1. COLLABORATIONS AVEC LE TEMPS LE TEMPS. Australie samedi4 avril 2009 Bondi Beach, pour l’éternité Tiphaine Bühler Sydney L’une des plus célèbres plages du monde prend quelques rides. Derrière ses rouleaux, ses 40 000 baigneurs en été et ses requins, l’anse sablonneuse de Sydney ressasse 200 ans d’histoire, depuis sa spoliation aux Aborigènes Pour prendre un bain de mer à Bondi Beach, admirer la palette de verts et de bleus qu’offre une eau toujours fantasque, on venait jadis de toute l’Australie. Mais également d’outre-mer. La reine Elisabeth II, en personne, a pris part au Royal Carnaval de surf en 1954. Au fil du temps, le site a conservé une notoriété jamais contestée. Lors des Jeux olympiques de 2000, les compétitions de beach-volley se sont déroulées sur ce croissant de sable, ne laissant aucun répit aux sauveteurs. «Ni de jour, ni de nuit», se remémore l’un d’entre eux. Malheureusement, ce havre majestueux puise son origine dans les meurtrissures aborigènes. Seul le nom autochtone de Bondi a été épargné. Il signifie «bruit de l’eau brisée sur les rochers». Ses habitants, eux, ont quitté la baie, comme la majorité des 300 000 Aborigènes peuplant la région de Sydney à l’arrivée de James Cook en 1770. Des peintures rupestres indigènes et des outils ont permis de rappeler la présence de l’ethnie Eora vivant aux abords de la plage. N’en ayant cure, le constructeur de route William Roberts recevait du gouverneur Bligh une concession de 81 hectares comprenant Bondi Beach. C’était il y a deux siècles. Publicité En 2009, on célèbre surtout le 150e anniversaire de la municipalité de Waverley, actuelle propriétaire de la plage. Cérémonies du souvenir, barbecue de la réconciliation et concours de dessins de maillots de bain jalonneront toute l’année pour rappeler que Waverley est le 2e quartier le plus ancien de Sydney. Au milieu des années 1800, l’endroit était déjà un lieu de convivialité et de baignade très apprécié, même si ces dernières étaient interdites en raison de nombreuses noyades et attaques de requins. Des restrictions levées au début du siècle suivant seulement. Requins meurtriers La plage des stars, l’appelle-t-on volontiers, est désormais gérée comme une industrie touristique. «Cela coûte 1,5 million de dollars australiens (1,2 million de francs) par an à Waverley Concil pour assurer la sécurité des baigneurs ici», relève le chef des sauveteurs, qui abandonne son air désinvolte au moment de parler d’argent. Car Bondi Beach, c’est aussi une armada de sauveteurs. Chacun à Sydney se souvient du Black Sunday. Le 6 février 1938, cinq personnes ont perdu la vie, une trentaine ont dû être réanimées et 250 ont pu être sauvées de trois vagues gigantesques venues happer nageurs et nantis se dorant au soleil. Il reste, aujourd’hui, le jour comptant le plus d’interventions en 24 heures. Autre cause de préoccupations: les requins. A la mi-février encore, un surfeur a été blessé par un requin-marteau avant le coucher du soleil. Le jeune homme s’en est sorti avec une entaille de 30 cm. Il a eu plus de chance qu’un propriétaire de bateau qui, le même jour mais dans la baie de Sydney, a perdu un bras et une jambe au moment de remonter à bord. Quelque 194 personnes sont mortes à la suite d’une attaque de requin ces vingt dernières années en Australie, selon le Daily Telegraph. Pas de quoi stopper l’enthousiasme d’un surfeur venu du Japon à Bondi Beach pour trouver la vague parfaite. «Il y a des alarmes à requins, glisse-t-il, les yeux encore embués de sa dernière culbute sous les rouleaux. Peut-être que les surfeurs prennent plus de risques que les baigneurs car nous allons plus loin, mais il y a des filets à requins au large. Nous, notre seul problème, c’est qu’il y a désormais trop de touristes sur Bondi. Nous sommes obligés de venir lorsqu’il fait froid ou qu’il pleut.» Cliché du sauveteur beau gosse, Dunstan profite, avec ses collègues, d’une journée plutôt calme. «La première chose que nous faisons le matin est de contrôler les filets à requins au large. Il arrive tout de même qu’un squale passe. Alors, nous déclenchons l’alarme», dit-il en montrant un bouton au-dessus duquel une tête de requin souriant de toutes ses dents est dessinée à même le mur. «A ce moment, nous sortons avec les scooters des mers et tournons autour de l’animal. Il déteste le bruit et repart d’où il est venu», poursuit le jeune homme de 25 ans. Publicité De l’eau pour Paris Hilton A Bondi, quel que soit le temps, l’effectif