L'appropriation organisationnelle d'un projet intrapreneurial
1. L’appropriation organisationnelle d’un projet
´ ˆ
intrapreneurial spontane : le role des
slackholders
Pascale Bueno Merino ∗
Samuel Grandval †
S´bastien Ronteau ‡
e
Communication pr´sent´e aux 3`mes Journ´es Georges Doriot
e e e e
« L’Intrapreneuriat : Au-del` des discours, quelles pratiques ? »
a
4 et 5 Mars 2010 - Caen - France
R´sum´
e e
Dans ce papier, nous insistons sur l’importance du slack organisationnel dans l’´mergence de pro-
e
cessus intrapreneuriaux spontan´s, c’est-`-dire r´sultant d’initiatives individuelles de la part d’em-
e a e
ploy´s. Nous concentrons notre attention sur le rˆle des acteurs d´tenteurs d’un pouvoir sur l’uti-
e o e
lisation des ressources et des comp´tences en exc´dent dans l’organisation. Ces acteurs, pr´sents `
e e e a
diff´rents niveaux hi´rarchiques de l’entreprise, vont faciliter l’appropriation organisationnelle du nou-
e e
veau projet intrapreneurial. A l’image des concepts de shareholder ou de stakeholder dans l’analyse
de la cr´ation de valeur, nous retiendrons et proposons celui de « slackholder » afin de mettre en
e
exergue les enjeux li´s a l’existence au sein de l’organisation d’une coalition d’acteurs a l’origine de
e ` `
la mise en œuvre et de l’appropriation par l’organisation d’un nouveau projet intrapreneurial.
Mots Cl´s : Intrapreneuriat spontan´, Slack organisationnel, Slackholder, Appropriation organisation-
e e
nelle
Introduction sur l’identification et l’accompagnement d’entrepre-
neurs internes que sur leur capacit´ ` entretenir un
ea
L’innovation tient une place importante dans slack organisationnel dans un souci de revitalisation
les pr´occupations strat´giques des dirigeants. Se- de l’entreprise (Penrose, 1959).
e e
lon une ´tude du Boston Consulting Group1 (2007),
e
66% des dirigeants d’entreprise interrog´s placent
e
l’innovation parmi leurs trois principales priori- Dans ce papier, nous insisterons sur l’importance
t´s strat´giques et 67% des r´pondants comptent du slack organisationnel dans l’´mergence de pro-
e e e e
accroˆıtre leurs investissements dans l’innovation. cessus intrapreneuriaux spontan´s. Nous concentre-
e
« Une innovation se traduit en nouveaux produits rons notre attention sur le rˆle des acteurs d´ten-
o e
et services, ou en nouveaux mod`les de penser et teurs d’un pouvoir sur l’utilisation des ressources et
e
d’agir, d’organiser, de g´rer ses relations et ses des comp´tences en exc´dent dans l’organisation.
e e e
modes d’appropriation » (Tabatoni, 2005, p.10). Ces acteurs, pr´sents ` diff´rents niveaux hi´rar-
e a e e
Les chercheurs en Sciences de Gestion se sont in- chiques de l’entreprise, vont faciliter l’appropriation
t´ress´s ` la mani`re dont les individus et les organisationnelle d’un nouveau projet intrapreneu-
e e a e
groupes agissent pour produire des id´es nouvelles rial, que nous assimilons dans la pr´sente recherche
e e
et les transformer en de nouveaux produits, de nou- ` l’int´gration progressive du projet dans l’activit´
a e e
veaux processus et de nouvelles formes organisa- courante de l’entreprise. A l’image des concepts de
tionnelles. Il ressort de ces travaux que les processus shareholder ou de stakeholder dans l’analyse de la
qui sous-tendent la production d’innovations sont cr´ation de valeur, nous retiendrons et proposons
e
multiformes et complexes. A ce titre, les enjeux celui de « slackholder » afin de mettre en exergue
qui incombent aux organisations reposent autant les enjeux li´s ` l’existence au sein de l’organisa-
e a
∗ ESSCA - pascale.buenomerino@essca.fr
† ESSCA
‡ ESSCA
1
2. 3`mes Journ´es Georges Doriot - L’Intrapreneuriat : Au-del` des discours, quelles pratiques ?
e e a
tion d’une coalition d’acteurs ` l’origine de la mise
a Ainsi, dans un souci de clart´ et d’exhaustivit´,
e e
en œuvre et l’appropriation par l’organisation d’un nous choisissons d’adopter une d´finition adapt´e
e e
nouveau projet intrapreneurial. des travaux de Sharma et Chrisman, ` savoir que
a
l’entrepreneuriat organisationnel - ou intrapreneu-
riat - s’entend comme « le processus par lequel un
Cadre th´orique e individu ou un groupe d’individus, au sein d’une en-
treprise existante ou en association avec elle, cr´ent e
En premier lieu, nous pr´senterons des ´l´-
e ee
une nouvelle activit´ ou innovent pour renouveler
e
ments de d´finition du processus intrapreneurial. En
e
tout ou partie d’une activit´ existante » (adapt´ de
e e
deuxi`me lieu, nous soulignerons l’importance du
e
Sharma et Chrisman, 1999, p. 17-20). Cette d´fi- e
concept de slack organisationnel dans l’´mergence
e
nition a pour avantage d’attraper une diversit´ de e
d’un tel processus, notamment s’agissant d’initia-
situations dans lesquelles se cr´ent de nouvelles acti-
e
tives spontan´es de la part d’employ´s. En troisi`me
e e e
vit´s ou innovations au sein d’entreprises d´j` exis-
e ea
lieu, nous mobiliserons les travaux de Burgelman
tantes. En effet, on s’aper¸oit, par la diversit´ des
c e
(1983b) qui ont le m´rite d’identifier les diff´rents
e e
travaux sous-tendant le corpus, que les auteurs mo-
acteurs ` l’œuvre dans le processus intrapreneurial.
a
bilisent le concept pour rendre compte de ph´no- e
m`nes bien diff´rents. N´anmoins, il est possible de
e e e
L’intrapreneuriat : une pluralit´ de distinguer plusieurs points d’accords repr´sentant
e e
concepts et d’approches autant d’enjeux manag´riaux. Ces derniers vont
e
s’exprimer notamment ` travers le degr´ d’autono-
a e
Les travaux relevant de l’entrepreneuriat organi-
mie de l’action entrepreneuriale.
