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28 u Libération Lundi 14 Décembre 2015
Front de gauche:
merci pour ces élections!
Pour la gauche de la gauche, les régionales sont un échec
cuisant. Au gré des reculs électoraux, les appareils du Front
de gauche ne défendent plus, dans ces fusions, que leur
propre survie: comment incarner alors une alternative?
E
videmment, les résultats des élec-
tions régionales sont durs à avaler.
Dans un océan d’abstention, la
poussée du Front national est au centre du
débat. Mais qui ne s’attendait pas à cette
débâcle programmée? Bien sûr, cet échec
est d’abord celui de la politique libérale du
gouvernement socialiste. Mais soyons
honnêtes: cet échec, c’est aussi celui de la
gauche de la gauche. Alors que les alter-
nances se suivent et se ressemblent, alors
que le Parti socialiste comme l’UMP appli-
quent, tour à tour, les mêmes politiques
d’austérité, alors que le chômage et la pré-
carité continuent d’augmenter, alors que
les crises financières s’enchaînent, alors
que le dérèglement climatique s’aggrave,
alors que, plus que jamais, il y a besoin
d’une alternative, le Front de gauche n’a
pas su l’incarner. Pourquoi en six ans n’a-
t-il pas réussi son pari initial: passer en
tête de la gauche et devenir majoritaire?
«On arrête tout et on réfléchit». C’était le
mot d’ordre de l’An 01 en 1970. Finis-
sons-en avec le Front de gauche, et tra-
vaillons enfin à autre chose!
Cartel électoral sans cohérence politique
forte, le Front de gauche n’a sans doute
jamais réussi à se positionner clairement
dans l’espace politique. Quand certains se
rêvent aux portes du pouvoir, d’autres se
satisfont très bien de n’être que «la vita-
mine de la gauche», ceux que l’on choisit au
premier tour pour «envoyer un message».
Les critiques les plus radicales des renonce-
ments du gouvernement Hollande n’empê-
chent pas, en effet, l’appel systématique et
illisible à se rassembler autour du PS au se-
cond tour. Certes, la pureté idéologique n’a
pas suffi pour faire de Lutte ouvrière ou du
NPA des partis de masse, mais le position-
nement en dehors de l’échiquier politique
classique est nettement un ressort fort de la
dynamique du FN. Au gré des reculs électo-
raux, les appareils du Front de gauche ne
défendent plus, dans ces fusions, que leur
propre survie: comment incarner alors une
vraie alternative, une «force qui va»?
A Bobigny: 73% d’abstention. Les classes
populaires ne sont majoritairement pas
allées voter dimanche 6 décembre. Cette
abstention est logique, la gauche ne les re-
présente plus. La sociologie des organisa-
tions du Front de gauche s’est, comme celle
du PS, dangereusement éloignée de leur
base populaire. Conscient de ce décalage, le
Front de gauche a eu recours, comme tous
les autres partis, à la vieille ficelle du ci-
toyennisme. On affiche quelques «citoyens»
(les guillemets sont nécessaires) comme on
affiche quelques représentants des «mino-
rités». Plus profondément, le Front de gau-
che n’arrive pas à clarifier à qui il s’adresse.
Il a hérité de la gauche des années 80 ce tra-
vers du misérabilisme: à ne plus penser la
société en terme de lutte des classes, il se
cantonne à défendre «les opprimés», «les
pauvres», «les exclus». Il aurait pourtant eu
vocation à mettre les classes populaires,
majoritaires dans le pays, au centre de son
projet. A partir de là, il aurait pu rassembler
Par
SYLVIE AEBISHER
et FABIEN MARCOT
Anciens militants du Front de gauche
Manifestation
à l’appel du
Front de gauche
pour dénoncer
l’austérité
et la finance
et appeler à
un changement
de république,
à Paris, le 5 mai
2013.
Libération Lundi 14 Décembre 2015 u 29
une majorité sociale, en défendant tous
ceux à qui le système actuel ne promet que
déclassement, des classes populaires aux
professions intermédiaires voire aux clas-
ses moyennes supérieures. Il en est loin.
Mais devenir majoritaire électoralement,
c’est d’abord conquérir les cœurs et les
consciences. Ce sont des dizaines d’an-
nées de bataille culturelle pour mettre en
avant des thèmes sécuritaires et la peur
des étrangers, relayés par les médias et
une grande partie de la classe politique,
qui fait aujourd’hui la force du FN. Ce sont
les dizaines d’années de bataille idéolo-
gique menée par les partisans du néolibé-
ralisme, martelant le TINA («There is No
Alternative!»), la répétition des défaites
sociales qui pèsent sur les consciences et
créent la résignation. Etre une vraie force
politique, c’est d’abord convaincre
qu’il existe une alternative, c’est s’extraire
des thèmes que nos adversaires nous im-
posent. Mais depuis les années 80, la gau-
che ne veut plus changer la vie. Elle ne
propose plus que de «résister à l’austérité»,
autant dire simplement ralentir la catas-
trophe. Même le Programme commun
avec Mitterrand allait plus loin que «L’hu-
main d’abord»! Qui croit que des forces
politiques dont le programme tient en un
drapeau, quelques slogans de manif
(«Non à la loi Macron!», «La retraite à
60 ans!») et une série de mesures parasyn-
dicales peut raisonnablement incarner
une alternative? Les mots, les slogans,
jamais remis en cause et répétés en boucle
entre convaincus, ne parlent plus à per-
sonne. Qui espère vraiment convaincre en
tendant un tract «Contre la marchandisa-
tion!», «Non à l’austérité!»?
