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UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES
D’AIX – MARSEILLE
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES
CENTRE DE DROIT MARITIME ET DES TRANSPORTS
L’INTRODUCTION DE LA FAUTE INEXCUSABLE EN DROIT DU
TRANSPORT TERRESTRE INTERNE DE MARCHANDISES.
Mémoire pour l’obtention du
Master 2 Professionnel Droit des Transports Terrestres
Par
Anastasia BEX
Sous la direction de M. le Professeur Cyril BLOCH
Année universitaire 2011-2012
2
3
« LE MALHEUR DES UNS FAIT LE BONHEUR DES AUTRES »
« CANDIDE » DE VOLTAIRE
4
REMERCIEMENTS
Je voudrais exprimer ma sincère reconnaissance à Monsieur Le Professeur Cyril Bloch,
pour m’avoir permis de faire partie de cette aventure au sein du CDMT, pour sa
confiance et son enseignement précieux.
J’adresse mes sincères remerciements à tous les intervenants du CDMT qui ont toujours
su nous transmettre leurs passions et leurs savoirs, essentiels pour notre réussite.
A Marjorie Vial, pour son écoute et son amitié très chère qui m’ont permis d’avancer
toute l’année.
Je souhaiterais transmettre toute ma gratitude à Plamena Encheva, Marie-Hélène Pèpe
et Marie-Pierre Herblot pour leur motivation, leur aide et leur présence tout au long de
mon mémoire.
A mon père et à ma mère, en gage de mon amour filial et en modeste hommage de ma
reconnaissance infinie. Sans eux rien n’aurait été possible.
A mes sœurs en témoignage de mes sentiments fraternels.
5
SOMMAIRE
TABLE DES ABREVIATIONS ET DES ACRONYMES ...................................................... 6
INTRODUCTION....................................................................................................................... 7
PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE ...................................................... 17
CHAPITRE I : L’APPRECIATION DE LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE...... 18
SECTION I : LES ELEMENTS CONTITUTIFS DE LA FAUTE INEXCUSABLE ........ 19
SECTION II : L’APPRECIATION IN ABSTRACTO OU IN CONCRETO DE LA FAUTE
INEXCUSABLE........................................................................................................................ 23
CHAPITRE II : L’INTERROGATION SUR L'EFFET POSSIBLE DE LA
MODIFICATION DE LA NOTION DE FAUTE LOURDE EN FAUTE INEXCUSABLE
..................................................................................................................................................... 29
SECTION I : UNE INTERPRETATION PROROGEANT LA NOTION DE FAUTE
LOURDE.................................................................................................................................... 32
SECTION II : UNE INTERPRETATION AMPLIFIANT LA NOTION DE FAUTE
LOURDE.................................................................................................................................... 38
PARTIE II : LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE.............................................. 44
CHAPITRE I : L’ETENDUE DE LA REPARATION DU DOMMAGE EN CAS DE
FAUTE INEXCUSABLE ......................................................................................................... 45
SECTION I : LE PREJUDICE REPARABLE ...................................................................... 46
SECTION II : LE DEPLAFONNEMENT DES LIMITATIONS DE RESPONSABILITE
..................................................................................................................................................... 50
CHAPITRE II : LES CONSEQUENCES DE LA FAUTE INEXCUSABLE SUR LES
AUTRES ACTEURS DU TRANSPORT TERRESTRE....................................................... 55
SECTION I : L’IMPACT SUR LE COMMISSIONNAIRE DE TRANSPORT ................ 56
SECTION II : L’IMPACT SUR LES ASSUREURS............................................................. 59
CONCLUSION.......................................................................................................................... 62
RESUME.................................................................................................................................... 63
ABSTRACT............................................................................................................................... 64
TABLEAU RECAPITULATIF ............................................................................................... 65
ANNEXES.................................................................................................................................. 67
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................... 77
6
TABLE DES ABREVIATIONS ET DES ACRONYMES
Av. J.-C. Avant Jésus-Christ
BTL Bulletin des transports et de la logistique
Bull. Civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
CA Cour d’appel
Cass. Cour de cassation
Cass. Civ Chambre civile de la Cour de cassation
Cass. Com Chambre commerciale de la Cour de cassation
C. aviation Code de l’aviation civile
C. Civ. Code civil
C. Com. Code de commerce
C. Transports Code des transports
CMNI Convention relative au contrat de transport de
marchandises en navigation intérieure
CMR Convention sur le contrat de transport international
de marchandises par route
D. Recueil Dalloz
DMF Revue Droit Maritime Français
DTS Droit de Tirage Spéciaux
Juris. Jurisprudence
Obs. Observation
RCA Responsabilité Civile et Assurances
RD transp. Revue de droit des transports terrestre, maritime et
aérien
RGDA Revue générale du droit des assurances
RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD Com. Revue trimestrielle de droit commercial
T. com. Tribunal de Commerce
7
INTRODUCTION
1. – Historique de la création du transport. – Le transport est par essence lié à
l’Homme. Depuis le début de l’existence de la civilisation et l’invention de
l’agriculture en Mésopotamie vers le VIIIème Millénaire av. J.-C., l’Homme n’a
cessé de découvrir de nouvelles techniques permettant de faciliter sa tâche de
travail. C’est ainsi qu’il a imaginé différents moyens de transport, afin de faire
circuler des denrées d’un point à un autre en échange de nouvelles richesses.
2. – Découverte des différents modes de transport. – Les premiers modes de
transport étaient archaïques (comme le portage humain). Puis, avec l’invention
de la roue et des routes1
, sont nées les toutes premières formes de Commerces.
Mais qu’en est-il du transport maritime ? En effet, à côté de l’apparition des
premiers transports terrestres, l’Homme a toujours été attiré par un élément
mystérieux et dangereux : l’eau. Cela lui a permis d’imaginer les toutes
premières embarcations rudimentaires, dès la Préhistoire, comme les pirogues
creusées dans un tronc d’arbre ou les canoës en peau. Toutefois, ce n’est qu’avec
les peuples méditerranéens, à partir de 2500 av. J.-C., qu’ont été construit les
premiers navires de mers2
, capables de réaliser de plus longues distances. Ce
mode de transport, toujours perçu comme risqué, a alors permis l’essor du
Commerce comme au XVIIIème siècle avec le « Commerce triangulaire » entre
l’Europe, l’Afrique et les Amériques. La découverte de l’hélice 3
au XVIème
siècle et la Révolution Industrielle au XIXème siècle, engendrent de grands
changements dans le monde des transports. Le bateau à vapeur remplace le
bateau à voile. La locomotive remplace les chevaux. L’automobile voit le jour
avec l’invention du moteur à explosion et des pneumatiques. A cela s’ajoute
l’étude des engins volants, et au XXème siècle les premiers avions commencent
à voler. Aussi, l’Homme a découvert trois modes de transport distincts tout au
1
Nous prenons pour exemple : la voie Appienne qui fut une voie romaine commencée vers 312 av. J.-C.
et la Route de la soie qui fut un réseau routier chinois dès le XIème siècle av. J.-C., la plus longue du
monde pendant deux mille ans.
2
Comme les illustres chantiers navals des Phéniciens et les galères grecques et romaines ou encore les
premiers navires égyptiens.
3
Découverte par Léonard de Vinci.
8
long des siècles avec le transport maritime, aérien et terrestre, ce dernier faisant
l’objet d’une répartition tripartite avec le transport routier, ferroviaire et fluvial.
3. – Développement du transport. – Le transport est avant tout un moyen
permettant le déplacement des marchandises d’un endroit à un autre contre le
paiement d’une somme d’argent. Aussi, toutes ces découvertes favorisent le
développement des échanges économiques et culturels. On se déplace plus vite,
plus loin et on transporte plus de marchandises. A ces échanges, il faut trouver
un moyen d’éviter les conflits entre les différents acteurs économiques. C’est
pourquoi, il semble nécessaire de réglementer de manière importante ces
différents modes de transport. Toutefois, étant apparus et ayant évolué à des
rythmes différents, les transports ont un cadre juridique qui n’est pas toujours
unifié.
4. – Évolution du cadre juridique vers l’unification du droit des transports. –
Le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les transports a fait l’objet de
nombreuses adaptations, étant donné les changements massifs que ces transports
ont subis. Néanmoins, encore aujourd’hui, les transports évoluent
continuellement, entrainant l’élaboration de règles plus claires et prévisibles
pour les utilisateurs. Cela se vérifie avec la loi du 8 décembre 2009 relative à
l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et portant diverses
dispositions relatives aux transports. En effet, cette loi, qui met en évidence la
substitution de la faute lourde au bénéfice de la faute inexcusable en cas de
responsabilité du transporteur terrestre, a notamment pour objet l’unification des
règles des différents modes de transport. Pourtant, que signifie ce changement de
faute ?
5. – Hiérarchie des fautes dans le système juridique français. – Le droit des
transports est un droit faisant l’objet d’une réglementation particulière.
Toutefois, il reste soumis aux principes généraux du droit commun et en
particulier à la théorie générale des contrats et des obligations. Un contrat,
conclu entre deux ou plusieurs personnes, crée des obligations, plus ou moins
essentielles, à l’encontre des parties à ce contrat. Si ces obligations ne sont pas
remplies, on pourra engager la responsabilité de la partie qui n’a pas exécuté ces
9
engagements. Il s’agira, ici, d’une responsabilité contractuelle, où la faute est
recherchée afin que la partie lésée obtienne réparation de son préjudice du fait de
l’inexécution de ses obligations par l’autre partie, à l’inverse de la responsabilité
délictuelle, où seule l’étendue du dommage compte pour obtenir réparation,
insensiblement à toute gravité de faute. Le droit commun a, dès lors, mis en
place une hiérarchie des fautes, de la moins à la plus intense, graduant, ainsi, la
responsabilité des parties au contrat. Il y a cinq catégories de fautes : la faute
légère, la faute lourde, la faute inexcusable, la faute intentionnelle et le dol. La
faute en son sens générique est l’« attitude d’une personne qui par négligence,
imprudence ou malveillance ne respecte pas ses engagements contractuels »4
.
La faute légère peut-être vue comme un manque de diligence sans conséquence
importante, ou comme ne pas se conduire comme l’aurait fait « un bon père de
famille » dans la même situation. Ainsi, celle-ci n’entrainera presque jamais de
droit à réparation pour le créancier de l’obligation inexécutée.
La faute lourde va s’analyser comme un « acte grave, une négligence grossière
que l’homme le moins averti ne commettrait pas »5
. Celle-ci, considérée comme
équipollente au dol jusqu’au 8 décembre 2009 en droit des transports terrestres,
donne droit à réparation à son auteur s’il prouve l’existence de cette faute
lourde.
La faute inexcusable est définie dans l’article L.133-8 C. com. comme « la faute
délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son
acceptation téméraire sans raison valable ». Cette définition est particulière au
droit des transports terrestres. Néanmoins, l’idée motrice reste la même dans
tous les domaines où elle est retenue. En droit des transports, cette faute
inexcusable permet de faire tomber les plafonds de limitations de responsabilité.
En effet, le transporteur faisant l’objet d’une obligation de résultat, la
réglementation a mis en place des limitations de responsabilité afin de
rééquilibrer l’étendue des responsabilités entre les parties aux vues de leurs
obligations respectives.
Enfin, la faute intentionnelle et la faute dolosive se rejoignent dans la notion de
mauvaise foi. Elles vont permettre de neutraliser les limitations de responsabilité
prévues par le transporteur à l’encontre des autres parties au contrat de transport.
4
Lexique des termes juridiques, 15e
édition, Dalloz.
5
Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3ème
éd., 2003, p.35, n°57.
10
La faute intentionnelle est vue comme une faute délibérée commise avec
l’intention de nuire, l’idée de causer un dommage à quelqu’un. Le dol ou faute
dolosive est quant à lui défini comme un comportement malhonnête avec l’idée
de sciemment manquer à ses obligations.
Ces différentes fautes sont apparues au fil des siècles et leur terme définitif s’est
développé en droit français par le biais du Code civil et de la Jurisprudence.
6. – Naissance de la notion de la faute inexcusable en droit français. – La
qualification de faute inexcusable est propre à certains régimes spéciaux de
responsabilité, la faute lourde étant plus répandue en droit commun des contrats
et des obligations. Cette faute va jouer dans trois domaines : les accidents du
travail, les accidents de la circulation et le droit des transports6
. Toutefois, la
faute inexcusable a pénétré dans l’ordre juridique français par l’entremise de la
loi du 9 avril 1898 sur l’indemnisation des accidents du travail. Après avoir
longtemps hésité entre une approche subjective, la rapprochant de la faute
intentionnelle, et une approche objective, la rapprochant de la faute lourde, la
Cour de cassation a défini la faute inexcusable le 15 juillet 1941 comme suit :
« la faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission
volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de
l’absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d’un élément
intentionnel de la faute visée au paragraphe 1 de la loi du 9 avril 1898 ». Cette
définition jurisprudentielle met en avant des aspects subjectifs et objectifs,
permettant ainsi de graduer la faute inexcusable entre la faute lourde et la faute
intentionnelle. Toutefois, depuis une trentaine d’année, la jurisprudence a
progressivement atténué l’aspect subjectif de la faute inexcusable, la
rapprochant, dorénavant, de la faute lourde de droit commun. L’article L 452-1
du Code de la Sécurité Sociale dispose que la faute inexcusable de l’employeur
ou de ses substitués donne à la victime de l’accident, la possibilité de recevoir
des indemnisations plus élevées7
. En effet, en l’absence de faute inexcusable ou
intentionnelle, la victime ne recevra qu’une réparation forfaitaire, l’idée étant
que l’accident constitue un risque de la profession. Toutefois, si l’employeur
6
C. Larroumet, Les obligations, Le contrat, Economica, Tome III, 6ème
éd., p. 679, n°624 ; Ph. Malaurie,
L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3ème
éd., 2003, p.35, n°58.
7
P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 298, n°430.
11
commet une faute inexcusable ou intentionnelle, alors la réparation sera
intégrale. D’ailleurs, des arrêts très récents, du 4 avril 2012 rendus par la
deuxième chambre civile de la Cour de cassation, permettent d’avoir un tableau
des différentes indemnités venant s’ajouter aux prestations, mentionnées dans le
livre IV du Code de la Sécurité Sociale, au bénéfice de la victime elle-même,
pour les accidents du travail ordinaires8
. Désormais, l’employeur commet une
faute inexcusable à l’égard du salarié s’il manque à son obligation de sécurité de
résultat, c’est-à-dire lorsqu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour
préserver son employé d’un danger dont il avait conscience. La Cour de
cassation instaure ainsi une sorte de « présomption de faute inexcusable » qui
aboutit à faire de l’exception (la réparation intégrale), le principe.
C’est de cette évolution jurisprudentielle que le droit du transport s’est inspiré
depuis que cette faute inexcusable est devenue la cause de déchéance du
transporteur de son droit à limiter sa responsabilité.
7. – Apparition de la notion de la faute inexcusable en droit des transports. –
Les Conventions Internationales, régissant la responsabilité civile du
transporteur aérien ou encore du transporteur maritime, ont adopté la notion de
faute inexcusable et par là-même, ont contraint la France à retenir cette notion
comme équipollente au dol privant son auteur de la possibilité de se prévaloir
des atténuations ou exonérations de responsabilité. C’est avec le Protocole de La
Haye de 1955 modifiant la Convention de Varsovie de 1929, pour l’unification
de certaines règles relatives au transport aérien international, que la notion de
faute inexcusable est apparue pour la toute première fois en droit des transports.
La notion va être reprise en droit maritime avec la Convention de 1961 sur le
transport maritime de passagers et avec le Protocole de 1968 sur le transport de
marchandises9
. Le Droit des transports terrestres, le plus tardif, va reprendre
cette notion avec la loi du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la
régularisation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives
aux transports. Depuis 2009, tous les modes de transports vont vers une
unification du principe de responsabilité du transporteur, tant sur le plan national
que sur le plan international. Toutefois, reste encore à appréhender quel mode
8
Responsabilité civile et assurances – Revue mensuelles LexisNexis Jurisclasseur – juin 2012.
9
P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 298, n°430.
12
d’interprétation va être choisi, en droit interne, pour chacun de ces modes de
transport10
. Étudions brièvement la notion de faute inexcusable en droit aérien,
en droit maritime puis en droit des transports terrestres.
8. – La faute inexcusable en droit du transport aérien. – La notion de faute
inexcusable est apparue le 28 septembre 1955 avec le protocole de La Haye. Ce
protocole définit cette notion de manière très précise afin d’éviter que les
tribunaux de chaque État partie à la Convention de Varsovie et au Protocole de
La Haye interprètent la faute « équivalente au dol » différemment. Ainsi, cette
définition proposée par le major Beaumont et le doyen Chauveau, a pour objectif
de mettre fin aux discussions et divergences d’application antérieures. En effet,
l’idée première était de viser une faute particulièrement grave. Néanmoins,
chaque juridiction des États parties avait sa vision de la « faute particulièrement
grave ». Il a donc fallu préciser, de manière à favoriser l’unification du principe
de responsabilité du transporteur du point de vue international, la notion de
« faute particulièrement grave » afin de rendre son interprétation plus prévisible
pour les parties, quel que soit le tribunal qui se saisit de l’affaire. Il en ressort
alors que « les limites de responsabilité ne s’appliquent pas s’il est prouvé que
le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur ou de ses
préposés fait, soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit
témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement ».
Le droit français, qui avait repris la Convention de Varsovie de 1929 pour
l’élaboration de son Code de l’Aviation Civile, a proposé une définition de la
faute assimilable au dol comme « Est inexcusable la faute délibérée qui
implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation
téméraire sans raison valable » ; le protocole de La Haye n’étant pas encore
entré en vigueur et ne modifiant pas encore l’article 25 de la Convention de
Varsovie. Dès lors, l’article L 321-4 C. aviation, est plus stricte car il ajoute
deux éléments de preuve supplémentaires pour anéantir les limitations de
responsabilité du transporteur : la « faute délibérée » et l’absence de « raison
10
Appréciation in concreto ou in abstracto ; Nous étudierons cette question au cours de la Partie I,
Chapitre I de ce mémoire.
13
valable »11
. La Convention de Montréal du 28 mai 1999, entrée en vigueur le 4
novembre 2003 et le 28 juin 2004 en France, exclut les plafonds de limitation de
responsabilité du transporteur de marchandises en cas de faute inexcusable et
augmente ces plafonds afin que les États-Unis, qui les trouvaient bien trop
faibles à l’époque de la Convention de Varsovie, restent dans le système
international en matière d’aviation. Le transporteur ne peut pas se prévaloir de
limitations conventionnelles de réparation en dessous de 113 000 DTS12
, sauf en
cas de faute de la victime. Toutefois, pour tout dommage supérieur à 113 000
DTS, il peut limiter ou exclure sa responsabilité sauf en cas de faute
inexcusable. Ainsi, en cas de décès ou de blessures graves, la victime ou ses
ayants-droit bénéficieront d’une indemnisation de 113 000 DTS, si l’accident se
produit pendant le vol ou pendant les opérations d’embarquements et de
débarquements, et s’il n’est pas causé par un fait de la victime.
Le droit aérien a permis d’ancrer la notion de faute inexcusable pour la première
fois en droit des transports car, peu de temps après l’élaboration de la définition
de cette faute par le protocole de La Haye, le droit maritime a suivi.
9. – La faute inexcusable en droit du transport maritime. – Le droit maritime
comme les autres droits des transports a toujours été préoccupé par
l’établissement de la faute inexcusable dans le régime de responsabilité du
transporteur. C’est avec la Convention de 1961 sur le transport maritime de
passagers et avec le Protocole de 1968 sur le transport de marchandises que la
dénomination de la faute inexcusable apparaît en droit des transports maritimes.
L’institution de la faute inexcusable permet à la victime de bénéficier de
l’exclusion des plafonds de limitation de responsabilité mis en place légalement
pour le transporteur, ou conventionnellement par le transporteur afin de rendre
plus équitable le contrat entre les parties, sachant que le transporteur, une fois
11
Ph. Delebecque, « limitation de responsabilité et faute inexcusable du transporteur aérien », RD transp.,
Mars 2007, p. 75 (obs. sous l’arrêt de la CA Paris du 16 novembre 2006).
12
DTS : droit de tirage spécial, le Fond Monétaire International (FMI) a élaboré une monnaie
internationale qui reprend le cours de 4 monnaies (dollar, euro, livre sterling, yen) afin de déterminer le
montant des indemnisations.
14
qu’il prend la garde de la marchandise, dispose d’une obligation de résultat13
de
déplacer la marchandise au lieu prévu par le contrat.
Aussi, la première convention maritime, la Convention de Bruxelles du 25 août
1924 portant sur l’unification de certaines règles en matière de connaissement,
n’avait pas prévu la possibilité de faire échec au principe de limitation de
responsabilité des transporteurs maritimes. Dès lors, le droit interne, qui reprend
les principes dictés par la Convention de 1924, ne fait référence qu’au dol
comme moyen pour faire basculer les limites en matière de responsabilité du
transporteur maritime. Ainsi, ce n’est seulement qu’avec le protocole du 23
février 1968 qu’il est fait référence à la faute inexcusable en matière de transport
maritime de marchandise. Ce protocole a pour particularité de modifier la
grande Convention de Bruxelles de 1924, et de permettre à la faute inexcusable
de s’ancrer définitivement dans l’institution des règles de responsabilité en droit
maritime international. En droit français, la notion de faute inexcusable apparaît
plus tardivement. Il faut attendre la loi du 23 décembre 1986 pour que le droit
interne se rallie à l’ordre juridique international. On arrive à une harmonisation
du droit interne et international en transport maritime comme avec le droit
aérien. Qu’en est-il en droit du transport terrestre ?
