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Heureux comme les Danois
Initiatives enthousiasmantes
La recherche du bonheur
Leurs secrets pour garder le sourire
Ces citoyens qui s’engagent pour demain
Les recettes qui rendent heureux
Numéros Zéro / 02
ÉDITO & SOMMAIRE
Rédaction en chef
Christophe-Cécil
Garnier
Louise Pluyaud
Secrétaire de
rédaction
Marion Pellé
Rédacteurs
Inès Belgacem
Mathilde Blin
Laura Bruneau
Maxime François
Anton Kunin
Roman Lambic
Élise Saint-Jullian
Pauline Thuillot
Illustrations
Hélène Frixtalon
Pierre Garrigues
David Sultan
Alexia Vilaine
Louison
Les illustrations
sans © ont été réa-
lisées spécialement
pour ce magazine
et ne sont pas libres
de droit.
Contact
Master Web-jour-
nalisme - Université
de Cergy-Pontoise,
site de Gennevilliers
Avenue Marcel Paul,
92036 Gennevilliers
valerie.amyot@
iufm.u-cergy.fr
www.master-journa-
lisme-gennevilliers.fr
Retrouvez plus d’ar-
ticles des étudiants de
Cergy-Pontoise sur :
numeroszero.com.
ALWAYS LOOK
ON THE BRIGHT
SIDE OF LIFE
Qu’est-ce qui a bien pu nous passer par la tête pour choisir
l’optimisme comme thème de ce magazine ? Franchement,
les raisons sont toutes simples. C’était bonhomme et ça changeait
des couvertures habituelles appelant à la fatalité. En plus, ça collait
à l’actu. Des sondages évoquaient le pessimisme ambiant des
Français ; des études scientifiques montraient que les optimistes
ont un cœur en meilleure santé que ceux qui voient le verre
à moitié vide. Si on ne le faisait pas maintenant, avec l’excuse
du début d’année, on ne le ferait jamais.
Alors on est allés à la rencontre de ceux qui innovent, avec l’espoir
d’arranger la société, par des actions qui ne nécessitent pas grand
chose, comme s’ouvrir aux autres ou protéger l’écosystème.
On s’est demandé ce que les gens allaient chercher chez des
coachs du bonheur, qui vous demandent d’ouvrir vos chakras
et de prendre la vie du bon côté. On a remarqué que les Danois
étaient les gens les plus heureux au monde, que les Bhoutanais
n’étaient que les inventeurs du Bonheur National Brut (BNB)
et pas son représentant.
Entre deux coups de moins bien où nous, étudiants en journalisme,
pensions à notre avenir qui a de bonnes chances de rimer avec
Pôle emploi, on s’est dit qu’être précaires ça avait ses avantages.
Au moins, on n’allait pas s’enfermer dans une routine. On a pensé
aussi à mettre des dessins dans nos pages.
Après Charlie, il fallait bien.
par Christophe-Cécil Garnier
Numéros Zéro / xx
INSOLITE
p. 5
- Le Bonheur National Brut
RENCONTRE
p. 6
- « Les Danois acceptent plus facilement la
vie telle qu’elle est. »
ENTREPRENDRE
p. 9
- Citoyens engagés : ils nous rendent
optimistes
- Le travail c’est positiver
POSITIVER
p. 16
- Génération Y, une souplesse sans faille
- Ces films qui vous veulent du bien
- À la poursuite du bonheur
Numéros Zéro / 04
INSOLITE
Numéros Zéro / 05
Le Bhoutan, charmant petit pays d’environ la
surface de la Suisse, est perché au sommet
de l’Himalaya. Coincé entre les géants indien
et chinois, il a instauré le Bonheur National
Brut (BNB) en 1972 comme mesure de la
richesse nationale, refusant de céder à la
dictature du PIB (Produit intérieur brut). Ce
nouveau paradigme est né d’une presque
plaisanterie : à l’aéroport de Delhi, alors que le
roi partait à un sommet des pays non alignés,
un journaliste indien lui a demandé quel était
le PNB du Bhoutan. Le roi a répondu : « Ce
qui compte chez nous, ce n’est pas le produit
brut mais le bonheur brut ! »
Quatre piliers définissent le BNB : la bonne
gouvernance,undéveloppementéconomique
durable (la moitié du pays est préservée
grâce à la présence de parcs nationaux), la
protection de l’environnement (1er pays au
monde à vivre d’une agriculture 100 % bio)
et la préservation de la culture. Il est ainsi
interdit d’y construire une maison d’un autre
style que le traditionnel bhoutanais : une
sorte de chalet dont la toiture est couverte de
fresques avec des phallus géants qui portent
bonheur.
La théorie du bonheur est inscrite depuis
2008 dans la Constitution du Bhoutan. Mais,
au départ, le bonheur bhoutanais n’était
pas pris au sérieux. Jusqu’à ce qu’en 2012,
Le Bonheur
National Brut
Au pays du Bhoutan, économie et bonheur sont au même plan. 33 indicateurs servent à mesurer
l’enthousiasme des habitants. Derrière les sourires se cache pourtant une réalité plus terne.
l’ONU instaure une journée internationale du
bonheur, le 20 mars. Malheureusement, la
même année, le Bhoutan a subi une crise de
crédit. En 2013, suite au début des relations
économiques avec Pékin, le voisin indien a
stoppélessubventionssurlegazetl’essence,
causant la déprime du pays du bonheur. Les
prix ont flambé et le pays a plongé dans de
graves difficultés économiques.
Chômage, pauvreté, corruption, criminalité
et problèmes sociaux. Ces difficultés
quotidiennes ont entrainé une forte
consommation de drogues et d’alcool, mais
pas de tabac, interdit depuis 2004 pour
préserver la santé des Bhoutanais. Un
rapport révélait en 2013 que les habitants ont
bu 6,7 millions de litres d’alcool sur les 6,9
millions produits dans le pays. Le royaume
n’ayant que 700 000 sujets, cela fait une
moyenne de 98 litres d’alcool par an et par
habitant.
Tous ces problèmes ont épuisé le docteur
Chencho Dorji, le seul psychiatre du pays en
2013. À lui tout seul, il s’est déjà occupé de
5 300 dépressifs, alcooliques et toxicomanes.
Ils représentent plus de 50 % de ses patients.
De quoi devenir maboule et frôler le burn-
out. La psychiatrie n’est pas développée au
Bhoutan car les malades sont très croyants.
Persuadés d’être possédés par un esprit, ils
font appel à la magie noire…
par Laura Bruneau
Ci-contre : Illustration par hinkingartist.com © Tous droits réservés.
Numéros Zéro / xx
RENCONTRE
AVEC
Malene
Rydahl
Numéros Zéro / 07
Dans votre livre, Heureux comme
un Danois, vous révélez de nombreux
aspects de la vie au Danemark
qui expliquent le bonheur de son peuple.
Pouvez-vous nous donner les principales
clés de cette joie de vivre ?
Il y a trois axes fondamentaux qui expliquent
cela. Dans un premier temps, c’est une
question de confiance, envers la société
et envers les autres. 84 % des Danois ont
confiance en leurs institutions, par exemple.
Il y a aussi l’indépendance et la liberté de
choisir sa vie. Selon moi, en France et dans
d’autres pays, il y a une tendance à vivre dans
ce que j’appelle la liberté « buffet », le fait de
pouvoir choisir parmi ce qu’on te propose
et rien d’autre. Au Danemark c’est différent.
L’éducation nationale danoise mise sur le
développement de la personnalité de chacun,
il n’y a pas de matières plus valorisées que
d’autres. C’est là un pilier important de notre
société. Plus on est capable de choisir sa vie,
plus la possibilité de vivre heureux est grande.
Le troisième axe repose sur la responsabilité
individuelle au projet commun. Les Danois
sont fiers de leur système social et ils veulent
payer leurs impôts car ils savent très bien
où ces dépenses vont, ce qui revient à la notion
de confiance. Tout le monde doit participer.
Celui qui ne contribue pas est, d’une certaine
manière, rejeté.
Vous revendiquez aussi les moments
« hygge », qui ont un rôle important dans
le bonheur. Que signifie ce terme ?
Il s’agit d’une intimité chaleureuse, avec une
forte connotation sociale. Cela désigne les
bons moments passés en famille, entre amis.
Nous l’utilisons tout le temps dans notre langue
« Les Danois
acceptent plus
facilement la vie
telle qu’elle est. »
propos recueillis par Romain Lambic
C’est à deux pas de la Place de la Concorde, en plein cœur de Paris, que le rendez-vous est fixé.
La nuit tombe et Malene Rydahl, chaleureuse, vient illuminer ce début de soirée. Avec son français
parfait, agrémenté d’un accent typiquement danois, elle tente de définir le bonheur de son pays
et d’expliquer ce qu’est, pour elle, l’optimisme, tout en donnant quelques conseils simples
pour retrouver la positive attitude. Quoi de plus normal pour l’auteur de l’ouvrage Heureux comme
un Danois (Grasset, 2014), élu livre le plus optimiste de l’année 2014 par la Ligue des Optimistes
de France ? Rencontre.
Ci-contre : Malene Rydahl, auteur de Heureux comme un Danois. © Tous droits réservés.
Numéros Zéro / 08
et c’est une volonté de rendre ce bonheur
accessible à tout le monde, comme une forme
de partage. Il y a une idée de rassemblement,
de lutte contre l’exclusion. À mon sens,
c’est une belle vitrine de la culture danoise.
Les Danois sont heureux. Mais sont-ils
optimistes ?
(Elle réfléchit longuement.) Je dirais qu’ils
sont optimistes sur leur avenir grâce à leur
liberté de choisir. Au Danemark, je pense que
nous sommes des optimistes réalistes. Nous
sommes très terre à terre, très modestes, nous
avons des rêves réalistes. Nous acceptons
plus facilement la vie telle qu’elle est, ce qui
est une manière de mieux la vivre. Voilà ce
que signifie l’optimisme pour moi : ne jamais
renoncer à ses rêves et croire que c’est
possible, mais rester réaliste sur le chemin à
faire et l’effort qu’il faut mettre pour y arriver.
Une récente enquête internationale
fait des Français l’un des peuples les
plus pessimistes. Le constatez-vous au
quotidien ou autour de vous ?
J’ai constaté qu’individuellement les Français,
en tout cas ceux que je connais, ne sont pas
si pessimistes mais disons que les médias ne
contribuent pas à donner plus d’optimisme.
Je pense aussi qu’il existe des mécanismes
inconscients que Philippe Block décrit dans
son livre, intitulé Ne me dites plus jamais
bon courage, où il révèle que les gens ont
l’habitude de se dire « bon courage » plutôt
que de dire « bonne journée », c’est un réflexe
de pessimisme inconscient.
Que conseilleriez-vous aux Français
pour retrouver de l’optimisme ?
Il faut déjà faire attention à ses paroles et
à la manière d’aborder la vie. Il faut aussi
continuer d’y croire, ne pas renoncer à ses
rêves malgré la crise. Essayer de trouver du
plaisir à atteindre ses objectifs même si ce
n’est pas facile, malgré les obstacles. Quand
on suit ses rêves, ce combat a du sens, il y a
un sentiment de bien-être. Mais il faut aussi
trouver du plaisir dans le chemin qui nous
emmène vers nos objectifs, sinon on risque
de se focaliser sur le passé ou le futur et non
sur le présent.
