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Courrier international — no 1311 du 17 décembre 2015 au 6 janvier 2016
trans-
versales. —The Verge (extraits)
New York
Bientôt, quand vous irez
manger dans un Olive
Garden [chaîne de res-
taurants de cuisine italo-améri-
caine], vous pourrez commander
vos fettucine Alfredo en utilisant
une tablette installée sur la table.
Après l’addition, vous noterez le
serveur. Puis, avec cette même
tablette, vous réserverez un taxi
Uber,quevousnoterezégalement,
de 1 à 5 étoiles. Vous rentrerez à
l’appartement que vous avez loué
sur Airbnb et vous lui attribue-
rez plusieurs notes. Vous deman-
derez ensuite à un travailleur de
TaskRabbit ou de Postmates de
vous livrer des courses – et vous
le noterez aussi.
Peut-être irez-vous ensuite
contrôler le travail de la déve-
loppeuse que vous avez recrutée
sur Upwork pour votre site web
grâce aux captures d’écran prises
automatiquement sur son ordi-
nateur et vous vous demanderez
quelle note lui donner une fois
le travail accompli. Vous pour-
riez même trouver quelqu’un sur
Handy pour faire le ménage dans
le logement avant votre départ –
des étoiles, encore des étoiles !
Méli-mélo. L’économie à la
demande brouille les frontières
entrel’employeuretl’employé,un
méli-mélo que législateurs et tri-
bunaux commencent tout juste
à débrouiller. Jusqu’à présent, le
débat se centrait sur cette ques-
tion :cestravailleursdoivent-ilsêtre
descontractuelsoudesemployés?
Maisilexisteunetiercepartieque
l’on oublie souvent : le client. Les
systèmes de notation utilisés par
ces entreprises transforment les
clients en managers de fait, par-
fois impitoyables, plus exigeants
quen’importequelchefdontpeut
rêver une entreprise. Toujours
là, ils travaillent gratuitement,
hyperattentifsàlamoindreerreur.
L’algorithme n’a plus qu’à compi-
ler leurs évaluations et éventuel-
lement à radier les travailleurs en
conséquence.
Les notations permettent aux
entreprises de travailler à des
échelles colossales en gérant de
grands pools de contractuels non
qualifiés sans avoir à engager de
superviseur. Pour le client aussi,
c’est une bonne affaire : il obtient
un service à bas prix fourni avec
le sourire – même si c’est un sou-
rireinquiet.Enrevanche,pourles
travailleurs, déjà dans la position
précairedecontractuels,l’idéeque
chaqueclientestunpatronestter-
rifiante. Après tout, le client peut
être un con… “On devient des pros
du léchage de bottes parce qu’on n’a
pas le choix, confie un chauffeur
d’Uber. Uber et Lyft ont créé cette
espèce monstrueuse de clients qui
veulent un service digne du Ritz au
prix d’un McDo.”
En mars dernier, quand le juge
EdwardChenarejetélarequêtede
jugement en référé présentée par
Uberconcernantlerecourscollec-
tifdeconducteurscaliforniens[qui
souhaitentêtrerequalifiésensala-
riés], il a estimé que les notations
ne sont pas seulement un outil
permettant de faire remonter des
informationsdelapartdesclients.
Selonlui,ellesdonnentàUber“un
moyen de contrôle sans doute exces-
sifsurlamanièreetlesmoyenschoi-
sis par les chauffeurs pour faire leur
travail”. Citant Surveiller et punir,
deMichelFoucault,ilajoutequ’un
“étatconscientetpermanentdevisi-
bilitéassurelefonctionnementauto-
matique du pouvoir”.
Née avec eBay, la notation est
généralement présentée comme
un moyen d’établir la confiance
entredesétrangers.Nuldouteque
lesclientsontparfoisdetrèsmau-
vaises expériences – ils peuvent
tomber sur un chauffard ou sur
quelqu’un tenant des propos qui
fontfroiddansledos–etlesystème
denotationpermetdelessignaler.