10. – La faute inexcusable en droit du transport terrestre. – Pendant très
longtemps, le droit du transport terrestre est resté la seule branche du droit des
transports qui se référait à la faute lourde comme équivalente au dol, à l’inverse
du droit aérien et maritime qui préconisait la faute inexcusable comme
équipollente au dol, comme nous l’avons vu précédemment. La loi du 8
décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des transports
ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, a opéré cette
harmonisation en remplaçant la notion de faute lourde par la notion de faute
inexcusable en droit des transports terrestres interne et international. L’article
13
L’obligation de résultat est une obligation en vertu de laquelle le débiteur est tenu d’un résultat précis.
Le transporteur de marchandise s’engage envers le créancier à déplacer la marchandise d’un endroit à un
autre. « L’existence d’une telle obligation permet au créancier de mettre en jeu la responsabilité de son
débiteur par la simple constatation que le résultat promis n’a pas été atteint, sans avoir à prouver une
faute ». Ainsi, si le transporteur ne respecte pas ses obligations prévues par le contrat de transport alors, le
créancier de ces obligations pourra engager la responsabilité du transporteur sans qu’aucune faute n’ait
besoin d’être prouvée. Néanmoins, pour que ce créancier bénéficie de l’exclusion des limitations de
responsabilité, prévues par ce même contrat, il faudra qu’il prouve une faute dolosive ou équivalente au
dol comme la faute inexcusable.
15
L.133-8 C. Com. énonce désormais que « Seule est équipollente au dol la faute
inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la
faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son
acceptation téméraire sans raison valable. Toute clause contraire est réputée
non écrite. ». Notre étude a pour mission de comprendre cette substitution de
concept : dans quelle mesure le changement de la faute lourde en faute
inexcusable en droit des transports terrestres va-t-il avoir un impact sur la
responsabilité du transporteur et ces limitations de responsabilité ?
11. – Contrat de transport. – On peut évidemment transporter des marchandises
mais aussi des personnes, et ce déplacement va faire l’objet d’un contrat. Le
contrat de transport de marchandises est un contrat commercial, matérialisé par
un document, qui varie selon les modes de transports, puis selon les types de
marchandises transportées. Ces différents documents de transport ont été mis en
place afin de faire la preuve de l’existence du transport et des parties
contractantes ; des obligations vont naître à l’encontre des parties à ce contrat
synallagmatique à titre onéreux. Il peut s’agir d’un contrat bipartite ; toutefois,
pour le transport de marchandises, il s’agit la plupart du temps, d’un contrat
tripartite entre l’expéditeur, le transporteur et le destinataire14
. Le transporteur
fait l’objet d’une responsabilité de plein droit qui est atténuée par la mise en
place de plafonds de limitations de responsabilité sauf en cas de dol ou de faute
inexcusable de sa part.
12. – Délimitation du sujet. – Notre étude consiste à l’introduction de la faute
inexcusable en droit du transport terrestre interne de marchandises et de ce fait,
le transport de voyageurs ne sera pas envisagé. Pour expliquer convenablement
cette notion nous nous attacherons principalement au transport routier interne de
marchandises en évoquant seulement très brièvement le transport ferroviaire et
fluvial sachant que les règles sont similaires pour ces deux autres modes de
transport terrestre et en étudiant rapidement les distinctions en droit
international. De plus, la prescription, les moyens de preuve et la non
rétroactivité de la loi du 8 décembre 2009 seront entendus tout au long de ce
14
Article L 132-8 du Code de Commerce.
16
mémoire mais ne feront pas l’objet d’une étude complète. Enfin, les causes
exonératoires de responsabilité telle que la force majeure, le vice propre de la
marchandise et les faits de l’expéditeur ou du destinataire ne seront pas
envisagées dans la mesure où il s’agit pour le transporteur d’échapper à sa
responsabilité. En effet, le transporteur titulaire d’une obligation de résultat fait
l’objet d’une responsabilité de plein droit très lourde aussi, pour rétablir
l’équilibre contractuel celui-ci bénéficie de limitations de responsabilité. Ce
n’est qu’en cas de faute inexcusable du transporteur qu’il y aura un
déplafonnement de ces limitations de responsabilité entraînant alors une
réparation intégrale du préjudice. Mais qu’elle est cette faute inexcusable
capable d’exclure ces plafonds de réparation ?
13. – Plan. – La faute inexcusable s’est substituée à la faute lourde en droit des
transports terrestres. Par conséquent, pour comprendre cette notion et son impact
sur la responsabilité du transporteur nous allons diviser notre étude en deux
parties.
Dans une première partie, nous allons nous intéresser à la notion de faute
inexcusable qui est une nouveauté en droit des transports terrestres (PARTIE I).
Plus précisément, nous allons étudier les éléments constitutifs de la faute
inexcusable et les deux appréciations judiciaires dont elle peut faire l’objet
(CHAPITRE I) ainsi que l’effet possible que va entraîner cette mutation de la
faute lourde en faute inexcusable (CHAPITRE II).
Dans une seconde partie, nous analyserons les conséquences de la mise en place
d’une telle notion (PARTIE II) et, plus particulièrement, ses effets sur la
réparation du dommage (CHAPITRE I) et sur les acteurs autres que le
transporteur en droit des transports terrestres (CHAPITRE II).
17
PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE
14. – Appréhension de la notion de faute inexcusable. – La victime de
l’inexécution d’une obligation essentielle du contrat devra prouver l’existence
d’une faute inexcusable du transporteur pour que celui-ci soit privé des plafonds
de limitations de responsabilité qui s’appliquent normalement. L’inexécution
d’une obligation essentielle et la faute par son auteur sont ainsi désolidarisées en
matière de responsabilité contractuelle du transporteur depuis les arrêts
Chronopost15
. Dès lors, le simple fait que le transporteur n’exécute pas son
obligation essentielle n’entraîne pas pour celui-ci la privation de ses limitations
contractuelles de responsabilité. Il faut, en effet, apprécier l’existence d’une
faute du transporteur et seule la faute inexcusable aura l’effet escompté par la
victime de supprimer les limitations de responsabilité. En effet, depuis la loi du
8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des transports
ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, nous
constatons une harmonisation de la responsabilité des transporteurs quelque soit
le mode de transport. Ainsi, la faute lourde qui permettait l’exclusion des
limitations de responsabilité du transporteur terrestre se voit remplacer par la
faute inexcusable. Il s’agit alors, dans un premier temps, d’apprécier la notion de
faute inexcusable (CHAPITRE I) pour comprendre, dans un second temps,
l’effet possible que ce changement de faute va entraîner sur les acteurs du droit
des transports terrestres (CHAPITRE II).
15
Jurisprudence Chronopost : La Chambre Commerciale de la Cour de cassation le 22 octobre 1996 est
appelée à statuer sur le retard d’un colis Chronopost faisant l’objet entre le débiteur de l’obligation et le
créancier de l’obligation d’un contrat-type transport de messagerie de moins de trois tonnes. La Cour de
cassation, pour rendre son attendu, s’appuie sur la théorie générale des obligations qui dispose que toutes
clauses qui contreviennent à une obligation essentielle sont réputées non écrites. En effet, selon le droit
commun, la faute lourde est retenue du seul fait qu’on n’exécute pas son obligation essentielle. Dès lors,
les clauses limitatives de responsabilité sont facilement réputées non écrites. La doctrine annonce
immédiatement son opposition à cette décision, arguant qu’il s’agit d’un contrat type de messagerie,
c’est-à-dire un contrat très spécial qui ne relève pas de la théorie générale des obligations mais de la LOTI
(loi pour l’organisation des transports intérieurs du 30 décembre 1982). La Chambre Mixte du 22 avril
2005 opère un revirement de jurisprudence et applique les dispositions de la LOTI qui énonce que les
clauses limitatives de responsabilité ne sont réputées non écrites que si l’obligation essentielle n’est pas
exécutée ET qu’il y a une faute lourde (c’est-à-dire une faute d’une particulière gravité relevant que le
débiteur n’est pas un professionnel digne de ce nom) ou une faute dolosive du transporteur. La Chambre
Mixte adopte une conception subjective de la faute lourde : « la faute lourde de nature à mettre en échec
la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul manquement à une
obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du
débiteur ». Ainsi, il est dorénavant bien plus difficile de faire échec aux limitations de responsabilité
prévues dans les contrats-type en droit des transports, et d’autant plus depuis la loi du 8 décembre 2009
qui remplace la faute lourde par la faute inexcusable du transporteur terrestre.
18
CHAPITRE I : L’APPRECIATION DE LA NOTION DE FAUTE
INEXCUSABLE
15. – Généralité sur l’appréciation de la faute inexcusable. – Le transport est
une science en plus d’être un moyen de commerce. Il y a des règles et des
applications. Aussi, comme le disait François Rabelais dans son illustre ouvrage
« Pantagruel » : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». De la
même manière, exercer un transport sans respecter les consignes, conduit à
l’accomplissement d’une faute inexcusable. Celle-ci fait l’objet d’une définition
particulière en droit français. Ainsi, il s’agit de mettre en lumière les éléments
constitutifs de la faute inexcusable (Section I), afin de comprendre la difficulté
d’appréciation des juges (Section II).
19
SECTION I : LES ELEMENTS CONTITUTIFS DE LA FAUTE
INEXCUSABLE
16. – Le lien causal entre la faute et le dommage. – En droit des transports
comme en droit commun des contrats, il faut qu’il existe un lien de cause à effet
entre la faute et le dommage, c’est-à-dire que le dommage doit résulter de la
faute du débiteur. Ce lien causal entre les deux éléments est souvent très difficile
à prouver. Toutefois, sans cela, il n’y a aucun droit à réparation. Le créancier
aura donc le devoir de prouver ce lien de causalité par tout moyen (puisque le
contrat de transport est un contrat commercial où la preuve est libre) pour réussir
à faire « sauter » les limitations de responsabilité contractuelle et obtenir la
réparation intégrale de son préjudice. En droit des transports terrestres, le
créancier devra établir l’existence d’une faute inexcusable depuis la loi n° 2009-
1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des
transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports.
L’article L.133-8 du C. Com. énonce par conséquent que : « Seule est
équipollente au dol, la faute inexcusable du voiturier et du commissionnaire de
transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la
probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ». On
déduit de cette définition quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable que
nous allons étudier l’un après l’autre : la faute délibérée (« je décide de faire ma
coupure ici »), l’existence de la probabilité du dommage (« je peux me faire
voler dans cette rue obscure »), l’acceptation téméraire (« après tout, on verra
bien ») et l’absence de raison valable (« c’est près de ma maison »)16
.
17. – La faute délibérée. – La faute délibérée implique une intention et apparaît,
dès lors, plus grave qu’une simple faute lourde. Cependant, la faute inexcusable
n’est pas une faute intentionnelle : elle comporte simplement un élément
intentionnel, c’est-à-dire que le débiteur a connaissance de l’inexécution de son
obligation sans pour autant vouloir, du fait de cette inexécution, nuire
intentionnellement au créancier ; il n’a pas l’intention de créer un dommage. Le
16 Marie Tilche, « sans raison valable », BTL n°3336, 2010.
20
débiteur commet une faute délibérée en se sens qu’il n’exécute pas son
obligation ou qu’il prend un risque engendrant la possibilité qu’il ne puisse plus
exécuter son obligation. Prenons l’exemple d’un vol de marchandises. Un
chauffeur laisse son camion rempli de marchandises dans une rue sans aucune
surveillance afin de rentrer chez lui. Le lendemain, la marchandise a disparu et il
se voit incapable d’exécuter son obligation de livraison de marchandises. Nous
savons pourtant que le transporteur est gardien de la marchandise tout au long de
son obligation contractuelle dès lors qu’il a pris en charge cette marchandise. Il
en découle que le transporteur a le devoir de délivrer la marchandise dans le
même état et dans la même quantité que lors de sa prise en charge. Aussi, suite
au vol de cette marchandise, le transporteur a commis une faute en prenant un
risque délibérée (il a pris la décision de laisser le camion sans surveillance) de ne
pas pouvoir livrer la marchandise conformément à son obligation contractuelle.
Encore faut-il que le créancier prouve que le débiteur avait conscience de la
probabilité du dommage.
18. – La conscience de la probabilité du dommage. – Le créancier doit prouver
que le débiteur avait conscience qu’un dommage pouvait résulter de
l’inexécution de son obligation. C’est l’idée selon laquelle le débiteur avait
connaissance des risques qu’il pouvait y avoir du fait de cette inexécution.
Toutefois, comment prouver ce dont un Homme a conscience ou non ? On ne
peut que la supposer ! C’est à ce moment précis qu’interviennent les juges. En
effet, cet élément constitutif de la faute inexcusable est sans aucun doute le plus
difficile à apprécier. Les juges, pour ce faire, vont soit opter vers une approche
subjective (c’est-à-dire qu’ils vont tenir compte des aptitudes personnelles du
débiteur sans référence à ce qu’aurait été le comportement normal d’une
personne prudente et réfléchie), soit vers une approche objective (c’est-à-dire
que les juges tiennent uniquement compte de ce qu’aurait fait un bon père de
famille dans la même situation)17
. Aussi, cette conscience de la probabilité du
dommage s’appréciera au cas par cas en tenant également compte des autres
éléments constitutifs.
17
Ces deux approches sont étudiées plus en détail dans la Section II de ce même chapitre.
21
19. – L’acceptation téméraire. – Cet élément se déduit du précédent. En effet, il
faut que le débiteur ait conscience du risque et qu’il l’accepte. C’est-à-dire que
le débiteur décide en connaissance de cause de contrevenir à son obligation
malgré le risque qui peut en résulter. Le débiteur consent au risque
imprudemment : « l’obstination du transporteur à agir de telle manière qu’il en
découlera un dommage, alors qu’il pouvait ou devait avoir conscience du
danger » 18
. Prenons un exemple concret pour expliquer cette notion
d’acceptation téméraire. Un pilote d’avion exerce un trajet de courte distance
entre deux îles. Le temps est orageux et ses instruments de bord ne sont pas aussi
fiables qu’à l’ordinaire. Il décide de perdre de l’altitude pour descendre en
dessous des nuages et se retrouve dans l’eau suite à un mauvais calcul. On
imagine bien qu’il avait connaissance, en sortant de sa ligne et de l’altitude
recommandée, du risque de se retrouver en face d’un élément incontrôlable et
pourtant il décide quand même de descendre en dessous des nuages sans savoir
ce qui l’attend. Il a bien accepté témérairement un risque alors qu’un dommage
pouvait arriver. C’est cette preuve qu’il faut que le créancier établisse.
20. – L’absence de « raison valable ». – Il s’agit alors, une fois les autres éléments
démontrés, de prouver que le débiteur a pris un risque sans raison valable. C’est-
à-dire que pour que la faute inexcusable soit retenue, il faut que le débiteur ait eu
le choix de prendre ou non ce risque. En effet, si le débiteur s’est retrouvé dans
une impasse, comme en cas de force majeure, alors celui-ci n’aura pas commis
de faute. Néanmoins, s’il prend le risque de manière illégitime et sans que cela
soit nécessaire, alors il commet une faute. L’ignorance de la nature de la
marchandise ou encore l’ignorance des dangers que peuvent engendrer certains
stationnements peut être une raison valable pour un chauffeur routier de s’arrêter
afin de respecter les règlementations de temps de conduite et de repos de sa
profession19
. Le créancier aura donc la tâche difficile d’apporter les éléments de
preuves permettant de justifier que le débiteur a agit sans raison valable.
21. – L’association des éléments constitutifs de la faute inexcusable. – Ces
quatre éléments que nous venons d’expliquer sont le fondement même de la
18
A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies : Economica, 2ème
éd., 1998, n°366, p. 272.
19
Bulletin des Transports et de la Logistique – n° 3336 – 18 octobre 2010 p. 590.
22
définition de la faute inexcusable. Ils sont indissociables les uns des autres et
doivent tous être démontrés pour que la faute inexcusable soit retenue devant les
juridictions. En effet, le créancier doit apporter la preuve de la faute inexcusable
en prouvant l’existence de ces quatre critères, toutefois, c’est au juge que revient
la lourde tâche d’apprécier ces éléments afin de retenir ou non la faute
inexcusable et les conséquences que celle-ci va provoquer sur les limitations de
responsabilité du transporteur. Le juge pourra soit étudier ces éléments selon une
approche objective (in abstracto) soit selon une approche subjective (in
concreto).
23
SECTION II : L’APPRECIATION IN ABSTRACTO OU IN
CONCRETO DE LA FAUTE INEXCUSABLE
22. – Etude des deux notions. – Dès que l’on parle de faute, il est fait référence à
l’appréciation « in concreto » et à l’appréciation « in abstracto ». La faute
inexcusable n’échappe pas à la règle. Tandis que l’une des appréciations fait
pencher la notion de faute inexcusable vers une équivalence de ses effets à ceux
de la faute dolosive (« in concreto »), l’autre appréciation la fait pencher vers
une équivalence de ses effets à ceux de la faute lourde (« in abstracto »). Mais
que signifient réellement ces deux notions ?
§1 : Vers l’étude de l’appréciation « in abstracto »
23. – Définition de l’appréciation « in abstracto ». – Avec l’appréciation
objective, on ignore tous les aspects personnels de l’auteur de la faute pour ne
consacrer qu’une analyse comparative de son comportement à celui qu’aurait du
avoir un bon professionnel dans les mêmes circonstances20
. Dès lors, la faute
inexcusable aura un champ d’application bien plus large, puisqu’on ne
s’intéressera pas seulement au fait que la personne responsable a conscience de
la probabilité du dommage et qu’elle l’accepte témérairement mais on
s’intéressera aussi à ce qu’elle aurait du faire en tant que bon professionnel.
24. – Appréciation plus favorable pour l’ayant-droit à la marchandise. – De
cette analyse, on comprend qu’il sera alors plus simple de la part du créancier de
l’obligation de prouver l’existence de la faute inexcusable, puisque les juges
s’attacheront à deux critères. D’abord à la conscience qu’aurait dû avoir le
transporteur puis, à ce qu’aurait fait un bon professionnel dans les mêmes
circonstances. La faute inexcusable du transporteur sera ainsi plus facilement
admise, entraînant alors le déplafonnement des limitations de responsabilité du
transporteur, qui se verra contraint de réparer le préjudice de l’ayant-droit à la
marchandise dans son intégralité.
20
P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 299, n°431.
24
25. – Cas d’application de l’appréciation « in abstracto » en droit du transport
maritime. – Il semble que les juges tendent, depuis un arrêt du 5 décembre
1967, vers une conception objective de la faute inexcusable. En effet, dans cet
arrêt, la Cour de cassation relevait que cette faute « devait être appréciée
objectivement »21
. Dès lors, la jurisprudence est constante et apprécie la faute
par rapport à ce qu’aurait fait une personne normalement avisée et prudente.
Prenons l’arrêt « Teleghma » du 7 janvier 1997 : « attendu que l’arrêt constate...
que la tempête essuyée par le navire était prévue, puisque les services
météorologiques faisaient état de risques de vents de force 11 sur la Provence et
donc de risques pouvant être localement supérieurs en mer, que le matériel de
« saisissage », même correctement utilisé, n’excluait la possibilité d’un
désarrimage que pour des vents de force 8 à 9, à condition de faire des choix
parfaitement judicieux de route et de vitesse en fonction des circonstances ;
qu’ainsi, ayant en outre retenu que le transporteur maritime ne pouvait ignorer
les conditions dans lesquelles il avait exécuté le contrat, la Cour d’appel a
suffisamment caractérisé, au regard des critères légaux, la faute ne permettant
audit transporteur d’invoquer ni la clause contractuelle exonératoire ni la
limitation de responsabilité prévue par l’article 28 de la loi du 18 juin 1996 »22
.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation met bien en avant la conception objective de
la faute inexcusable, puisqu’elle prend clairement en compte ce qu’un bon
professionnel aurait dû faire dans les mêmes circonstances pour appuyer sa
décision « ayant en outre retenu que le transporteur maritime ne pouvait
ignorer les conditions dans lesquelles il avait exécuté le contrat ». Dès lors, le
transporteur maritime se voit strictement sanctionné, cela l’empêchant de
bénéficier des limitations de responsabilité mises en place dans le contrat. En
droit maritime, l’armateur ou le transporteur maritime doivent toujours respecter
les règles nautiques et agir en toute sécurité, car même s’ils n’avaient pas
complètement conscience de la probabilité du dommage, les juges considèrent
qu’aux vues des éléments entrainant le dommage, ils ne pouvaient pas ignorer le
risque. Ainsi, on étudie plus le comportement que la psychologie du
21
P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 299, n°431.
22
G. de Monteynard « Responsabilité et limitation en droit des transports », Rapport, Cour de cassation,
Documentation française, 2002, p. 247.
25
transporteur, ce qui est évidemment bien plus simple et moins protecteur pour
celui-ci.