Comment créer de l’optimisme en
entreprise ?
La notion de confiance en soi et aux autres est
importante. Il ne faut pas avoir peur de poser
des questions, cela fluidifie les relations. En
tant que directrice de communication, j’ai
une grande confiance en mon équipe. Si
une erreur est commise, j’en prends aussi la
responsabilité et nous résolvons le problème
ensemble. Il est hors de question de punir les
gens ou de les presser comme une orange. Il
faut aussi avoir des horaires de travail assez
souples pour pouvoir profiter de la vie, des
soirées pour prendre du plaisir au bureau, c’est
ce qui peut établir le bien-être en entreprise.
Est-ce une bonne idée de faire appel à un
coach pour trouver la voie du bonheur ?
C’est mieux que rien, s’il peut aider à orienter
la personne vers une meilleure gestion de
sa vie. J’encourage toutes les initiatives qui
invitent l’humain à aller dans le bon sens, pour
trouver le bonheur, le bien être. Nous devrions
tous aller voir un psychologue pendant six
mois dans notre vie, sans forcément avoir de
problème de conscience, cela peut être un bon
accompagnement sur la manière d’orienter sa
vie, de trouver le bon chemin.
Quand vous étiez enfant, votre premier
rêve était de devenir ambassadrice du
Danemark et vous l’êtes, en quelque
sorte, devenue avec ce livre. Qu’est-ce
qui vous a encouragé à l’écrire ?
C’est drôle, car j’ai pensé à cela lorsque j’écrivais
la conclusion de ce livre. Je me suis dit :
«  Si jamais mon livre sur le bonheur au
Danemark devient un succès, d’une manière
je réaliserai mon premier rêve d’enfant ! »
Mais sinon, la raison est simple. C’était pour moi
passionnant d’expliquer pourquoi les Danois
sont heureux, j’avais envie d’en partager les
raisons, finalement assez simples, et de rendre
cela accessible à tous.
Avez-vous trouvé votre bonheur ?
Je vis en accord avec moi-même et je suis de
nature joyeuse. Quand je me réveille, j’ai ce
sentiment de bien-être car je me suis battue,
j’ai donné un sens à ma vie. Je me sens bien et
j’ai la chance de vivre beaucoup de moments
« hygge », ce qui m’offre aussi beaucoup de
ressources dans les moments difficiles.
Numéros Zéro / xx
ENTREPRENDRE
Numéros Zéro / 10
L’amoureux des abeilles
2014 a été une année noire pour les apiculteurs,
confrontés à des pertes de 50 % à 80 %
de leur production. En cause, les conditions
climatiques et les pesticides qui fragilisent les
abeilles, victimes de maladies. Leur disparition
serait dramatique selon les scientifiques,
car en tant qu’insectes pollinisateurs,
elles permettent la reproduction des espèces
végétalesetdonclemaintiendelabiodiversité.
Face à ce constat, Régis Lippinois, lui,
n’a pourtant pas le bourdon. Ce quarantenaire
a décidé, depuis six ans, de faire partager
sa passion des abeilles. Déjà auteur du
concept jepartage.com où les internautes
se regroupent pour se louer ou prêter,
entre autres, parcelles de jardins et
espaces de bureaux, il est aussi le directeur
de l’entreprise rochelaise Un toit pour
les abeilles. Une initiative qui permet aux
entreprises et aux particuliers de parrainer
des ruches à partir de 96 € par an, en recevant
en échange leurs propres pots de miels.
«  Il y a dix ans, personne ne parlait de
la disparition des abeilles mais, désormais,
les gens ont pris conscience de ce
problème », commente Régis Lippinois qui
avait tenté il y a quelques années un projet
similaire. Aujourd’hui, son projet est soutenu
par plus de 400 entreprises et plus de
Citoyens engagés :
ils nous rendent
optimistes
par Élise Saint-Jullian
Ils croient en l’avenir des librairies, des abeilles ou encore dans la nécessité du vivre-ensemble.
Face à la crise économique, aux problèmes environnementaux, au terrorisme, ils ont décidé
de rester optimistes, ou du moins ils veulent continuer à agir pour améliorer notre société.
Focus sur des initiatives de citoyens qui redonnent espoir.
Numéros Zéro / 11
8 000 particuliers. Mais bien que la situation
soit toujours morose pour les abeilles,
le Rochelais reste optimiste.
«  Oui je crois en l’avenir des abeilles,
elles s’en sortiront. Il y aura toujours des foyers
sur la planète et elles savent s’adapter
au climat malgré tout. Mais il faut continuer
à les protéger », souligne t-il. « Ce qui est
important c’est notre travail au quotidien,
même si c’est une goutte d’eau », ajoute t-il.
Pour Flavie Briais, une de ses collaboratrices,
leurs actions ne résoudront peut-être pas
la disparition des colonies mais elles
permettent au moins d’augmenter leurs
chances de survie et de maintenir la profession
d’apiculteur. Un pari réussi avec aujourd’hui
quelques 33 298 000 abeilles parrainées.
Mais l’équipe d’Un toit pour les abeilles
souhaite désormais dupliquer cette opération
en Suisse et en Belgique et développer
une apiculture à l’ancienne, encore plus
respectueuse des abeilles.
La solidarité avec les migrants
Depuis la place Baudoyer, dans le
4e
 arrondissement de Paris, Nathalie Baschet
a parcouru tous les continents. Chaque
dernier jeudi du mois, elle organise à la mairie
Le goût de l’autre, des dîners qui rassemblent
autour d’une même table Français et migrants
afin d’aller au-delà des préjugés. « Il s’agit de
connaître des gens que l’on ne rencontrerait
pas dans son quotidien, dans son milieu
social », explique la bénévole du réseau
Chrétiens Immigrés, à l’origine de ces repas.
Tout commence en 2008 lors des cours de
français que Natalie Baschet donne à des Sri-
Lankais,lesunsTamouletlesautresCinghalais,
deux populations en guerre civile pendant
plusieurs décennies. Les cours se passent bien,
surtout ceux du samedi matin qui rassemblent
encore d’autres nationalités. Ils commencent
à fêter entre eux des anniversaires, l’obtention
d’une carte de séjour. « On s’est dit que cette
bonne ambiance devait se poursuivre et s’ouvrir
à tout le monde ».
Depuis, l’enseignante en est à son
54e
 dîner, avec cette fois-ci un menu franco-
camerounais. Ce dîner a d’autant plus de
sens qu’il survient juste après les attentats
qui ont secoué la France début janvier.
Une occasion de rappeler à tous les convives
qu’il faut continuer à aller vers l’autre au
quotidien, écouter, et partager malgré les
différences. À ce repas, un couple libano-
japonais, un Italien, une femme ayant vécu
plusieurs années en Égypte, une Française
qui a marié sa fille à un Malien grâce au Goût
de l’autre. La bonne ambiance est au rendez-
vous : pot au feu d’igname, un peu de culture
camerounaise, des discussions variées, avec
en toile de fond un morceau de musique
mariant notes orientales et occidentales.
«  J’ai découvert un monde qui m’a fasciné,
des relations de qualité, qui ne passent pas
par les codes sociaux habituels », se réjouit
Nathalie Baschet, qui semble avoir trouvé
aussi la bonne recette du vivre-ensemble.
L’application au service des libraires
Les librairies françaises voient leurs ventes
chuter de 10 % par an. Avec la concurrence
du site de vente en ligne Amazon, on estime
qu’en 2017, seul un livre sur trois sera vendu
en librairie réelle, dont le nombre reste élevé,
environ 2 500 en France. Elliot Lepers, 22 ans,
avoue avoir déjà acheté sur Amazon quand
il vivait à Berlin car les livres qu’il souhaitait
n’étaient pas disponibles en Allemagne.
Mais ce lecteur invétéré commande toujours
ses livres dans les librairies indépendantes.
Il a décidé qu’il fallait avertir les autres citoyens.
Étudiant en art design à Paris, il a dirigé
la campagne web d’Eva Joly en 2012 et est le
développeur du site Macholand.fr, qui combat
le sexisme. Il y a quelques semaines, il a
décidé de mettre ses talents en informatique
au service d’une nouvelle cause. Une loi
récente interdit la gratuité des frais de port
pour les ventes de livres sur Internet, mais
Amazon les a fait passer à 1 centime d’euro.
Numéros Zéro / 12
« J’ai trouvé cela particulièrement malhonnête
de leur part et j’ai voulu y apporter une
réponse citoyenne concrète », explique le
jeune homme.
«  J’ai juste codé un pont entre Amazon
et Place des libraires, une plateforme
de gestion des stocks », détaille Elliot
Lepers. Ainsi, les internautes, en installant
l’application Amazon-Killer, une extension
sur Google Chrome, peuvent voir rapidement
dansquellelibrairiesetrouvelelivredontilsont
besoin. « Amazon-Killer est simplement une
petite alarme pour les gens qui sont habitués
à acheter sur Amazon, pour leur rappeler
qu’il existe une alternative », justifie l’étudiant,
qui ne prétend pas avec son outil sauver
les libraires, pourtant très reconnaissants
de son initiative. Il dit même avoir été contacté
par la Fédération Européenne des Libraires
(FEL), pour généraliser son dispositif
au niveau européen. Elliot Lepers conseille
aux citoyens d’acheter des livres aux libraires
les plus en difficulté et de partir à leur
rencontre. Car pour lui, le choix d’Amazon
ou non, c’est aussi se demander à quoi
on veut que nos villes ressemblent.
« Moi j’ai envie de voir dans les rues de vieilles
librairies un peu bordéliques. Ça me plaît. »
Numéros Zéro / 13
Nathalie Baschet, organisatrice de le goût de l’autre.
Illustration par hinkingartist.com © Tous droits réservés.
« Il s’agit de connaître des gens
que l’on ne rencontrerait pas dans
son milieu social »
Numéros Zéro / 14
Surcharge de travail, pressions, absence
de reconnaissance, stress… Ces notions
font partie de la vie quotidienne des salariés
hexagonaux. Le burn-out, épuisement
lié aux conditions de travail, touche
désormais 17 % des salariés – chiffre
qui grimpe à 24 % chez les managers.
Selon cette même étude de l’institut Think
réalisée pour le cabinet Great Place to Work,
les salariés estiment que seule la moitié
des entreprises prennent en compte
leur bien-être.
Des évaluations à argumenter
«  On s’intéresse aux gens sous forme de
problématiques, estime Christine Cayré,
gérante de la jeune société de conseil
Affaires d’optimisme. Or, il faut considérer
ce qui marche avant de s’intéresser à ce qui
ne marche pas. » C’est dans cette optique
que ses collègues et elle-même ont imaginé
une série d’interventions au sein de grandes
entreprises, comme le Crédit Agricole,
La Poste ou encore Sanofi. La journée
de formation au service postal, par exemple,
a concerné 150 managers l’année dernière
et a eu pour thème « le bureau de poste
idéal ». « Il faut rappeler aux individus qu’ils
ont du pouvoir dans ce qu’ils font. Pendant
ces sessions, on s’écoute activement, on fait
des propositions ensemble, on se reconnaît
et se relie », explique Christine Cayré, pour
qui l’optimisme, c’est avant tout le fait de
s’appuyer sur une expérience réussie et en
être satisfait. Cette vision est partagée par
Charles Martin-Krumm, chercheur dans
le domaine de la psychologie positive.
