Les 120 ans de l’ACF
Discussions et disputes à la Concorde
né en 1895, l’Automobile Club de France élisait trois ans plus tard domicile au 6, place de la Concorde. une adresse prestigieuse ne met pas à l’abri des scènes de ménage. il y en eut beaucoup, mais l’ACF est toujours là et aujourd'hui sous la président de Robert Panhard
Premier club automobile du monde, l’ACF tient le rôle d’une vigie pour l’avenir de l’invention.
Rubrique ARRÊT SUR IMAGE du magazine Rétro Viseur
Texte Robert Puyal et Illustrations Alain Bouldouyre • Rappelons aussi que l’ouvrage, L’Histoire de l’Automobile Club de France, version luxe sous étui, 200 p. illustrées, est disponible à l’A.C.F (6 place de la Concorde 75008) au prix de 40 €
Le document se termine par une vidéo émouvante d'Yves Junne narrant l'histoire de la course automobile via l'ACF pour le Comité des Constructeurs Français d'Automobiles
Frédérique Bedos interviewée en Suisse - Janv 2013
Automobile Club de France 120 d'histoire
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NOVEMBRE 2015NOVEMBRE 2015
DISCUSSIONS
ET DISPUTES
À LA CONCORDE
Récit Robert Puyal – Illustrations Alain Bouldouyre
Né en 1895, l’Automobile-Club de France
élisait trois ans plus tard domicile au 6, place de la Concorde.
Une adresse prestigieuse ne met pas à l’abri des scènes de
ménage. Il y en eut beaucoup, mais l’ACF est toujours là…
Les 120 ans de l’ACF
Jusque-là,
la Place de
la Concorde
paraissait
monumentale.
L’automobile
va très vite
s’occuper de
la rétrécir
et bientôt
en exclure
fiacres,
chevaux et
piétons.
Les bâtiments durent plus longtemps que les voitures et tandis qu’elles leur tournent autour, ils leur servent
de témoins. Ici, devant l’ACF, la cérémonie du centenaire du premier Grand Prix de l’histoire, remporté
par la Renault de Ferenc Szisz, à côté de la F1 d’Alonso, une Renault aussi.
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NOVEMBRE 2015 NOVEMBRE 2015
En France, l’Automobile a commencé sa carrière par
le haut. Ce sont des gens huppés, parmi les plus grosses
fortunes du temps, qui veillent d’abord à son avenir. Ils n’en
étaient pas moins d’authentiques passionnés et ils dotèrent la
nouvelle invention d’une demeure à la mesure des ambitions
qu’ils nourrissaient pour elle. Après quelques années d’errance
(les premières réunions ont lieu chez le Comte de Dion, quai
d’Orsay, puis dans une villa du Bois de Boulogne) le tout jeune
Automobile-Club de France a l’opportunité d’acheter un hôtel
particulier de belle apparence au 6 Place de la Concorde, à
condition de se décider très vite. Trois jours plus tard,
via un aristocrate fortuné qui a bien voulu “faire l’avance”,
le bâtiment est acquis.
1900
Il reste à s’apercevoir qu’il est à peu près à reconstruire, ce qui
prendra encore quelques mois. Garages, bureaux, terrasse avec
vue sur la Place, le Louvre, le Grand Palais, la Tour Eiffel…
L’inauguration des locaux a lieu en juillet 1900.
Repas fins, orchestre tzigane, décor soigné, l’ACF devient
un lieu couru, vite à l’étroit. Il faut acheter l’hôtel voisin,
au n°8, pour répondre à l’affluence. Les activités de plaisance,
y compris un cercle de jeux introduit après absorption du
Yacht-Club de France, occupent l’ACF comme tout autre club ;
pour certains membres, c’est l’essentiel. Mais pour d’autres
(cf. De Dion !), c’est avant tout le lieu de rencontres fécondes
pour l’avenir de l’automobile. L’aristocratie traditionnelle,
qui règne encore sur les usages, et l’élite des entrepreneurs,
sont rapprochées par la Société d’Encouragement, une antenne
du Club. C’est souvent dans les salons de l’ACF
que les idées s’échangent contre de l’argent et que de simples
discussions d’après repas se concrétisent en courses, en salons,
voire en firmes automobiles quelques mois plus tard.
