Après avoir analysé l'impact des technologies numériques, nous évoquons l'environnement réglementaire du marché des objets connectés de santé. Nous exposons ensuite les débats et les conclusion de la première réunion du club Telecom Paristech Santé
Etat des lieux sur les objets connectés en santé tassy alain
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Internet des Objets
E
Evolutions du monde
de la santé
Le monde de la santé évolue sous l’in-
fluence de plusieurs phénomènes.
En premier, le vieillissement de la po-
pulation se traduira en Europe par un
triplement du nombre de personnes de
plus de 80 ans à l’horizon 2060, passant
de 22 à 61 millions. Or les statistiques
montrent qu’après 80 ans les personnes
vivent avec en moyenne 4 pathologies
chroniques.
La désertification médicale frappe les
régions rurales et le niveau d’équipe-
ment varie selon les départements.
Cela se traduit par des délais impor-
tants pour avoir un examen (ex IRM)
ou des RDV avec des spécialistes qui se
trouvent souvent très loin du lieu de
vie de la personne.
Les soins évoluent et les progrès tech-
nologiques augmentent le coût des
actes. Pour une même pathologie, les
examens sont plus nombreux et plus
couteux. Par ailleurs, les maisons de
retraite envoient systématiquement
les personnes âgées aux urgences alors
que le médecin traitant arrivait, dans la
majorité des cas, à soigner la personne
à domicile.
L’impact du numérique
Le numérique modifie le comporte-
ment des patients. Grâce à Internet,
ils s’informent sur leurs pathologies et
sur les traitements existants. Beaucoup
de généralistes reconnaissent que, très
souvent, le malade vient en consulta-
tion pour chercher une ordonnance
pour un traitement qu’il a découvert
sur Internet. Ce comportement d’auto-
médication peut s’avérer dangereux.
Des solutions techniques pour la télé-
médecine existent et sont opération-
nelles comme depuis 2006 à l’hôpital
Georges Pompidou et depuis 20101
dans plusieurs GSC2
. La télémédecine,
telle qu’elle est appréhendée en France,
peut se résumer à faire des actes médi-
caux à distance. Elle s’applique essen-
tiellement au curatif et au suivi du trai-
tement de maladies chroniques.
La e-santé n’a pas de définition légale.
Certains incluent dans la e-santé
tous les nouveaux usages des NTIC.
D’autres font un distinguo entre Santé
Numérique, e-Santé et Télémédecine.
La e-santé désigne alors l’utilisation des
NTIC pour mesurer, stocker et échanger
Etat des lieux
sur les objets connectés
pour la santé
La segmentation entre préventif et curatif
Par Alain Tassy (1982)
Quelles évolutions technologiques pour le monde de la santé ?
Les conclusions de la première réunion thématique du groupe santé de l’association
Télécom ParisTech créée en 2015 et consacré aux objets connectés.
1/ Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine
2/ GSC : Groupement de Coopération Sanitaire
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TELECOM n°178 www.telecom-paristech.org
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Internet des Objets
des paramètres physiologiques pour le
suivi de la santé de la personne. D’après
Renaissance Numérique, « Les change-
ments radicaux qu’insuffle le marché
de la e-santé dans le secteur de la santé
ouvrent la possibilité de faire évoluer le
système actuel vers un modèle davan-
tage préventif. 3
»
Le marché de l’e-santé est estimé à 2,4
milliards d’euros4
. Il devrait progresser
de 4% à 7% par an d’ici à 2017. Des
publications récentes évaluent le poten-
tiel du marché de la santé 3.0 à plus de
10 000 milliards de dollars (9 000 mil-
liards d’euros)5
.
Avec la généralisation des smartphones
et des objets connectés, il est mainte-
nant possible de mesurer soi-même
certains paramètres physiologiques
comme la tension, la glycémie, la fré-
quence cardiaque, les activités phy-
siques, le poids … et de les partager
soit avec le corps médical, soit avec une
communauté de personnes faisant les
mêmes mesures. Ainsi on assiste à un
phénomène appelé quantified self6
qui
montre la volonté des personnes de
prendre en main leur santé et de parta-
ger leurs résultats avec d’autres.
