3. La naissance d’un mouvement féministe.
Les femmes, quelles que soient les époques et les sociétés, ont toujours connu
une situation de domination liée à la nécessité pour les hommes de
contrôler la reproduction et leur filiation.
Mais, les débuts du féminisme organisé peuvent être évalués dans les années
révolutionnaires dans la France.
Si les révolutionnaires réclament la consécration de droits, ceux-ci ne sont
accordés qu’aux hommes selon les féministes. C’est en ce sens que
parallèlement à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de
1789, Olympe de Gouges, grande féministe de l’époque, publie la
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenneté en 1791..
4. La première vague du féminisme.
Mais il faut attendre la fin du XIXème siècle et la première moitié du
XXème siècle pour que se développe réellement ce que les historiennes
qualifient de première vague du féminisme…
Celle-ci est caractérisée par la revendication de droits égaux en matières
politique et professionnelle. Des femmes veulent pouvoir exercer les
mêmes professions que les hommes.
Elles réclament également de participer aux élections et d’être éligibles,
comme le revendique en particulier le mouvement des suffragettes,
constitué surtout de femmes issues de la bourgeoisie.
5. Les femmes de cette époque militent pour qu’on leur reconnaisse des droits
comme celui du divorce et l’accès des femmes au droit de vote.
Aux Etats-Unis, les Suffragettes qui militaient pour l’obtention du droit de
vote ; c’est en 1920 que les femmes blanches l’obtiendront. ..
Le premier pays qui a donné le suffrage aux femmes était la Nouvelle-
Zélande en 1893. En France, 1944.
Chine, Chili, Costa Rica, République arabe syrienne, Bosnie-Herzégovine en
1949
Tunisie en 1959 avec Madagascar et Tanzanie..
Le droit de vote des femmes dans le monde : un combat inachevé;
encore aujourd’hui, certains pays refusent d’accorder le droit de vote aux
femmes.
6. La deuxième vague du féminisme..
émerge dans le sillage de l’ouvrage de Simone de Beauvoir, Le deuxième
sexe , publié en 1949.. et se développe le féminisme lutte des classes et
est issu du marxisme. Il y a un féminisme marxiste qui trouve sa source
d’inspiration dans l’ouvrage d’Engels.
Le second courant théorique qui travers le féminisme des années 1970 est le
féminisme radical et, en particulier, radical matérialiste. Les féministes
radicales matérialistes considèrent plus particulièrement que les femmes
sont victimes d’une exploitation de leur travail dans les tâches ménagères
et l’éducation des enfants : ce sont des tâches qu’elles effectuent
gratuitement. …
Parmi les théoriciennes de ce courant, on peut citer Christine Delphy.
7. Le troisième courant est aussi un courant féministe radical, mais
différentialiste. Ce courant insiste sur la différence naturelle qui existerait
entre les hommes et les femmes.
Pour ces féministes, les femmes doivent revendiquer la reconnaissance
de leur spécificité.
Ce courant est porté en particulier dans les années 1970…
8. Un courant théorique qui a eu une importance non négligeable sur la
troisième vague (actuelle) du féminisme se constitue à la fin des années
1980.
Il s’agit de la théorie queer.
Sa représentante la plus connue est Judith Butler dont l’ouvrage Trouble dans le
genre est publié aux Etats Unis en 1990.
En distinguant le sexe biologique et le genre, construction sociale, les
théoriciennes du queer défendent la thèse selon laquelle les identités ne sont
pas naturelles, mais sont des constructions sociales qui peuvent être
déconstruites par les individus, en les jouant dans des performances .
D’où l’importance dans la théorie queer de la figure du travestissement :
l’identité biologique et l’identité sociale d’un individu peuvent ne pas
coïncider. Certaines femmes sont considérées comme masculines, certains
hommes comme efféminés, certaines personnes sont homosexuelles ou
bisexuelles. Les identités de femmes ou d’hommes sont plus complexes dans
les faits que ce qu’entendent nous imposer les normes sociales.
