1. Article
« L’art contemporain amérindien s’expose »
Anne-Marie St-Jean Aubre
Inter : art actuel, n° 104, 2009-2010, p. 70-72.
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http://id.erudit.org/iderudit/62609ac
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2. concept d’amérindianité, cette lunette à
partir de laquelle ils sont naturellement
représentés.Reposant notamment sur le
critère de l’« authenticité » amérindienne,
ce concept contribue au maintien d’une
vision restrictive et simpliste de leur iden-
tité, une réalité à laquelle certains artistes
font directement allusion dans leurs
propos, cités à même les murs des salles
d’exposition.
Comme le rappelle Steven Loft dans
son texte d’introduction, « [d]ans le cas de
portraits d’Autochtones, il est important
d’étudier la relation de pouvoir inhérente
au processus, le degré de contrôle du
sujet sur l’image finie et à qui revient de
décoder le sort de l’image ». Les portraits
au cadrage serré d’Arthur Renwick
montrant les visages grimaçants et
déformés d’Amérindiens expriment bien
ce refus du système de représentation
normatif largement employé pour refléter
(voire construire) ce que l’on connaît
des réalités amérindiennes. La vidéo
intitulée BrokeDickDog (2008), de l’artiste
Bear Witness, s’attaque aussi aux idées
préconçues en minant la crédibilité des
images produites par le cinéma. Assis dans
un train en marche, un jeune Amérindien
paraît perdu dans des rêveries dont le
> Arthur Renwick, Monique, 2006. contenu se réfléchit sur la vitre contre
laquelle il s’est assoupi. Renvoyant des
L’art contemporain amérindien s’expose scènes de films hollywoodiens connus
Anne-Marie St-Jean Aubre défilant à travers le paysage, la vitre agit
ici en tant que révélateur, dévoilant le
D
eux expositions présentant de l’art contraste qui existe entre les créations
autochtone contemporain se sont issues de l’imaginaire typiquement
relayées au début du printemps occidental des cinéastes et le profil de cet
dernier, soit Regards d’acier, initiée par Amérindien.
le commissaire Steven Loch pour le Sur un ton tout aussi critique,
Musée canadien de la photographie Kent Monkman et Thirza Cuthand s’en
contemporaine, maintenant situé dans prennent plutôt aux effets entraînés par
le Musée des beaux-arts du Canada à des siècles de colonisation chrétienne
Ottawa, et Hochelaga Revisited, organisée sur la sexualité des Premières nations,
par Ryan Rice au centre MAI (Montréal, les religions catholique et protestante
arts interculturels). Le mot d’ordre de ces ayant prescrit les comportements sexuels
deux événements : évoquer l’existence « normaux » à adopter en condamnant
contemporaine des Premières nations à > Arthur Renwick, Eden, 2006. l’homosexualité et le travestissement.
partir d’œuvres d’art visant à bousculer les KC Adams, avec ses séries de portraits
attentes du public quant à ce que devrait Regards d’acier sur fond blanc immaculé, reprend
être l’art autochtone. Regards d’acier, L’objectif de Steven Loft, avec pour sa part l’esthétique des photos de
qui comprenait davantage d’œuvres Regards d’acier, était de rassembler des mode afin de séduire le regardeur et
et d’artistes, faisait de la question de la œuvres visant à démanteler les idées mieux le désarçonner par la suite. Tous
représentation de l’identité amérindienne reçues quant aux représentations amérin- des travailleurs culturels amérindiens
son point de mire, alors qu’Hochelaga diennes. Critiquant la conception essen- métissés, les individus au « sang mêlé »
Revisited réfléchissait plutôt à la présence tialiste de l’identité dont les Autochtones photographiés par Adams dans des
amérindienne à Montréal, d’abord un ont fait les frais, une grande partie des univers blancs aseptisés – clin d’œil aux
territoire amérindien – ce dont il reste très artistes sélectionnés à Ottawa s’em- environnements « contrôlés » – arborent
peu de traces. ployaient à rendre visibles les rouages du chacun sur leur chandail une expression
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3. stéréotypée choisie et perlée par eux en Hochelaga Revisited
blanc sur blanc. « Shaman », « Mangeur Rappelant la motivation première au
d’hommes », « Tueur de bébés phoques » cœur de la pratique artistique de Thomas,
sont autant de caractéristiques qu’ils l’exposition Hochelaga Revisited faisait de
affichent avec un air de défi. Jouant la présence amérindienne dans la ville
davantage sur les conventions du portrait, de Montréal son thème de prédilection.
