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UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES
D’AIX-MARSEILLE
__________________
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE
__________________
Centre de Droit Maritime et des Transports
LA LIVRAISON SANS
CONNAISSEMENT
Mémoire de Master 2 professionnel de Droit Maritime et des Transports
Présenté par M. Ngagne FAYE
Sous la direction de Maître Christian SCAPEL
Année universitaire 2007-2008
1
2
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier M. Francis EBIANGNE pour m’avoir fait découvrir le droit maritime et
Messieurs BONASSIES et SCAPEL pour me l’avoir fait aimer.
Je remercie également M. André POTOCKI, conseiller à la Cour de cassation, pour les
précieuses informations qu’il a eu l’amabilité de me fournir.
A mes parents
3
LISTE DES ABBREVIATIONS
AJ. Actualité juridique
Annales IMTM Annales de l’Institut méditerranéen des transports maritimes
BT Bulletin des transports (devenu BTL depuis 1992)
BTL Bulletin des transports et de la logistique
Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Chambres civiles)
CAMP Chambre arbitrale maritime de Paris
Comm. Commentaire
D Recueil Dalloz
D. eur. Transp. Droit européen des transports
DMF Droit maritime français
Ibid Ibidem (au même endroit)
JCP Juris-classeur périodique
JMM Journal de la marine marchande
Lloyd’s Rep Lloyd’s report
L.M.C.L.Q Lloyd’s maritime and commercial law quarterly
Obs. Observations
Op. cit. Opus citatis (ouvrage cité)
QBD Queens Bench Division
RD transp. Revue de droit des transports
Rev. fr. de comptabilité Revue française de comptabilité
Rev. Scapel Revue de droit commercial, maritime, aérien et des transports
RGDA Revue générale du droit des assurances
4
SOMMAIRE
INTRODUCTION ...........................................................................................................................6
PARTIE 1 : L’EXIGENCE DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON.......................................10
Chapitre 1 / La livraison sans connaissement, une irrégularité manifeste..................11
Chapitre 2 / La livraison sans connaissement, une irrégularité lourdement
sanctionnée ...........................................................................................................................33
PARTIE 2 : L’EVICTION DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON........................................54
Chapitre 1 / La lettre de garantie au déchargement, un palliatif au connaissement
..................................................................................................................................................55
Chapitre 2 / Les substituts du connaissement à la livraison...........................................68
CONCLUSION .............................................................................................................................85
5
RESUME / SUMMARY
Il existe une règle bien établie en droit maritime enjoignant au transporteur de ne livrer la
marchandise au destinataire qu’en échange du connaissement original.
Cependant, comme c’est souvent le cas, une différence existe entre la théorie et la pratique.
En effet, il est fréquent que la marchandise arrive bien avant le connaissement. Cette situation
fait naître un dilemme pour le transporteur, lequel devra choisir d’attendre l’arrivée du
connaissement ou de livrer la marchandise en son absence.
Même si d’un point de vue pratique, la livraison sans connaissement peut se justifier sous
certaines conditions, cette pratique reste cependant illégale.
Plusieurs solutions ont été imaginées pour régler le problème. Une lettre de garantie au
déchargement palliant l’absence du connaissement est ainsi très souvent donnée au
transporteur. De même, d’autres documents sont utilisés tels que la lettre de transport
maritime ou encore des substituts électroniques.
Ces alternatives sont certainement très utiles. Cependant, à l’heure actuelle, elles ne peuvent
pas remplacer entièrement le connaissement traditionnel à la livraison.
In maritime law, there is a well established rule that the carrier can deliver the goods at the
port of discharge only against the production of the original bill of lading by the consignee.
However, as is often the case, the practice differs from the rules. In an increasing number of
cases the cargo reaches its destination before the documentation. In such an event the carrier
is placed in somewhat of a dilemma: awaiting the arrival of the documents or releasing the
goods prior to the bills of lading arriving.
From a practical point of view, delivery without production of the bill of lading is justified
under certain conditions, but from a legal point of view this represents a wrongful act.
Various means are used to remedy the problem. Most often, letters of indemnity are given
instead of bills of lading. Another way of avoiding this complication is the use of non
negotiable sea waybills or electronic substitutes.
Actually, these alternatives are very useful; however they can not yet take the place of the
traditional bill of lading altogether.
6
INTRODUCTION
Le connaissement occupe une place de choix dans le transport maritime de marchandises et
plus largement, il joue un rôle fondamental dans le commerce international.
C’est un titre qui est remis par le transporteur maritime au chargeur en reconnaissance des
biens confiés. Il définit les conditions du contrat de transport et représente les
marchandises. Cette dernière fonction conférant la négociabilité au connaissement permet
au vendeur-chargeur d'en transférer la propriété alors même que les marchandises sont en
cours de voyage. Elle permet également de remettre le document à un banquier pour
constituer un gage destiné à garantir le remboursement d’un crédit documentaire.
Le connaissement peut ainsi servir de support à une vente internationale ou à une opération
de crédit documentaire.
Cette fonction essentielle a été affirmée dès 1787 par la jurisprudence anglaise dans l’arrêt
Lickbarrow v. Mason. Sa reconnaissance en droit français n’interviendra qu’en 1859, la
Cour de cassation déclarant que « la propriété des marchandises voyageant par mer est
représentée par le connaissement »1
.
En tant que titre représentatif, ce document confère à son porteur légitime le droit d'obtenir
la livraison de la marchandise, et ce, indépendamment de toute justification concernant la
propriété de celle-ci. Les Anglais disent que le connaissement est la clef qui permet d'ouvrir
le lieu dans lequel elle se trouve2
. Une corrélation est donc faite entre le droit de recevoir la
marchandise et la possession du titre qui la représente.
Ainsi, conformément à l’article 49 du décret du 31 Décembre 1966, la livraison ne doit être
faite qu’à une seule personne : celle dont le nom est mentionné dans le connaissement
nominatif, le porteur du connaissement, si ce dernier est au porteur, et enfin le dernier
endossataire du connaissement à ordre. Dans les trois cas, la détention légitime du titre
1 P. Bonassies, Ch. Scapel, « Traité de droit maritime », LGDJ 2006, n°987
2 Lord Justice Bowen dans l’arrêt Sanders v. Maclean & Co (1883) 11 QBD p. 341
7
suffit à entrer en possession de la cargaison. En effet, comme le remarquait le doyen
Rodière, le connaissement va représenter la marchandise en ce sens que sa détention
légitime investira son porteur de la possession réelle des biens transportés3
.
La livraison est donc conditionnée à la présentation du document représentatif au
transporteur.
Elle est définie comme « l’acte juridique par lequel le transporteur accomplit son
obligation fondamentale en remettant au destinataire (ou à son représentant) qui l’accepte,
la marchandise qu’il a déplacé à cette intention »4
.
Cette notion est fondamentale car elle marque la fin du contrat de transport et fait courir le
délai des protestations (en cas de pertes ou dommage subis par la marchandise) et celui de
la prescription.
Concrètement, la livraison se déroule comme suit : l’agent du transporteur va d’abord
remettre au destinataire un « bon à délivrer », en échange du connaissement (ou bien il
appose sur ce dernier la mention « bon à délivrer »). Le destinataire va ensuite échanger,
sur les quais, ce bon contre un bulletin de livraison ou « billette », qu’il devra faire viser par
le service des douanes. C’est uniquement après toutes ces formalités qu’il pourra enfin,
prendre possession de sa marchandise5
.
Notons que la définition du moment de la livraison a fait l’objet de divergences entre la
Cour d’appel d’Aix-en-Provence et le tribunal de commerce de Marseille. La première avait
jugé que la livraison était réalisée dès la remise du bon à délivrer au destinataire ou à son
mandataire. Selon cette conception, la notion traduisait ainsi un acte purement juridique
résultant d’un échange de documents6
.
La juridiction consulaire quant à elle, mettait l’accent sur la réception effective de la
marchandise. Ainsi, seule la billette de sortie remise au destinataire par l’acconier agissant
pour le transporteur, concrétisait la livraison7
.
3 R. Rodière, « Traité général de Droit maritime », tome II, n°486
4 R. Rodière , op cit , n°545
5 J. Bonnaud, « Transport maritime : le moment de la livraison », Rev. Scapel 1994, p. 45
6 CA Aix-en-Provence, 13 Mars 1987, DMF 1989, p. 123
7 T. Com. Marseille, 14 Mars 1989, Rev. Scapel 1989, p. 28
8
Saisie d’un pourvoi contre l’une des décisions de la juridiction aixoise, qui était entre-temps
revenue sur sa position8
, la Cour de cassation a mis un terme à cette controverse en
consacrant la thèse de la livraison matérielle défendue par le tribunal de commerce de
Marseille. En effet dans son arrêt navire Rolline, elle estime qu’ « il résulte de l’article 27
de la loi du 18 Juin 1966 et de l’article 49 du décret du 31 Décembre 1966, que la livraison
est l’opération par laquelle le transporteur remet la marchandise à l’ayant-droit qui
l’accepte ». La Cour précise par ailleurs que le destinataire manifeste son acceptation de la
marchandise « en étant mis en mesure d’en vérifier l’état et, le cas échéant, d’assortir son
acceptation de réserves, puis de prendre effectivement possession de la chose livrée »9
.
Ajoutons que la tradition effective de la marchandise, implique que le transporteur avise le
destinataire ou son agent de l’arrivée de la cargaison, en l’invitant à en prendre livraison au
lieu prévu dans le contrat10
.
Cette conception matérielle de la livraison sera, du reste, plusieurs fois confirmée par la
Haute juridiction11
.
Comme le note le Professeur Bonassies, la définition proposée implique dans la pratique
que le destinataire se voit remettre un « bon à délivrer », lui permettant une première
approche de la marchandise. L’entreprise de manutention ou le consignataire qui a
réceptionné la marchandise à quai devra ensuite lui indiquer l’emplacement de cette
dernière et lui remettra éventuellement un « bon de livraison ». Enfin, un délai raisonnable
devra être accordé au destinataire pour vérifier l’état de la marchandise et en prendre
possession12
.
Il ressort ainsi de cette jurisprudence que le critère prédominant est la mise effective de la
marchandise à la disposition du réceptionnaire. Une différence doit donc être faite entre la
livraison et l’arrivée ou le déchargement du navire13
.
8 CA Aix-en-Provence, 24 Janvier 1992, BTL 1992, p. 421
9 Com. 17 Novembre 1992, navire Rolline, DMF 1993, p. 563, note P. Bonassies
10 Com. 27 Juin 2006, DMF 2007, p. 536
11 Com. 1er Juin 2003, n°01-15.663, Bull.civ. IV, n°98 et Com. 30 Juin 2004, n°03-10.751, Lamyline
12 P. Bonassies, note sous Com. 17 Novembre 1992, DMF 1993, p. 565
13 S’agissant du déchargement, Madame Chao observe que « le fait que le transport soit régi
par la Convention de Bruxelles, qui ne couvre le contrat que du chargement au
déchargement, ne change rien. Il n’y a pas de vide juridique. Si le déchargement du navire
dans un port français ne coïncide pas avec la livraison, la loi maritime française prend le
9
La solution prônée par la Cour de cassation exclut toute idée de particularisme ; elle opère
une harmonisation de la notion de livraison applicable à tous les modes de transport14
.
Toujours est-il que la définition ainsi exposée, présuppose la remise du connaissement au
transporteur maritime. Cependant, ce document n’est pas toujours présenté. Il est en effet
fréquent qu’à l’arrivée du navire, le destinataire se retrouve dépourvu du titre représentatif
de la marchandise. Plusieurs facteurs expliquent ce problème. Il en est ainsi de la
dégradation des services postaux, combinée avec la rapidité croissante des navires. De
même, la complexité des circuits bancaires, ou encore l’augmentation des jours non
travaillés, contribuent à retarder la transmission du connaissement. Le problème peut
également trouver sa source dans la perte pure et simple du titre représentatif.
Cette situation se rencontre très fréquemment dans le cabotage international15
, le commerce
du pétrole, ou encore dans le transport de marchandises en vrac16
. Cela est dû, notamment
sur le marché pétrolier, au fait que la cargaison est souvent achetée et vendue flottante ;
l’opération pouvant se répéter plusieurs fois au cours du trajet. Le transporteur sera donc
souvent contraint de livrer la marchandise sans exiger le connaissement en retour. Son
attitude s’expliquera par le souci d’éviter un blocage des biens avec toutes les conséquences
que cela entraîne17
.
Ce problème est une des manifestations de la lourdeur du titre représentatif, lequel peut
parfois paraître inadapté. Aussi, la question qui nous occupera est celle de savoir dans
quelle mesure cette livraison faite sans remise du connaissement reflète une réduction de la
place du connaissement dans la phase de livraison.
Pour y répondre, nous allons tout d’abord, nous intéresser à l’exigence du connaissement à
la livraison (Partie 1), avant d’étudier son éviction au même moment (Partie 2).
relais ». A. Chao, « Livraison maritime, une notion fixe dans un espace variable », BTL, n°2574
du 4 Juillet 1994, p. 517
14 Ibid, p. 516
15 Navigation commerciale pratiquée entre ports d’Etats différents situés dans une zone
délimitée. Autrement dit, il s’agit de voyages internationaux courts (G. Figuière, C. Camélio
Laurent, « Dictionnaire anglais-français du commerce maritime », Infomer, Octobre 2005, 2ème
éd., p. 25)
16 Marchandises solides telles que grains, phosphates, tourteaux ou minerais, chargés sans
être conditionnées (Ibid. p. 22)
17 Un blocage peut affecter l’état de la marchandise si elle est périssable ; il peut également
entraîner des frais de stationnement, ou encore la dégradation des relations commerciales
avec le destinataire.
10
PARTIE 1 : L’EXIGENCE DU
CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON
Le connaissement est défini comme étant « le document par lequel le transporteur maritime
qui l’émet, s’engage, dans les conditions énoncées, à remettre au bénéficiaire désigné
généralement par une clause à ordre ou au porteur rendant le titre négociable, les
marchandises qui y sont spécifiés ».18
C’est le document fondamental du transport maritime,
importance notamment justifiée par son rôle de titre représentatif de la marchandise. A cet
égard, il permet à son détenteur d’obtenir la livraison de la marchandise à son arrivée au port
de destination et ce, indépendamment de toute justification de sa propriété. Le transporteur est
tenu de livrer contre la présentation du connaissement. A défaut, il ferait une livraison
manifestement irrégulière (chapitre 1), laquelle sera du reste, lourdement sanctionnée
(chapitre 2).
18 Patricia Cordier, Connaissement maritime – Editions du juris-classeur, Fascicule 1260, p. 3
11
Chapitre 1 / La livraison sans connaissement,
une irrégularité manifeste
La livraison de la marchandise suppose toujours, au préalable, la présentation par le
destinataire de l’original du connaissement. Il faut donc que le transporteur respecte ce qu’il
est convenu d’appeler la règle de présentation, laquelle a été affirmée avec force par les textes
(section 1) quoique faisant l’objet d’une application nuancée par la jurisprudence (section 2).
Nous verrons par ailleurs que l’instauration de cette obligation de présentation tient largement
à l’importance du connaissement dans la phase de livraison (section 3).
Section 1 / L’affirmation de la règle de
présentation par les textes
La livraison sans connaissement constitue une grave irrégularité de la part du transporteur
maritime. Cela justifie que cette pratique soit interdite aussi bien par les textes internes (§1)
qu’internationaux (§ 2).
§ 1 / L’interdiction de la livraison sans connaissement par
les textes internes
L’article 49 du décret du 31 Décembre 1966 enjoint au capitaine ou au consignataire du
navire de délivrer la marchandise au destinataire ou à son représentant. Selon cet article, « le
destinataire est celui dont le nom est indiqué dans le connaissement à personne dénommée ;
c’est celui qui présente le connaissement à l’arrivée lorsque le connaissement est au porteur ;
c’est le dernier endossataire dans le connaissement à ordre ».19
19 Précisons que le connaissement à personne dénommée est celui qui est établi au nom du
destinataire, lequel peut seul prendre livraison de la marchandise. Le connaissement au
porteur est celui qui énonce clairement qu’il est au porteur ou qui ne mentionne aucun
destinataire ou encore, qui contient la clause « à ordre » sans indiquer aucun nom de
bénéficiaire. Sa transmission se fait par tradition. Enfin, le connaissement à ordre désigne celui
qui est établi à l’ordre d’une personne déterminée. Il est transmissible par endossement.
12
L’article 50 du même décret énonce quant à lui que « la remise d’un original du
connaissement établit la livraison sauf preuve contraire » étant précisé que « le
connaissement une fois accompli, les autres originaux sont sans valeur ».
Le connaissement représentant la marchandise, il donne à celui qui le détient légalement, le
droit à la livraison. Celui qui est légitimement porteur est en possession de la marchandise. De
même, la transmission du connaissement vaut ainsi transfert de la possession.
La règle de présentation posée par les articles 49 et 50 du décret de 1966 s’appuie comme
nous venons de le voir sur la fonction de représentativité du titre, laquelle a été reconnue par
la Cour de cassation dans un arrêt du 17 Août 1859. La Haute juridiction cassant un arrêt de la
Cour d’Appel de Rennes posait le principe que « la propriété des marchandises voyageant
par voie de mer est représentée par le connaissement », sachant que « le connaissement, ainsi
que les marchandises dont il est la représentation se transmet par la voie de
l’endossement »20
.
Il résulte ainsi des textes susmentionnés que « le transporteur ne doit livrer la marchandise,
sans jamais avoir à se préoccuper de la propriété de celle-ci, qu’au titulaire du
connaissement qui lui présente effectivement, un exemplaire original de celui-ci. Nul autre
n’est en droit d’en exiger la livraison »21
.
Cette interdiction formelle de la livraison sans connaissement qui se dégage des textes
internes français se retrouve pareillement dans certains textes internationaux.
§ 2 / L’interdiction de la livraison sans connaissement par
les textes internationaux
La règle de présentation a été affirmée avec force à la fois par les Règles de Hambourg (A) et
par le projet CNUDCI sur le transport de marchandises effectué entièrement ou partiellement
par mer (B)22
.
20 Cass. 17 Août 1859, D. 1859.I.347
21 P. Bonassies et C. Scapel, op. cit., n°987
22 La Convention de Bruxelles du 25 Août 1924 demeure silencieuse sur la question.
13
A / Les Règles de Hambourg
L’article 1er
§ 7 des Règles de Hambourg définit le connaissement comme « un document
faisant preuve d’un contrat de transport par mer et constatant la prise en charge ou la mise à
bord des marchandises par le transporteur ainsi que l’engagement de celui-ci de délivrer les
marchandises contre remise de ce document. Cet engagement résulte d’une mention dans le
document stipulant que les marchandises doivent être délivrées à l’ordre d’une personne
dénommée ou à ordre ou au porteur ».
Nous reconnaissons ici la même obligation posée par l’article 49 du décret de 1966 de livrer
la marchandise à son destinataire contre présentation du connaissement.
Cette exigence est prévue du reste dans un autre texte international quoique non encore entré
en vigueur.
B / Le projet CNUDCI sur le transport de marchandises effectué
entièrement ou partiellement par mer23
Le projet CNUDCI règlemente en détail la livraison de la marchandise. Ainsi, son article 11
inclus dans le chapitre 4 relatif aux obligations du transporteur énonce que « le transporteur,
dans les conditions prévues par la présente Convention et conformément aux clauses du
contrat de transport, déplace les marchandises jusqu’au lieu de destination et les livre au
destinataire ».
La règle de présentation du connaissement est nettement posée par l’article 50, intitulé
« Livraison en cas d’émission d’un document de transport négociable ou d’un document
électronique de transport négociable ».
Ce texte fait nécessairement référence au connaissement, lequel a l’apanage de la
négociabilité. C’est d’ailleurs ce qui le distingue d’autres documents comme la lettre de
transport maritime.
Ainsi selon l’article 50, en cas d’émission d’un document de transport négociable ou d’un
document électronique de transport négociable, le porteur du document de transport
23 A/CN.9/WG.III/WP.101 (CNUDCI, Groupe de travail III, droit des transports, 21ème session,
Vienne, 14-25 Janvier 2008)
14
négociable ou du document électronique de transport négociable est en droit de réclamer la
livraison des marchandises au transporteur après que celles-ci soient parvenues au lieu de
destination.
Toujours selon le même texte, cette livraison se fera contre remise du document de transport
négociable et à condition que le porteur s’identifie dûment, étant précisé que le terme
« porteur » désigne la personne qui est en possession d’un document de transport négociable.
S’il s’agit d’un document à ordre, il désigne la personne qui y est identifiée comme le
chargeur ou le destinataire, ou la personne au profit de laquelle le document est dûment
endossé. Enfin, le porteur sera le détenteur du connaissement s’il s’agit d’un document à ordre
endossé en blanc ou d’un document au porteur.
Ajoutons que l’article 50 précise bien que le transporteur devra refuser de livrer les
marchandises si ces conditions ne sont pas remplies.
Nous venons donc de le voir, la livraison sans connaissement est interdite aussi bien par le
droit français que par le droit international. Ne pas respecter la règle de présentation
reviendrait par conséquent à commettre une faute, du moins dans la majorité des cas car
l’application jurisprudentielle de cette règle est plus nuancée.
Section 2 / L’application de la règle de
présentation par les juges
La règle de présentation du connaissement à la livraison n’est pas toujours appliquée au pied
de la lettre par la jurisprudence. Dans un premier temps, cette dernière l’applique
restrictivement en admettant qu’exceptionnellement des entorses à la règle (§1). En deuxième
lieu, les juges en font une application extensive, en allant au-delà même des textes (§2).
15
§ 1 / L’application restrictive : l’autorisation exceptionnelle
de la livraison sans connaissement
Il existe des cas où, malgré l’obligation pour le transporteur de livrer la marchandise contre
remise de l’original du connaissement, la jurisprudence lui permet de passer outre cette
exigence. Il en est ainsi par exemple en cas d’accord du chargeur de livrer sans connaissement
(A), en cas de livraison sur injonction (B), ou de livraison à un organisme étatique
monopolistique (C), ou enfin en présence d’une livraison contre un connaissement falsifié
(D).
A / L’accord du chargeur
Cette exception à la règle de présentation a été affirmée par la Cour d’Appel de Montpellier
dans un arrêt du 5 Avril 1990, dans lequel cette juridiction pose que le transporteur qui livre
la marchandise sans connaissement « assume toujours un risque, dont il doit subir les
conséquences, excepté le cas où la remise de la marchandise est autorisée par le
chargeur »24
. En l’occurrence, la marchandise a été livrée sans connaissement au vu d’un
télex provenant du vendeur l’autorisant « à mettre à disposition du destinataire la
marchandise dans l’attente des connaissements originaux ».