minimum est de huit sauveteurs. Lors des vacances d’été, ce sont 35 professionnels qui scrutent les flots et le sable, épaulés par des volontaires. «Nous intervenons parfois cent fois par jour, mais c’est très irrégulier», observe celui qui se souvient avoir offert une bouteille d’eau à Paris Hilton, lors de son passage au dernier Nouvel An. Dunstan dit être devenu sauveteur en deux semaines. Il oublie de préciser qu’il a grandi sur la plage de Bondi et qu’il a été volontaire pendant des années. «Avec l’expérience, on apprend à regarder la mer correctement, à reconnaître ses signes et à anticiper les dangers, précise son supérieur. Notre métier a changé. Nous avons beaucoup plus de moyens technologiques et d’engins, tels que les scooters, qui permettent des sauvetages rapides. Nous devons aussi faire face à des soucis différents tels que la drogue ou les vols.» Et l’alcool? De grandes banderoles interdisent de boire sur Bondi. Qu’en est-il en réalité? «C’est récent. Avez-vous bu de l’alcool ici?» s’esclaffent les sauveteurs. Difficile, d’une seule pancarte, de mettre fin à des années de fêtes arrosées sur une plage aussi populaire. Quartier depuis toujours animé, Bondi a accueilli de nombreux migrants juifs après la Seconde Guerre mondiale. Cet héritage venu de Pologne, d’Allemagne et de Russie se retrouve dans les synagogues, les boucheries cachères et l’Hakoah Club présents dans le voisinage. «A louer» Désormais, l’Esplanade est avant tout une image d’Epinal. Elle abrite magasins de surf, restaurants à la mode et marchands de glaces. Certains – comme aujourd’hui un couple asiatique – choisissent même de s’y marier. Une carte postale de la réussite australienne. Cette dernière se retrouve un brin écornée en ce début d’année. De nombreuses vitrines affichent «à louer». Un relent de crise qui se retrouve dans les agences immobilières de luxe vendant des appartements sur la baie. Entre 1 et 6,5 millions de dollars, selon le nombre de pièces, pour une vue sur l’éternité océane. «Nos appartements ne sont occupés qu’à 40%», estime un employé de l’agence, gêné d’égratigner un mythe. /TBU LE TEMPS. Paris truqués vendredi20 mars 2009 «L’inspecteur Harry» chez les fraudeurs Propos recueillispar Tiphaine Bühler Ancien haut gradé de la police anglaise, Paul Scotney lutte contre la tricherie financière autour des événements sportifs. Que ce soit en matière de courses de chevaux, de tennis ou de football. Rencontre avec un expert de l’antifraude Superintendant-chef de la police anglaise en poste pendant trente ans, Paul Scotney est la personne de référence en matière de paris illégaux dans les courses de chevaux en Grande-Bretagne. Ses méthodes de traque de la corruption pourrissant le milieu du PMU se sont révélées si efficaces que le tennis professionnel s’est approché de lui pour mettre en place un garde-fou dans le circuit masculin. C’est aujourd’hui au tour de l’UEFA de bénéficier de son expérience. Rencontre. Le Temps: Comment un chef de police devient-il un spécialiste des paris dans les courses de chevaux? Paul Scotney: Voilà sept ans, il y a eu un énorme scandale de corruption dans le PMU anglais. Il a été mis en lumière que personne ne faisait quoi que ce soit pour empêcher les courses truquées. J’ai quitté la police et mis sur pied une équipe d’experts pour traiter de cette question. Nous étions alors des précurseurs. – Le monde du pari sportif a énormément évolué ces dernières années. Quels sont les principaux bouleversements? – L’industrie des paris s’est étendue à d’autres sports et il n’y avait aucun contrôle sur ce phénomène. Très vite, certaines personnes ont réalisé que l’on pouvait manipuler des matches. Cela a été rapidement le cas dans le football. Les nouvelles technologies ont aussi terriblement augmenté le nombre de paris [56 millions d’euros enregistrés sur Betfair, pour la finale de Wimbledon en 2008 entre Federer et Nadal]. – Davantage de paris, cela signifie davantage d’argent… – Il y a surtout eu plus d’argent pour les tricheurs. Souvenez-vous du match perdu en 2007 par Nikolay Davydenko face à Martin Vassallo-Arguello à Sopot, un tournoi de seconde zone. Un demi-million d’euros a été gagné sur ce seul match. La corruption n’a finalement pas été prouvée. Tout ça pour dire que même pour des rencontres «sans importance», il peut y avoir des sommes énormes à la merci des tricheurs. – De nombreux mois d’enquête pour voir le Russe blanchi en septembre dernier, n’est-ce pas