C’est avec l’envie qu’il faudrait renouer.
L’envie d’y croire. L’envie de construire un
projet ensemble. L’envie de s’impliquer.
L’envie d’aller voter. L’envie s’ancre dans
un projet positif, partant des préoccupa-
tions concrètes quotidiennes pour cons-
truire un tout cohérent. Un projet qui se-
rait radical parce qu’il s’attaque à la racine
des problèmes et non parce qu’il est contre
tout. A quand un mouvement dont les pro-
positions seraient plus fortes que ce qu’il
conteste? Remisons enfin nos mots de
militants qui glissent sur les consciences
sans jamais toucher ceux à qui ils s’adres-
sent. Osons ne pas asséner nos symboles
comme un préalable. Parlons pour être
entendus. Dans ce domaine, Podemos
aura au moins eu le mérite de lancer des
pistes. Il faut prendre conscience de com-
bien se joue sur ce que l’on incarne: plus
qu’un programme très détaillé, ce sont ces
quelques adjectifs qui nous sont accolés
qui nous identifient. Nous avons besoin de
fraîcheur! Du fond à la forme, tout doit
concorder pour incarner une force posi-
tive, nouvelle et radicale. Pour y arriver,
il nous faudra oser un jour de nouveaux
outils et de nouvelles têtes, vraiment
représentatives et incarnant l’avenir.
Le Front de gauche est mort. Il aura permis
à la gauche éparpillée de relever la tête mais
il ne suffit plus. Le score d’Europe Ecologie-
les Verts (EE-LV), même allié au Front de
gauche, montre que ce n’est pas d’un re-
groupement de toute l’opposition de gau-
che que viendra l’alternative. C’est d’une
vraie recomposition dont nous avons be-
soin, qui fasse bouger les lignes et se passe
par-delà les appareils politiques actuels,
s’ancrant profondément dans la société.
2017 est déjà dans toutes les têtes, inutile
pourtant d’espérer avoir réussi cette recom-
position d’ici là. Une telle recomposition
prendra du temps: prenons-le, osons-le,
vraiment.•
0123JEUDI 17 DÉCEMBRE 2015
«Courir
derrièreleFN
estunefuite»
PourJean-PierreRaffarin,ladroite
doitabandonnerlesdérivespopulistes
ENTRETIEN
J
ean­Pierre Raffarin, séna­
teur de la Vienne et ancien
premier ministre, incarne le
courant humaniste au sein
du parti Les Républicains
(LR). Il tire les enseignements du
scrutin des régionales.
Comment interprétez-vous
l’éviction de Nathalie Koscius-
ko-Morizet de son poste de
numéro deux des Républicains
et son remplacement
par Laurent Wauquiez?
Ce n’est pas un bon signal.
L’éviction est une mauvaise solu­
tion.L’apaisementestlepréalable
au rassemblement.
Est-il encore possible d’avoir
un avis divergent chez LR?
Chacun peut et doit assumer sa
liberté d’opinion. Je ne vois pas de
manquements à l’éthique de la di-
versité chez NKM.
Votre refus de rester président
du conseil national du parti
a-t-il un lien avec votre
désaccord avec Nicolas Sarkozy
sur le «ni-ni»?
Quand Nicolas Sarkozy a an-
noncé l’organisation d’un conseil
national en février 2016, j’ai dit
que je ne le présiderai pas. Dans la
période qui s’ouvre, je souhaite
rester libre, sans occuper une
fonction qui puisse me priver de
mes libertés d’expression et
m’empêcherdem’engagerdansla
campagne de la primaire. C’est
une force que d’être désintéressé.
La poussée du FN aux élections
régionales doit-elle aboutir à
une recomposition politique?
Oui. Il faut avoir conscience du
contexte d’extrême gravité dans
lequel nous sommes. Nous vi-
vons trois crises simultanées.
N’oublions pas, d’abord, que nous
sommes dans une situation de
guerre. Les menaces terroristes
restent fortes contre notre pays.
Ensuite, la crise économique et
sociale est, elle aussi, profonde. La
situation de l’emploi est particu-
lièrement préoccupante car il n’y
a pas de perspectives d’éclaircie.
Enfin, nous sommes confrontés à
une crise politique, avec un FN
haut et en position de se qualifier
au second tour en 2017, ce qui doit
nous interpeller durablement.
Il nous faut combattre l’impuis-
sance politique. Pour cela, le PS
devrait rompre d’abord avec le
Front de gauche puis avec ses
frondeurs pour devenir un vrai
parti social-démocrate. De notre
côté, nous devrions regagner la
confiance des électeurs en aban-
donnant les promesses intena-
bles et les dérives populistes. Rien
n’est gagné pour 2017.
Pourquoi souhaitez-vous
que la droite «travaille
avec le gouvernement»?
Il ne s’agit pas de faire un gou-
vernement d’union nationale, LR
et le PS sont définitivement ri-
vaux. Mais si l’on veut éviter que
le FN soit la clé de l’élection de
2017, il faut engager de manière
prioritaire une action contre le
chômage, première source du
vote FN.