«  Un employé va être optimiste grâce à un
sentimentd’efficacitépersonnelle,lasensation
qu’il a les ressources pour réaliser des tâches
précises  », raconte-t-il. En revanche, toute
félicitation ou évaluation doit s’accompagner
d’une argumentation. Un employé qu’on félicite
sans lui expliquer les raisons de son succès
ne verra pas s’accroître sa confiance en lui.
Si l’optimisme est à tel point une bataille dans
le monde de l’entreprise, c’est parce que les
facteurs qui l’entravent sont remarquablement
nombreux aujourd’hui. Le sentiment d’avoir
perdu d’avance, le manque de soutien et de
marge d’autonomie, le contrôle excessif des
individus sont, selon Charles Martin-Krumm,
autant de freins à cet état d’esprit nécessaire
au travail.
Pas d’augmentation de la productivité
Nécessaire, car selon une étude de
Martin Seligman, le père fondateur de la
psychologie positive, les gens les plus
optimistes sont aussi les gens les plus
persévérants. En plus de se décourager moins
vite, ils ont une personnalité plus ouverte au
changement, aux nouvelles façons de faire et
Travailler,
c’est positiver
par Anton Kunin
Il y a cinq ans, la vague de suicides chez France Télécom et La Poste révélait au grand jour
l’intenable pression psychologique et la course effrénée aux objectifs trop ambitieux qui peuvent
exister dans les grandes entreprises. Depuis, le monde de l’entreprise en a pris conscience :
le bien-être et l’optimisme au travail sont devenus des valeurs convoitées.
Numéros Zéro / 15
génèrent de l’enthousiasme au sein de leurs
équipes, remarque Philippe Gabilliet, docteur
en sciences de gestion et conférencier sur le
thème de l’optimisme au sein d’entreprises.
Un employé optimiste a, selon lui, tendance
à voir une amélioration possible des choses,
croit au pouvoir de l’action, tout en refusant
le perfectionnisme.
Responsable de projet chez Crédit Agricole
Cards & Payments, Cécilia Lacan a invité
en 2014 tous les salariés qui le souhaitaient
à participer à une journée de « démarche
appréciative », qui implique de comprendre
les raisons et les acteurs des réussites du
passé pour planifier une nouvelle action
réussie, grâce à la créativité qu’offre le travail
en équipe. « À l’opposé du cadre formaté,
étouffant, les participants se sont sentis
libérés de leur parole, de leur créativité »,
estime Christine Cayré, qui co-organise
ces journées. « Le problème chez nous,
c’est que chacun travaille dans son coin.
On ne se parle pas et ne se connaît pas
vraiment entre équipes », indique à son tour
Cécilia Lacan, chargée du volet optimisme
d’un plan interne d’amélioration continue et
de transformation. « Cette journée a permis
d’abattre les barrières, d’émettre des souhaits,
de repartir avec des solutions concrètes
et de retenir des choses à mettre en place »,
conclut-elle. Une cinquantaine de personnes
ont déjà participé à ces journées de
« démarche appréciative » au sein de cette
filiale de la banque, et 95 % des participants
ont apprécié l’expérience.
Si le retour sur ces formations est largement
positif, elles ne peuvent pas être utilisées
pour faire du chiffre, comme augmenter
le volume des ventes ou la productivité,
prévient Charles Martin-Krumm. « Il ne peut pas
y avoir de prétexte pour maintenir une pression
excessive sur le salarié. On donne des outils
pour l’individu, mais l’entreprise aussi doit ajuster
un certain nombre d’éléments », estime-t-il.
Les initiatives liées à l’optimisme ne peuvent
donc être efficaces que si l’ensemble
de l’entreprise s’y attache.
Numéros Zéro / xx
POSITIVER
Numéros Zéro / 17
Arthur, 24 ans, est le pur produit d’un plan
à trois. D’un côté il y a ses parents : Agnès
et Frédéric nés dans les années 60-70,
des hippies fou amoureux. Et de l’autre,
une société happée par les nouvelles
technologies. Jeune, Arthur s’endort bercé
par des comptines mais aussi par des
conversations d’où s’échappent les mots
« crise » ou « chômage ». Comme 13
millions d’individus en France, âgés de 18 à
30 ans, il fait partie de la génération Y.
Cette génération n’est pas extraordinaire,
n’a pas de super-pouvoirs apparents, si ce
n’est d’être accrochée à son smartphone
comme Spiderman l’est à sa toile. Pourtant
tout le monde l’épie et parle d’elle. La
majorité du temps ce sont les grands-parents,
parents, politiques et chefs d’entreprise qui
font siffler ses oreilles, à force de lui prédire
le plus morose des avenirs. Un sondage
réalisé en 2013 par Ipsos-CGI-Publicis
et publié dans Le Monde dévoilait que
les Français étaient pessimistes quant à
l’avenir de leurs enfants, 72 % d’entre eux
pensaient que leurs enfants vivraient moins
bien qu’eux à leur âge. La belle affaire.
« Lavaleurclé,c’estl’épanouissement
individuel »
Il est vrai que, dans les faits, la génération Y
galère. Les indicateurs du taux de
chômage sont dans le rouge : au troisième
trimestre 2014, le taux de chômage des
jeunes atteint 23,7% et la précarité, elle,
se fait de plus en plus grande. Les études
sociologiques démontrent que cette jeunesse
ne croit pas en la société. Massivement, les
jeunes se disent « désabusés ». Mais il ne
faut pas s’y méprendre, si la génération Y croit
en quelque chose, c’est bien en elle-même,
comme le souligne Myriam Levain, journaliste
et co-auteur de La Génération Y par elle-
même : « La valeur clé de la génération Y,
c’est l’épanouissement individuel. Attention,
ce n’est pas une génération égoïste,
mais elle donne un sens à tout ce qu’elle fait. »
Alors, côté boulot, même si le CDI est
aux abonnés absents, la génération Y
reste optimiste. Élevée sur fond de crise
économique, ses aînés lui ont inlassablement
répété que rien ne serait acquis.
Myriam Levain dirait même plus :
Génération Y :
une souplesse
sans faille
par Mathilde Blin
PORTRAIT : Précaire mais reine du système D, la génération Y puise son optimisme dans une
vision très réaliste de la société.
Nous remercions la dessinatrice Louison pour son dessin issu du livre Y comme Romy (Laffont, 2014).
© Tous droits réservés.
Numéros Zéro / 18
«  Elle savait qu’elle allait en baver.  »
Aujourd’hui elle s’accommode donc
de son sort de jeune diplômée qui enchaîne
les CDD, payés au lance-pierres,
il faut le préciser. Mais sous ses airs
blasés cette génération est maligne et
créative. Elle décide donc de faire de
cette précarité de l’emploi un atout. Pour
cela, elle multiplie les expériences et, par
conséquent, les compétences et les contacts.
C’est le cas de Lola, 23 ans, diplômée depuis
deux ans maintenant d’une école de stylisme.
Très vite, elle s’est confrontée à un problème
de taille : le CDI c’est comme le Saint Graal…
le roi Arthur le cherche toujours.
« Le CDI c’est comme
le Saint Graal... le roi Arthur
le cherche toujours »
En 2005, ce sont 155 000 couples qui ont
mis fin à leur relation devant les tribunaux.
Un bel exemple pour la génération Y
biberonnée aux histoires d’amour Walt Disney.
Une génération un poil désenchantée
à l’image de Jules, 22 ans, qui ne croit plus
au mariage à cause du divorce de
ses parents. Malgré tout, il croit en l’amour.
«  Ce qui nous permet d’être optimiste
c’est que l’amour c’est de tout temps,
dans tous les pays et à toutes les époques »,
explique Myriam Levain.
Alors la génération Y réécrit elle-même
les codes de l’Amour avec un grand A. Être
célibataire ou en CDD sentimental, comble
de la précarité, n’est plus une tare. Les Y
grignotent à droite à gauche et prennent le
meilleur de chaque partenaire. Après tout,
ils ont toute la vie pour tomber amoureux.
Mais pour elle, pas question de s’apitoyer
sur son sort. Elle passe du stylisme mode au
stylisme culinaire, s’installe dans un bureau
de tendances avant de se lancer dans le
digital. Ses parents se sentiraient davantage
rassurés avec un boulot fixe, mais ils lui
laissent la liberté de ses choix. Elle apprécie.
« J’aime être polyvalente et ma priorité c’est
d’enrichir mon carnet d’adresses. Si on me
proposeunCDIceseraitfoumaisjenesaispas
si je serais heureuse le matin en me réveillant,
je me dirais qu’en quelque sorte je me suis
enfermée ». Le seul problème pour Lola serait
de choisir un métier, un seul, à mettre en avant
sur son curriculum vitae.
La précarité de l’amour
Mais toute la génération Y ne s’épanouit pas au
travail :« Lebouloty’enaqueçaéclate etd’autres
non. À 17h01 ils ont déjà quitté le bureau  »,
argumente Myriam Levain en expliquant que,
dès lors, c’est sur leur vie personnelle qu’ils
comptent. Et c’est là que la génération X, les
parents, entre en jeu. Ils crient haut et fort qu’à
défaut d’un boulot fixe, c’est sur l’amour qu’il faut
miser. Facile à dire lorsque l’on est la génération
qui a le plus eu recours au divorce. Selon l’Insee
(Institut National de la Statistique et des Études
Économiques), entre 1962 et 1990, le nombre
de divorces a été multiplié par trois.
Numéros Zéro / 19
Des films qui
vous veulent
du bien
par Pauline Thuillot
Vous venez de passer une rude journée ? Vous avez un gros coup de blues et votre moral
est tombé dans les chaussettes ? Pas d’inquiétude, nous avons trouvé le remède : les feel-good
movies. Vous ne connaissez pas ? Petite séance de rattrapage.
Numéros Zéro / 20
Qu’est-ce qu’un feel-good movie ?
Le cinéma est riche. Entre un film de Stallone
bourré de testostérone et une comédie
romantique à l’eau de rose, il possède
une multitude de versants. Les fameux
feel-good movies en font partie.
Ce sont généralement « des mélodrames
qui se terminent bien, des films portés par
l’espoir », où l’optimisme est la première
caractéristique selon Pierre Fonsagrive,
rédacteur en chef du webzine Cinémapolis.
« Pour que ces films fonctionnent pleinement,
il faut une situation initiale très décourageante.
Et sans doute, aussi, un brin de naïveté. »
La Guerre est déclarée en est l’exemple
même. Ce long-métrage relate le rude combat
d’un couple contre la maladie de leur fils
atteint d’une tumeur au cerveau.
«  C’est un feel-good movie par excellence.