sationnel sont caract´ris´s par un foisonnement de
e e
termes et de situations qui peuvent conduire ` l’in-
a
compr´hension de r´alit´s dans l’entreprise (Sharma
e e e Pour des individus ou des groupes d’individus,
et Chrisman, 1999). De plus, ils emploient parfois l’autonomie concerne leur capacit´ ` s’approprier la
ea
des termes identiques pour parler de r´alit´s bien poursuite d’une opportunit´. Dans un contexte or-
e e e
diff´rentes. Comme le rappellent Zahra, Nielsen et ganisationnel, l’autonomie englobe l’ensemble des
e
al. (1999), la litt´rature sur le Corporate Entrepre- actions autoris´es ou acceptables pour s’extraire
e e
neurship fait d´sormais partie int´grante de la litt´- de contraintes organisationnelles ´touffantes (Dess,
e e e e
rature du management strat´gique. Nourris par les
e Lumpkin et McGee, 1999). L’autonomie, octroy´e e
questions actuelles de revitalisation des entreprises, et/ou conquise, va varier selon la nature et le degr´ e
les travaux se focalisent sur les manifestations, les de formalisation de l’autorisation d’entreprendre
ant´c´dents et sur les effets des activit´s relevant de (Zahra, 1993). Celle-ci peut ˆtre formelle et in-
e e e e
l’entrepreneuriat d’entreprise. duite par le sommet strat´gique qui d´livre un man-
e e
dat strat´gique ` des unit´s op´rationnelles, des in-
e a e e
Aujourd’hui encore, ce courant de l’entrepre- dividus ou des groupes, pour œuvrer de mani`re e
neuriat organisationnel souffre d’une multitude de autonome dans l’organisation (Burgelman, 1983b ;
concepts qui gravitent autour de faits et actions di- 1983a ; 1991). Ou ` l’inverse, elle peut ˆtre infor-
a e
rectement observables. L’examen de la terminolo- melle et conquise d`s lors qu’elle rel`ve d’activi-
e e
gie employ´e nous montre ` quel point les d´fini- t´s non prescrites, non attendues et non autori-
e a e e
tions ne font pas l’unanimit´ au sein d’un mˆme e
e e s´es, dans lesquelles s’engagent des individus qui
corpus. Toutefois, malgr´ les divergences, la plu- se fraient un chemin ` eux, dans un contexte pe-
e a
part des auteurs s’accordent sur la d´finition pro-
e sant, parfois complice et souvent hostile, parce qu’ils
pos´e par Guth et Ginsberg (1990), ` savoir que croient ` une opportunit´ et veulent avancer. Cette
e a a e
« l’entrepreneuriat d’entreprise peut regrouper ` la a seconde approche a ´t´ popularis´e par les travaux
ee e
fois la gen`se de nouvelles activit´s dans des acti-
e e de Gifford Pinchot sous la terminologie d’intrapre-
vit´s pr´existantes et la transformation, ou la re- neuriat (Pinchot, 1985). Dans sa version la plus
e e
naissance, des organisations par un renouvellement informelle, l’action entrepreneuriale se d´roule en e
des concepts-cœurs, sur lesquels elles se sont d´ve-e l’absence de toutes contraintes de type planifica-
lopp´es2 » . N´anmoins, cette d´finition ne permet tion, contrˆle financier ou mˆme revue de produits
e e e o e
pas d’appr´hender les diff´rentes logiques d’institu-
e e - ce qui est commun´ment appel´ « d´veloppement
e e e
tionnalisation des id´es dans l’organisation (Van de
e en perruque ». Cette question de la formalisation
Ven, 1986). C’est notamment le cas pour la ques- de l’autorisation d’entreprendre fait r´f´rence ` laee a
tion de la mise en tension dans l’organisation entre nature du soutien par le sommet strat´gique.e
les ambitions et les ressources. Les logiques d’insti-
tutionnalisation des id´es adoptent des dynamiques
e L’autonomie peut ´galement r´sulter du design
e e
diff´rentes selon qu’elles prennent pied dans des en- organisationnel. Comme le rappelle Olivier Basso
e
treprises d´j` existantes ou qu’elles rel`vent de l’en- qui reprend des travaux de Burgelman (1984), le
ea e
trepreneuriat individuel. locus de l’action entrepreneuriale d´coule de la
e
Bueno Merino, Grandval et Ronteau 2
3. 3`mes Journ´es Georges Doriot - L’Intrapreneuriat : Au-del` des discours, quelles pratiques ?
e e a
conjonction de deux dimensions que sont l’impor- en 1997 de r´concilier ces deux interpr´tations di-
e e
tance strat´gique associ´e ` la nouvelle activit´ et
e e a e vergentes en soulignant l’existence d’une courbe en
la nature du lien op´rationnel qui la relie ` l’entre-
e a cloche dans la relation entre slack et innovation et
prise m`re. Du croisement de ces deux dimensions
e par cons´quent l’existence d’un point d’inflexion au-
e
d´coulent neuf options organisationnelles pour abri-
e del` duquel le niveau de slack exercerait un impact
a
ter l’entrepreneuriat organisationnel (Basso, 2004, n´gatif sur l’innovation.
e
pp.44-47). Le degr´ d’autonomie de l’action entre-
e
preneuriale, et donc la nature de l’encastrement des La litt´rature sur le slack organisationnel (Bour-
e
actions entrepreneuriales dans des structures pr´- e geois, 1981 ; Singh, 1986 ; Sharfman et al., 1988 ;
existantes, d´pendent ` la fois de la n´cessit´ d’un
e a e e Love et Nohria, 2005) distingue principalement
suivi, du degr´ d’apprentissage n´cessaire, de l’al-
e e deux types de slack en se basant sur le caract`re e
location sp´cifique de ressources et du traitement
e plus ou moins red´ployable des ressources et comp´-
e e
des antagonismes entre d´partements et/ou groupes
e tences en exc`s dans l’organisation : le slack « dis-
e
d’individus (Stephen, 2000). Les formes de l’entre- ponible » et le slack « absorb´ ». Le slack dispo-
e
preneuriat interne sont multiples : essaimage, start- nible est par nature flexible, facilement r´cup´rable
e e
up interne, unit´s op´rationnelles ou structures de
e e ou red´ployable et peut ˆtre illustr´ par l’exemple
e e e
type « new venture division », etc. Autant de formes des b´n´fices non distribu´s (Love et Nohria, 2005)
e e e
qui d´pendent ` la fois du niveau d’apprentissage
e a qui constituent des ressources exc´dentaires imm´-
e e
n´cessaire que de la prise de risque et de la protec-
e diatement disponibles. Par opposition, le slack ab-
tion contre les « corporate antagonisms ». sorb´ correspond aux ressources et comp´tences ex-
e e
c´dentaires qui sont enracin´es dans des routines
e e
Beaucoup de travaux demeurent actuellement fo- organisationnelles (Nelson et Winter, 1982 ; Han-
calis´s sur les manifestations de l’intrapreneuriat.
e nan et Freeman, 1984). En d’autres termes, elles
Cette approche descriptive ne permet pas de rendre sont enchˆss´es dans des r´flexes organisationnels
a e e
compte de la dynamique d’´mergence et d’appro-
e ´labor´s au cours du temps et destin´s ` faciliter le
e e e a
priation organisationnelle du projet intrapreneurial. traitement de l’incertitude dans un contexte parti-
Nous proposons en cons´quence de recourir aux tra-
e culier. Ce type de ressources et comp´tences n’est
e
vaux sur le slack organisationnel, afin de mieux ap- donc pas par d´finition imm´diatement disponible.
e e
pr´hender le processus d’´mergence et d’appropria-
e e A titre d’illustration peut ˆtre cit´ l’exemple du per-
e e
tion organisationnelle du projet intrapreneurial. sonnel en exc`s qui d´die une partie de son activit´
e e e
a
` des routines et des tˆches sp´cifiques ou bien du
a e
fonds de roulement dont la r´cup´ration va affecter
e e
L’importance du slack organisationnel les relations avec les clients et les fournisseurs in-
dans l’´mergence de processus intra-
e t´gr´s dans le cycle d’exploitation (Love et Nohria,
e e
preneuriaux 2005).