Environnement règlementaire
Les réglementations devant être
prises en compte sont de trois
ordres :
• L’encadrement de la pratique de la
médecine
• La protection des données
• Les textes régissant les objets connec-
tés
Pour les objets connectés de santé
les textes applicables sont :
• Responsabilité du fait des produits
défectueux (Article 1386-1 et suivant
du Code civil)
• Directives européennes relatives aux
Dispositifs Médicaux DM (n°93-42/
90-385/ 98-79)
• Code pénal
• Code civil
La réglementation peut être de
trois ordres :
• Objets connectés implantables
Ce sont des DM qui suivent toutes les
contraintes des DM avec des phases cli-
niques.
• Objets connectés non implantables
pouvant servir aux diagnostics médi-
caux
Ce sont des DM d’une classe inférieure
mais ils impliquent un agrément du
constructeur.
• Objets connectés donnant des infor-
mations sans usage médical
Ils sont régis par la loi standard du com-
merce.
Il faut noter que la législation est
ambigüe car avec une simple balance,
connectée ou non, il est possible de dia-
gnostiquer une rechute cardiaque à 48
heures. Mais la balance n’est pas un dis-
positif médical !
Première réunion thématique :
Etat des lieux sur les objets
connectés pour la santé ; la
segmentation entre préventif
et curatif.
37 personnes ont assisté à la première
réunion thématique du groupe Télécom
ParisTech Santé le 20 mai 2015. La qua-
3/ Renaissance Numérique.org, Livre blanc D’un modèle de santé curative à un modèle préventif grâce aux outils numérique, septembre 2014
4/ Source Xerfi Precepta,
5/ Escande P. 2015, Quand mon docteur s’appellera Apple, Le Monde économie, 7 septembre 2015
6/ Mouvement qui regroupe les outils, les principes et les méthodes permettant à chacun de mesurer ses données personnelles, de les analyser et de les partager.
Quantified Self
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Internet des Objets
lité des intervenants et des participants
ainsi qu’un débat constructif ont fourni
des idées originales sur le thème abordé
et ont remis en cause des idées reçues.
Invités
• Gilles Sonou (créateur de Mobile-
Health)
• AlexisNormand(BusinessDevelopment
Manager, Withings)
• Benjamin Sarda (Head Of Marketing,
Orange Healthcare)
• Nicolas Pivet (GM, Western Europe
Services, GE Healthcare)
• Come Pinchard (Créateur CEO de
Addax)
Les présentations sont disponibles en
ligne sur ce lien :
http://www.telecom-paristech.org/#/
group/sante/50/medias
Etat des lieux
Il y a plusieurs types d’objets connectés
de santé : grand public plutôt ludiques,
les systèmes hospitaliers et les objets
à domicile permettant de suivre des
pathologies ainsi que l’observance et les
processus d’assistance à la personne.
Benjamin Sarda rappelle que ces ob-
jets existent depuis plusieurs années.
Par exemple, le premier avantage du
pacemaker connecté a été de réduire la
mémoire de stockage, permettant de
gagner deux ans d’autonomie !
Alexis Normand nous informe que les
données collectées au fils des mois inté-
ressentlemondedelarecherchemédicale.
La forte croissance du nombre d’objets
connectés est liée à l’explosion du parc
de smartphones qu’ils utilisent pour
transmettre les données. Et Gilles
Sonou met en exergue le paradoxe que
beaucoup d’objets connectés sont voués
à disparaître car ils seront intégrés dans
les smartphones eux-mêmes.
Benjamin Sarda souligne que les objets
connectés sont une des composantes
de la transformation digitale des in-
dustries de santé, en particulier pour
la prise en charge à distance des mala-
dies chroniques. Cette transformation
passe par l’évolution des industriels qui
« entrent dans le monde du service ».
Ensuite Nicolas Pivet nous fait péné-
trer dans l’hôpital pour constater que
quasiment tous les équipements sont
connectés; d’abord pour des raisons de
maintenance mais aussi pour des rai-
sons de qualité des mesures (ex : cor-
riger des dérives de réglages). Mais de
nouvelles applications apparaissent.
Ainsi le Dose Watch aura un impact
direct sur la santé des patients car il
permet de suivre les doses cumulées
de rayons ionisants reçus quel que soit
l’équipement d’imagerie utilisé. Il per-
met ainsi de donner l’alerte pour éviter
des surdoses, sources de cancers.