De même dans un arrêt récent du 19 Juin 2007, la Cour de cassation affirme que
conformément aux articles 49 et 50 du décret du 31 Décembre 1966, « sauf convention
contraire, le transporteur maritime ne peut livrer la marchandise que sur présentation de
l’original du connaissement, même lorsque celui-ci est à personne dénommée et dépourvu de
mention à ordre ».
A travers cette décision la Haute juridiction rappelle le respect qui doit être dû à la règle de
présentation du connaissement, mais en même temps, elle réserve expressément l’hypothèse
de la liberté contractuelle. Elle indique en effet que les articles 49 et 50 du décret de 1966
24 CA Montpellier, 5 Avril 1990, DMF 1992, p.314
16
s’appliquent « sauf convention contraire » des parties. Ces dernières peuvent donc convenir
de ne pas présenter le connaissement à la livraison.
Se posera toutefois ici, la question de la forme que doit prendre la convention contraire des
parties. A ce propos le professeur Kenfack affirme que « la dérogation aux termes de la loi
sur la présentation de l’original du connaissement doit être convenue, c'est-à-dire acceptée
par les parties, ce qui suppose une clause sans ambiguïté qui traduit la volonté sans
équivoque des parties et notamment celle du chargeur. L’arrêt du 19 Juin 2007 s’inscrit dans
une jurisprudence constante de la Cour de cassation, par exemple en ce qui concerne la
clause attributive de compétence. Elle n’est opposable au chargeur que s’il l’a
acceptée (…) »25
.
Ainsi si l’accord du chargeur peut permettre de passer outre l’interdiction de livrer sans
connaissement, c’est à la condition que cet accord soit suffisamment exprimé et claire.
La dispense de présentation de l'original du connaissement ne peut donc résulter que d'une
telle clause. En son absence, avant la livraison, le transporteur pourra toujours demander et
obtenir une autorisation du chargeur de livrer sans connaissement.
Cette solution de la Cour de cassation doit être approuvée car elle préserve la liberté des
parties. En effet comme le note encore Monsieur Kenfack, « si la porte du non-respect des
exigences légales issues des articles 49 et 50 du décret du 31 décembre 1966 est fermée (la
présentation de l’original du connaissement avant toute livraison étant réaffirmée quel que
soit le connaissement), il convient de se réjouir de l’ouverture de la fenêtre de la liberté
contractuelle (…). Cette fenêtre est heureuse car le transport maritime est par essence
international et la liberté des parties y est très grande. Il n’est pas sain de la limiter, d’autant
plus que la mer est synonyme de liberté ».
En dehors de l’accord du chargeur, la livraison peut également s’effectuer sans présentation
du connaissement, si elle est faite sur injonction.
25 H. Kenfack, note sous Cass. 19 Juin 2007, JCP G n°40, 3 Octobre 2007, II 10165
17
B / La livraison sur injonction judiciaire
La livraison sans connaissement pourra toujours être autorisée si le destinataire de la
marchandise entame une procédure judiciaire rapide, comme l’assignation en référé ou la
requête. Le destinataire dans ce cas ne dispose pas de l’original du connaissement susceptible
de lui permettre de retirer sa marchandise, et il ne souhaite pas non plus contracter une
garantie pour obtenir livraison.
Il préférera donc emprunter la voie judiciaire. La livraison sur injonction s’entend d’une
procédure permettant d’obtenir du juge des référés une ordonnance prescrivant l’exécution en
nature d’une obligation de faire. En l’occurrence il s’agira d’obtenir livraison de la
marchandise. Toutefois cette procédure suppose que l’obligation ne soit pas sérieusement
contestable.
Une procédure simplifiée permet d’obtenir du juge d’instance, une ordonnance d’injonction
de faire. Il doit s’agir d’une obligation née d’un contrat passé entre personnes n’ayant pas
toutes contracté en qualité de commerçant. En effet, l’article 1425-1 du Nouveau code de
procédure civile, dispose que « l’exécution en nature d’une obligation née d’un contrat
conclu entre des personnes n’ayant pas toutes la qualité de commerçant peut être demandée
au tribunal d’instance lorsque la valeur de la prestation dont l’exécution est réclamée
n’excède pas le taux de compétence de cette juridiction ».
On signalera ici un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 19 Octobre 2004, lequel confirme
une ordonnance ayant fait droit à une demande de remise sous astreinte de la marchandise26
.
Cet arrêt sera du reste confirmé par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans une
décision du 27 Juin 200627
.
En l’espèce la société Aventis avait confié à la société Kawasaki un transport de marchandises
de Fos-sur-Mer à Bangkok. N’ayant pas reçu le connaissement émis par le transporteur, la
société Aventis, avait obtenu du juge des référés qu’il soit ordonné à la société Kawasaki de
lui livrer ces marchandises sans remise du connaissement initial et cela sous astreinte de 5000
euros par jour de retard à compter de sa mise à quai à Bangkok.
26 CA Rouen, 19 Octobre 2004, n°03/00882, Kawasaki kisen kaisa c/ Bayer, Lamyline
27 Com. 27 Juin 2006 n°04-20.510, Lamyline
18
Il est également précisé dans un autre arrêt, émanant cette fois-ci d’une juridiction belge, que
lorsque sur injonction judiciaire, le transporteur maritime délivre la marchandise à destination
à une partie autre que le porteur du connaissement, et qu’en plus on ne peut lui reprocher
aucune faute ou négligence en rapport avec l’intervention ou l’exécution de cette injonction,
la réclamation du porteur du connaissement pour non livraison, ne peut être accueillie28
.
La jurisprudence nuance ainsi, une fois de plus, l’interdiction de la livraison sans
connaissement. Cette règle fait d’ailleurs l’objet d’un autre assouplissement en cas de
livraison à une entreprise monopolistique.
C / La livraison à une entreprise monopolistique
Les entreprises monopolistiques, comme leur nom l’indique, disposent d’un monopole légal
ou réglementaire pour effectuer la manutention des navires. Le transporteur confronté à de
tels organismes est souvent obligé de livrer la marchandise sans connaissement.
Dans une pareille hypothèse, la jurisprudence, tenant compte de la spécificité de la situation,
excuse l’attitude fautive du transporteur.
En effet, elle considère généralement que l’entreprise monopolistique agit pour le compte du
destinataire. Ainsi en a décidé un arrêt ancien de la Cour d’appel de Paris29
dans lequel une
marchandise était transportée du Havre à Vancouver (où toutes les cargaisons sont
obligatoirement consignées à un organisme public dénommé National Harbour Board).
La responsabilité du transporteur était recherchée par le commissionnaire-chargeur, lui-même
actionné par le vendeur impayé des marchandises. La Cour de Paris estime en l’espèce que le
transporteur s’est déchargé valablement de la responsabilité des marchandises en les délivrant
entre les mains de l’entreprise monopolistique dont l’intervention est obligatoire et qui « agit
non en qualité de mandataire du bord, mais comme représentant du destinataire qui le paie
pour son intervention ». L’organisme monopolistique qui n’est ni choisi, ni librement commis
par le transporteur, ne peut être regardé comme le mandataire contractuel de ce dernier30
.
28 Rechtbank van Koophandel Te Antwerpen, 13 Mai 2005, D. eur. Transp. 2006, p.88
29 CA Paris, 8 Octobre 1964, DMF 1964, p.745, Navire Mississipi
30 CA Aix-en-Provence, 11 Mai 1989, BT 1990, p.345
19
La livraison d’office à une autorité publique se rencontre plus particulièrement dans les pays
en voie de développement. Ainsi selon la jurisprudence, est effective la livraison faite au
wharf de Nouakchott31
, à la Société nationale de manutention algérienne (SONAMA)32
, à
l’organisme portuaire de La Guaira au Venezuela33
, à l’organisme portuaire du Pirée34
, à
l’entreprise monopolistique de Djeddah35
, à un organisme libyen36
, à un organisme de Hô Chi
Minh-ville37
. De même, est effective la livraison faite aux organismes portuaires de Freetown,
Takoradi et Cotonou38
.
Notons également que la mise en dépôt de douane d’office dégage le transporteur de son
obligation de ne délivrer la marchandise que sur présentation des connaissements39
.
Cette situation se retrouve le plus souvent dans les pays latino-américains, qui, comme le note
un auteur, font exception à la règle de présentation et permettent ainsi au consignataire
d'accéder à la marchandise sans produire le connaissement40.
Certaines décisions41
excusent également le transporteur qui livre sans connaissement, dans le
cas où cette remise lui était imposée par l’administration locale, constituant au sens de la
convention de 1924, un fait du prince42
.
Dans ces décisions, la remise de la marchandise était exigée par une entreprise
monopolistique d’Etat. Les juges considèrent dès lors, que le transporteur n’est pas
responsable d’une livraison irrégulière, lorsque celui-ci est confronté à un acte de puissance
publique.
31 CA Paris, 29 Avril 1982, DMF 1983, p.274, et Com 13 Juin 1989, DMF 1991, p.229
Notons que « Techniquement un wharf est un appontement auquel viennent accoster les
navires ; dans le jargon maritime on désigne par extension de ce mot, l’organisme de
caractère public qui est chargé de la manutention et de l’entreposage des marchandises
dans les ports africains ». R. Rodière, « Traité général de droit maritime » Tome III, Dalloz 1970,
p.77
32 T.Com Marseille, 26 Mars 1982, Rev. Scapel 1982, p.30
33 CA Paris, 8 Juillet 1982, DMF 1982, p.754
34 CA Aix-en-Provence, 7 Décembre 1979, DMF 1980, p.726
35 CA Rouen, 21 Novembre 1979, DMF 1980, p.531
36 CA Aix-en-Provence, 15 Février 2007, n°05/06156, Lamyline
37 CA Paris, 13 Novembre 1996, La Paternelle et a. c/ Ballast Shipping et a. Lamyline
38 T.Com Marseille, 13 Janvier 2006, n°2005F02757, Fortis et a. c/ Sea Bean Maritime, Lamyline
39 CA Paris, 21 Septembre 1988, BT 1989, p.212
40 C.M. Schmittohff, “The Export Trade”, 8th ed., London, Stevens & Sons Ltd., 1986, pp. 509-510
41 CA Aix-en-Provence, 29 Mars 1988, DMF 1991, p.223 / Com, 20 Février 1990, BT 1990, p. 563
42 Art. 4§2 g, convention de Bruxelles de 1924
20
Signalons au passage que, pour ne pas être sanctionné pour livraison sans connaissement, le
transporteur doit être dépourvu de toute possibilité de choix. La livraison doit lui être imposée
par l’administration locale. Ce qui n’est pas toujours le cas.
En effet, pour donner l’exemple du Maroc, Madame Hassania Cherkaoui note que d’après le
Dahir du 28 Décembre 1984 portant création de l’organisme portuaire monopolistique de
Casablanca (l’ODEP), « l’exploitant portuaire ne s’impose pas au transporteur, lequel n’est
pas obligé de faire appel à ses services. Il peut en effet livrer directement au destinataire en
l’avisant de venir prendre livraison de sa marchandise, et rien n’interdit à l’armateur
d’organiser un service de garde à terre des marchandises en attente de leur délivrance. Si le
transporteur ne livre pas dans ces conditions, c’est qu’il a choisi l’exploitant portuaire
lorsqu’il a accepté son intervention.
Dès lors, la solution retenue par la jurisprudence française ne peut concerner l’exploitant
portuaire marocain puisque son intervention n’est pas obligatoire(…). Ainsi, la remise des
marchandises par le transporteur à l’exploitant portuaire marocain ne vaut pas livraison et
ne met pas fin à sa responsabilité »43
.
Par conséquent, si le monopole de l’entreprise n’est pas démontré, le transporteur maritime
demeure responsable de la livraison sans connaissement, ainsi que des dommages constatés à
la livraison44
.
Les organismes à caractère de monopole étant habilités à réceptionner la marchandise, les
transporteurs qui ne disposent pas de la maîtrise des opérations, ne sauraient donc être tenus
des pertes ou dommage survenus postérieurement à la remise des marchandises45
.
Cette solution est consacrée par les Règles de Hambourg dont l’article 4§2 prévoit que le
transporteur est responsable en ce qui concerne les marchandises, de la prise en charge à la
livraison. Cette dernière pouvant être effective si les marchandises sont livrées « à une
43 H. Cherkaoui, « L’intervention de l’exploitant portuaire au Maroc et la rupture de charge du
transporteur maritime », DMF 1996, p.99
44 CA Aix-en-Provence, 16 Février 2001, Uni Europe c/ Georges Shipping Ltd, Rev. Scapel 2001,
p.148
45 CA Rouen, 6 février 1986, DMF 1988, p.40.
21
autorité ou autre tiers auquel elles doivent être remises conformément aux lois et règlements
applicables au port de déchargement »46
.
Aussi, les transporteurs ont-ils l’habitude d’introduire dans leurs connaissements une clause
de déchargement d’office énonçant que la remise de la marchandise à ces organismes mettra
fin à leurs responsabilités. Mais comme le soulignent Messieurs Bonassies et Scapel, ces
clauses devraient être rejetées « lorsque le transport est régi par la convention de Bruxelles
ou par la loi française. Ces textes imposent au transporteur de supporter la responsabilité de
la marchandise jusqu’à la fin du déchargement, et ne prévoient aucune dérogation à cette
disposition impérative »47
.
Selon l’exemple donné par Monsieur Achard, la clause de déchargement d’office revêt
généralement la formule suivante : « Le capitaine et la compagnie seront déchargés par la
remise des marchandises à la Douane ou à tout autre organisme dans tous les cas où cette
remise est obligatoire »48
.
En livrant la marchandise à une entreprise monopolistique, le transporteur ne sera tenu que
des pertes et avaries constatées à la remise, mais ne sera pas sanctionné pour une livraison
irrégulière, c’est à dire faite sans présentation par le destinataire d’un original du
connaissement49
. Nous retrouvons donc ici une autre exception à l’interdiction de la livraison
sans connaissement, laquelle est normalement fautive50
.
De même, le transporteur sera également excusé s’il livre la marchandise en échange d’un
faux connaissement.
46 Art 4§2, b, iii, Règles de Hambourg
47 op.cit, n°1033
Les règles de Hambourg quant à elles, n’imposent pas au transporteur de décharger le
navire, puisque la marchandise pourra être remise à la disposition du destinataire
« conformément au contrat » (art. 4§2, b, ii
48R. Achard, « Livraison des marchandises à un organisme portuaire à caractère de
monopole », JMM 1981, n°3231, p. 2774
49 CA Aix-en-Provence, 17 Décembre 1986, Navire Lagada-Bay, DMF 1988, p.43,
Cass. 13 Juin 1989, Navire Lagada-Bay, DMF 1991, p.228,
50 Cass, 29 janvier 1991, Navire Diana, DMF 1991, p 354,
22
D / La livraison contre un connaissement falsifié
Au regard de la loi, un connaissement falsifié est nul. Cela s’explique par le caractère
frauduleux du document. Celui-ci n’est qu’un bout de papier sans valeur. Dès lors, livrer la
marchandise contre un tel document reviendrait à livrer sans connaissement.
Toutefois, cette livraison n’est pas toujours fautive selon la jurisprudence. En effet, dans un
arrêt du 22 Novembre 1996, la Cour d’Appel de Paris exonère un transporteur ayant livré la
marchandise contre un faux connaissement51
.
En l’espèce, une société charge un commissionnaire de transport d’acheminer des caisses de
pièces détachées pour automobiles d’Aulnay-sous-Bois à Lagos via le port du Havre. Le
chargeur-vendeur prétendant n’avoir pas été payé fait faire une enquête qui révèle que les
marchandises ont été livrées contre un faux connaissement. Il assigne le commissionnaire,
lequel appelle le transporteur en garantie. Débouté en première instance, il fait appel et la
Cour de Paris confirme le jugement.
Le transporteur a pu être trompé puisqu’il s’agissait ici d’une photocopie de connaissement
ayant toutes les apparences de l’original, « photocopie dont la ressemblance avec l’original
était telle, hormis une dactylographie très légèrement différente, que celui qui était chargé de
la vérification a pu se méprendre et se laisser abuser sans être anormalement vigilant ».
La Cour relevant que la photocopie présentée ressemblait tellement à un original que le
transporteur a pu être trompé sans manquer à son devoir de vérification, conclut qu’il est donc
dégagé de toute responsabilité. Le pourvoi formé contre cet arrêt sera d’ailleurs rejeté par la
Cour de cassation, laquelle décide que « c’est par une appréciation souveraine que la Cour
d’appel a estimé que le connaissement présenté à l’arrivée par le destinataire avait toutes les
apparences de l’original et que le capitaine, au vu des éléments de comparaison en sa
possession, a pu se méprendre et se laisser abuser »52
.
Cette position française est confirmée par une décision belge, affirmant que lorsque des
connaissements sont falsifiés de façon telle qu’ils sont quasiment identiques aux originaux, et
que les différences sont à ce point imperceptibles qu’elles ne peuvent être découvertes
51 CA Paris, 22 Nov. 1996, Sté Autorex France c/ Sté Galion et autres, BTL 1997, n°2697, p.199
52 Com. 5 Janvier 1999, n°97-10734, Légifrance
23
qu’après une étude comparative longue et approfondie, le transporteur maritime est mis hors
de cause et n’est pas responsable de la livraison sans connaissement original53
.
Il faudra toutefois noter que cette conception n’est pas partagée par les juges britanniques.
Ceux-ci adoptent en effet une position plus sévère pour le transporteur. Ainsi, selon Lord
Justice Mance54
, même si la falsification du connaissement n’est pas apparente et ne peut pas
être raisonnablement détectée, le transporteur reste malgré tout responsable s’il livre la
marchandise. En effet le transporteur doit pouvoir reconnaître ses propres connaissements. Il
doit faire en sorte que ceux-ci ne soient pas aisément falsifiables. Cette décision sévère est
confirmée par un récent arrêt de la Court of Appeal55
.
Précisons par ailleurs que la présentation d’un connaissement falsifié est pénalement
sanctionnée. En effet, dans une décision du 10 Mai 200756
, la chambre criminelle de la Cour
de cassation affirme que constitue un faux en écriture privée sanctionné par les dispositions de
l’article 441-1 du Code pénal57
, l’acte de falsification de manifestes et de connaissements,
mais aussi toute fabrication par contrefaçon d’écriture, débouchant à faux intellectuel.
Quoi qu’il en soit nous retiendrons donc que selon la jurisprudence française, la livraison
contre un faux connaissement ne constitue pas une entorse à la règle de présentation.
Les assouplissements jurisprudentiels apportés à l’interdiction de la livraison sans
connaissement doivent être considérés comme exceptionnels en ce sens qu’ils sont justifiés
par des circonstances particulières. Dès lors, ils ne doivent pas laisser penser que les juges
favorisent la méconnaissance de la règle de présentation. Bien au contraire, ces derniers
interprètent strictement cette exigence légale en insistant bien sur le caractère exceptionnel de
ces entorses.
Notons cependant que l’application jurisprudentielle n’est pas toujours aussi restrictive.
53 Rechtbank van Koophandel Te Antwerpen, 12 Mai 2004, D. eur. Transp. 2004, p.509
54 Motis Exports Ltd v Dampskibsselskabet AF 1912 [2000] 1, Lloyd’s Rep. 211, p.217
55 Trafigura Beheer Bv v Mediterranean Shipping Company [2007] 2, Lloyd’s Rep. p.622
56 Crim 10 Mai 2007, RD transp. n°8, Septembre 2007, comm. 167, obs. M. Ndende
57 Art 441-1 du Code pénal : « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de
nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou
tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet
d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques.
Le faux et l'usage de faux sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros
d'amende».
24
§ 2 / L’application extensive de la règle de présentation
La jurisprudence ne se limite pas toujours à la lettre des dispositions légales. Elle est ainsi
allée au-delà des textes en appliquant la règle de présentation au connaissement nominatif
(A). Par ailleurs elle n’a pas manqué de souligner le caractère gravement fautif de la livraison
sans connaissement (B).
A / L’obligation de présenter le connaissement nominatif à la livraison
Le connaissement nominatif, encore appelé connaissement à personne dénommée par l’article
49 du décret du 31 Décembre 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritime,
désigne un connaissement où le nom du destinataire à qui doit être livrée la marchandise, est
nommément désigné sur le document. L’indication du nom de ce destinataire ne doit pas être
assortie de la mention à ordre, ou à tout le moins, celle-ci doit être barrée.
Nous avons ici une des formes que peut prendre le connaissement, lequel selon l’article 49
susmentionné, peut être à personne dénommée, au porteur, ou à ordre.
La nature réelle du connaissement nominatif a pendant longtemps fait l’objet de beaucoup de
controverses. En effet, la question s’était posée de savoir s’il était un véritable connaissement,
donc soumis à la règle de présentation, ou si l’on devait au contraire considérer que c’est un
document, qui à l’instar de la lettre de transport maritime, ne nécessitait pas d’être présenté
lors de la livraison de la marchandise.
Deux thèses doctrinales étaient donc en opposition. Ainsi, un auteur comme le Professeur
Tassel défendant la thèse de la non présentation du connaissement à personne dénommée,
estimait que la règle de présentation et la représentativité du connaissement sont liées. Il
considère en effet que « la règle dite de la présentation du connaissement aux fins de retirer
la marchandise est réservée au connaissement à ordre ou au porteur. Or, cette règle de la
présentation est l’apanage du titre représentatif. Il s’en suit que la qualité de titre
représentatif est réservée au connaissement à ordre et au porteur »58
.
58 Y. Tassel, observations sous CA Rennes, 16 Mai 2002, navire MSC Magallanes, DMF 2002. 952
25
Cette opinion fut battue en brèche par les Professeurs Bonassies et Scapel qui estiment quant à
eux, que « la fonction du connaissement comme titre représentant la marchandise doit être
reconnue, autant qu’au connaissement à ordre, au connaissement au porteur et au
connaissement nominatif. Les textes ne font en effet aucune différence quant à ces trois titres,
et il en est de même des Règles et usances uniformes de la CCI relatives au crédit
documentaire »59
. Ainsi pour ces auteurs, quelle que soit la forme du document, la livraison
sans connaissement est donc contraire aux textes.
C’est cette dernière position doctrinale qui fut récemment consacrée par la chambre
commerciale de la Cour de Cassation dans un arrêt de principe du 19 Juin 200760
.
Cette décision importante précise que « sauf convention contraire, le transporteur maritime
ne peut livrer la marchandise que sur présentation de l'original du connaissement, même
lorsque celui-ci est à personne dénommée et dépourvue de mention à ordre ».