Le slack organisationnel peut ˆtre d´fini comme
e e La notion de slack revˆt un caract`re fondamental
e e
un exc´dent de ressources qui permet ` l’organisa-
e a pour Penrose (1959) dans son analyse de la crois-
tion de s’adapter aux transformations de son envi- sance de la firme. En effet, selon cet auteur, les ser-
ronnement et notamment ` des ´volutions dans le
a e vices productifs inutilis´s sont une incitation ` l’in-
e a
cœur de m´tier. Les th´oriciens de l’organisation ont
e e novation et ` la croissance en facilitant dans l’en-
a
particuli`rement insist´ sur ses enjeux strat´giques
e e e treprise l’introduction de nouvelles combinaisons
en termes d’innovation et de cr´ativit´ (Cyert et
e e de facteurs de production. Cette valorisation sup´- e
March, 1963) puisqu’il favoriserait la prise de risque rieure des ressources peut constituer la base d’un
en fournissant des ressources pour la recherche et avantage concurrentiel durable. Ainsi pour Penrose
l’exp´rimentation de nouveaux projets innovants
e (1959), la croissance de l’entreprise est rendue pos-
tels que la cr´ation de nouveaux produits. Il contri-
e sible par les exc´dents de capacit´s dont elle dis-
e e
buerait ainsi ` la flexibilit´ strat´gique de la firme
a e e pose. Le slack organisationnel est le carburant de la
et faciliterait la mise en œuvre de comportements strat´gie de d´veloppement de l’entreprise.
e e
entrepreneuriaux au sein de la firme.
L’appropriation organisationnelle
Les th´oriciens de l’agence ont par opposition une d’un nouveau projet intrapreneurial :
e
vision beaucoup plus n´gative de l’utilit´ du slack
e e
le rˆle des slackholders
o
organisationnel (Jensen et Meckling, 1976 ; Jensen,
1993). Selon ces auteurs, l’accumulation de slack r´-
e Pour Burgelman (1983b ; 1983a ; 1986), l’en-
pond ` des pr´occupations individuelles et oppor- trepreneuriat organisationnel tient, au moins en
a e
tunistes des managers et doit ˆtre per¸ue comme grande partie, aux comportements autonomes des
e c
un signe d’inefficience. Nohria et Gulati tenteront individus ou groupes d’individus qu’il convient de
Bueno Merino, Grandval et Ronteau 3
4. 3`mes Journ´es Georges Doriot - L’Intrapreneuriat : Au-del` des discours, quelles pratiques ?
e e a
relier aux consid´rations strat´giques de l’entreprise
e e direction. Ces managers vont les aider ` construire
a
pour en assurer une certaine viabilit´ strat´gique.
e e une strat´gie et communiquer ` leurs sup´rieurs hi´-
e a e e
Ce processus qu’il nomme Internal Corporate Ven- rarchiques afin de chercher un relais par l’organisa-
turing (ICV) repose sur des acteurs cl´s du pro-
e tion pour assurer l’industrialisation du concept et
cessus : les managers interm´diaires (Middle Ma-
e la poursuite l´gitime du projet, avec le cas ´ch´ant
e e e
nagers). Ils sont les garants dans l’organisation de des moyens d´di´s. Dans cette seconde phase ´merge
e e e
la transaction des id´es (Van de Ven, 1986) entre
e comme central le rˆle du manager interm´diaire - ou
o e
les « champions op´rationnels », qui jouent un rˆle
e o « champion organisationnel ». C’est lui qui devient
de d´clencheurs, et le sommet strat´gique de l’orga-
e e le promoteur du projet pour en assurer autant la vi-
nisation, qui doit canaliser les efforts au regard de sibilit´ aupr`s de la direction de l’entreprise, seule `
e e a
l’innovation pour garder une certaine consistance mˆme de lib´rer des ressources compl´mentaires au
e e e
entre ses pratiques et ses ambitions (figure 1). Dans projet (phase de coup de pouce par l’organisation),
cette approche largement reconnue par les auteurs que pour assurer progressivement l’ancrage organi-
du champ, il apparaˆ que le succ`s du processus
ıt e sationnel de l’activit´ en devenir.
e
intrapreneurial ne saurait ˆtre attribuable a un seul
e `
et unique acteur. En effet, on voit qu’explicitement
se dessinent des profils intrapreneuriaux qu’il serait Progressivement le rˆle du « champion organisa-
o
difficile voire impossible de retrouver concentr´s ene tionnel » se substitue au rˆle de « champion pro-
o
une seule et mˆme personne au sein d’une organi-
e duit » dans la r´appropriation par l’organisation de
e
sation pr´existante. Ainsi, comme le reprend notre
e l’initiative locale intrapreneuriale. On voit en ef-
figure 1, Burgelman met en ´vidence dans le proces-
e fet qu’au fil du processus intrapreneurial le ou les
sus intrapreneurial un chemin critique assurant la « champions produit » sont progressivement d´pos- e
p´rennit´ d’un projet intrapreneurial et la r´appro-
e e e s´d´s du projet au profit du manager interm´diaire
e e e
priation par l’organisation de l’initiative ´mergeant
e qui cherche progressivement ` d´fendre sa position
a e
du niveau op´rationnel. Et initiative intrapreneu-
e et sa promotion dans la structuration de l’activit´. e
riale pour laquelle l’organisation doit construire un Les processus d’ancrage organisationnel du projet
contexte de routinisation d`s lors que l’objet inno-
e intrapreneurial, phases de contextualisations stra-
vant est abouti. t´gique et structurelle, laissent une place plus im-
e
portante au sommet strat´gique de l’organisation.
e
Ce faisant, comme le montre Burgelman, le pre- En effet, charge aux dirigeants de mener une r´- e
mier profil intrapreneurial s’apparente ` un « cham-
a flexion sur l’incidence que peut avoir le projet intra-
pion produit ». Cet individu ou groupe d’individus preneurial sur le p´rim`tre strat´gique et structurel
e e e
ancr´s dans les processus op´rationnels sont ceux
e e de l’organisation. Il ne convient pas ici de consid´rer
e
qui vont construire le fondement « innovant » du la direction de l’entreprise comme un intrapreneur.
