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Plombières
Terreau de passeurs
Depuis la prise du pouvoir par
les Nazis en 1933, les persécutés
de ce régime totalitaire défer-
laient par milliers par-delà les
frontières ouest de l’Allemagne:
hommes, femmes et enfants, de
nationalité allemande, adversai-
res politiques et personnes d’ori-
gine juive d’abord, des déportés
de force ensuite, des prisonniers
de guerre évadés d’autant de na-
tionalités par la suite. Dans la
région de Montzen-Baelen, rares
sont les familles qui n’ont à au-
cun moment offert spontané-
ment l’hospitalité aux personnes
traquées. D’autres ont apporté
sur le territoire même de l’Alle-
magne une aide spécifique en
amenant des livres que le régime
nazi interdisait, voire même en
participant à Aix-la-Chapelle à
quelques manifestations d’oppo-
sants au régime.
Il est ainsi trop méconnu que
ce sont dans ces échanges entre
des habitants de la région ger-
manophone, réintégrée de force
à l’Allemagne, et les opposants
au régime nazi, qui se sont évi-
demment poursuivis de manière
discrète tout au long des années
de guerre, qu’a émergé la per-
sonnalité de Conrad Adenauer.
C’était le seul homme politique
en fuite qui, grâce au clergé, dis-
poserait d’appuis partout, quand
le temps serait venu.
Mais il fallait auparavant pas-
ser par la capitulation. Dès fé-
vrier 1943, de jeunes officiers
expliquaient à leurs interlocu-
teurs germanophones préparer
un attentat contre le Führer,
dans l´espoir qu´ils pourraient
ainsi retrouver la continuité de
l´époque glorieuse de l´Empire
Ils ne comprenaient pas que leur
pays devait passer par l’éradica-
tion de son discours idéologique
dans le chaos de la défaite tota-
le. Au départ de quoi, un nou-
veau pays pourrait naître et
prendre dans la communauté in-
ternationale la place qui lui reve-
nait du fait de sa grandeur et de
son apport à la culture occiden-
tale.
Après la guerre, une féroce et
inconsciente répression pour
cause de suspicion de collabora-
tion s’abattit donc sur les habi-
tants des cantons de l’Est. Com-
paré à une moyenne nationale
de 4,15 %, un quart de la popula-
tion fut visée par des dossiers
d’instruction en 1946–1947. Mais
au final, comme l’a relevé le pro-
fesseur Alfred Minke, Conserva-
teur aux Archives de l’Etat à Eu-
pen, la proportion de procès et
de condamnations par rapport
aux dossiers ouverts se révéla
plus faible qu’au niveau natio-
nal.
L’annexion des « dix commu-
nes » du nord-est de la province de
Liège fut effective par l’arrêté du
Führer du 29 mai 1940. Cette an-
nexion et la fixation de la nouvelle
frontière au lieu-dit Merckhof à
l’est d’Aubel exacerbèrent la popu-
lation au plus haut point. Cette an-
nexion n’était pas un souhait de la
population mais bien une décision
prise par les autorités du régime
nazi. Tout recours fut inutile et même poursuivi.
Considérant, de manière erronée, tout ce qui
était de souche germanique comme politiquement
allemand, voire même nazi, les envahisseurs réussi-
rent à écœurer les habitants de manière telle que
même leur langue habituelle de prière fut subite-
ment considérée par beaucoup de personnes com-
me « langue de l’ennemi ».
En tout, ce furent 61 communes ou fractions de
communes qui auront été annexées. Tous ces habi-
tants devinrent donc Allemands
sous réserve (Deutsch auf wie-
derruf). Cela consistait à acquérir
« un statut probatoire par lequel
ils doivent se montrer dignes de
cette citoyenneté, leur nouvelle
nationalité pouvant leur être reti-
rée dans un délai de 10 ans dans
le cas contraire. »
Les citoyens qui n’avaient pas
perdu leur esprit belge, surtout
leur esprit ouvert basé sur un multilinguisme histo-
riquement profond, posèrent différents actes de ré-
sistance (Hubert Denis par exemple). Certains fai-
saient du sabotage, d’autres étaient réfractaires ou
encore passeurs. Le 25 juin 1940, 87 «éducateurs »
sur 92 passèrent la nouvelle frontière pour la région
liégeoise et au-delà. Sur 675 jeunes gens appelés à
servir dans la « Wehrmacht », 671 s’enfuirent pour
rejoindre les maquis ou créèrent un corps de pom-
piers volontaires (Montzen).
Pannesheydt, autre étape chère aux passeurs
Dans tous les villages de Plombières, il y eut des passeurs durant toute la guerre 40-
45, et même avant. Certains furent très actifs, d’autres conduisaient les évadés chez
un autre passeur, d’autres encore indiquaient le chemin vers la liberté. Il ne faut pas
oublier les braves gens qui donnaient bien sûr un coup de main occasionnellement.
Comme toute règle a ses exceptions, il y eut aussi hélas quelques traîtres.
Un très beau témoignage de cet esprit collectif d’entraide est l’attitude
locale suite à la descente des services militaires allemands de sécurité
en 1943 au couvent franciscain de Völkerich, dépendant de la Province
allemande de cette congrégation. Après l’échec flagrant de cette visi-
te impromptue, violente et meurtrière, mais sans vrai résultat, toutes
les réserves (poulailler, jardin potager, etc.) qui permettaient depuis
des années à la communauté et à ses hébergés cachés de survivre en
autarcie, avaient été détruites.
