Yann Moncomble Le pouvoir de la drogue dans la politique mondiale
Projet de loi antiterroriste : un tour de vis sécuritaire sans précédent sur internet /Article 451051
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Le projet de loi antiterroriste vise Internet
PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART
ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 14 SEPTEMBRE 2014
Au nom de la lutte contre les « loups solitaires »
et le départ de Français pour le djihad en Syrie, les
députés s'apprêtent à voter un projet de loi qui prévoit
de censurer des sites faisant « l'apologie du terrorisme
» et de sanctionner « la préparation » d'un attentat
sur internet. Une attaque sans précédent dans les
libertés numériques, qui offre de nouveaux pouvoirs
aux forces de police.
C’est en urgence que les députés entament, lundi
14 septembre, l’examen d’un projet de loi de lutte
contre le terrorisme destiné à lutter contre le nouvel
« ennemi intérieur », « sans doute la menace la plus
importante » pesant sur la France, au prix d’un coup
de canif sans précédent dans les libertés numériques.
Un texte qui a de fortes chances de passer sans coup
férir malgré la mobilisation d'un collectif rassemblant
La Quadrature du net, la Ligue des droits de
l’homme, Reporters sans frontières, le Syndicat de
la magistrature... et les fortes réserves du Conseil
national du numérique.
Face à la multiplication des faits divers impliquant
des « loups solitaires », ce terroriste isolé, auto-radicalisé
sur internet et ayant combattu à l’étranger,
le ministre de l’intérieur a en effet demandé une
procédure accélérée pour ce texte présenté comme
vital pour arrêter le départ à l'étranger de Français
partis pour combattre avec les islamistes. Tout d’abord
incarné par Mohamed Merah, l’auteur des tueries
de Toulouse de 2012 et formé aux côtés d’al-Qaïda
en Afghanistan, ce terroriste d’un nouveau type est
devenu, avec l’enlisement de la guerre en Syrie, la
priorité numéro un du gouvernement. « Nous n’avons
jamais été confrontés à un tel défi », martelait le 3 juin
dernier le premier ministre Manuel Valls.
Ces derniers mois, quasiment pas une semaine ne
passe sans que la presse relate le cas d’un de ces
Français partis mener le djihad contre le régime
de Bachar al-Assad. Au mois d’avril dernier, à
l’occasion de la libération des quatre journalistes
retenus en otages en Syrie, le ministre des affaires
étrangères Laurent Fabius affirmait ainsi que plusieurs
de leurs geôliers parlaient « français ». Le 6 juin,
plusieurs médias révélaient que l’un d’entre eux
ne serait autre que Mehdi Nemmouche, auteur du
quadruple meurtre du Musée juif de Bruxelles du 24
mai dernier. Et le lendemain, Libération affirmait
même qu’il projetait de commettre « une attaque à la
Merah » 14 juillet dernier, une information toutefois
démentie par le ministère de l’intérieur.
Difficile de connaître le danger réel que représentent
pour la France ces djihadistes. Régulièrement, le
gouvernement avance des chiffres parfois très précis
et souvent incohérents. Au mois de janvier, Manuel
Valls les estimait à 700, dont 150 en transit. Au mois
d’avril, Laurent Fabius évoquait quant à lui le chiffre
de 500 combattants français. En juin, Manuel Valls
avançait cette fois « le nombre de 800 Français ou
citoyens résidant en France qui sont concernés par la
Syrie, soit parce qu'ils y combattent, soit parce qu'ils
y sont morts – une trentaine –, soit parce qu'ils en sont
revenus, soit parce qu'ils veulent y aller ». « Il s'agit
de surveiller des centaines et des centaines d'individus
français ou européens qui aujourd'hui combattent en
Syrie », poursuivait le ministre qui se disait convaincu
qu’il y a, en France « plusieurs dizaines de Merah
potentiels ».
Le 22 juillet dernier, le ministre de l’intérieur
Bernard Cazeneuve donnait aux parlementaires une
comptabilité plus détaillée : « En six mois, les effectifs
combattants sont passés de 234 à 334, comprenant
au moins 55 femmes et 7 mineurs ; le nombre des
individus plus généralement impliqués dans les filières
djihadistes, en incluant les personnes en transit, celles
qui sont de retour en France et les individus ayant
manifesté des velléités de départ, est passé de 567
à 883 sur la même période, soit une augmentation
de 56 %. Ces chiffres sont comparables à ceux
constatés dans d’autres pays de l’Union européenne ;
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de sites qui résultent « de l’exercice normal d’une
profession ayant pour objet d’informer le public,
intervient dans le cadre de recherches scientifiques
ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.