processus intrapreneurial. En effet, c’est ` ce niveau
a N´anmoins, ils sont les garants de l’organisation et
e
que se dessinent les pr´misses et les contours du pro-
e les promoteurs de l’orientation entrepreneuriale de
jet dans la rencontre entre une technologie et des be- la firme (Dess, Lumpkin et McGee, 1999). En ce
soins pour lesquels les « champions produit » vont sens, mˆme s’ils n’apparaissent pas comme centraux
e
d´finir un concept ` mˆme de r´pondre ` la pro-
e a e e a dans le processus de s´lection interne des initiatives
e
bl´matique qu’ils se sont construits (projets infor-
e intrapreneuriales (traduction litt´rale que l’on pour-
e
mels) ou pour lesquels ils ont ´t´ missionn´s (projets
ee e rait faire de internal corporate venturing), ils jouent
formels). D`s lors que le concept gagne en consis-
e un rˆle crucial tant sur la capacit´ des « champions
o e
tance, les « champions produit » vont chercher un produit » ` s’engager dans la valorisation d’oppor-
a
relais aupr`s de leurs managers pour les accompa-
e tunit´s que dans la capacit´ de l’organisation ` r´-
e e a e
gner dans la promotion de leur concept aupr`s de la
e cup´rer ces initiatives (Ronteau et Durand, 2009).
e
Bueno Merino, Grandval et Ronteau 4
5. 3`mes Journ´es Georges Doriot - L’Intrapreneuriat : Au-del` des discours, quelles pratiques ?
e e a
Figure 1 – Activit´s cl´s et p´riph´riques dans le processus intrapreneurial (d’apr`s Burgelman, 1983b)
e e e e e
Bien que les travaux de Burgelman soient lar- M´thodologie : l’extension th´orique
e e
gement reconnus par la communaut´ scientifique, il
e enracin´e dans les cas
e
reste n´anmoins difficile d’identifier dans les faits
e
qui est v´ritablement l’intrapreneur ou l’innovateur
e Comme l’observe Burawoy (1991, 1998), p`re e
dans un projet intrapreneurial. Ce simple constat fondateur de l’extension th´orique enracin´e dans
e e
repose essentiellement sur le partage de propri´t´ ee les cas, « la g´n´ration de th´ories depuis des ter-
e e e
et de responsabilit´ quant au succ`s du processus
e e rains de recherche ´tait peut-ˆtre un imp´ratif au
e e e
intrapreneurial. Il convient en effet de reconnaˆ ıtre d´but de l’entreprise sociologique [y compris pour
e
a
` une coalition d’acteurs, situ´s le long de la chaˆ
e ıne les Sciences de Gestion]. Cependant, avec la prolif´- e
hi´rarchique, leurs rˆles conjoints assurant autant
e o ration des th´ories, la reconstruction semble devenir
e
le caract`re innovant que progressivement la r´ap-
e e plus urgente encore. Ainsi, au lieu de prendre une
propriation du projet par l’organisation jusqu’` sa
a posture de chercheur na¨ et de g´n´rer de nouvelles
ıf e e
concr´tisation dans des activit´s routini`res exis-
e e e th´ories, nous devrions plutˆt consolider et d´velop-
e o e
tantes voire dans l’´mergence de nouvelles activit´s.
e e per ce que nous avons d´j` produit » (1991, p.26).
ea
Nous proposons en ce sens de compl´ter et d’ap-
e L’ambition d’une telle posture de recherche consiste
profondir l’approche de Burgelman en recourant au davantage ` combler les asp´rit´s entre th´ories
a e e e
concept de slackholder. Le slackholder sera appr´- e existantes par les ´tudes de cas sur lesquelles le cher-
e
hend´ dans la pr´sente recherche ` tout acteur d´-
e e a e cheur s’appuie pour approfondir la compr´hension
e
tenteur d’un pouvoir sur l’utilisation des ressources d’un ph´nom`ne en ayant recours ` des conjectures
e e a
et des comp´tences en exc´dent dans l’organisation.
e e th´oriques.
e
Grˆce ` ce pouvoir, les slackholders sont en me-
a a
sure d’influer sur l’appropriation organisationnelle
La connaissance du ph´nom`ne de l’entrepreneu-
e e
du projet intrapreneurial.
riat organisationnel fait l’objet de nombreuses in-
terpr´tations th´oriques qui s’entrechoquent. Par
e e
ailleurs, la question du slack organisationnel reste
souvent absente de ce champ, bien que les liens
paraissent l´gitimes avec le processus intrapreneu-
e
M´thodologie de la recherche
e rial. Aussi nous enrichissons la compr´hension du
e
ph´nom`ne initial (l’entrepreneuriat organisation-
e e
nel) en croisant les discours th´oriques (processus
e
Nous justifierons dans un premier temps le re- intrapreneurial et gestion du slack organisationnel)
cours ` l’« extension th´orique enracin´e dans les
a e e et en lui offrant un ancrage op´rationnel dans des
e
cas » dans le cadre de notre recherche. Nous pr´sen-
e contextes locaux (notre ´tude de cas). Qui plus est,
e
terons dans un second temps le contexte de notre nous enracinons dans ces contextes locaux les exten-
´tude de cas d´di´e ` l’analyse d’un projet intrapre-
e e e a sions th´oriques sur la th´orie principale (au tra-
e e
neurial spontan´.
e vers de la proposition du concept de slackholder
Bueno Merino, Grandval et Ronteau 5
6. 3`mes Journ´es Georges Doriot - L’Intrapreneuriat : Au-del` des discours, quelles pratiques ?
e e a
comme concept m´diateur entre deux champs th´o-
e e leurs concurrents. N´anmoins, ` grands coups de
e a
riques a priori distincts). Dans cette recherche, le campagnes publicitaires, Dynastar s’est appropri´ e
recours ` l’´tude de cas facilite l’analyse longitu-
a e le succ`s du ski parabolique aupr`s du grand pu-
e e
dinale de processus ancr´s dans des contextes or-
e blic. Salomon, qui n’´tait arriv´e qu’en 1991 sur le
e e
ganisationnels par d´finition complexes (diversit´
e e march´ des skis, a dˆ faire face ` un vieillissement
e u a
des slackholders et diversit´ des ´tapes de l’ap-
e e pr´matur´ de sa gamme et a subi une chute de ses
e e
propriation organisationnelle du projet intrapreneu- ventes cons´cutivement ` l’engouement du public
e a
rial). A cette fin, deux types de donn´es ont ´t´
e ee pour les skis paraboliques. La baisse des volumes
collect´s : des donn´es primaires obtenues grˆce `
e e a a de vente a ´t´ accentu´e par une d´ception de la di-
ee e e
des entretiens semi-directifs et des donn´es secon-
e rection et des salari´s, qui, apr`s s’ˆtre investis dans
e e e
daires issues de la presse professionnelle et de do- un projet long comme le ski monocoque (plus de 5
cuments internes ` l’entreprise. Dans cette commu-
a ans), ne comprenaient pas comment les ´quipes en
e
nication, nous concentrerons notre attention sur le interne (pr`s de 300 personnes) avaient pu passer `
e a
cas SnowbladeTM , projet intrapreneurial qui a vu le cˆt´ d’une tendance de march´ aussi lourde.