Cependant, en cas de comporte-
mentdangereux,laplupartdeces
plateformesnecomptentpassurles
notations,maissurlesmesuresde
sécuritétraditionnelles–vérifica-
tiondel’identité,recherchessurle
passéd’unindividu–,sachantque
tout acte illégal peut faire l’objet
d’une enquête grâce aux disposi-
tifsdesuividetouslestravailleurs.
Onnepeutpasmettreunenoteà
unpassécriminel,àunmanquede
formationouaumauvaisentretien
d’une voiture. Alors que notons-
nous ? Nous sanctionnons l’inca-
pacitéd’untravailleuràaccomplir
unetâcheconsidérableenuntemps
trop court, la nourriture qui est
froide quand elle est livrée, la len-
teurdutrafic,l’itinérairequeprend
unchauffeur,sonrefusd’allerplus
vite,saconversation,sesprotesta-
tions quand il nous dit que, non,
ce n’est pas possible de boire une
bière dans la voiture ni de mettre
notrecopaindanslecoffre–nous
notons tout et n’importe quoi.
Et, ce faisant, nous laissons
s’exprimer des préjugés incons-
cientsracistesousexistes,unpro-
blème avéré sur de nombreuses
↙ Dessin de Martirena,
Cuba.
1. L'éthique
2. La considération saine et équitable
de l'employé
économie
Leclient,cepatron
impitoyable
Travail. Les systèmes de notation utilisés par des
entreprises comme Uber transforment les clients en
managers de fait. Souvent implacables, ces utilisateurs
peuvent en outre fonder leur évaluation sur des préjugés
racistes et sexistes.
2 thèmes abordés :
Courrier international — no 1311 du 17 décembre 2015 au 6 janvier 2016
àlamainousemblentavoirl’inten-
tiondefaireentrertropdemonde
dans la voiture, les conducteurs
préfèrentégalementannulerpour
éviter d’avoir à leur opposer un
refus. Car, “une fois que vous avez
commencélacourse,vousêtesfichu,
me dit l’un d’eux. Tout est entre les
mains du client.”
Les chauffeurs plaisantent sur
ces passagers qui, installés sur la
banquette arrière, surveillent en
silence le trajet sur Google Maps.
Si le chauffeur tourne au mauvais
moment, il offre parfois la fin du
voyage – un geste sympa pour le
client,maisunepertesignificative
pour le conducteur, qui doit choi-
sir entre travailler gratuitement
ou risquer la radiation. “Vous êtes
dans un état de terreur et de peur
névrotiquedecommettrelamoindre
erreur”, confie l’un d’entre eux.
Plus subtilement, les notes
entraînent une sorte de gentil-
lesse forcée. Beaucoup de chauf-
feursrecommandentdesourireet
d’opinerduchef,d’éviterlessujets
quifâchentet,d’unemanièregéné-
rale,denepasavoiraveclesclients
plusdecontactsquelestrictnéces-
saire.Lemieux,disent-ils,estdese
comporterenserviteur.“Leservi-
teuranticipelesbesoins,illescomble
avec grâce et il ne parle que si on lui
adresse la parole. On ne remarque
mêmepassaprésence”,résumeune
conductrice de Sacramento.
Lesévaluationsdonnentégale-
mentdupouvoirauxpréjugésdes
clients. Un chauffeur musulman
de Tampa [en Floride] raconte en
plaisantantquesesnoteschutentà
mesurequesabarbepousse:“C’est
bizarre… ma note est de 4,78, alors
quejesuissympaetquej’aiunebelle
voiture.” La semaine dernière, il a
fait une course avec un chauffeur
Uber blanc qui “conduisait comme
untaré”,maisdontlanoteétaitde
4,9.“Onnepeutpasprouvergrand-
chose. La moitié de mes passagers
me demande d’où je viens. Alors je
réponds : ‘D’Amérique. Je suis né
aux Etats-Unis !’”
Tant que les entreprises ne
publient pas leurs données, on ne
peut rien savoir avec certitude.