Rendu au visa des articles 1147 du code civil, 49 et 50 du décret du 31 décembre 1966 sur les
contrats d'affrètement et de transport maritime, cet arrêt de principe clarifie la nature du
connaissement à personne dénommé. Celui-ci est un véritable connaissement, n’échappant
donc pas à la règle de présentation. Le transporteur maritime a, par conséquent, l’obligation
de présenter l'original du connaissement avant la livraison des marchandises même s'il est à
personne dénommée.
Par cette précision expresse, la Cour de cassation clarifie la qualification de ce document,
laquelle comme nous l’avons vu, avait soulevé la controverse. Désormais, le doute n’est plus
permis, le connaissement à personne dénommée étant considéré comme un véritable
connaissement.
Ajoutons que la position affirmée par la Haute juridiction dans son arrêt du 19 Juin 2007 est
défendue par de nombreux droits étrangers. Il en est ainsi par exemple, du droit anglais. En
effet statuant dans l'affaire du navire Rafaela S61
, La Chambre des Lords a décidé dans un
59 P. Bonassies et C. Scapel, op.cit., n°987
60
Com. 19 juin 2007, n° 05-19.646, D. 2007, AJ. 1869, obs. X. Delpech ; RD transp. 2007, Comm.
n° 192, obs. M. Ndendé ; BTL 2007. 415, obs. M. Tilche ; JCP 2007. II. 10165, note H. Kenfack
61 Y. Tassel, « L'affaire du Rafaela S ou l'indélicat connaissement nominatif », DMF 2005, p. 795
26
important arrêt de revirement du 5 juin 2005 que le connaissement nominatif doit être
présenté en échange de la marchandise.
Par ailleurs comme le note Monsieur Tassel, les juges britanniques ont souligné dans cette
décision, que « le droit comparé le plus récent est favorable à l’obligation de présenter le
connaissement nominatif. Certes, le droit américain ne l’exige pas. Mais le droit allemand, le
droit scandinave et le droit français l’exigent. D’ailleurs, les arrêts les plus récents font de la
présentation du connaissement, quel qu’il soit, une obligation (…). Trois arrêts ont été cités
en ce sens : au Danemark, The Duke of Yare, 1997 ; à Singapour, l’arrêt Voss v. APL ; et en
France, l’arrêt MSC Magallanes rendu par la Cour d’Appel de Rennes le 16 mai 2002 »62
.
La solution de la Cour de cassation doit être saluée car elle met résolument l’accent sur le
respect de la règle de présentation. En outre, ainsi que le remarque Monsieur Dominique
Main, avocat général auprès de la Cour de cassation, il ne peut y avoir qu’avantage à unifier
les règles applicables, s’agissant de la livraison de la marchandise, quelle que soit la nature du
connaissement, sans distinguer donc selon qu’il est à personne dénommée, au porteur ou à
ordre (négociable dans ces deux cas), en s’alignant clairement sur le régime qui est le plus
protecteur des intérêts du chargeur63
.
L’application extensive de la règle de présentation se manifeste par ailleurs par la conception
jurisprudentielle de la gravité de la faute du transporteur qui livre la marchandise sans
connaissement.
B / Le caractère gravement fautif de la livraison sans connaissement
L’obligation du transporteur de ne livrer la marchandise que sur présentation d’un
connaissement est une obligation fondamentale, dont il ne peut s’affranchir en aucune
façon64
.Comme nous l’avons vu précédemment, cette obligation émane de textes aussi bien
internes qu’internationaux. Prenant appui sur ceux-ci, la jurisprudence s’attèle à faire
respecter la règle de présentation. Aussi décide-t-elle que livrer la marchandise sans
présentation du connaissement, représente de la part du transporteur une faute délibérée, au
62 Y. Tassel, Ibid
63 Avis de l’avocat général à propos de l’arrêt du 19 Juin 2007. Document fourni par M. André
Potocki (conseiller à la Cour de cassation) avec l’accord de M. Main.
64 Sauf s’il est confronté aux cas particuliers étudiés précédemment
27
regard de la législation maritime65
. Toutefois elle va également au-delà des textes en
qualifiant cette faute de lourde66
, ou encore d’inexcusable67
.
De même, la Cour d’Appel de Rouen a condamné un transporteur qui avait livré à New-York
un conteneur d’équipements acoustiques sans exiger la remise du connaissement par le
destinataire, alors que le chargeur de la marchandise lui avait formellement interdit de la livrer
ainsi sans son accord et ceci même sur présentation d’une lettre de garantie pour absence de
connaissement68
.
Cet arrêt est du reste confirmé par la Cour de cassation, laquelle rejetant le pourvoi formé
contre lui, estime qu’ « en livrant les marchandises à celui qui les réclamait, sans exiger la
présentation du connaissement, le capitaine du navire avait commis une faute »69
.
Pareillement, commet une faute engageant sa responsabilité auprès de la banque détentrice du
connaissement, le transporteur qui livre la marchandise à un destinataire qui n’en paie pas le
prix et qui n’a pas été en mesure de présenter le connaissement70
.
La faute dont il s’agit en l’occurrence est strictement celle du transporteur, comme l’atteste un
récent arrêt dans lequel les juges précisent que le transporteur maritime ne peut remettre les
marchandises qu’au porteur des connaissements originaux, et il ne prouve aucun contrat de
dépôt dans le chef du mandataire du destinataire, auquel les marchandises ont été livrées sans
que ce mandataire soit en possession des connaissements originaux. Sans contrat, ce
mandataire du destinataire n’a aucune obligation de résultat concernant la restitution des
marchandises, et aucune faute contractuelle ne peut lui être reprochée. Le transporteur
demeure l’unique fautif71
.
Signalons par ailleurs que le transporteur ne pourra pas conventionnellement échapper à sa
responsabilité découlant d’une telle livraison sans connaissement, laquelle est fautive. En
effet, la High Court de Hong Kong a décidé qu’était inapplicable, la clause d’exclusion du
connaissement qui prescrit l’exemption de responsabilité du transporteur en cas de livraison
65 CA Aix-en-Provence, 6 Septembre 1984, DMF 1986, p.158
Sentence n°1013 du 14 Septembre 1999, DMF Juin 2000, n°605
66 CA Aix-en-Provence, 6 Septembre 1984, DMF 1986, p. 157
67 T. Com. Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007, p. 519
68 CA Rouen, 19 Octobre 1989, DMF 1990, p.96
69 Cass. 9 Juillet 1991, DMF 1992, p.665
70 CA Montpellier 1er Juin 1995, DMF 1995, p.918
71 Hof van Beroep Te Antwerpen, 13 Juin 2005, D.eur.Transp.2006, p.353
28
fautive de la marchandise72
. Cette décision confirme un précédent arrêt, lequel avait
clairement manifesté son hostilité face à ces clauses d’exemption73
.
Ceci montre que même si la jurisprudence ne fait que se conformer aux textes en soulignant le
caractère fautif de la livraison sans connaissement, elle applique tout de même, de manière
extensive les exigences légales.
L’interdiction légale et jurisprudentielle de la livraison sans connaissement a surtout pour
fondement, la volonté du législateur et des juges, d’éviter que le transporteur maritime ne
bafoue le droit légitime du titulaire du connaissement de réclamer la livraison de sa
marchandise. Toutefois, la règle de présentation se justifie également par d’autres
considérations témoignant de son importance.
Section 3 / L’importance pratique de la règle de
présentation
L’instauration de l’obligation du transporteur de livrer contre présentation d’un original du
connaissement peut s’avérer très utile. L’intérêt de cette règle se manifeste ainsi en matière de
crédit documentaire dont il assure le remboursement (§1) et en matière douanière, puisque le
connaissement est indispensable pour accomplir les formalités requises au port de destination
(§2).
§ 1 / L’exigence du connaissement, gage du remboursement
du crédit documentaire
Le crédit documentaire est une technique de paiement international, de financement et de
protection contre le risque de non-paiement. Il est soumis aux Règles et Usances Uniformes
en matière de crédit documentaire (RUU 600) de la Chambre de commerce internationale
(CCI)74
.
72 High Court of the Hong Kong special administration region, Court of first instance, 5
Octobre 2005, D.eur.Transp. 2006, p.182
73 Hong Kong commercial Court, Center Optical Limited v Jardine Transport Services Limited
[2001] 2 Lloyd’s Rep 678.
74
La Commission bancaire de la CCI a adopté, le 25 octobre 2006, la version révisée des
Règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires, à savoir les RUU 600. Cette
29
Ce type de crédit correspond à l'engagement de la banque de l'acheteur de payer l'exportateur
contre remise de documents qui prouvent que les marchandises ont bien été expédiées ou que
les prestations de service ont été effectuées. Ces documents sont ensuite transmis par la
banque à l'acheteur (ou à la banque du vendeur) contre remboursement, pour que ce dernier
puisse prendre possession de la marchandise. Ils ont pour objet de prouver l'exécution par le
vendeur de ses obligations et incluent normalement les factures commerciales, un document
de transport représentatif de la marchandise (connaissement), une police d'assurance et des
certificats d'origine et de qualité.
Le document essentiel est en l’occurrence le connaissement maritime, lequel est en pratique
toujours exigé. Le connaissement original destiné au chargeur est émis en plusieurs originaux.
Le nombre d’exemplaires émis est indiqué sur le connaissement. Chaque exemplaire donne le
droit d’obtenir la livraison de la marchandise qu’il représente. Si un exemplaire est accompli,
les autres n’ont plus de valeur. Il est donc important d’être en possession du jeu complet.
En règle générale, et surtout dans les opérations de crédit où la marchandise sert de gage en
faveur de la banque émettrice, le jeu complet de connaissements originaux sera requis. La
banque ne s’en débarrassera au profit de l’acheteur, destinataire de la marchandise, que si ce
dernier rembourse le crédit. Le connaissement constitue ainsi dans ce cas un moyen de
pression efficace pour la banque. Par conséquent le transporteur maritime qui livre sans
connaissement, déjoue ce calcul en permettant à l’acheteur de prendre possession de la
marchandise avant de rembourser le crédit documentaire. Seul le respect de la règle de
présentation pourra donc assurer au banquier un remboursement effectif.
Ainsi, en exigeant le connaissement à la livraison le législateur contribue à l’effectivité du
crédit documentaire. Cela constitue un des aspects de l’importance de la présentation de ce
document ; l’autre aspect se retrouvant en matière douanière.
nouvelle version des RUU, est entrée en vigueur le 1er juillet 2007 ; elle a remplacé les RUU 500,
parues en 1993.
30
§ 2 / L’exigence du connaissement, condition
d’accomplissement des formalités douanières
Avant de pouvoir disposer totalement de ses marchandises, l’importateur-destinataire doit
s’acquitter de certaines formalités imposées par l’administration des douanes. Ces dernières
exigent la présentation de plusieurs documents, dont le plus important est le connaissement
maritime, titre représentatif de la marchandise.
Ainsi, le destinataire est tenu de procéder à la déclaration en détail de ses marchandises à
enlever. Or, le dépôt de cette déclaration ne sera possible qu’en présence du connaissement
original.
Il faudra préciser ici que l’accomplissement des formalités douanières ne concerne que les
transports entre un Etat membre de la communauté européenne et un Etat tiers.
En effet, depuis la suppression des frontières intra-U.E. en 1993 avec l’Acte unique européen,
les missions de la douane s’appliquent aux échanges entre l’Union Européenne et les pays
tiers et non plus aux échanges entre pays de l’Union.
Les missions de l’administration des douanes s’exécutent au sein de l’espace européen. Leur
point commun est le passage des frontières communautaires extérieures à l’Union
Européenne ; ce que l’on nomme plus communément des frontières « tiers ».
La législation douanière de base de la Communauté est contenue dans le Code des Douanes
(Règlement CE n° 2913/92 du Conseil) et dans les dispositions d'application du Code
(Règlement CE n° 2454/93 de la Commission).
Au sein de l’U.E., depuis le 1er
Janvier 1993, il n’y a plus de déclaration en douane mais une
simple déclaration d’échanges de biens (la DEB)75
, permettant de s’assurer du respect des
règles fiscales communautaires en matière de TVA. C’est en outre un moyen d’établir les
75 La DEB a vu le jour en 1993 avec l’instauration du grand marché intérieur. En l’absence de
formalités aux frontières pour tous les échanges intra-communautaires, cette simple
déclaration permet à l’administration des douanes de connaître l’importance et la nature
des flux de marchandises à l’intérieur de la Communauté européenne. Source :
www.douane.gouv.fr
31
statistiques du commerce extérieur, source importante d’information pour l’Etat et les
entreprises.
La déclaration en douane, est définie comme l'acte par lequel une personne manifeste, dans
les formes et modalités prescrites par le code des douanes communautaire, la volonté
d'assigner à une marchandise un régime douanier déterminé (article 4, point 17 du code). Elle
ne s’impose que dans le cas où la marchandise fait l’objet d’un transport entre un Etat tiers et
un Etat membre de la communauté européenne. En effet, l’article 38.1 du code des douanes
communautaire dispose que les marchandises introduites dans le territoire douanier de la
Communauté doivent être présentées en douane immédiatement après leur arrivée au bureau
de douane désigné ou à tout autre lieu désigné ou agréé par les autorités douanières ou dans
une zone franche.
Cette déclaration est effectuée par le destinataire ou un mandataire (souvent le transitaire). Il
faut cependant que la marchandise soit accompagnée d’un document preuve de détention,
indiquant qui est le propriétaire de celle-ci. Dans le transport maritime, c’est le connaissement
qui représente cette preuve.
A cet effet, l'article 14 du même code précise qu'aux fins de la détermination de la valeur en
douane, tous les documents et toutes les informations nécessaires doivent être fournis au
service. Le texte ne précise pas quels documents ou informations doivent être présentés à
l'appui des éléments déclarés, mais il est évident que le connaissement, titre représentatif de la
marchandise, sera exigé76
.
Notons par ailleurs qu’en vertu de l’article 178-4 des dispositions d’application du code, de
manière générale, le dépôt d'une déclaration vaut engagement de la responsabilité du
déclarant, particulièrement en ce qui concerne l'exactitude, l'intégralité et l'authenticité de
l'information et des documents présentés.
Le connaissement peut ainsi s’avérer très utile à la livraison car il sert notamment à établir la
déclaration en douane. Cette procédure serait gravement compromise en l’absence de
connaissement à la livraison77
. Aussi, le Doyen Chauveau a-t-il raison de souligner que « la
76 De même d’ailleurs que le certificat d’origine de la marchandise, les certificats de
circulation, ainsi que les documents d’assurance.
77 Même si les procédures douanières se font de plus en plus sous forme informatisée.
32
douane utilise […] le connaissement comme instrument de contrôle des marchandises
importées ou exportées. C’est pourquoi, en France, les règlements douaniers exigent qu’un
connaissement soit dressé pour toutes les marchandises embarquées »78
.
La présentation du connaissement s’avère donc très utile pour le dédouanement de la
marchandise. Elle est du reste indispensable à l’accomplissement d’autres formalités. Ainsi,
dans certains pays, les règlements administratifs, les arrêtés et les procédures sont ainsi
rédigés qu’ils imposent la production d’un connaissement. Les lois de douane, de la santé, de
l’agriculture, de la sécurité et de l’économie enjoignent souvent aux autorités d’exercer un
contrôle et d’obtenir des informations ; mission qui ne peut être accomplie que par le biais du
connaissement79
.
Nous venons ainsi de voir au terme de ce chapitre, toute la place qu’occupe ce document
représentatif de la marchandise pendant la livraison. Le connaissement maritime demeure
quasiment incontournable, ce qui explique l’importance que lui accordent les textes et les
tribunaux. Aussi, le transporteur est-il lourdement sanctionné s’il livre la marchandise en son
absence.
78 P. Chauveau, « Traité de Droit maritime », LITEC 1958, n°727
79 R.I.L. Howland, « L’avenir du connaissement et les connaissements électroniques », Annuaire
de Droit maritime et aérospatial, 1995, p. 207
33
Chapitre 2 / La livraison sans connaissement,
une irrégularité lourdement sanctionnée
La règle de présentation est surtout destinée à protéger le destinataire de la marchandise. En
bafouant les prescriptions légales, le transporteur commet une grave irrégularité. Il devra donc
réparer le préjudice résultant de la livraison faite sans connaissement (section 1) et ce, sans
limitation de responsabilité (section 2). En outre, du fait de sa gravité et de son caractère
délibéré, cette faute du transporteur ne sera pas couverte par les compagnies d’assurance
(section 3).
Section 1 / La réparation du préjudice découlant
de la livraison irrégulière
Le transporteur maritime qui livre sans connaissement est exposé à indemniser le porteur
légitime de toutes les conséquences occasionnées par cette faute. Précisons tout d’abord les
conditions et le contenu de cette réparation (§1), avant d’étudier l’exercice de l’action en
responsabilité contre le transporteur (§2).
§ 1 / Les conditions et le contenu de la réparation
La réparation du préjudice causé par la livraison sans connaissement au titulaire de ce
document répond à certaines conditions (A). Il faudra par ailleurs déterminer son contenu (B).
A / Les conditions de la réparation
Tout d’abord pour qu’il y’ait réparation, il faudra établir l’existence d’un préjudice. Celui-ci
sera matérialisé en l’occurrence par la perte de la marchandise. En effet le porteur du
connaissement ne pourra pas récupérer sa marchandise puisque cette dernière a été livrée à un
tiers sans qualité. Dans cette hypothèse, le Doyen Rodière affirme que la livraison équivaut à
34
une perte totale de la chose80
, opinion partagée par Maître Jacques Bonnaud81
. Le tribunal de
commerce de Marseille est également du même avis82
.
Le premier de ces auteurs observe qu’« il y’a perte totale quand à destination, le transporteur
n’est à même de délivrer à l’ayant-droit aucun élément de la marchandise qu’il a prise en
charge »83
.
La définition proposée correspond bien à la situation du titulaire du connaissement non livré.
Le transporteur devra donc réparer le dommage causé par sa faute, s’il a livré la marchandise
à un tiers sans qualité84
.
Nous voyons ainsi que la livraison sans connaissement entre bien dans le domaine de
responsabilité du transporteur maritime, tel que déterminé par la loi française et par les textes
internationaux.
En effet, l’article 27 de la loi française du 18 Juin 1966 dispose que « le transporteur est
responsable des pertes ou dommages subis par la marchandise depuis la prise en charge
jusqu’à la livraison », à moins qu’il n’établisse que ces pertes ou dommages proviennent d’un
cas excepté.
De même, l’article 4 §1 et 2 de la convention de Bruxelles prévoit la responsabilité pour
« pertes ou dommages » subis par les marchandises. Toutefois le texte international va plus
loin que la loi française puisque le paragraphe 5 de ce même article vise les « pertes ou
dommages des marchandises, ou concernant celles-ci ».
Les Règles de Hambourg ne dérogent pas non plus à la règle car prévoyant également dans
leur article 5§1, que « le transporteur est responsable du préjudice résultant des pertes ou
dommages subis par les marchandises ainsi que du retard à la livraison ».
Le titulaire du connaissement pourra donc agir en responsabilité contre le transporteur.
Toutefois il devra au préalable prouver la perte totale qu’il a subie, sachant que cette preuve
« comporte celle de la prise en charge par le transporteur et de la non-livraison par lui. Il
80 R. Rodière, op. cit., n°551
81 J. Bonnaud, « Un incident à la livraison: le défaut de présentation du connaissement », Rev.
Scapel 2002, p.134
82 T.com. Marseille, 4 Mai 1971, DMF 1972.165
83 R. Rodière, ibid, n°598
84 R. Rodière, ibid, n°551
35
ce délai91
.
suffit en réalité que le demandeur établisse la prise en charge, ce qu’il pourra faire par tous
moyens d’ailleurs. C’est alors au transporteur d’établir, s’il conteste la perte, qu’il a livré.
[…] Ce que le transporteur doit d’ailleurs administrer c’est la preuve qu’il a livré au
réceptionnaire légitime »85
.
Cette observation rappelle les dispositions de l’article 1315 du Code civil : « Celui qui
réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend
libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
On notera ainsi que pour ce qui est des règles du transport maritime, à l’instar de la loi
française de 1966, la convention de Bruxelles de 1924 établit une conception objective de la
responsabilité du transporteur. C’est donc à ce dernier, actionné par une victime de la fraude
qu’est la livraison sans connaissement, de prouver son absence de faute86
. Le destinataire non
livré devra donc simplement présenter l’original du connaissement, titre qui fonde son droit
sur la marchandise. En effet, « en cas de perte totale et en l'absence de dispositions légales, le
destinataire n'a aucune formalité à accomplir. Il doit simplement faire valoir ses droits dans
le délai de la prescription »87
.
La prescription de l'action en responsabilité contre le transporteur est d'un an (Article 32 de la
loi du 18 juin 1966 et article 3§6 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924)88
, qu'elle
soit intentée à titre principal ou par voie reconventionnelle89
; ou encore par l’effet d'une
demande d'intervention forcée90
. Si le demandeur ne fait pas la preuve d'une circonstance de
nature à lui faire échec, son action n'est pas recevable après expiration de
85 R. Rodière, ibid, n°598
86 Frank Patrick Benham, « Contribution à l’étude de la fraude maritime », Thèse Aix, 1986-
1987, p.379
87 Lamy Transport 2008, tome 2, n°744
88 Art. 32, loi de 1966: « L’action contre le transporteur à raison de pertes ou dommages se
prescrit par un an ».
Art. 3§6, conv. Bruxelles: « […] le transporteur et le navire seront en tout cas déchargés de
toute responsabilité, à moins qu’une action ne soit intentée dans l’année de leur délivrance
ou de la date à laquelle elles eussent dû être délivrées ».
89 Com. 18 mars 1970, no 68-14.266, BT 1970, p. 227
90 Com. 11 Décembre 1990, no 89-16.217, Lamyline
91 CA Paris, 27 juin 1975, BT 1975, p. 516
36
Notons que la convention de Hambourg prévoit, quant à elle, en son article 20, un délai de
prescription de deux ans92
.
Il faudra préciser par ailleurs que, « l'appréciation du caractère total ou partiel de la perte
s'apprécie en fonction du réceptionnaire désigné au connaissement, et non en considération
de chacun des destinataires finaux de chacune des marchandises »93
.
En fin de compte si le transporteur se retrouve dans l’impossibilité de fournir la marchandise
promise au titulaire du connaissement, parce qu’ayant livré à un tiers sans qualité, il devra
alors l’indemniser pour la perte totale qu’il lui fait subir.