Ainsi, ce nouveau délit ne pourra entraver le travail
des journalistes ou des chercheurs universitaires »,
précise l’exposé des motifs du texte. Restent les
cas des « non professionnels », juste passionnés ou
curieux. Enfin, cet article pose la question de la
pénalisation d’une simple intention et de l’arrestation
préventive d’une personne en vertu d’une liste de
signes extérieurs de culpabilité, au risque de placer
dans l’illégalité de nombreux internautes simplement
curieux, ou passionnés cherchant uniquement à
s’informer ou à se documenter.
L’article 9 relance un débat récurrent, celui du
blocage des sites internet faisant l’apologie du
terrorisme par une autorité administrative sur le
modèle du dispositif existant pour les sites pédophiles.
Le projet de loi prévoit la création d’une autorité
administrative chargée d’établir une liste des sites
qu’elle considère comme faisant l’apologie du
terrorisme et dont elle souhaite voir interdire l’accès
depuis la France. Pour cela, cette autorité sera
aidée par une personne qualifiée désignée par la
Cnil (commission nationale de l'informatique et des
libertés) et qui sera chargée « de vérifier que
les contenus dont l’autorité administrative demande
le retrait ou que les sites dont elle ordonne le
blocage sont bien contraires aux dispositions du
code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme,
l’apologie du terrorisme ou la diffusion d’images
pédopornographiques ». Ce représentant de la Cnil
n’aura qu’un pouvoir de recommandation mais pourra
« saisir la juridiction administrative »« si l’autorité
administrative ne suit pas » son avis.
Cette disposition est sans doute celle qui est la
plus critiquée, et pas seulement par les associations
de défense des libertés. Saisi au mois de juin
dernier par Bernard Cazeneuve, le Conseil national du
numérique (CNNum) avait rendu, au mois de juillet,
un avis sévère sur cet article, dénonçant un dispositif
« techniquement inefficace », « inadapté aux enjeux de
la lutte contre le recrutement terroriste » et n’offrant
pas « de garanties suffisantes en matière de libertés ».
Le CNNum soulignait par ailleurs qu’il existe « des
alternatives plus efficaces et protectrices ». Le 10
septembre, le directeur général de l’Agence nationale
de la sécurité des systèmes d’information (Anssi),
Guillaume Poupard, s’est lui-même dit « très réservé
sur ces mesures d’un point de vue technique » et a
affirmé avoir « signalé le problème de l’efficacité de
ces mesures ».
L’article 10 modifie les règles régissant l’accès à un
système informatique dans le cadre d’une perquisition
en ajoutant un alinéa à l’article 57-1 du code de
procédure pénale afin de permettre à la police de saisir
les données stockées hors du domicile du suspect, par
exemple sur un « cloud ». Jusqu’à présent l’accès à
« des données intéressant l’enquête en cours » devait
se faire depuis « un système informatique sur les
lieux où se déroule la perquisition ». Désormais, cet
accès peut se faire depuis « un système informatique
implanté dans les locaux d’un service ou d’une unité
de police ou de gendarmerie ».
L’article 11 offre de nouveaux pouvoirs aux policiers
face au chiffrement des données, pratique permettant
de communiquer et de stocker ses données en
toute sécurité, particulièrement en vogue depuis les
révélations d’Edward Snowden. Le texte autorise les
officiers de policier judiciaire à faire appel à « toute
personne qualifiée pour mettre au clair des données
chiffrées ».
L’article 12 sort de la stricte lutte contre le terrorisme
en aggravant les peines prévues contre les hackers. Le
texte introduit la qualification « en bande organisée »
comme circonstance aggravante des atteintes aux
systèmes automatisés de données. La crainte des
hacktivistes est que cette nouvelle infraction permette
de réprimer, comme des terroristes, les militants qui,
tels les Anonymous, s’organisent pour bloquer l’accès
à un site lors de manifestations virtuelles.
L'article 15, enfin, modifie le code de la sécurité
intérieure pour porter de 15 à 30 jours la durée
de conservation des interceptions de sécurité dont
le régime avait été fortement étendu par la loi de
programmation militaire.
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Un «tournant dans l’institution de sociétés
de la suspicion»
Ce tour de vis sécuritaire sans précédent sur internet
a suscité la mobilisation des principales associations
de défense des libertés sur internet : La Quadrature
du net, la Ligue des droits de l’homme, Reporters
sans frontières, le Syndicat de la magistrature
ou encore l’April. Réunies au sein d'un collectif,
elles ont lancé au début du mois de septembre
une « campagne citoyenne » accompagnée d’un
site, Presumes-terroristes.fr, proposant une analyse
détaillée du projet de loi et incitant les internautes à
contacter leur député.