26. – Cas d’application de l’appréciation « in abstracto » en droit du transport
aérien. – En droit aérien, comme vu précédemment pour le droit maritime, les
juges ont une approche objective de la faute inexcusable. Dans un arrêt de la
Chambre commerciale de la Cour de cassation du 14 mars 1995, il s’agit d’un
problème de remise de colis de devises à son destinataire, transporté par voie
aérienne. La Cour d’appel a ainsi écarté la faute inexcusable du transporteur
aérien : « le service Fret d’Orly, qui a été informé de la présence de valeurs en
soute, a pu légitimement penser que celles-ci avaient été retirées en dessous de
l’avion par la société de protection, comme c’est l’usage et comme cela aurait
dû se passer, si la société expéditrice avait correctement rempli sa mission,
qu’aucune faute grave ne peut être reprochée à Air Inter à l’arrivée de l’avion
dans la zone de vérification du fret, disposé en vrac dans des chariots tractés
vers le poste de coordination, lui-même situé dans une zone protégée ». En effet,
la Cour de cassation estime que : « alors qu’elle relevait qu’à l’arrivée de
l’avion, aucune mesure de sécurité n’avait été prise par la société Air Inter pour
assurer la conservation du colis sur la valeur duquel son attention avait été
spécialement attirée, ce dont il résultait que ce transporteur aérien ne pouvait
ignorer le dommage probable qu’il faisait courir au colis en le traitant comme
un colis ordinaire, la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses
constatations et a violé le texte susvisé ». Pourtant, même si le transporteur
aérien connaissait la valeur de la marchandise, avec une approche subjective les
juges auraient tenté de s’assurer de la conscience du transporteur qu’un
dommage arrivera certainement. Le fait que l’usage ait toujours été le même et
qu’aucun autre dommage n’ait été constaté aurait sans doute joué en faveur du
transporteur. La déclaration de la valeur du colis et la prévisibilité du dommage
ont néanmoins été des éléments moteurs de l’appréciation objective des juges de
cassation, permettant de retenir une faute inexcusable. Toutefois, les
transporteurs étant presque continuellement responsables d’une faute
inexcusable, la jurisprudence revient peu à peu vers une approche subjective.
26
§2 : Vers l’étude de l’appréciation « in concreto »
27. – Définition de l’appréciation « in concreto ». – Avec l’appréciation
subjective, on s’attache essentiellement à tous les aspects personnels de l’auteur
de la faute, c’est-à-dire sans référence à ce qu’aurait été le comportement normal
d’une personne prudente et réfléchie. Dès lors, la faute inexcusable aura un
champ d’application bien plus restreint puisqu’on s’intéressera seulement à la
certitude que la personne responsable a conscience de la probabilité du
dommage et qu’elle l’accepte témérairement.
28. – Appréciation plus favorable pour le transporteur. – De cette analyse, on
comprend qu’il sera alors plus complexe de la part du créancier de l’obligation
de prouver l’existence de la faute inexcusable, puisque les juges ne s’attacheront
qu’au critère de la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation
téméraire par le transporteur. La faute inexcusable du transporteur sera ainsi plus
difficilement admise, permettant alors la continuité du plafonnement des
limitations de responsabilité du transporteur, qui se verra seulement demander
de réparer le préjudice de l’ayant-droit de la marchandise à hauteur de ces
limites prévues dans le contrat.
29. – Cas d’application de l’appréciation « in concreto » en droit du transport
maritime. – Récemment, la Cour de cassation a tenu compte dans sa décision de
la témérité et de la conscience de la probabilité du dommage à travers un arrêt de
la chambre commerciale du 7 février 2006, dit « Touggourt », nous conduisant à
considérer que la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence. En
l’espèce, le transporteur maritime était incapable d’expliquer les circonstances
de la disparition du conteneur qu’il n’a pas pu livrer et dont il avait pris la
charge. La Cour de cassation estime que la seule perte de la marchandise durant
le transport n’est pas une faute inexcusable privant le transporteur des
limitations de responsabilité prévues dans le contrat : « le transporteur bénéficie
de la limitation dès lors qu’il n’a pas été établi que son comportement procède
d’un acte ou d’une omission qui a eu lieu témérairement ». On ne peut toutefois
s’empêcher de remarquer que la Cour de cassation garde un point de repli en
27
gardant la notion du « comportement » dans son attendu. La doctrine reçoit ce
changement avec enthousiasme23
ou ahurissement24
. Ici, le doute bénéficie au
transporteur, permettant de penser qu’il sera plus difficile de faire « sauter » les
limitations de responsabilité prévues dans le contrat de transport en matière
maritime. Mais qu’en est-il du droit aérien ?
30. – Cas d’application de l’appréciation « in concreto » en droit du transport
aérien. – Là encore, récemment, la Cour de cassation, dans un arrêt de la
chambre commerciale du 21 mars 2006, opère un revirement de jurisprudence
de la conception de la faute inexcusable en matière aérienne comme elle l’a
aussi fait en matière maritime. En l’espèce, il s’agit d’une société (expéditeur)
qui confie un pli contenant son offre pour la construction de différentes
structures autoroutières à une société spécialisée de messagerie rapide
(transporteur) pour l’acheminement de ce pli par avion. Ce pli est remis un jour
après la date limite de dépôt des offres au destinataire. L’expéditeur assigne le
transporteur en réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance
d’obtenir le marché. La Cour de cassation est alors amenée à se prononcer sur la
constitution ou non d’une faute inexcusable du transporteur. Dans son attendu, la
Cour adopte une approche subjective dans l’interprétation de la faute
inexcusable du transporteur tenant compte de la preuve que le transporteur avait
certainement conscience ou non de la probabilité du dommage : « n’était pas
prouvé par la lettre de voiture ou tout autre document que la société DHL
International savait qu’un retard de livraison d’une journée priverait la société
Gallego de la possibilité de participer à l’appel d’offre et lui causerait le
préjudice dont cette dernière demande réparation… ». Pour le moment, la Cour
de cassation semble revenir peu à peu vers une approche subjective. Toutefois,
le revirement ne sera complet qu’une fois que les juges cesseront de tenir
23
RTD com. 2006, p. 521, obs. P. Delebecque.
24
DMF 2006, p. 516, obs. M. Remoud-Gouilloud : « Bien que la disparition du conteneur litigieux « ne
permette pas la qualification de comportement téméraire » de la part du transporteur, l’arrêt d’appel,
respectueux de la jurisprudence consacrée, n’en relève pas moins que ce fait démontre une
inorganisation de sa part, la disparition « pouvant s’expliquer par un acte frauduleux des personnes dont
il répond, ou par une livraison à un autre destinataire ». Du coup l’on vient à s’interroger sur l’impunité
bénéficiant à la négligence grossière d’un professionnel témoignant « d’une incapacité à remplir sa
fonction ». On voit mal, du reste, pourquoi l’accumulation, négligences et imprudences, n’est pas
sanctionnée à ce titre, alors qu’elle seule explique l’inorganisation dommageable ». Sur ce point nous ne
rejoignons pas l’avis de M. Remoud-Gouilloud qui apparaît comme contraire au principe selon lequel en
cas d’absence de preuve ou ne peut punir un individu pour une faute qu’il n’a pas commise.
28
compte du comportement que le débiteur aurait dû avoir et privilégieront le côté
psychologique du transporteur.
31. – L’étendue des deux appréciations possibles en droit des transports
terrestres. – Le problème avec l’appréciation objective, c’est que l’on n’essaie
pas de savoir si le transporteur avait conscience de la probabilité du dommage
comme le confère la loi et le retient l’approche subjective. En effet, les juges
s’appliquent seulement à constater que les transporteurs auraient dû avoir
conscience qu’un dommage en résulterait probablement. Or, les deux approches
sont diamétralement différentes. Pour l’une, il s’agit concrètement d’apporter la
preuve de la connaissance certaine du dommage par le transporteur, tandis que
pour l’autre, il s’agit simplement d’apporter la preuve de l’hypothèse de la
connaissance du dommage par le transporteur. Il est donc primordial, d’avoir en
tête cette distinction, les décisions étant alors plus ou moins protectrices pour le
transporteur. C’est essentiellement ce que nous allons tenter de mettre en
lumière dans l’étude de cette seconde section quant au droit des transports
terrestres et au changement qui vient d’intervenir avec la loi du 8 décembre 2009
passant d’une faute lourde vers une faute inexcusable. Ainsi, les juges vont-ils
être tentés d’interpréter la faute inexcusable d’une façon objective, ne
l’éloignant que très peu de la notion de faute lourde, ou bien vont-ils prendre le
risque de s’aventurer vers une interprétation subjective de la faute inexcusable
entrainant alors un revirement complet dans la matière ?
29
CHAPITRE II : L’INTERROGATION SUR L'EFFET POSSIBLE DE
LA MODIFICATION DE LA NOTION DE FAUTE LOURDE EN
FAUTE INEXCUSABLE
32. – L’enjeu du changement de notion. – Pour bien comprendre l’enjeu d’un tel
changement, il faut savoir qu’en matière de transport, le transporteur a une
obligation de résultat à l’encontre des autres parties au contrat. Dès lors qu’il
réceptionne la marchandise, il en a la garde jusqu’à sa livraison avec la bonne
quantité, en bon état, au bon endroit, au bon moment et au bon destinataire. Sa
tâche est très lourde ; ainsi pour rendre la charge des obligations des parties
acceptable, la loi a mis en place des plafonds de limitations de responsabilité
permettant au transporteur de supporter plus équitablement le risque qu’il
encourt. Si l’ayant-droit de la marchandise estime que la nature de la
marchandise est trop importante pour ce contenter des plafonds de limitations de
responsabilité prévus par la loi, alors il aura le choix de faire une déclaration de
valeur ; celle-ci aura pour effet de permettre l’augmentation de l’indemnité de
l’ayant-droit en cas de manquement du transporteur sur la marchandise. Si elle
n’est pas prévue, en cas de manquement du transporteur à son obligation de
résultat, la victime de cette inexécution devra prouver la faute inexcusable de
celui-ci pour faire obstacle aux plafonds de limitations de responsabilité et se
faire rembourser l’intégralité de son préjudice. Avant 2009, la faute lourde était
la référence pour écarter les limitations de responsabilité prévues
conventionnellement ou règlementairement entre le transporteur terrestre et
l’ayant-droit de la marchandise. Avec l’arrivée de la faute inexcusable en droit
des transports terrestres, harmonisant alors tous les modes de transports, les
juges ont la tâche difficile d’interpréter cette faute de la manière la plus juste
possible. C’est pourquoi, il est important de voir l’effet possible qu’aura un tel
changement en matière de transport terrestre puisqu’une appréciation subjective
protégera plus le transporteur qu’une approche objective bien que dans les deux
cas sa protection sera renforcée.
30
33. – Interprétation de la faute lourde. – La faute lourde est une notion datant du
droit romain. A cette époque déjà, les romains avaient considéré que la faute
lourde était équipollente au dol : « culpa lata dolo aequiparatur ». Cette notion,
tout comme la faute inexcusable, peut-être interprétée objectivement ou
subjectivement. Aussi, la faute lourde va être retenue, dans une approche
objective, par le simple fait que le débiteur ne remplit pas son obligation
essentielle. On s’attache alors à la conscience que l’auteur aurait dû avoir de la
cause du dommage par rapport au caractère essentiel de l’obligation25
. Pour bien
comprendre l’étendue d’une telle interprétation, prenons l’exemple de la
Chambre Commerciale de la Cour de cassation le 22 octobre 1996 qui est
appelée à statuer sur le retard d’un colis Chronopost faisant l’objet entre le
débiteur de l’obligation et le créancier de l’obligation d’un contrat-type transport
de messagerie de moins de trois tonnes. La Cour de cassation, pour rendre son
attendu, s’appuie sur la théorie générale des obligations qui dispose que toutes
clauses qui contreviennent à une obligation essentielle sont réputées non écrites.
En effet, selon le droit commun, la faute lourde est retenue du seul fait qu’on
n’exécute pas son obligation essentielle. Dès lors, les clauses limitatives de
responsabilité sont facilement réputées non écrites. Toutefois, dans une approche
subjective, comme le rappel la Jurisprudence Chronopost de 2005, la faute
lourde va être retenue en appréciant la gravité du comportement de l’auteur,
c’est-à-dire qu’on va s’attacher à sa conscience effective26
. En effet, la doctrine
annonce immédiatement son opposition à la décision rendue par la Cour de
cassation le 22 octobre 1996 27
, arguant qu’il s’agit d’un contrat type de
messagerie, c’est-à-dire d’un contrat très spécial qui ne relève pas de la théorie
générale des obligations mais de la LOTI (loi pour l’organisation des transports
intérieurs du 30 décembre 1982). Ainsi, la Chambre Mixte du 22 avril 200528
opère un revirement de jurisprudence et applique les dispositions de la LOTI qui
énonce que les clauses limitatives de responsabilité ne sont réputées non écrites
que si l’obligation essentielle n’est pas exécutée ET qu’il y a une faute lourde
25
A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies : Economica, 2ème
éd., 1998, n°382, p. 280.
26
A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies : Economica, 2ème
éd., 1998, n°382, p. 280.
27
Cass. Ch. Com, 22 oct. 1996, n° 93-18.632, Bull 1996 IV n° 261, p. 223.
28
Cass. Ch. Mixte, 22 avr. 2005, n° 02-18.326 et 03-14.112, JCP G 2005 II, 10066, obs. G. Loiseau ;
RDC 2005, p. 681, obs D. Mazeau et p. 753, obs P. Delebecque ; Dr & patr. 2005, n°141, p. 36, obs. G.
Viney ; JCP E 2005, n°40, p.1446, obs. Paulin Ch. ; H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 – juin
2006 », D. 2007, p. 111.
31
(c’est-à-dire une faute d’une particulière gravité relevant que le débiteur n’est
pas un professionnel digne de ce nom) ou une faute dolosive du transporteur. La
Chambre Mixte adopte une conception subjective de la faute lourde : « la faute
lourde de nature à mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue par le
contrat-type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation
contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du
comportement du débiteur ». On retient alors qu’il est dorénavant bien plus
difficile de faire échec aux limitations de responsabilité prévues dans les
contrats-types en droit des transports.
34. – Généralité sur l’effet possible de la modification de la notion de faute
lourde en faute inexcusable. – Il est facile de comprendre qu’en matière de
transports terrestres, les juges retiennent la conception « in concreto » de la faute
lourde pour faire échec aux plafonds de limitation de responsabilité ; aussi, il
s’agit d’étudier la jurisprudence relative à cette faute et d’envisager ces
illustrations à la lumière de la faute inexcusable pour nous permettre d’apprécier
si un changement significatif va affecter la matière. Ainsi, cette interprétation de
la faute inexcusable peut aller, soit vers une prorogation de la notion de faute
lourde (Section I), soit vers une amplification de la notion de faute lourde
(Section II).
32
SECTION I : UNE INTERPRETATION PROROGEANT LA
NOTION DE FAUTE LOURDE
35. – Premier effet possible du changement de notion. – La notion de faute
inexcusable, comme nous l’avons vu précédemment, s’attache à quatre éléments
constitutifs telle la faute délibérée (1), impliquant la conscience de la probabilité du
dommage (2), son acceptation téméraire (3), sans raison valable (4). Aussi, on en
déduit que si les juges penchent vers une approche « in abstracto » de la faute
inexcusable alors il n’y aura pas de réel changement dans la matière puisqu’ils
s’intéresseront essentiellement à la possibilité que l’auteur ait eu conscience de la
probabilité dommage qu’il a causé et qu’il l’a acceptée témérairement. Pour cela, les
juges se réfèreront à ce qu’aurait dû faire un bon professionnel dans la même
situation comme en matière de faute lourde. Dans cette hypothèse, les juges
éloigneront très peu leurs jugements de ceux déjà rendus en matière de faute lourde.
Toutefois, il y a un risque que les juges continuent à penser comme ils le faisaient
auparavant avec la faute lourde, entraînant conséquemment un amalgame entre les
éléments constitutifs des deux notions de faute lourde et inexcusable. L’arrêt de la
Cour d’appel de Paris du 15 mars 201229
en est un exemple. Dans cette affaire, un
expéditeur fait appel à un voiturier pour la prise en charge de sa marchandise de
moins de trois tonnes. Lors du déchargement, la marchandise tombe causant des
avaries. La faute inexcusable du commissionnaire et du voiturier est retenue, le
premier n’ayant pas averti le second des dimensions de la machine et le second
n’ayant prévu aucun moyen de manutention adapté lorsqu’il a pris en charge la
marchandise, alors que dans les envois de moins de trois tonnes, le chargement et le
déchargement de la marchandise sont à la charge du transporteur. Il y a deux
critiques dans cette décision rendue par les juges de second degré. La première étant
que la faute inexcusable ait été évoquée et retenue alors même que les faits étaient
antérieurs à la loi du 8 décembre 2009 et que la loi n’a pas d’effet rétroactif30
. La
seconde étant le mélange de notions de faute lourde et de faute inexcusable. En
effet, dans la décision, les juges parlent d’incurie du transporteur et du
29
Arrêt de la Cour d’appel de Paris, Pôle 5, ch. 5, du 15 mars 2012, Transports Petit contre Panalpina,
BTL 2012 n°3406.
30
Article 2 du Code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir ».
33
commissionnaire et retiennent, de ce fait, la faute inexcusable : « Que le défaut de
moyen de déchargement adapté aux caractéristiques de la marchandise confiée
démontre l’incurie tant du commissionnaire qui, d’une part, a été informé des
caractéristiques du chargement et les a dûment constatées et qui, d’autre part, a
néanmoins eu recours à un autre transporteur sans prévoir de prestation annexe
pour le déchargement, que de ce dernier qui, également professionnel du transport,
a accepté de le réaliser sans avoir de moyens adaptés ; Qu’il s’ensuit que tant le
commissionnaire que le voiturier ont chacun commis une faute inexcusable excluant
l’application des clauses limitatives de responsabilité ». Comme nous l’avons
précédemment indiqué, la faute inexcusable, pour être retenue, doit faire l’objet de
la preuve des ses quatre éléments constitutifs définis par l’article L 133-8 du Code
de Commerce. Or, ici les juges se servent du critère de la faute lourde (l’incurie)
comme élément de preuve de la faute inexcusable. Néanmoins, il ne faut pas faire
d’un arrêt une généralité et il faut espérer que les juges de cassation ne feront pas les
mêmes erreurs. La jurisprudence en matière de faute inexcusable étant presque
inexistante, il s’agit de mettre en lumière les solutions qui pourraient prochainement
voir le jour en transposant à la faute inexcusable les exemples jurisprudentiels déjà
proclamés pour des cas de faute lourde.
36. – Transposition de notions. – La jurisprudence relative à la faute lourde est très
abondante. En matière de contentieux, depuis la loi du 8 décembre 2009, elle se
déplace sur le terrain de la notion de faute inexcusable. Celle-ci, théoriquement plus
grave que la faute lourde, devrait entraîner une diminution des cas où la faute du
transporteur sera retenue pour anéantir les plafonds de limitations de responsabilité.
Il est néanmoins possible que les juges retiennent des décisions presque semblables
à celles qu’ils développaient jusqu’à présent en matière de faute lourde. Essayons de
comprendre cette hypothèse en imaginant ce que pourrait être l’interprétation
objective de la faute inexcusable par les juges, en analysant cette faute au regard des
illustrations jurisprudentielles abondantes de fautes lourdes :
34
a. Dans l’affaire exposée à la cour d’Appel d’Orléan le 10 juin 201031
, un
expéditeur confie l’acheminement de sa marchandise à un
commissionnaire, qui lui-même la confie à un transporteur. En l’espèce,
il s’avère que le transporteur choisi par le commissionnaire est « un
chauffeur intérimaire inexpérimenté toxicomane et connu des services de
police ». Le chauffeur se fait voler la marchandise sous sa garde et avoue
par la suite avoir laissé le camion sans surveillance avec les clés sur le
contact. Les juges retiennent l’incurie du transporteur et du
commissionnaire puisque la cherté de la marchandise ne pouvait être
ignorée et qu’aucun renseignement sur le chauffeur intérimaire n’avait
été demandé avant que le commissionnaire ne lui confie l’acheminement
de la marchandise. De quelle manière les juges pourraient-ils interpréter
les quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable, du point de vue
de l’appréciation « in abstracto », dans cette affaire ?
Pour ce qui est du critère de la faute délibérée, si on se met à la place du
chauffeur, il est aisé d’imaginer que les juges retiendront ce premier
critère à l’encontre du transporteur, dans la mesure où il a laissé son
véhicule sans surveillance et en laissant les clés sur le contact. On peut
facilement comprendre qu’il a eu connaissance de l’inexécution de son
obligation dans cette hypothèse.
Concernant les critères de la conscience de la probabilité du dommage et
de son acceptation téméraire, le fait que le transporteur ait laissé son
véhicule sans surveillance avec les clés sur le contact permettrait aux
juges de conclure que celui-ci aurait du avoir conscience du dommage
qui pouvait résulter de son acte, et qu’il a accepté celui-ci témérairement.
Toutefois, d’un point de vue subjectif, on imagine aisément que les juges
auraient retenu que le chauffeur était un intérimaire inexpérimenté, ne
pouvant vraisemblablement pas avoir une telle connaissance,
anéantissant dès lors la certitude qu’il avait conscience de la probabilité
du dommage.
31
CA Orléans, 10 juin 2010 ; SA TAT Express et HG Transport contre Sté Chartis Europe, BTL 2010
n°3330.
35
Enfin, quant au critère de l’absence de raison valable, il semble évident
que le fait de livrer une marchandise sur la voie publique n’oblige en
aucun cas le chauffeur à laisser les clés sur le véhicule.
En l’espèce, les juges auront certainement tendance à accepter
l’existence des éléments constitutifs de la faute inexcusable, sachant
qu’il s’agissait de matériel Hi-fi vidéo très convoité et de grande valeur.
b. La cour d’Appel de Rennes du 29 novembre 201132
se voit confier une
affaire relative à l’acheminement de parfums de luxe. En l’espèce, le
transporteur stationne durant la nuit sur la bordure d’une route nationale
sans verrouiller son camion. Les juges du fond retiennent la faute lourde,
alors même que le chauffeur s’était endormi à bord (ce qui peut paraître
sévère), en estimant qu’en dormant celui-ci ne pouvait pas garder
convenablement son véhicule. Que pourrait-il en être au jour de la faute
inexcusable ?