Cela dit, une étude auprès d’utili-
sateursd’Airbnbmontreque,pour
desprestationssimilaires,leshôtes
touchentmoinsd’argentquandils
plateformes participatives. Si les
feed-back n’étaient que des feed-
back, ce serait juste ennuyeux.
Mais les notations sont le princi-
pal indicateur utilisé par les sys-
tèmesautomatisésquidéterminent
si vous êtes ou non employé. Les
mauvaises notes des clients sont
unpeucommelesavisdelicencie-
mentdansuneentreprisetradition-
nelle,etellessemblentfantasques
et impitoyables. C’est un étrange
pouvoir que les clients exercent
ainsi,d’autantqu’ilsnesaventtou-
jours pas qu’ils l’exercent.
Asymétrie. Un représentant de
Handy[applicationquiproposedes
servicesdeménageàdomicile]met
l’accentsurlaréciprocité.“Nouspro-
posons un système de notation réci-
proquequipermetauxclientsetaux
travailleursindépendantsdedonner
un feed-back sur la mission. Ce sys-
tème favorise l’excellence à la fois de
l’offre et de la demande, il apporte
desretoursconstructifspourlespro-
fessionnels comme pour les clients.”
ContactésparTheVerge,TaskRabbit
et Postmates n’ont pas répondu à
nosquestionsaumomentoùnous
publions ces lignes.
Mais l’évaluation réciproque
esttoujoursasymétrique.D’abord,
seuleunedesdeuxpartiesdépend
de sa note pour gagner sa vie. De
plus, les normes auxquelles sont
soumislestravailleursetlesclients
sont différentes : les chauffeurs
d’Ubersontradiésquandleuréva-
luation tombe en dessous de 4,6
(selon l’entreprise, le seuil exact
varieenfonctiondelanotemédiane
danslarégionconcernée),maisles
clients,eux,nesontjamaisradiés.
Et si un chauffeur refuse trop de
passagers mal notés, il risque de
perdre son travail.
Ce déséquilibre se traduit par
uneextrêmecirconspectionvis-à-
visdesclients.J’aidiscutéavecune
dizaine de chauffeurs Uber – qui
ont demandé à rester anonymes.
Tous s’inquiètent de savoir qui ils
transportentdansleurvéhicule.Ils
ne redoutent pas d’avoir un client
mal noté, mais un client dur dans
ses évaluations. Certains évitent
les passagers à 5 étoiles parce que
celasignifiequ’ilssontnouveauxet
qu’ilsignorentpeut-êtrequetoute
évaluationinférieureà5étoilesest
une mauvaise note.
Quandilsseretrouventcoincés
dansunbouchonouquandleclient
a mal indiqué sa localisation, ils
préfèrentannulerlacourseplutôt
que de risquer de se faire radier à
cause d’un passager agacé. Si les
clientsontdesverresenplastique
sont noirs. De même, d’après une
autre enquête, les chauffeurs de
taxiblancsontdemeilleurspour-
boiresquelesnoirs.Iln’yaaucune
raisonpourquedetelspréjugésne
sefassentpassentiraussidansles
évaluations des clients.
Lorsquelesnotesdégringolent,
la sanction peut être rude. Après
avoir eu du retard sur plusieurs
livraisons lors d’une tempête de
neige, un ancien travailleur new-
yorkais de Postmates [livraison
par des particuliers] s’est réveillé
radié(lanoteéliminatoireestde4,7,
selonlestravailleursdePostmates).
Sur TaskRabbit, les personnes ne
sont pas radiées mais les retom-
bées peuvent tout de même être
lourdes,surtoutpourlesnouvelles
recrues. Un travailleur raconte
qu’après avoir vu des amis expé-
diés au purgatoire des mauvaises
notes peu de temps après leurs
débuts,ilacommencéparaccepter
plusieurs dizaines de boulots mal
payéspourcumulersuffisamment
debonspoints.“Onnetravaillepas
que pour l’argent, m’a expliqué un
chauffeur Uber. On travaille pour
lesnotes,maislesnotesn’ontaucune
valeur.Ellesneserventqu’ànepasse
fairevirer.Oncourtcommedesrats
après ces trucs sans valeur.”