L’opposition devrait soutenir le
gouvernement sur un projet am-
bitieux. Pour cela, Manuel Valls
devrait associer l’opposition à
l’élaboration des mesures desti-
néesàfairereculerlechômage.Ce
sujet doit réunir l’ensemble de la
classe politique pour que l’on
metteenœuvre«unplanrépubli-
cainpourl’emploi»dèslemoisde
janvier 2016, avec un développe-
ment de l’apprentissage, des faci-
lités pour les investissements
dans les entreprises, un vrai allé-
gement des complexités…
Beaucoup d’élus LR
y sont opposés…
Labataillepoliticiennesurcesu-
jet est irresponsable car elle nour-
rit le FN. Parier sur l’échec des so-
cialistes en matière d’emploi se-
rait pour l’opposition une erreur
car la carte du vote FN et celle du
chômage sont quasiment super-
posables. Le sursaut politique ré-
publicain observé dans les urnes
peut être prolongé par un sursaut
économique républicain. C’est
une réponse de fond et d’action à
la montée de l’extrême droite.
Pourquoi vous êtes-vous
opposé à la ligne du «ni-ni»
portée par Nicolas Sarkozy?
Il fallait montrer que nous vou-
lions absolument éviter qu’une
région de France tombe dans les
mains du FN. Nous aurions pu af-
ficher clairement cette priorité.
Ilnousfautuneéthiquerépubli-
caine: les socialistes sont nos ad-
versaires mais notre attitude ne
peut pas être la même à l’égard
d’un républicain et d’un extré-
miste.
La ligne droitière de Nicolas
Sarkozy peut-elle mener votre
camp à la victoire en 2017?
En tant que représentant de l’ex-
UDF, avec des convictions libéra-
les et humanistes, j’ai évidem-
ment des différences politiques
avec Nicolas Sarkozy. Je reconnais
sa puissance et sa capacité d’auto-
rité.Salignepolitiqueestunepar-
tie forte de notre mouvement
mais ne peut pas représenter tout
le mouvement.
A-t-il raison de reprendre
des thèmes du FN pour séduire
ses électeurs?
Courir derrière le FN est une
fuite et une stratégie fragile. On
doit formuler des propositions
suffisamment fortes, crédibles et
incarnéespourfairevenirlesélec-
teurs sur nos idées, au lieu d’aller
vers ce que propose le FN. On ne
doit pas aller chercher les élec-
teurs frontistes en disant «votre
colère est légitime» mais en dé-
montrant que nous avons les
bonnes réponses pour eux.
Y a-t-il un risque d’implosion
de LR, entre les «droitiers»
et les «modérés»?
Lerassemblementestnécessaire
car il faut qualifier notre candidat
pourlesecondtourdelaprésiden-
tielle. Or, ce n’est plus acquis par le
fait nouveau que le FN s’est mis en
position probable d’atteindre le
second tour en 2017. En 2002, la
création de l’UMP permettait de
qualifiernotrecandidat.Depuis,la
culture centriste-libérale a été en
partie dissoute dans l’ensemble.
C’est une faiblesse. La culture du
volontarisme et celle de la tempé-
rance doivent cohabiter et coexis-
ter.Sicelanedevaitpasêtrelecasà
l’avenir, la qualification de notre
candidat au second tour de la pré-
sidentielle deviendrait incertaine.
«Manuel Valls
devrait associer
l’opposition à
l’élaboration d’un
“plan républicain
pour l’emploi”»
Jugez-vous François Hollande
renforcé après les attentats,
la COP21 et les régionales?
Le président fait preuve d’une
habiletéredoutable.Ilestplusfort
en politique qu’en économie. Il a
parfaitementgérélaCOP21,aétéà
la hauteur lors du drame national
il y a un mois et a réalisé un coup
de maître politique, en retirant
ses candidats aux régionales en
PACA et dans le Nord. Cet acte
d’apparence désintéressée, c’est
cequedemandentlesFrançaisàla
politique. Je mesure les arrière-
pensées et la part de malice de
François Hollande, dont il ne faut
pas sous-estimer l’habileté pour
2017. Réussir à sortir le chômage
des radars de l’opinion publique
fut très efficace. Vigilance. p
propos recueillis par
matthieu goar
et alexandre lemarié
Mercredi 16 décembre 2015 Les Echos
Laverticaleduconformisme
Depuisdessiècles,lasociétéfran-
çaise est organisée en grands
appareils verticaux, ce qui la
rend difficile à réformer.
Tel est le cas dans l’ordre institution-
neloù,depuis1962,l‘électionausuffrage
universelduprésidentdelaRépublique
vientcouronnerunelonguetraditionde
pouvoir centralisé. Le chef de l’exécutif
incarnelasouverainetépopulaire,privi-
lège qu’il partage avec le législateur.
Qu’est-cequel’intérêtgénéral ?L’expres-
sion de la volonté du peuple répondait
Rousseau, depuis lequel le concept n’a
pasétémodifié.L’Etatensonsommetest
doncleseulgardiendel’intérêtgénéral.