Il part d’un postulat extrêmement grave
(ndlr : le cancer) mais montre ensuite le refus
de se laisser vaincre par le marasme »,
précise Pierre Fonsagrive. « Ce sont des films
qui nous touchent, raconte Didier, un amateur
de 59 ans. Ils nous parlent de notre quotidien,
de choses qu’on a pu vivre. Ce ne sont pas
depuresfictions,aucontraire,onpeuts’identifier,
se retrouver dans ces films. »
Toutefois, tout le genre n’est pas composé
que de mélodrames. Il englobe aussi les
comédies. Même si, selon Jean-Claude
Guerrero, toutes les comédies ne sont pas
nécessairement des films-bonheurs et vice-
versa.Présidentdel’AssociationduFestivaldes
Films Bonheur, il propose une autre définition.
« Ce sont des films qui savent mélanger le rire
au fantastique, l’émotion à l’action, le rythme à
l’humanité ! Ils savent dénicher et montrer de
la générosité au milieu d’une action débridée,
de l’humanisme au cœur d’une mondialisation
effrénée, de la loufoquerie et de l’émotion
face à une terrifiante absurdité et faire d’un
spectacle cinématographique un énorme clin
d’œil à la vie. »
La recette du succès
Mais, au fait, quelle est la recette
pour concocter un bon feel-good movie ?
Tel un grand chef, Jean-Claude Guerrero nous
livre sa recette idéale. Il y a cinq ingrédients
pournepasrestersursafaim.« Cela ne peut pas
être un film sans émotion. C’est ce qui va
donner à ses autres qualités une générosité,
une épaisseur qui va faire que le film sortira
de la simple pochade, de la parodie ou
du film d’action lambda pour se mettre en
perspective, prendre une force différente,
et s’élever au-dessus du lot ». Il faut aussi
de l’humour et du rythme. « Le genre est
le plus souvent drôle mais le spectateur doit
sentir, en conjuguant l’histoire, l’émotion
et l’humour, que le film avance avec
une réelle vibration interne. »
Des productions comme Little Miss Sunshine
ou Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain
bénéficient également d’une pincée
d’inattendu, des situations extraordinaires
«  que doit absolument intégrer tout film-
bonheur qui se respecte », estime Jean-
Claude Guerrero. Mais si Juno – œuvre qui
parle d’une jeune fille de 16  ans enceinte
qui souhaite faire adopter son futur enfant –
a crevé l’écran, c’est avant tout dû à
son humanité. « On aime les feel-good
movies parce qu’ils nous montrent que les
valeurs prônées par notre éducation, par notre
famille fonctionnent, explique Florian, 24 ans,
au détour d’une séance. Les feel-good
movies agissent un peu comme une
catharsis ». Vecteurs d’optimisme, ces films
séduisent grâce aux valeurs qu’ils portent,
comme la solidarité, l’entraide ou l’amitié.
Pour Pierre Fonsagrive, le constat est
encore plus simple : « Les gens aiment
se sentir bien. C’est un peu idiot à dire,
mais c’est pourtant essentiel. »
« Les gens aiment se
sentir bien »
Numéros Zéro / 21
Qu’est ce qui m’a pris d’aller à un cours de
tai chi ? « Un art martial relaxant », m’avait-on dit.
Tu parles ! J’étais venue pour me changer
les idées et essayer ce que, je m’imaginais,
pourrait me procurer une sorte de paix intérieure.
Au lieu de ça je souffre ! Voilà deux minutes que
je tiens la position de la chaise - celle qui fait
atrocement mal aux cuisses dans les séances
d’aérobic - sans mur contre lequel m’appuyer.
« Maintenant on attrape le tigre et on le ramène
sur la montagne », poursuit le professeur.
Ne comprenant en aucun cas la signification
de cette consigne, j’imite mes voisines.
La quinzaine de participantes commence
à faire de grands cercles avec leurs bras à
vitesse d’escargot. Elles doivent avoir trois
fois mon âge, mais s’en sortent dix fois mieux
que moi... Devant mon visage sûrement
déformé par la douleur qui monte maintenant
dans mes bras, une de mes camarades
me confie que « ça ira mieux la prochaine fois ».
Toute à son aise et souriante, elle poursuit :
« Tudoisavoirtropdetensionsentoi,lephysique
est encrassé par le mental. »
Le mental ou le moral ? À 23 ans, tout ça
n’est pas toujours au beau fixe. Des jours de
déprime, ça arrive, certes. Mais quand c’est
répétitif, qu’est ce que ça dit ? Qu’on n’est pas
heureux ? À en croire Claudia Senik, professeur
à l’École d’économie de Paris, le mal qui me
À la poursuite
du bonheurpar Inès Belgacem
Être bien dans ses baskets, oui, mais pas trop non plus ! Les petits tracas du quotidien plombent
rapidement le moral . À tel point que la question « suis-je vraiment heureux ? » se pose bientôt.
Inès a décidé de ne plus s’interroger. Elle a sauté dans ses sneakers, en quête du bonheur.
Numéros Zéro / 22
ronge est bien français. Pour elle, la population
hexagonale est ronchon, grincheuse et bien
moins heureuse que ne pourrait le prédire
son Indice de Développement Humain (IDH).
Un problème qu’elle met sur le dos d’une
éducation et d’une socialisation nationale
particulière, plus fataliste que chez nos voisins.
L’IDH français, outil permettant d’évaluer les
conditions de vie d’un pays, se place à la
vingtième position mondiale et à la sixième
européenne selon le Programme des Nations
unies pour le développement (PNUD) de
2014. Une place somme toute convenable.
Les Français font pourtant partie des plus
grands consommateurs de psychotropes
en Europe, selon l’Organisation mondiale de
la Santé. Cette dernière ajoute que le suicide
était en 2013 la deuxième cause de mortalité
chez les 15-44 ans, après les accidents
de la route. Un bien triste portrait, dans lequel
j’ai décidé de ne plus figurer.
Malade de réussite
Bille en tête, je rentre chez moi me cacher sous
ma couette, les jambes flageolantes, et fonce
sur Google. « Comment être plus heureux ? »
Je tombe alors sur Alexandra de Roulhac,
coach bonheur. Un drôle de titre qu’elle s’est
attribué seule : « Je n’ai pas de formation
particulière, ma thérapie fonctionne sur les
principes de base de la psychologie positive »,
m’explique-t-elle quelques jours plus tard
dans le salon d’un petit hôtel de Saint-Cloud.
Elle est coach depuis 7 ans. Son but, redonner
confiance à ses patients  : «  Ils ont tout pour
s’épanouir, il faut simplement leur rappeler. »
Ses conseils ont pour ambition d’aider
à prendre conscience de ses qualités et sont
majoritairement dispensés à une clientèle
féminine. « Elles ont en général entre 25
et 35  ans et sont bien sous tout rapport  :
elles ont un job de rêve et à responsabilité,
un copain au top, sont mignonnes, entourées,
sociables. Le problème c’est qu’elles sont trop
exigeantes avec elles-mêmes… »
Exigence va souvent de pair avec ambition,
devenue par ailleurs un trait de caractère
prégnant pour les Françaises. Elles étaient 69 %
chez les 18-24 ans et 63 % chez les 25-34 ans
à se définir naturellement comme ambitieuses
l’an passé, d’après l’Observatoire Terrafemina
réalisé par le CSA. Depuis les années 1980,
on encourage les femmes à l’autonomie.
Un héritage historique qui est arrivé jusque
dans la bouche de mon père, à tel point
qu’il me donne les mêmes conseils que
les rappeurs américains : « Fais ce que tu veux
dans ta vie mais surtout fais de l’argent  ! »
Le tout est devenu une sorte de leitmotiv qui
a fini par me rentrer dans la tête naturellement,
j’imagine. Envisager de grandes études,
des jobs renommés, des payes conséquentes
est devenu normal. Ne pas se contenter
de moins aussi. Un avis partagé par Joséphine,
32 ans, chef de projet marketing dans
une boîte de communication parisienne :
«  Je me mécontente d’un rien, mais ne
m’enthousiasme jamais sur mon travail. On peut
toujours faire mieux finalement », raconte-t-elle.
Joséphine passait ses journées au boulot
et parfois même ses soirées. Son rythme
était devenu normal, son travail une priorité.
«  Je crois que dans ma tête, mon bonheur
tenait à ma réussite sociale. » Jusqu’à ce qu’un
soir de novembre, elle craque. « J’ai balancé
mon ordi par terre, crié au téléphone sur mon
mec et me suis à moitié évanouie devant mes
collègues médusés… », se remémore-t-elle,
honteuse. La jeune femme est pourtant loin
d’être une violente, sa voix douce et fluette
en atteste. Son docteur a diagnostiqué
unburn-out,déclenchéparlestressetlemanque
desommeil.AlexandradeRoulhacpréfèreparler
« d’exigence maladive » : « Même adulte, on
garde toujours la petite voix de Papa et Maman
dans sa tête. Ça donne des filles ambitieuses,
toujours au top, qui n’apprécieront jamais leur
travail et ne seront jamais comblées. »
C’est quoi le bonheur ?
Prise de conscience immédiate : c’est mon
travail qui va faire mon bonheur ? Et puis,
c’est quoi le bonheur ? Je décide d’improviser
un sondage autour de moi. « Ça reste des
choses simples, le moment présent. Comme
par exemple quand tu manges des Kinders »,
Numéros Zéro / 23
me répond tout naturellement Matthieu, pourtant
tout aussi anxieux que moi quant à son avenir
immédiat sur le marché du travail. Pour Marion,
le bonheur c’est son lit, des séries et
sa tranquillité. Quoiqu’elle s’imagine mal
assumer indéfiniment une vie de paresse.
« Le bonheur, c’est une carotte qui te permet
de continuer à faire des choses manifestement
perdues d’avance », conclut finalement Yacine,
fataliste.
« Il faut se foutre la paix un peu ! Arrêter de
se faire des reproches, se soutenir, … Et puis
partir à la recherche du bonheur ça ne veut
rien dire ! » m’engueule à moitié au téléphone
Florence Servan-Schreiber, psychologue
et auteur de 3 kifs par jour et Power patate.
Elle m’explique qu’avoir des envies est normal,
même si toutes ne sont pas réalisables.
Le problème resterait l’ordre de nos priorités :
«  Les gens ont notamment besoin de faire
baisser le rang de l’argent dans leurs priorités.
Argent et bonheur n’ont jamais eu de liens. »
Et pour la réussite professionnelle ?
