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Les hommes d’exeption qui ont fait
progresser la médecine cardio-vasculaire
Maurice Raynaud (1834-1881)
Né le 10 Août 1834 à Paris, il était le fils de Jacques- d’ammoniaque ». Dans un cas, un très beau succès fut
Auguste Raynaud, enseignant au Collège Royal Bourbon obtenu par « l’application locale de l’électricité d’induction.
(actuel lycée Condorcet) et de Félicité-Marie Vernois. Le Ce moyen, d’abord fort douloureux, amena une guérison
jeune Maurice fut influencé dans ses choix par le frère de complète en dix ou douze séances, dans une semaine ». Des
sa mère, le docteur Ange-Gabriel-Maxime Vernois (1809- topiques, comme le vin aromatique, pouvaient être
1877). Raynaud entreprit ses études de médecine, après utilisés. « Quant aux irrigations froides, l’emploi heureux
avoir été ancien élève démissionnaire de l’Ecole Normale qui en a été fait a paru balancé par un inconvénient grave :
Supérieure, section lettres, où il avait été reçu troisième. c’est que leur suspension était suivie de recrudescences fort
Nommé Externe au concours de 1855, il fut reçu Interne douloureuses ». Des saignées locales grâce aux sangsues
en médecine et chirurgie des Hôpitaux et hospices civils de furent réalisées avec succès parfois, en les plaçant sur
Paris en 1857. chacune des extrémités en état d’asphyxie locale grave. Si
la gangrène était confirmée, le traitement local n’avait
Il soutint sa thèse de doctorat le 25 Février 1862, plus de raison d’être. Il fallait attendre que les escarres
intitulée : « De l’asphyxie locale et de la gangrène fussent limitées, l’élimination se faisant d’une façon
symétrique des extrémités » (Paris, 1862, n°36, 177p.). Les naturelle, évitant évidemment tout geste chirurgical.
observations rapportées, lui permirent d’observer et de
Raynaud a cité aussi l’opium pour calmer d’éventuelles
décrire au froid une phase syncopale, suivie d’une phase
douleurs atroces, l’eau de Vichy à dose assez forte, et le
asphyxique accompagnée de douleurs, tant au niveau des
sulfate de quinine. Mais il recommandait surtout de
doigts des mains, que des pieds. Des constatations
permettre à chaque praticien de se laisser guider par les
identiques furent faites chez certains enfants. Raynaud a
circonstances. Il concluait : « on est trop heureux lorsqu’à
souligné que le sexe féminin était prédominant : « sur mes
défaut d’un soulagement efficace on peut encourager les
25 observations, 20 sont relatives à des femmes, et 5
malades par l’espoir d’une guérison probable et prochaine ;
seulement à des hommes ». Il avait relevé que la maladie
était « apparue de 18 à 30 ans, avec toutefois un très léger et ce point fut-il le seul qui résultât clairement du travail
retour vers 40 ans, un seul cas s’étant présenté à l’âge de 48 que l’on vient de lire, je ne regretterais pas les soins que j’y
ans ». Cette maladie « affectait surtout les sujets à ai consacrés ».
prédominance lymphatique et nerveuse » et survenait
« dans l’automne et le printemps, et plus particulièrement En 1874, Maurice Raynaud compléta sa description en
pendant le mois de novembre ». Les hypothèses publiant : « Asphyxie locale des extrémités et gangrène
physiopathologiques restaient incertaines. En guise de symétrique, deux degrés de la même maladie, alors que le
thérapeutique, Raynaud se borna à indiquer une grosse second manque souvent ». Sa lecture a permis de constater
erreur à éviter : les bains locaux sinapisés, (qui eurent un qu’il confirmait l’asphyxie locale, et qu’il insistait sur
)qui auraient des résultats désastreux. Par contre il l’atteinte des extrémités, avec cyanose, lividité et douleurs
recommandait « les substances aromatiques, telles les plus ou moins marquées, au niveau des doigts des mains et
embrocations de fleurs de benjoin ». De plus, si on pouvait des pieds, du nez et des oreilles, avec une remarquable
toucher les membres des malades, il préconisait de « les symétrie des lésions. Il émettait des hypothèses
frictionner doucement, avec un morceau de flanelle imbibé physiopathologiques, notamment le rôle éventuel d’un
d’eau de Cologne ou d’eau de mélisse, légèrement aiguisée spasme vasculaire. Enfin il signalait à nouveau
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l’amélioration obtenue dans plusieurs observations par enfant mort de la rage ». Avec Pasteur et Lannelongue, il
l’usage de courants continus. publia les résultats de leurs recherches communes. M.
Raynaud fit paraître « les leçons de Germain Sée ». Outre sa
Raynaud, fidèle à sa formation littéraire initiale, devint thèse, ses « Titres et Travaux scientifiques » comportaient en
aussi Docteur es lettres à la Sorbonne dès 1862, après 1876, cinquante six publications, à l’appui de sa
avoir soutenu sa thèse sur « les médecins au temps de candidature à la chaire d’Histoire de la médecine et de la
Molière, mœurs, institutions, doctrines ». Dans l’avant- chirurgie.