Si on examine les critères de la faute inexcusable, l’absence de
verrouillage du véhicule et de stationnement protégé nous amène à
penser que les juges auraient facilement retenu le critère de la faute
délibérée. De plus, le chauffeur ne pouvait ignorer qu’un vol de
marchandise pouvait résulter de son absence de précaution. Dans tous les
cas, il aurait dû avoir conscience de la probabilité du dommage et
pourtant, il prend quand même ce risque : il accepte témérairement ce
danger sans prendre en compte le risque encouru par la marchandise de
valeur. Enfin, le critère de l’absence de raison valable peut toutefois être
invoqué à décharge, sachant que le droit des transports routiers fait
l’objet d’une réglementation sociale très stricte quant aux temps de
conduite et de repos des transporteurs. Néanmoins, il est aisé d’admettre
qu’un transporteur a l’occasion de trouver un endroit plus sûr qu’une
bordure d’autoroute pour prendre son repos quotidien de onze heures. Il
est donc possible que les juges retiennent la faute inexcusable dans une
situation similaire.
32
CA Rennes, ch. 3, 29 nov. 2011 ; Covéa Fleet et a. contre Axa Corporate, BTL 2012 n°3395.
36
c. La Cour d’appel de Dijon du 29 mai 201233
est saisie d’une affaire de vol
de bijoux dans des entrepôts. En l’espèce, alors que le dernier chauffeur
quitte son service, des malfaiteurs entrent dans les locaux et dérobent une
partie de la marchandise entreposée. Ils entrent sans commettre
d’effraction et sans déclencher le système d’alarme, ce qui laisse
supposer que les malfaiteurs étaient dûment renseignés sur les systèmes
de sécurité mis en place dans l’entrepôt. De plus, cette situation met en
lumière des circonstances aggravantes puisque des vols avaient déjà été
commis et le donneur d’ordre avait demandé la mise en place de
techniques de sécurité plus élaborées. Or, le transporteur s’était
seulement contenté de remplacer les clés de l’entrepôt, ce qui n’était
effectivement pas suffisant en de telles circonstances. Les juges du fond
retiennent la faute lourde du transporteur dans la mesure où il s’est fait
voler la marchandise à deux reprises dans ses locaux sans avoir remédié
aux systèmes de sécurité obsolètes n’ayant pu déjà empêcher le
précédent vol. Comment pourrait-on juger cette affaire sous l’empire de
la faute inexcusable ?
Le fait que le site était mal protégé et qu’aucune mesure n’ait été mise en
œuvre pour y remédier démontre naturellement que le transporteur a
commis une faute délibérée. De plus, le fait que le site ait déjà été visité
une première fois par les malfaiteurs permet de démontrer que le
transporteur aurait dû avoir conscience qu’une seconde visite était
probable ; et en ne prenant pas de mesure adéquate pour y remédier, on
peut penser qu’il a accepté témérairement ce risque. Enfin, le
transporteur n’avait aucune raison valable de ne pas protéger le site de
manière plus soutenue. Aussi, il est fort probable que dans une hypothèse
similaire, les juges du fond, avec une approche objective, tendraient à
reconnaître la faute inexcusable.
37. – Conséquences de l’interprétation « in abstracto » de la faute inexcusable
par les juges. – On sait que la loi du 8 décembre 2009, qui a intensifié la notion
de faute du transporteur en changeant la faute lourde en faute inexcusable, avait
33
CA Dijon, 29 mai 2012 ; SA MATY contre SAS TCS ; BTL 2012 n°3419.
37
pour but d’unifier tous les modes de transports et de restreindre les cas où les
transporteurs seraient privés des plafonds de limitations de responsabilité. Aussi,
une approche objective de la faute inexcusable par les juges amoindrirait
l’avantage qu’ont les transporteurs de garder leur limitation de responsabilité
intacte, puisque les critères constitutifs de la faute inexcusable seraient plus
facilement admis. Aussi, un impact moins fort rejaillira dans la matière des
transports terrestres dans la mesure où les victimes d’une faute d’un transporteur
ne verront pas disparaître leur chance de faire « sauter » les limitations de
responsabilité du jour au lendemain. C’est ce que montrent les exemples ci-
dessus de faute lourde puisqu’on remarque qu’il y a de forte chance pour qu’une
faute inexcusable soit également reconnue par les juges qui exerceraient une
approche objective. Il s’agit maintenant de savoir quelles seraient les
conséquences d’une approche subjective de la faute inexcusable par les juges ?
38
SECTION II : UNE INTERPRETATION AMPLIFIANT LA
NOTION DE FAUTE LOURDE
38. – Second effet possible du changement de notions. – Si les juges penchent
vers une approche « in concreto » de la faute inexcusable, alors il y aura un réel
changement dans la matière puisqu’ils ne relèveront pas la faute inexcusable du
transporteur tant qu’ils n’auront pas la certitude que celui-ci avait conscience de
la probabilité dommage et qu’il l’a accepté témérairement. Dans cette
hypothèse, les juges s’attacheront à l’essence même du texte juridique,
favorisant la protection des transporteurs jusqu’alors trop facilement
condamnables sous l’empire de la faute lourde à payer l’intégralité du préjudice.
En prenant des exemples jurisprudentiels déjà proclamés de la faute lourde, nous
allons nous essayer au jeu de la transposition avec la faute inexcusable afin de
voir quelles seraient les conséquences d’une interprétation subjective des juges.
39. – Transposition de notions. – Pour éviter l’excès des « forum shopping »34
et
protéger la responsabilité des transporteurs trop fréquemment jugés responsables
de la commission d’une faute lourde35
entraînant la réparation intégrale de tous
les préjudices justifiés, même non prévisibles, la loi sévit en imposant le preuve
d’une faute inexcusable du transporteur par l’ayant-droit de la marchandise. En
matière de contentieux, la loi se déplace alors sur le terrain de la notion de la
faute inexcusable. Celle-ci, théoriquement plus grave que la faute lourde, devrait
ainsi entraîner une diminution des cas où la faute du transporteur sera retenue
pour anéantir les plafonds de limitations de responsabilité. Essayons d’imaginer
34
Les « forum shopping » correspondent à la « Possibilité pour une partie de saisir les tribunaux des
pays appelés à rendre la décision la plus favorable à son intérêt ». Aussi, les transporteurs avaient
tendance à saisir les tribunaux des pays qui retenaient la notion de faute inexcusable pour éviter de voir
exclure leur limitation de responsabilité alors que les ayants-droit à la marchandise avaient plutôt
tendance à choisir les tribunaux des pays que reconnaissaient la notion de faute lourde comme
équipollente au dol pour faire échec à ces plafonds de responsabilité des transporteurs.
35
La notion de faute lourde est trop facilement admise (8 fois sur 10). Le stationnement dans des parkings
non sécurisés, le vol de produits coûteux et l’irrespect de la règlementation sociale sont autant d’éléments
ayant entraîné la volonté de changer la notion de faute lourde en faute inexcusable. En effet, l’équation
entre les marchandises coûteuses et le vol, qui entraînait à coup sûr la reconnaissance de la faute lourde
du transporteur victime, était devenue trop injuste.
39
cette hypothèse et ce que pourrait être l’interprétation subjective de la faute
inexcusable par les juges en analysant cette faute au regard des illustrations
jurisprudentielles abondantes de fautes lourdes :
a. La Chambre Commerciale le 10 juillet 201236
a retenu la faute lourde du
transporteur qui s’est assoupi au volant de son véhicule entraînant un
manquant et des dommages sur la marchandise. Du matériel scientifique
doit être acheminé de Lyon à Wissenbourg. Le donneur d’ordre demande
au transporteur de livrer la marchandise dans un temps déraisonnable et
celui-ci l’accepte. Ayant effectué un repos insuffisant, celui-ci s’assoupit
et perd le contrôle de son véhicule entraînant le renversement de la
marchandise. La Cour de cassation retient l’incurie du transporteur, en
s’attachant à l’origine du comportement du conducteur. En effet, celui-ci
n’aurait pas dû accepter des délais déraisonnables. Envisageons par
simulation l’arrêt au jour de la faute inexcusable :
Pour que la faute inexcusable soit retenue, il faut que la victime prouve
les quatre éléments constitutifs de cette faute.
Aurait-il pu y avoir faute délibérée du transporteur ? On peut en douter
dans la mesure où le transporteur a reçu la consigne d’acheminer la
marchandise dans un temps record, sans que cela ne relève de sa volonté.
Aurait-il pu avoir conscience de la probabilité du dommage ? Là encore,
selon une approche subjective, il n’y a aucune certitude que le
transporteur ait eu cette conscience. En effet, n’ayant commis aucune
infraction à la réglementation sociale, on ne peut prouver
raisonnablement la certitude de la conscience du transporteur qu’il allait
s’assoupir. Quant à l’acceptation téméraire du risque par le transporteur,
celle-ci est impensable aux vues de l’espèce.
Enfin, le transporteur aurait-il pu avoir une raison valable de ne pas se
reposer suffisamment ? Il semble que le transporteur avait en effet une
raison valable de ne pas se reposer suffisamment, puisque la marchandise
devait être acheminée dans un délai très court sur demande du donneur
36
Cass. Com., 10 juillet 2012, Sté Transal contre DHL Holding et a., BTL 2012 n°3423.
40
d’ordre. Le transporteur aurait évidemment pu refuser ce délai ; toutefois
il aurait pu perdre un client.
Que ce manque de diligence relève de la faute lourde se conçoit, mais
qu’il relève de la faute inexcusable, sûrement pas au regard de
l’appréciation subjective. Aussi, la faute inexcusable va certainement
permettre, au grand soulagement des transporteurs et de leurs assureurs,
d’amoindrir les cas où la faute de transporteur sera reconnue pour faire
sauter les plafonds de limitations de responsabilité.
b. Le Tribunal de Commerce de Nanterre le 7 décembre 200937
énonce
que : « commet une faute lourde le transporteur qui, connaissant la
valeur de la marchandise et la facilité d’accès des zones de livraison,
laisse le véhicule en charge sans le verrouiller ». En l’espèce, un
transporteur est chargé d’acheminer des caméras. Pour effectuer une
livraison en centre commercial, celui-ci s’arrête un bref instant et la
moitié de la marchandise est volée pendant ce bref instant. Le
transporteur n’avait pas verrouillé le rideau du véhicule alors qu’il
connaissait la valeur de la marchandise et que la zone de livraison n’était
pas sécurisée. Quelle aurait été la solution sous l’empire de la faute
inexcusable ?
On ne peut vraisemblablement pas parler de faute délibérée du
transporteur en tant que telle. En effet, le transporteur devant effectuer
une livraison en cours de chemin, on imagine plutôt que celui-ci n’a pas
pris les mesures nécessaires par simple imprudence. Quant à la
conscience effective de la probabilité du dommage, le seul élément de
preuve recevable serait la connaissance de la valeur de la marchandise
par le transporteur. Toutefois, en aucun cas la certitude de la conscience
de la probabilité de créer un tel dommage par le transporteur, nécessaire
comme élément de preuve aux regards de l’interprétation subjective des
juges, ne paraît plausible. De plus, la rapidité de l’arrêt et la fermeture du
rideau même non verrouillé démontrent bien que le transporteur n’avait
pas accepté témérairement le risque de pouvoir se faire dérober la
37
TC Nanterre, 7 déc. 2009 ; Sté Canon Europa contre Transports Express de Seine ; BTL 2010 n°3315.
41
marchandise. Pour que cet élément soit recevable par les juges, il aurait
fallu que le transporteur ne ferme pas le rideau. Enfin, les livraisons des
transporteurs en cours de chemin sont fréquentes et, celles-ci devant être
rapides, les transporteurs ne prennent pas forcément le temps de
verrouiller le véhicule puisqu’ils savent que la livraison sera très brève.
Aussi, en l’espèce, on peut parler de raison valable dans la mesure où la
livraison devait être rapide. Là encore, pour que cet élément soit
recevable par les juges, il aurait fallu que le transporteur se soit arrêté
dans le centre commercial pour des raisons personnelles et non pas pour
la livraison de la marchandise du donneur d’ordre.
c. La Cour d’appel de Paris le 3 février 201038
est appelée à rendre sa
décision sur l’affaire d’un transporteur qui entrepose temporairement des
cigarettes et se les fait voler pendant l’heure du déjeuner. Le personnel
étant absent et le système d’alarme désactivé, la Cour retient que le
transporteur a commis une faute lourde. Qu’en est-il au regard de la faute
inexcusable ?
Les entrepôts du transporteur se trouvant près des quais, et l’absence de
personnel pendant l’heure du déjeuner étant « pratique courante dans la
profession »39
, il est peu probable que les juges retiennent la faute
délibérée du transporteur. De plus, ce n’est pas parce que le transporteur
a laissé l’alarme éteinte que cela signifie qu’il avait conscience de la
probabilité du dommage qu’il encourait, et encore moins qu’il a accepté
témérairement le risque. En effet, les juges, dans leur interprétation
subjective, s’assureront de la certitude d’une telle conscience. Enfin,
dans la mesure où la messagerie implique des allers et retours fréquents,
cela suppose qu’il avait des raisons valables d’agir ainsi, cet élément
pouvant néanmoins être discuté. Dans cette affaire, la faute inexcusable
n’aurait certainement pas été retenue selon une approche subjective.
Quelles vont être les conséquences probables d’une interprétation
subjective de la faute inexcusable par les juges ?
38
CA Paris, 3 fév. 2010, Zurich Insurance et a. contre SAS Agility et a., BTL 2010 n°2226.
39
Marie Tilche, 10 questions sur la faute inexcusable, BTL n°3305, 2010.
42
40. – Conséquence de l’interprétation « in concreto » de la faute inexcusable
par les juges. – Avec une approche subjective de la faute inexcusable, les juges
recherchent la preuve des quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable,
sans qu’un seul doute ne puisse subsister sur le comportement du transporteur.
En effet, si un des éléments n’est pas certain, mais seulement probable, alors les
juges auront tendance à protéger le transporteur en lui laissant le bénéfice des
plafonds de limitations de responsabilité. Aussi, cela aura pour conséquence que
le transporteur jusqu’alors facilement condamnable soit dorénavant très
difficilement condamné sous l’empire de la faute inexcusable.
41. – Solution la plus probable. – Le Tribunal Correctionnel de Bobigny le 23
novembre 201040
est saisi d’une affaire dans laquelle un transporteur reçoit
l’instruction de rouler en double équipage pour acheminer des marchandises de
Rome à Paris dans un cours délai. En l’espèce, même s’il y avait bien deux
personnes dans le camion, l’une d’entre elles n’était pas conductrice. Dès lors, le
chauffeur avait violé la réglementation sociale applicable en matière de droit des
transports routiers en falsifiant les données de son chrono-tachygraphe41
. De
plus, il s’est endormi au volant causant un accident et des avaries. Le Tribunal
retient la faute inexcusable du transporteur alors que les faits sont antérieurs à la
loi du 8 décembre 2009 et que la loi n’a pas d’effet rétroactif. Pourtant il ne fait
aucun doute que « les ingrédients » de la faute inexcusable sont présents. En
violant la réglementation routière, le chauffeur fait preuve de la commission
d’une faute délibérée. Les dangers de la fatigue au volant sont bien connus, le
Tribunal retient la conscience du transporteur de la probabilité du dommage et
son acceptation téméraire du risque en conduisant seul, alors que le donneur
d’ordre avait donné l’instruction de recourir à un double équipage. De plus, le
transporteur, même si les délais étaient impératifs, n’avait aucune raison valable
de ne pas recourir au double équipage. Dans cet arrêt, les juges tendent vers une
approche objective de la faute inexcusable dans la mesure où l’élément de la
conscience de la probabilité du dommage par le transporteur n’a pas été
recherché avec certitude, mais plus par rapport au comportement qu’aurait dû
40
TC Bobigny, 23 novembre 2010, Sté Ace Insurance et a. contre Exp’Air Transit et a., BTL 2011
n°3353.
41
Appareil de contrôle des temps de conduite et de repos en matière de transport routier.
43
avoir un bon père de famille dans les mêmes circonstances : « Attendu que le
chauffeur a falsifié les disques tachygraphes, n’a pas respecté les temps de
repos obligatoires et a pris le risque d’un accident causé par la fatigue {…},
c’est donc une faute inexcusable ». Il est donc fort probable que les juges
retiennent une approche objective toutefois, tant que la Cour de cassation n’a pas
encore donné son avis sur ce sujet, toutes solutions restent hypothétiques.
42. – Conclusion de la notion de la faute inexcusable. – La loi du 8 décembre
2009 modifie la faute lourde du transporteur par la faute inexcusable. L’intérêt
marchandise devra prouver les quatre éléments constitutifs de la faute
inexcusable, ce qui sera évidemment plus contraignant. Toutefois, dans quelle
mesure ce changement de notion va-t-il affecter la matière des transports
terrestres ? Pour cela, il faudrait savoir si les juges vont retenir une interprétation
objective ou subjective de la faute inexcusable. Nous avons vu qu’avec une
approche objective des juges, la faute inexcusable serait plus difficile à prouver
que la faute lourde, bien que les juges auront sans doute tendance à calquer leur
décision sur celles auparavant rendues en matière de faute lourde. Cette
approche n’entraînera pas de conséquences importantes dans la matière des
transports terrestres, simplement un changement de détermination. On ne peut
toutefois ignorer que, comme les quatre éléments constitutifs de la faute
inexcusable devront être avérés pour qu’une telle faute soit retenue, les
transporteurs seront tout de même moins condamnés que sous l’empire de la
faute inexcusable. Néanmoins, un réel changement dans la matière s’effectuerait
si les juges retiennent une approche subjective. En effet, avec cette approche, la
faute inexcusable sera bien plus difficile à prouver puisque les juges
s’attacheront à la conscience même du transporteur. Tous les critères constitutifs
de cette faute inexcusable devront être prouvés avec certitude pour que les juges
condamnent le transporteur à renoncer à ses plafonds de limitation de
responsabilité. Ainsi, le transporteur fera beaucoup moins l’objet de
condamnation et le donneur d’ordre ne pourra plus aussi facilement obtenir la
réparation intégrale de son préjudice. En attendant que les juges consacrent enfin
leur choix entre les deux interprétations possibles de la faute inexcusable, nous
allons nous attacher aux conséquences sur le transporteur du déplafonnement
des limitations de responsabilité.
44
PARTIE II : LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE
43. – Introduction du régime de la faute inexcusable. – Le droit du transport
terrestre se divise en trois branches : le transport routier, ferroviaire et fluvial.
Ces trois modes de transport sont régis principalement en droit interne par le
Code du Commerce, la LOTI42
et le Code des Transports. A l’international, il
existe des Conventions différentes pour chacun de ces modes. En effet, en
transport routier, la Convention de Genève de 1956 dite CMR43
s’applique pour
tout conflit à l’international ; en transport ferroviaire, c’est la Convention de
Bernes44
de 1890 ; et en transport fluvial, c’est la Convention de Budapest de
2000 dite CMNI45
. Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, il faut que
l’ayant-droit de la marchandise prouve la faute inexcusable du transporteur
terrestre pour que celui-ci soit contraint à la réparation intégrale. En droit interne
comme à l’international, la règle est la même. Toutefois, en matière de
prescription, le droit interne prévoit que le donneur d’ordre aura un an pour
intenter une action contre le transporteur, alors qu’en droit international, en cas
de faute inexcusable, la prescription passe à trois ans. Compte tenu de la rapidité
de l’extinction de la prescription, l’intérêt marchandise devra intenter une action
contre le transporteur dans les plus brefs délais. On peut alors se demander
quelles incidences va avoir le fait que les juges retiennent la faute inexcusable
contre le transporteur ? Quel est le régime de cette faute inexcusable ? Dans un
premier temps, nous étudierons l’étendue de la réparation du dommage en cas de
faute inexcusable (Chapitre I), pour nous attacher dans un second temps, aux
conséquences de la faute inexcusable sur les autres acteurs du transport terrestre
(Chapitre II).
42
LOTI : Loi d’Orientation des Transports Intérieurs du 30 décembre 1982.
43
Modifiée en 1978.
44
Révisée en 1933, 1952, 1961, 1970, 1980 et 1990.
45
Ratifiée en 2007 par la France.
45
CHAPITRE I : L’ETENDUE DE LA REPARATION DU DOMMAGE
EN CAS DE FAUTE INEXCUSABLE
44. – Ouverture sur la réparation. – Selon René Savatier : « le propre de la
responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre
détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se
serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit »46
. On comprend
alors que la réparation du dommage a pour but de rendre ce qui a été perdu, de
sorte que la victime soit indemnisée. Aussi, seul le préjudice sert de mesure pour
déterminer l’étendue de la réparation ; il doit être intégralement réparé. En droit
des transports terrestres, le principe de la réparation intégrale est mis à mal avec
l’agencement de plafonds de limitations de responsabilité. C’est en cas de faute
inexcusable du transporteur que s’en suit un déplafonnement des limitations de
responsabilité (Section II). Toutefois, la réparation intégrale ne s’applique
qu’une fois que le dommage réparable est déterminé (Section I).
46
Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3ème
éd., 2003, p.135, n°240.