«  Si on n’est pas satisfait de son travail,
c’est qu’on ne s’assume pas tout à fait et qu’on
veut toujours gommer ses défauts  ; alors
qu’au contraire, il faut avoir de la tendresse
et de la compassion pour ses défauts. »
Florence Servan-Schreiber définit le bonheur
en trois points : le plaisir, l’engagement
(soit ne pas rester dans la contemplation)
et le sens (c’est-à-dire savoir à quoi sert ce
que l’on fait). Un poil bisounours, elle ajoute
que positiver et trouver de la satisfaction dans
ce que l’on fait sont nécessaires. Raison pour
laquelle elle propose de s’énumérer les « 3 kifs »
de sa journée tous les soirs. « Il faut faire ce qui
nous épanouit, un point c’est tout ! »
Dans le train qui me ramène chez moi, casque
sur les oreilles, je mets donc à exécution
les conseils de la psychologue : 1) j’ai mangé
des sushis, c’était top ! 2) j’ai failli perdre mon
portefeuille dans le train, mais un passant
m’acouruaprèspourmelerendre.3)jesuisallée
au cinéma, le film était nul, mais j’ai beaucoup ri
avec une amie. Étonnamment, rien à voir avec
ma journée au boulot, qui a ses hauts et ses
bas par ailleurs. Le bonheur n’a finalement rien
deconstant.En24 heures,passerpardifférentes
phases plus ou moins agréables est normal
et ne devrait pas nous plomber le moral. La clé,
c’est la confiance en soi et l’optimisme. En fond
sonore, le caennais Orelsan : « Tu peux courir
à l’infini, et à la poursuite du bonheur la Terre
est ronde autant l’attendre ici. […] À quoi ça sert
de préparer l’avenir si t’oublies de vivre ? »
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  • 1. Heureux comme les Danois Initiatives enthousiasmantes La recherche du bonheur Leurs secrets pour garder le sourire Ces citoyens qui s’engagent pour demain Les recettes qui rendent heureux
  • 2. Numéros Zéro / 02 ÉDITO & SOMMAIRE Rédaction en chef Christophe-Cécil Garnier Louise Pluyaud Secrétaire de rédaction Marion Pellé Rédacteurs Inès Belgacem Mathilde Blin Laura Bruneau Maxime François Anton Kunin Roman Lambic Élise Saint-Jullian Pauline Thuillot Illustrations Hélène Frixtalon Pierre Garrigues David Sultan Alexia Vilaine Louison Les illustrations sans © ont été réa- lisées spécialement pour ce magazine et ne sont pas libres de droit. Contact Master Web-jour- nalisme - Université de Cergy-Pontoise, site de Gennevilliers Avenue Marcel Paul, 92036 Gennevilliers valerie.amyot@ iufm.u-cergy.fr www.master-journa- lisme-gennevilliers.fr Retrouvez plus d’ar- ticles des étudiants de Cergy-Pontoise sur : numeroszero.com. ALWAYS LOOK ON THE BRIGHT SIDE OF LIFE Qu’est-ce qui a bien pu nous passer par la tête pour choisir l’optimisme comme thème de ce magazine ? Franchement, les raisons sont toutes simples. C’était bonhomme et ça changeait des couvertures habituelles appelant à la fatalité. En plus, ça collait à l’actu. Des sondages évoquaient le pessimisme ambiant des Français ; des études scientifiques montraient que les optimistes ont un cœur en meilleure santé que ceux qui voient le verre à moitié vide. Si on ne le faisait pas maintenant, avec l’excuse du début d’année, on ne le ferait jamais. Alors on est allés à la rencontre de ceux qui innovent, avec l’espoir d’arranger la société, par des actions qui ne nécessitent pas grand chose, comme s’ouvrir aux autres ou protéger l’écosystème. On s’est demandé ce que les gens allaient chercher chez des coachs du bonheur, qui vous demandent d’ouvrir vos chakras et de prendre la vie du bon côté. On a remarqué que les Danois étaient les gens les plus heureux au monde, que les Bhoutanais n’étaient que les inventeurs du Bonheur National Brut (BNB) et pas son représentant. Entre deux coups de moins bien où nous, étudiants en journalisme, pensions à notre avenir qui a de bonnes chances de rimer avec Pôle emploi, on s’est dit qu’être précaires ça avait ses avantages. Au moins, on n’allait pas s’enfermer dans une routine. On a pensé aussi à mettre des dessins dans nos pages. Après Charlie, il fallait bien. par Christophe-Cécil Garnier
  • 3. Numéros Zéro / xx INSOLITE p. 5 - Le Bonheur National Brut RENCONTRE p. 6 - « Les Danois acceptent plus facilement la vie telle qu’elle est. » ENTREPRENDRE p. 9 - Citoyens engagés : ils nous rendent optimistes - Le travail c’est positiver POSITIVER p. 16 - Génération Y, une souplesse sans faille - Ces films qui vous veulent du bien - À la poursuite du bonheur
  • 4. Numéros Zéro / 04 INSOLITE
  • 5. Numéros Zéro / 05 Le Bhoutan, charmant petit pays d’environ la surface de la Suisse, est perché au sommet de l’Himalaya. Coincé entre les géants indien et chinois, il a instauré le Bonheur National Brut (BNB) en 1972 comme mesure de la richesse nationale, refusant de céder à la dictature du PIB (Produit intérieur brut). Ce nouveau paradigme est né d’une presque plaisanterie : à l’aéroport de Delhi, alors que le roi partait à un sommet des pays non alignés, un journaliste indien lui a demandé quel était le PNB du Bhoutan. Le roi a répondu : « Ce qui compte chez nous, ce n’est pas le produit brut mais le bonheur brut ! » Quatre piliers définissent le BNB : la bonne gouvernance,undéveloppementéconomique durable (la moitié du pays est préservée grâce à la présence de parcs nationaux), la protection de l’environnement (1er pays au monde à vivre d’une agriculture 100 % bio) et la préservation de la culture. Il est ainsi interdit d’y construire une maison d’un autre style que le traditionnel bhoutanais : une sorte de chalet dont la toiture est couverte de fresques avec des phallus géants qui portent bonheur. La théorie du bonheur est inscrite depuis 2008 dans la Constitution du Bhoutan. Mais, au départ, le bonheur bhoutanais n’était pas pris au sérieux. Jusqu’à ce qu’en 2012, Le Bonheur National Brut Au pays du Bhoutan, économie et bonheur sont au même plan. 33 indicateurs servent à mesurer l’enthousiasme des habitants. Derrière les sourires se cache pourtant une réalité plus terne. l’ONU instaure une journée internationale du bonheur, le 20 mars. Malheureusement, la même année, le Bhoutan a subi une crise de crédit. En 2013, suite au début des relations économiques avec Pékin, le voisin indien a stoppélessubventionssurlegazetl’essence, causant la déprime du pays du bonheur. Les prix ont flambé et le pays a plongé dans de graves difficultés économiques. Chômage, pauvreté, corruption, criminalité et problèmes sociaux. Ces difficultés quotidiennes ont entrainé une forte consommation de drogues et d’alcool, mais pas de tabac, interdit depuis 2004 pour préserver la santé des Bhoutanais. Un rapport révélait en 2013 que les habitants ont bu 6,7 millions de litres d’alcool sur les 6,9 millions produits dans le pays. Le royaume n’ayant que 700 000 sujets, cela fait une moyenne de 98 litres d’alcool par an et par habitant. Tous ces problèmes ont épuisé le docteur Chencho Dorji, le seul psychiatre du pays en 2013. À lui tout seul, il s’est déjà occupé de 5 300 dépressifs, alcooliques et toxicomanes. Ils représentent plus de 50 % de ses patients. De quoi devenir maboule et frôler le burn- out. La psychiatrie n’est pas développée au Bhoutan car les malades sont très croyants. Persuadés d’être possédés par un esprit, ils font appel à la magie noire… par Laura Bruneau Ci-contre : Illustration par hinkingartist.com © Tous droits réservés.
  • 6. Numéros Zéro / xx RENCONTRE AVEC Malene Rydahl
  • 7. Numéros Zéro / 07 Dans votre livre, Heureux comme un Danois, vous révélez de nombreux aspects de la vie au Danemark qui expliquent le bonheur de son peuple. Pouvez-vous nous donner les principales clés de cette joie de vivre ? Il y a trois axes fondamentaux qui expliquent cela. Dans un premier temps, c’est une question de confiance, envers la société et envers les autres. 84 % des Danois ont confiance en leurs institutions, par exemple. Il y a aussi l’indépendance et la liberté de choisir sa vie. Selon moi, en France et dans d’autres pays, il y a une tendance à vivre dans ce que j’appelle la liberté « buffet », le fait de pouvoir choisir parmi ce qu’on te propose et rien d’autre. Au Danemark c’est différent. L’éducation nationale danoise mise sur le développement de la personnalité de chacun, il n’y a pas de matières plus valorisées que d’autres. C’est là un pilier important de notre société. Plus on est capable de choisir sa vie, plus la possibilité de vivre heureux est grande. Le troisième axe repose sur la responsabilité individuelle au projet commun. Les Danois sont fiers de leur système social et ils veulent payer leurs impôts car ils savent très bien où ces dépenses vont, ce qui revient à la notion de confiance. Tout le monde doit participer. Celui qui ne contribue pas est, d’une certaine manière, rejeté. Vous revendiquez aussi les moments « hygge », qui ont un rôle important dans le bonheur. Que signifie ce terme ? Il s’agit d’une intimité chaleureuse, avec une forte connotation sociale. Cela désigne les bons moments passés en famille, entre amis. Nous l’utilisons tout le temps dans notre langue « Les Danois acceptent plus facilement la vie telle qu’elle est. » propos recueillis par Romain Lambic C’est à deux pas de la Place de la Concorde, en plein cœur de Paris, que le rendez-vous est fixé. La nuit tombe et Malene Rydahl, chaleureuse, vient illuminer ce début de soirée. Avec son français parfait, agrémenté d’un accent typiquement danois, elle tente de définir le bonheur de son pays et d’expliquer ce qu’est, pour elle, l’optimisme, tout en donnant quelques conseils simples pour retrouver la positive attitude. Quoi de plus normal pour l’auteur de l’ouvrage Heureux comme un Danois (Grasset, 2014), élu livre le plus optimiste de l’année 2014 par la Ligue des Optimistes de France ? Rencontre. Ci-contre : Malene Rydahl, auteur de Heureux comme un Danois. © Tous droits réservés.