Pendant un an, pour subvenir à leurs besoins comme à ceux de
la cinquantaine de petits évadés, qu’ils recueillaient, surtout des
enfants allemands, y compris des juifs, menacés de mort, les
Franciscains allèrent mendier la nourriture nécessaire dans les
villages alentour. Aussi incroyable que cela puisse paraître au-
jourd’hui, jamais personne n’a trahi leur confiance ni dénoncé ce
besoin considérable d’aliments pour une petite communauté reli-
gieuse. Un exemple rare autant que révélateur!
Helmut Clahsen, juif
allemand, a vécu
dans sa chair et ra-
conté avec chaleur les
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Il est ainsi trop méconnu que ce sont dans ces échanges entre des habitants de la région ger- manophone, réintégrée de force à l’Allemagne, et les opposants au régime nazi, qui se sont évi- demment poursuivis de manière discrète tout au long des années de guerre, qu’a émergé la per- sonnalité de Conrad Adenauer. C’était le seul homme politique en fuite qui, grâce au clergé, dis- poserait d’appuis partout, quand le temps serait venu. Mais il fallait auparavant pas- ser par la capitulation. Dès fé- vrier 1943, de jeunes officiers expliquaient à leurs interlocu- teurs germanophones préparer un attentat contre le Führer, dans l´espoir qu´ils pourraient ainsi retrouver la continuité de l´époque glorieuse de l´Empire Ils ne comprenaient pas que leur pays devait passer par l’éradica- tion de son discours idéologique dans le chaos de la défaite tota- le. Au départ de quoi, un nou- veau pays pourrait naître et prendre dans la communauté in- ternationale la place qui lui reve- nait du fait de sa grandeur et de son apport à la culture occiden- tale. Après la guerre, une féroce et inconsciente répression pour cause de suspicion de collabora- tion s’abattit donc sur les habi- tants des cantons de l’Est. Com- paré à une moyenne nationale de 4,15 %, un quart de la popula- tion fut visée par des dossiers d’instruction en 1946–1947. Mais au final, comme l’a relevé le pro- fesseur Alfred Minke, Conserva- teur aux Archives de l’Etat à Eu- pen, la proportion de procès et de condamnations par rapport aux dossiers ouverts se révéla plus faible qu’au niveau natio- nal. L’annexion des « dix commu- nes » du nord-est de la province de Liège fut effective par l’arrêté du Führer du 29 mai 1940. Cette an- nexion et la fixation de la nouvelle frontière au lieu-dit Merckhof à l’est d’Aubel exacerbèrent la popu- lation au plus haut point. Cette an- nexion n’était pas un souhait de la population mais bien une décision prise par les autorités du régime nazi. Tout recours fut inutile et même poursuivi. Considérant, de manière erronée, tout ce qui était de souche germanique comme politiquement allemand, voire même nazi, les envahisseurs réussi- rent à écœurer les habitants de manière telle que même leur langue habituelle de prière fut subite- ment considérée par beaucoup de personnes com- me « langue de l’ennemi ». En tout, ce furent 61 communes ou fractions de communes qui auront été annexées. Tous ces habi- tants devinrent donc Allemands sous réserve (Deutsch auf wie- derruf). Cela consistait à acquérir « un statut probatoire par lequel ils doivent se montrer dignes de cette citoyenneté, leur nouvelle nationalité pouvant leur être reti- rée dans un délai de 10 ans dans le cas contraire. » Les citoyens qui n’avaient pas perdu leur esprit belge, surtout leur esprit ouvert basé sur un multilinguisme histo- riquement profond, posèrent différents actes de ré- sistance (Hubert Denis par exemple). Certains fai- saient du sabotage, d’autres étaient réfractaires ou encore passeurs. Le 25 juin 1940, 87 «éducateurs » sur 92 passèrent la nouvelle frontière pour la région liégeoise et au-delà. Sur 675 jeunes gens appelés à servir dans la « Wehrmacht », 671 s’enfuirent pour rejoindre les maquis ou créèrent un corps de pom- piers volontaires (Montzen). Pannesheydt, autre étape chère aux passeurs Dans tous les villages de Plombières, il y eut des passeurs durant toute la guerre 40- 45, et même avant. Certains furent très actifs, d’autres conduisaient les évadés chez un autre passeur, d’autres encore indiquaient le chemin vers la liberté. Il ne faut pas oublier les braves gens qui donnaient bien sûr un coup de main occasionnellement. Comme toute règle a ses exceptions, il y eut aussi hélas quelques traîtres. Un très beau témoignage de cet esprit collectif d’entraide est l’attitude locale suite à la descente des services militaires allemands de sécurité en 1943 au couvent franciscain de Völkerich, dépendant de la Province allemande de cette congrégation. Après l’échec flagrant de cette visi- te impromptue, violente et meurtrière, mais sans vrai résultat, toutes les réserves (poulailler, jardin potager, etc.) qui permettaient depuis des années à la communauté et à ses hébergés cachés de survivre en autarcie, avaient été détruites. Pendant un an, pour subvenir à leurs besoins comme à ceux de la cinquantaine de petits évadés, qu’ils recueillaient, surtout des enfants allemands, y compris des juifs, menacés de mort, les Franciscains allèrent mendier la nourriture nécessaire dans les villages alentour. Aussi incroyable que cela puisse paraître au- jourd’hui, jamais personne n’a trahi leur confiance ni dénoncé ce besoin considérable d’aliments pour une petite communauté reli- gieuse. Un exemple rare autant que révélateur! Helmut Clahsen, juif allemand, a vécu dans sa chair et ra- conté avec chaleur les événements de Völkerich