B / Le contenu de la réparation
La livraison sans connaissement étant considérée comme une perte totale pour le
destinataire94
, celle-ci s’analysera le plus souvent en une perte directe ou indirecte. Aussi, le
transporteur devra assumer l’indemnisation de toutes les conséquences directes et indirectes
de son acte. Il devra surtout au préalable, payer au destinataire, la valeur de la marchandise95
.
Ainsi pour ce qui est de la loi française, le transporteur maritime responsable de la perte de la
marchandise est tenu d'en payer la valeur déterminée conformément à l'article 28 de la loi du
18 juin 196696
. Ce dernier disposant que « la somme totale due est calculée par référence à la
valeur des marchandises au lieu et au jour où elles sont déchargées conformément au contrat,
ou au jour et au lieu où elles auraient dû être déchargées ».
La livraison sans connaissement peut donc être dangereuse pour son auteur, puisque « si celui
qui se prétend être le légitime destinataire s’avère ne pas l’être, le transporteur aura livré à
un tiers sans qualité et s’expose à une réclamation du porteur légitime du
connaissement…lorsque celui-ci sera enfin arrivé […]. Il est dès lors clair qu’à défaut d’être
92 « Toute action relative au transport de marchandises par mer en vertu de la présente
convention est prescrite si une procédure judiciaire ou arbitrale n’a pas été introduite dans
un délai de deux ans ».
93 CA Rouen, 28 Février 2002, no 99/04794, WSA Lines c/ Mitsui Osk Lines Ltd, Lamyline
94 R. Rodière, op cit n°551,
95 P. Bonassies et Ch. Scapel, op cit n°1037
96 Com. 8 octobre 1996 n° 94-18.430 Bulletin 1996 IV n° 228 p. 199
37
« Madame Soleil », le transporteur maritime qui remet la marchandise sans connaissement ne
pourra que prendre des risques »97
.
En outre, l’indemnisation du porteur du connaissement peut parfois être extrêmement lourde,
comme l’illustre la fameuse affaire Chawafaty98
.
Il faut cependant noter qu’en pratique ce n’est pas toujours le transporteur qui supporte les
conséquences de la livraison sans connaissement. En effet, il se prémunira généralement de
ces conséquences, en exigeant du réceptionnaire de la marchandise une lettre de garantie
bancaire99
. De ce fait, il obtiendra par son recours contre la banque le dédommagement de ce
qu’il aura dû payer au titulaire du connaissement.
En outre, le transporteur tenu de réparer disposera d’un recours contre le réceptionnaire sans
droit100
.
Le titulaire du connaissement à qui la livraison n’a pas été faite et qui subit un préjudice en
conséquence se retournera donc naturellement vers le transporteur indélicat ; celui-ci étant son
premier interlocuteur.
§ 2 / L’exercice de l’action en réparation
Il est acquis que la livraison faite sans présentation du connaissement constitue une faute101
.
Nous consacrerons quelques développements sur la nature de cette dernière (A), avant
d’identifier les titulaires du droit d’agir en réparation contre le transporteur (B).
A / La nature contractuelle de la faute du transporteur
L’obligation de livrer la marchandise au port de déchargement contre présentation du
connaissement, résulte de ce titre lui-même. La présentation du connaissement fonde le droit à
la délivrance du porteur. Ce document atteste de la remise de la marchandise au transporteur.
97 J. Bonnaud, op cit, p.134
98 J. Bonnaud, op cit, p.136 (cf. infra, p. 59)
99 La lettre de garantie au déchargement sera étudiée plus en détail (cf. p. 55)
100 R. Rodière , op cit n°551
101 Cass. 29 Janvier 1991, navire Diana, DMF 1991.357, note R. Achard
Cass 9 Juillet 1991, navire Gina’s, DMF 1992.665
P. Y. Lucas, DMF 1988.346
38
Corrélativement, il interdit à ce dernier, toute livraison sans titre102
. Cette prohibition vaut
même contre celui qui se prétendrait propriétaire de la marchandise et qui même le
démontrerait103
.
La violation de la règle de présentation constitue ainsi une faute contractuelle engageant la
responsabilité du transporteur maritime104
. En effet, comme l’observe M. le Professeur
Bonassies, le transporteur maritime qui émet librement un connaissement, « s’engage à ne
remettre la marchandise qu’au porteur du connaissement. En livrant la marchandise sans
connaissement, il commet certainement une violation de ses obligations contractuelles.
Certains diront une faute, voire une faute inexcusable ou volontaire »105
.
La nature contractuelle de la faute est également reconnue par la jurisprudence anglaise106
.
Il est donc clair que l’action en réparation intentée contre le transporteur aura surtout pour
fondement, la méconnaissance d’une obligation contractuelle : celui de livrer la marchandise
en échange du connaissement. En méconnaissant cette obligation il agit à ses risques et
périls107
et devra rendre compte aux titulaires du droit d’action en responsabilité.
B / Les titulaires du droit d’agir contre le transporteur
Commençons par rappeler que le contrat de transport maritime est un contrat tripartite, dans
lequel les cocontractants du transporteur sont le chargeur et le destinataire. Ces derniers
disposeront donc tout naturellement d’une action contractuelle contre le transporteur en cas de
livraison sans connaissement. Toutefois, l’action en réparation n’est pas strictement réservée
aux parties au contrat de transport. Ainsi, à côté du destinataire (1) et du chargeur (2), le
commissionnaire de transport (3) et l’assureur (4) peuvent également agir contre le
transporteur.
102 R. Rodière, op cit n°485
103 CA Aix-en-Provence, 9 Décembre 1958, DMF 1959.735
104 CA Aix-en-Provence, 22 Novembre 2005, BTL 2006, p. 367
105 P. Bonassies in « La lettre de garantie pour absence de connaissement », table ronde
organisée par l’IMTM et l’IDIT, 22 Février 1985, p. 4
106 Lord Denning dans l’arrêt « Sze Hai Tong Bank Ltd v. Rambler Cycle Ltd » (1959) AC p. 576
107 Selon l’affirmation de Lord Denning dans l’arrêt précité, p. 586 : “It is perfectly clear law
that a shipowner who delivers without production of the bill of lading does so at his own
peril”.
39
1/ L’action du destinataire
Le destinataire est normalement le titulaire du connaissement. Comme l’indique l’article 49
du décret du 31 Décembre 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritimes, c’est
celui dont le nom est indiqué dans le connaissement à personne dénommée (ou nominatif);
celui qui présente le connaissement à l’arrivée lorsque ce dernier est au porteur ; il désigne
enfin le dernier endossataire dans le connaissement à ordre.
Le transporteur qui livre à un tiers sans qualité est exposé à l’action du destinataire. Celui-ci
«a le droit d’agir du fait même de son titre ; si on le lui contestait, on ruinerait la valeur
donnée au connaissement »108
. C’est en effet en tant que possesseur du connaissement qu’il
est à la fois créancier et débiteur du transporteur. Dès lors, ses droits et obligations envers le
transporteur ne peuvent dériver que du contrat de transport lequel est constaté par le titre de
transport109
.
Rappelons que l’action du destinataire, partie au contrat de transport, pour perte de la
marchandise, contre le transporteur, est une action contractuelle110
. Il en est ainsi, par
exemple de l’action du réceptionnaire inscrit au connaissement à personne dénommée. La
Cour de cassation a, en effet, récemment rappelé que, « dans le connaissement à personne
dénommée, le destinataire inscrit au connaissement dispose d’un droit d’action à l’encontre
du transporteur maritime »111
.
Ce droit d’action en question, est incontestable ; il ne suscite d’ailleurs aucune difficulté
contrairement par exemple à l’action du destinataire réel, c'est-à-dire celui non mentionné au
connaissement.
Pendant longtemps, le destinataire réel s’est vu refusé toute action contre le transporteur.
Ainsi, même le Doyen Rodière estimait qu’il ne devait pas bénéficier d’une telle action112
.
Les choses ont toutefois changé avec l’arrêt Navire Renée Delmas dans lequel la Cour de
108 R. Rodière, op cit n°693
109 Ch. Larroumet, « Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé », Bordeaux, 1968,
n° 195, p. 468
110 Com. 1er Avril 2008, Rev. dr. transp. n°5, Mai 2008, comm. 94
111 Cass. 21 Février 2006, BTL 2006.147
112 R. Rodière, op cit n°693
40
cassation précise que « si l'action en responsabilité, pour pertes ou avaries, contre le
transporteur maritime, n'appartient qu'au dernier endossataire du connaissement à ordre,
cette action est ouverte au destinataire réel lorsque celui-ci est seul à avoir supporté le
préjudice résultant du transport »113
.
Comme l’observe Monsieur Bonassies, cet arrêt traduit « l’idée que l’on ne doit pas donner
du destinataire une définition abstraite, formelle. Le destinataire, ce n’est pas nécessairement
celui dont le nom figure sur le connaissement en cette qualité, ou en qualité de « notify ».
C’est celui qui, propriétaire de la marchandise au moment où le transport maritime s’achève
par la livraison de celle-ci, démontre qu’il est le véritable bénéficiaire du contrat de
transport, celui dans l’intérêt duquel toute la construction juridique que réalise un tel contrat
a été, en définitive, conçue et édifiée »114
.
Ainsi, en cas de livraison sans connaissement, le destinataire non mentionné au
connaissement disposera quand même d’une action contre le transporteur s’il supporte seul, la
perte totale subie.
Cette décision de la Haute juridiction s’inscrit, nous allons le voir, dans le droit fil de la
reconnaissance du droit d’action du chargeur.
2 / L’action du chargeur
Le droit d’agir en responsabilité contre le transporteur maritime était pendant longtemps
étroitement lié à la qualité de destinataire de la marchandise tel que défini par l’article 49 du
décret du 31 décembre 1966.
Cette conception est cependant aujourd’hui largement dépassée, le droit d’action ne
dépendant plus exclusivement du droit à livraison découlant du connaissement. Partie au
contrat, le chargeur bénéficie désormais d’une action en responsabilité contre le transporteur.
L’action du chargeur a été reconnue par la formation suprême de la Cour de cassation dans
son arrêt Mercandia-Transporter II115
. En effet, revenant sur la position adoptée par la
113 Cass. 7 Juillet 1992, DMF 1992.672, obs. P. Bonassies
114 Obs. sous Cass. 7 Juillet 1992, DMF 1992.672
115 Ass. pl. 22 décembre 1989, DMF 1990.29, obs. P. Bonassies ; BTL 1990.27 et 155, obs. M.
Rémond-Gouilloud ; JCP 1990.11.21 503, note Ph. Delebecque
41
Chambre commerciale dans un arrêt du 25 juin 1985, l’Assemblée plénière décidait que « si
l'action en responsabilité pour pertes ou avaries contre le transporteur maritime n'appartient
qu'au dernier endossataire du connaissement à ordre, cette action est ouverte au chargeur
lorsque celui-ci est le seul à avoir supporté le préjudice résultant du transport ».
Notons que par un arrêt Norberg du 19 Décembre 2000, la cour de cassation n’exige plus la
condition d’exclusivité du préjudice. Le chargeur devra simplement démontrer qu’il a subi un
préjudice résultant du transport116
.
Le transporteur qui livre sans connaissement peut se voir actionné en responsabilité par le
chargeur si cette livraison irrégulière lui porte préjudice. Il en sera ainsi en cas de non
paiement de la valeur de la marchandise.
En effet, le chargeur qui est souvent vendeur de la marchandise transportée voudra souvent se
prémunir contre tout risque d’impayé en détenant le connaissement. Ainsi il disposera d’un
moyen de pression efficace contre le destinataire, en décidant de ne céder le connaissement
que contre paiement. Le vendeur-chargeur sera ainsi garanti que l’acheteur-destinataire sera
dans l’obligation de payer pour obtenir remise du connaissement et donc de la marchandise.
« Un tel calcul est légitime et ne doit pas être déjoué par une remise de la marchandise sans
présentation du connaissement »117
.
Il est donc inévitable de se plonger dans le contrat de vente pour apprécier le préjudice du
chargeur, et ce malgré le principe d’indépendance des contrats de vente et de transport.
Une application stricte de ce principe conduirait en effet à ne jamais l’indemniser ; mais
« telle n’est heureusement pas la position des juridictions qui ne peuvent faire autrement que
de jauger le préjudice au regard de ses conséquences sur la vente ou un autre contrat »118
.
Signalons par ailleurs, que la Cour d’Aix ouvre également au chargeur réel non mentionné au
connaissement, le droit d’agir contre le transporteur au motif en l’espèce, qu’il justifiait de sa
qualité et qu’il était seul à avoir supporté le préjudice119
. On reconnaît bien là l’empreinte de
la jurisprudence Mercandia.
116 Com 19 Décembre 2000, DMF 2001.222, obs. P. Bonassies
117 P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit n°1035
118 M. Tilche, BTL 2008, n°3217
119 CA Aix, 31 Octobre 1991, DMF 1993, p. 147, obs. P. Bonassies
42
La livraison sans connaissement expose ainsi le transporteur, et ce d’autant plus que le droit
d’agir en responsabilité contre lui est aujourd’hui largement entendu.
3 / L’action du commissionnaire de transport
Le commissionnaire de transport est celui qui agit en son propre nom pour le compte de son
commettant. Il est tenu d’une obligation de résultat envers son donneur d’ordre. Etant garant
de la bonne arrivée de la marchandise, il est responsable vis-à-vis de ce dernier en cas de perte
des biens120
, situation correspondant à la livraison sans connaissement.
En effet en matière maritime, le commettant ne peut agir directement contre le transporteur
s’il ne figure pas en son nom propre comme destinataire sur le document de transport.121
Il
disposera uniquement d’un recours contre le commissionnaire.
Rappelons que le commissionnaire de transport conclut le contrat en son nom, celui-ci
figurant au connaissement. A ce titre, il doit avoir le droit d’agir contre le transporteur122
.
Ce droit lui est d’ailleurs reconnu. Dès lors qu’il est tenu d’indemniser l’ayant droit à la
marchandise, il disposera d’une action contre le transporteur. Il sera en effet légalement
subrogé dans les droits de la personne qu’il a indemnisée. Cette subrogation légale sera
fondée sur l’article 1251, 3° du Code civil lequel dispose que « la subrogation a lieu de plein
droit au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au payement de la dette,
avait intérêt de l’acquitter ».
La cour d’Aix a même admis l’action récursoire exercée contre un transporteur maritime par
un commissionnaire qui ne figurait pas au connaissement. Pour les juges aixois, « l’action du
commissionnaire à l’encontre de son substitué repose sur un fondement différent du recours
de l’ayant droit à la marchandise qui tient ses droits du connaissement ; en ayant passé ses
ordres au transporteur et en ayant traité directement avec lui, le commissionnaire dispose à
son encontre d’un recours contractuel »123
.
120 Com. 20 Janvier 1998, DMF 1998.578, obs. Ph. Delebecque
121 CA Rouen, 4 mai 2000, DMF 2001.617
122 P. Safa, « Droit maritime », Tome II, éditions juridiques Sader, 1ère éd 2000, n°869
123 CA Aix, 30 mai 1991, DMF 1993, p. 232, note R. Achard
43
Par ailleurs, notons que le commissionnaire de transport pourra invoquer le privilège de
l’article L 132-2 du Code de commerce qui lui permet de garantir le paiement de sa
commission, de ses frais et avances. Ce privilège peut s’exercer sur les marchandises qu’il
détient ou sur les connaissements les représentant124
. Par conséquent, le transporteur qui livre
la marchandise sans connaissement réduit à néant ce pouvoir de rétention du
commissionnaire. Il devra donc logiquement être sanctionné. C’est ce qu’a décidé le Tribunal
de commerce de Marseille dans un jugement du 10 Avril 2007125
. La juridiction consulaire
condamne en effet un transporteur qui a livré la marchandise alors que le commissionnaire
détenait toujours les originaux du connaissement, privant ainsi ce dernier de son droit de
rétention de la marchandise et des moyens pour lui d’obtenir le paiement des dettes qu’il avait
enregistrées dans ses comptes vis-à-vis du destinataire.
Il est donc clair que le respect de la règle de présentation s’impose plus que jamais ; la
livraison sans connaissement pouvant entraîner une multiplication des actions en réparation.
Après le destinataire, le chargeur, le commissionnaire de transport, l’assureur de la
marchandise se retournera également contre le transporteur.
4 / L’action des assureurs facultés
Il est question ici de l’assurance des marchandises transportées. L’objet de la garantie est de
couvrir les pertes et dommages matériels de la marchandise. Ainsi, les deux types de contrat
que connaît l’assurance facultés, à savoir le contrat tous risque et le contrat franc d’avaries
particulières sauf126
, précisent bien en leur article 5 que sont garantis les dommages et pertes
matériels subies par les facultés assurées.
La livraison à un tiers sans qualité étant considérée comme une perte totale127
, le chargeur ou
l’acheteur de la marchandise partie au contrat d’assurance disposera donc d’un recours contre
l’assureur. En effet, la Cour de cassation assimile aux « dommages et pertes matériels »
124 P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit n°669
125 T. Com. Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007.519
126 Imprimé du 30 Juin 1983, modifié le 16 Février 1990, le 22 Octobre 1998 et le 1er Juillet 2002
127 R. Rodière, op cit, n°551
44
couverts par la police française, la perte totale des marchandises résultant de leur défaut de
livraison au destinataire128
.
Par ailleurs, même si les polices d’assurance ne visent pas expressément la livraison sans
connaissement parmi les risques assurés, les parties peuvent toujours le prévoir comme
l’illustre la Haute juridiction dans son arrêt du 13 Mars 2007129
.
En l'espèce, le litige a pris sa source dans le fait que des conteneurs ont été remis à un
transitaire sur simple présentation à celui-ci de photocopies des connaissements. Or, le
transporteur ne peut livrer la marchandise que contre présentation de l’original du
connaissement, la seule production d'une photocopie étant insuffisante pour fonder ses
droits130
.
Rappelant que l'assurance facultés souscrite en l'espèce constituait une assurance dommages,
les juges d'appel ont indiqué que le sinistre, pour être pris en charge par les assureurs, devait
être la conséquence du transport et non d'un litige purement commercial. Ils ont considéré que
la marchandise avait disparu non pas du fait d'un risque garanti mais du fait des relations
commerciales entretenues par le vendeur. Leur arrêt fut cependant cassé, la Cour de cassation
considérant qu’en retenant, pour que la garantie des assureurs facultés puisse être recherchée,
qu’il convenait que le sinistre fût la conséquence du transport et non d’un litige purement
commercial, « sans faire aucune référence ni se livrer à aucune analyse des stipulations du
contrat d’assurance ni apprécier ces stipulations au regard des règles gouvernant
l’assurance maritime et en excluant la garantie sans prendre en compte les règles du
transport maritime sous connaissement à ordre », la cour d’appel n’a pas donné de base
légale à sa décision.
La cour de cassation rappelle à travers cet arrêt que rien ne s’oppose à ce que les parties
étendent la garantie à certains risques commerciaux. Le contrat d'assurance est donc
susceptible de prévoir la garantie d'un risque commercial par le biais, le cas échéant, d'une
clause additionnelle.
128 Com., 3 Février 1998, BTL 1998. 125
129 Com. 13 mars 2007. Rev. Scapel 2007 p.14 / RGDA 2007 p.672 obs. F. Turgné
130 Com. 20 Novembre 1974, Bull. civ. IV, no 295 / CA Paris 31 Mai 1983, D. 1984, IR. 72, obs.
Cabrillac
45
Il apparaît ainsi que la conclusion du contrat d’assurance facultés est caractérisée par la
grande liberté laissée aux parties. En effet, seuls certains cas dits de « risques exclus
absolument » ou « dans tous les cas » le sont réellement. Tout dépendra des besoins
commerciaux de l’assuré et des possibilités, sinon du degré de compréhension des
assureurs131
.
La livraison sans connaissement faisant partie des risques couverts, l’assureur-facultés qui
indemnise la victime pourra donc se retourner contre le transporteur maritime, et ce en vertu
de l’article L 172-29 du Code des assurances qui dispose que « l’assureur qui a payé
l’indemnité d’assurance acquiert, à concurrence de son paiement, tous les droits de l’assuré
nés des dommages qui ont donné lieu à garantie ». Il appartiendra ensuite aux juges, de
vérifier la réalité du paiement et son caractère obligé132
.
Nous voyons ainsi l’ampleur du risque que court un transporteur qui déciderait de bafouer la
règle de présentation. Il sera en effet exposé à l’action en réparation de toutes les victimes de
la livraison irrégulière.
Les conséquences ne s’arrêtent d’ailleurs pas là pour lui puisqu’il court également le risque de
se voir privé de la limitation de responsabilité.
Section 2 / La déchéance éventuelle de la
limitation légale de responsabilité du transporteur
La livraison sans connaissement constitue une irrégularité manifeste de la part du transporteur
maritime. En bafouant sciemment les prescriptions légales, ce dernier commet une très grave
faute. Le caractère inexcusable de cette faute est aujourd’hui communément admis, aussi bien
par la doctrine133
, que par la jurisprudence134
.
Ainsi, en livrant la marchandise sans exiger la présentation du connaissement, le transporteur
commet témérairement une faute tout en ayant conscience de la probabilité du dommage135
.
131 R. Rodière, J. Calais –Auloy, « Droit maritime, assurances et ventes maritimes », Dalloz 1983,
n°281
132 P. Bonassies et Ch. Scapel, op cit n°1141
133 M. Tilche, BTL 2002, n°2928, p. 24
134 T. Com Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007.519
135 Ce qui correspond à la définition de la faute inexcusable
46
L’exigence de présentation du connaissement fait partie des règles et usages constants de la
profession du transporteur maritime qu’il ne peut ignorer136
.
La faute inexcusable entraînant déchéance de la limitation de responsabilité, le transporteur
pourra donc être sévèrement sanctionné. Il faudra toutefois nuancer les choses en distinguant
les principaux régimes qui gouvernent la faute inexcusable, à savoir celui de la convention de
Bruxelles de 1924 (§1), des Règles de Visby de 1968 (§2), de la Convention de Hambourg
(§3), et enfin le régime de la loi française (§4).
§ 1 / Régime de la convention de Bruxelles de 1924
Dans sa version originelle de 1924, la convention de Bruxelles reste muette sur la faute
entraînant déchéance de la limitation de responsabilité du transporteur.
Il appartenait donc à la jurisprudence de combler ce vide. Aussi, les juges estimèrent qu’aussi
bien le dol, que la faute lourde pouvaient priver le transporteur du bénéfice de la limitation.
Il a fallu cependant que la Cour de cassation prenne partie ; ce fut fait avec un arrêt du 11
Mars 1960, dans lequel la Haute juridiction précise que seul le dol était susceptible de faire
échec à la limitation de responsabilité137
. Elle confirmera d’ailleurs cette position dans un
autre arrêt138
.