  • 8. Numéros Zéro / 08 et c’est une volonté de rendre ce bonheur accessible à tout le monde, comme une forme de partage. Il y a une idée de rassemblement, de lutte contre l’exclusion. À mon sens, c’est une belle vitrine de la culture danoise. Les Danois sont heureux. Mais sont-ils optimistes ? (Elle réfléchit longuement.) Je dirais qu’ils sont optimistes sur leur avenir grâce à leur liberté de choisir. Au Danemark, je pense que nous sommes des optimistes réalistes. Nous sommes très terre à terre, très modestes, nous avons des rêves réalistes. Nous acceptons plus facilement la vie telle qu’elle est, ce qui est une manière de mieux la vivre. Voilà ce que signifie l’optimisme pour moi : ne jamais renoncer à ses rêves et croire que c’est possible, mais rester réaliste sur le chemin à faire et l’effort qu’il faut mettre pour y arriver. Une récente enquête internationale fait des Français l’un des peuples les plus pessimistes. Le constatez-vous au quotidien ou autour de vous ? J’ai constaté qu’individuellement les Français, en tout cas ceux que je connais, ne sont pas si pessimistes mais disons que les médias ne contribuent pas à donner plus d’optimisme. Je pense aussi qu’il existe des mécanismes inconscients que Philippe Block décrit dans son livre, intitulé Ne me dites plus jamais bon courage, où il révèle que les gens ont l’habitude de se dire « bon courage » plutôt que de dire « bonne journée », c’est un réflexe de pessimisme inconscient. Que conseilleriez-vous aux Français pour retrouver de l’optimisme ? Il faut déjà faire attention à ses paroles et à la manière d’aborder la vie. Il faut aussi continuer d’y croire, ne pas renoncer à ses rêves malgré la crise. Essayer de trouver du plaisir à atteindre ses objectifs même si ce n’est pas facile, malgré les obstacles. Quand on suit ses rêves, ce combat a du sens, il y a un sentiment de bien-être. Mais il faut aussi trouver du plaisir dans le chemin qui nous emmène vers nos objectifs, sinon on risque de se focaliser sur le passé ou le futur et non sur le présent. Comment créer de l’optimisme en entreprise ? La notion de confiance en soi et aux autres est importante. Il ne faut pas avoir peur de poser des questions, cela fluidifie les relations. En tant que directrice de communication, j’ai une grande confiance en mon équipe. Si une erreur est commise, j’en prends aussi la responsabilité et nous résolvons le problème ensemble. Il est hors de question de punir les gens ou de les presser comme une orange. Il faut aussi avoir des horaires de travail assez souples pour pouvoir profiter de la vie, des soirées pour prendre du plaisir au bureau, c’est ce qui peut établir le bien-être en entreprise. Est-ce une bonne idée de faire appel à un coach pour trouver la voie du bonheur ? C’est mieux que rien, s’il peut aider à orienter la personne vers une meilleure gestion de sa vie. J’encourage toutes les initiatives qui invitent l’humain à aller dans le bon sens, pour trouver le bonheur, le bien être. Nous devrions tous aller voir un psychologue pendant six mois dans notre vie, sans forcément avoir de problème de conscience, cela peut être un bon accompagnement sur la manière d’orienter sa vie, de trouver le bon chemin. Quand vous étiez enfant, votre premier rêve était de devenir ambassadrice du Danemark et vous l’êtes, en quelque sorte, devenue avec ce livre. Qu’est-ce qui vous a encouragé à l’écrire ? C’est drôle, car j’ai pensé à cela lorsque j’écrivais la conclusion de ce livre. Je me suis dit : «  Si jamais mon livre sur le bonheur au Danemark devient un succès, d’une manière je réaliserai mon premier rêve d’enfant ! » Mais sinon, la raison est simple. C’était pour moi passionnant d’expliquer pourquoi les Danois sont heureux, j’avais envie d’en partager les raisons, finalement assez simples, et de rendre cela accessible à tous. Avez-vous trouvé votre bonheur ? Je vis en accord avec moi-même et je suis de nature joyeuse. Quand je me réveille, j’ai ce sentiment de bien-être car je me suis battue, j’ai donné un sens à ma vie. Je me sens bien et j’ai la chance de vivre beaucoup de moments « hygge », ce qui m’offre aussi beaucoup de ressources dans les moments difficiles.
  • 9. Numéros Zéro / xx ENTREPRENDRE
  • 10. Numéros Zéro / 10 L’amoureux des abeilles 2014 a été une année noire pour les apiculteurs, confrontés à des pertes de 50 % à 80 % de leur production. En cause, les conditions climatiques et les pesticides qui fragilisent les abeilles, victimes de maladies. Leur disparition serait dramatique selon les scientifiques, car en tant qu’insectes pollinisateurs, elles permettent la reproduction des espèces végétalesetdonclemaintiendelabiodiversité. Face à ce constat, Régis Lippinois, lui, n’a pourtant pas le bourdon. Ce quarantenaire a décidé, depuis six ans, de faire partager sa passion des abeilles. Déjà auteur du concept jepartage.com où les internautes se regroupent pour se louer ou prêter, entre autres, parcelles de jardins et espaces de bureaux, il est aussi le directeur de l’entreprise rochelaise Un toit pour les abeilles. Une initiative qui permet aux entreprises et aux particuliers de parrainer des ruches à partir de 96 € par an, en recevant en échange leurs propres pots de miels. «  Il y a dix ans, personne ne parlait de la disparition des abeilles mais, désormais, les gens ont pris conscience de ce problème », commente Régis Lippinois qui avait tenté il y a quelques années un projet similaire. Aujourd’hui, son projet est soutenu par plus de 400 entreprises et plus de Citoyens engagés : ils nous rendent optimistes par Élise Saint-Jullian Ils croient en l’avenir des librairies, des abeilles ou encore dans la nécessité du vivre-ensemble. Face à la crise économique, aux problèmes environnementaux, au terrorisme, ils ont décidé de rester optimistes, ou du moins ils veulent continuer à agir pour améliorer notre société. Focus sur des initiatives de citoyens qui redonnent espoir.
  • 11. Numéros Zéro / 11 8 000 particuliers. Mais bien que la situation soit toujours morose pour les abeilles, le Rochelais reste optimiste. «  Oui je crois en l’avenir des abeilles, elles s’en sortiront. Il y aura toujours des foyers sur la planète et elles savent s’adapter au climat malgré tout. Mais il faut continuer à les protéger », souligne t-il. « Ce qui est important c’est notre travail au quotidien, même si c’est une goutte d’eau », ajoute t-il. Pour Flavie Briais, une de ses collaboratrices, leurs actions ne résoudront peut-être pas la disparition des colonies mais elles permettent au moins d’augmenter leurs chances de survie et de maintenir la profession d’apiculteur. Un pari réussi avec aujourd’hui quelques 33 298 000 abeilles parrainées. Mais l’équipe d’Un toit pour les abeilles souhaite désormais dupliquer cette opération en Suisse et en Belgique et développer une apiculture à l’ancienne, encore plus respectueuse des abeilles. La solidarité avec les migrants Depuis la place Baudoyer, dans le 4e  arrondissement de Paris, Nathalie Baschet a parcouru tous les continents. Chaque dernier jeudi du mois, elle organise à la mairie Le goût de l’autre, des dîners qui rassemblent autour d’une même table Français et migrants afin d’aller au-delà des préjugés. « Il s’agit de connaître des gens que l’on ne rencontrerait pas dans son quotidien, dans son milieu social », explique la bénévole du réseau Chrétiens Immigrés, à l’origine de ces repas. Tout commence en 2008 lors des cours de français que Natalie Baschet donne à des Sri- Lankais,lesunsTamouletlesautresCinghalais, deux populations en guerre civile pendant plusieurs décennies. Les cours se passent bien, surtout ceux du samedi matin qui rassemblent encore d’autres nationalités. Ils commencent à fêter entre eux des anniversaires, l’obtention d’une carte de séjour. « On s’est dit que cette bonne ambiance devait se poursuivre et s’ouvrir à tout le monde ». Depuis, l’enseignante en est à son 54e  dîner, avec cette fois-ci un menu franco- camerounais. Ce dîner a d’autant plus de sens qu’il survient juste après les attentats qui ont secoué la France début janvier. Une occasion de rappeler à tous les convives qu’il faut continuer à aller vers l’autre au quotidien, écouter, et partager malgré les différences. À ce repas, un couple libano- japonais, un Italien, une femme ayant vécu plusieurs années en Égypte, une Française qui a marié sa fille à un Malien grâce au Goût de l’autre. La bonne ambiance est au rendez- vous : pot au feu d’igname, un peu de culture camerounaise, des discussions variées, avec en toile de fond un morceau de musique mariant notes orientales et occidentales. «  J’ai découvert un monde qui m’a fasciné, des relations de qualité, qui ne passent pas par les codes sociaux habituels », se réjouit Nathalie Baschet, qui semble avoir trouvé aussi la bonne recette du vivre-ensemble. L’application au service des libraires Les librairies françaises voient leurs ventes chuter de 10 % par an. Avec la concurrence du site de vente en ligne Amazon, on estime qu’en 2017, seul un livre sur trois sera vendu en librairie réelle, dont le nombre reste élevé, environ 2 500 en France. Elliot Lepers, 22 ans, avoue avoir déjà acheté sur Amazon quand il vivait à Berlin car les livres qu’il souhaitait n’étaient pas disponibles en Allemagne. Mais ce lecteur invétéré commande toujours ses livres dans les librairies indépendantes. Il a décidé qu’il fallait avertir les autres citoyens. Étudiant en art design à Paris, il a dirigé la campagne web d’Eva Joly en 2012 et est le développeur du site Macholand.fr, qui combat le sexisme. Il y a quelques semaines, il a décidé de mettre ses talents en informatique au service d’une nouvelle cause. Une loi récente interdit la gratuité des frais de port pour les ventes de livres sur Internet, mais Amazon les a fait passer à 1 centime d’euro.
  • 12. Numéros Zéro / 12 « J’ai trouvé cela particulièrement malhonnête de leur part et j’ai voulu y apporter une réponse citoyenne concrète », explique le jeune homme. «  J’ai juste codé un pont entre Amazon et Place des libraires, une plateforme de gestion des stocks », détaille Elliot Lepers. Ainsi, les internautes, en installant l’application Amazon-Killer, une extension sur Google Chrome, peuvent voir rapidement dansquellelibrairiesetrouvelelivredontilsont besoin. « Amazon-Killer est simplement une petite alarme pour les gens qui sont habitués à acheter sur Amazon, pour leur rappeler qu’il existe une alternative », justifie l’étudiant, qui ne prétend pas avec son outil sauver les libraires, pourtant très reconnaissants de son initiative. Il dit même avoir été contacté par la Fédération Européenne des Libraires (FEL), pour généraliser son dispositif au niveau européen. Elliot Lepers conseille aux citoyens d’acheter des livres aux libraires les plus en difficulté et de partir à leur rencontre. Car pour lui, le choix d’Amazon ou non, c’est aussi se demander à quoi on veut que nos villes ressemblent. « Moi j’ai envie de voir dans les rues de vieilles librairies un peu bordéliques. Ça me plaît. »
  • 13. Numéros Zéro / 13 Nathalie Baschet, organisatrice de le goût de l’autre. Illustration par hinkingartist.com © Tous droits réservés. « Il s’agit de connaître des gens que l’on ne rencontrerait pas dans son milieu social »
  • 14. Numéros Zéro / 14 Surcharge de travail, pressions, absence de reconnaissance, stress… Ces notions font partie de la vie quotidienne des salariés hexagonaux. Le burn-out, épuisement lié aux conditions de travail, touche désormais 17 % des salariés – chiffre qui grimpe à 24 % chez les managers. Selon cette même étude de l’institut Think réalisée pour le cabinet Great Place to Work, les salariés estiment que seule la moitié des entreprises prennent en compte leur bien-être. Des évaluations à argumenter «  On s’intéresse aux gens sous forme de problématiques, estime Christine Cayré, gérante de la jeune société de conseil Affaires d’optimisme. Or, il faut considérer ce qui marche avant de s’intéresser à ce qui ne marche pas. » C’est dans cette optique que ses collègues et elle-même ont imaginé une série d’interventions au sein de grandes entreprises, comme le Crédit Agricole, La Poste ou encore Sanofi. La journée de formation au service postal, par exemple, a concerné 150 managers l’année dernière et a eu pour thème « le bureau de poste idéal ». « Il faut rappeler aux individus qu’ils ont du pouvoir dans ce qu’ils font. Pendant ces sessions, on s’écoute activement, on fait des propositions ensemble, on se reconnaît et se relie », explique Christine Cayré, pour qui l’optimisme, c’est avant tout le fait de s’appuyer sur une expérience réussie et en être satisfait. Cette vision est partagée par Charles Martin-Krumm, chercheur dans le domaine de la psychologie positive. «  Un employé va être optimiste grâce à un sentimentd’efficacitépersonnelle,lasensation qu’il a les ressources pour réaliser des tâches précises  », raconte-t-il. En revanche, toute félicitation ou évaluation doit s’accompagner d’une argumentation. Un employé qu’on félicite sans lui expliquer les raisons de son succès ne verra pas s’accroître sa confiance en lui. Si l’optimisme est à tel point une bataille dans le monde de l’entreprise, c’est parce que les facteurs qui l’entravent sont remarquablement nombreux aujourd’hui. Le sentiment d’avoir perdu d’avance, le manque de soutien et de marge d’autonomie, le contrôle excessif des individus sont, selon Charles Martin-Krumm, autant de freins à cet état d’esprit nécessaire au travail. Pas d’augmentation de la productivité Nécessaire, car selon une étude de Martin Seligman, le père fondateur de la psychologie positive, les gens les plus optimistes sont aussi les gens les plus persévérants. En plus de se décourager moins vite, ils ont une personnalité plus ouverte au changement, aux nouvelles façons de faire et Travailler, c’est positiver par Anton Kunin Il y a cinq ans, la vague de suicides chez France Télécom et La Poste révélait au grand jour l’intenable pression psychologique et la course effrénée aux objectifs trop ambitieux qui peuvent exister dans les grandes entreprises. Depuis, le monde de l’entreprise en a pris conscience : le bien-être et l’optimisme au travail sont devenus des valeurs convoitées.