46
SECTION I : LE PREJUDICE REPARABLE
45. – Etendue du préjudice réparable. – L’article 1149 du Code civil énonce
que : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte
qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-
après ». Cet article exige que l’ensemble des préjudices subis fasse l’objet d’une
réparation quelle que soit leur nature. Aussi, le débiteur pourra se voir imposer
la réparation d’un préjudice corporel, matériel, industriel et/ou moral subi par le
créancier. Ainsi, selon la règle de droit commun, tous les préjudices justifiés
sont susceptibles d’être indemnisés. En effet, le « damnum emergens » (perte
subie) et « lucrum cessans » (gain manqué) sont indemnisables dès lors qu’ils
sont prévisibles et en relation directe et certaine avec l’inexécution du contrat de
transport47
. En droit international, dans toutes les Conventions CMR, CMNI et
RU-CIM, la règle est différente puisque le transporteur n’est tenu au
remboursement que du simple dommage matériel48
. Voyons d’abord à quoi
correspond le préjudice direct du dommage (a), pour ensuite nous attacher au
préjudice prévisible (b) et à son évaluation (c).
a. Préjudice direct. – L’article 1151 du Code civil énonce que : « Dans le
cas même où l’inexécution de la convention résulte du dol du débiteur,
les dommages et intérêts ne doivent comprendre, à l’égard de la perte
éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est
une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ». Du
texte, on comprend que le litige doit découler directement du fait
générateur. Cette condition semble procéder de l'idée générale selon
laquelle un lien de causalité doit exister entre la faute et le dommage. La
victime de l’inexécution d’une obligation de moyen ou de résultat doit
donc établir l’existence d’un lien de causalité direct et immédiat entre
l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat de transport et le
dommage ; et ce peu importe la gravité de la faute ou encore la nature de
47
Droit des transports, I. Bon-Garcin, M. Bernadet, Y. Reinhard, Précis Dalloz, 1ère
édition, 2010.
48
Convention de Genève : article 23 CMR ; Convention de Bernes : article 30 RU-CIM ; Convention de
Budapest : article 19 CMNI.
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  • 1. UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES D’AIX – MARSEILLE FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES CENTRE DE DROIT MARITIME ET DES TRANSPORTS L’INTRODUCTION DE LA FAUTE INEXCUSABLE EN DROIT DU TRANSPORT TERRESTRE INTERNE DE MARCHANDISES. Mémoire pour l’obtention du Master 2 Professionnel Droit des Transports Terrestres Par Anastasia BEX Sous la direction de M. le Professeur Cyril BLOCH Année universitaire 2011-2012
  • 2. 2
  • 3. 3 « LE MALHEUR DES UNS FAIT LE BONHEUR DES AUTRES » « CANDIDE » DE VOLTAIRE
  • 4. 4 REMERCIEMENTS Je voudrais exprimer ma sincère reconnaissance à Monsieur Le Professeur Cyril Bloch, pour m’avoir permis de faire partie de cette aventure au sein du CDMT, pour sa confiance et son enseignement précieux. J’adresse mes sincères remerciements à tous les intervenants du CDMT qui ont toujours su nous transmettre leurs passions et leurs savoirs, essentiels pour notre réussite. A Marjorie Vial, pour son écoute et son amitié très chère qui m’ont permis d’avancer toute l’année. Je souhaiterais transmettre toute ma gratitude à Plamena Encheva, Marie-Hélène Pèpe et Marie-Pierre Herblot pour leur motivation, leur aide et leur présence tout au long de mon mémoire. A mon père et à ma mère, en gage de mon amour filial et en modeste hommage de ma reconnaissance infinie. Sans eux rien n’aurait été possible. A mes sœurs en témoignage de mes sentiments fraternels.
  • 5. 5 SOMMAIRE TABLE DES ABREVIATIONS ET DES ACRONYMES ...................................................... 6 INTRODUCTION....................................................................................................................... 7 PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE ...................................................... 17 CHAPITRE I : L’APPRECIATION DE LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE...... 18 SECTION I : LES ELEMENTS CONTITUTIFS DE LA FAUTE INEXCUSABLE ........ 19 SECTION II : L’APPRECIATION IN ABSTRACTO OU IN CONCRETO DE LA FAUTE INEXCUSABLE........................................................................................................................ 23 CHAPITRE II : L’INTERROGATION SUR L'EFFET POSSIBLE DE LA MODIFICATION DE LA NOTION DE FAUTE LOURDE EN FAUTE INEXCUSABLE ..................................................................................................................................................... 29 SECTION I : UNE INTERPRETATION PROROGEANT LA NOTION DE FAUTE LOURDE.................................................................................................................................... 32 SECTION II : UNE INTERPRETATION AMPLIFIANT LA NOTION DE FAUTE LOURDE.................................................................................................................................... 38 PARTIE II : LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE.............................................. 44 CHAPITRE I : L’ETENDUE DE LA REPARATION DU DOMMAGE EN CAS DE FAUTE INEXCUSABLE ......................................................................................................... 45 SECTION I : LE PREJUDICE REPARABLE ...................................................................... 46 SECTION II : LE DEPLAFONNEMENT DES LIMITATIONS DE RESPONSABILITE ..................................................................................................................................................... 50 CHAPITRE II : LES CONSEQUENCES DE LA FAUTE INEXCUSABLE SUR LES AUTRES ACTEURS DU TRANSPORT TERRESTRE....................................................... 55 SECTION I : L’IMPACT SUR LE COMMISSIONNAIRE DE TRANSPORT ................ 56 SECTION II : L’IMPACT SUR LES ASSUREURS............................................................. 59 CONCLUSION.......................................................................................................................... 62 RESUME.................................................................................................................................... 63 ABSTRACT............................................................................................................................... 64 TABLEAU RECAPITULATIF ............................................................................................... 65 ANNEXES.................................................................................................................................. 67 BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................... 77
  • 6. 6 TABLE DES ABREVIATIONS ET DES ACRONYMES Av. J.-C. Avant Jésus-Christ BTL Bulletin des transports et de la logistique Bull. Civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation CA Cour d’appel Cass. Cour de cassation Cass. Civ Chambre civile de la Cour de cassation Cass. Com Chambre commerciale de la Cour de cassation C. aviation Code de l’aviation civile C. Civ. Code civil C. Com. Code de commerce C. Transports Code des transports CMNI Convention relative au contrat de transport de marchandises en navigation intérieure CMR Convention sur le contrat de transport international de marchandises par route D. Recueil Dalloz DMF Revue Droit Maritime Français DTS Droit de Tirage Spéciaux Juris. Jurisprudence Obs. Observation RCA Responsabilité Civile et Assurances RD transp. Revue de droit des transports terrestre, maritime et aérien RGDA Revue générale du droit des assurances RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD Com. Revue trimestrielle de droit commercial T. com. Tribunal de Commerce
  • 7. 7 INTRODUCTION 1. – Historique de la création du transport. – Le transport est par essence lié à l’Homme. Depuis le début de l’existence de la civilisation et l’invention de l’agriculture en Mésopotamie vers le VIIIème Millénaire av. J.-C., l’Homme n’a cessé de découvrir de nouvelles techniques permettant de faciliter sa tâche de travail. C’est ainsi qu’il a imaginé différents moyens de transport, afin de faire circuler des denrées d’un point à un autre en échange de nouvelles richesses. 2. – Découverte des différents modes de transport. – Les premiers modes de transport étaient archaïques (comme le portage humain). Puis, avec l’invention de la roue et des routes1 , sont nées les toutes premières formes de Commerces. Mais qu’en est-il du transport maritime ? En effet, à côté de l’apparition des premiers transports terrestres, l’Homme a toujours été attiré par un élément mystérieux et dangereux : l’eau. Cela lui a permis d’imaginer les toutes premières embarcations rudimentaires, dès la Préhistoire, comme les pirogues creusées dans un tronc d’arbre ou les canoës en peau. Toutefois, ce n’est qu’avec les peuples méditerranéens, à partir de 2500 av. J.-C., qu’ont été construit les premiers navires de mers2 , capables de réaliser de plus longues distances. Ce mode de transport, toujours perçu comme risqué, a alors permis l’essor du Commerce comme au XVIIIème siècle avec le « Commerce triangulaire » entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques. La découverte de l’hélice 3 au XVIème siècle et la Révolution Industrielle au XIXème siècle, engendrent de grands changements dans le monde des transports. Le bateau à vapeur remplace le bateau à voile. La locomotive remplace les chevaux. L’automobile voit le jour avec l’invention du moteur à explosion et des pneumatiques. A cela s’ajoute l’étude des engins volants, et au XXème siècle les premiers avions commencent à voler. Aussi, l’Homme a découvert trois modes de transport distincts tout au 1 Nous prenons pour exemple : la voie Appienne qui fut une voie romaine commencée vers 312 av. J.-C. et la Route de la soie qui fut un réseau routier chinois dès le XIème siècle av. J.-C., la plus longue du monde pendant deux mille ans. 2 Comme les illustres chantiers navals des Phéniciens et les galères grecques et romaines ou encore les premiers navires égyptiens. 3 Découverte par Léonard de Vinci.
  • 8. 8 long des siècles avec le transport maritime, aérien et terrestre, ce dernier faisant l’objet d’une répartition tripartite avec le transport routier, ferroviaire et fluvial. 3. – Développement du transport. – Le transport est avant tout un moyen permettant le déplacement des marchandises d’un endroit à un autre contre le paiement d’une somme d’argent. Aussi, toutes ces découvertes favorisent le développement des échanges économiques et culturels. On se déplace plus vite, plus loin et on transporte plus de marchandises. A ces échanges, il faut trouver un moyen d’éviter les conflits entre les différents acteurs économiques. C’est pourquoi, il semble nécessaire de réglementer de manière importante ces différents modes de transport. Toutefois, étant apparus et ayant évolué à des rythmes différents, les transports ont un cadre juridique qui n’est pas toujours unifié. 4. – Évolution du cadre juridique vers l’unification du droit des transports. – Le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les transports a fait l’objet de nombreuses adaptations, étant donné les changements massifs que ces transports ont subis. Néanmoins, encore aujourd’hui, les transports évoluent continuellement, entrainant l’élaboration de règles plus claires et prévisibles pour les utilisateurs. Cela se vérifie avec la loi du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports. En effet, cette loi, qui met en évidence la substitution de la faute lourde au bénéfice de la faute inexcusable en cas de responsabilité du transporteur terrestre, a notamment pour objet l’unification des règles des différents modes de transport. Pourtant, que signifie ce changement de faute ? 5. – Hiérarchie des fautes dans le système juridique français. – Le droit des transports est un droit faisant l’objet d’une réglementation particulière. Toutefois, il reste soumis aux principes généraux du droit commun et en particulier à la théorie générale des contrats et des obligations. Un contrat, conclu entre deux ou plusieurs personnes, crée des obligations, plus ou moins essentielles, à l’encontre des parties à ce contrat. Si ces obligations ne sont pas remplies, on pourra engager la responsabilité de la partie qui n’a pas exécuté ces
  • 9. 9 engagements. Il s’agira, ici, d’une responsabilité contractuelle, où la faute est recherchée afin que la partie lésée obtienne réparation de son préjudice du fait de l’inexécution de ses obligations par l’autre partie, à l’inverse de la responsabilité délictuelle, où seule l’étendue du dommage compte pour obtenir réparation, insensiblement à toute gravité de faute. Le droit commun a, dès lors, mis en place une hiérarchie des fautes, de la moins à la plus intense, graduant, ainsi, la responsabilité des parties au contrat. Il y a cinq catégories de fautes : la faute légère, la faute lourde, la faute inexcusable, la faute intentionnelle et le dol. La faute en son sens générique est l’« attitude d’une personne qui par négligence, imprudence ou malveillance ne respecte pas ses engagements contractuels »4 . La faute légère peut-être vue comme un manque de diligence sans conséquence importante, ou comme ne pas se conduire comme l’aurait fait « un bon père de famille » dans la même situation. Ainsi, celle-ci n’entrainera presque jamais de droit à réparation pour le créancier de l’obligation inexécutée. La faute lourde va s’analyser comme un « acte grave, une négligence grossière que l’homme le moins averti ne commettrait pas »5 . Celle-ci, considérée comme équipollente au dol jusqu’au 8 décembre 2009 en droit des transports terrestres, donne droit à réparation à son auteur s’il prouve l’existence de cette faute lourde. La faute inexcusable est définie dans l’article L.133-8 C. com. comme « la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ». Cette définition est particulière au droit des transports terrestres. Néanmoins, l’idée motrice reste la même dans tous les domaines où elle est retenue. En droit des transports, cette faute inexcusable permet de faire tomber les plafonds de limitations de responsabilité. En effet, le transporteur faisant l’objet d’une obligation de résultat, la réglementation a mis en place des limitations de responsabilité afin de rééquilibrer l’étendue des responsabilités entre les parties aux vues de leurs obligations respectives. Enfin, la faute intentionnelle et la faute dolosive se rejoignent dans la notion de mauvaise foi. Elles vont permettre de neutraliser les limitations de responsabilité prévues par le transporteur à l’encontre des autres parties au contrat de transport. 4 Lexique des termes juridiques, 15e édition, Dalloz. 5 Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3ème éd., 2003, p.35, n°57.
  • 10. 10 La faute intentionnelle est vue comme une faute délibérée commise avec l’intention de nuire, l’idée de causer un dommage à quelqu’un. Le dol ou faute dolosive est quant à lui défini comme un comportement malhonnête avec l’idée de sciemment manquer à ses obligations. Ces différentes fautes sont apparues au fil des siècles et leur terme définitif s’est développé en droit français par le biais du Code civil et de la Jurisprudence. 6. – Naissance de la notion de la faute inexcusable en droit français. – La qualification de faute inexcusable est propre à certains régimes spéciaux de responsabilité, la faute lourde étant plus répandue en droit commun des contrats et des obligations. Cette faute va jouer dans trois domaines : les accidents du travail, les accidents de la circulation et le droit des transports6 . Toutefois, la faute inexcusable a pénétré dans l’ordre juridique français par l’entremise de la loi du 9 avril 1898 sur l’indemnisation des accidents du travail. Après avoir longtemps hésité entre une approche subjective, la rapprochant de la faute intentionnelle, et une approche objective, la rapprochant de la faute lourde, la Cour de cassation a défini la faute inexcusable le 15 juillet 1941 comme suit : « la faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel de la faute visée au paragraphe 1 de la loi du 9 avril 1898 ». Cette définition jurisprudentielle met en avant des aspects subjectifs et objectifs, permettant ainsi de graduer la faute inexcusable entre la faute lourde et la faute intentionnelle. Toutefois, depuis une trentaine d’année, la jurisprudence a progressivement atténué l’aspect subjectif de la faute inexcusable, la rapprochant, dorénavant, de la faute lourde de droit commun. L’article L 452-1 du Code de la Sécurité Sociale dispose que la faute inexcusable de l’employeur ou de ses substitués donne à la victime de l’accident, la possibilité de recevoir des indemnisations plus élevées7 . En effet, en l’absence de faute inexcusable ou intentionnelle, la victime ne recevra qu’une réparation forfaitaire, l’idée étant que l’accident constitue un risque de la profession. Toutefois, si l’employeur 6 C. Larroumet, Les obligations, Le contrat, Economica, Tome III, 6ème éd., p. 679, n°624 ; Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3ème éd., 2003, p.35, n°58. 7 P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 298, n°430.
  • 11. 11 commet une faute inexcusable ou intentionnelle, alors la réparation sera intégrale. D’ailleurs, des arrêts très récents, du 4 avril 2012 rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, permettent d’avoir un tableau des différentes indemnités venant s’ajouter aux prestations, mentionnées dans le livre IV du Code de la Sécurité Sociale, au bénéfice de la victime elle-même, pour les accidents du travail ordinaires8 . Désormais, l’employeur commet une faute inexcusable à l’égard du salarié s’il manque à son obligation de sécurité de résultat, c’est-à-dire lorsqu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour préserver son employé d’un danger dont il avait conscience. La Cour de cassation instaure ainsi une sorte de « présomption de faute inexcusable » qui aboutit à faire de l’exception (la réparation intégrale), le principe. C’est de cette évolution jurisprudentielle que le droit du transport s’est inspiré depuis que cette faute inexcusable est devenue la cause de déchéance du transporteur de son droit à limiter sa responsabilité. 7. – Apparition de la notion de la faute inexcusable en droit des transports. – Les Conventions Internationales, régissant la responsabilité civile du transporteur aérien ou encore du transporteur maritime, ont adopté la notion de faute inexcusable et par là-même, ont contraint la France à retenir cette notion comme équipollente au dol privant son auteur de la possibilité de se prévaloir des atténuations ou exonérations de responsabilité. C’est avec le Protocole de La Haye de 1955 modifiant la Convention de Varsovie de 1929, pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, que la notion de faute inexcusable est apparue pour la toute première fois en droit des transports. La notion va être reprise en droit maritime avec la Convention de 1961 sur le transport maritime de passagers et avec le Protocole de 1968 sur le transport de marchandises9 . Le Droit des transports terrestres, le plus tardif, va reprendre cette notion avec la loi du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports. Depuis 2009, tous les modes de transports vont vers une unification du principe de responsabilité du transporteur, tant sur le plan national que sur le plan international. Toutefois, reste encore à appréhender quel mode 8 Responsabilité civile et assurances – Revue mensuelles LexisNexis Jurisclasseur – juin 2012. 9 P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 298, n°430.
  • 12. 12 d’interprétation va être choisi, en droit interne, pour chacun de ces modes de transport10 . Étudions brièvement la notion de faute inexcusable en droit aérien, en droit maritime puis en droit des transports terrestres. 8. – La faute inexcusable en droit du transport aérien. – La notion de faute inexcusable est apparue le 28 septembre 1955 avec le protocole de La Haye. Ce protocole définit cette notion de manière très précise afin d’éviter que les tribunaux de chaque État partie à la Convention de Varsovie et au Protocole de La Haye interprètent la faute « équivalente au dol » différemment. Ainsi, cette définition proposée par le major Beaumont et le doyen Chauveau, a pour objectif de mettre fin aux discussions et divergences d’application antérieures. En effet, l’idée première était de viser une faute particulièrement grave. Néanmoins, chaque juridiction des États parties avait sa vision de la « faute particulièrement grave ». Il a donc fallu préciser, de manière à favoriser l’unification du principe de responsabilité du transporteur du point de vue international, la notion de « faute particulièrement grave » afin de rendre son interprétation plus prévisible pour les parties, quel que soit le tribunal qui se saisit de l’affaire. Il en ressort alors que « les limites de responsabilité ne s’appliquent pas s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur ou de ses préposés fait, soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement ». Le droit français, qui avait repris la Convention de Varsovie de 1929 pour l’élaboration de son Code de l’Aviation Civile, a proposé une définition de la faute assimilable au dol comme « Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable » ; le protocole de La Haye n’étant pas encore entré en vigueur et ne modifiant pas encore l’article 25 de la Convention de Varsovie. Dès lors, l’article L 321-4 C. aviation, est plus stricte car il ajoute deux éléments de preuve supplémentaires pour anéantir les limitations de responsabilité du transporteur : la « faute délibérée » et l’absence de « raison 10 Appréciation in concreto ou in abstracto ; Nous étudierons cette question au cours de la Partie I, Chapitre I de ce mémoire.
  • 13. 13 valable »11 . La Convention de Montréal du 28 mai 1999, entrée en vigueur le 4 novembre 2003 et le 28 juin 2004 en France, exclut les plafonds de limitation de responsabilité du transporteur de marchandises en cas de faute inexcusable et augmente ces plafonds afin que les États-Unis, qui les trouvaient bien trop faibles à l’époque de la Convention de Varsovie, restent dans le système international en matière d’aviation. Le transporteur ne peut pas se prévaloir de limitations conventionnelles de réparation en dessous de 113 000 DTS12 , sauf en cas de faute de la victime. Toutefois, pour tout dommage supérieur à 113 000 DTS, il peut limiter ou exclure sa responsabilité sauf en cas de faute inexcusable. Ainsi, en cas de décès ou de blessures graves, la victime ou ses ayants-droit bénéficieront d’une indemnisation de 113 000 DTS, si l’accident se produit pendant le vol ou pendant les opérations d’embarquements et de débarquements, et s’il n’est pas causé par un fait de la victime. Le droit aérien a permis d’ancrer la notion de faute inexcusable pour la première fois en droit des transports car, peu de temps après l’élaboration de la définition de cette faute par le protocole de La Haye, le droit maritime a suivi. 9. – La faute inexcusable en droit du transport maritime. – Le droit maritime comme les autres droits des transports a toujours été préoccupé par l’établissement de la faute inexcusable dans le régime de responsabilité du transporteur. C’est avec la Convention de 1961 sur le transport maritime de passagers et avec le Protocole de 1968 sur le transport de marchandises que la dénomination de la faute inexcusable apparaît en droit des transports maritimes. L’institution de la faute inexcusable permet à la victime de bénéficier de l’exclusion des plafonds de limitation de responsabilité mis en place légalement pour le transporteur, ou conventionnellement par le transporteur afin de rendre plus équitable le contrat entre les parties, sachant que le transporteur, une fois 11 Ph. Delebecque, « limitation de responsabilité et faute inexcusable du transporteur aérien », RD transp., Mars 2007, p. 75 (obs. sous l’arrêt de la CA Paris du 16 novembre 2006). 12 DTS : droit de tirage spécial, le Fond Monétaire International (FMI) a élaboré une monnaie internationale qui reprend le cours de 4 monnaies (dollar, euro, livre sterling, yen) afin de déterminer le montant des indemnisations.