Le dol pouvant être défini comme une faute commise avec l’intention de provoquer un
dommage, on pourrait hésiter à qualifier la livraison sans connaissement de faute dolosive. En
effet, le transporteur qui livre sans connaissement n’a pas l’intention de provoquer un
dommage ; il exigera généralement une lettre de garantie en échange.
Par conséquent, si le transport est soumis au régime de la convention de Bruxelles de 1924, le
transporteur ne sera pas privé de la limitation de responsabilité, la livraison sans
connaissement ne pouvant pas être qualifiée de faute dolosive139
.
Quid maintenant de la limitation de responsabilité dans les Règles de Visby ?
136 T. Com. Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007.519
137 Com. 11 Mars 1960, DMF 1960, p. 331
138 Com 30 Janvier 1978, DMF 1978, p. 525
139 H. Ahouandjinou-Djossinou, « Contribution à l’étude des problèmes liés à la délivrance des
marchandises dans le transport maritime », Thèse Aix, Octobre 1988, p.156
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La livraison_sans_connaissement

  • 1. UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES D’AIX-MARSEILLE __________________ FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE __________________ Centre de Droit Maritime et des Transports LA LIVRAISON SANS CONNAISSEMENT Mémoire de Master 2 professionnel de Droit Maritime et des Transports Présenté par M. Ngagne FAYE Sous la direction de Maître Christian SCAPEL Année universitaire 2007-2008 1
  • 2. 2 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier M. Francis EBIANGNE pour m’avoir fait découvrir le droit maritime et Messieurs BONASSIES et SCAPEL pour me l’avoir fait aimer. Je remercie également M. André POTOCKI, conseiller à la Cour de cassation, pour les précieuses informations qu’il a eu l’amabilité de me fournir. A mes parents
  • 3. 3 LISTE DES ABBREVIATIONS AJ. Actualité juridique Annales IMTM Annales de l’Institut méditerranéen des transports maritimes BT Bulletin des transports (devenu BTL depuis 1992) BTL Bulletin des transports et de la logistique Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Chambres civiles) CAMP Chambre arbitrale maritime de Paris Comm. Commentaire D Recueil Dalloz D. eur. Transp. Droit européen des transports DMF Droit maritime français Ibid Ibidem (au même endroit) JCP Juris-classeur périodique JMM Journal de la marine marchande Lloyd’s Rep Lloyd’s report L.M.C.L.Q Lloyd’s maritime and commercial law quarterly Obs. Observations Op. cit. Opus citatis (ouvrage cité) QBD Queens Bench Division RD transp. Revue de droit des transports Rev. fr. de comptabilité Revue française de comptabilité Rev. Scapel Revue de droit commercial, maritime, aérien et des transports RGDA Revue générale du droit des assurances
  • 4. 4 SOMMAIRE INTRODUCTION ...........................................................................................................................6 PARTIE 1 : L’EXIGENCE DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON.......................................10 Chapitre 1 / La livraison sans connaissement, une irrégularité manifeste..................11 Chapitre 2 / La livraison sans connaissement, une irrégularité lourdement sanctionnée ...........................................................................................................................33 PARTIE 2 : L’EVICTION DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON........................................54 Chapitre 1 / La lettre de garantie au déchargement, un palliatif au connaissement ..................................................................................................................................................55 Chapitre 2 / Les substituts du connaissement à la livraison...........................................68 CONCLUSION .............................................................................................................................85
  • 5. 5 RESUME / SUMMARY Il existe une règle bien établie en droit maritime enjoignant au transporteur de ne livrer la marchandise au destinataire qu’en échange du connaissement original. Cependant, comme c’est souvent le cas, une différence existe entre la théorie et la pratique. En effet, il est fréquent que la marchandise arrive bien avant le connaissement. Cette situation fait naître un dilemme pour le transporteur, lequel devra choisir d’attendre l’arrivée du connaissement ou de livrer la marchandise en son absence. Même si d’un point de vue pratique, la livraison sans connaissement peut se justifier sous certaines conditions, cette pratique reste cependant illégale. Plusieurs solutions ont été imaginées pour régler le problème. Une lettre de garantie au déchargement palliant l’absence du connaissement est ainsi très souvent donnée au transporteur. De même, d’autres documents sont utilisés tels que la lettre de transport maritime ou encore des substituts électroniques. Ces alternatives sont certainement très utiles. Cependant, à l’heure actuelle, elles ne peuvent pas remplacer entièrement le connaissement traditionnel à la livraison. In maritime law, there is a well established rule that the carrier can deliver the goods at the port of discharge only against the production of the original bill of lading by the consignee. However, as is often the case, the practice differs from the rules. In an increasing number of cases the cargo reaches its destination before the documentation. In such an event the carrier is placed in somewhat of a dilemma: awaiting the arrival of the documents or releasing the goods prior to the bills of lading arriving. From a practical point of view, delivery without production of the bill of lading is justified under certain conditions, but from a legal point of view this represents a wrongful act. Various means are used to remedy the problem. Most often, letters of indemnity are given instead of bills of lading. Another way of avoiding this complication is the use of non negotiable sea waybills or electronic substitutes. Actually, these alternatives are very useful; however they can not yet take the place of the traditional bill of lading altogether.
  • 6. 6 INTRODUCTION Le connaissement occupe une place de choix dans le transport maritime de marchandises et plus largement, il joue un rôle fondamental dans le commerce international. C’est un titre qui est remis par le transporteur maritime au chargeur en reconnaissance des biens confiés. Il définit les conditions du contrat de transport et représente les marchandises. Cette dernière fonction conférant la négociabilité au connaissement permet au vendeur-chargeur d'en transférer la propriété alors même que les marchandises sont en cours de voyage. Elle permet également de remettre le document à un banquier pour constituer un gage destiné à garantir le remboursement d’un crédit documentaire. Le connaissement peut ainsi servir de support à une vente internationale ou à une opération de crédit documentaire. Cette fonction essentielle a été affirmée dès 1787 par la jurisprudence anglaise dans l’arrêt Lickbarrow v. Mason. Sa reconnaissance en droit français n’interviendra qu’en 1859, la Cour de cassation déclarant que « la propriété des marchandises voyageant par mer est représentée par le connaissement »1 . En tant que titre représentatif, ce document confère à son porteur légitime le droit d'obtenir la livraison de la marchandise, et ce, indépendamment de toute justification concernant la propriété de celle-ci. Les Anglais disent que le connaissement est la clef qui permet d'ouvrir le lieu dans lequel elle se trouve2 . Une corrélation est donc faite entre le droit de recevoir la marchandise et la possession du titre qui la représente. Ainsi, conformément à l’article 49 du décret du 31 Décembre 1966, la livraison ne doit être faite qu’à une seule personne : celle dont le nom est mentionné dans le connaissement nominatif, le porteur du connaissement, si ce dernier est au porteur, et enfin le dernier endossataire du connaissement à ordre. Dans les trois cas, la détention légitime du titre 1 P. Bonassies, Ch. Scapel, « Traité de droit maritime », LGDJ 2006, n°987 2 Lord Justice Bowen dans l’arrêt Sanders v. Maclean & Co (1883) 11 QBD p. 341
  • 7. 7 suffit à entrer en possession de la cargaison. En effet, comme le remarquait le doyen Rodière, le connaissement va représenter la marchandise en ce sens que sa détention légitime investira son porteur de la possession réelle des biens transportés3 . La livraison est donc conditionnée à la présentation du document représentatif au transporteur. Elle est définie comme « l’acte juridique par lequel le transporteur accomplit son obligation fondamentale en remettant au destinataire (ou à son représentant) qui l’accepte, la marchandise qu’il a déplacé à cette intention »4 . Cette notion est fondamentale car elle marque la fin du contrat de transport et fait courir le délai des protestations (en cas de pertes ou dommage subis par la marchandise) et celui de la prescription. Concrètement, la livraison se déroule comme suit : l’agent du transporteur va d’abord remettre au destinataire un « bon à délivrer », en échange du connaissement (ou bien il appose sur ce dernier la mention « bon à délivrer »). Le destinataire va ensuite échanger, sur les quais, ce bon contre un bulletin de livraison ou « billette », qu’il devra faire viser par le service des douanes. C’est uniquement après toutes ces formalités qu’il pourra enfin, prendre possession de sa marchandise5 . Notons que la définition du moment de la livraison a fait l’objet de divergences entre la Cour d’appel d’Aix-en-Provence et le tribunal de commerce de Marseille. La première avait jugé que la livraison était réalisée dès la remise du bon à délivrer au destinataire ou à son mandataire. Selon cette conception, la notion traduisait ainsi un acte purement juridique résultant d’un échange de documents6 . La juridiction consulaire quant à elle, mettait l’accent sur la réception effective de la marchandise. Ainsi, seule la billette de sortie remise au destinataire par l’acconier agissant pour le transporteur, concrétisait la livraison7 . 3 R. Rodière, « Traité général de Droit maritime », tome II, n°486 4 R. Rodière , op cit , n°545 5 J. Bonnaud, « Transport maritime : le moment de la livraison », Rev. Scapel 1994, p. 45 6 CA Aix-en-Provence, 13 Mars 1987, DMF 1989, p. 123 7 T. Com. Marseille, 14 Mars 1989, Rev. Scapel 1989, p. 28
  • 8. 8 Saisie d’un pourvoi contre l’une des décisions de la juridiction aixoise, qui était entre-temps revenue sur sa position8 , la Cour de cassation a mis un terme à cette controverse en consacrant la thèse de la livraison matérielle défendue par le tribunal de commerce de Marseille. En effet dans son arrêt navire Rolline, elle estime qu’ « il résulte de l’article 27 de la loi du 18 Juin 1966 et de l’article 49 du décret du 31 Décembre 1966, que la livraison est l’opération par laquelle le transporteur remet la marchandise à l’ayant-droit qui l’accepte ». La Cour précise par ailleurs que le destinataire manifeste son acceptation de la marchandise « en étant mis en mesure d’en vérifier l’état et, le cas échéant, d’assortir son acceptation de réserves, puis de prendre effectivement possession de la chose livrée »9 . Ajoutons que la tradition effective de la marchandise, implique que le transporteur avise le destinataire ou son agent de l’arrivée de la cargaison, en l’invitant à en prendre livraison au lieu prévu dans le contrat10 . Cette conception matérielle de la livraison sera, du reste, plusieurs fois confirmée par la Haute juridiction11 . Comme le note le Professeur Bonassies, la définition proposée implique dans la pratique que le destinataire se voit remettre un « bon à délivrer », lui permettant une première approche de la marchandise. L’entreprise de manutention ou le consignataire qui a réceptionné la marchandise à quai devra ensuite lui indiquer l’emplacement de cette dernière et lui remettra éventuellement un « bon de livraison ». Enfin, un délai raisonnable devra être accordé au destinataire pour vérifier l’état de la marchandise et en prendre possession12 . Il ressort ainsi de cette jurisprudence que le critère prédominant est la mise effective de la marchandise à la disposition du réceptionnaire. Une différence doit donc être faite entre la livraison et l’arrivée ou le déchargement du navire13 . 8 CA Aix-en-Provence, 24 Janvier 1992, BTL 1992, p. 421 9 Com. 17 Novembre 1992, navire Rolline, DMF 1993, p. 563, note P. Bonassies 10 Com. 27 Juin 2006, DMF 2007, p. 536 11 Com. 1er Juin 2003, n°01-15.663, Bull.civ. IV, n°98 et Com. 30 Juin 2004, n°03-10.751, Lamyline 12 P. Bonassies, note sous Com. 17 Novembre 1992, DMF 1993, p. 565 13 S’agissant du déchargement, Madame Chao observe que « le fait que le transport soit régi par la Convention de Bruxelles, qui ne couvre le contrat que du chargement au déchargement, ne change rien. Il n’y a pas de vide juridique. Si le déchargement du navire dans un port français ne coïncide pas avec la livraison, la loi maritime française prend le
  • 9. 9 La solution prônée par la Cour de cassation exclut toute idée de particularisme ; elle opère une harmonisation de la notion de livraison applicable à tous les modes de transport14 . Toujours est-il que la définition ainsi exposée, présuppose la remise du connaissement au transporteur maritime. Cependant, ce document n’est pas toujours présenté. Il est en effet fréquent qu’à l’arrivée du navire, le destinataire se retrouve dépourvu du titre représentatif de la marchandise. Plusieurs facteurs expliquent ce problème. Il en est ainsi de la dégradation des services postaux, combinée avec la rapidité croissante des navires. De même, la complexité des circuits bancaires, ou encore l’augmentation des jours non travaillés, contribuent à retarder la transmission du connaissement. Le problème peut également trouver sa source dans la perte pure et simple du titre représentatif. Cette situation se rencontre très fréquemment dans le cabotage international15 , le commerce du pétrole, ou encore dans le transport de marchandises en vrac16 . Cela est dû, notamment sur le marché pétrolier, au fait que la cargaison est souvent achetée et vendue flottante ; l’opération pouvant se répéter plusieurs fois au cours du trajet. Le transporteur sera donc souvent contraint de livrer la marchandise sans exiger le connaissement en retour. Son attitude s’expliquera par le souci d’éviter un blocage des biens avec toutes les conséquences que cela entraîne17 . Ce problème est une des manifestations de la lourdeur du titre représentatif, lequel peut parfois paraître inadapté. Aussi, la question qui nous occupera est celle de savoir dans quelle mesure cette livraison faite sans remise du connaissement reflète une réduction de la place du connaissement dans la phase de livraison. Pour y répondre, nous allons tout d’abord, nous intéresser à l’exigence du connaissement à la livraison (Partie 1), avant d’étudier son éviction au même moment (Partie 2). relais ». A. Chao, « Livraison maritime, une notion fixe dans un espace variable », BTL, n°2574 du 4 Juillet 1994, p. 517 14 Ibid, p. 516 15 Navigation commerciale pratiquée entre ports d’Etats différents situés dans une zone délimitée. Autrement dit, il s’agit de voyages internationaux courts (G. Figuière, C. Camélio Laurent, « Dictionnaire anglais-français du commerce maritime », Infomer, Octobre 2005, 2ème éd., p. 25) 16 Marchandises solides telles que grains, phosphates, tourteaux ou minerais, chargés sans être conditionnées (Ibid. p. 22) 17 Un blocage peut affecter l’état de la marchandise si elle est périssable ; il peut également entraîner des frais de stationnement, ou encore la dégradation des relations commerciales avec le destinataire.
  • 10. 10 PARTIE 1 : L’EXIGENCE DU CONNAISSEMENT A LA LIVRAISON Le connaissement est défini comme étant « le document par lequel le transporteur maritime qui l’émet, s’engage, dans les conditions énoncées, à remettre au bénéficiaire désigné généralement par une clause à ordre ou au porteur rendant le titre négociable, les marchandises qui y sont spécifiés ».18 C’est le document fondamental du transport maritime, importance notamment justifiée par son rôle de titre représentatif de la marchandise. A cet égard, il permet à son détenteur d’obtenir la livraison de la marchandise à son arrivée au port de destination et ce, indépendamment de toute justification de sa propriété. Le transporteur est tenu de livrer contre la présentation du connaissement. A défaut, il ferait une livraison manifestement irrégulière (chapitre 1), laquelle sera du reste, lourdement sanctionnée (chapitre 2). 18 Patricia Cordier, Connaissement maritime – Editions du juris-classeur, Fascicule 1260, p. 3
  • 11. 11 Chapitre 1 / La livraison sans connaissement, une irrégularité manifeste La livraison de la marchandise suppose toujours, au préalable, la présentation par le destinataire de l’original du connaissement. Il faut donc que le transporteur respecte ce qu’il est convenu d’appeler la règle de présentation, laquelle a été affirmée avec force par les textes (section 1) quoique faisant l’objet d’une application nuancée par la jurisprudence (section 2). Nous verrons par ailleurs que l’instauration de cette obligation de présentation tient largement à l’importance du connaissement dans la phase de livraison (section 3). Section 1 / L’affirmation de la règle de présentation par les textes La livraison sans connaissement constitue une grave irrégularité de la part du transporteur maritime. Cela justifie que cette pratique soit interdite aussi bien par les textes internes (§1) qu’internationaux (§ 2). § 1 / L’interdiction de la livraison sans connaissement par les textes internes L’article 49 du décret du 31 Décembre 1966 enjoint au capitaine ou au consignataire du navire de délivrer la marchandise au destinataire ou à son représentant. Selon cet article, « le destinataire est celui dont le nom est indiqué dans le connaissement à personne dénommée ; c’est celui qui présente le connaissement à l’arrivée lorsque le connaissement est au porteur ; c’est le dernier endossataire dans le connaissement à ordre ».19 19 Précisons que le connaissement à personne dénommée est celui qui est établi au nom du destinataire, lequel peut seul prendre livraison de la marchandise. Le connaissement au porteur est celui qui énonce clairement qu’il est au porteur ou qui ne mentionne aucun destinataire ou encore, qui contient la clause « à ordre » sans indiquer aucun nom de bénéficiaire. Sa transmission se fait par tradition. Enfin, le connaissement à ordre désigne celui qui est établi à l’ordre d’une personne déterminée. Il est transmissible par endossement.
  • 12. 12 L’article 50 du même décret énonce quant à lui que « la remise d’un original du connaissement établit la livraison sauf preuve contraire » étant précisé que « le connaissement une fois accompli, les autres originaux sont sans valeur ». Le connaissement représentant la marchandise, il donne à celui qui le détient légalement, le droit à la livraison. Celui qui est légitimement porteur est en possession de la marchandise. De même, la transmission du connaissement vaut ainsi transfert de la possession. La règle de présentation posée par les articles 49 et 50 du décret de 1966 s’appuie comme nous venons de le voir sur la fonction de représentativité du titre, laquelle a été reconnue par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 Août 1859. La Haute juridiction cassant un arrêt de la Cour d’Appel de Rennes posait le principe que « la propriété des marchandises voyageant par voie de mer est représentée par le connaissement », sachant que « le connaissement, ainsi que les marchandises dont il est la représentation se transmet par la voie de l’endossement »20 . Il résulte ainsi des textes susmentionnés que « le transporteur ne doit livrer la marchandise, sans jamais avoir à se préoccuper de la propriété de celle-ci, qu’au titulaire du connaissement qui lui présente effectivement, un exemplaire original de celui-ci. Nul autre n’est en droit d’en exiger la livraison »21 . Cette interdiction formelle de la livraison sans connaissement qui se dégage des textes internes français se retrouve pareillement dans certains textes internationaux. § 2 / L’interdiction de la livraison sans connaissement par les textes internationaux La règle de présentation a été affirmée avec force à la fois par les Règles de Hambourg (A) et par le projet CNUDCI sur le transport de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer (B)22 . 20 Cass. 17 Août 1859, D. 1859.I.347 21 P. Bonassies et C. Scapel, op. cit., n°987 22 La Convention de Bruxelles du 25 Août 1924 demeure silencieuse sur la question.
  • 13. 13 A / Les Règles de Hambourg L’article 1er § 7 des Règles de Hambourg définit le connaissement comme « un document faisant preuve d’un contrat de transport par mer et constatant la prise en charge ou la mise à bord des marchandises par le transporteur ainsi que l’engagement de celui-ci de délivrer les marchandises contre remise de ce document. Cet engagement résulte d’une mention dans le document stipulant que les marchandises doivent être délivrées à l’ordre d’une personne dénommée ou à ordre ou au porteur ». Nous reconnaissons ici la même obligation posée par l’article 49 du décret de 1966 de livrer la marchandise à son destinataire contre présentation du connaissement. Cette exigence est prévue du reste dans un autre texte international quoique non encore entré en vigueur. B / Le projet CNUDCI sur le transport de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer23 Le projet CNUDCI règlemente en détail la livraison de la marchandise. Ainsi, son article 11 inclus dans le chapitre 4 relatif aux obligations du transporteur énonce que « le transporteur, dans les conditions prévues par la présente Convention et conformément aux clauses du contrat de transport, déplace les marchandises jusqu’au lieu de destination et les livre au destinataire ». La règle de présentation du connaissement est nettement posée par l’article 50, intitulé « Livraison en cas d’émission d’un document de transport négociable ou d’un document électronique de transport négociable ». Ce texte fait nécessairement référence au connaissement, lequel a l’apanage de la négociabilité. C’est d’ailleurs ce qui le distingue d’autres documents comme la lettre de transport maritime. Ainsi selon l’article 50, en cas d’émission d’un document de transport négociable ou d’un document électronique de transport négociable, le porteur du document de transport 23 A/CN.9/WG.III/WP.101 (CNUDCI, Groupe de travail III, droit des transports, 21ème session, Vienne, 14-25 Janvier 2008)
  • 14. 14 négociable ou du document électronique de transport négociable est en droit de réclamer la livraison des marchandises au transporteur après que celles-ci soient parvenues au lieu de destination. Toujours selon le même texte, cette livraison se fera contre remise du document de transport négociable et à condition que le porteur s’identifie dûment, étant précisé que le terme « porteur » désigne la personne qui est en possession d’un document de transport négociable. S’il s’agit d’un document à ordre, il désigne la personne qui y est identifiée comme le chargeur ou le destinataire, ou la personne au profit de laquelle le document est dûment endossé. Enfin, le porteur sera le détenteur du connaissement s’il s’agit d’un document à ordre endossé en blanc ou d’un document au porteur. Ajoutons que l’article 50 précise bien que le transporteur devra refuser de livrer les marchandises si ces conditions ne sont pas remplies. Nous venons donc de le voir, la livraison sans connaissement est interdite aussi bien par le droit français que par le droit international. Ne pas respecter la règle de présentation reviendrait par conséquent à commettre une faute, du moins dans la majorité des cas car l’application jurisprudentielle de cette règle est plus nuancée. Section 2 / L’application de la règle de présentation par les juges La règle de présentation du connaissement à la livraison n’est pas toujours appliquée au pied de la lettre par la jurisprudence. Dans un premier temps, cette dernière l’applique restrictivement en admettant qu’exceptionnellement des entorses à la règle (§1). En deuxième lieu, les juges en font une application extensive, en allant au-delà même des textes (§2).