  • 15. Numéros Zéro / 15 génèrent de l’enthousiasme au sein de leurs équipes, remarque Philippe Gabilliet, docteur en sciences de gestion et conférencier sur le thème de l’optimisme au sein d’entreprises. Un employé optimiste a, selon lui, tendance à voir une amélioration possible des choses, croit au pouvoir de l’action, tout en refusant le perfectionnisme. Responsable de projet chez Crédit Agricole Cards & Payments, Cécilia Lacan a invité en 2014 tous les salariés qui le souhaitaient à participer à une journée de « démarche appréciative », qui implique de comprendre les raisons et les acteurs des réussites du passé pour planifier une nouvelle action réussie, grâce à la créativité qu’offre le travail en équipe. « À l’opposé du cadre formaté, étouffant, les participants se sont sentis libérés de leur parole, de leur créativité », estime Christine Cayré, qui co-organise ces journées. « Le problème chez nous, c’est que chacun travaille dans son coin. On ne se parle pas et ne se connaît pas vraiment entre équipes », indique à son tour Cécilia Lacan, chargée du volet optimisme d’un plan interne d’amélioration continue et de transformation. « Cette journée a permis d’abattre les barrières, d’émettre des souhaits, de repartir avec des solutions concrètes et de retenir des choses à mettre en place », conclut-elle. Une cinquantaine de personnes ont déjà participé à ces journées de « démarche appréciative » au sein de cette filiale de la banque, et 95 % des participants ont apprécié l’expérience. Si le retour sur ces formations est largement positif, elles ne peuvent pas être utilisées pour faire du chiffre, comme augmenter le volume des ventes ou la productivité, prévient Charles Martin-Krumm. « Il ne peut pas y avoir de prétexte pour maintenir une pression excessive sur le salarié. On donne des outils pour l’individu, mais l’entreprise aussi doit ajuster un certain nombre d’éléments », estime-t-il. Les initiatives liées à l’optimisme ne peuvent donc être efficaces que si l’ensemble de l’entreprise s’y attache.
  • 16. Numéros Zéro / xx POSITIVER
  • 17. Numéros Zéro / 17 Arthur, 24 ans, est le pur produit d’un plan à trois. D’un côté il y a ses parents : Agnès et Frédéric nés dans les années 60-70, des hippies fou amoureux. Et de l’autre, une société happée par les nouvelles technologies. Jeune, Arthur s’endort bercé par des comptines mais aussi par des conversations d’où s’échappent les mots « crise » ou « chômage ». Comme 13 millions d’individus en France, âgés de 18 à 30 ans, il fait partie de la génération Y. Cette génération n’est pas extraordinaire, n’a pas de super-pouvoirs apparents, si ce n’est d’être accrochée à son smartphone comme Spiderman l’est à sa toile. Pourtant tout le monde l’épie et parle d’elle. La majorité du temps ce sont les grands-parents, parents, politiques et chefs d’entreprise qui font siffler ses oreilles, à force de lui prédire le plus morose des avenirs. Un sondage réalisé en 2013 par Ipsos-CGI-Publicis et publié dans Le Monde dévoilait que les Français étaient pessimistes quant à l’avenir de leurs enfants, 72 % d’entre eux pensaient que leurs enfants vivraient moins bien qu’eux à leur âge. La belle affaire. « Lavaleurclé,c’estl’épanouissement individuel » Il est vrai que, dans les faits, la génération Y galère. Les indicateurs du taux de chômage sont dans le rouge : au troisième trimestre 2014, le taux de chômage des jeunes atteint 23,7% et la précarité, elle, se fait de plus en plus grande. Les études sociologiques démontrent que cette jeunesse ne croit pas en la société. Massivement, les jeunes se disent « désabusés ». Mais il ne faut pas s’y méprendre, si la génération Y croit en quelque chose, c’est bien en elle-même, comme le souligne Myriam Levain, journaliste et co-auteur de La Génération Y par elle- même : « La valeur clé de la génération Y, c’est l’épanouissement individuel. Attention, ce n’est pas une génération égoïste, mais elle donne un sens à tout ce qu’elle fait. » Alors, côté boulot, même si le CDI est aux abonnés absents, la génération Y reste optimiste. Élevée sur fond de crise économique, ses aînés lui ont inlassablement répété que rien ne serait acquis. Myriam Levain dirait même plus : Génération Y : une souplesse sans faille par Mathilde Blin PORTRAIT : Précaire mais reine du système D, la génération Y puise son optimisme dans une vision très réaliste de la société. Nous remercions la dessinatrice Louison pour son dessin issu du livre Y comme Romy (Laffont, 2014). © Tous droits réservés.
  • 18. Numéros Zéro / 18 «  Elle savait qu’elle allait en baver.  » Aujourd’hui elle s’accommode donc de son sort de jeune diplômée qui enchaîne les CDD, payés au lance-pierres, il faut le préciser. Mais sous ses airs blasés cette génération est maligne et créative. Elle décide donc de faire de cette précarité de l’emploi un atout. Pour cela, elle multiplie les expériences et, par conséquent, les compétences et les contacts. C’est le cas de Lola, 23 ans, diplômée depuis deux ans maintenant d’une école de stylisme. Très vite, elle s’est confrontée à un problème de taille : le CDI c’est comme le Saint Graal… le roi Arthur le cherche toujours. « Le CDI c’est comme le Saint Graal... le roi Arthur le cherche toujours » En 2005, ce sont 155 000 couples qui ont mis fin à leur relation devant les tribunaux. Un bel exemple pour la génération Y biberonnée aux histoires d’amour Walt Disney. Une génération un poil désenchantée à l’image de Jules, 22 ans, qui ne croit plus au mariage à cause du divorce de ses parents. Malgré tout, il croit en l’amour. «  Ce qui nous permet d’être optimiste c’est que l’amour c’est de tout temps, dans tous les pays et à toutes les époques », explique Myriam Levain. Alors la génération Y réécrit elle-même les codes de l’Amour avec un grand A. Être célibataire ou en CDD sentimental, comble de la précarité, n’est plus une tare. Les Y grignotent à droite à gauche et prennent le meilleur de chaque partenaire. Après tout, ils ont toute la vie pour tomber amoureux. Mais pour elle, pas question de s’apitoyer sur son sort. Elle passe du stylisme mode au stylisme culinaire, s’installe dans un bureau de tendances avant de se lancer dans le digital. Ses parents se sentiraient davantage rassurés avec un boulot fixe, mais ils lui laissent la liberté de ses choix. Elle apprécie. « J’aime être polyvalente et ma priorité c’est d’enrichir mon carnet d’adresses. Si on me proposeunCDIceseraitfoumaisjenesaispas si je serais heureuse le matin en me réveillant, je me dirais qu’en quelque sorte je me suis enfermée ». Le seul problème pour Lola serait de choisir un métier, un seul, à mettre en avant sur son curriculum vitae. La précarité de l’amour Mais toute la génération Y ne s’épanouit pas au travail :« Lebouloty’enaqueçaéclate etd’autres non. À 17h01 ils ont déjà quitté le bureau  », argumente Myriam Levain en expliquant que, dès lors, c’est sur leur vie personnelle qu’ils comptent. Et c’est là que la génération X, les parents, entre en jeu. Ils crient haut et fort qu’à défaut d’un boulot fixe, c’est sur l’amour qu’il faut miser. Facile à dire lorsque l’on est la génération qui a le plus eu recours au divorce. Selon l’Insee (Institut National de la Statistique et des Études Économiques), entre 1962 et 1990, le nombre de divorces a été multiplié par trois.
  • 19. Numéros Zéro / 19 Des films qui vous veulent du bien par Pauline Thuillot Vous venez de passer une rude journée ? Vous avez un gros coup de blues et votre moral est tombé dans les chaussettes ? Pas d’inquiétude, nous avons trouvé le remède : les feel-good movies. Vous ne connaissez pas ? Petite séance de rattrapage.