Tout premier club automobile du monde, l’ACF tient alors
le rôle d’une vigie pour l’avenir de l’invention. D’ici, on
oriente les marques françaises, qui sont alors de très loin les
premières du monde, produisant à elles seules autant que
l’ensemble des autres nations. Amis chauvins, si l’occasion
vous en manque aujourd’hui, réjouissez-vous de cette image
de domination tranquille, un peu ancienne mais désormais
historique.
1914
Peu avant la guerre qui va tout changer, le club vit les années
dorées de son existence. Au cercle de jeux s’ajoutent une
piscine et des salles de sport très courues, où l’on ne s’adonne
évidemment pas à l’automobilisme mais surtout à l’escrime !
Qui n’en est peut-être pas si éloignée après tout : il y faut la
hardiesse, le talent, le sens de l’équilibre et surtout un joli
mépris du danger.
D’autres genres de véhicules se pressent sur
la place le 25 août 1944. C’est un char des FFL
qui démolit la façade de l’ACF, que la guerre
épargna et que la paix massacre.
Dans les moments de désordre, manifestants
ou militaires aiment à transgresser les interdictions
ordinaires. Les alliés colonisent joyeusement
la Concorde.
Premier club automobile du monde, l’ACF tient
le rôle d’une vigie pour l’avenir de l’invention.
Déjà, en 14/18, le même processus avait été constaté. Paris se donnait des airs de base arrière du front et les camions
affrétés par l’ACF dérangent ce qu’il reste de circulation quotidienne.
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En 1914, les membres allemands, austro-hongrois, turcs et
bulgares sont aussitôt priés de s’abstenir de fréquenter le
Cercle, les familles des employés mobilisés (53 sur 102 !)
bénéficient d’un fonds de secours, un hôpital de l’ACF est créé,
une partie des locaux cédée à l’Armée pour son service
de propagande.
Et surtout, l’ACF met en œuvre l’automobile pour assurer
l’acheminement jusqu’au front des colis de vêtements ou
de ravitaillement qui ont pu être collectés. Parmi les bonnes
œuvres, celle de “La Cigarette du Soldat” ; ce bien de luxe, qui
se vend à l’unité, est recueilli, conditionné, expédié. La guerre
des tranchées fera beaucoup pour l’expansion du tabagisme !
1944
Vingt ans après la “der des ders”, la guerre est revenue,
puis l’occupation a figé Paris. La Wehrmacht réquisitionne
une partie de l’immeuble, payant rubis sur l’ongle les frais
d’occupation. Après leur départ, dans un coffre oublié, les
employés découvrent une somme quarante fois supérieure !
Elle est remise à la Banque de France. Les journées de guerre
de la Libération laisseront des traces bien tangibles ! Parmi
les chars de la 2e
DB, le Sherman d’un lieutenant des FFL est
en poste au bas des Champs-Elysées. Quelques miliciens font
encore le coup de feu, depuis les toits de l’Hôtel Crillon. Parmi
la foule qui s’abrite derrière le tank, un civil s’écrie : “C’est la
cinquième colonne !”. Pour tout Parisien occupé, l’expression
désigne à l’évidence ces forces plus ou moins secrètes, alliées
à l’occupant, et qui tirent leurs dernières cartouches. Mais
le jeune Lieutenant l’entend au pied de la lettre et déclenche
le tir sur… la cinquième colonne de la prestigieuse façade !
Les tankistes ont mal compris mais visé juste et la colonne
s’effondre sur une limousine oubliée là par un général de
l’armée en déroute. Pour les sentimentaux, précisons que c’est
une rare Cadillac Serie 75 Fleetwood. C’est-à-dire la version
longue, et même très longue (empattement, 3,35 m ou peut-être
même 3,58 m !) de la 60 Special, premier dessin marquant du
jeune Bill Mitchell pour la GM. La guerre, grand malheur…
2006
Une date inoubliable pour l’ACF, qui fête le centenaire du
tout premier Grand Prix de l’ACF et premier Grand Prix
de l’histoire, organisé par ses soins au Mans. La victoire de
Renault, en l’espèce celle de Ferenc Szisz sur une AK 90 HP,
à la moyenne déjà vertigineuse de 101,2 km/h valait bien une
cérémonie, à laquelle est forcément associée sa très lointaine
descendante, la Renault R26 championne cette année-là aux
mains de Fernando Alonso. Un noble fil rouge dont l’ACF
tient les deux extrémités. Dans une époque compliquée, les
firmes et les hommes cherchent leur légitimité dans leur fidélité
au passé. L’ACF comme Renault aiment à s’enorgueillir de leur
statut incontestable de pionniers de la course et de l’industrie.