  • 15. 15 § 1 / L’application restrictive : l’autorisation exceptionnelle de la livraison sans connaissement Il existe des cas où, malgré l’obligation pour le transporteur de livrer la marchandise contre remise de l’original du connaissement, la jurisprudence lui permet de passer outre cette exigence. Il en est ainsi par exemple en cas d’accord du chargeur de livrer sans connaissement (A), en cas de livraison sur injonction (B), ou de livraison à un organisme étatique monopolistique (C), ou enfin en présence d’une livraison contre un connaissement falsifié (D). A / L’accord du chargeur Cette exception à la règle de présentation a été affirmée par la Cour d’Appel de Montpellier dans un arrêt du 5 Avril 1990, dans lequel cette juridiction pose que le transporteur qui livre la marchandise sans connaissement « assume toujours un risque, dont il doit subir les conséquences, excepté le cas où la remise de la marchandise est autorisée par le chargeur »24 . En l’occurrence, la marchandise a été livrée sans connaissement au vu d’un télex provenant du vendeur l’autorisant « à mettre à disposition du destinataire la marchandise dans l’attente des connaissements originaux ». De même dans un arrêt récent du 19 Juin 2007, la Cour de cassation affirme que conformément aux articles 49 et 50 du décret du 31 Décembre 1966, « sauf convention contraire, le transporteur maritime ne peut livrer la marchandise que sur présentation de l’original du connaissement, même lorsque celui-ci est à personne dénommée et dépourvu de mention à ordre ». A travers cette décision la Haute juridiction rappelle le respect qui doit être dû à la règle de présentation du connaissement, mais en même temps, elle réserve expressément l’hypothèse de la liberté contractuelle. Elle indique en effet que les articles 49 et 50 du décret de 1966 24 CA Montpellier, 5 Avril 1990, DMF 1992, p.314
  • 16. 16 s’appliquent « sauf convention contraire » des parties. Ces dernières peuvent donc convenir de ne pas présenter le connaissement à la livraison. Se posera toutefois ici, la question de la forme que doit prendre la convention contraire des parties. A ce propos le professeur Kenfack affirme que « la dérogation aux termes de la loi sur la présentation de l’original du connaissement doit être convenue, c'est-à-dire acceptée par les parties, ce qui suppose une clause sans ambiguïté qui traduit la volonté sans équivoque des parties et notamment celle du chargeur. L’arrêt du 19 Juin 2007 s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation, par exemple en ce qui concerne la clause attributive de compétence. Elle n’est opposable au chargeur que s’il l’a acceptée (…) »25 . Ainsi si l’accord du chargeur peut permettre de passer outre l’interdiction de livrer sans connaissement, c’est à la condition que cet accord soit suffisamment exprimé et claire. La dispense de présentation de l'original du connaissement ne peut donc résulter que d'une telle clause. En son absence, avant la livraison, le transporteur pourra toujours demander et obtenir une autorisation du chargeur de livrer sans connaissement. Cette solution de la Cour de cassation doit être approuvée car elle préserve la liberté des parties. En effet comme le note encore Monsieur Kenfack, « si la porte du non-respect des exigences légales issues des articles 49 et 50 du décret du 31 décembre 1966 est fermée (la présentation de l’original du connaissement avant toute livraison étant réaffirmée quel que soit le connaissement), il convient de se réjouir de l’ouverture de la fenêtre de la liberté contractuelle (…). Cette fenêtre est heureuse car le transport maritime est par essence international et la liberté des parties y est très grande. Il n’est pas sain de la limiter, d’autant plus que la mer est synonyme de liberté ». En dehors de l’accord du chargeur, la livraison peut également s’effectuer sans présentation du connaissement, si elle est faite sur injonction. 25 H. Kenfack, note sous Cass. 19 Juin 2007, JCP G n°40, 3 Octobre 2007, II 10165
  • 17. 17 B / La livraison sur injonction judiciaire La livraison sans connaissement pourra toujours être autorisée si le destinataire de la marchandise entame une procédure judiciaire rapide, comme l’assignation en référé ou la requête. Le destinataire dans ce cas ne dispose pas de l’original du connaissement susceptible de lui permettre de retirer sa marchandise, et il ne souhaite pas non plus contracter une garantie pour obtenir livraison. Il préférera donc emprunter la voie judiciaire. La livraison sur injonction s’entend d’une procédure permettant d’obtenir du juge des référés une ordonnance prescrivant l’exécution en nature d’une obligation de faire. En l’occurrence il s’agira d’obtenir livraison de la marchandise. Toutefois cette procédure suppose que l’obligation ne soit pas sérieusement contestable. Une procédure simplifiée permet d’obtenir du juge d’instance, une ordonnance d’injonction de faire. Il doit s’agir d’une obligation née d’un contrat passé entre personnes n’ayant pas toutes contracté en qualité de commerçant. En effet, l’article 1425-1 du Nouveau code de procédure civile, dispose que « l’exécution en nature d’une obligation née d’un contrat conclu entre des personnes n’ayant pas toutes la qualité de commerçant peut être demandée au tribunal d’instance lorsque la valeur de la prestation dont l’exécution est réclamée n’excède pas le taux de compétence de cette juridiction ». On signalera ici un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 19 Octobre 2004, lequel confirme une ordonnance ayant fait droit à une demande de remise sous astreinte de la marchandise26 . Cet arrêt sera du reste confirmé par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans une décision du 27 Juin 200627 . En l’espèce la société Aventis avait confié à la société Kawasaki un transport de marchandises de Fos-sur-Mer à Bangkok. N’ayant pas reçu le connaissement émis par le transporteur, la société Aventis, avait obtenu du juge des référés qu’il soit ordonné à la société Kawasaki de lui livrer ces marchandises sans remise du connaissement initial et cela sous astreinte de 5000 euros par jour de retard à compter de sa mise à quai à Bangkok. 26 CA Rouen, 19 Octobre 2004, n°03/00882, Kawasaki kisen kaisa c/ Bayer, Lamyline 27 Com. 27 Juin 2006 n°04-20.510, Lamyline
  • 18. 18 Il est également précisé dans un autre arrêt, émanant cette fois-ci d’une juridiction belge, que lorsque sur injonction judiciaire, le transporteur maritime délivre la marchandise à destination à une partie autre que le porteur du connaissement, et qu’en plus on ne peut lui reprocher aucune faute ou négligence en rapport avec l’intervention ou l’exécution de cette injonction, la réclamation du porteur du connaissement pour non livraison, ne peut être accueillie28 . La jurisprudence nuance ainsi, une fois de plus, l’interdiction de la livraison sans connaissement. Cette règle fait d’ailleurs l’objet d’un autre assouplissement en cas de livraison à une entreprise monopolistique. C / La livraison à une entreprise monopolistique Les entreprises monopolistiques, comme leur nom l’indique, disposent d’un monopole légal ou réglementaire pour effectuer la manutention des navires. Le transporteur confronté à de tels organismes est souvent obligé de livrer la marchandise sans connaissement. Dans une pareille hypothèse, la jurisprudence, tenant compte de la spécificité de la situation, excuse l’attitude fautive du transporteur. En effet, elle considère généralement que l’entreprise monopolistique agit pour le compte du destinataire. Ainsi en a décidé un arrêt ancien de la Cour d’appel de Paris29 dans lequel une marchandise était transportée du Havre à Vancouver (où toutes les cargaisons sont obligatoirement consignées à un organisme public dénommé National Harbour Board). La responsabilité du transporteur était recherchée par le commissionnaire-chargeur, lui-même actionné par le vendeur impayé des marchandises. La Cour de Paris estime en l’espèce que le transporteur s’est déchargé valablement de la responsabilité des marchandises en les délivrant entre les mains de l’entreprise monopolistique dont l’intervention est obligatoire et qui « agit non en qualité de mandataire du bord, mais comme représentant du destinataire qui le paie pour son intervention ». L’organisme monopolistique qui n’est ni choisi, ni librement commis par le transporteur, ne peut être regardé comme le mandataire contractuel de ce dernier30 . 28 Rechtbank van Koophandel Te Antwerpen, 13 Mai 2005, D. eur. Transp. 2006, p.88 29 CA Paris, 8 Octobre 1964, DMF 1964, p.745, Navire Mississipi 30 CA Aix-en-Provence, 11 Mai 1989, BT 1990, p.345
  • 19. 19 La livraison d’office à une autorité publique se rencontre plus particulièrement dans les pays en voie de développement. Ainsi selon la jurisprudence, est effective la livraison faite au wharf de Nouakchott31 , à la Société nationale de manutention algérienne (SONAMA)32 , à l’organisme portuaire de La Guaira au Venezuela33 , à l’organisme portuaire du Pirée34 , à l’entreprise monopolistique de Djeddah35 , à un organisme libyen36 , à un organisme de Hô Chi Minh-ville37 . De même, est effective la livraison faite aux organismes portuaires de Freetown, Takoradi et Cotonou38 . Notons également que la mise en dépôt de douane d’office dégage le transporteur de son obligation de ne délivrer la marchandise que sur présentation des connaissements39 . Cette situation se retrouve le plus souvent dans les pays latino-américains, qui, comme le note un auteur, font exception à la règle de présentation et permettent ainsi au consignataire d'accéder à la marchandise sans produire le connaissement40. Certaines décisions41 excusent également le transporteur qui livre sans connaissement, dans le cas où cette remise lui était imposée par l’administration locale, constituant au sens de la convention de 1924, un fait du prince42 . Dans ces décisions, la remise de la marchandise était exigée par une entreprise monopolistique d’Etat. Les juges considèrent dès lors, que le transporteur n’est pas responsable d’une livraison irrégulière, lorsque celui-ci est confronté à un acte de puissance publique. 31 CA Paris, 29 Avril 1982, DMF 1983, p.274, et Com 13 Juin 1989, DMF 1991, p.229 Notons que « Techniquement un wharf est un appontement auquel viennent accoster les navires ; dans le jargon maritime on désigne par extension de ce mot, l’organisme de caractère public qui est chargé de la manutention et de l’entreposage des marchandises dans les ports africains ». R. Rodière, « Traité général de droit maritime » Tome III, Dalloz 1970, p.77 32 T.Com Marseille, 26 Mars 1982, Rev. Scapel 1982, p.30 33 CA Paris, 8 Juillet 1982, DMF 1982, p.754 34 CA Aix-en-Provence, 7 Décembre 1979, DMF 1980, p.726 35 CA Rouen, 21 Novembre 1979, DMF 1980, p.531 36 CA Aix-en-Provence, 15 Février 2007, n°05/06156, Lamyline 37 CA Paris, 13 Novembre 1996, La Paternelle et a. c/ Ballast Shipping et a. Lamyline 38 T.Com Marseille, 13 Janvier 2006, n°2005F02757, Fortis et a. c/ Sea Bean Maritime, Lamyline 39 CA Paris, 21 Septembre 1988, BT 1989, p.212 40 C.M. Schmittohff, “The Export Trade”, 8th ed., London, Stevens & Sons Ltd., 1986, pp. 509-510 41 CA Aix-en-Provence, 29 Mars 1988, DMF 1991, p.223 / Com, 20 Février 1990, BT 1990, p. 563 42 Art. 4§2 g, convention de Bruxelles de 1924
  • 20. 20 Signalons au passage que, pour ne pas être sanctionné pour livraison sans connaissement, le transporteur doit être dépourvu de toute possibilité de choix. La livraison doit lui être imposée par l’administration locale. Ce qui n’est pas toujours le cas. En effet, pour donner l’exemple du Maroc, Madame Hassania Cherkaoui note que d’après le Dahir du 28 Décembre 1984 portant création de l’organisme portuaire monopolistique de Casablanca (l’ODEP), « l’exploitant portuaire ne s’impose pas au transporteur, lequel n’est pas obligé de faire appel à ses services. Il peut en effet livrer directement au destinataire en l’avisant de venir prendre livraison de sa marchandise, et rien n’interdit à l’armateur d’organiser un service de garde à terre des marchandises en attente de leur délivrance. Si le transporteur ne livre pas dans ces conditions, c’est qu’il a choisi l’exploitant portuaire lorsqu’il a accepté son intervention. Dès lors, la solution retenue par la jurisprudence française ne peut concerner l’exploitant portuaire marocain puisque son intervention n’est pas obligatoire(…). Ainsi, la remise des marchandises par le transporteur à l’exploitant portuaire marocain ne vaut pas livraison et ne met pas fin à sa responsabilité »43 . Par conséquent, si le monopole de l’entreprise n’est pas démontré, le transporteur maritime demeure responsable de la livraison sans connaissement, ainsi que des dommages constatés à la livraison44 . Les organismes à caractère de monopole étant habilités à réceptionner la marchandise, les transporteurs qui ne disposent pas de la maîtrise des opérations, ne sauraient donc être tenus des pertes ou dommage survenus postérieurement à la remise des marchandises45 . Cette solution est consacrée par les Règles de Hambourg dont l’article 4§2 prévoit que le transporteur est responsable en ce qui concerne les marchandises, de la prise en charge à la livraison. Cette dernière pouvant être effective si les marchandises sont livrées « à une 43 H. Cherkaoui, « L’intervention de l’exploitant portuaire au Maroc et la rupture de charge du transporteur maritime », DMF 1996, p.99 44 CA Aix-en-Provence, 16 Février 2001, Uni Europe c/ Georges Shipping Ltd, Rev. Scapel 2001, p.148 45 CA Rouen, 6 février 1986, DMF 1988, p.40.
  • 21. 21 autorité ou autre tiers auquel elles doivent être remises conformément aux lois et règlements applicables au port de déchargement »46 . Aussi, les transporteurs ont-ils l’habitude d’introduire dans leurs connaissements une clause de déchargement d’office énonçant que la remise de la marchandise à ces organismes mettra fin à leurs responsabilités. Mais comme le soulignent Messieurs Bonassies et Scapel, ces clauses devraient être rejetées « lorsque le transport est régi par la convention de Bruxelles ou par la loi française. Ces textes imposent au transporteur de supporter la responsabilité de la marchandise jusqu’à la fin du déchargement, et ne prévoient aucune dérogation à cette disposition impérative »47 . Selon l’exemple donné par Monsieur Achard, la clause de déchargement d’office revêt généralement la formule suivante : « Le capitaine et la compagnie seront déchargés par la remise des marchandises à la Douane ou à tout autre organisme dans tous les cas où cette remise est obligatoire »48 . En livrant la marchandise à une entreprise monopolistique, le transporteur ne sera tenu que des pertes et avaries constatées à la remise, mais ne sera pas sanctionné pour une livraison irrégulière, c’est à dire faite sans présentation par le destinataire d’un original du connaissement49 . Nous retrouvons donc ici une autre exception à l’interdiction de la livraison sans connaissement, laquelle est normalement fautive50 . De même, le transporteur sera également excusé s’il livre la marchandise en échange d’un faux connaissement. 46 Art 4§2, b, iii, Règles de Hambourg 47 op.cit, n°1033 Les règles de Hambourg quant à elles, n’imposent pas au transporteur de décharger le navire, puisque la marchandise pourra être remise à la disposition du destinataire « conformément au contrat » (art. 4§2, b, ii 48R. Achard, « Livraison des marchandises à un organisme portuaire à caractère de monopole », JMM 1981, n°3231, p. 2774 49 CA Aix-en-Provence, 17 Décembre 1986, Navire Lagada-Bay, DMF 1988, p.43, Cass. 13 Juin 1989, Navire Lagada-Bay, DMF 1991, p.228, 50 Cass, 29 janvier 1991, Navire Diana, DMF 1991, p 354,
  • 22. 22 D / La livraison contre un connaissement falsifié Au regard de la loi, un connaissement falsifié est nul. Cela s’explique par le caractère frauduleux du document. Celui-ci n’est qu’un bout de papier sans valeur. Dès lors, livrer la marchandise contre un tel document reviendrait à livrer sans connaissement. Toutefois, cette livraison n’est pas toujours fautive selon la jurisprudence. En effet, dans un arrêt du 22 Novembre 1996, la Cour d’Appel de Paris exonère un transporteur ayant livré la marchandise contre un faux connaissement51 . En l’espèce, une société charge un commissionnaire de transport d’acheminer des caisses de pièces détachées pour automobiles d’Aulnay-sous-Bois à Lagos via le port du Havre. Le chargeur-vendeur prétendant n’avoir pas été payé fait faire une enquête qui révèle que les marchandises ont été livrées contre un faux connaissement. Il assigne le commissionnaire, lequel appelle le transporteur en garantie. Débouté en première instance, il fait appel et la Cour de Paris confirme le jugement. Le transporteur a pu être trompé puisqu’il s’agissait ici d’une photocopie de connaissement ayant toutes les apparences de l’original, « photocopie dont la ressemblance avec l’original était telle, hormis une dactylographie très légèrement différente, que celui qui était chargé de la vérification a pu se méprendre et se laisser abuser sans être anormalement vigilant ». La Cour relevant que la photocopie présentée ressemblait tellement à un original que le transporteur a pu être trompé sans manquer à son devoir de vérification, conclut qu’il est donc dégagé de toute responsabilité. Le pourvoi formé contre cet arrêt sera d’ailleurs rejeté par la Cour de cassation, laquelle décide que « c’est par une appréciation souveraine que la Cour d’appel a estimé que le connaissement présenté à l’arrivée par le destinataire avait toutes les apparences de l’original et que le capitaine, au vu des éléments de comparaison en sa possession, a pu se méprendre et se laisser abuser »52 . Cette position française est confirmée par une décision belge, affirmant que lorsque des connaissements sont falsifiés de façon telle qu’ils sont quasiment identiques aux originaux, et que les différences sont à ce point imperceptibles qu’elles ne peuvent être découvertes 51 CA Paris, 22 Nov. 1996, Sté Autorex France c/ Sté Galion et autres, BTL 1997, n°2697, p.199 52 Com. 5 Janvier 1999, n°97-10734, Légifrance
  • 23. 23 qu’après une étude comparative longue et approfondie, le transporteur maritime est mis hors de cause et n’est pas responsable de la livraison sans connaissement original53 . Il faudra toutefois noter que cette conception n’est pas partagée par les juges britanniques. Ceux-ci adoptent en effet une position plus sévère pour le transporteur. Ainsi, selon Lord Justice Mance54 , même si la falsification du connaissement n’est pas apparente et ne peut pas être raisonnablement détectée, le transporteur reste malgré tout responsable s’il livre la marchandise. En effet le transporteur doit pouvoir reconnaître ses propres connaissements. Il doit faire en sorte que ceux-ci ne soient pas aisément falsifiables. Cette décision sévère est confirmée par un récent arrêt de la Court of Appeal55 . Précisons par ailleurs que la présentation d’un connaissement falsifié est pénalement sanctionnée. En effet, dans une décision du 10 Mai 200756 , la chambre criminelle de la Cour de cassation affirme que constitue un faux en écriture privée sanctionné par les dispositions de l’article 441-1 du Code pénal57 , l’acte de falsification de manifestes et de connaissements, mais aussi toute fabrication par contrefaçon d’écriture, débouchant à faux intellectuel. Quoi qu’il en soit nous retiendrons donc que selon la jurisprudence française, la livraison contre un faux connaissement ne constitue pas une entorse à la règle de présentation. Les assouplissements jurisprudentiels apportés à l’interdiction de la livraison sans connaissement doivent être considérés comme exceptionnels en ce sens qu’ils sont justifiés par des circonstances particulières. Dès lors, ils ne doivent pas laisser penser que les juges favorisent la méconnaissance de la règle de présentation. Bien au contraire, ces derniers interprètent strictement cette exigence légale en insistant bien sur le caractère exceptionnel de ces entorses. Notons cependant que l’application jurisprudentielle n’est pas toujours aussi restrictive. 53 Rechtbank van Koophandel Te Antwerpen, 12 Mai 2004, D. eur. Transp. 2004, p.509 54 Motis Exports Ltd v Dampskibsselskabet AF 1912 [2000] 1, Lloyd’s Rep. 211, p.217 55 Trafigura Beheer Bv v Mediterranean Shipping Company [2007] 2, Lloyd’s Rep. p.622 56 Crim 10 Mai 2007, RD transp. n°8, Septembre 2007, comm. 167, obs. M. Ndende 57 Art 441-1 du Code pénal : « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l'usage de faux sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende».