Celafaitdesannéesquelessocié-
tésintègrentlesavisdeclientsdans
leurs décisions de management :
certainesdemandentàleursinter-
locuteurs de rester quelques ins-
tants de plus au bout du fil pour
répondre à un questionnaire, les
hôtelsremettentàleurshôtesdes
formulaires de satisfaction, etc.
Maiscommeaujourd’huilesappli-
cationspeuventêtreconçuespour
demanderunretouraprèschaque
interaction,lesclientsdonnentleur
avissurtout.Etlenombreélevéde
feed-backpermetauxentreprises
d’automatiser le management.
Arbitraire. Remplacer le mana-
gement “top-down” [descendant]
pardescommentairesdécentrali-
sésestunmoyentrèsefficaced’or-
ganiser un très grand nombre de
travailleursdispersésetsansqua-
lificationenunréseauordonnéet
flexible.Maisdanslesentreprises
traditionnelles, en plus de super-
viser les travailleurs, les mana-
gers peuvent aussi les protéger
des clients furieux. Et la loi leur
interdit de licencier pour un oui
pour un non.
“La lutte contre les décisions hié-
rarchiques arbitraires constitue
une bonne partie de l’histoire du
mouvement syndicaliste, rappelle
BenjaminSachs,professeurdedroit
à Harvard. Les syndicats imposent
des règles et des conditions de licen-
ciement pour mettre des garde-fous
aupouvoirdesmanagersetgarantir
l’équité.Maisiln’existeaucuncontrôle
sur ce que les clients peuvent faire et
on imagine mal comment imposer
un tel contrôle.”
Cependant,cessystèmesd’éva-
luationconstituentunmodèletrop
efficacepourqu’ilnesediffusepas.
Tousleséconomistes,lesinvestis-
seursetmêmelestravailleursavec
qui j’ai parlé s’accordent sur ce
point.Malgrétoutesleursplaintes
à propos des notations, presque
aucun des travailleurs avec les-
quels j’ai discuté ne veut leur dis-
parition. Ils souhaitent qu’on les
amélioreeninstaurantdavantage
de transparence sur les raisons
d’unemauvaisenote,enoffrantla
possibilité de contester une note
jugéeinjusteouenexpliquantaux
clients la portée de leurs évalua-
tions.Forcément,celanécessiterait
davantagedetravail,quecesoitde
lapartduclient,souslaformed’éva-
luationsplusdétaillées,oudel’en-
treprise,souslaformed’ungrand
service des ressources humaines.
Ilestaussidespropositionsplus
radicales:KatiSipp,anciennesyn-
dicalisteetfondatricedusiteHack
the Union, estime que les travail-
leursdevraientposséderleursnotes
etpouvoirlesutilisersurplusieurs
plateformes. Pour quelqu’un qui
a passé des semaines voire des
mois à se construire une réputa-
tionsolidesuruneplateforme,s’en
aller chez un concurrent signifie
repartir à zéro. Les notes “placent
beaucoupdepouvoirentrelesmains
des sociétés qui détiennent les don-
nées,s’inquièteKatiSipp.Sijeveux
gagnermaviecommechauffeuràla
demande, pourquoi n’aurais-je pas
le droit de transférer ma réputation
UberchezLyft?Aujourd’hui,lepou-
voir de négociation des travailleurs
esttransféréverslaplateforme,c’est-
à-dire le patron.”
A ce stade, ces propositions
restent hautement théoriques.
Mais,àmesurequedesentreprises
comme Uber, Handy ou Upwork
se développeront, il deviendra
de plus en plus urgent de savoir
commentellesdécidentquigarder
et qui radier. Les législateurs et
les mouvements de travailleurs
devront s’y attaquer. Les clients,
eux aussi, doivent y réfléchir. Car
ils ne peuvent qu’être complices
du système. Ce ne sont plus de
simples clients. Ce sont aussi de
redoutables patrons.