  • 14. 14 qu’il prend la garde de la marchandise, dispose d’une obligation de résultat13 de déplacer la marchandise au lieu prévu par le contrat. Aussi, la première convention maritime, la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 portant sur l’unification de certaines règles en matière de connaissement, n’avait pas prévu la possibilité de faire échec au principe de limitation de responsabilité des transporteurs maritimes. Dès lors, le droit interne, qui reprend les principes dictés par la Convention de 1924, ne fait référence qu’au dol comme moyen pour faire basculer les limites en matière de responsabilité du transporteur maritime. Ainsi, ce n’est seulement qu’avec le protocole du 23 février 1968 qu’il est fait référence à la faute inexcusable en matière de transport maritime de marchandise. Ce protocole a pour particularité de modifier la grande Convention de Bruxelles de 1924, et de permettre à la faute inexcusable de s’ancrer définitivement dans l’institution des règles de responsabilité en droit maritime international. En droit français, la notion de faute inexcusable apparaît plus tardivement. Il faut attendre la loi du 23 décembre 1986 pour que le droit interne se rallie à l’ordre juridique international. On arrive à une harmonisation du droit interne et international en transport maritime comme avec le droit aérien. Qu’en est-il en droit du transport terrestre ? 10. – La faute inexcusable en droit du transport terrestre. – Pendant très longtemps, le droit du transport terrestre est resté la seule branche du droit des transports qui se référait à la faute lourde comme équivalente au dol, à l’inverse du droit aérien et maritime qui préconisait la faute inexcusable comme équipollente au dol, comme nous l’avons vu précédemment. La loi du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, a opéré cette harmonisation en remplaçant la notion de faute lourde par la notion de faute inexcusable en droit des transports terrestres interne et international. L’article 13 L’obligation de résultat est une obligation en vertu de laquelle le débiteur est tenu d’un résultat précis. Le transporteur de marchandise s’engage envers le créancier à déplacer la marchandise d’un endroit à un autre. « L’existence d’une telle obligation permet au créancier de mettre en jeu la responsabilité de son débiteur par la simple constatation que le résultat promis n’a pas été atteint, sans avoir à prouver une faute ». Ainsi, si le transporteur ne respecte pas ses obligations prévues par le contrat de transport alors, le créancier de ces obligations pourra engager la responsabilité du transporteur sans qu’aucune faute n’ait besoin d’être prouvée. Néanmoins, pour que ce créancier bénéficie de l’exclusion des limitations de responsabilité, prévues par ce même contrat, il faudra qu’il prouve une faute dolosive ou équivalente au dol comme la faute inexcusable.
  • 15. 15 L.133-8 C. Com. énonce désormais que « Seule est équipollente au dol la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable. Toute clause contraire est réputée non écrite. ». Notre étude a pour mission de comprendre cette substitution de concept : dans quelle mesure le changement de la faute lourde en faute inexcusable en droit des transports terrestres va-t-il avoir un impact sur la responsabilité du transporteur et ces limitations de responsabilité ? 11. – Contrat de transport. – On peut évidemment transporter des marchandises mais aussi des personnes, et ce déplacement va faire l’objet d’un contrat. Le contrat de transport de marchandises est un contrat commercial, matérialisé par un document, qui varie selon les modes de transports, puis selon les types de marchandises transportées. Ces différents documents de transport ont été mis en place afin de faire la preuve de l’existence du transport et des parties contractantes ; des obligations vont naître à l’encontre des parties à ce contrat synallagmatique à titre onéreux. Il peut s’agir d’un contrat bipartite ; toutefois, pour le transport de marchandises, il s’agit la plupart du temps, d’un contrat tripartite entre l’expéditeur, le transporteur et le destinataire14 . Le transporteur fait l’objet d’une responsabilité de plein droit qui est atténuée par la mise en place de plafonds de limitations de responsabilité sauf en cas de dol ou de faute inexcusable de sa part. 12. – Délimitation du sujet. – Notre étude consiste à l’introduction de la faute inexcusable en droit du transport terrestre interne de marchandises et de ce fait, le transport de voyageurs ne sera pas envisagé. Pour expliquer convenablement cette notion nous nous attacherons principalement au transport routier interne de marchandises en évoquant seulement très brièvement le transport ferroviaire et fluvial sachant que les règles sont similaires pour ces deux autres modes de transport terrestre et en étudiant rapidement les distinctions en droit international. De plus, la prescription, les moyens de preuve et la non rétroactivité de la loi du 8 décembre 2009 seront entendus tout au long de ce 14 Article L 132-8 du Code de Commerce.
  • 16. 16 mémoire mais ne feront pas l’objet d’une étude complète. Enfin, les causes exonératoires de responsabilité telle que la force majeure, le vice propre de la marchandise et les faits de l’expéditeur ou du destinataire ne seront pas envisagées dans la mesure où il s’agit pour le transporteur d’échapper à sa responsabilité. En effet, le transporteur titulaire d’une obligation de résultat fait l’objet d’une responsabilité de plein droit très lourde aussi, pour rétablir l’équilibre contractuel celui-ci bénéficie de limitations de responsabilité. Ce n’est qu’en cas de faute inexcusable du transporteur qu’il y aura un déplafonnement de ces limitations de responsabilité entraînant alors une réparation intégrale du préjudice. Mais qu’elle est cette faute inexcusable capable d’exclure ces plafonds de réparation ? 13. – Plan. – La faute inexcusable s’est substituée à la faute lourde en droit des transports terrestres. Par conséquent, pour comprendre cette notion et son impact sur la responsabilité du transporteur nous allons diviser notre étude en deux parties. Dans une première partie, nous allons nous intéresser à la notion de faute inexcusable qui est une nouveauté en droit des transports terrestres (PARTIE I). Plus précisément, nous allons étudier les éléments constitutifs de la faute inexcusable et les deux appréciations judiciaires dont elle peut faire l’objet (CHAPITRE I) ainsi que l’effet possible que va entraîner cette mutation de la faute lourde en faute inexcusable (CHAPITRE II). Dans une seconde partie, nous analyserons les conséquences de la mise en place d’une telle notion (PARTIE II) et, plus particulièrement, ses effets sur la réparation du dommage (CHAPITRE I) et sur les acteurs autres que le transporteur en droit des transports terrestres (CHAPITRE II).
  • 17. 17 PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE 14. – Appréhension de la notion de faute inexcusable. – La victime de l’inexécution d’une obligation essentielle du contrat devra prouver l’existence d’une faute inexcusable du transporteur pour que celui-ci soit privé des plafonds de limitations de responsabilité qui s’appliquent normalement. L’inexécution d’une obligation essentielle et la faute par son auteur sont ainsi désolidarisées en matière de responsabilité contractuelle du transporteur depuis les arrêts Chronopost15 . Dès lors, le simple fait que le transporteur n’exécute pas son obligation essentielle n’entraîne pas pour celui-ci la privation de ses limitations contractuelles de responsabilité. Il faut, en effet, apprécier l’existence d’une faute du transporteur et seule la faute inexcusable aura l’effet escompté par la victime de supprimer les limitations de responsabilité. En effet, depuis la loi du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, nous constatons une harmonisation de la responsabilité des transporteurs quelque soit le mode de transport. Ainsi, la faute lourde qui permettait l’exclusion des limitations de responsabilité du transporteur terrestre se voit remplacer par la faute inexcusable. Il s’agit alors, dans un premier temps, d’apprécier la notion de faute inexcusable (CHAPITRE I) pour comprendre, dans un second temps, l’effet possible que ce changement de faute va entraîner sur les acteurs du droit des transports terrestres (CHAPITRE II). 15 Jurisprudence Chronopost : La Chambre Commerciale de la Cour de cassation le 22 octobre 1996 est appelée à statuer sur le retard d’un colis Chronopost faisant l’objet entre le débiteur de l’obligation et le créancier de l’obligation d’un contrat-type transport de messagerie de moins de trois tonnes. La Cour de cassation, pour rendre son attendu, s’appuie sur la théorie générale des obligations qui dispose que toutes clauses qui contreviennent à une obligation essentielle sont réputées non écrites. En effet, selon le droit commun, la faute lourde est retenue du seul fait qu’on n’exécute pas son obligation essentielle. Dès lors, les clauses limitatives de responsabilité sont facilement réputées non écrites. La doctrine annonce immédiatement son opposition à cette décision, arguant qu’il s’agit d’un contrat type de messagerie, c’est-à-dire un contrat très spécial qui ne relève pas de la théorie générale des obligations mais de la LOTI (loi pour l’organisation des transports intérieurs du 30 décembre 1982). La Chambre Mixte du 22 avril 2005 opère un revirement de jurisprudence et applique les dispositions de la LOTI qui énonce que les clauses limitatives de responsabilité ne sont réputées non écrites que si l’obligation essentielle n’est pas exécutée ET qu’il y a une faute lourde (c’est-à-dire une faute d’une particulière gravité relevant que le débiteur n’est pas un professionnel digne de ce nom) ou une faute dolosive du transporteur. La Chambre Mixte adopte une conception subjective de la faute lourde : « la faute lourde de nature à mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ». Ainsi, il est dorénavant bien plus difficile de faire échec aux limitations de responsabilité prévues dans les contrats-type en droit des transports, et d’autant plus depuis la loi du 8 décembre 2009 qui remplace la faute lourde par la faute inexcusable du transporteur terrestre.
  • 18. 18 CHAPITRE I : L’APPRECIATION DE LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE 15. – Généralité sur l’appréciation de la faute inexcusable. – Le transport est une science en plus d’être un moyen de commerce. Il y a des règles et des applications. Aussi, comme le disait François Rabelais dans son illustre ouvrage « Pantagruel » : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». De la même manière, exercer un transport sans respecter les consignes, conduit à l’accomplissement d’une faute inexcusable. Celle-ci fait l’objet d’une définition particulière en droit français. Ainsi, il s’agit de mettre en lumière les éléments constitutifs de la faute inexcusable (Section I), afin de comprendre la difficulté d’appréciation des juges (Section II).
  • 19. 19 SECTION I : LES ELEMENTS CONTITUTIFS DE LA FAUTE INEXCUSABLE 16. – Le lien causal entre la faute et le dommage. – En droit des transports comme en droit commun des contrats, il faut qu’il existe un lien de cause à effet entre la faute et le dommage, c’est-à-dire que le dommage doit résulter de la faute du débiteur. Ce lien causal entre les deux éléments est souvent très difficile à prouver. Toutefois, sans cela, il n’y a aucun droit à réparation. Le créancier aura donc le devoir de prouver ce lien de causalité par tout moyen (puisque le contrat de transport est un contrat commercial où la preuve est libre) pour réussir à faire « sauter » les limitations de responsabilité contractuelle et obtenir la réparation intégrale de son préjudice. En droit des transports terrestres, le créancier devra établir l’existence d’une faute inexcusable depuis la loi n° 2009- 1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports. L’article L.133-8 du C. Com. énonce par conséquent que : « Seule est équipollente au dol, la faute inexcusable du voiturier et du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ». On déduit de cette définition quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable que nous allons étudier l’un après l’autre : la faute délibérée (« je décide de faire ma coupure ici »), l’existence de la probabilité du dommage (« je peux me faire voler dans cette rue obscure »), l’acceptation téméraire (« après tout, on verra bien ») et l’absence de raison valable (« c’est près de ma maison »)16 . 17. – La faute délibérée. – La faute délibérée implique une intention et apparaît, dès lors, plus grave qu’une simple faute lourde. Cependant, la faute inexcusable n’est pas une faute intentionnelle : elle comporte simplement un élément intentionnel, c’est-à-dire que le débiteur a connaissance de l’inexécution de son obligation sans pour autant vouloir, du fait de cette inexécution, nuire intentionnellement au créancier ; il n’a pas l’intention de créer un dommage. Le 16 Marie Tilche, « sans raison valable », BTL n°3336, 2010.
  • 20. 20 débiteur commet une faute délibérée en se sens qu’il n’exécute pas son obligation ou qu’il prend un risque engendrant la possibilité qu’il ne puisse plus exécuter son obligation. Prenons l’exemple d’un vol de marchandises. Un chauffeur laisse son camion rempli de marchandises dans une rue sans aucune surveillance afin de rentrer chez lui. Le lendemain, la marchandise a disparu et il se voit incapable d’exécuter son obligation de livraison de marchandises. Nous savons pourtant que le transporteur est gardien de la marchandise tout au long de son obligation contractuelle dès lors qu’il a pris en charge cette marchandise. Il en découle que le transporteur a le devoir de délivrer la marchandise dans le même état et dans la même quantité que lors de sa prise en charge. Aussi, suite au vol de cette marchandise, le transporteur a commis une faute en prenant un risque délibérée (il a pris la décision de laisser le camion sans surveillance) de ne pas pouvoir livrer la marchandise conformément à son obligation contractuelle. Encore faut-il que le créancier prouve que le débiteur avait conscience de la probabilité du dommage. 18. – La conscience de la probabilité du dommage. – Le créancier doit prouver que le débiteur avait conscience qu’un dommage pouvait résulter de l’inexécution de son obligation. C’est l’idée selon laquelle le débiteur avait connaissance des risques qu’il pouvait y avoir du fait de cette inexécution. Toutefois, comment prouver ce dont un Homme a conscience ou non ? On ne peut que la supposer ! C’est à ce moment précis qu’interviennent les juges. En effet, cet élément constitutif de la faute inexcusable est sans aucun doute le plus difficile à apprécier. Les juges, pour ce faire, vont soit opter vers une approche subjective (c’est-à-dire qu’ils vont tenir compte des aptitudes personnelles du débiteur sans référence à ce qu’aurait été le comportement normal d’une personne prudente et réfléchie), soit vers une approche objective (c’est-à-dire que les juges tiennent uniquement compte de ce qu’aurait fait un bon père de famille dans la même situation)17 . Aussi, cette conscience de la probabilité du dommage s’appréciera au cas par cas en tenant également compte des autres éléments constitutifs. 17 Ces deux approches sont étudiées plus en détail dans la Section II de ce même chapitre.
  • 21. 21 19. – L’acceptation téméraire. – Cet élément se déduit du précédent. En effet, il faut que le débiteur ait conscience du risque et qu’il l’accepte. C’est-à-dire que le débiteur décide en connaissance de cause de contrevenir à son obligation malgré le risque qui peut en résulter. Le débiteur consent au risque imprudemment : « l’obstination du transporteur à agir de telle manière qu’il en découlera un dommage, alors qu’il pouvait ou devait avoir conscience du danger » 18 . Prenons un exemple concret pour expliquer cette notion d’acceptation téméraire. Un pilote d’avion exerce un trajet de courte distance entre deux îles. Le temps est orageux et ses instruments de bord ne sont pas aussi fiables qu’à l’ordinaire. Il décide de perdre de l’altitude pour descendre en dessous des nuages et se retrouve dans l’eau suite à un mauvais calcul. On imagine bien qu’il avait connaissance, en sortant de sa ligne et de l’altitude recommandée, du risque de se retrouver en face d’un élément incontrôlable et pourtant il décide quand même de descendre en dessous des nuages sans savoir ce qui l’attend. Il a bien accepté témérairement un risque alors qu’un dommage pouvait arriver. C’est cette preuve qu’il faut que le créancier établisse. 20. – L’absence de « raison valable ». – Il s’agit alors, une fois les autres éléments démontrés, de prouver que le débiteur a pris un risque sans raison valable. C’est- à-dire que pour que la faute inexcusable soit retenue, il faut que le débiteur ait eu le choix de prendre ou non ce risque. En effet, si le débiteur s’est retrouvé dans une impasse, comme en cas de force majeure, alors celui-ci n’aura pas commis de faute. Néanmoins, s’il prend le risque de manière illégitime et sans que cela soit nécessaire, alors il commet une faute. L’ignorance de la nature de la marchandise ou encore l’ignorance des dangers que peuvent engendrer certains stationnements peut être une raison valable pour un chauffeur routier de s’arrêter afin de respecter les règlementations de temps de conduite et de repos de sa profession19 . Le créancier aura donc la tâche difficile d’apporter les éléments de preuves permettant de justifier que le débiteur a agit sans raison valable. 21. – L’association des éléments constitutifs de la faute inexcusable. – Ces quatre éléments que nous venons d’expliquer sont le fondement même de la 18 A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies : Economica, 2ème éd., 1998, n°366, p. 272. 19 Bulletin des Transports et de la Logistique – n° 3336 – 18 octobre 2010 p. 590.
  • 22. 22 définition de la faute inexcusable. Ils sont indissociables les uns des autres et doivent tous être démontrés pour que la faute inexcusable soit retenue devant les juridictions. En effet, le créancier doit apporter la preuve de la faute inexcusable en prouvant l’existence de ces quatre critères, toutefois, c’est au juge que revient la lourde tâche d’apprécier ces éléments afin de retenir ou non la faute inexcusable et les conséquences que celle-ci va provoquer sur les limitations de responsabilité du transporteur. Le juge pourra soit étudier ces éléments selon une approche objective (in abstracto) soit selon une approche subjective (in concreto).
  • 23. 23 SECTION II : L’APPRECIATION IN ABSTRACTO OU IN CONCRETO DE LA FAUTE INEXCUSABLE 22. – Etude des deux notions. – Dès que l’on parle de faute, il est fait référence à l’appréciation « in concreto » et à l’appréciation « in abstracto ». La faute inexcusable n’échappe pas à la règle. Tandis que l’une des appréciations fait pencher la notion de faute inexcusable vers une équivalence de ses effets à ceux de la faute dolosive (« in concreto »), l’autre appréciation la fait pencher vers une équivalence de ses effets à ceux de la faute lourde (« in abstracto »). Mais que signifient réellement ces deux notions ? §1 : Vers l’étude de l’appréciation « in abstracto » 23. – Définition de l’appréciation « in abstracto ». – Avec l’appréciation objective, on ignore tous les aspects personnels de l’auteur de la faute pour ne consacrer qu’une analyse comparative de son comportement à celui qu’aurait du avoir un bon professionnel dans les mêmes circonstances20 . Dès lors, la faute inexcusable aura un champ d’application bien plus large, puisqu’on ne s’intéressera pas seulement au fait que la personne responsable a conscience de la probabilité du dommage et qu’elle l’accepte témérairement mais on s’intéressera aussi à ce qu’elle aurait du faire en tant que bon professionnel. 24. – Appréciation plus favorable pour l’ayant-droit à la marchandise. – De cette analyse, on comprend qu’il sera alors plus simple de la part du créancier de l’obligation de prouver l’existence de la faute inexcusable, puisque les juges s’attacheront à deux critères. D’abord à la conscience qu’aurait dû avoir le transporteur puis, à ce qu’aurait fait un bon professionnel dans les mêmes circonstances. La faute inexcusable du transporteur sera ainsi plus facilement admise, entraînant alors le déplafonnement des limitations de responsabilité du transporteur, qui se verra contraint de réparer le préjudice de l’ayant-droit à la marchandise dans son intégralité. 20 P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 299, n°431.
  • 24. 24 25. – Cas d’application de l’appréciation « in abstracto » en droit du transport maritime. – Il semble que les juges tendent, depuis un arrêt du 5 décembre 1967, vers une conception objective de la faute inexcusable. En effet, dans cet arrêt, la Cour de cassation relevait que cette faute « devait être appréciée objectivement »21 . Dès lors, la jurisprudence est constante et apprécie la faute par rapport à ce qu’aurait fait une personne normalement avisée et prudente. Prenons l’arrêt « Teleghma » du 7 janvier 1997 : « attendu que l’arrêt constate... que la tempête essuyée par le navire était prévue, puisque les services météorologiques faisaient état de risques de vents de force 11 sur la Provence et donc de risques pouvant être localement supérieurs en mer, que le matériel de « saisissage », même correctement utilisé, n’excluait la possibilité d’un désarrimage que pour des vents de force 8 à 9, à condition de faire des choix parfaitement judicieux de route et de vitesse en fonction des circonstances ; qu’ainsi, ayant en outre retenu que le transporteur maritime ne pouvait ignorer les conditions dans lesquelles il avait exécuté le contrat, la Cour d’appel a suffisamment caractérisé, au regard des critères légaux, la faute ne permettant audit transporteur d’invoquer ni la clause contractuelle exonératoire ni la limitation de responsabilité prévue par l’article 28 de la loi du 18 juin 1996 »22 . Dans cet arrêt, la Cour de cassation met bien en avant la conception objective de la faute inexcusable, puisqu’elle prend clairement en compte ce qu’un bon professionnel aurait dû faire dans les mêmes circonstances pour appuyer sa décision « ayant en outre retenu que le transporteur maritime ne pouvait ignorer les conditions dans lesquelles il avait exécuté le contrat ». Dès lors, le transporteur maritime se voit strictement sanctionné, cela l’empêchant de bénéficier des limitations de responsabilité mises en place dans le contrat. En droit maritime, l’armateur ou le transporteur maritime doivent toujours respecter les règles nautiques et agir en toute sécurité, car même s’ils n’avaient pas complètement conscience de la probabilité du dommage, les juges considèrent qu’aux vues des éléments entrainant le dommage, ils ne pouvaient pas ignorer le risque. Ainsi, on étudie plus le comportement que la psychologie du 21 P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 299, n°431. 22 G. de Monteynard « Responsabilité et limitation en droit des transports », Rapport, Cour de cassation, Documentation française, 2002, p. 247.