oe e
jour dans l’entreprise Salomon. Il s’agit d’une ´tude
e
de cas issue d’une recherche doctorale aboutie (Ron-
teau 2007). Face ` ce raz de mar´e dans l’industrie des sports
a e
d’hiver, d`s 1995 la r´ponse de Salomon a consist´
e e e
a
` suivre la tendance pour ´viter de disparaˆ
e ıtre du
L’´tude
e de cas : le Projet champ des fabricants de skis. L’entreprise a donc d´- e
SnowbladeTM , un projet intrapreneu- cid´ d’investir le carving, mais sans disposer de r´els
e e
rial spontan´ chez Salomon
e moyens pour se d´marquer des concurrents. Pour-
e
tant, Salomon s’´tait jusqu’alors fait reconnaˆ sur
e ıtre
L’histoire de l’entreprise Salomon est jalonn´ee ses march´s par cette identit´ innovante. « Chez Sa-
e e
d’innovations qui ont assis sa diversification concen- lomon, l’innovation est un point d’orgue, dans le
trique sur pr`s de 60 ans. Ce sont ces innovations
e sens o` elle permet ` l’entreprise de casser les r`gles
u a e
r´guli`res qui ont consolid´ les comp´tences clefs de
e e e e et de ne pas s’arrˆter sur l’existant. », d´clare Jean-
e e
cette entreprise que sont la m´canique, les mat´-
e e Louis de Marchi, responsable Bureau d’Etudes In-
riaux composites et les chaussants. Salomon a su line Skate au d´but des ann´es 2000. Il ´tait inconce-
e e e
exploiter ces comp´tences pour aborder des mar-
e vable pour Salomon de s’afficher et de se pr´senter e
ch´s avec toujours une envie d’y pr´senter des pro-
e e sur le march´ du ski avec une image de suiveur.
e
duits qui r´volutionnaient la pratique. Le projet in-
e D`s lors, la direction de l’entreprise et les direc-
e
trapreneurial que nous nous proposons ici de d´- e teurs de l’activit´ ski ont list´ un certain nombre
e e
peindre prend ses racines au d´but des ann´es 1990.
e e de solutions envisageables et ont d´cid´ de se lan-
e e
`
A cette ´poque, Salomon est une entreprise diver-
e cer dans un projet intrapreneurial formel : « le ski
sifi´e dans le domaine des sports de loisir de plein
e 3V », dont le cahier des charges se limitait ` cettea
air et sort d’un projet qui a mobilis´ toute l’entre-
e description : « Proposer un ski parabolique mono-
prise sur pr`s de 6 ans (1985-1991) pour proposer
e coque pouvant r´aliser trois virages l` o` un ski
e a u
un ski monocoque en rupture avec les canons in- parabolique classique ne peut en r´aliser qu’un ».
e
dustriels de l’´poque. Le contexte d’incrustation du
e ` e
A l’´poque la direction d’activit´ ski ´tait organi-
e e
projet SnowbladeTM est essentiel pour saisir les op- s´e en trois gammes. Il y avait un pˆle ou circuit
e o
portunit´s qui ont vu le jour dans une p´riode de
e e « course » ; un pˆle ou circuit « haut de gamme » ;
o
crise autant interne qu’externe pour l’entreprise. En et un circuit « interm´diaire » davantage grand pu-
e
effet, au d´but des ann´es 1990, Salomon avait bous-
e e blic. Les deux premiers pˆles avaient ´t´ sollicit´s
o ee e
cul´ la hi´rarchie ´tablie entre les fabricants de ski
e e e par la direction de l’entreprise pour rechercher des
en pr´sentant un nouveau concept monocoque qui
e solutions et s’engager sur le projet « ski 3V », le pˆle o
r´volutionnait le mode de production industrielle.
e « haut de gamme » ayant pour mission de d´cliner e
Mais en 1995, de nouveaux skis sont venus boule- une offre parabolique et d’accompagner le circuit
verser le paysage de l’industrie : les skis carving ou course dans ce nouveau projet. Le circuit « interm´- e
paraboliques. L’entreprise HEAD a sorti le premier diaire » avait quant ` lui ´t´ davantage « laiss´ pour
a ee e
mod`le polyvalent au salon 1995, le cyber, qui a
e compte » au regard de ce projet majeur pour l’or-
connu un franc succ`s et qui ´tait l’un des premiers
e e ganisation, charge pour son bureau d’´tudes (BE)
e
skis paraboliques polyvalents. Avec l’arriv´e du ski
e de travailler ` l’am´lioration des gammes existantes.
a e
carving, les firmes autrichiennes ont commenc´ ` e a La remobilisation des pˆles « haut-de-gamme » et
o
r´agir et se sont engouffr´es dans le carving. Sa-
e e « course » a permis d’att´nuer la crise ´motion-
e e
lomon et Dynastar, qui dominaient l’industrie, ont nelle li´e au statut de suiveur que la « vague para-
e
dˆ r´agir face ` ce qui repr´sentait une v´ritable
u e a e e bolique » semblait imposer comme comportement
lame de fond. D`s 1996, ces deux entreprises ont
e strat´gique ` Salomon. Cependant, le circuit « in-
e a
propos´ des produits presque identiques ` ceux de
e a term´diaire » est rest´ en retrait avec un sentiment
e e
Bueno Merino, Grandval et Ronteau 6
7. 3`mes Journ´es Georges Doriot - L’Intrapreneuriat : Au-del` des discours, quelles pratiques ?
e e a
amer d’´chec.