De façon plus générale, notre sys-
tème politique est verticalisé par l’orga-
nisation même des partis, qui sont
reconnusparlaConstitution.Leurshié-
rarchies internes, toutes similaires,
sont ajustées sur la trajectoire idéale
d’une carrière visant à conduire leurs
meilleurs éléments aux plus hautes
fonctions : militant de base, responsa-
bled’unesectionlocale,secrétaired’une
fédération départementale, membre
d’un conseil national, puis d’un bureau
politique, enfin, chef de parti. A ce
niveauondevient,commesoutiendans
la majorité, comme adversaire dans
l’opposition, un interlocuteur du gou-
vernement et un invité des médias.
Les appareils syndicaux sont bâtis à
l’identique. Un chef syndical doit sui-
vre, dans l’ordre économique et social,
un parcours similaire à celui de son
homologue en politique. A l’intérieur
de chaque centrale syndicale, les pro-
motionssefontdansdesconditionsqui
ne sont pas très différentes de celles en
vigueur dans les partis. Et l’élection à
intervalles réguliers des représentants
du personnel dans les entreprises
donne aux responsables élus une aura
de légitimité qui s’apparente à celle
dont se prévalent les politiques.
Pouvoir politique et contre-pouvoir
social, issus de deux matrices similai-
res, discutent donc et, le cas échéant,
s’affrontent, chacun au nom de l’inté-
rêt général, du haut de leurs pyrami-
des respectives. Le dialogue social se
déroule entre grands dirigeants, au
sommet de la montagne. Cela,
d’autant que le monde de l’entreprise
lui-même a accepté d’entrer dans ce
modèle. De manière paritaire, les par-
tenaires sociaux ont divisé le système
productif en sept cents branches, cha-
cune ayant vocation à écrire sa con-
vention collective, comme si les struc-
turesdel’économieétaientintangibles
et les frontières entre activités figées
pour l’éternité. Dans ce superbe jardin
à la française, les normes descendent
du ciel vers la terre : d’abord la loi
(l’Etat), puis l’accord interprofession-
nel (niveau du patron du Medef et des
leaders des confédérations syndica-
les), puis les accords de branche (fédé-
rations), puis d’entreprise (sections).
Cetteverticalitégénéraliséeaunetri-
ple conséquence. Tout d’abord, l’entre-
priseconstituéeetlesalariatysontpar-
faitement représentés, jusqu’au plus
hautniveau.Maislesprofessionsquine
relèvent ni de l’une, ni de l’autre et n’ont
pas suorganiserleurreprésentationen
pyramides de même hauteur sont
structurellement déclassées. Tel est le
casdesprofessionslibérales,desméde-
cins,desavocats,desartisans,desentre-
preneurs individuels : lorsqu’ils apos-
trophent l’Etat, d’en dessous si je puis
dire, ils donnent l’impression de défen-
dre des intérêts particuliers, contre
l’intérêt général. Donc ils sont suspects
avantmêmedeparler.Quantàceuxqui
n’ont pas de représentation propre (les
chômeurs), ils n’existent pas.
Deuxième conséquence, comme les
structuresproductivessontimmuables
etquelessalariésleursontattachésàvie
(ou vus comme tels), notre système de
protection sociale est fondé sur l’entre-
prise ou la branche, jamais sur l’indi-
vidu. Formation professionnelle, santé,
prévoyance, retraites complémentai-
res,l’employeurdoittoutnaturellement
financer l’entretien d’une force de tra-
vail qui ne dépend que de lui et n’a pas
d’autredestinée.JeanJaurèsvoyaitdéjà
lesalariatcommeuneformeaméliorée
du servage. Donc, que le patron paye !
Dernière conséquence, sans doute la
plus grave, ces pyramides sont des
machinesàfaireremonterlesdivergen-
cesaunomdeconceptionsopposéesde
l’intérêtgénéral,jamaisoupresqueàles
résoudre de manière transverse, aux
niveauxlesplusdécentralisés.Chacune
est porteuse d’une idéologie propre, à
caractère bien établi et stable dans le
temps. Pour y faire carrière et monter
les échelons, il faut donc en épouser les
principes : les promus sont les plus
zélés au service de l’organisation et des
idées qui l’animent. Le « politiquement
correct » est localement dominateur,
les pensées nouvelles partout suspec-
tes.Ainsilesappareilsverticauxsont-ils
par nature conformistes, peu capables
d’imaginationetdoncvouésparnature
au conservatisme et à la sclérose.
Or ce modèle est inadapté au monde
d’aujourd’hui.Lasouverainetéhexago-
nale de l’Etat est sans effet au-delà des
frontières, dans une économie mon-
dialisée où seule la compétitivité de
l’offre a quelque vertu. Dans l’ordre
interne, l’innovation digitale et la
numérisation de l’économie boulever-
sent l’organisation de la production et
cassent les séparations de plus en plus
artificielles entrebranches.Lesystème
français va devoir épouser ces nouvel-
les données, sous peine d’une véritable
régression collective, dont la tentation
est malheureusement visible. La verti-
calitédenosstructuresrendlaréforme
improbable. Elle est cependant inéluc-
table. Il va falloir, d’une manière ou de
l’autre, remettre de la transversalité
dans nos fonctionnements par une
vraie décentralisation du dialogue
entre les intérêts concernés et asseoir
notresystèmedeprotectionsocialesur
l’individu tout au long de ses divers
emplois, plus que sur des branches et
des métiers dont la pérennité n’est pas
assurée.Commentmettredelamoder-
nité là où règne aujourd’hui le confor-
misme ? La réponse n’est pas simple…
Jean Peyrelevade est président
de la banque Degroof Petercam France.