  • 24. 24 § 2 / L’application extensive de la règle de présentation La jurisprudence ne se limite pas toujours à la lettre des dispositions légales. Elle est ainsi allée au-delà des textes en appliquant la règle de présentation au connaissement nominatif (A). Par ailleurs elle n’a pas manqué de souligner le caractère gravement fautif de la livraison sans connaissement (B). A / L’obligation de présenter le connaissement nominatif à la livraison Le connaissement nominatif, encore appelé connaissement à personne dénommée par l’article 49 du décret du 31 Décembre 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritime, désigne un connaissement où le nom du destinataire à qui doit être livrée la marchandise, est nommément désigné sur le document. L’indication du nom de ce destinataire ne doit pas être assortie de la mention à ordre, ou à tout le moins, celle-ci doit être barrée. Nous avons ici une des formes que peut prendre le connaissement, lequel selon l’article 49 susmentionné, peut être à personne dénommée, au porteur, ou à ordre. La nature réelle du connaissement nominatif a pendant longtemps fait l’objet de beaucoup de controverses. En effet, la question s’était posée de savoir s’il était un véritable connaissement, donc soumis à la règle de présentation, ou si l’on devait au contraire considérer que c’est un document, qui à l’instar de la lettre de transport maritime, ne nécessitait pas d’être présenté lors de la livraison de la marchandise. Deux thèses doctrinales étaient donc en opposition. Ainsi, un auteur comme le Professeur Tassel défendant la thèse de la non présentation du connaissement à personne dénommée, estimait que la règle de présentation et la représentativité du connaissement sont liées. Il considère en effet que « la règle dite de la présentation du connaissement aux fins de retirer la marchandise est réservée au connaissement à ordre ou au porteur. Or, cette règle de la présentation est l’apanage du titre représentatif. Il s’en suit que la qualité de titre représentatif est réservée au connaissement à ordre et au porteur »58 . 58 Y. Tassel, observations sous CA Rennes, 16 Mai 2002, navire MSC Magallanes, DMF 2002. 952
  • 25. 25 Cette opinion fut battue en brèche par les Professeurs Bonassies et Scapel qui estiment quant à eux, que « la fonction du connaissement comme titre représentant la marchandise doit être reconnue, autant qu’au connaissement à ordre, au connaissement au porteur et au connaissement nominatif. Les textes ne font en effet aucune différence quant à ces trois titres, et il en est de même des Règles et usances uniformes de la CCI relatives au crédit documentaire »59 . Ainsi pour ces auteurs, quelle que soit la forme du document, la livraison sans connaissement est donc contraire aux textes. C’est cette dernière position doctrinale qui fut récemment consacrée par la chambre commerciale de la Cour de Cassation dans un arrêt de principe du 19 Juin 200760 . Cette décision importante précise que « sauf convention contraire, le transporteur maritime ne peut livrer la marchandise que sur présentation de l'original du connaissement, même lorsque celui-ci est à personne dénommée et dépourvue de mention à ordre ». Rendu au visa des articles 1147 du code civil, 49 et 50 du décret du 31 décembre 1966 sur les contrats d'affrètement et de transport maritime, cet arrêt de principe clarifie la nature du connaissement à personne dénommé. Celui-ci est un véritable connaissement, n’échappant donc pas à la règle de présentation. Le transporteur maritime a, par conséquent, l’obligation de présenter l'original du connaissement avant la livraison des marchandises même s'il est à personne dénommée. Par cette précision expresse, la Cour de cassation clarifie la qualification de ce document, laquelle comme nous l’avons vu, avait soulevé la controverse. Désormais, le doute n’est plus permis, le connaissement à personne dénommée étant considéré comme un véritable connaissement. Ajoutons que la position affirmée par la Haute juridiction dans son arrêt du 19 Juin 2007 est défendue par de nombreux droits étrangers. Il en est ainsi par exemple, du droit anglais. En effet statuant dans l'affaire du navire Rafaela S61 , La Chambre des Lords a décidé dans un 59 P. Bonassies et C. Scapel, op.cit., n°987 60 Com. 19 juin 2007, n° 05-19.646, D. 2007, AJ. 1869, obs. X. Delpech ; RD transp. 2007, Comm. n° 192, obs. M. Ndendé ; BTL 2007. 415, obs. M. Tilche ; JCP 2007. II. 10165, note H. Kenfack 61 Y. Tassel, « L'affaire du Rafaela S ou l'indélicat connaissement nominatif », DMF 2005, p. 795
  • 26. 26 important arrêt de revirement du 5 juin 2005 que le connaissement nominatif doit être présenté en échange de la marchandise. Par ailleurs comme le note Monsieur Tassel, les juges britanniques ont souligné dans cette décision, que « le droit comparé le plus récent est favorable à l’obligation de présenter le connaissement nominatif. Certes, le droit américain ne l’exige pas. Mais le droit allemand, le droit scandinave et le droit français l’exigent. D’ailleurs, les arrêts les plus récents font de la présentation du connaissement, quel qu’il soit, une obligation (…). Trois arrêts ont été cités en ce sens : au Danemark, The Duke of Yare, 1997 ; à Singapour, l’arrêt Voss v. APL ; et en France, l’arrêt MSC Magallanes rendu par la Cour d’Appel de Rennes le 16 mai 2002 »62 . La solution de la Cour de cassation doit être saluée car elle met résolument l’accent sur le respect de la règle de présentation. En outre, ainsi que le remarque Monsieur Dominique Main, avocat général auprès de la Cour de cassation, il ne peut y avoir qu’avantage à unifier les règles applicables, s’agissant de la livraison de la marchandise, quelle que soit la nature du connaissement, sans distinguer donc selon qu’il est à personne dénommée, au porteur ou à ordre (négociable dans ces deux cas), en s’alignant clairement sur le régime qui est le plus protecteur des intérêts du chargeur63 . L’application extensive de la règle de présentation se manifeste par ailleurs par la conception jurisprudentielle de la gravité de la faute du transporteur qui livre la marchandise sans connaissement. B / Le caractère gravement fautif de la livraison sans connaissement L’obligation du transporteur de ne livrer la marchandise que sur présentation d’un connaissement est une obligation fondamentale, dont il ne peut s’affranchir en aucune façon64 .Comme nous l’avons vu précédemment, cette obligation émane de textes aussi bien internes qu’internationaux. Prenant appui sur ceux-ci, la jurisprudence s’attèle à faire respecter la règle de présentation. Aussi décide-t-elle que livrer la marchandise sans présentation du connaissement, représente de la part du transporteur une faute délibérée, au 62 Y. Tassel, Ibid 63 Avis de l’avocat général à propos de l’arrêt du 19 Juin 2007. Document fourni par M. André Potocki (conseiller à la Cour de cassation) avec l’accord de M. Main. 64 Sauf s’il est confronté aux cas particuliers étudiés précédemment
  • 27. 27 regard de la législation maritime65 . Toutefois elle va également au-delà des textes en qualifiant cette faute de lourde66 , ou encore d’inexcusable67 . De même, la Cour d’Appel de Rouen a condamné un transporteur qui avait livré à New-York un conteneur d’équipements acoustiques sans exiger la remise du connaissement par le destinataire, alors que le chargeur de la marchandise lui avait formellement interdit de la livrer ainsi sans son accord et ceci même sur présentation d’une lettre de garantie pour absence de connaissement68 . Cet arrêt est du reste confirmé par la Cour de cassation, laquelle rejetant le pourvoi formé contre lui, estime qu’ « en livrant les marchandises à celui qui les réclamait, sans exiger la présentation du connaissement, le capitaine du navire avait commis une faute »69 . Pareillement, commet une faute engageant sa responsabilité auprès de la banque détentrice du connaissement, le transporteur qui livre la marchandise à un destinataire qui n’en paie pas le prix et qui n’a pas été en mesure de présenter le connaissement70 . La faute dont il s’agit en l’occurrence est strictement celle du transporteur, comme l’atteste un récent arrêt dans lequel les juges précisent que le transporteur maritime ne peut remettre les marchandises qu’au porteur des connaissements originaux, et il ne prouve aucun contrat de dépôt dans le chef du mandataire du destinataire, auquel les marchandises ont été livrées sans que ce mandataire soit en possession des connaissements originaux. Sans contrat, ce mandataire du destinataire n’a aucune obligation de résultat concernant la restitution des marchandises, et aucune faute contractuelle ne peut lui être reprochée. Le transporteur demeure l’unique fautif71 . Signalons par ailleurs que le transporteur ne pourra pas conventionnellement échapper à sa responsabilité découlant d’une telle livraison sans connaissement, laquelle est fautive. En effet, la High Court de Hong Kong a décidé qu’était inapplicable, la clause d’exclusion du connaissement qui prescrit l’exemption de responsabilité du transporteur en cas de livraison 65 CA Aix-en-Provence, 6 Septembre 1984, DMF 1986, p.158 Sentence n°1013 du 14 Septembre 1999, DMF Juin 2000, n°605 66 CA Aix-en-Provence, 6 Septembre 1984, DMF 1986, p. 157 67 T. Com. Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007, p. 519 68 CA Rouen, 19 Octobre 1989, DMF 1990, p.96 69 Cass. 9 Juillet 1991, DMF 1992, p.665 70 CA Montpellier 1er Juin 1995, DMF 1995, p.918 71 Hof van Beroep Te Antwerpen, 13 Juin 2005, D.eur.Transp.2006, p.353
  • 28. 28 fautive de la marchandise72 . Cette décision confirme un précédent arrêt, lequel avait clairement manifesté son hostilité face à ces clauses d’exemption73 . Ceci montre que même si la jurisprudence ne fait que se conformer aux textes en soulignant le caractère fautif de la livraison sans connaissement, elle applique tout de même, de manière extensive les exigences légales. L’interdiction légale et jurisprudentielle de la livraison sans connaissement a surtout pour fondement, la volonté du législateur et des juges, d’éviter que le transporteur maritime ne bafoue le droit légitime du titulaire du connaissement de réclamer la livraison de sa marchandise. Toutefois, la règle de présentation se justifie également par d’autres considérations témoignant de son importance. Section 3 / L’importance pratique de la règle de présentation L’instauration de l’obligation du transporteur de livrer contre présentation d’un original du connaissement peut s’avérer très utile. L’intérêt de cette règle se manifeste ainsi en matière de crédit documentaire dont il assure le remboursement (§1) et en matière douanière, puisque le connaissement est indispensable pour accomplir les formalités requises au port de destination (§2). § 1 / L’exigence du connaissement, gage du remboursement du crédit documentaire Le crédit documentaire est une technique de paiement international, de financement et de protection contre le risque de non-paiement. Il est soumis aux Règles et Usances Uniformes en matière de crédit documentaire (RUU 600) de la Chambre de commerce internationale (CCI)74 . 72 High Court of the Hong Kong special administration region, Court of first instance, 5 Octobre 2005, D.eur.Transp. 2006, p.182 73 Hong Kong commercial Court, Center Optical Limited v Jardine Transport Services Limited [2001] 2 Lloyd’s Rep 678. 74 La Commission bancaire de la CCI a adopté, le 25 octobre 2006, la version révisée des Règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires, à savoir les RUU 600. Cette
  • 29. 29 Ce type de crédit correspond à l'engagement de la banque de l'acheteur de payer l'exportateur contre remise de documents qui prouvent que les marchandises ont bien été expédiées ou que les prestations de service ont été effectuées. Ces documents sont ensuite transmis par la banque à l'acheteur (ou à la banque du vendeur) contre remboursement, pour que ce dernier puisse prendre possession de la marchandise. Ils ont pour objet de prouver l'exécution par le vendeur de ses obligations et incluent normalement les factures commerciales, un document de transport représentatif de la marchandise (connaissement), une police d'assurance et des certificats d'origine et de qualité. Le document essentiel est en l’occurrence le connaissement maritime, lequel est en pratique toujours exigé. Le connaissement original destiné au chargeur est émis en plusieurs originaux. Le nombre d’exemplaires émis est indiqué sur le connaissement. Chaque exemplaire donne le droit d’obtenir la livraison de la marchandise qu’il représente. Si un exemplaire est accompli, les autres n’ont plus de valeur. Il est donc important d’être en possession du jeu complet. En règle générale, et surtout dans les opérations de crédit où la marchandise sert de gage en faveur de la banque émettrice, le jeu complet de connaissements originaux sera requis. La banque ne s’en débarrassera au profit de l’acheteur, destinataire de la marchandise, que si ce dernier rembourse le crédit. Le connaissement constitue ainsi dans ce cas un moyen de pression efficace pour la banque. Par conséquent le transporteur maritime qui livre sans connaissement, déjoue ce calcul en permettant à l’acheteur de prendre possession de la marchandise avant de rembourser le crédit documentaire. Seul le respect de la règle de présentation pourra donc assurer au banquier un remboursement effectif. Ainsi, en exigeant le connaissement à la livraison le législateur contribue à l’effectivité du crédit documentaire. Cela constitue un des aspects de l’importance de la présentation de ce document ; l’autre aspect se retrouvant en matière douanière. nouvelle version des RUU, est entrée en vigueur le 1er juillet 2007 ; elle a remplacé les RUU 500, parues en 1993.
  • 30. 30 § 2 / L’exigence du connaissement, condition d’accomplissement des formalités douanières Avant de pouvoir disposer totalement de ses marchandises, l’importateur-destinataire doit s’acquitter de certaines formalités imposées par l’administration des douanes. Ces dernières exigent la présentation de plusieurs documents, dont le plus important est le connaissement maritime, titre représentatif de la marchandise. Ainsi, le destinataire est tenu de procéder à la déclaration en détail de ses marchandises à enlever. Or, le dépôt de cette déclaration ne sera possible qu’en présence du connaissement original. Il faudra préciser ici que l’accomplissement des formalités douanières ne concerne que les transports entre un Etat membre de la communauté européenne et un Etat tiers. En effet, depuis la suppression des frontières intra-U.E. en 1993 avec l’Acte unique européen, les missions de la douane s’appliquent aux échanges entre l’Union Européenne et les pays tiers et non plus aux échanges entre pays de l’Union. Les missions de l’administration des douanes s’exécutent au sein de l’espace européen. Leur point commun est le passage des frontières communautaires extérieures à l’Union Européenne ; ce que l’on nomme plus communément des frontières « tiers ». La législation douanière de base de la Communauté est contenue dans le Code des Douanes (Règlement CE n° 2913/92 du Conseil) et dans les dispositions d'application du Code (Règlement CE n° 2454/93 de la Commission). Au sein de l’U.E., depuis le 1er Janvier 1993, il n’y a plus de déclaration en douane mais une simple déclaration d’échanges de biens (la DEB)75 , permettant de s’assurer du respect des règles fiscales communautaires en matière de TVA. C’est en outre un moyen d’établir les 75 La DEB a vu le jour en 1993 avec l’instauration du grand marché intérieur. En l’absence de formalités aux frontières pour tous les échanges intra-communautaires, cette simple déclaration permet à l’administration des douanes de connaître l’importance et la nature des flux de marchandises à l’intérieur de la Communauté européenne. Source : www.douane.gouv.fr
  • 31. 31 statistiques du commerce extérieur, source importante d’information pour l’Etat et les entreprises. La déclaration en douane, est définie comme l'acte par lequel une personne manifeste, dans les formes et modalités prescrites par le code des douanes communautaire, la volonté d'assigner à une marchandise un régime douanier déterminé (article 4, point 17 du code). Elle ne s’impose que dans le cas où la marchandise fait l’objet d’un transport entre un Etat tiers et un Etat membre de la communauté européenne. En effet, l’article 38.1 du code des douanes communautaire dispose que les marchandises introduites dans le territoire douanier de la Communauté doivent être présentées en douane immédiatement après leur arrivée au bureau de douane désigné ou à tout autre lieu désigné ou agréé par les autorités douanières ou dans une zone franche. Cette déclaration est effectuée par le destinataire ou un mandataire (souvent le transitaire). Il faut cependant que la marchandise soit accompagnée d’un document preuve de détention, indiquant qui est le propriétaire de celle-ci. Dans le transport maritime, c’est le connaissement qui représente cette preuve. A cet effet, l'article 14 du même code précise qu'aux fins de la détermination de la valeur en douane, tous les documents et toutes les informations nécessaires doivent être fournis au service. Le texte ne précise pas quels documents ou informations doivent être présentés à l'appui des éléments déclarés, mais il est évident que le connaissement, titre représentatif de la marchandise, sera exigé76 . Notons par ailleurs qu’en vertu de l’article 178-4 des dispositions d’application du code, de manière générale, le dépôt d'une déclaration vaut engagement de la responsabilité du déclarant, particulièrement en ce qui concerne l'exactitude, l'intégralité et l'authenticité de l'information et des documents présentés. Le connaissement peut ainsi s’avérer très utile à la livraison car il sert notamment à établir la déclaration en douane. Cette procédure serait gravement compromise en l’absence de connaissement à la livraison77 . Aussi, le Doyen Chauveau a-t-il raison de souligner que « la 76 De même d’ailleurs que le certificat d’origine de la marchandise, les certificats de circulation, ainsi que les documents d’assurance. 77 Même si les procédures douanières se font de plus en plus sous forme informatisée.
  • 32. 32 douane utilise […] le connaissement comme instrument de contrôle des marchandises importées ou exportées. C’est pourquoi, en France, les règlements douaniers exigent qu’un connaissement soit dressé pour toutes les marchandises embarquées »78 . La présentation du connaissement s’avère donc très utile pour le dédouanement de la marchandise. Elle est du reste indispensable à l’accomplissement d’autres formalités. Ainsi, dans certains pays, les règlements administratifs, les arrêtés et les procédures sont ainsi rédigés qu’ils imposent la production d’un connaissement. Les lois de douane, de la santé, de l’agriculture, de la sécurité et de l’économie enjoignent souvent aux autorités d’exercer un contrôle et d’obtenir des informations ; mission qui ne peut être accomplie que par le biais du connaissement79 . Nous venons ainsi de voir au terme de ce chapitre, toute la place qu’occupe ce document représentatif de la marchandise pendant la livraison. Le connaissement maritime demeure quasiment incontournable, ce qui explique l’importance que lui accordent les textes et les tribunaux. Aussi, le transporteur est-il lourdement sanctionné s’il livre la marchandise en son absence. 78 P. Chauveau, « Traité de Droit maritime », LITEC 1958, n°727 79 R.I.L. Howland, « L’avenir du connaissement et les connaissements électroniques », Annuaire de Droit maritime et aérospatial, 1995, p. 207
  • 33. 33 Chapitre 2 / La livraison sans connaissement, une irrégularité lourdement sanctionnée La règle de présentation est surtout destinée à protéger le destinataire de la marchandise. En bafouant les prescriptions légales, le transporteur commet une grave irrégularité. Il devra donc réparer le préjudice résultant de la livraison faite sans connaissement (section 1) et ce, sans limitation de responsabilité (section 2). En outre, du fait de sa gravité et de son caractère délibéré, cette faute du transporteur ne sera pas couverte par les compagnies d’assurance (section 3). Section 1 / La réparation du préjudice découlant de la livraison irrégulière Le transporteur maritime qui livre sans connaissement est exposé à indemniser le porteur légitime de toutes les conséquences occasionnées par cette faute. Précisons tout d’abord les conditions et le contenu de cette réparation (§1), avant d’étudier l’exercice de l’action en responsabilité contre le transporteur (§2). § 1 / Les conditions et le contenu de la réparation La réparation du préjudice causé par la livraison sans connaissement au titulaire de ce document répond à certaines conditions (A). Il faudra par ailleurs déterminer son contenu (B). A / Les conditions de la réparation Tout d’abord pour qu’il y’ait réparation, il faudra établir l’existence d’un préjudice. Celui-ci sera matérialisé en l’occurrence par la perte de la marchandise. En effet le porteur du connaissement ne pourra pas récupérer sa marchandise puisque cette dernière a été livrée à un tiers sans qualité. Dans cette hypothèse, le Doyen Rodière affirme que la livraison équivaut à
  • 34. 34 une perte totale de la chose80 , opinion partagée par Maître Jacques Bonnaud81 . Le tribunal de commerce de Marseille est également du même avis82 . Le premier de ces auteurs observe qu’« il y’a perte totale quand à destination, le transporteur n’est à même de délivrer à l’ayant-droit aucun élément de la marchandise qu’il a prise en charge »83 . La définition proposée correspond bien à la situation du titulaire du connaissement non livré. Le transporteur devra donc réparer le dommage causé par sa faute, s’il a livré la marchandise à un tiers sans qualité84 . Nous voyons ainsi que la livraison sans connaissement entre bien dans le domaine de responsabilité du transporteur maritime, tel que déterminé par la loi française et par les textes internationaux. En effet, l’article 27 de la loi française du 18 Juin 1966 dispose que « le transporteur est responsable des pertes ou dommages subis par la marchandise depuis la prise en charge jusqu’à la livraison », à moins qu’il n’établisse que ces pertes ou dommages proviennent d’un cas excepté. De même, l’article 4 §1 et 2 de la convention de Bruxelles prévoit la responsabilité pour « pertes ou dommages » subis par les marchandises. Toutefois le texte international va plus loin que la loi française puisque le paragraphe 5 de ce même article vise les « pertes ou dommages des marchandises, ou concernant celles-ci ». Les Règles de Hambourg ne dérogent pas non plus à la règle car prévoyant également dans leur article 5§1, que « le transporteur est responsable du préjudice résultant des pertes ou dommages subis par les marchandises ainsi que du retard à la livraison ». Le titulaire du connaissement pourra donc agir en responsabilité contre le transporteur. Toutefois il devra au préalable prouver la perte totale qu’il a subie, sachant que cette preuve « comporte celle de la prise en charge par le transporteur et de la non-livraison par lui. Il 80 R. Rodière, op. cit., n°551 81 J. Bonnaud, « Un incident à la livraison: le défaut de présentation du connaissement », Rev. Scapel 2002, p.134 82 T.com. Marseille, 4 Mai 1971, DMF 1972.165 83 R. Rodière, ibid, n°598 84 R. Rodière, ibid, n°551
  • 35. 35 ce délai91 . suffit en réalité que le demandeur établisse la prise en charge, ce qu’il pourra faire par tous moyens d’ailleurs. C’est alors au transporteur d’établir, s’il conteste la perte, qu’il a livré. […] Ce que le transporteur doit d’ailleurs administrer c’est la preuve qu’il a livré au réceptionnaire légitime »85 . Cette observation rappelle les dispositions de l’article 1315 du Code civil : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». On notera ainsi que pour ce qui est des règles du transport maritime, à l’instar de la loi française de 1966, la convention de Bruxelles de 1924 établit une conception objective de la responsabilité du transporteur. C’est donc à ce dernier, actionné par une victime de la fraude qu’est la livraison sans connaissement, de prouver son absence de faute86 . Le destinataire non livré devra donc simplement présenter l’original du connaissement, titre qui fonde son droit sur la marchandise. En effet, « en cas de perte totale et en l'absence de dispositions légales, le destinataire n'a aucune formalité à accomplir. Il doit simplement faire valoir ses droits dans le délai de la prescription »87 . La prescription de l'action en responsabilité contre le transporteur est d'un an (Article 32 de la loi du 18 juin 1966 et article 3§6 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924)88 , qu'elle soit intentée à titre principal ou par voie reconventionnelle89 ; ou encore par l’effet d'une demande d'intervention forcée90 . Si le demandeur ne fait pas la preuve d'une circonstance de nature à lui faire échec, son action n'est pas recevable après expiration de 85 R. Rodière, ibid, n°598 86 Frank Patrick Benham, « Contribution à l’étude de la fraude maritime », Thèse Aix, 1986- 1987, p.379 87 Lamy Transport 2008, tome 2, n°744 88 Art. 32, loi de 1966: « L’action contre le transporteur à raison de pertes ou dommages se prescrit par un an ». Art. 3§6, conv. Bruxelles: « […] le transporteur et le navire seront en tout cas déchargés de toute responsabilité, à moins qu’une action ne soit intentée dans l’année de leur délivrance ou de la date à laquelle elles eussent dû être délivrées ». 89 Com. 18 mars 1970, no 68-14.266, BT 1970, p. 227 90 Com. 11 Décembre 1990, no 89-16.217, Lamyline 91 CA Paris, 27 juin 1975, BT 1975, p. 516
  • 36. 36 Notons que la convention de Hambourg prévoit, quant à elle, en son article 20, un délai de prescription de deux ans92 . Il faudra préciser par ailleurs que, « l'appréciation du caractère total ou partiel de la perte s'apprécie en fonction du réceptionnaire désigné au connaissement, et non en considération de chacun des destinataires finaux de chacune des marchandises »93 . En fin de compte si le transporteur se retrouve dans l’impossibilité de fournir la marchandise promise au titulaire du connaissement, parce qu’ayant livré à un tiers sans qualité, il devra alors l’indemniser pour la perte totale qu’il lui fait subir. B / Le contenu de la réparation La livraison sans connaissement étant considérée comme une perte totale pour le destinataire94 , celle-ci s’analysera le plus souvent en une perte directe ou indirecte. Aussi, le transporteur devra assumer l’indemnisation de toutes les conséquences directes et indirectes de son acte. Il devra surtout au préalable, payer au destinataire, la valeur de la marchandise95 . Ainsi pour ce qui est de la loi française, le transporteur maritime responsable de la perte de la marchandise est tenu d'en payer la valeur déterminée conformément à l'article 28 de la loi du 18 juin 196696 . Ce dernier disposant que « la somme totale due est calculée par référence à la valeur des marchandises au lieu et au jour où elles sont déchargées conformément au contrat, ou au jour et au lieu où elles auraient dû être déchargées ». La livraison sans connaissement peut donc être dangereuse pour son auteur, puisque « si celui qui se prétend être le légitime destinataire s’avère ne pas l’être, le transporteur aura livré à un tiers sans qualité et s’expose à une réclamation du porteur légitime du connaissement…lorsque celui-ci sera enfin arrivé […]. Il est dès lors clair qu’à défaut d’être 92 « Toute action relative au transport de marchandises par mer en vertu de la présente convention est prescrite si une procédure judiciaire ou arbitrale n’a pas été introduite dans un délai de deux ans ». 93 CA Rouen, 28 Février 2002, no 99/04794, WSA Lines c/ Mitsui Osk Lines Ltd, Lamyline 94 R. Rodière, op cit n°551, 95 P. Bonassies et Ch. Scapel, op cit n°1037 96 Com. 8 octobre 1996 n° 94-18.430 Bulletin 1996 IV n° 228 p. 199
  • 37. 37 « Madame Soleil », le transporteur maritime qui remet la marchandise sans connaissement ne pourra que prendre des risques »97 . En outre, l’indemnisation du porteur du connaissement peut parfois être extrêmement lourde, comme l’illustre la fameuse affaire Chawafaty98 . Il faut cependant noter qu’en pratique ce n’est pas toujours le transporteur qui supporte les conséquences de la livraison sans connaissement. En effet, il se prémunira généralement de ces conséquences, en exigeant du réceptionnaire de la marchandise une lettre de garantie bancaire99 . De ce fait, il obtiendra par son recours contre la banque le dédommagement de ce qu’il aura dû payer au titulaire du connaissement. En outre, le transporteur tenu de réparer disposera d’un recours contre le réceptionnaire sans droit100 . Le titulaire du connaissement à qui la livraison n’a pas été faite et qui subit un préjudice en conséquence se retournera donc naturellement vers le transporteur indélicat ; celui-ci étant son premier interlocuteur. § 2 / L’exercice de l’action en réparation Il est acquis que la livraison faite sans présentation du connaissement constitue une faute101 . Nous consacrerons quelques développements sur la nature de cette dernière (A), avant d’identifier les titulaires du droit d’agir en réparation contre le transporteur (B). A / La nature contractuelle de la faute du transporteur L’obligation de livrer la marchandise au port de déchargement contre présentation du connaissement, résulte de ce titre lui-même. La présentation du connaissement fonde le droit à la délivrance du porteur. Ce document atteste de la remise de la marchandise au transporteur. 97 J. Bonnaud, op cit, p.134 98 J. Bonnaud, op cit, p.136 (cf. infra, p. 59) 99 La lettre de garantie au déchargement sera étudiée plus en détail (cf. p. 55) 100 R. Rodière , op cit n°551 101 Cass. 29 Janvier 1991, navire Diana, DMF 1991.357, note R. Achard Cass 9 Juillet 1991, navire Gina’s, DMF 1992.665 P. Y. Lucas, DMF 1988.346
  • 38. 38 Corrélativement, il interdit à ce dernier, toute livraison sans titre102 . Cette prohibition vaut même contre celui qui se prétendrait propriétaire de la marchandise et qui même le démontrerait103 . La violation de la règle de présentation constitue ainsi une faute contractuelle engageant la responsabilité du transporteur maritime104 . En effet, comme l’observe M. le Professeur Bonassies, le transporteur maritime qui émet librement un connaissement, « s’engage à ne remettre la marchandise qu’au porteur du connaissement. En livrant la marchandise sans connaissement, il commet certainement une violation de ses obligations contractuelles. Certains diront une faute, voire une faute inexcusable ou volontaire »105 . La nature contractuelle de la faute est également reconnue par la jurisprudence anglaise106 . Il est donc clair que l’action en réparation intentée contre le transporteur aura surtout pour fondement, la méconnaissance d’une obligation contractuelle : celui de livrer la marchandise en échange du connaissement. En méconnaissant cette obligation il agit à ses risques et périls107 et devra rendre compte aux titulaires du droit d’action en responsabilité. B / Les titulaires du droit d’agir contre le transporteur Commençons par rappeler que le contrat de transport maritime est un contrat tripartite, dans lequel les cocontractants du transporteur sont le chargeur et le destinataire. Ces derniers disposeront donc tout naturellement d’une action contractuelle contre le transporteur en cas de livraison sans connaissement. Toutefois, l’action en réparation n’est pas strictement réservée aux parties au contrat de transport. Ainsi, à côté du destinataire (1) et du chargeur (2), le commissionnaire de transport (3) et l’assureur (4) peuvent également agir contre le transporteur. 102 R. Rodière, op cit n°485 103 CA Aix-en-Provence, 9 Décembre 1958, DMF 1959.735 104 CA Aix-en-Provence, 22 Novembre 2005, BTL 2006, p. 367 105 P. Bonassies in « La lettre de garantie pour absence de connaissement », table ronde organisée par l’IMTM et l’IDIT, 22 Février 1985, p. 4 106 Lord Denning dans l’arrêt « Sze Hai Tong Bank Ltd v. Rambler Cycle Ltd » (1959) AC p. 576 107 Selon l’affirmation de Lord Denning dans l’arrêt précité, p. 586 : “It is perfectly clear law that a shipowner who delivers without production of the bill of lading does so at his own peril”.