Josh Dzieza - Publié le 28/10/15
Eric LEGER - Annoté le 27/12/15
“On ne travaille pas
que pour l’argent.
On travaille pour
les notes, mais elles
n’ont aucune valeur”
Lechiffre
54millions d’Américains sont
des travailleurs indépendants
(soit plus d’un travailleur sur
trois). Et pour 60 % d’entre eux
c’est un choix, selon une
enquête réalisée cet été pour
l’association Freelancers Union
et le site Upwork, qui met
des personnes travaillant
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Le salarié noté par le client !

  • 1. Courrier international — no 1311 du 17 décembre 2015 au 6 janvier 2016 trans- versales. —The Verge (extraits) New York Bientôt, quand vous irez manger dans un Olive Garden [chaîne de res- taurants de cuisine italo-améri- caine], vous pourrez commander vos fettucine Alfredo en utilisant une tablette installée sur la table. Après l’addition, vous noterez le serveur. Puis, avec cette même tablette, vous réserverez un taxi Uber,quevousnoterezégalement, de 1 à 5 étoiles. Vous rentrerez à l’appartement que vous avez loué sur Airbnb et vous lui attribue- rez plusieurs notes. Vous deman- derez ensuite à un travailleur de TaskRabbit ou de Postmates de vous livrer des courses – et vous le noterez aussi. Peut-être irez-vous ensuite contrôler le travail de la déve- loppeuse que vous avez recrutée sur Upwork pour votre site web grâce aux captures d’écran prises automatiquement sur son ordi- nateur et vous vous demanderez quelle note lui donner une fois le travail accompli. Vous pour- riez même trouver quelqu’un sur Handy pour faire le ménage dans le logement avant votre départ – des étoiles, encore des étoiles ! Méli-mélo. L’économie à la demande brouille les frontières entrel’employeuretl’employé,un méli-mélo que législateurs et tri- bunaux commencent tout juste à débrouiller. Jusqu’à présent, le débat se centrait sur cette ques- tion :cestravailleursdoivent-ilsêtre descontractuelsoudesemployés? Maisilexisteunetiercepartieque l’on oublie souvent : le client. Les systèmes de notation utilisés par ces entreprises transforment les clients en managers de fait, par- fois impitoyables, plus exigeants quen’importequelchefdontpeut rêver une entreprise. Toujours là, ils travaillent gratuitement, hyperattentifsàlamoindreerreur. L’algorithme n’a plus qu’à compi- ler leurs évaluations et éventuel- lement à radier les travailleurs en conséquence. Les notations permettent aux entreprises de travailler à des échelles colossales en gérant de grands pools de contractuels non qualifiés sans avoir à engager de superviseur. Pour le client aussi, c’est une bonne affaire : il obtient un service à bas prix fourni avec le sourire – même si c’est un sou- rireinquiet.Enrevanche,pourles travailleurs, déjà dans la position précairedecontractuels,l’idéeque chaqueclientestunpatronestter- rifiante. Après tout, le client peut être un con… “On devient des pros du léchage de bottes parce qu’on n’a pas le choix, confie un chauffeur d’Uber. Uber et Lyft ont créé cette espèce monstrueuse de clients qui veulent un service digne du Ritz au prix d’un McDo.” En mars dernier, quand le juge EdwardChenarejetélarequêtede jugement en référé présentée par Uberconcernantlerecourscollec- tifdeconducteurscaliforniens[qui souhaitentêtrerequalifiésensala- riés], il a estimé que les notations ne sont pas seulement un outil permettant de faire remonter des informationsdelapartdesclients. Selonlui,ellesdonnentàUber“un moyen de contrôle sans doute exces- sifsurlamanièreetlesmoyenschoi- sis par les chauffeurs pour faire leur travail”. Citant Surveiller et punir, deMichelFoucault,ilajoutequ’un “étatconscientetpermanentdevisi- bilitéassurelefonctionnementauto- matique du pouvoir”. Née avec eBay, la notation est généralement présentée comme un moyen d’établir la confiance entredesétrangers.Nuldouteque lesclientsontparfoisdetrèsmau- vaises expériences – ils peuvent tomber sur un chauffard ou sur quelqu’un tenant des propos qui fontfroiddansledos–etlesystème denotationpermetdelessignaler. Cependant, en cas de comporte- mentdangereux,laplupartdeces plateformesnecomptentpassurles notations,maissurlesmesuresde sécuritétraditionnelles–vérifica- tiondel’identité,recherchessurle passéd’unindividu–,sachantque tout acte illégal peut faire l’objet d’une enquête grâce aux disposi- tifsdesuividetouslestravailleurs. Onnepeutpasmettreunenoteà unpassécriminel,àunmanquede formationouaumauvaisentretien d’une voiture. Alors que notons- nous ? Nous sanctionnons l’inca- pacitéd’untravailleuràaccomplir unetâcheconsidérableenuntemps trop court, la nourriture qui est froide quand elle est livrée, la len- teurdutrafic,l’itinérairequeprend unchauffeur,sonrefusd’allerplus vite,saconversation,sesprotesta- tions quand il nous dit que, non, ce n’est pas possible de boire une bière dans la voiture ni de mettre notrecopaindanslecoffre–nous notons tout et n’importe quoi. Et, ce faisant, nous laissons s’exprimer des préjugés incons- cientsracistesousexistes,unpro- blème avéré sur de nombreuses ↙ Dessin de Martirena, Cuba. 1. L'éthique 2. La considération saine et équitable de l'employé économie Leclient,cepatron impitoyable Travail. Les systèmes de notation utilisés par des entreprises comme Uber transforment les clients en managers de fait. Souvent implacables, ces utilisateurs peuvent en outre fonder leur évaluation sur des préjugés racistes et sexistes. 2 thèmes abordés :
  • 2. Courrier international — no 1311 du 17 décembre 2015 au 6 janvier 2016 àlamainousemblentavoirl’inten- tiondefaireentrertropdemonde dans la voiture, les conducteurs préfèrentégalementannulerpour éviter d’avoir à leur opposer un refus. Car, “une fois que vous avez commencélacourse,vousêtesfichu, me dit l’un d’eux. Tout est entre les mains du client.” Les chauffeurs plaisantent sur ces passagers qui, installés sur la banquette arrière, surveillent en silence le trajet sur Google Maps. Si le chauffeur tourne au mauvais moment, il offre parfois la fin du voyage – un geste sympa pour le client,maisunepertesignificative pour le conducteur, qui doit choi- sir entre travailler gratuitement ou risquer la radiation. “Vous êtes dans un état de terreur et de peur névrotiquedecommettrelamoindre erreur”, confie l’un d’entre eux. Plus subtilement, les notes entraînent une sorte de gentil- lesse forcée. Beaucoup de chauf- feursrecommandentdesourireet d’opinerduchef,d’éviterlessujets quifâchentet,d’unemanièregéné- rale,denepasavoiraveclesclients plusdecontactsquelestrictnéces- saire.Lemieux,disent-ils,estdese comporterenserviteur.“Leservi- teuranticipelesbesoins,illescomble avec grâce et il ne parle que si on lui adresse la parole. On ne remarque mêmepassaprésence”,résumeune conductrice de Sacramento. Lesévaluationsdonnentégale- mentdupouvoirauxpréjugésdes clients. Un chauffeur musulman de Tampa [en Floride] raconte en plaisantantquesesnoteschutentà mesurequesabarbepousse:“C’est bizarre… ma note est de 4,78, alors quejesuissympaetquej’aiunebelle voiture.” La semaine dernière, il a fait une course avec un chauffeur Uber blanc qui “conduisait comme untaré”,maisdontlanoteétaitde 4,9.