propos, il précise : « ce n’est point une récrimination que
l’on va lire, encore moins une réhabilitation. Ce qui a été Il enseigna avec succès à Lariboisière et la Charité. Paul
attaqué par Molière méritait de l’être. Des ridicules qu’il a Labarthe a même rapporté (Nos médecins contemporains,
flétris, la plupart sont morts, grâce à lui, et nous l’en Paris, 1868) que Raynaud, « Agrégé de la Faculté, fut
remercions. Quelques uns subsistent, et subsisteront chargé en 1867, de faire à l’Ecole les cours sur les maladies
probablement toujours. Mais aussi Molière est immortel ; mentales, qui avaient été pour M. Lasègue le sujet de tant
ils sont là debout, comme pour lui donner éternellement d’applaudissements mérités. La place, après lui, devenait
raison. J’ajoute qu’eût-il tort, il serait trop tard pour y difficile à tenir ; cependant M. Raynaud a su captiver et
revenir, car les décisions du génie sont sans appel : il y a retenir autour de sa chaire un assez grand nombre d’élèves,
chose jugée ». Il ajoutait : « J’ai pensé qu’un court aperçu parmi lesquels on remarquait beaucoup de membres du
sur les doctrines médicales de cette époque reculée, Cercle de la rue Cassette, avec lesquels il est en communion
doctrines descendues en droite ligne du galénisme, serait d’idées. Quel dommage que M. Maurice Raynaud soit
indispensable pour l’intelligence des démêlés scientifiques universitaire et clérical !! ».
et littéraires qui s’y rencontrent à chaque pas ». En se
reportant à cet ouvrage de 464 pages, un quelconque Il mourut subitement en pleine force de l’âge, le 29 Juin
lecteur, a fortiori médecin, n’a pu qu’en apprécier le style, 1881. Plusieurs discours furent prononcés sur sa tombe. Le
les idées et goûter certains détails ou anecdotes. Louis XIV docteur Peter, professeur à la Faculté, au nom de
dit un jour à Molière : « Vous avez un médecin ; que vous l’Académie de médecine, insista sur la fin prématurée de
fait-il ? - Sire, reprit Molière, nous causons ensemble ; il M. Raynaud, âgé seulement de 47 ans, « qui regrettait de
m’ordonne des remèdes ; je ne les fais pas et je guéris ». n’avoir pas encore de chaire ». L’orateur ajouta que six
Raynaud a rapporté aussi « qu’un contemporain, dont jours auparavant, Maurice Raynaud avait fait à l’Académie
on aime à ignorer le nom, eut la cruauté de faire sur la mort un rapport sur le prix Civrieux, dont tous les lauréats
de Molière, l’épigramme suivante : étaient des médecins de province, ajoutant : « Bravo, la
Ci gît un qu’on dit être mort ; province travaille ! Evidemment la France n’est pas près de
Je ne sais s’il l’est ou s’il dort ; déchoir ». De plus, Raynaud, moins de quinze jours
Sa maladie imaginaire auparavant, lui exposa le plan d’un discours qu’il devait
Ne saurait l’avoir fait périr : prononcer au Congrès médical de Londres sur « le
C’est un tour qu’il joue à plaisir, scepticisme en médecine ». Peter rappela ses qualités de
Car il aimait à contrefaire, clinicien, physiologiste, orateur et lettré, « suivant ainsi la
Comme il était grand comédien, tradition des médecins français humanistes, comme Guy
Pour un malade imaginaire, Patin au XVIIe siècle ». Prirent aussi la parole, Dieulafoy au
S’il fait le mort, il le fait bien ». nom des Agrégés à la Faculté, Féréol pour les Médecins des
hôpitaux et G. Variot, son dernier Interne.
La carrière médicale de Maurice Raynaud n’en fut pas
moins plus qu’honorable : médecin du bureau central des La maladie de Raynaud, ainsi dénommée ultérieurement,
Hôpitaux en 1865, Agrégé de la Faculté l’année suivante fut reconnue par toute la communauté médicale
après avoir traité des « hyperhémies non phlegmasiques et internationale : son auteur avait pressenti qu’elle pouvait
de la révulsion », il exerça à l’hôpital Lariboisière à partir de être générale, sans parler toutefois à l’époque de maladie
1872. Entre temps, plusieurs récompenses lui furent systémique, ouvrant plus tard sur la sclérodermie, le lupus
attribuées : médaille d’argent du gouvernement pour érythémateux aigu disséminé et le syndrome de Sharp.
services rendus dans les hôpitaux de l’armée d’Italie en Enfin l’examen capillaroscopique périunguéal ne semble pas
1859 et médaille d’or du choléra en 1865. Raynaud a été élu avoir été réalisé par Maurice Raynaud ou ses collaborateurs,
à l’Académie de médecine en 1879. Plusieurs de ses travaux alors que l’utilisation du microscope était en plein essor.
y furent l’objet de communications, notamment sur
« l’infection et l’immunité vaccinale », « le traitement du
rhumatisme cérébral par les bains froids », « la salive d’un J-M Mouthon
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Sources - Raynaud Maurice, Nouvelles recherches sur le
traitement de l’asphyxie des doigts, Paris, 1874, bium,
toutes à la Bibliothèque Interuniversitaire de médecine (bium)
90946, t32, n°7
- Raynaud Maurice, Paris, 1862, n°36, 177p., De - Raynaud Maurice, Titres et travaux, Paris, 1876, bium
l’asphyxie locale et de la gangrène symétrique des 110133, tXIV (22)
extrémités, thèse pour le doctorat en médecine - Raynaud Maurice, Discours prononcés sur sa tombe,
- Raynaud Maurice, Les médecins au temps de Molière, Paris, 1881, bium 48481
mœurs, institutions, doctrines, Paris, 1863, bium - Vernois Ange Gabriel Maxime, Paris, 1837, n°478,
86404/Mf n°1515 147p., Etudes physiologiques et cliniques pour servir à
- Raynaud Maurice, De la révulsion, thèse d’Agrégation, l’histoire des bruits des artères, thèse pour le doctorat
Paris, Baillière, 1866, 168p., bium 90960, t483, n°1 en médecine
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