Passionnés de pétrole, intoxiqués au CO2
, épris de moteurs à
explosion, certains d’entre nous voient avec désolation la voiture
électrique prendre ses positions au cœur de la bien-pensance.
Bientôt, un port d’armes sera nécessaire à la possession
d’un carburateur, sans parler d’en envisager l’usage…
Mais il est vrai que l’on serait malvenu de taxer d’opportunisme
l’Automobile Club de France : l’électrique faisait parler, au 6 place
de la Concorde, dès 1900 !
2015
N’oublions pas que le Comte de Dion et son compère Georges
Bouton, qui ont commencé par la vapeur ici même, devant la
grille des Tuileries (cf. Rétroviseur n°308) ont aussi exploré
les possibilités de l’électricité. Pour que l’électrique puisse
nous transporter un peu, au-delà des limites d’un terrain de golf,
il faut un véhicule et il faut un réseau. Quant au deuxième
de ces éléments, l’effort des constructeurs est inutile sans les
pouvoirs publics. Entre les deux, une instance semi-officielle
comme l’ACF, qui trône face à l’Assemblée et à deux pas de
l’Elysée peut beaucoup pour convaincre peu à peu les élus d’une
collaboration efficace. Beaucoup aussi en direction de l’opinion
(nous en sommes), qu’il tâche de convaincre par son arme
habituelle : la compétition.
Et de fait, quel que soit le moteur qui propulse les concurrents de
la Formula E ou des nombreux rallyes “énergies renouvelables”
auxquels l’ACF prête son concours, la course est toujours la
course, qui voit un conducteur se colleter avec les lois de la
physique et les caractéristiques de sa machine pour obtenir le
déplacement le plus fluide et le plus rapide…
2095
Electriques ? Thermiques ? Magnétiques ?Atomiques ? Quand
le passionné projette vers l’avenir ses fantasmes de locomotion,
cette énorme question tend à devenir secondaire. L’essentiel, c’est
de savoir si le principe même de la possession et de l’usage d’un
véhicule individuel ou familial sera toujours toléré.Au vu des
progrès incessants des automatismes et des aides à la conduite dans
nos petites autos de 2015, qui savent toutes à propos vous prendre
le volant des mains pour se garer seules, seul un feu vert juridique
leur interdit de faire de même en pleine route et tout au long du
“voyage”, qui dès lors ne serait plus qu’un trajet. Bien joli si,
avant de prendre la route, il n’est pas exigé de chaque usager qu’il
dépose un “plan de vol” et fasse viser la translation par quelque
robot policier, éventuellement intégré à la machine elle-même.
Perspective effrayante pour qui aime à décider de sa destination
à chaque carrefour et de son allure à chaque virage. La vision
optimiste de l’affaire serait que nos augustes inventeurs aient trouvé
de nouvelles façons de voyager (la téléportation des piétons !) ou
d’excellentes raisons de rester sur place (le deux-pièces cuisine à
paysage modulable intégré !) et que les incorrigibles épris du vice
de la conduite, puissent s’esbaudir plus librement que jamais sur
des routes à présent désertées… En ce cas, il y aurait fort à parier
que ces derniers automobilistes soient membres de l’ACF…
Electriques ? Thermiques ? Magnétiques ? Atomiques ? Quand le passionné projette
vers l’avenir ses fantasmes de locomotion, il trouve la question secondaire.
Suggestions pour
le bicentenaire.
Obtenir
l’autorisation
de faire rouler
à nouveau
une “voiture
conduite”, en
s’engageant
à ne pas quitter
la Grande Coupole
de la Concorde.
Finissons l’évocation des 120 ans de l’ACF par la 120e
année et la promotion active de l’électrique.