  • 25. 25 transporteur, ce qui est évidemment bien plus simple et moins protecteur pour celui-ci. 26. – Cas d’application de l’appréciation « in abstracto » en droit du transport aérien. – En droit aérien, comme vu précédemment pour le droit maritime, les juges ont une approche objective de la faute inexcusable. Dans un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 14 mars 1995, il s’agit d’un problème de remise de colis de devises à son destinataire, transporté par voie aérienne. La Cour d’appel a ainsi écarté la faute inexcusable du transporteur aérien : « le service Fret d’Orly, qui a été informé de la présence de valeurs en soute, a pu légitimement penser que celles-ci avaient été retirées en dessous de l’avion par la société de protection, comme c’est l’usage et comme cela aurait dû se passer, si la société expéditrice avait correctement rempli sa mission, qu’aucune faute grave ne peut être reprochée à Air Inter à l’arrivée de l’avion dans la zone de vérification du fret, disposé en vrac dans des chariots tractés vers le poste de coordination, lui-même situé dans une zone protégée ». En effet, la Cour de cassation estime que : « alors qu’elle relevait qu’à l’arrivée de l’avion, aucune mesure de sécurité n’avait été prise par la société Air Inter pour assurer la conservation du colis sur la valeur duquel son attention avait été spécialement attirée, ce dont il résultait que ce transporteur aérien ne pouvait ignorer le dommage probable qu’il faisait courir au colis en le traitant comme un colis ordinaire, la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé ». Pourtant, même si le transporteur aérien connaissait la valeur de la marchandise, avec une approche subjective les juges auraient tenté de s’assurer de la conscience du transporteur qu’un dommage arrivera certainement. Le fait que l’usage ait toujours été le même et qu’aucun autre dommage n’ait été constaté aurait sans doute joué en faveur du transporteur. La déclaration de la valeur du colis et la prévisibilité du dommage ont néanmoins été des éléments moteurs de l’appréciation objective des juges de cassation, permettant de retenir une faute inexcusable. Toutefois, les transporteurs étant presque continuellement responsables d’une faute inexcusable, la jurisprudence revient peu à peu vers une approche subjective.
  • 26. 26 §2 : Vers l’étude de l’appréciation « in concreto » 27. – Définition de l’appréciation « in concreto ». – Avec l’appréciation subjective, on s’attache essentiellement à tous les aspects personnels de l’auteur de la faute, c’est-à-dire sans référence à ce qu’aurait été le comportement normal d’une personne prudente et réfléchie. Dès lors, la faute inexcusable aura un champ d’application bien plus restreint puisqu’on s’intéressera seulement à la certitude que la personne responsable a conscience de la probabilité du dommage et qu’elle l’accepte témérairement. 28. – Appréciation plus favorable pour le transporteur. – De cette analyse, on comprend qu’il sera alors plus complexe de la part du créancier de l’obligation de prouver l’existence de la faute inexcusable, puisque les juges ne s’attacheront qu’au critère de la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire par le transporteur. La faute inexcusable du transporteur sera ainsi plus difficilement admise, permettant alors la continuité du plafonnement des limitations de responsabilité du transporteur, qui se verra seulement demander de réparer le préjudice de l’ayant-droit de la marchandise à hauteur de ces limites prévues dans le contrat. 29. – Cas d’application de l’appréciation « in concreto » en droit du transport maritime. – Récemment, la Cour de cassation a tenu compte dans sa décision de la témérité et de la conscience de la probabilité du dommage à travers un arrêt de la chambre commerciale du 7 février 2006, dit « Touggourt », nous conduisant à considérer que la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence. En l’espèce, le transporteur maritime était incapable d’expliquer les circonstances de la disparition du conteneur qu’il n’a pas pu livrer et dont il avait pris la charge. La Cour de cassation estime que la seule perte de la marchandise durant le transport n’est pas une faute inexcusable privant le transporteur des limitations de responsabilité prévues dans le contrat : « le transporteur bénéficie de la limitation dès lors qu’il n’a pas été établi que son comportement procède d’un acte ou d’une omission qui a eu lieu témérairement ». On ne peut toutefois s’empêcher de remarquer que la Cour de cassation garde un point de repli en
  • 27. 27 gardant la notion du « comportement » dans son attendu. La doctrine reçoit ce changement avec enthousiasme23 ou ahurissement24 . Ici, le doute bénéficie au transporteur, permettant de penser qu’il sera plus difficile de faire « sauter » les limitations de responsabilité prévues dans le contrat de transport en matière maritime. Mais qu’en est-il du droit aérien ? 30. – Cas d’application de l’appréciation « in concreto » en droit du transport aérien. – Là encore, récemment, la Cour de cassation, dans un arrêt de la chambre commerciale du 21 mars 2006, opère un revirement de jurisprudence de la conception de la faute inexcusable en matière aérienne comme elle l’a aussi fait en matière maritime. En l’espèce, il s’agit d’une société (expéditeur) qui confie un pli contenant son offre pour la construction de différentes structures autoroutières à une société spécialisée de messagerie rapide (transporteur) pour l’acheminement de ce pli par avion. Ce pli est remis un jour après la date limite de dépôt des offres au destinataire. L’expéditeur assigne le transporteur en réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance d’obtenir le marché. La Cour de cassation est alors amenée à se prononcer sur la constitution ou non d’une faute inexcusable du transporteur. Dans son attendu, la Cour adopte une approche subjective dans l’interprétation de la faute inexcusable du transporteur tenant compte de la preuve que le transporteur avait certainement conscience ou non de la probabilité du dommage : « n’était pas prouvé par la lettre de voiture ou tout autre document que la société DHL International savait qu’un retard de livraison d’une journée priverait la société Gallego de la possibilité de participer à l’appel d’offre et lui causerait le préjudice dont cette dernière demande réparation… ». Pour le moment, la Cour de cassation semble revenir peu à peu vers une approche subjective. Toutefois, le revirement ne sera complet qu’une fois que les juges cesseront de tenir 23 RTD com. 2006, p. 521, obs. P. Delebecque. 24 DMF 2006, p. 516, obs. M. Remoud-Gouilloud : « Bien que la disparition du conteneur litigieux « ne permette pas la qualification de comportement téméraire » de la part du transporteur, l’arrêt d’appel, respectueux de la jurisprudence consacrée, n’en relève pas moins que ce fait démontre une inorganisation de sa part, la disparition « pouvant s’expliquer par un acte frauduleux des personnes dont il répond, ou par une livraison à un autre destinataire ». Du coup l’on vient à s’interroger sur l’impunité bénéficiant à la négligence grossière d’un professionnel témoignant « d’une incapacité à remplir sa fonction ». On voit mal, du reste, pourquoi l’accumulation, négligences et imprudences, n’est pas sanctionnée à ce titre, alors qu’elle seule explique l’inorganisation dommageable ». Sur ce point nous ne rejoignons pas l’avis de M. Remoud-Gouilloud qui apparaît comme contraire au principe selon lequel en cas d’absence de preuve ou ne peut punir un individu pour une faute qu’il n’a pas commise.
  • 28. 28 compte du comportement que le débiteur aurait dû avoir et privilégieront le côté psychologique du transporteur. 31. – L’étendue des deux appréciations possibles en droit des transports terrestres. – Le problème avec l’appréciation objective, c’est que l’on n’essaie pas de savoir si le transporteur avait conscience de la probabilité du dommage comme le confère la loi et le retient l’approche subjective. En effet, les juges s’appliquent seulement à constater que les transporteurs auraient dû avoir conscience qu’un dommage en résulterait probablement. Or, les deux approches sont diamétralement différentes. Pour l’une, il s’agit concrètement d’apporter la preuve de la connaissance certaine du dommage par le transporteur, tandis que pour l’autre, il s’agit simplement d’apporter la preuve de l’hypothèse de la connaissance du dommage par le transporteur. Il est donc primordial, d’avoir en tête cette distinction, les décisions étant alors plus ou moins protectrices pour le transporteur. C’est essentiellement ce que nous allons tenter de mettre en lumière dans l’étude de cette seconde section quant au droit des transports terrestres et au changement qui vient d’intervenir avec la loi du 8 décembre 2009 passant d’une faute lourde vers une faute inexcusable. Ainsi, les juges vont-ils être tentés d’interpréter la faute inexcusable d’une façon objective, ne l’éloignant que très peu de la notion de faute lourde, ou bien vont-ils prendre le risque de s’aventurer vers une interprétation subjective de la faute inexcusable entrainant alors un revirement complet dans la matière ?
  • 29. 29 CHAPITRE II : L’INTERROGATION SUR L'EFFET POSSIBLE DE LA MODIFICATION DE LA NOTION DE FAUTE LOURDE EN FAUTE INEXCUSABLE 32. – L’enjeu du changement de notion. – Pour bien comprendre l’enjeu d’un tel changement, il faut savoir qu’en matière de transport, le transporteur a une obligation de résultat à l’encontre des autres parties au contrat. Dès lors qu’il réceptionne la marchandise, il en a la garde jusqu’à sa livraison avec la bonne quantité, en bon état, au bon endroit, au bon moment et au bon destinataire. Sa tâche est très lourde ; ainsi pour rendre la charge des obligations des parties acceptable, la loi a mis en place des plafonds de limitations de responsabilité permettant au transporteur de supporter plus équitablement le risque qu’il encourt. Si l’ayant-droit de la marchandise estime que la nature de la marchandise est trop importante pour ce contenter des plafonds de limitations de responsabilité prévus par la loi, alors il aura le choix de faire une déclaration de valeur ; celle-ci aura pour effet de permettre l’augmentation de l’indemnité de l’ayant-droit en cas de manquement du transporteur sur la marchandise. Si elle n’est pas prévue, en cas de manquement du transporteur à son obligation de résultat, la victime de cette inexécution devra prouver la faute inexcusable de celui-ci pour faire obstacle aux plafonds de limitations de responsabilité et se faire rembourser l’intégralité de son préjudice. Avant 2009, la faute lourde était la référence pour écarter les limitations de responsabilité prévues conventionnellement ou règlementairement entre le transporteur terrestre et l’ayant-droit de la marchandise. Avec l’arrivée de la faute inexcusable en droit des transports terrestres, harmonisant alors tous les modes de transports, les juges ont la tâche difficile d’interpréter cette faute de la manière la plus juste possible. C’est pourquoi, il est important de voir l’effet possible qu’aura un tel changement en matière de transport terrestre puisqu’une appréciation subjective protégera plus le transporteur qu’une approche objective bien que dans les deux cas sa protection sera renforcée.
  • 30. 30 33. – Interprétation de la faute lourde. – La faute lourde est une notion datant du droit romain. A cette époque déjà, les romains avaient considéré que la faute lourde était équipollente au dol : « culpa lata dolo aequiparatur ». Cette notion, tout comme la faute inexcusable, peut-être interprétée objectivement ou subjectivement. Aussi, la faute lourde va être retenue, dans une approche objective, par le simple fait que le débiteur ne remplit pas son obligation essentielle. On s’attache alors à la conscience que l’auteur aurait dû avoir de la cause du dommage par rapport au caractère essentiel de l’obligation25 . Pour bien comprendre l’étendue d’une telle interprétation, prenons l’exemple de la Chambre Commerciale de la Cour de cassation le 22 octobre 1996 qui est appelée à statuer sur le retard d’un colis Chronopost faisant l’objet entre le débiteur de l’obligation et le créancier de l’obligation d’un contrat-type transport de messagerie de moins de trois tonnes. La Cour de cassation, pour rendre son attendu, s’appuie sur la théorie générale des obligations qui dispose que toutes clauses qui contreviennent à une obligation essentielle sont réputées non écrites. En effet, selon le droit commun, la faute lourde est retenue du seul fait qu’on n’exécute pas son obligation essentielle. Dès lors, les clauses limitatives de responsabilité sont facilement réputées non écrites. Toutefois, dans une approche subjective, comme le rappel la Jurisprudence Chronopost de 2005, la faute lourde va être retenue en appréciant la gravité du comportement de l’auteur, c’est-à-dire qu’on va s’attacher à sa conscience effective26 . En effet, la doctrine annonce immédiatement son opposition à la décision rendue par la Cour de cassation le 22 octobre 1996 27 , arguant qu’il s’agit d’un contrat type de messagerie, c’est-à-dire d’un contrat très spécial qui ne relève pas de la théorie générale des obligations mais de la LOTI (loi pour l’organisation des transports intérieurs du 30 décembre 1982). Ainsi, la Chambre Mixte du 22 avril 200528 opère un revirement de jurisprudence et applique les dispositions de la LOTI qui énonce que les clauses limitatives de responsabilité ne sont réputées non écrites que si l’obligation essentielle n’est pas exécutée ET qu’il y a une faute lourde 25 A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies : Economica, 2ème éd., 1998, n°382, p. 280. 26 A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies : Economica, 2ème éd., 1998, n°382, p. 280. 27 Cass. Ch. Com, 22 oct. 1996, n° 93-18.632, Bull 1996 IV n° 261, p. 223. 28 Cass. Ch. Mixte, 22 avr. 2005, n° 02-18.326 et 03-14.112, JCP G 2005 II, 10066, obs. G. Loiseau ; RDC 2005, p. 681, obs D. Mazeau et p. 753, obs P. Delebecque ; Dr & patr. 2005, n°141, p. 36, obs. G. Viney ; JCP E 2005, n°40, p.1446, obs. Paulin Ch. ; H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 – juin 2006 », D. 2007, p. 111.
  • 31. 31 (c’est-à-dire une faute d’une particulière gravité relevant que le débiteur n’est pas un professionnel digne de ce nom) ou une faute dolosive du transporteur. La Chambre Mixte adopte une conception subjective de la faute lourde : « la faute lourde de nature à mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ». On retient alors qu’il est dorénavant bien plus difficile de faire échec aux limitations de responsabilité prévues dans les contrats-types en droit des transports. 34. – Généralité sur l’effet possible de la modification de la notion de faute lourde en faute inexcusable. – Il est facile de comprendre qu’en matière de transports terrestres, les juges retiennent la conception « in concreto » de la faute lourde pour faire échec aux plafonds de limitation de responsabilité ; aussi, il s’agit d’étudier la jurisprudence relative à cette faute et d’envisager ces illustrations à la lumière de la faute inexcusable pour nous permettre d’apprécier si un changement significatif va affecter la matière. Ainsi, cette interprétation de la faute inexcusable peut aller, soit vers une prorogation de la notion de faute lourde (Section I), soit vers une amplification de la notion de faute lourde (Section II).
  • 32. 32 SECTION I : UNE INTERPRETATION PROROGEANT LA NOTION DE FAUTE LOURDE 35. – Premier effet possible du changement de notion. – La notion de faute inexcusable, comme nous l’avons vu précédemment, s’attache à quatre éléments constitutifs telle la faute délibérée (1), impliquant la conscience de la probabilité du dommage (2), son acceptation téméraire (3), sans raison valable (4). Aussi, on en déduit que si les juges penchent vers une approche « in abstracto » de la faute inexcusable alors il n’y aura pas de réel changement dans la matière puisqu’ils s’intéresseront essentiellement à la possibilité que l’auteur ait eu conscience de la probabilité dommage qu’il a causé et qu’il l’a acceptée témérairement. Pour cela, les juges se réfèreront à ce qu’aurait dû faire un bon professionnel dans la même situation comme en matière de faute lourde. Dans cette hypothèse, les juges éloigneront très peu leurs jugements de ceux déjà rendus en matière de faute lourde. Toutefois, il y a un risque que les juges continuent à penser comme ils le faisaient auparavant avec la faute lourde, entraînant conséquemment un amalgame entre les éléments constitutifs des deux notions de faute lourde et inexcusable. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 mars 201229 en est un exemple. Dans cette affaire, un expéditeur fait appel à un voiturier pour la prise en charge de sa marchandise de moins de trois tonnes. Lors du déchargement, la marchandise tombe causant des avaries. La faute inexcusable du commissionnaire et du voiturier est retenue, le premier n’ayant pas averti le second des dimensions de la machine et le second n’ayant prévu aucun moyen de manutention adapté lorsqu’il a pris en charge la marchandise, alors que dans les envois de moins de trois tonnes, le chargement et le déchargement de la marchandise sont à la charge du transporteur. Il y a deux critiques dans cette décision rendue par les juges de second degré. La première étant que la faute inexcusable ait été évoquée et retenue alors même que les faits étaient antérieurs à la loi du 8 décembre 2009 et que la loi n’a pas d’effet rétroactif30 . La seconde étant le mélange de notions de faute lourde et de faute inexcusable. En effet, dans la décision, les juges parlent d’incurie du transporteur et du 29 Arrêt de la Cour d’appel de Paris, Pôle 5, ch. 5, du 15 mars 2012, Transports Petit contre Panalpina, BTL 2012 n°3406. 30 Article 2 du Code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir ».
  • 33. 33 commissionnaire et retiennent, de ce fait, la faute inexcusable : « Que le défaut de moyen de déchargement adapté aux caractéristiques de la marchandise confiée démontre l’incurie tant du commissionnaire qui, d’une part, a été informé des caractéristiques du chargement et les a dûment constatées et qui, d’autre part, a néanmoins eu recours à un autre transporteur sans prévoir de prestation annexe pour le déchargement, que de ce dernier qui, également professionnel du transport, a accepté de le réaliser sans avoir de moyens adaptés ; Qu’il s’ensuit que tant le commissionnaire que le voiturier ont chacun commis une faute inexcusable excluant l’application des clauses limitatives de responsabilité ». Comme nous l’avons précédemment indiqué, la faute inexcusable, pour être retenue, doit faire l’objet de la preuve des ses quatre éléments constitutifs définis par l’article L 133-8 du Code de Commerce. Or, ici les juges se servent du critère de la faute lourde (l’incurie) comme élément de preuve de la faute inexcusable. Néanmoins, il ne faut pas faire d’un arrêt une généralité et il faut espérer que les juges de cassation ne feront pas les mêmes erreurs. La jurisprudence en matière de faute inexcusable étant presque inexistante, il s’agit de mettre en lumière les solutions qui pourraient prochainement voir le jour en transposant à la faute inexcusable les exemples jurisprudentiels déjà proclamés pour des cas de faute lourde. 36. – Transposition de notions. – La jurisprudence relative à la faute lourde est très abondante. En matière de contentieux, depuis la loi du 8 décembre 2009, elle se déplace sur le terrain de la notion de faute inexcusable. Celle-ci, théoriquement plus grave que la faute lourde, devrait entraîner une diminution des cas où la faute du transporteur sera retenue pour anéantir les plafonds de limitations de responsabilité. Il est néanmoins possible que les juges retiennent des décisions presque semblables à celles qu’ils développaient jusqu’à présent en matière de faute lourde. Essayons de comprendre cette hypothèse en imaginant ce que pourrait être l’interprétation objective de la faute inexcusable par les juges, en analysant cette faute au regard des illustrations jurisprudentielles abondantes de fautes lourdes :
  • 34. 34 a. Dans l’affaire exposée à la cour d’Appel d’Orléan le 10 juin 201031 , un expéditeur confie l’acheminement de sa marchandise à un commissionnaire, qui lui-même la confie à un transporteur. En l’espèce, il s’avère que le transporteur choisi par le commissionnaire est « un chauffeur intérimaire inexpérimenté toxicomane et connu des services de police ». Le chauffeur se fait voler la marchandise sous sa garde et avoue par la suite avoir laissé le camion sans surveillance avec les clés sur le contact. Les juges retiennent l’incurie du transporteur et du commissionnaire puisque la cherté de la marchandise ne pouvait être ignorée et qu’aucun renseignement sur le chauffeur intérimaire n’avait été demandé avant que le commissionnaire ne lui confie l’acheminement de la marchandise. De quelle manière les juges pourraient-ils interpréter les quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable, du point de vue de l’appréciation « in abstracto », dans cette affaire ? Pour ce qui est du critère de la faute délibérée, si on se met à la place du chauffeur, il est aisé d’imaginer que les juges retiendront ce premier critère à l’encontre du transporteur, dans la mesure où il a laissé son véhicule sans surveillance et en laissant les clés sur le contact. On peut facilement comprendre qu’il a eu connaissance de l’inexécution de son obligation dans cette hypothèse. Concernant les critères de la conscience de la probabilité du dommage et de son acceptation téméraire, le fait que le transporteur ait laissé son véhicule sans surveillance avec les clés sur le contact permettrait aux juges de conclure que celui-ci aurait du avoir conscience du dommage qui pouvait résulter de son acte, et qu’il a accepté celui-ci témérairement. Toutefois, d’un point de vue subjectif, on imagine aisément que les juges auraient retenu que le chauffeur était un intérimaire inexpérimenté, ne pouvant vraisemblablement pas avoir une telle connaissance, anéantissant dès lors la certitude qu’il avait conscience de la probabilité du dommage. 31 CA Orléans, 10 juin 2010 ; SA TAT Express et HG Transport contre Sté Chartis Europe, BTL 2010 n°3330.
  • 35. 35 Enfin, quant au critère de l’absence de raison valable, il semble évident que le fait de livrer une marchandise sur la voie publique n’oblige en aucun cas le chauffeur à laisser les clés sur le véhicule. En l’espèce, les juges auront certainement tendance à accepter l’existence des éléments constitutifs de la faute inexcusable, sachant qu’il s’agissait de matériel Hi-fi vidéo très convoité et de grande valeur. b. La cour d’Appel de Rennes du 29 novembre 201132 se voit confier une affaire relative à l’acheminement de parfums de luxe. En l’espèce, le transporteur stationne durant la nuit sur la bordure d’une route nationale sans verrouiller son camion. Les juges du fond retiennent la faute lourde, alors même que le chauffeur s’était endormi à bord (ce qui peut paraître sévère), en estimant qu’en dormant celui-ci ne pouvait pas garder convenablement son véhicule. Que pourrait-il en être au jour de la faute inexcusable ? Si on examine les critères de la faute inexcusable, l’absence de verrouillage du véhicule et de stationnement protégé nous amène à penser que les juges auraient facilement retenu le critère de la faute délibérée. De plus, le chauffeur ne pouvait ignorer qu’un vol de marchandise pouvait résulter de son absence de précaution. Dans tous les cas, il aurait dû avoir conscience de la probabilité du dommage et pourtant, il prend quand même ce risque : il accepte témérairement ce danger sans prendre en compte le risque encouru par la marchandise de valeur. Enfin, le critère de l’absence de raison valable peut toutefois être invoqué à décharge, sachant que le droit des transports routiers fait l’objet d’une réglementation sociale très stricte quant aux temps de conduite et de repos des transporteurs. Néanmoins, il est aisé d’admettre qu’un transporteur a l’occasion de trouver un endroit plus sûr qu’une bordure d’autoroute pour prendre son repos quotidien de onze heures. Il est donc possible que les juges retiennent la faute inexcusable dans une situation similaire. 32 CA Rennes, ch. 3, 29 nov. 2011 ; Covéa Fleet et a. contre Axa Corporate, BTL 2012 n°3395.