“Onnepeutpasprouvergrand- chose. La moitié de mes passagers me demande d’où je viens. Alors je réponds : ‘D’Amérique. Je suis né aux Etats-Unis !’” Tant que les entreprises ne publient pas leurs données, on ne peut rien savoir avec certitude. Cela dit, une étude auprès d’utili- sateursd’Airbnbmontreque,pour desprestationssimilaires,leshôtes touchentmoinsd’argentquandils plateformes participatives. Si les feed-back n’étaient que des feed- back, ce serait juste ennuyeux. Mais les notations sont le princi- pal indicateur utilisé par les sys- tèmesautomatisésquidéterminent si vous êtes ou non employé. Les mauvaises notes des clients sont unpeucommelesavisdelicencie- mentdansuneentreprisetradition- nelle,etellessemblentfantasques et impitoyables. C’est un étrange pouvoir que les clients exercent ainsi,d’autantqu’ilsnesaventtou- jours pas qu’ils l’exercent. Asymétrie. Un représentant de Handy[applicationquiproposedes servicesdeménageàdomicile]met l’accentsurlaréciprocité.“Nouspro- posons un système de notation réci- proquequipermetauxclientsetaux travailleursindépendantsdedonner un feed-back sur la mission. Ce sys- tème favorise l’excellence à la fois de l’offre et de la demande, il apporte desretoursconstructifspourlespro- fessionnels comme pour les clients.” ContactésparTheVerge,TaskRabbit et Postmates n’ont pas répondu à nosquestionsaumomentoùnous publions ces lignes. Mais l’évaluation réciproque esttoujoursasymétrique.D’abord, seuleunedesdeuxpartiesdépend de sa note pour gagner sa vie. De plus, les normes auxquelles sont soumislestravailleursetlesclients sont différentes : les chauffeurs d’Ubersontradiésquandleuréva- luation tombe en dessous de 4,6 (selon l’entreprise, le seuil exact varieenfonctiondelanotemédiane danslarégionconcernée),maisles clients,eux,nesontjamaisradiés. Et si un chauffeur refuse trop de passagers mal notés, il risque de perdre son travail. Ce déséquilibre se traduit par uneextrêmecirconspectionvis-à- visdesclients.J’aidiscutéavecune dizaine de chauffeurs Uber – qui ont demandé à rester anonymes. Tous s’inquiètent de savoir qui ils transportentdansleurvéhicule.Ils ne redoutent pas d’avoir un client mal noté, mais un client dur dans ses évaluations. Certains évitent les passagers à 5 étoiles parce que celasignifiequ’ilssontnouveauxet qu’ilsignorentpeut-êtrequetoute évaluationinférieureà5étoilesest une mauvaise note. Quandilsseretrouventcoincés dansunbouchonouquandleclient a mal indiqué sa localisation, ils préfèrentannulerlacourseplutôt que de risquer de se faire radier à cause d’un passager agacé. Si les clientsontdesverresenplastique sont noirs. De même, d’après une autre enquête, les chauffeurs de taxiblancsontdemeilleurspour- boiresquelesnoirs.Iln’yaaucune raisonpourquedetelspréjugésne sefassentpassentiraussidansles évaluations des clients. Lorsquelesnotesdégringolent, la sanction peut être rude. Après avoir eu du retard sur plusieurs livraisons lors d’une tempête de neige, un ancien travailleur new- yorkais de Postmates [livraison par des particuliers] s’est réveillé radié(lanoteéliminatoireestde4,7, selonlestravailleursdePostmates). Sur TaskRabbit, les personnes ne sont pas radiées mais les retom- bées peuvent tout de même être lourdes,surtoutpourlesnouvelles recrues. Un travailleur raconte qu’après avoir vu des amis expé- diés au purgatoire des mauvaises notes peu de temps après leurs débuts,ilacommencéparaccepter plusieurs dizaines de boulots mal payéspourcumulersuffisamment debonspoints.