  • 20. Numéros Zéro / 20 Qu’est-ce qu’un feel-good movie ? Le cinéma est riche. Entre un film de Stallone bourré de testostérone et une comédie romantique à l’eau de rose, il possède une multitude de versants. Les fameux feel-good movies en font partie. Ce sont généralement « des mélodrames qui se terminent bien, des films portés par l’espoir », où l’optimisme est la première caractéristique selon Pierre Fonsagrive, rédacteur en chef du webzine Cinémapolis. « Pour que ces films fonctionnent pleinement, il faut une situation initiale très décourageante. Et sans doute, aussi, un brin de naïveté. » La Guerre est déclarée en est l’exemple même. Ce long-métrage relate le rude combat d’un couple contre la maladie de leur fils atteint d’une tumeur au cerveau. «  C’est un feel-good movie par excellence. Il part d’un postulat extrêmement grave (ndlr : le cancer) mais montre ensuite le refus de se laisser vaincre par le marasme », précise Pierre Fonsagrive. « Ce sont des films qui nous touchent, raconte Didier, un amateur de 59 ans. Ils nous parlent de notre quotidien, de choses qu’on a pu vivre. Ce ne sont pas depuresfictions,aucontraire,onpeuts’identifier, se retrouver dans ces films. » Toutefois, tout le genre n’est pas composé que de mélodrames. Il englobe aussi les comédies. Même si, selon Jean-Claude Guerrero, toutes les comédies ne sont pas nécessairement des films-bonheurs et vice- versa.Présidentdel’AssociationduFestivaldes Films Bonheur, il propose une autre définition. « Ce sont des films qui savent mélanger le rire au fantastique, l’émotion à l’action, le rythme à l’humanité ! Ils savent dénicher et montrer de la générosité au milieu d’une action débridée, de l’humanisme au cœur d’une mondialisation effrénée, de la loufoquerie et de l’émotion face à une terrifiante absurdité et faire d’un spectacle cinématographique un énorme clin d’œil à la vie. » La recette du succès Mais, au fait, quelle est la recette pour concocter un bon feel-good movie ? Tel un grand chef, Jean-Claude Guerrero nous livre sa recette idéale. Il y a cinq ingrédients pournepasrestersursafaim.« Cela ne peut pas être un film sans émotion. C’est ce qui va donner à ses autres qualités une générosité, une épaisseur qui va faire que le film sortira de la simple pochade, de la parodie ou du film d’action lambda pour se mettre en perspective, prendre une force différente, et s’élever au-dessus du lot ». Il faut aussi de l’humour et du rythme. « Le genre est le plus souvent drôle mais le spectateur doit sentir, en conjuguant l’histoire, l’émotion et l’humour, que le film avance avec une réelle vibration interne. » Des productions comme Little Miss Sunshine ou Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain bénéficient également d’une pincée d’inattendu, des situations extraordinaires «  que doit absolument intégrer tout film- bonheur qui se respecte », estime Jean- Claude Guerrero. Mais si Juno – œuvre qui parle d’une jeune fille de 16  ans enceinte qui souhaite faire adopter son futur enfant – a crevé l’écran, c’est avant tout dû à son humanité. « On aime les feel-good movies parce qu’ils nous montrent que les valeurs prônées par notre éducation, par notre famille fonctionnent, explique Florian, 24 ans, au détour d’une séance. Les feel-good movies agissent un peu comme une catharsis ». Vecteurs d’optimisme, ces films séduisent grâce aux valeurs qu’ils portent, comme la solidarité, l’entraide ou l’amitié. Pour Pierre Fonsagrive, le constat est encore plus simple : « Les gens aiment se sentir bien. C’est un peu idiot à dire, mais c’est pourtant essentiel. » « Les gens aiment se sentir bien »
  • 21. Numéros Zéro / 21 Qu’est ce qui m’a pris d’aller à un cours de tai chi ? « Un art martial relaxant », m’avait-on dit. Tu parles ! J’étais venue pour me changer les idées et essayer ce que, je m’imaginais, pourrait me procurer une sorte de paix intérieure. Au lieu de ça je souffre ! Voilà deux minutes que je tiens la position de la chaise - celle qui fait atrocement mal aux cuisses dans les séances d’aérobic - sans mur contre lequel m’appuyer. « Maintenant on attrape le tigre et on le ramène sur la montagne », poursuit le professeur. Ne comprenant en aucun cas la signification de cette consigne, j’imite mes voisines. La quinzaine de participantes commence à faire de grands cercles avec leurs bras à vitesse d’escargot. Elles doivent avoir trois fois mon âge, mais s’en sortent dix fois mieux que moi... Devant mon visage sûrement déformé par la douleur qui monte maintenant dans mes bras, une de mes camarades me confie que « ça ira mieux la prochaine fois ». Toute à son aise et souriante, elle poursuit : « Tudoisavoirtropdetensionsentoi,lephysique est encrassé par le mental. » Le mental ou le moral ? À 23 ans, tout ça n’est pas toujours au beau fixe. Des jours de déprime, ça arrive, certes. Mais quand c’est répétitif, qu’est ce que ça dit ? Qu’on n’est pas heureux ? À en croire Claudia Senik, professeur à l’École d’économie de Paris, le mal qui me À la poursuite du bonheurpar Inès Belgacem Être bien dans ses baskets, oui, mais pas trop non plus ! Les petits tracas du quotidien plombent rapidement le moral . À tel point que la question « suis-je vraiment heureux ? » se pose bientôt. Inès a décidé de ne plus s’interroger. Elle a sauté dans ses sneakers, en quête du bonheur.
  • 22. Numéros Zéro / 22 ronge est bien français. Pour elle, la population hexagonale est ronchon, grincheuse et bien moins heureuse que ne pourrait le prédire son Indice de Développement Humain (IDH). Un problème qu’elle met sur le dos d’une éducation et d’une socialisation nationale particulière, plus fataliste que chez nos voisins. L’IDH français, outil permettant d’évaluer les conditions de vie d’un pays, se place à la vingtième position mondiale et à la sixième européenne selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de 2014. Une place somme toute convenable. Les Français font pourtant partie des plus grands consommateurs de psychotropes en Europe, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Cette dernière ajoute que le suicide était en 2013 la deuxième cause de mortalité chez les 15-44 ans, après les accidents de la route. Un bien triste portrait, dans lequel j’ai décidé de ne plus figurer. Malade de réussite Bille en tête, je rentre chez moi me cacher sous ma couette, les jambes flageolantes, et fonce sur Google. « Comment être plus heureux ? » Je tombe alors sur Alexandra de Roulhac, coach bonheur. Un drôle de titre qu’elle s’est attribué seule : « Je n’ai pas de formation particulière, ma thérapie fonctionne sur les principes de base de la psychologie positive », m’explique-t-elle quelques jours plus tard dans le salon d’un petit hôtel de Saint-Cloud. Elle est coach depuis 7 ans. Son but, redonner confiance à ses patients  : «  Ils ont tout pour s’épanouir, il faut simplement leur rappeler. » Ses conseils ont pour ambition d’aider à prendre conscience de ses qualités et sont majoritairement dispensés à une clientèle féminine. « Elles ont en général entre 25 et 35  ans et sont bien sous tout rapport  : elles ont un job de rêve et à responsabilité, un copain au top, sont mignonnes, entourées, sociables. Le problème c’est qu’elles sont trop exigeantes avec elles-mêmes… » Exigence va souvent de pair avec ambition, devenue par ailleurs un trait de caractère prégnant pour les Françaises. Elles étaient 69 % chez les 18-24 ans et 63 % chez les 25-34 ans à se définir naturellement comme ambitieuses l’an passé, d’après l’Observatoire Terrafemina réalisé par le CSA. Depuis les années 1980, on encourage les femmes à l’autonomie. Un héritage historique qui est arrivé jusque dans la bouche de mon père, à tel point qu’il me donne les mêmes conseils que les rappeurs américains : « Fais ce que tu veux dans ta vie mais surtout fais de l’argent  ! » Le tout est devenu une sorte de leitmotiv qui a fini par me rentrer dans la tête naturellement, j’imagine. Envisager de grandes études, des jobs renommés, des payes conséquentes est devenu normal. Ne pas se contenter de moins aussi. Un avis partagé par Joséphine, 32 ans, chef de projet marketing dans une boîte de communication parisienne : «  Je me mécontente d’un rien, mais ne m’enthousiasme jamais sur mon travail. On peut toujours faire mieux finalement », raconte-t-elle. Joséphine passait ses journées au boulot et parfois même ses soirées. Son rythme était devenu normal, son travail une priorité. «  Je crois que dans ma tête, mon bonheur tenait à ma réussite sociale. » Jusqu’à ce qu’un soir de novembre, elle craque. « J’ai balancé mon ordi par terre, crié au téléphone sur mon mec et me suis à moitié évanouie devant mes collègues médusés… », se remémore-t-elle, honteuse. La jeune femme est pourtant loin d’être une violente, sa voix douce et fluette en atteste. Son docteur a diagnostiqué unburn-out,déclenchéparlestressetlemanque desommeil.AlexandradeRoulhacpréfèreparler « d’exigence maladive » : « Même adulte, on garde toujours la petite voix de Papa et Maman dans sa tête. Ça donne des filles ambitieuses, toujours au top, qui n’apprécieront jamais leur travail et ne seront jamais comblées. » C’est quoi le bonheur ? Prise de conscience immédiate : c’est mon travail qui va faire mon bonheur ? Et puis, c’est quoi le bonheur ? Je décide d’improviser un sondage autour de moi. « Ça reste des choses simples, le moment présent. Comme par exemple quand tu manges des Kinders »,
  • 23. Numéros Zéro / 23 me répond tout naturellement Matthieu, pourtant tout aussi anxieux que moi quant à son avenir immédiat sur le marché du travail. Pour Marion, le bonheur c’est son lit, des séries et sa tranquillité. Quoiqu’elle s’imagine mal assumer indéfiniment une vie de paresse. « Le bonheur, c’est une carotte qui te permet de continuer à faire des choses manifestement perdues d’avance », conclut finalement Yacine, fataliste. « Il faut se foutre la paix un peu ! Arrêter de se faire des reproches, se soutenir, … Et puis partir à la recherche du bonheur ça ne veut rien dire ! » m’engueule à moitié au téléphone Florence Servan-Schreiber, psychologue et auteur de 3 kifs par jour et Power patate. Elle m’explique qu’avoir des envies est normal, même si toutes ne sont pas réalisables. Le problème resterait l’ordre de nos priorités : «  Les gens ont notamment besoin de faire baisser le rang de l’argent dans leurs priorités. Argent et bonheur n’ont jamais eu de liens. » Et pour la réussite professionnelle ? «  Si on n’est pas satisfait de son travail, c’est qu’on ne s’assume pas tout à fait et qu’on veut toujours gommer ses défauts  ; alors qu’au contraire, il faut avoir de la tendresse et de la compassion pour ses défauts. » Florence Servan-Schreiber définit le bonheur en trois points : le plaisir, l’engagement (soit ne pas rester dans la contemplation) et le sens (c’est-à-dire savoir à quoi sert ce que l’on fait). Un poil bisounours, elle ajoute que positiver et trouver de la satisfaction dans ce que l’on fait sont nécessaires. Raison pour laquelle elle propose de s’énumérer les « 3 kifs » de sa journée tous les soirs. « Il faut faire ce qui nous épanouit, un point c’est tout ! » Dans le train qui me ramène chez moi, casque sur les oreilles, je mets donc à exécution les conseils de la psychologue : 1) j’ai mangé des sushis, c’était top ! 2) j’ai failli perdre mon portefeuille dans le train, mais un passant m’acouruaprèspourmelerendre.3)jesuisallée au cinéma, le film était nul, mais j’ai beaucoup ri avec une amie. Étonnamment, rien à voir avec ma journée au boulot, qui a ses hauts et ses bas par ailleurs. Le bonheur n’a finalement rien deconstant.En24 heures,passerpardifférentes phases plus ou moins agréables est normal et ne devrait pas nous plomber le moral. La clé, c’est la confiance en soi et l’optimisme. En fond sonore, le caennais Orelsan : « Tu peux courir à l’infini, et à la poursuite du bonheur la Terre est ronde autant l’attendre ici. […] À quoi ça sert de préparer l’avenir si t’oublies de vivre ? »