Celui-ci a également été l’objet de vifs débats à
l’Assemblée nationale au sein de la Commission
de réflexion et de propositions sur le droit et
les libertés à l’âge du numérique, composée de
parlementaires et de personnalités du monde de
l’internet. Dans une contribution publiée sur l'édition
participative de Mediapart consacrée aux travaux de
cette commission, « Libres enfants du numérique »,
le cofondateur de la Quadrature du net, et membre
de la commission, Philippe Aigrain s’est livré à
une analyse, article par article, du texte. « Le
risque principal qui pèse sur le débat en séance
plénière sur le projet de loi terrorisme à venir à
l’Assemblée nationale est celui d’une prise d’otage de
la délibération du fait de l’invocation d’une urgence
sécuritaire », écrit-il. « Le projet de loi manifeste
une exploitation de la situation pour faire passer des
dispositions réclamées depuis longtemps par certains
services de sécurité et de police, en particulier en
matière du contournement du judiciaire », poursuit
Philippe Aigrain. « Il met par ailleurs en place
une dissuasion et une répression préventive des
"parcours de radicalisation" qui est un véritable
tournant dans l’institution de sociétés de la suspicion.
(…) Il est non seulement légitime mais indispensable
de prendre en compte les dérives qui peuvent
résulter des dispositions proposées, dans d'autres
situations dépassant leur objet initialement affiché.
C'est pourquoi il me paraît nécessaire d'appeler les
députés qui auront à débattre du PJL terrorisme à
la mi-septembre à prendre le recul indispensable sur
ce texte. La représentation nationale ne peut être
contrainte par l'invocation d'un impératif sécuritaire à
accepter d'adopter des mesures contestables dans leur
efficacité et inacceptables dans leurs conséquences. »
[[lire_aussi]]
Ce véritable réquisitoire a valu à Philippe Aigrain
une réponse virulente du président socialiste de la
commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-
Jacques Urvoas. « Est-il encore possible de légiférer
sereinement pour adapter le dispositif judiciaire
français de lutte antiterroriste ? » se plaint le
député, dénonçant une « accumulation de tant de
formules polémiques, d’explications dogmatiques et
d’analyses simplificatrices, parfois même simplistes ».
Au-delà du débat juridique, l’élu, ardent défenseur
du projet de loi, assume les restrictions de libertés
contenues dans ce texte. Et les justifie par les nouvelles
menaces que feraient peser sur la sécurité nationale ces
nouveaux terroristes. « Si nos adversaires s’adaptent
en permanence en faisant évoluer les modalités de
leurs interventions, à la fois pour se dissimuler, pour
échapper à nos services de sécurité, et par conséquent
à la justice », affirme Jean-Jacques Urvoas, « il
semble logique, si nous voulons être efficaces, que
nous adaptions nos propres outils. »« La démocratie
est à la fois forte et fragile », estime-t-il. « Forte
de la vitalité inépuisable de ses principes et fragile
face aux messages sans paroles que sont les attaques
terroristes (…). Nous ne saurions donc les affronter
avec une main liée dans le dos. »
Cette approche sécuritaire d’internet est largement
partagée sur les bancs de l’Assemblée nationale. Et il
y a de fortes chances pour que le projet de loi sur le
terrorisme soit adopté sans modification substantielle,
comme le fut au mois de décembre dernier la loi de
programmation militaire qui avait déjà élargi l’accès
des services de renseignements français aux données
des opérateurs de communications électroniques, des
fournisseurs d'accès à Internet et des hébergeurs
de sites. Malgré, déjà, une forte mobilisation des
associations, des réticences du CNNum et l’opposition
de quelques députés, le texte avait finalement été
adopté par 164 voix contre 146.
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Un espoir subsiste cependant concernant le blocage
des sites internet, sujet sur lequel l’exécutif aurait été
sensible aux multiples critiques. En fin d’année 2013,
le gouvernement avait déjà tenté d’imposer ce filtrage
de sites internet dans le cadre de l’examen du projet
de loi de lutte contre la prostitution. Mais il avait
finalement fait marche arrière en retirant cette mesure
à la dernière minute. Deux amendements visant
l’article 9 ont déjà été déposés. L’un déposé par des
députés du groupe écologiste vise tout simplement
à annuler cette disposition. L’autre, déposé les élus
UMP Lionel Tardy et Laure de La Raudière, propose
de réintroduire le juge judiciaire dans la décision
de blocage. « Seul un juge doit pouvoir ordonner
le blocage d’un site internet à l’issue d’un débat
contradictoire, qui peut très bien être mené en urgence
en la forme des référés », suggèrent les députés.
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