  • 39. 39 1/ L’action du destinataire Le destinataire est normalement le titulaire du connaissement. Comme l’indique l’article 49 du décret du 31 Décembre 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritimes, c’est celui dont le nom est indiqué dans le connaissement à personne dénommée (ou nominatif); celui qui présente le connaissement à l’arrivée lorsque ce dernier est au porteur ; il désigne enfin le dernier endossataire dans le connaissement à ordre. Le transporteur qui livre à un tiers sans qualité est exposé à l’action du destinataire. Celui-ci «a le droit d’agir du fait même de son titre ; si on le lui contestait, on ruinerait la valeur donnée au connaissement »108 . C’est en effet en tant que possesseur du connaissement qu’il est à la fois créancier et débiteur du transporteur. Dès lors, ses droits et obligations envers le transporteur ne peuvent dériver que du contrat de transport lequel est constaté par le titre de transport109 . Rappelons que l’action du destinataire, partie au contrat de transport, pour perte de la marchandise, contre le transporteur, est une action contractuelle110 . Il en est ainsi, par exemple de l’action du réceptionnaire inscrit au connaissement à personne dénommée. La Cour de cassation a, en effet, récemment rappelé que, « dans le connaissement à personne dénommée, le destinataire inscrit au connaissement dispose d’un droit d’action à l’encontre du transporteur maritime »111 . Ce droit d’action en question, est incontestable ; il ne suscite d’ailleurs aucune difficulté contrairement par exemple à l’action du destinataire réel, c'est-à-dire celui non mentionné au connaissement. Pendant longtemps, le destinataire réel s’est vu refusé toute action contre le transporteur. Ainsi, même le Doyen Rodière estimait qu’il ne devait pas bénéficier d’une telle action112 . Les choses ont toutefois changé avec l’arrêt Navire Renée Delmas dans lequel la Cour de 108 R. Rodière, op cit n°693 109 Ch. Larroumet, « Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé », Bordeaux, 1968, n° 195, p. 468 110 Com. 1er Avril 2008, Rev. dr. transp. n°5, Mai 2008, comm. 94 111 Cass. 21 Février 2006, BTL 2006.147 112 R. Rodière, op cit n°693
  • 40. 40 cassation précise que « si l'action en responsabilité, pour pertes ou avaries, contre le transporteur maritime, n'appartient qu'au dernier endossataire du connaissement à ordre, cette action est ouverte au destinataire réel lorsque celui-ci est seul à avoir supporté le préjudice résultant du transport »113 . Comme l’observe Monsieur Bonassies, cet arrêt traduit « l’idée que l’on ne doit pas donner du destinataire une définition abstraite, formelle. Le destinataire, ce n’est pas nécessairement celui dont le nom figure sur le connaissement en cette qualité, ou en qualité de « notify ». C’est celui qui, propriétaire de la marchandise au moment où le transport maritime s’achève par la livraison de celle-ci, démontre qu’il est le véritable bénéficiaire du contrat de transport, celui dans l’intérêt duquel toute la construction juridique que réalise un tel contrat a été, en définitive, conçue et édifiée »114 . Ainsi, en cas de livraison sans connaissement, le destinataire non mentionné au connaissement disposera quand même d’une action contre le transporteur s’il supporte seul, la perte totale subie. Cette décision de la Haute juridiction s’inscrit, nous allons le voir, dans le droit fil de la reconnaissance du droit d’action du chargeur. 2 / L’action du chargeur Le droit d’agir en responsabilité contre le transporteur maritime était pendant longtemps étroitement lié à la qualité de destinataire de la marchandise tel que défini par l’article 49 du décret du 31 décembre 1966. Cette conception est cependant aujourd’hui largement dépassée, le droit d’action ne dépendant plus exclusivement du droit à livraison découlant du connaissement. Partie au contrat, le chargeur bénéficie désormais d’une action en responsabilité contre le transporteur. L’action du chargeur a été reconnue par la formation suprême de la Cour de cassation dans son arrêt Mercandia-Transporter II115 . En effet, revenant sur la position adoptée par la 113 Cass. 7 Juillet 1992, DMF 1992.672, obs. P. Bonassies 114 Obs. sous Cass. 7 Juillet 1992, DMF 1992.672 115 Ass. pl. 22 décembre 1989, DMF 1990.29, obs. P. Bonassies ; BTL 1990.27 et 155, obs. M. Rémond-Gouilloud ; JCP 1990.11.21 503, note Ph. Delebecque
  • 41. 41 Chambre commerciale dans un arrêt du 25 juin 1985, l’Assemblée plénière décidait que « si l'action en responsabilité pour pertes ou avaries contre le transporteur maritime n'appartient qu'au dernier endossataire du connaissement à ordre, cette action est ouverte au chargeur lorsque celui-ci est le seul à avoir supporté le préjudice résultant du transport ». Notons que par un arrêt Norberg du 19 Décembre 2000, la cour de cassation n’exige plus la condition d’exclusivité du préjudice. Le chargeur devra simplement démontrer qu’il a subi un préjudice résultant du transport116 . Le transporteur qui livre sans connaissement peut se voir actionné en responsabilité par le chargeur si cette livraison irrégulière lui porte préjudice. Il en sera ainsi en cas de non paiement de la valeur de la marchandise. En effet, le chargeur qui est souvent vendeur de la marchandise transportée voudra souvent se prémunir contre tout risque d’impayé en détenant le connaissement. Ainsi il disposera d’un moyen de pression efficace contre le destinataire, en décidant de ne céder le connaissement que contre paiement. Le vendeur-chargeur sera ainsi garanti que l’acheteur-destinataire sera dans l’obligation de payer pour obtenir remise du connaissement et donc de la marchandise. « Un tel calcul est légitime et ne doit pas être déjoué par une remise de la marchandise sans présentation du connaissement »117 . Il est donc inévitable de se plonger dans le contrat de vente pour apprécier le préjudice du chargeur, et ce malgré le principe d’indépendance des contrats de vente et de transport. Une application stricte de ce principe conduirait en effet à ne jamais l’indemniser ; mais « telle n’est heureusement pas la position des juridictions qui ne peuvent faire autrement que de jauger le préjudice au regard de ses conséquences sur la vente ou un autre contrat »118 . Signalons par ailleurs, que la Cour d’Aix ouvre également au chargeur réel non mentionné au connaissement, le droit d’agir contre le transporteur au motif en l’espèce, qu’il justifiait de sa qualité et qu’il était seul à avoir supporté le préjudice119 . On reconnaît bien là l’empreinte de la jurisprudence Mercandia. 116 Com 19 Décembre 2000, DMF 2001.222, obs. P. Bonassies 117 P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit n°1035 118 M. Tilche, BTL 2008, n°3217 119 CA Aix, 31 Octobre 1991, DMF 1993, p. 147, obs. P. Bonassies
  • 42. 42 La livraison sans connaissement expose ainsi le transporteur, et ce d’autant plus que le droit d’agir en responsabilité contre lui est aujourd’hui largement entendu. 3 / L’action du commissionnaire de transport Le commissionnaire de transport est celui qui agit en son propre nom pour le compte de son commettant. Il est tenu d’une obligation de résultat envers son donneur d’ordre. Etant garant de la bonne arrivée de la marchandise, il est responsable vis-à-vis de ce dernier en cas de perte des biens120 , situation correspondant à la livraison sans connaissement. En effet en matière maritime, le commettant ne peut agir directement contre le transporteur s’il ne figure pas en son nom propre comme destinataire sur le document de transport.121 Il disposera uniquement d’un recours contre le commissionnaire. Rappelons que le commissionnaire de transport conclut le contrat en son nom, celui-ci figurant au connaissement. A ce titre, il doit avoir le droit d’agir contre le transporteur122 . Ce droit lui est d’ailleurs reconnu. Dès lors qu’il est tenu d’indemniser l’ayant droit à la marchandise, il disposera d’une action contre le transporteur. Il sera en effet légalement subrogé dans les droits de la personne qu’il a indemnisée. Cette subrogation légale sera fondée sur l’article 1251, 3° du Code civil lequel dispose que « la subrogation a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au payement de la dette, avait intérêt de l’acquitter ». La cour d’Aix a même admis l’action récursoire exercée contre un transporteur maritime par un commissionnaire qui ne figurait pas au connaissement. Pour les juges aixois, « l’action du commissionnaire à l’encontre de son substitué repose sur un fondement différent du recours de l’ayant droit à la marchandise qui tient ses droits du connaissement ; en ayant passé ses ordres au transporteur et en ayant traité directement avec lui, le commissionnaire dispose à son encontre d’un recours contractuel »123 . 120 Com. 20 Janvier 1998, DMF 1998.578, obs. Ph. Delebecque 121 CA Rouen, 4 mai 2000, DMF 2001.617 122 P. Safa, « Droit maritime », Tome II, éditions juridiques Sader, 1ère éd 2000, n°869 123 CA Aix, 30 mai 1991, DMF 1993, p. 232, note R. Achard
  • 43. 43 Par ailleurs, notons que le commissionnaire de transport pourra invoquer le privilège de l’article L 132-2 du Code de commerce qui lui permet de garantir le paiement de sa commission, de ses frais et avances. Ce privilège peut s’exercer sur les marchandises qu’il détient ou sur les connaissements les représentant124 . Par conséquent, le transporteur qui livre la marchandise sans connaissement réduit à néant ce pouvoir de rétention du commissionnaire. Il devra donc logiquement être sanctionné. C’est ce qu’a décidé le Tribunal de commerce de Marseille dans un jugement du 10 Avril 2007125 . La juridiction consulaire condamne en effet un transporteur qui a livré la marchandise alors que le commissionnaire détenait toujours les originaux du connaissement, privant ainsi ce dernier de son droit de rétention de la marchandise et des moyens pour lui d’obtenir le paiement des dettes qu’il avait enregistrées dans ses comptes vis-à-vis du destinataire. Il est donc clair que le respect de la règle de présentation s’impose plus que jamais ; la livraison sans connaissement pouvant entraîner une multiplication des actions en réparation. Après le destinataire, le chargeur, le commissionnaire de transport, l’assureur de la marchandise se retournera également contre le transporteur. 4 / L’action des assureurs facultés Il est question ici de l’assurance des marchandises transportées. L’objet de la garantie est de couvrir les pertes et dommages matériels de la marchandise. Ainsi, les deux types de contrat que connaît l’assurance facultés, à savoir le contrat tous risque et le contrat franc d’avaries particulières sauf126 , précisent bien en leur article 5 que sont garantis les dommages et pertes matériels subies par les facultés assurées. La livraison à un tiers sans qualité étant considérée comme une perte totale127 , le chargeur ou l’acheteur de la marchandise partie au contrat d’assurance disposera donc d’un recours contre l’assureur. En effet, la Cour de cassation assimile aux « dommages et pertes matériels » 124 P. Bonassies, Ch. Scapel, op cit n°669 125 T. Com. Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007.519 126 Imprimé du 30 Juin 1983, modifié le 16 Février 1990, le 22 Octobre 1998 et le 1er Juillet 2002 127 R. Rodière, op cit, n°551
  • 44. 44 couverts par la police française, la perte totale des marchandises résultant de leur défaut de livraison au destinataire128 . Par ailleurs, même si les polices d’assurance ne visent pas expressément la livraison sans connaissement parmi les risques assurés, les parties peuvent toujours le prévoir comme l’illustre la Haute juridiction dans son arrêt du 13 Mars 2007129 . En l'espèce, le litige a pris sa source dans le fait que des conteneurs ont été remis à un transitaire sur simple présentation à celui-ci de photocopies des connaissements. Or, le transporteur ne peut livrer la marchandise que contre présentation de l’original du connaissement, la seule production d'une photocopie étant insuffisante pour fonder ses droits130 . Rappelant que l'assurance facultés souscrite en l'espèce constituait une assurance dommages, les juges d'appel ont indiqué que le sinistre, pour être pris en charge par les assureurs, devait être la conséquence du transport et non d'un litige purement commercial. Ils ont considéré que la marchandise avait disparu non pas du fait d'un risque garanti mais du fait des relations commerciales entretenues par le vendeur. Leur arrêt fut cependant cassé, la Cour de cassation considérant qu’en retenant, pour que la garantie des assureurs facultés puisse être recherchée, qu’il convenait que le sinistre fût la conséquence du transport et non d’un litige purement commercial, « sans faire aucune référence ni se livrer à aucune analyse des stipulations du contrat d’assurance ni apprécier ces stipulations au regard des règles gouvernant l’assurance maritime et en excluant la garantie sans prendre en compte les règles du transport maritime sous connaissement à ordre », la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. La cour de cassation rappelle à travers cet arrêt que rien ne s’oppose à ce que les parties étendent la garantie à certains risques commerciaux. Le contrat d'assurance est donc susceptible de prévoir la garantie d'un risque commercial par le biais, le cas échéant, d'une clause additionnelle. 128 Com., 3 Février 1998, BTL 1998. 125 129 Com. 13 mars 2007. Rev. Scapel 2007 p.14 / RGDA 2007 p.672 obs. F. Turgné 130 Com. 20 Novembre 1974, Bull. civ. IV, no 295 / CA Paris 31 Mai 1983, D. 1984, IR. 72, obs. Cabrillac
  • 45. 45 Il apparaît ainsi que la conclusion du contrat d’assurance facultés est caractérisée par la grande liberté laissée aux parties. En effet, seuls certains cas dits de « risques exclus absolument » ou « dans tous les cas » le sont réellement. Tout dépendra des besoins commerciaux de l’assuré et des possibilités, sinon du degré de compréhension des assureurs131 . La livraison sans connaissement faisant partie des risques couverts, l’assureur-facultés qui indemnise la victime pourra donc se retourner contre le transporteur maritime, et ce en vertu de l’article L 172-29 du Code des assurances qui dispose que « l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance acquiert, à concurrence de son paiement, tous les droits de l’assuré nés des dommages qui ont donné lieu à garantie ». Il appartiendra ensuite aux juges, de vérifier la réalité du paiement et son caractère obligé132 . Nous voyons ainsi l’ampleur du risque que court un transporteur qui déciderait de bafouer la règle de présentation. Il sera en effet exposé à l’action en réparation de toutes les victimes de la livraison irrégulière. Les conséquences ne s’arrêtent d’ailleurs pas là pour lui puisqu’il court également le risque de se voir privé de la limitation de responsabilité. Section 2 / La déchéance éventuelle de la limitation légale de responsabilité du transporteur La livraison sans connaissement constitue une irrégularité manifeste de la part du transporteur maritime. En bafouant sciemment les prescriptions légales, ce dernier commet une très grave faute. Le caractère inexcusable de cette faute est aujourd’hui communément admis, aussi bien par la doctrine133 , que par la jurisprudence134 . Ainsi, en livrant la marchandise sans exiger la présentation du connaissement, le transporteur commet témérairement une faute tout en ayant conscience de la probabilité du dommage135 . 131 R. Rodière, J. Calais –Auloy, « Droit maritime, assurances et ventes maritimes », Dalloz 1983, n°281 132 P. Bonassies et Ch. Scapel, op cit n°1141 133 M. Tilche, BTL 2002, n°2928, p. 24 134 T. Com Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007.519 135 Ce qui correspond à la définition de la faute inexcusable
  • 46. 46 L’exigence de présentation du connaissement fait partie des règles et usages constants de la profession du transporteur maritime qu’il ne peut ignorer136 . La faute inexcusable entraînant déchéance de la limitation de responsabilité, le transporteur pourra donc être sévèrement sanctionné. Il faudra toutefois nuancer les choses en distinguant les principaux régimes qui gouvernent la faute inexcusable, à savoir celui de la convention de Bruxelles de 1924 (§1), des Règles de Visby de 1968 (§2), de la Convention de Hambourg (§3), et enfin le régime de la loi française (§4). § 1 / Régime de la convention de Bruxelles de 1924 Dans sa version originelle de 1924, la convention de Bruxelles reste muette sur la faute entraînant déchéance de la limitation de responsabilité du transporteur. Il appartenait donc à la jurisprudence de combler ce vide. Aussi, les juges estimèrent qu’aussi bien le dol, que la faute lourde pouvaient priver le transporteur du bénéfice de la limitation. Il a fallu cependant que la Cour de cassation prenne partie ; ce fut fait avec un arrêt du 11 Mars 1960, dans lequel la Haute juridiction précise que seul le dol était susceptible de faire échec à la limitation de responsabilité137 . Elle confirmera d’ailleurs cette position dans un autre arrêt138 . Le dol pouvant être défini comme une faute commise avec l’intention de provoquer un dommage, on pourrait hésiter à qualifier la livraison sans connaissement de faute dolosive. En effet, le transporteur qui livre sans connaissement n’a pas l’intention de provoquer un dommage ; il exigera généralement une lettre de garantie en échange. Par conséquent, si le transport est soumis au régime de la convention de Bruxelles de 1924, le transporteur ne sera pas privé de la limitation de responsabilité, la livraison sans connaissement ne pouvant pas être qualifiée de faute dolosive139 . Quid maintenant de la limitation de responsabilité dans les Règles de Visby ? 136 T. Com. Marseille, 10 Avril 2007, BTL 2007.519 137 Com. 11 Mars 1960, DMF 1960, p. 331 138 Com 30 Janvier 1978, DMF 1978, p. 525 139 H. Ahouandjinou-Djossinou, « Contribution à l’étude des problèmes liés à la délivrance des marchandises dans le transport maritime », Thèse Aix, Octobre 1988, p.156