“Onnetravaillepas que pour l’argent, m’a expliqué un chauffeur Uber. On travaille pour lesnotes,maislesnotesn’ontaucune valeur.Ellesneserventqu’ànepasse fairevirer.Oncourtcommedesrats après ces trucs sans valeur.” Celafaitdesannéesquelessocié- tésintègrentlesavisdeclientsdans leurs décisions de management : certainesdemandentàleursinter- locuteurs de rester quelques ins- tants de plus au bout du fil pour répondre à un questionnaire, les hôtelsremettentàleurshôtesdes formulaires de satisfaction, etc. Maiscommeaujourd’huilesappli- cationspeuventêtreconçuespour demanderunretouraprèschaque interaction,lesclientsdonnentleur avissurtout.Etlenombreélevéde feed-backpermetauxentreprises d’automatiser le management. Arbitraire. Remplacer le mana- gement “top-down” [descendant] pardescommentairesdécentrali- sésestunmoyentrèsefficaced’or- ganiser un très grand nombre de travailleursdispersésetsansqua- lificationenunréseauordonnéet flexible.Maisdanslesentreprises traditionnelles, en plus de super- viser les travailleurs, les mana- gers peuvent aussi les protéger des clients furieux. Et la loi leur interdit de licencier pour un oui pour un non. “La lutte contre les décisions hié- rarchiques arbitraires constitue une bonne partie de l’histoire du mouvement syndicaliste, rappelle BenjaminSachs,professeurdedroit à Harvard. Les syndicats imposent des règles et des conditions de licen- ciement pour mettre des garde-fous aupouvoirdesmanagersetgarantir l’équité.Maisiln’existeaucuncontrôle sur ce que les clients peuvent faire et on imagine mal comment imposer un tel contrôle.” Cependant,cessystèmesd’éva- luationconstituentunmodèletrop efficacepourqu’ilnesediffusepas. Tousleséconomistes,lesinvestis- seursetmêmelestravailleursavec qui j’ai parlé s’accordent sur ce point.Malgrétoutesleursplaintes à propos des notations, presque aucun des travailleurs avec les- quels j’ai discuté ne veut leur dis- parition. Ils souhaitent qu’on les amélioreeninstaurantdavantage de transparence sur les raisons d’unemauvaisenote,enoffrantla possibilité de contester une note jugéeinjusteouenexpliquantaux clients la portée de leurs évalua- tions.Forcément,celanécessiterait davantagedetravail,quecesoitde lapartduclient,souslaformed’éva- luationsplusdétaillées,oudel’en- treprise,souslaformed’ungrand service des ressources humaines. Ilestaussidespropositionsplus radicales:KatiSipp,anciennesyn- dicalisteetfondatricedusiteHack the Union, estime que les travail- leursdevraientposséderleursnotes etpouvoirlesutilisersurplusieurs plateformes. Pour quelqu’un qui a passé des semaines voire des mois à se construire une réputa- tionsolidesuruneplateforme,s’en aller chez un concurrent signifie repartir à zéro. Les notes “placent beaucoupdepouvoirentrelesmains des sociétés qui détiennent les don- nées,s’inquièteKatiSipp.Sijeveux gagnermaviecommechauffeuràla demande, pourquoi n’aurais-je pas le droit de transférer ma réputation UberchezLyft?Aujourd’hui,lepou- voir de négociation des travailleurs esttransféréverslaplateforme,c’est- à-dire le patron.” A ce stade, ces propositions restent hautement théoriques. Mais,àmesurequedesentreprises comme Uber, Handy ou Upwork se développeront, il deviendra de plus en plus urgent de savoir commentellesdécidentquigarder et qui radier. Les législateurs et les mouvements de travailleurs devront s’y attaquer. Les clients, eux aussi, doivent y réfléchir. Car ils ne peuvent qu’être complices du système. Ce ne sont plus de simples clients. Ce sont aussi de redoutables patrons. Josh Dzieza - Publié le 28/10/15 Eric LEGER - Annoté le 27/12/15 “On ne travaille pas que pour l’argent. On travaille pour les notes, mais elles n’ont aucune valeur” Lechiffre 54millions d’Américains sont des travailleurs indépendants (soit plus d’un travailleur sur trois). Et pour 60 % d’entre eux c’est un choix, selon une enquête réalisée cet été pour l’association Freelancers Union et le site Upwork, qui met des personnes travaillant en freelance en relation avec des clients.