Notre modèle produit
des divergences au nom
de conceptions opposées
de l’intérêt général.
Aujourd’hui,
les problèmes doivent
être abordés de façon
transverse, décentralisée.
LA
CHRONIQUE
de Jean
Peyrelevade
L’organisation verticale de notre appareil politique et social produit des
normes descendant du ciel vers la terre. Chaque idée nouvelle y est suspecte
au sein de corps hiérarchisés. Un modèle inadapté au monde moderne.

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Nous sommes si différemment identiques

  • 1. 28 u Libération Lundi 14 Décembre 2015 Front de gauche: merci pour ces élections! Pour la gauche de la gauche, les régionales sont un échec cuisant. Au gré des reculs électoraux, les appareils du Front de gauche ne défendent plus, dans ces fusions, que leur propre survie: comment incarner alors une alternative? E videmment, les résultats des élec- tions régionales sont durs à avaler. Dans un océan d’abstention, la poussée du Front national est au centre du débat. Mais qui ne s’attendait pas à cette débâcle programmée? Bien sûr, cet échec est d’abord celui de la politique libérale du gouvernement socialiste. Mais soyons honnêtes: cet échec, c’est aussi celui de la gauche de la gauche. Alors que les alter- nances se suivent et se ressemblent, alors que le Parti socialiste comme l’UMP appli- quent, tour à tour, les mêmes politiques d’austérité, alors que le chômage et la pré- carité continuent d’augmenter, alors que les crises financières s’enchaînent, alors que le dérèglement climatique s’aggrave, alors que, plus que jamais, il y a besoin d’une alternative, le Front de gauche n’a pas su l’incarner. Pourquoi en six ans n’a- t-il pas réussi son pari initial: passer en tête de la gauche et devenir majoritaire? «On arrête tout et on réfléchit». C’était le mot d’ordre de l’An 01 en 1970. Finis- sons-en avec le Front de gauche, et tra- vaillons enfin à autre chose! Cartel électoral sans cohérence politique forte, le Front de gauche n’a sans doute jamais réussi à se positionner clairement dans l’espace politique. Quand certains se rêvent aux portes du pouvoir, d’autres se satisfont très bien de n’être que «la vita- mine de la gauche», ceux que l’on choisit au premier tour pour «envoyer un message». Les critiques les plus radicales des renonce- ments du gouvernement Hollande n’empê- chent pas, en effet, l’appel systématique et illisible à se rassembler autour du PS au se- cond tour. Certes, la pureté idéologique n’a pas suffi pour faire de Lutte ouvrière ou du NPA des partis de masse, mais le position- nement en dehors de l’échiquier politique classique est nettement un ressort fort de la dynamique du FN. Au gré des reculs électo- raux, les appareils du Front de gauche ne défendent plus, dans ces fusions, que leur propre survie: comment incarner alors une vraie alternative, une «force qui va»? A Bobigny: 73% d’abstention. Les classes populaires ne sont majoritairement pas allées voter dimanche 6 décembre. Cette abstention est logique, la gauche ne les re- présente plus. La sociologie des organisa- tions du Front de gauche s’est, comme celle du PS, dangereusement éloignée de leur base populaire. Conscient de ce décalage, le Front de gauche a eu recours, comme tous les autres partis, à la vieille ficelle du ci- toyennisme. On affiche quelques «citoyens» (les guillemets sont nécessaires) comme on affiche quelques représentants des «mino- rités». Plus profondément, le Front de gau- che n’arrive pas à clarifier à qui il s’adresse. Il a hérité de la gauche des années 80 ce tra- vers du misérabilisme: à ne plus penser la société en terme de lutte des classes, il se cantonne à défendre «les opprimés», «les pauvres», «les exclus». Il aurait pourtant eu vocation à mettre les classes populaires, majoritaires dans le pays, au centre de son projet. A partir de là, il aurait pu rassembler Par SYLVIE AEBISHER et FABIEN MARCOT Anciens militants du Front de gauche Manifestation à l’appel du Front de gauche pour dénoncer l’austérité et la finance et appeler à un changement de république, à Paris, le 5 mai 2013.