e ont travaill´ sur deux prototypes : l’un de 90 cm de
e
long et l’autre de 140 cm. Tr`s rapidement l’´quipe
e e
C’est pr´cis´ment au sein du BE de la gamme
e e a r´ussi ` d´velopper des prototypes dont les per-
e a e
« interm´diaire » qu’est n´ en septembre 1995 le
e e formances supplantaient celles de l’existant. Sur les
projet qui allait donner le jour au SnowbladeTM . bases de ces prototypes, l’´quipe a structur´ dans
e e
« Le projet SnowbladeTM s’est d´velopp´ dans une
e e son coin des plans et un prototype de », qui furent
p´riode de crise externe assez grave pour l’en-
e soumis ` la direction de l’entreprise en esp´rant un
a e
semble des fabricants de ski, mais ´galement dans
e coup de pouce pour prolonger le projet et b´n´ficier
e e
un contexte de crise en interne, puisqu’il r´gnait ce
e des ressources du reste de l’organisation. Le projet
sentiment g´n´ral d’ˆtre pass´ ` cˆt´ de la plaque
e e e e a oe rentrait d`s lors dans une phase o` il ´tait n´ces-
e u e e
sur le carving. Tout cela nous donnait envie de tra- saire de lui conf´rer une visibilit´ au regard de la
e e
vailler sur des concepts compl`tement diff´rents. »,
e e direction d’activit´ et de la direction g´n´rale, et ce
e e e
nous a indiqu´ Pierre Desarmaux, directeur de l’ac-
e pour capter des ressources n´cessaires au prolonge-
e
tivit´ Gear Alpin au d´but des ann´es 2000 et an-
e e e ment de l’aventure.
cien responsable du projet SnowbladeTM . Membre
du BE sur le circuit « interm´diaire », Pierre De-
e C’est lors d’une journ´e de tests de produits dans
e
sarmaux faisait parti de ces personnes qui avaient la vall´e de la Tarentaise courant d´cembre 1995
e e
´t´ « laiss´es pour compte » et qui n’avaient pas
ee e que le « miniski » est pr´sent´ parmi d’autres pro-
e e
´t´ mobilis´es sur le projet « 3V ». Reprenant les
ee e totypes ` la direction. Jean-Fran¸ois Gautier, alors
a c
jalons du ski « 3V » en travaillant sur des « skis directeur g´n´ral de l’entreprise prend part aux es-
e e
courts », il a ainsi pris la tˆte d’une petite ´quipe
e e sais avec les directeurs de l’activit´ ski, qui n’avaient
e
de huit personnes issues de son BE, qui travaillait jusque-l` d’yeux que pour le projet « 3V ». « On fai-
a
sur des concepts qui existaient d´j`. Cette ´quipe
ea e sait un peu image de fous avec dans le ski un gros
s’est structur´e sans ˆtre directement missionn´e
e e e investissement consenti sur la course et l’entretien
par la direction, mais avec le souci de participer ` a de teams (Franck Picard pour le « 3V ») et on ar-
la recherche de solutions « diff´renciantes » dans la
e rivait avec un petit ski sans aucune caution. », a
tradition de l’identit´ Salomon. Ce faisant, ils s’en-
e d´clar´ Pierre Desarmaux. Le projet n’a pas ` ce
e e a
gageaient dans un projet intrapreneurial de nature moment l` de l´gitimit´ interne. Jusqu’` cette jour-
a e e a
informelle, de type « d´veloppement en perruque »,
e n´e les ressources mobilis´es par l’´quipe projet ont
e e e
c’est-`-dire sans le consentement pr´alable de la di-
a e ´t´ d´tourn´es par Pierre Desarmaux. C’est sur la
ee e e
rection g´n´rale. En effet, dans cette version la plus
e e phase de test et sous l’impulsion directe de Jean-
informelle de l’action intrapreneuriale, le projet se Fran¸ois Gautier qu’il a ´t´ d´cid´ de donner une
c ee e e
d´roule en l’absence de toutes contraintes de type
e suite au projet SnowbladeTM . Durand (2003) rap-
planification, contrˆle financier ou mˆme revue de
o e porte comment la direction g´n´rale en est venue `
e e a
produits. l´gitimer le projet : « Un matin de f´vrier 1996, le
e e
pr´sident de Salomon, Jean-Fran¸ois Gautier, choi-
e c
`
A l’origine du projet, l’utilisateur des ressources sit d’accompagner une ´quipe de d´veloppeurs pour
e e
est Pierre Desarmaux qui, en tant que d´veloppeur
e faire des tests d’´quipements de ski dans une sta-
e
du projet intrapreneurial, va ˆtre contraint de d´-
e e tion de la Tarentaise. [...] Ce matin-l`, ils sont 6 ou
a
tourner des ressources exc´dentaires. En effet, il va
e 7 plus le pr´sident, la matin´e est harassante, ils
e e
mobiliser une partie des ressources de son Bureau font test sur test, virage sur virage... Ils regardent
d’Etudes, partie non occup´e ` plein temps, pour
e a si les prototypes r´pondent bien aux objectifs fix´s
e e
les utiliser dans un projet pour lequel il n’est pas par les directions marketing, techniques... La fin de
directement missionn´. Ainsi pour ce projet, Pierre
e la matin´e arrive et ils s’apprˆtent ` aller d´jeu-
e e a e
Desarmaux mobilise le slack organisationnel du Bu- ner quand l’un des d´veloppeurs [Pierre Desarmaux]
e
reau d’Etudes du circuit « interm´diaire » - ` sa-
e a ´voque l’un de ses prototypes. » Chacun souhaite
e
voir huit personnes non missionn´es pour le pro-
e alors voir l’objet, pr´sent´ par Pierre Desarmaux
e e
jet « 3V ». Il parvient d’autant mieux ` mobiliser
a comme un jouet, un gadget... Ce n’est pas un ski, ce
ce slack que les membres de l’´quipe partagent un
e n’est pas un patin, c’est la moiti´ d’un ski. Pendant
e
sentiment de « mise de cˆt´ ». Ils ressentent en ef-
oe une demi-heure le groupe teste le produit et y prend
fet le besoin de prouver en interne qu’ils peuvent visiblement beaucoup de plaisir. L’apr`s-midi, dans
e
ˆtre innovateurs et qu’ils sont capables de prendre
e une arri`re-salle du restaurant o` ils ont d´jeun´, ils
e u e e
leur revanche quant ` l’empreinte n´gative qu’avait
a e ´tudient, tests apr`s tests, tous les ´quipements sur
e e e
laiss´ le projet monocoque dans les ´changes entre
e e lesquels ils ont travaill´ le matin mˆme. La fin de la
e e
salari´s. Dans un premier temps, l’´quipe a ainsi
e e journ´e arrive et personne n’a reparl´ de ces demi-
e e
travaill´ « en perruque » sur des mod`les d´coulant
e e e skis. Jean-Fran¸ois Gautier remet alors la question
c
directement des « big foot », sortes de miniskis qui sur la table. Il demandera finalement ` ses collabo-
a
pˆchaient par un niveau de skiabilit´ ex´crable. Ils
e e e rateurs de d´broussailler cette piste, convaincu de
e
Bueno Merino, Grandval et Ronteau 7
8. 3`mes Journ´es Georges Doriot - L’Intrapreneuriat : Au-del` des discours, quelles pratiques ?
e e a
l’existence possible d’un march´ pour ce produit...
