bertum, darum, fulgentem et splendidum interpretatur. - Ab Honorio principe in usu caepit lenem Francos Bertum appellavisse. - Hinc CHILD-BERT proles praeclara vel potius puer lenis. 2 - Illuster. Tres honoratorum gradus passim adnotare est apud scriptores : Illustrium, Clarissimorum, Spectabilium. lllustrium potior erat, tribuebaturque Praefectis Praetorio, Praefectis Urbi , Quaestoribus, Magistris militum, etc. Apud nostros etiam haec dignitatis praerogativa diu, stante prima et secunda Regum Franciae stirpe oblinuit, cum Reges ipsi, atque adeo Majores Domus, Viras illustres sesemet indigitarent. Quomodo vero a Romanis in Franciam ea dignitas transierit a nemine hactenus proditum. Inde ortum existimo, quod Clodoveus, acceptis ab Anastasio Consularis dignitatis codicillis, Inlustris titulum qui Consulibus, caeterisque summis magistratibus competebat, tanquam Consul et imperii ofiicialis sibi adscripserit. (Acta SS. Omn. jul. T. I) 3 - MADVALLIS. « Childebertus... in villam Madvalis nuncupatam devenit... Rex Ei (Carilefo) Madvalem concedit ad condendum caenobium » S. Siviard. ineunte seculo VIII. (Acta SS. Ord. S. Bened. 1, 03) - MATVALLIS. IX° seculo. « Erat in pago Cenomanico rus nobile... cui nomen... Matvallis inditum est » (Vita S. Medardi. Spicileg. VIII, 408). - IX° secul o. « Lotharius... in pagum Cenomanicum, in villam cujus vocabulum est Matualis devenit » (Vita Ludovic Pii, apud Duch.,II, 312). 4 - L'abbé de Saint-Karlès est seigneur de la ville (villa) de Merroles, hors chemin et y a haute justice, étangs qui « doivent cens, corvées et Halles aux moulins de Roçay. Et icelle terre de Merroles et appartenances DE LA FONDATION ANCIENNE DE L'ABBAYE, tenue sans moyen en garde royale du Comte du Maine » - « Item, il a en la paroisse dessus dite un manoir appelé ROÇAY et une métairie et une borde au la fuie » - (Censif de 1391. Bibliothèque de Saint- Calais) - Rocciacus adjectif possessif formé du nom propre, très-connu, Roscius ; Roçay ou le Bas-Rossay est un moulin près de Savigny, mais sur la commune de Marolles et dans le département de la Sarthe ; le Haut-Rossay est une ferme qui domine le côteau voisin du Bas- Rossay. 28