Dana Claxton, qui se définit comme une C’est après avoir constaté le peu de traces
femme lakota et canadienne dont le témoignant de la présence originelle des
double héritage a influencé son rapport Premières nations à Hochelaga, territoire
au monde, construit des images épurées devenu aujourd’hui Montréal, que Ryan
et léchées dont la charge symbolique, Rice s’est décidé à monter une exposition
difficile à décoder, est fascinante. Une autour de six artistes amérindiens ayant
série de photographies dressant le > Rosalie Favell, L’artiste dans son musée / vécu un certain temps à Montréal. « Je
portrait des membres d’une même famille La collectionneuse, 2007. voulais connaître quelle place a jouée
mêle ainsi allègrement les références à ce Montréal dans leur vie, dans leur carrière.
qui est considéré comme « amérindien » visibles de la présence amérindienne Je voulais savoir pourquoi ils ne sont pas
– tresses, peintures faciales, franges et dans les milieux urbains. Répertoriant restés », précise-t-il. Ainsi, c’est le manque
bottes mocassins, plumes et cheval – les images véhiculées par la culture d’appui responsable du peu de présence
à celles issues du monde occidental dominante dans ses monuments ou sur des artistes autochtones au Québec qui a
contemporain – voiture Mustang, complet ses enseignes commerciales, dépeignant servi de motivation première à Hochelaga
et cravate, bicyclette, survêtement de toujours l’Amérindien en pagne et portant Revisited – un premier pas pour corriger
sport –, chacun des individus refusant le une coiffe de plumes, Thomas a découvert cette situation, abordée lors de la table
critère de l’authenticité amérindienne que la réalité urbaine des Amérindiens ronde organisée conjointement avec
pour proposer une image plurielle de n’était jamais représentée. Une absence l’événement.
lui-même. à laquelle il a entrepris de remédier en L’art amérindien contemporain
Jeff Thomas, qui a grandi entre photographiant son fils aux côtés de ces véhicule souvent un propos ouvertement
la réserve des Six-Nations et la ville de symboles archaïques, et ce, afin d’attirer politique. Le travail de Nadia Myre,
Buffalo, a personnellement ressenti l’attention sur le discours que ces derniers dont la vidéo Rethinking Anthem (2008)
dans sa vie de tous les jours les effets suggèrent. Tirant partie du caractère était montrée au MAI, en est un bon
du critère romantique de l’authenticité indiciel de la photographie, l’artiste exemple. Quatre mots rappelant un
amérindienne. Puisque l’existence des a voulu amener les gens à admettre passage de l’hymne national canadien,
Amérindiens n’était reconnue que dans les l’existence contemporaine (et urbaine) home and et native land, sont tracés sur
réserves, supposées reproduire leur cadre des Premières nations. Celles-ci se sont une page blanche par deux paires de
de vie naturel, dès qu’il entrait à Buffalo, transformées, adaptées, sans pour autant mains qui, travaillant au même rythme,
Thomas devait devenir un « citadin » et s’être laissé assimiler – ce que pourrait entreprennent d’effacer la première
taire une part essentielle de lui-même. laisser croire l’emploi d’un système de expression afin d’investir la deuxième,
Refusant cette prescription, il s’est mis à représentation daté afin de référer à surlignée au point de devenir de plus en
chercher pour les photographier les traces l’identité amérindienne. plus visible. En interrogeant le pouvoir
généralement investi dans la notion
d’origine, l’œuvre réfléchit sur une des
pierres d’achoppement expliquant
la difficile cohabitation des minorités
amérindiennes et de la majorité
> Dana Claxton, Papa a une nouvelle voiture, série Mustang, 2008. > Martin Loft, Urban Native Project Series, 1986.