e Le projet aura dur´ un peu plus d’un an, p´-
e e
Le projet ` ce moment l` va gagner en officialisation
a a riode durant laquelle l’´quipe a lev´ progressive-
e e
et en visibilit´, et ce en d´pit des investissements
e e ment les contraintes de performance et celles li´es `
e a
lourds qui ont ´t´ d´di´s au projet « 3V ». La pos-
ee e e l’industrialisation. Le SnowbladeTM fut pr´sent´ en
e e
sibilit´ est laiss´e ` l’´quipe initiale de poursuivre
e e a e f´vrier 1997 au Salon des fabricants. Le succ`s du
e e
le projet « miniskis » mais sans ressources d´di´es
e e SnowbladeTM a d´pass´ les attentes de la direction,
e e
et donc l’affectation d’un budget propre. L’´quipe
e qui pr´voyait la vente de 25.000 paires sur la pre-
e
initiale est cependant autoris´e ` r´cup´rer du slack
e a e e mi`re ann´e. Elle a dˆ faire face ` l’engouement
e e u a
absorb´ dans les autres services de la direction ski
e du public, puisqu’en quelques mois pr`s de 100.000
e
(marketing et industrialisation). paires se sont vendues. En amont, le succ`s ´cono-
e e
mique du projet tient dans les innovations de pro-
c´d´ qui ont ´t´ amen´es pour limiter l’investisse-
e e ee e
Ayant re¸u un « coup de pouce » de la direc-
c ment dans un produit non budg´t´. En effet, compte
ee
tion apr`s 4 mois de d´veloppement en perruque,
e e tenu du statut « bottom-up » du projet, l’´quipe
e
le projet pouvait d`s lors rentrer dans une phase
e a su d´velopper le produit pour un coˆt global de
e u
de « contextualisation strat´gique » au cours de la-
e ˘
l’ordre de 100.000A, ce qui reste un coˆt bien en
u
quelle l’´quipe projet pouvait se lancer dans des
e de¸` du d´veloppement d’un nouveau ski.
ca e
it´rations de prototypes et rentrer dans une phase
e
d’industrialisation. De mani`re concourante, la di-
e
rection ski allait pouvoir mobiliser les r´seaux de
e
distribution pour convenir de leurs demandes au re-
Discussion
gard de ce nouveau produit. C’est dans cette phase
Grˆce ` leur pouvoir sur l’utilisation des res-
a a
que vont se dessiner les conditions du succ`s in- e
sources et des comp´tences exc´dentaires, les slack-
e e
dustriel et ´conomique du projet. Du fait du sta-
e
holders sont en mesure d’influer sur l’appropriation
tut « semi-officiel » du projet, Pierre Desarmaux
organisationnelle du projet intrapreneurial. Le suc-
peut dor´navant mobiliser d’autres membres du bu-
e
c`s de cette appropriation va d´pendre de leur pr´-
e e e
reau d’´tudes pour travailler sur le SnowbladeTM ,
e
sence ` diff´rents niveaux hi´rarchiques de l’organi-
a e e
personnes qui travaillaient jusqu’` maintenant sur
a
sation.
d’autres projets. L’´quipe peut ainsi r´gler les pro-
e e
bl`mes de faible r´sistance des prototypes en faisant
e e
r´aliser des ´tudes sur la g´om´trie (solidit´, lignes
e e e e e De l’intrapreneur au slackholder :
de cˆte) des SnowbladeTM et par l` mˆme am´lio-
o a e e ´mergence d’un nouveau concept
e
rer leurs caract´ristiques de flexion (du 15/12/1995
e
au 15/04/1996). Le projet ne disposant pas d’un Le cas SnowbladeTM nous incite ` envisager deux
a
budget propre et ne pouvant investir dans de nou- cat´gories d’individus dans la mise en œuvre d’un
e
velles infrastructures industrielles, il convenait de projet intrapreneurial spontan´ : l’intrapreneur,
e
ce point de vue de rechercher des solutions inno- c’est-`-dire l’individu (ou le petit groupe d’indivi-
a
vantes pour ´chapper aux investissements inh´rents
e e dus) ` l’origine de l’id´e innovante, et le slackhol-
a e
a
` l’industrialisation d’un nouveau ski (plus ou moins der, c’est-`-dire l’individu qui va disposer d’un pou-
a
˘
180.000A amortis sur 4 ou 5 tailles de skis). C’est voir sur les ressources exc´dentaires lui permettant
e
pr´cis´ment sur ce point que s’est dessin´ le succ`s
e e e e de contribuer ` la mise en œuvre du projet intra-
a
´conomique du projet. En effet, le prototype final
e preneurial. Cette capacit´ ` r´cup´rer du slack ab-
ea e e
du SnowbladeTM faisait 90 cm de long et les lignes sorb´ facilite l’appropriation organisationnelle du
e
de production ne pouvaient accepter des skis d’une projet intrapreneurial, assimil´e dans la pr´sente
e e
longueur inf´rieure ` 110 cm. Aussi, l’´quipe pro-
e a e recherche ` l’int´gration progressive du projet `
a e a
jet a d´velopp´ une solution ing´nieuse (innovation
e e e l’activit´ courante de l’entreprise. L’affectation de
e
de proc´d´) pour pouvoir utiliser l’outil industriel
e e ressources au projet intrapreneurial revˆt en effet
e
existant : la « production en siamois ». L’´quipe a
e dans notre ´tude de cas un caract`re incr´men-
e e e
ainsi imagin´ de produire un corps de 190 cm de
e tal : des ressources exc´dentaires sont dans un pre-
e
long, puis de le couper en deux et de redresser les mier temps d´tourn´es par l’intrapreneur (l’´quipe
e e e
spatules sans pour autant compromettre les perfor- de Desarmaux) puis r´cup´r´es officiellement par le
e ee
mances et les contraintes g´om´triques du produit.
e e management interm´diaire suite au coup de pouce
e
Progressivement le projet gagne en l´gitimit´ et la
e e de la direction g´n´rale. Le processus d’appropria-
e e
direction ski mobilise des ressources marketing pour tion organisationnelle s’ach`vera au moment de l’in-
e
commencer ` envisager les volumes de vente atten-
a t´gration d´finitive du projet intrapreneurial dans
e e
dus et la publicit´ de ce nouveau concept de glisse.
e l’activit´ courante de l’entreprise. A ce stade, le
e
On voit ainsi que progressivement du slack absorb´ e projet se transforme en activit´ de l’entreprise avec
e
d’autres activit´s se lib`re pour l’activit´ ` naˆ
e e e a ıtre affectation de ressources officielles d´di´es et donc
e e
(notamment en marketing et en production). attribution d’un budget de fonctionnement. L’orga-
Bueno Merino, Grandval et Ronteau 8
9. 3`mes Journ´es Georges Doriot - L’Intrapreneuriat : Au-del` des discours, quelles pratiques ?
e e a
nisation s’approprie en effet le projet en lui fournis- des comptes ` rendre... » (p.154).
a
sant l´gitimit´ et ressources (Bouchard, 2009, p.15).