Enfin Come Pinchard donne une liste
non-exhaustives d’objets connectés
classés entre curatifs et préventifs et
fait remarquer que ce classement est
plus souvent confondu avec bien-être
et soin.
Le débat
Spécificité du système de santé
français.
Le système de santé français est basé
sur le curatif. Il est structuré autour de
l’acte médical et le mode de paiement/
Présentation du nouveau Groupe Santé
Toutes les grandes entreprises leaders dans les
NTIC ont lancé une division healthcare.
Le Groupe Santé organise tous les 3 mois des
réunions à thème afin de formaliser des contri-
butions sur des sujets aussi sensibles que les
objets connectés, l’utilisation sécurisée de
données médicales, les logiciels de traitement
d’image permettant le dépistage automatique, les serious games, le big data,
la santé 2.0 et la santé 3.0…
D’autres technologies vont jouer un rôle important dans l’amélioration du
système de santé1
: la bioinformatique, le big data, le monitoring à distance
des patients et le Quantified self1
.
Les systèmes de santé vont devoir fondamentalement se réformer. Le
monde des Télécom a vécu le même type de révolution avec l’avènement
de l’IP et des mobiles qui ont fait disparaître la commutation et naître des
usages radicalement nouveaux et la privatisation de France Télécom (l’in-
troduction de la concurrence et la mise en place d’une nouvelle régulation).
Alumni de Télécom Paristech, nous sommes légitimes pour nous expri-
mer sur la santé car deux des technologies qui vont être au cœur de cette
révolution sont au centre de la stratégie de l’école : le big data et les objet
connectés.
Le groupe thématique Santé a pour vocation de rassembler les expertises
des Alumni relatives aux technologies, au sens large, pouvant contribuer à
l’amélioration de la santé des personnes.
L’objectif du groupe est de permettre à chacun des acteurs du domaine de
mieux appréhender les contraintes et les attentes du monde de la santé,
pour un meilleur usage de l’informatique et des NTIC tant dans le soin
que dans la prévention et de mieux se connaître. Chaque Alumni ayant
eu une expérience personnelle (directe ou indirecte) en gestion des soins,
télésanté, e-santé ou utilisation de dispositifs médicaux innovants pourra
contribuer à la réflexion du groupe.
Une large ouverture devrait offrir une grande richesse dans les échanges
d’idées, d’ouvrir des perspectives de repositionnement professionnel,
voire de favoriser la création de start-up.
1/ Source: Joseph Jimenez, EY Global pharmaceutical Report 2014
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Internet des Objets
remboursement se fait à l’acte. Le PMSI
codifie et répertorie tous les actes médi-
caux hospitaliers, publics et privés, au
niveau national. Ce système ne favorise
pas les actions de prévention qui ne
sont généralement ni répertoriées ni
remboursées.
La situation est très différente aux USA.
Les centres hospitaliers sont rémunérés
sur des bases forfaitaires pour la prise
en charge des pathologies chroniques.
Ce système est incitatif pour le suivi des
patients dans deux domaines, l’obser-
vance du traitement et le dépistage des
complications.
Les objets connectés, comme le pilulier,
ont démontré leur intérêt pour amé-
liorer l’observance. Ils permettent de
sauver des vies. Mais aucun modèle éco-
nomique, incluant l’ensemble des pro-
fessionnels de santé, n’est compatible
avec le système français actuel.
Le malade souhaite échapper à sa mala-
die chronique. Avec les objets connectés
il prend les mesures mais il n’a plus be-
soin de gérer le résultat ou même de le
connaître. Par exemple pour le diabète,
un glucomètre couplé à une pompe à
insuline injectant la dose exacte déter-
minée par un système centralisé devrait
bientôt simplifier considérablement
la vie du malade et l’aider à suivre son
traitement.
Les objets connectés peuvent être des
moyens peu onéreux pour prévenir
les récidives et aider au suivi des
pathologies chroniques.
Les balances connectées ont démon-
tré leur intérêt pour les personnes qui
décident de maigrir. Elles sont un outil
très simple pour prévenir les récidives
des crises cardiaques et éviter ainsi l’in-
tervention des urgences.