  • 2. Libération Lundi 14 Décembre 2015 u 29 une majorité sociale, en défendant tous ceux à qui le système actuel ne promet que déclassement, des classes populaires aux professions intermédiaires voire aux clas- ses moyennes supérieures. Il en est loin. Mais devenir majoritaire électoralement, c’est d’abord conquérir les cœurs et les consciences. Ce sont des dizaines d’an- nées de bataille culturelle pour mettre en avant des thèmes sécuritaires et la peur des étrangers, relayés par les médias et une grande partie de la classe politique, qui fait aujourd’hui la force du FN. Ce sont les dizaines d’années de bataille idéolo- gique menée par les partisans du néolibé- ralisme, martelant le TINA («There is No Alternative!»), la répétition des défaites sociales qui pèsent sur les consciences et créent la résignation. Etre une vraie force politique, c’est d’abord convaincre qu’il existe une alternative, c’est s’extraire des thèmes que nos adversaires nous im- posent. Mais depuis les années 80, la gau- che ne veut plus changer la vie. Elle ne propose plus que de «résister à l’austérité», autant dire simplement ralentir la catas- trophe. Même le Programme commun avec Mitterrand allait plus loin que «L’hu- main d’abord»! Qui croit que des forces politiques dont le programme tient en un drapeau, quelques slogans de manif («Non à la loi Macron!», «La retraite à 60 ans!») et une série de mesures parasyn- dicales peut raisonnablement incarner une alternative? Les mots, les slogans, jamais remis en cause et répétés en boucle entre convaincus, ne parlent plus à per- sonne. Qui espère vraiment convaincre en tendant un tract «Contre la marchandisa- tion!», «Non à l’austérité!»? C’est avec l’envie qu’il faudrait renouer. L’envie d’y croire. L’envie de construire un projet ensemble. L’envie de s’impliquer. L’envie d’aller voter. L’envie s’ancre dans un projet positif, partant des préoccupa- tions concrètes quotidiennes pour cons- truire un tout cohérent. Un projet qui se- rait radical parce qu’il s’attaque à la racine des problèmes et non parce qu’il est contre tout. A quand un mouvement dont les pro- positions seraient plus fortes que ce qu’il conteste? Remisons enfin nos mots de militants qui glissent sur les consciences sans jamais toucher ceux à qui ils s’adres- sent. Osons ne pas asséner nos symboles comme un préalable. Parlons pour être entendus. Dans ce domaine, Podemos aura au moins eu le mérite de lancer des pistes. Il faut prendre conscience de com- bien se joue sur ce que l’on incarne: plus qu’un programme très détaillé, ce sont ces quelques adjectifs qui nous sont accolés qui nous identifient. Nous avons besoin de fraîcheur! Du fond à la forme, tout doit concorder pour incarner une force posi- tive, nouvelle et radicale. Pour y arriver, il nous faudra oser un jour de nouveaux outils et de nouvelles têtes, vraiment représentatives et incarnant l’avenir. Le Front de gauche est mort. Il aura permis à la gauche éparpillée de relever la tête mais il ne suffit plus. Le score d’Europe Ecologie- les Verts (EE-LV), même allié au Front de gauche, montre que ce n’est pas d’un re- groupement de toute l’opposition de gau- che que viendra l’alternative. C’est d’une vraie recomposition dont nous avons be- soin, qui fasse bouger les lignes et se passe par-delà les appareils politiques actuels, s’ancrant profondément dans la société. 2017 est déjà dans toutes les têtes, inutile pourtant d’espérer avoir réussi cette recom- position d’ici là. Une telle recomposition prendra du temps: prenons-le, osons-le, vraiment.•
  • 3. 0123JEUDI 17 DÉCEMBRE 2015 «Courir derrièreleFN estunefuite» PourJean-PierreRaffarin,ladroite doitabandonnerlesdérivespopulistes ENTRETIEN J ean­Pierre Raffarin, séna­ teur de la Vienne et ancien premier ministre, incarne le courant humaniste au sein du parti Les Républicains (LR). Il tire les enseignements du scrutin des régionales. Comment interprétez-vous l’éviction de Nathalie Koscius- ko-Morizet de son poste de numéro deux des Républicains et son remplacement par Laurent Wauquiez? Ce n’est pas un bon signal. L’éviction est une mauvaise solu­ tion.L’apaisementestlepréalable au rassemblement. Est-il encore possible d’avoir un avis divergent chez LR? Chacun peut et doit assumer sa liberté d’opinion. Je ne vois pas de manquements à l’éthique de la di- versité chez NKM. Votre refus de rester président du conseil national du parti a-t-il un lien avec votre désaccord avec Nicolas Sarkozy sur le «ni-ni»? Quand Nicolas Sarkozy a an- noncé l’organisation d’un conseil national en février 2016, j’ai dit que je ne le présiderai pas. Dans la période qui s’ouvre, je souhaite rester libre, sans occuper une fonction qui puisse me priver de mes libertés d’expression et m’empêcherdem’engagerdansla campagne de la primaire. C’est une force que d’être désintéressé. La poussée du FN aux élections régionales doit-elle aboutir à une recomposition politique? Oui. Il faut avoir conscience du contexte d’extrême gravité dans lequel nous sommes. Nous vi- vons trois crises simultanées. N’oublions pas, d’abord, que nous sommes dans une situation de guerre. Les menaces terroristes restent fortes contre notre pays. Ensuite, la crise économique et sociale est, elle aussi, profonde. La situation de l’emploi est particu- lièrement préoccupante car il n’y a pas de perspectives d’éclaircie. Enfin, nous sommes confrontés à une crise politique, avec un FN haut et en position