e e
L’´tude du cas SnowbladeTM a facilit´ l’identifi-
e e
L’intrapreneur « spontan´ » est n´cessairement cation de deux cat´gories de slackholders, reprises
e e e
un slackholder, il n’a pas le choix. Ne disposant dans le tableau 1. D’une part, le « slackholder-
pas d’un budget pr´´tabli, sa capacit´ ` mobiliser intrapreneur » (l’´quipe de D´sarmaux) dispose de
ee e a e e
des ressources exc´dentaires est primordiale, afin deux comp´tences-cl´s : une capacit´ ` innover,
e e e e a
d’assurer la mise en œuvre de son id´e et d’œu- c’est-`-dire ` proposer un nouveau produit sur le
e a a
vrer pour son int´gration dans l’activit´ courante march´, et une capacit´ ` s’approprier temporaire-
e e e ea
de l’entreprise. On parlera dans ce cas de « mobi- ment et dans l’ombre du slack absorb´ (un personnel e
lisation de ressources en perruque » ou encore de sous-utilis´ affect´ uniquement ` l’am´lioration des
e e a e
« management clandestin de l’innovation » (Basso, gammes existantes) afin d’assurer le d´veloppement e
2004, p.20) afin d’insister sur le caract`re informel de son projet. C’est l’initiateur du projet intrapre-
e
du pouvoir dont dispose l’intrapreneur sur les res- neurial. D’autre part, le « slackholder-manager »
sources exc´dentaires. Pour d´velopper son projet, (la direction des skis) qui, suite au coup de pouce
e e
l’intrapreneur doit d´tourner du slack organisation- donn´ par la direction g´n´rale au projet, doit par-
e e e e
nel, autrement dit des ressources qui sont officiel- venir ` r´cup´rer du slack absorb´, afin de per-
a e e e
lement affect´es au fonctionnement normal de l’en- mettre ` l’intrapreneur de lever ses contraintes tech-
e a
treprise. Sa r´ussite est donc subordonn´e ` sa ca- niques et industrielles en lui fournissant ressources
e e a
pacit´ ` convaincre d’autres coll`gues ` le rejoindre et comp´tences compl´mentaires. Contrairement `
ea e a e e a
dans le d´veloppement de son projet. L’intrapre- l’intrapreneur, le rˆle du slackholder-manager sem-
e o
neur doit disposer en cons´quence d’un savoir-faire blerait se limiter ` l’affectation de ressources man-
e a
politique et relationnel et ˆtre capable de g´n´rer la quantes ` l’intrapreneur mais n´cessaires ` la mise
e e e a e a
confiance et l’adh´sion de ses collaborateurs. Dans en œuvre et ` l’appropriation organisationnelle du
e a
le cas du projet SnowbladeTM , l’intrapreneur (De- projet. Cette affectation suppl´mentaire de res- e
sarmaux) a d´tourn´ des ressources dans son envi- sources peut contribuer ` donner lieu ` d’autres
e e a a
ronnement interne proche : le bureau d’´tude dans innovations (exemple de la production en siamois
e
lequel il travaillait avait en effet pour mission d’am´- pour laquelle la direction des skis a affect´ des res-
e e
liorer les gammes existantes. Par ailleurs, il a su sources compl´mentaires d’industrialisation ; cette
e
obtenir un coup de pouce de la part de sa direc- innovation de proc´d´ reste cependant ` l’initiative
e e a
tion g´n´rale. Le concept de slackholder permet ici de l’´quipe de D´sarmaux). N´anmoins, il s’agira
e e e e e
d’insister sur la n´cessit´, pour l’intrapreneur, de surtout d’innovations d’adaptation destin´es ` faci-
e e e a
d´velopper un comportement organisationnel sp´- liter la mise en œuvre du projet intrapreneurial. Par
e e
cifique assimil´ par certains ` celui d’un « animal ailleurs, la prise de risque quant ` la r´cup´ration de
e a a e e
politique » (Basso, 2004, p.28). Selon Basso (2004), slack organisationnel semble plus importante dans
la capacit´ ` collecter des ressources hors des pro- le cas du slackholder-intrapreneur qui, pour assu-
ea
c´dures budg´taires implique pour l’intrapreneur la rer le d´veloppement de son projet, doit dans un
e e e
pratique de jeux politiques pour influer sur l’or- premier temps agir dans l’ombre et d´tourner des e
ganisation. D’Amboise et Verna (1993) ont ´gale- ressources de leur utilisation normale par l’organi-
e
ment soulign´ la capacit´ de l’entrepreneur interne sation. La capacit´ ` innover et ` s’appuyer sur
e e e a a
a e e
` f´d´rer et ` s’approprier temporairement du slack un r´seau informel semble ˆtre le principal crit`re
a e e e
organisationnel : « Sachant rassembler les ´nergies distinctif entre nos deux cat´gories de slackholders.
e e
et les ressources et les combiner pour mettre en Dans notre ´tude de cas, l’intrapreneur est n´ces-
e e
œuvre son projet, [l’entrepreneur interne] trouvera sairement un slackholder, de par sa capacit´ ` mo- ea
toujours, dans une grande organisation, des res- biliser des ressources exc´dentaires afin d’assurer la
e
sources non utilis´es et des personnes mal employ´es mise en œuvre et l’appropriation organisationnelle
e e
et d´sireuses de participer ` une tˆche plus in- de son projet. Mais le slackholder n’est pas n´cessai-
e a a e
t´ressante. Cet entrepreneur interne s’associera ` rement un intrapreneur... Toutefois, ces deux cat´-
e a e
d’autres collaborateurs, organisera son ´quipe et gories d’acteurs se r´v`lent compl´mentaires dans
e e e e
se mettra ` l’œuvre. ». Bouchard (2009), quant ` le d´veloppement et l’appropriation organisation-
a a e
elle, met en avant l’importance du premier soutien nelle du projet, l’intrapreneur devant faire appel
officiel, que nous avons assimil´ ` un « coup de ` des ressources et des comp´tences en dehors de
e a a e
pouce » de la direction g´n´rale dans notre ´tude son contrˆle. L’intrapreneur a besoin du soutien
e e e o
de cas : « Tˆt ou tard, cependant, tous les intrapre- d’autres slackholders pour assurer la poursuite de
o
neurs sont confront´s aux limites de l’informalit´ et son projet. Comme l’ont montr´ certains auteurs
e e e
doivent se mettre en quˆte d’un appui officiel. Pour (Burgelman, 1983b ; Brunaker et Kurviner, 2006),
e
aller de l’avant, ils ont besoin de ressources mais le middle-management a donc un rˆle ` jouer dans o a
´galement de l´gitimit´ : n’oublions pas que les in- le processus intrapreneurial, autrement dit dans le
e e e
trapreneurs sont de simples employ´s et qu’ils ont processus de mise en œuvre de l’innovation.
e
Bueno Merino, Grandval et Ronteau 9