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4. canadienne : le fait que les réalités du sité Concordia, a voulu documenter cette Regards d’acier, qui comprenait
chez-soi et de la terre natale ne sont pas situation par le biais de ses portraits en aussi des œuvres de David Neel, de
problématisées de la même façon par les noir et blanc. Choisissant une voie plus Shelley Niro, de Rosalie Favell, de Carl
deux camps. Notons au passage le jeu de ludique, l’artiste Cathy Mattes a produit sa Beam et de Greg Staats, atteint le but
mots sur la signification du terme native, à propre version du jeu dans Le Twist (2009), que s’était donné le commissaire. En
la fois un adjectif qui réfère à l’origine et un invitant les spectateurs à devenir les prota- montrant des œuvres abordant le
substantif qui désigne un Amérindien ; une gonistes de son œuvre. Après avoir tourné thème de la quête identitaire tant d’un
synthétisation sobre mais puissante des l’aiguille indiquant sur quelle pastille de point de vue individuel que collectif,
termes de ce conflit. Ariel Lightningchild couleur poser le pied ou la main, le specta- Loft reconnaît la complexité de cette
Smith, dans une autre vidéo examinant teur devenu joueur est invité à lire les tran- question plutôt que de tenter de la
les enjeux de la colonisation, propose un ches de vie, réflexions et questionnements résoudre. Aucun consensus sur la
parallèle entre le traitement des minorités de Mattes, inscrits en français, en anglais nature de l’identité amérindienne n’est
irlandaises et amérindiennes. Usant ou dans une langue amérindienne sur la mis de l’avant par ces œuvres qui, au
d’images peut-être un peu trop littérales, pastille désignée, avant de procéder au contraire, ont en commun d’éviter
Lessons in Conquest (2005) combine jeu. Une peinture abstraite évoquant une le piège qui consisterait justement à
des séquences montrant des individus vue aérienne de l’île de Montréal en cinq croire en l’existence d’une telle nature,
bâillonnés ou suffoquant à d’autres où panneaux de l’artiste Jason Baerg et une unique et immuable. Si l’on ajoute à
la sélection et la destruction d’œufs photographie en gros plan d’un tatouage ce constat l’impulsion qui a servi de
rappellent les stratégies eugéniques visant autocollant semblable à ceux que l’on moteur à Hochelaga Revisited, celle
l’assimilation et l’amélioration génétiques retrouve dans les boîtes de céréales, par de rendre visibles les absences et les
de la race humaine. Lori Blondeau, complètent Hochelaga Revi- manques cachés au cœur de l’Histoire,
Ailleurs, une douzaine de photogra- sited. I Fall to Pieces (2009), de Blondeau, on se trouve face à deux des axes
phies d’Amérindiens fréquentant au début aurait d’ailleurs très bien pu faire partie majeurs explorés par l’art contemporain
des années quatre-vingt le Centre d’amitié de l’exposition Regards d’acier tellement amérindien. Et l’on comprend peut-être
autochtone de Montréal, situé encore son propos rejoint celui du commissaire mieux pourquoi il est généralement
aujourd’hui dans le secteur le plus usé du Steven Loft. S’appropriant le stéréotype qualifié de politique. Lorsqu’on cherche
boulevard Saint-Laurent, font directement de la princesse indienne largement véhi- à modifier les perceptions, de manière
référence à la place faite aux Amérindiens culé par la culture populaire, Blondeau directe ou sous-entendue, on travaille à
dans la ville à cette époque. Témoin de nous en montre une image complète- même les régimes de sens qui rendent
plusieurs conflits et des conditions de vie ment craquelée, sur le point de s’effacer, intelligible le monde qui nous entoure
difficiles affectant ceux qui tentaient de remettant ainsi en question l’immuabilité – un acte éminemment politique qui
s’installer dans la métropole, Martin Loft, et la persistance de cette représentation sous-tend la majeure partie de l’art
alors étudiant en arts visuels à l’Univer- inventée. autochtone contemporain.
> Cathy Mattes, Le Twist, 2009.
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