9. Le féminisme de la troisième vague…
Au tournant des années 80, le féminisme sous l’influence des théories
postmodernes, se transforme en une pratique et en une idéologie
respectueuses de l’individualité des femmes..
En premier lieu, le féminisme, conçu en tant que mouvement politique et
social d’émancipation des femmes, aurait plus ou moins atteint ses
objectifs. On considère alors que les discriminations en raison du sexe
sont, pour la plupart, éradiquées et que les femmes ont largement obtenu
l’égalité avec les hommes.
En deuxième lieu, on avance que, jusqu’à un certain point, le féminisme
entrerait dans une étape d’institutionnalisation. Sa dimension militante et
engagée serait récupérée par les organismes publics et par l’État, et aussi
par l’université, à l’intérieur de laquelle les women studies consolident leur
position…
10. Ce qui, une décennie auparavant, apparaissait comme un progrès rendu
possible par le féminisme se retourne désormais contre elles….
Le féminisme aurait irréversiblement modifié les relations hommes-
femmes : les premiers ont tendance à adopter une rhétorique victimaire ,
tout en essayant par tous les moyens de retrouver une identité perdue…
Célébrée au début de la décennie, l’indépendance des femmes se mue
maintenant en solitude; la réussite dans la carrière se ferait aux dépens de
la maternité, voire du bien-être des enfants, et l’égalité au travail
obligerait les femmes à des efforts qui les transformeraient en des
victimes de prédilection des échecs professionnels….
Le féminisme is gradually becoming one of the chief scapegoats for the
ills of contemporary life …
11. Les femmes ne tardent pas à réaliser que, derrière l’idéologie égalitariste et
l’image du pouvoir au féminin, des injustices flagrantes perdurent. Dans
l’espace public, elles continuent à être absentes des positions de décision
et de pouvoir...
Elles sont toujours victimes de l’inégalité économique et de la pauvreté,
ainsi que du sexisme et de la violence.
Dans l’espace privé, elles doivent composer avec la double journée de
travail, tout en essayant de répondre aux exigences liées aux rôles de la
mère, de l’épouse et de l’amante…
12. Conflits idéologiques et politiques opposent féministes radicales et
socialistes, hétérosexuelles et lesbiennes, noires et blanches, femmes de la
classe moyenne et femmes de la classe ouvrière, etc.,
Le féminisme enregistre une transformation. ..
La catégorie femme , en tant que référent unique et monolithique d’une
supposée position féministe dominante commence à être déconstruite.
Elle devient dépendante de la race, de la classe, de l’ethnie, de l’orientation
sexuelle, du contexte socioculturel, etc.
Il s’agit là du fondement idéologique de la troisième vague, qui prend appui
sur la différence, la pluralité et l’individualisation, sur la fragmentation et
l’hétérogénéité…
13. « ….La question du féminisme au 21ème siècle c’est aussi se pencher sur
une génération, la mienne.
Une génération qui a découvert la politique après la loi sur la parité.
Une génération qui a toujours quoiqu’avec difficulté connue la pilule.
Une génération qui allait à la garderie après l’école en attendant que ses
deux parents ne rentrent du travail.
Une génération de jeunes femmes pour qui l’égalité n’était souvent pas
une question et qui se prend les inégalités en pleine face en arrivant sur
le marché du travail…
14. …Une génération aussi qui ne souffre pas des inégalités de la
même manière. Car si la situation s’est globalement améliorée
elle reste souvent extrêmement difficile pour les jeunes filles
des quartiers. Face à la violence et au regard de l’autre, ces
jeunes femmes ont souvent bien du mal à assumer leur féminité,
se cachent derrière des vêtements amples et longs et restent
chez elle le plus possible.