de se qualifier au second tour en 2017, ce qui doit nous interpeller durablement. Il nous faut combattre l’impuis- sance politique. Pour cela, le PS devrait rompre d’abord avec le Front de gauche puis avec ses frondeurs pour devenir un vrai parti social-démocrate. De notre côté, nous devrions regagner la confiance des électeurs en aban- donnant les promesses intena- bles et les dérives populistes. Rien n’est gagné pour 2017. Pourquoi souhaitez-vous que la droite «travaille avec le gouvernement»? Il ne s’agit pas de faire un gou- vernement d’union nationale, LR et le PS sont définitivement ri- vaux. Mais si l’on veut éviter que le FN soit la clé de l’élection de 2017, il faut engager de manière prioritaire une action contre le chômage, première source du vote FN. L’opposition devrait soutenir le gouvernement sur un projet am- bitieux. Pour cela, Manuel Valls devrait associer l’opposition à l’élaboration des mesures desti- néesàfairereculerlechômage.Ce sujet doit réunir l’ensemble de la classe politique pour que l’on metteenœuvre«unplanrépubli- cainpourl’emploi»dèslemoisde janvier 2016, avec un développe- ment de l’apprentissage, des faci- lités pour les investissements dans les entreprises, un vrai allé- gement des complexités… Beaucoup d’élus LR y sont opposés… Labataillepoliticiennesurcesu- jet est irresponsable car elle nour- rit le FN. Parier sur l’échec des so- cialistes en matière d’emploi se- rait pour l’opposition une erreur car la carte du vote FN et celle du chômage sont quasiment super- posables. Le sursaut politique ré- publicain observé dans les urnes peut être prolongé par un sursaut économique républicain. C’est une réponse de fond et d’action à la montée de l’extrême droite. Pourquoi vous êtes-vous opposé à la ligne du «ni-ni» portée par Nicolas Sarkozy? Il fallait montrer que nous vou- lions absolument éviter qu’une région de France tombe dans les mains du FN. Nous aurions pu af- ficher clairement cette priorité. Ilnousfautuneéthiquerépubli- caine: les socialistes sont nos ad- versaires mais notre attitude ne peut pas être la même à l’égard d’un républicain et d’un extré- miste. La ligne droitière de Nicolas Sarkozy peut-elle mener votre camp à la victoire en 2017? En tant que représentant de l’ex- UDF, avec des convictions libéra- les et humanistes, j’ai évidem- ment des différences politiques avec Nicolas Sarkozy. Je reconnais sa puissance et sa capacité d’auto- rité.Salignepolitiqueestunepar- tie forte de notre mouvement mais ne peut pas représenter tout le mouvement. A-t-il raison de reprendre des thèmes du FN pour séduire ses électeurs? Courir derrière le FN est une fuite et une stratégie fragile. On doit formuler des propositions suffisamment fortes, crédibles et incarnéespourfairevenirlesélec- teurs sur nos idées, au lieu d’aller vers ce que propose le FN. On ne doit pas aller chercher les élec- teurs frontistes en disant «votre colère est légitime» mais en dé- montrant que nous avons les bonnes réponses pour eux. Y a-t-il un risque d’implosion de LR, entre les «droitiers» et les «modérés»? Lerassemblementestnécessaire car il faut qualifier notre candidat pourlesecondtourdelaprésiden- tielle. Or, ce n’est plus acquis par le fait nouveau que le FN s’est mis en position probable d’atteindre le second tour en 2017. En 2002, la création de l’UMP permettait de qualifiernotrecandidat.Depuis,la culture centriste-libérale a été en partie dissoute dans l’ensemble. C’est une faiblesse. La culture du volontarisme et celle de la tempé- rance doivent cohabiter et coexis- ter.Sicelanedevaitpasêtrelecasà l’avenir, la qualification de notre candidat au second tour de la pré- sidentielle deviendrait incertaine. «Manuel Valls devrait associer l’opposition à l’élaboration d’un “plan républicain pour l’emploi”» Jugez-vous François Hollande renforcé après les attentats, la COP21 et les régionales? Le président fait preuve d’une habiletéredoutable.Ilestplusfort en politique qu’en économie. Il a parfaitementgérélaCOP21,aétéà la hauteur lors du drame national il y a un mois et a réalisé un coup de maître politique, en retirant ses candidats aux régionales en PACA et dans le Nord. Cet acte d’apparence désintéressée, c’est cequedemandentlesFrançaisàla politique. Je mesure les arrière- pensées et la part de malice de François Hollande, dont il ne faut pas sous-estimer l’habileté pour 2017. Réussir à sortir le chômage des radars de l’opinion publique fut très efficace. Vigilance. p propos recueillis par matthieu goar et alexandre lemarié
  • 4. Mercredi 16 décembre 2015 Les Echos Laverticaleduconformisme Depuisdessiècles,lasociétéfran- çaise est organisée en grands appareils verticaux, ce qui la rend difficile à réformer. Tel est le cas dans l’ordre institution- neloù,depuis1962,l‘électionausuffrage universelduprésidentdelaRépublique vientcouronnerunelonguetraditionde pouvoir centralisé. Le chef de l’exécutif incarnelasouverainetépopulaire,privi- lège qu’il partage avec le législateur. Qu’est-cequel’intérêtgénéral ?L’expres- sion de la volonté du peuple répondait Rousseau, depuis lequel le concept n’a pasétémodifié.L’Etatensonsommetest doncleseulgardiendel’intérêtgénéral. De façon plus générale, notre sys- tème politique est verticalisé par l’orga- nisation même des partis, qui sont reconnusparlaConstitution.Leurshié- rarchies internes, toutes similaires, sont ajustées sur la trajectoire idéale d’une carrière visant à conduire leurs