contre-productif? – En tennis, il y a le phénomène appelé «tanking». C’est lorsqu’un joueur perd un match délibérément: pour retrouver sa petite amie, pour prévenir une blessure ou pour rejoindre un autre tournoi où il y a plus d’argent à gagner. Les tricheurs ont profité de cette pratique du «match liquidé» pour proposer aux joueurs de gagner de l’argent grâce à ça. Davydenko avait les cartes en main et pouvait doubler sa mise. Que croyez-vous qu’il ait fait? Nous n’avons pas été en mesure de prouver la supercherie, car nous n’avons pas eu sa carte SIM. Mais l’histoire a fait le tour de la planète. – Un remue-ménage somme toute vain, non? – Ne rien faire contre la corruption n’est pas une option. L’important est que les joueurs sachent qu’ils sont surveillés et que, s’ils ont des agissements douteux, on ne les quittera plus. Même si un tricheur n’est pas arrêté, son image sera ternie. C’est d’autant plus nuisible dans un sport médiatique comme le tennis. Il risque de perdre des sponsors, la faveur du public, la confiance des autres joueurs. Si le problème devient plus grave, l’industrie du pari elle-même sera touchée. Les gens ne voudront plus parier et risquer de ne pas voir leur argent en raison d’une procédure en cours. Suite au match de Davydenko, les bookmakers n’ont jamais reçu leur part. – Depuis quand et jusqu’où le tennis est-il gangrené? – Depuis quelques années déjà, mais le problème a été mis au jour et c’est un premier pas. Maintenant, le tennis est un sport à l’échelle mondiale, comme le football. Il attire donc d’autant plus les personnes désireuses de blanchir de l’argent. Publicité – Le tennis a-t-il véritablement les moyens de lutter? – J’ai travaillé dix-huit mois avec l’ATP et suivi l’affaire Davydenko. Je fonctionne désormais comme conseiller. C’est pour cela que j’étais à Melbourne l’an dernier, car rien n’existait. L’ATP, l’ITF, la WTA et le Grand Chelem se sont regroupés pour créer une cellule de surveillance. Quelle est sa qualité? Je ne sais pas. Elle est trop petite, je pense. Je ne crois pas que le tennis ait vraiment le goût d’aller très loin dans ses investigations. D’un autre côté, ils ont dit qu’ils voulaient faire quelque chose, alors ils doivent montrer des résultats dans les douze prochains mois. – Concrètement, comment agissez-vous? – Nous avons besoin d’un réseau de renseignements sur le joueur et son entourage, plutôt que d’enquêtes d’après-match. C’est-à-dire que nous infiltrons des agents dans le milieu, qui écoutent et renseignent l’organe central. La prévention et la mise sous pression des joueurs peuvent également porter leurs fruits. Si vous disposez d’une structure efficace et que les joueurs le savent, ils réfléchiront avant de passer à l’acte. Pour cela, nous utilisons également la technologie informatique, les écoutes téléphoniques, les micros et les cartes SIM des joueurs et de leurs entraîneurs. Ce qui n’est pas accepté dans tous les pays. – Ces moyens policiers ont visiblement leurs limites… – Comme pour le dopage, où il a été mis en place des tests sanguins, nous avons besoin de preuves pour arrêter les tricheurs. Les enregistrements, les e-mails ou les SMS sont extrêmement importants pour nous. En Angleterre, on peut forcer quelqu’un à nous donner sa carte SIM en lui retirant sa licence. On peut même l’enregistrer à son insu ou payer des gens pour obtenir des informations. Mais cette personne ne pourra pas témoigner devant un tribunal. Aux Etats-Unis, par exemple, le droit l’interdit. Pourtant, demander à un joueur de tennis ou de football de mettre à disposition son téléphone lors d’une enquête devrait être une nouvelle exigence que l’on accepte lorsqu’on devient professionnel. Cela est comparable à l’obligation de fournir un échantillon d’urine ou de sang lors d’un contrôle antidopage. – N’est-ce pas aller un peu loin? – En Angleterre, le PMU est un organisme qui détient sa licence d’exploitation de l’Etat. Tricher au PMU, c’est voler l’Etat. C’est pour cela que des moyens forts sont acceptés et que l’on peut exiger d’un jockey qu’il remette son téléphone portable pour une enquête. Grâce à ça, nous avons exclu quinze jockeys et une cinquantaine de personnes en marge des courses hippiques. La plupart ont été bannis à vie. Le gouvernement nous encourage dans notre travail. Il a créé une commission des jeux. La tricherie dans les paris est désormais un délit criminel en Angleterre. Il est probable que d’autres pays lui emboîteront le pas.TBU