Alors si le combat de ma génération est celui pour l’égalité
salariale c’est aussi une bataille culturelle contre le machisme
ambiant…
15. …Mais être féministe au 21ème siècle, c’est aussi être tourné vers le reste du
monde…. c’est aussi lutter contre les mariages forcés, l’excision, militer
pour l’éducation des petites filles, c’est ne pas fermer les yeux non plus
devant les nouvelles pratiques d’esclavage moderne, qui concernent le plus
souvent les classes les plus aisées de notre société, ne pas fermer les yeux
devant le sort de ces jeunes filles souvent battues et violées, objets des
sévices de leurs patrons.
Être féministe au 21ème siècle c’est aussi refuser d’être aveuglé par les
discours de certains qui voudraient faire croire que l’égalité est une réalité
et faire passer les militants féministes pour des hystériques qui
défendraient la suprématie des femmes sur les hommes…… »
(Laurianne Deniaud: Être féministe au 21ème siècle)
16. Le mouvement féministe en Tunisie
La Tunisie est souvent mentionnée comme le pays du monde dit
« musulman » dans lequel les droits des femmes sont les plus avancés….
Mis, pour comprendre le mouvement féministe en Tunisie on doit retourner à
l'époque de Tahar Haddad, un intellectuel, syndicaliste et homme
politique tunisien au début du 20ème siècle.
Ses propositions en faveur de la condition féminine et de la réforme sociale
en Tunisie se démarquent de la simple manière de reproduire le modèle
européen, et puise ce qui s'accorde avec la Charia islamique. Il est
convaincu que la religion islamique peut s'adapter en tout lieu et en tout
temps. C'est pourquoi, selon lui, une réforme sociale radicale s'impose
En matière de droits civils, il montre qu'à l'origine, l'islam considérait la
femme comme l'égale de l'homme en termes de droits et de devoirs ; il en
est ainsi dans le domaine de la propriété privée.
17. Toutefois, la plupart des femmes confiaient leurs biens à leurs maris
ou à leurs pères. Haddad rejette cette tradition et appelle les
femmes à revendiquer leur droit à un contrôle complet sur leurs
biens.
Dans le domaine judiciaire, les femmes n'avaient pas le droit
d'occuper des postes au sein du système ou d'être témoin. Haddad
explique pour sa part que l'islam n'exclut pas les femmes de ces
droits.
Dans le domaine de l'éducation, il indique qu'il est totalement
absurde d'exclure les femmes et qu'elles devraient avoir le droit
de terminer leurs études et de participer pleinement à la vie
publique.
18. Tahar Haddad s'attarde ensuite sur l'institution du mariage : il appelle d'abord
à libérer la femme de la tradition du mariage arrangé voire forcé. Il met
aussi en lumière le fait qu'il ne peut exister de famille heureuse si les
parents continuent d'arranger les mariages de leurs filles contre leur
volonté.
Avec l'indépendance de la Tunisie, l'institution de l'Etat moderne par Habib
Bourguiba a permis de réaliser une grande partie des aspirations de Tahar
Haddad…
19. Le féminisme d'État…
C'est à Habib Bourguiba qu'en revient l'incontestable paternité.
La promulgation du Code du Statut Personnel le 13 août 1956, soit trois mois
à peine après la proclamation de l'indépendance.
S'il ne rompt pas explicitement avec les fondements musulmans du droit de
la famille, ce texte profondément novateur s'en éloigne en effet
singulièrement : l'abolition de la polygamie, le remplacement de la
répudiation par le divorce judiciaire que les deux époux ont également la
possibilité de réclamer, la suppression de l'institution malékite du tuteur
matrimonial, font d'emblée des Tunisiennes des privilégiées par rapport à
leurs soeurs du monde arabe et du Maghreb….
20. C’était un discours officiel de rupture avec la tradition, que d'aucuns
n'hésitent pas à qualifier de féminisme d'État.
Dès la fin des années 50, le statut octroyé aux femmes devient, non sans
raison il est vrai, l'une des meilleures cartes de visite de la Tunisie en
Occident….