meilleurs éléments aux plus hautes fonctions : militant de base, responsa- bled’unesectionlocale,secrétaired’une fédération départementale, membre d’un conseil national, puis d’un bureau politique, enfin, chef de parti. A ce niveauondevient,commesoutiendans la majorité, comme adversaire dans l’opposition, un interlocuteur du gou- vernement et un invité des médias. Les appareils syndicaux sont bâtis à l’identique. Un chef syndical doit sui- vre, dans l’ordre économique et social, un parcours similaire à celui de son homologue en politique. A l’intérieur de chaque centrale syndicale, les pro- motionssefontdansdesconditionsqui ne sont pas très différentes de celles en vigueur dans les partis. Et l’élection à intervalles réguliers des représentants du personnel dans les entreprises donne aux responsables élus une aura de légitimité qui s’apparente à celle dont se prévalent les politiques. Pouvoir politique et contre-pouvoir social, issus de deux matrices similai- res, discutent donc et, le cas échéant, s’affrontent, chacun au nom de l’inté- rêt général, du haut de leurs pyrami- des respectives. Le dialogue social se déroule entre grands dirigeants, au sommet de la montagne. Cela, d’autant que le monde de l’entreprise lui-même a accepté d’entrer dans ce modèle. De manière paritaire, les par- tenaires sociaux ont divisé le système productif en sept cents branches, cha- cune ayant vocation à écrire sa con- vention collective, comme si les struc- turesdel’économieétaientintangibles et les frontières entre activités figées pour l’éternité. Dans ce superbe jardin à la française, les normes descendent du ciel vers la terre : d’abord la loi (l’Etat), puis l’accord interprofession- nel (niveau du patron du Medef et des leaders des confédérations syndica- les), puis les accords de branche (fédé- rations), puis d’entreprise (sections). Cetteverticalitégénéraliséeaunetri- ple conséquence. Tout d’abord, l’entre- priseconstituéeetlesalariatysontpar- faitement représentés, jusqu’au plus hautniveau.Maislesprofessionsquine relèvent ni de l’une, ni de l’autre et n’ont pas suorganiserleurreprésentationen pyramides de même hauteur sont structurellement déclassées. Tel est le casdesprofessionslibérales,desméde- cins,desavocats,desartisans,desentre- preneurs individuels : lorsqu’ils apos- trophent l’Etat, d’en dessous si je puis dire, ils donnent l’impression de défen- dre des intérêts particuliers, contre l’intérêt général. Donc ils sont suspects avantmêmedeparler.Quantàceuxqui n’ont pas de représentation propre (les chômeurs), ils n’existent pas. Deuxième conséquence, comme les structuresproductivessontimmuables etquelessalariésleursontattachésàvie (ou vus comme tels), notre système de protection sociale est fondé sur l’entre- prise ou la branche, jamais sur l’indi- vidu. Formation professionnelle, santé, prévoyance, retraites complémentai- res,l’employeurdoittoutnaturellement financer l’entretien d’une force de tra- vail qui ne dépend que de lui et n’a pas d’autredestinée.JeanJaurèsvoyaitdéjà lesalariatcommeuneformeaméliorée du servage. Donc, que le patron paye ! Dernière conséquence, sans doute la plus grave, ces pyramides sont des machinesàfaireremonterlesdivergen- cesaunomdeconceptionsopposéesde l’intérêtgénéral,jamaisoupresqueàles résoudre de manière transverse, aux niveauxlesplusdécentralisés.Chacune est porteuse d’une idéologie propre, à caractère bien établi et stable dans le temps. Pour y faire carrière et monter les échelons, il faut donc en épouser les principes : les promus sont les plus zélés au service de l’organisation et des idées qui l’animent. Le « politiquement correct » est localement dominateur, les pensées nouvelles partout suspec- tes.Ainsilesappareilsverticauxsont-ils par nature conformistes, peu capables d’imaginationetdoncvouésparnature au conservatisme et à la sclérose. Or ce modèle est inadapté au monde d’aujourd’hui.Lasouverainetéhexago- nale de l’Etat est sans effet au-delà des frontières, dans une économie mon- dialisée où seule la compétitivité de l’offre a quelque vertu. Dans l’ordre interne, l’innovation digitale et la numérisation de l’économie boulever- sent l’organisation de la production et cassent les séparations de plus en plus artificielles entrebranches.Lesystème français va devoir épouser ces nouvel- les données, sous peine d’une véritable régression collective, dont la tentation est malheureusement visible. La verti- calitédenosstructuresrendlaréforme improbable. Elle est cependant inéluc- table. Il va falloir, d’une manière ou de l’autre, remettre de la transversalité dans nos fonctionnements par une vraie décentralisation du dialogue entre les intérêts concernés et asseoir notresystèmedeprotectionsocialesur l’individu tout au long de ses divers emplois, plus que sur des branches et des métiers dont la pérennité n’est pas assurée.Commentmettredelamoder- nité là où règne aujourd’hui le confor- misme ? La réponse n’est pas simple… Jean Peyrelevade est président de la banque Degroof Petercam France. Notre modèle produit des divergences au nom de conceptions opposées de l’intérêt général. Aujourd’hui, les problèmes doivent être abordés de façon transverse, décentralisée. LA CHRONIQUE de Jean Peyrelevade L’organisation verticale de notre appareil politique et social produit des normes descendant du ciel vers la terre. Chaque idée nouvelle y est suspecte au sein de corps hiérarchisés. Un modèle inadapté au monde moderne.