Rôles du médecin et du corps médical
Le médecin à un rôle majeur dans
les applications curatives des objets
connectés. Mais cela pose la question de
la formation des professionnels de san-
té. Le CNOM s’est ému de ce problème
dans son livre blanc sur la e-santé, mais
n’a pas de solution à mettre en place
rapidement.
Contrairement aux molécules, il
n’existe pas de base de données euro-
péenne ou nationale qui répertorie les
dispositifs médicaux et les protocoles
associés. Il semble même impossible
de la constituer car les évolutions dans
ce domaine sont bien plus rapides que
pour les médicaments. Se pose alors la
question de la responsabilité du méde-
cin prescripteur à laquelle nous n’avons
pas de réponse.
Pour le suivi médical au domicile, il
sera nécessaire de former tous les pro-
fessionnels de santé intervenants. Cela
aura un coût. Qui paiera ?
Les objets connectés vont-ils per-
mettre de réduire les coûts du sys-
tème de santé ?
A priori, comme toute nouveauté, l’in-
troduction des objets connectés dans le
système de soin français devrait entraî-
ner un surcoût.
Or aux Etats-Unis, la Veteran Health
Administration (VHA), donnée pour
morte dans les années 90, est au-
jourd’hui un modèle d’innovation et
d’efficacité. Elle utilise de plus en plus
les objets connectés.
Une première conclusion est qu’une mo-
dification de l’organisation du système
de soin et de son modèle économique
(mode de financement des acteurs) est
nécessaire pour que les objets connec-
tés réduisent les coûts en France.
La segmentation Préventif / Curatif
est-elle pertinente ?
Cette segmentation peut s’interpréter
comme une déclinaison de la dichoto-
mie habituelle entre bien-être et santé.
Mais les choses sont plus complexes et
nous avons plutôt un continuum qui ne
peut être scindé à un endroit plus qu’à
un autre. Dans le préventif il faut dis-
tinguer le fait de faire baisser le risque
de maladie et le prédictif (qui poussé à
l’extrême peut entraîner des compor-
tements déviants). Dans le curatif, il
faudrait séparer le diagnostic, les traite-
ments et le suivi.
Comment cataloguer les objets qui
peuvent changer le comportement
des personnes dans leur mode de vie
comme les traqueurs d’activité ? En
bougeant plus on réduit les risques
cardiovasculaire et on améliore aussi la
guérison par exemple des cancers.
Pour les personnes âgées, les objets
connectés peuvent grandement amé-
liorer la qualité de vie en simplifiant le
suivi des pathologies chroniques, sans
être curatifs.
Enfin, les objets connectés de santé ne
se limitent pas aux soins. Ce sont aussi
des outils de recherche et des fabricants
français lancent des projets avec les uni-
versités américaines.
Conclusion
Il semble que la segmentation préven-
tif vs. curatif ne soit pas adaptée pour
le marché des objets connectés. Ces
objets ont un intérêt si le système de
santé favorise la prévention et offre un
modèle économique viable à l’utilisa-
tion des objets connectés de santé. Les
bénéfices offerts par les objets connec-
tés sont de deux ordres : le mieux vivre
avec ou sans pathologie et des écono-
mies substantielles à moyen terme pour
le système de santé. Mais ces économies
seront effectives à condition que le sys-
tème sache s’adapter aux innovations
générées par la e-santé au sens large.
Alain Tassy,
docteur ingénieur
diplômé de Télécom
ParisTech (82, 86)
et de l’Exécutive
MBA de HEC (91),
Alain accompagne
les dirigeants
d’entreprise et les entrepreneurs dans
la mise en place opérationnelle de leurs
stratégies d’innovation, tant dans les
produits que dans les process. Après
avoir créé le laboratoire de traitement du
signal de Matra Communication, il occupe
successivement des postes de direction
technique, marketing et programme dans
les groupes Alcatel, Vodafone, UUnet MCI-
Worldcom et Quescom.
Business Angel depuis 2000, il participe
en parallèle à la création et au lancement
de plusieurs sociétés. En 2012, il crée la
SATT Lutech dans le cadre du PIA. Depuis
2010 Alain intervient dans la e-santé et
crée en 2015 le Club Santé de Télécom
Paristech.
L’AUTEUR
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