Les femmes obtiennent le droit de travailler, de se déplacer, d'ouvrir des
comptes bancaires ou de créer des entreprises sans l'autorisation de leur
époux. Dès le début des années 60, une énergique politique de
planification familiale est mise en place. L'on encourage vivement les
femmes à limiter leur progéniture en rendant accessibles dans tout le pays
les moyens contraceptifs..
21. Les années 80 sont marquées par un total immobilisme en matière de
condition féminine, et le mouvement féministe tunisien, né à la fin des
années 70, se réfugie dans une position de défendre le Code du Statut
Personel contre les attaques de moins en moins masquées dont il fait
l'objet, non seulement de la part des islamistes mais aussi dans le parti au
pouvoir et dans certaines formations politiques légales….
Avec Zine El Abidine Ben Ali au cours des années 80, le CSP est devenu
la ligne rouge qui sépare les modernistes des rétrogrades. Contre les
seconds qui réclament sa modification dans un sens régressif, les
premiers font de son maintien le symbole de l'ancrage de la Tunisie dans
la modernité….
22. 1990 après la rupture avec les islamistes un nouveau discours de la modernité
se met en effet en place. On ne se risque pas à abandonner la référence
devenue rituelle à l'identité arabo-islamique du pays, mais elle n'occupe
plus le même espace qu'à la fin des années 80.
On glorifie en revanche son prestigieux passé antique. On insiste sur la
pluralité des sources de la personnalité tunisienne et sur sa diversité
culturelle qui constitue dans la nouvelle vulgate une de ses principales
richesses. ..
Les réformes annoncées sont consignées en 1993 dans les codes du statut
personnel, du travail et de la nationalité. Sans répondre à tous les souhaits
du mouvement féministe qui militent pour une reconnaissance claire de
l'égalité des sexes, elles ne sont toutefois pas négligeables et tendent à faire
évoluer l'autorité paternelle vers une autorité parentale partagée entre les
deux époux.
23. Ainsi, dans la loi du 12 juillet 1993 portant modification du CSP, le
consentement de la mère devient obligatoire pour le mariage d'une fille
mineure. Si la défaillance du père est dûment constatée dans le cas d'un
couple divorcé, la mère peut obtenir la pleine tutelle de ses enfants. Elle
acquiert également le droit de les représenter dans une série d'actes
juridiques de la vie quotidienne, d'ouvrir et de gérer un livret de caisse
d'épargne à leur profit.
Autre mesure qui s'inscrit dans ce cadre, d'autant plus importante qu'elle se
démarque de la loi islamique qui ne reconnaît que la filiation paternelle, la
Tunisienne mariée à un étranger peut désormais transmettre sa nationalité
à ses enfants, même si ces derniers sont nés à l'étranger.
24. En Tunisie, la mobilisation des femmes depuis la révolution de janvier 2011
est à la croisée de chemins où il s’agit de faire des choix, tout en restant
fidèle au projet politique et social autour duquel les associations féministes
ont été fondées.
Multiples ONG féministes et humanistes se sont créées au lendemain de la
Révolution du 14 janvier, toutes mobilisées dans la bataille démocratique
qui se poursuit pour la levée des réserves à la CEDAW, l’inscription dans
la rédaction de la Constitution du principe de l’égalité totale, la séparation
du politique et du religieux et la dimension universelle des Droits Humains
et des droits des femmes en particulier. ( Faïza Zouaoui Skandrani)
25. Aujourd'hui,
2015
le mouvement féministe a conscience de la période particulière dans laquelle
la Tunisie se trouve, et, veut l’utiliser pour faire progresser les droits des
femmes, et utiliser la liberté d’opinion et d’expression pour convaincre.
L’espoir du mouvement féministe est que la laïcité s’imposera
progressivement.
Les militantes savent aussi que le mouvement doit se renforcer et se
diversifier. Essentiellement implanté chez les élites intellectuelles, le défi
est maintenant de porter la parole féministe auprès de la jeunesse, des
couches populaires de la société et dans les zones rurales pour que ce
dernier représente toutes les femmes….