  • 36. 36 c. La Cour d’appel de Dijon du 29 mai 201233 est saisie d’une affaire de vol de bijoux dans des entrepôts. En l’espèce, alors que le dernier chauffeur quitte son service, des malfaiteurs entrent dans les locaux et dérobent une partie de la marchandise entreposée. Ils entrent sans commettre d’effraction et sans déclencher le système d’alarme, ce qui laisse supposer que les malfaiteurs étaient dûment renseignés sur les systèmes de sécurité mis en place dans l’entrepôt. De plus, cette situation met en lumière des circonstances aggravantes puisque des vols avaient déjà été commis et le donneur d’ordre avait demandé la mise en place de techniques de sécurité plus élaborées. Or, le transporteur s’était seulement contenté de remplacer les clés de l’entrepôt, ce qui n’était effectivement pas suffisant en de telles circonstances. Les juges du fond retiennent la faute lourde du transporteur dans la mesure où il s’est fait voler la marchandise à deux reprises dans ses locaux sans avoir remédié aux systèmes de sécurité obsolètes n’ayant pu déjà empêcher le précédent vol. Comment pourrait-on juger cette affaire sous l’empire de la faute inexcusable ? Le fait que le site était mal protégé et qu’aucune mesure n’ait été mise en œuvre pour y remédier démontre naturellement que le transporteur a commis une faute délibérée. De plus, le fait que le site ait déjà été visité une première fois par les malfaiteurs permet de démontrer que le transporteur aurait dû avoir conscience qu’une seconde visite était probable ; et en ne prenant pas de mesure adéquate pour y remédier, on peut penser qu’il a accepté témérairement ce risque. Enfin, le transporteur n’avait aucune raison valable de ne pas protéger le site de manière plus soutenue. Aussi, il est fort probable que dans une hypothèse similaire, les juges du fond, avec une approche objective, tendraient à reconnaître la faute inexcusable. 37. – Conséquences de l’interprétation « in abstracto » de la faute inexcusable par les juges. – On sait que la loi du 8 décembre 2009, qui a intensifié la notion de faute du transporteur en changeant la faute lourde en faute inexcusable, avait 33 CA Dijon, 29 mai 2012 ; SA MATY contre SAS TCS ; BTL 2012 n°3419.
  • 37. 37 pour but d’unifier tous les modes de transports et de restreindre les cas où les transporteurs seraient privés des plafonds de limitations de responsabilité. Aussi, une approche objective de la faute inexcusable par les juges amoindrirait l’avantage qu’ont les transporteurs de garder leur limitation de responsabilité intacte, puisque les critères constitutifs de la faute inexcusable seraient plus facilement admis. Aussi, un impact moins fort rejaillira dans la matière des transports terrestres dans la mesure où les victimes d’une faute d’un transporteur ne verront pas disparaître leur chance de faire « sauter » les limitations de responsabilité du jour au lendemain. C’est ce que montrent les exemples ci- dessus de faute lourde puisqu’on remarque qu’il y a de forte chance pour qu’une faute inexcusable soit également reconnue par les juges qui exerceraient une approche objective. Il s’agit maintenant de savoir quelles seraient les conséquences d’une approche subjective de la faute inexcusable par les juges ?
  • 38. 38 SECTION II : UNE INTERPRETATION AMPLIFIANT LA NOTION DE FAUTE LOURDE 38. – Second effet possible du changement de notions. – Si les juges penchent vers une approche « in concreto » de la faute inexcusable, alors il y aura un réel changement dans la matière puisqu’ils ne relèveront pas la faute inexcusable du transporteur tant qu’ils n’auront pas la certitude que celui-ci avait conscience de la probabilité dommage et qu’il l’a accepté témérairement. Dans cette hypothèse, les juges s’attacheront à l’essence même du texte juridique, favorisant la protection des transporteurs jusqu’alors trop facilement condamnables sous l’empire de la faute lourde à payer l’intégralité du préjudice. En prenant des exemples jurisprudentiels déjà proclamés de la faute lourde, nous allons nous essayer au jeu de la transposition avec la faute inexcusable afin de voir quelles seraient les conséquences d’une interprétation subjective des juges. 39. – Transposition de notions. – Pour éviter l’excès des « forum shopping »34 et protéger la responsabilité des transporteurs trop fréquemment jugés responsables de la commission d’une faute lourde35 entraînant la réparation intégrale de tous les préjudices justifiés, même non prévisibles, la loi sévit en imposant le preuve d’une faute inexcusable du transporteur par l’ayant-droit de la marchandise. En matière de contentieux, la loi se déplace alors sur le terrain de la notion de la faute inexcusable. Celle-ci, théoriquement plus grave que la faute lourde, devrait ainsi entraîner une diminution des cas où la faute du transporteur sera retenue pour anéantir les plafonds de limitations de responsabilité. Essayons d’imaginer 34 Les « forum shopping » correspondent à la « Possibilité pour une partie de saisir les tribunaux des pays appelés à rendre la décision la plus favorable à son intérêt ». Aussi, les transporteurs avaient tendance à saisir les tribunaux des pays qui retenaient la notion de faute inexcusable pour éviter de voir exclure leur limitation de responsabilité alors que les ayants-droit à la marchandise avaient plutôt tendance à choisir les tribunaux des pays que reconnaissaient la notion de faute lourde comme équipollente au dol pour faire échec à ces plafonds de responsabilité des transporteurs. 35 La notion de faute lourde est trop facilement admise (8 fois sur 10). Le stationnement dans des parkings non sécurisés, le vol de produits coûteux et l’irrespect de la règlementation sociale sont autant d’éléments ayant entraîné la volonté de changer la notion de faute lourde en faute inexcusable. En effet, l’équation entre les marchandises coûteuses et le vol, qui entraînait à coup sûr la reconnaissance de la faute lourde du transporteur victime, était devenue trop injuste.
  • 39. 39 cette hypothèse et ce que pourrait être l’interprétation subjective de la faute inexcusable par les juges en analysant cette faute au regard des illustrations jurisprudentielles abondantes de fautes lourdes : a. La Chambre Commerciale le 10 juillet 201236 a retenu la faute lourde du transporteur qui s’est assoupi au volant de son véhicule entraînant un manquant et des dommages sur la marchandise. Du matériel scientifique doit être acheminé de Lyon à Wissenbourg. Le donneur d’ordre demande au transporteur de livrer la marchandise dans un temps déraisonnable et celui-ci l’accepte. Ayant effectué un repos insuffisant, celui-ci s’assoupit et perd le contrôle de son véhicule entraînant le renversement de la marchandise. La Cour de cassation retient l’incurie du transporteur, en s’attachant à l’origine du comportement du conducteur. En effet, celui-ci n’aurait pas dû accepter des délais déraisonnables. Envisageons par simulation l’arrêt au jour de la faute inexcusable : Pour que la faute inexcusable soit retenue, il faut que la victime prouve les quatre éléments constitutifs de cette faute. Aurait-il pu y avoir faute délibérée du transporteur ? On peut en douter dans la mesure où le transporteur a reçu la consigne d’acheminer la marchandise dans un temps record, sans que cela ne relève de sa volonté. Aurait-il pu avoir conscience de la probabilité du dommage ? Là encore, selon une approche subjective, il n’y a aucune certitude que le transporteur ait eu cette conscience. En effet, n’ayant commis aucune infraction à la réglementation sociale, on ne peut prouver raisonnablement la certitude de la conscience du transporteur qu’il allait s’assoupir. Quant à l’acceptation téméraire du risque par le transporteur, celle-ci est impensable aux vues de l’espèce. Enfin, le transporteur aurait-il pu avoir une raison valable de ne pas se reposer suffisamment ? Il semble que le transporteur avait en effet une raison valable de ne pas se reposer suffisamment, puisque la marchandise devait être acheminée dans un délai très court sur demande du donneur 36 Cass. Com., 10 juillet 2012, Sté Transal contre DHL Holding et a., BTL 2012 n°3423.
  • 40. 40 d’ordre. Le transporteur aurait évidemment pu refuser ce délai ; toutefois il aurait pu perdre un client. Que ce manque de diligence relève de la faute lourde se conçoit, mais qu’il relève de la faute inexcusable, sûrement pas au regard de l’appréciation subjective. Aussi, la faute inexcusable va certainement permettre, au grand soulagement des transporteurs et de leurs assureurs, d’amoindrir les cas où la faute de transporteur sera reconnue pour faire sauter les plafonds de limitations de responsabilité. b. Le Tribunal de Commerce de Nanterre le 7 décembre 200937 énonce que : « commet une faute lourde le transporteur qui, connaissant la valeur de la marchandise et la facilité d’accès des zones de livraison, laisse le véhicule en charge sans le verrouiller ». En l’espèce, un transporteur est chargé d’acheminer des caméras. Pour effectuer une livraison en centre commercial, celui-ci s’arrête un bref instant et la moitié de la marchandise est volée pendant ce bref instant. Le transporteur n’avait pas verrouillé le rideau du véhicule alors qu’il connaissait la valeur de la marchandise et que la zone de livraison n’était pas sécurisée. Quelle aurait été la solution sous l’empire de la faute inexcusable ? On ne peut vraisemblablement pas parler de faute délibérée du transporteur en tant que telle. En effet, le transporteur devant effectuer une livraison en cours de chemin, on imagine plutôt que celui-ci n’a pas pris les mesures nécessaires par simple imprudence. Quant à la conscience effective de la probabilité du dommage, le seul élément de preuve recevable serait la connaissance de la valeur de la marchandise par le transporteur. Toutefois, en aucun cas la certitude de la conscience de la probabilité de créer un tel dommage par le transporteur, nécessaire comme élément de preuve aux regards de l’interprétation subjective des juges, ne paraît plausible. De plus, la rapidité de l’arrêt et la fermeture du rideau même non verrouillé démontrent bien que le transporteur n’avait pas accepté témérairement le risque de pouvoir se faire dérober la 37 TC Nanterre, 7 déc. 2009 ; Sté Canon Europa contre Transports Express de Seine ; BTL 2010 n°3315.
  • 41. 41 marchandise. Pour que cet élément soit recevable par les juges, il aurait fallu que le transporteur ne ferme pas le rideau. Enfin, les livraisons des transporteurs en cours de chemin sont fréquentes et, celles-ci devant être rapides, les transporteurs ne prennent pas forcément le temps de verrouiller le véhicule puisqu’ils savent que la livraison sera très brève. Aussi, en l’espèce, on peut parler de raison valable dans la mesure où la livraison devait être rapide. Là encore, pour que cet élément soit recevable par les juges, il aurait fallu que le transporteur se soit arrêté dans le centre commercial pour des raisons personnelles et non pas pour la livraison de la marchandise du donneur d’ordre. c. La Cour d’appel de Paris le 3 février 201038 est appelée à rendre sa décision sur l’affaire d’un transporteur qui entrepose temporairement des cigarettes et se les fait voler pendant l’heure du déjeuner. Le personnel étant absent et le système d’alarme désactivé, la Cour retient que le transporteur a commis une faute lourde. Qu’en est-il au regard de la faute inexcusable ? Les entrepôts du transporteur se trouvant près des quais, et l’absence de personnel pendant l’heure du déjeuner étant « pratique courante dans la profession »39 , il est peu probable que les juges retiennent la faute délibérée du transporteur. De plus, ce n’est pas parce que le transporteur a laissé l’alarme éteinte que cela signifie qu’il avait conscience de la probabilité du dommage qu’il encourait, et encore moins qu’il a accepté témérairement le risque. En effet, les juges, dans leur interprétation subjective, s’assureront de la certitude d’une telle conscience. Enfin, dans la mesure où la messagerie implique des allers et retours fréquents, cela suppose qu’il avait des raisons valables d’agir ainsi, cet élément pouvant néanmoins être discuté. Dans cette affaire, la faute inexcusable n’aurait certainement pas été retenue selon une approche subjective. Quelles vont être les conséquences probables d’une interprétation subjective de la faute inexcusable par les juges ? 38 CA Paris, 3 fév. 2010, Zurich Insurance et a. contre SAS Agility et a., BTL 2010 n°2226. 39 Marie Tilche, 10 questions sur la faute inexcusable, BTL n°3305, 2010.
  • 42. 42 40. – Conséquence de l’interprétation « in concreto » de la faute inexcusable par les juges. – Avec une approche subjective de la faute inexcusable, les juges recherchent la preuve des quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable, sans qu’un seul doute ne puisse subsister sur le comportement du transporteur. En effet, si un des éléments n’est pas certain, mais seulement probable, alors les juges auront tendance à protéger le transporteur en lui laissant le bénéfice des plafonds de limitations de responsabilité. Aussi, cela aura pour conséquence que le transporteur jusqu’alors facilement condamnable soit dorénavant très difficilement condamné sous l’empire de la faute inexcusable. 41. – Solution la plus probable. – Le Tribunal Correctionnel de Bobigny le 23 novembre 201040 est saisi d’une affaire dans laquelle un transporteur reçoit l’instruction de rouler en double équipage pour acheminer des marchandises de Rome à Paris dans un cours délai. En l’espèce, même s’il y avait bien deux personnes dans le camion, l’une d’entre elles n’était pas conductrice. Dès lors, le chauffeur avait violé la réglementation sociale applicable en matière de droit des transports routiers en falsifiant les données de son chrono-tachygraphe41 . De plus, il s’est endormi au volant causant un accident et des avaries. Le Tribunal retient la faute inexcusable du transporteur alors que les faits sont antérieurs à la loi du 8 décembre 2009 et que la loi n’a pas d’effet rétroactif. Pourtant il ne fait aucun doute que « les ingrédients » de la faute inexcusable sont présents. En violant la réglementation routière, le chauffeur fait preuve de la commission d’une faute délibérée. Les dangers de la fatigue au volant sont bien connus, le Tribunal retient la conscience du transporteur de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire du risque en conduisant seul, alors que le donneur d’ordre avait donné l’instruction de recourir à un double équipage. De plus, le transporteur, même si les délais étaient impératifs, n’avait aucune raison valable de ne pas recourir au double équipage. Dans cet arrêt, les juges tendent vers une approche objective de la faute inexcusable dans la mesure où l’élément de la conscience de la probabilité du dommage par le transporteur n’a pas été recherché avec certitude, mais plus par rapport au comportement qu’aurait dû 40 TC Bobigny, 23 novembre 2010, Sté Ace Insurance et a. contre Exp’Air Transit et a., BTL 2011 n°3353. 41 Appareil de contrôle des temps de conduite et de repos en matière de transport routier.
  • 43. 43 avoir un bon père de famille dans les mêmes circonstances : « Attendu que le chauffeur a falsifié les disques tachygraphes, n’a pas respecté les temps de repos obligatoires et a pris le risque d’un accident causé par la fatigue {…}, c’est donc une faute inexcusable ». Il est donc fort probable que les juges retiennent une approche objective toutefois, tant que la Cour de cassation n’a pas encore donné son avis sur ce sujet, toutes solutions restent hypothétiques. 42. – Conclusion de la notion de la faute inexcusable. – La loi du 8 décembre 2009 modifie la faute lourde du transporteur par la faute inexcusable. L’intérêt marchandise devra prouver les quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable, ce qui sera évidemment plus contraignant. Toutefois, dans quelle mesure ce changement de notion va-t-il affecter la matière des transports terrestres ? Pour cela, il faudrait savoir si les juges vont retenir une interprétation objective ou subjective de la faute inexcusable. Nous avons vu qu’avec une approche objective des juges, la faute inexcusable serait plus difficile à prouver que la faute lourde, bien que les juges auront sans doute tendance à calquer leur décision sur celles auparavant rendues en matière de faute lourde. Cette approche n’entraînera pas de conséquences importantes dans la matière des transports terrestres, simplement un changement de détermination. On ne peut toutefois ignorer que, comme les quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable devront être avérés pour qu’une telle faute soit retenue, les transporteurs seront tout de même moins condamnés que sous l’empire de la faute inexcusable. Néanmoins, un réel changement dans la matière s’effectuerait si les juges retiennent une approche subjective. En effet, avec cette approche, la faute inexcusable sera bien plus difficile à prouver puisque les juges s’attacheront à la conscience même du transporteur. Tous les critères constitutifs de cette faute inexcusable devront être prouvés avec certitude pour que les juges condamnent le transporteur à renoncer à ses plafonds de limitation de responsabilité. Ainsi, le transporteur fera beaucoup moins l’objet de condamnation et le donneur d’ordre ne pourra plus aussi facilement obtenir la réparation intégrale de son préjudice. En attendant que les juges consacrent enfin leur choix entre les deux interprétations possibles de la faute inexcusable, nous allons nous attacher aux conséquences sur le transporteur du déplafonnement des limitations de responsabilité.
  • 44. 44 PARTIE II : LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE 43. – Introduction du régime de la faute inexcusable. – Le droit du transport terrestre se divise en trois branches : le transport routier, ferroviaire et fluvial. Ces trois modes de transport sont régis principalement en droit interne par le Code du Commerce, la LOTI42 et le Code des Transports. A l’international, il existe des Conventions différentes pour chacun de ces modes. En effet, en transport routier, la Convention de Genève de 1956 dite CMR43 s’applique pour tout conflit à l’international ; en transport ferroviaire, c’est la Convention de Bernes44 de 1890 ; et en transport fluvial, c’est la Convention de Budapest de 2000 dite CMNI45 . Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, il faut que l’ayant-droit de la marchandise prouve la faute inexcusable du transporteur terrestre pour que celui-ci soit contraint à la réparation intégrale. En droit interne comme à l’international, la règle est la même. Toutefois, en matière de prescription, le droit interne prévoit que le donneur d’ordre aura un an pour intenter une action contre le transporteur, alors qu’en droit international, en cas de faute inexcusable, la prescription passe à trois ans. Compte tenu de la rapidité de l’extinction de la prescription, l’intérêt marchandise devra intenter une action contre le transporteur dans les plus brefs délais. On peut alors se demander quelles incidences va avoir le fait que les juges retiennent la faute inexcusable contre le transporteur ? Quel est le régime de cette faute inexcusable ? Dans un premier temps, nous étudierons l’étendue de la réparation du dommage en cas de faute inexcusable (Chapitre I), pour nous attacher dans un second temps, aux conséquences de la faute inexcusable sur les autres acteurs du transport terrestre (Chapitre II). 42 LOTI : Loi d’Orientation des Transports Intérieurs du 30 décembre 1982. 43 Modifiée en 1978. 44 Révisée en 1933, 1952, 1961, 1970, 1980 et 1990. 45 Ratifiée en 2007 par la France.
  • 45. 45 CHAPITRE I : L’ETENDUE DE LA REPARATION DU DOMMAGE EN CAS DE FAUTE INEXCUSABLE 44. – Ouverture sur la réparation. – Selon René Savatier : « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit »46 . On comprend alors que la réparation du dommage a pour but de rendre ce qui a été perdu, de sorte que la victime soit indemnisée. Aussi, seul le préjudice sert de mesure pour déterminer l’étendue de la réparation ; il doit être intégralement réparé. En droit des transports terrestres, le principe de la réparation intégrale est mis à mal avec l’agencement de plafonds de limitations de responsabilité. C’est en cas de faute inexcusable du transporteur que s’en suit un déplafonnement des limitations de responsabilité (Section II). Toutefois, la réparation intégrale ne s’applique qu’une fois que le dommage réparable est déterminé (Section I). 46 Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3ème éd., 2003, p.135, n°240.
  • 46. 46 SECTION I : LE PREJUDICE REPARABLE 45. – Etendue du préjudice réparable. – L’article 1149 du Code civil énonce que : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci- après ». Cet article exige que l’ensemble des préjudices subis fasse l’objet d’une réparation quelle que soit leur nature. Aussi, le débiteur pourra se voir imposer la réparation d’un préjudice corporel, matériel, industriel et/ou moral subi par le créancier. Ainsi, selon la règle de droit commun, tous les préjudices justifiés sont susceptibles d’être indemnisés. En effet, le « damnum emergens » (perte subie) et « lucrum cessans » (gain manqué) sont indemnisables dès lors qu’ils sont prévisibles et en relation directe et certaine avec l’inexécution du contrat de transport47 . En droit international, dans toutes les Conventions CMR, CMNI et RU-CIM, la règle est différente puisque le transporteur n’est tenu au remboursement que du simple dommage matériel48 . Voyons d’abord à quoi correspond le préjudice direct du dommage (a), pour ensuite nous attacher au préjudice prévisible (b) et à son évaluation (c). a. Préjudice direct. – L’article 1151 du Code civil énonce que : « Dans le cas même où l’inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre, à l’égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ». Du texte, on comprend que le litige doit découler directement du fait générateur. Cette condition semble procéder de l'idée générale selon laquelle un lien de causalité doit exister entre la faute et le dommage. La victime de l’inexécution d’une obligation de moyen ou de résultat doit donc établir l’existence d’un lien de causalité direct et immédiat entre l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat de transport et le dommage ; et ce peu importe la gravité de la faute ou encore la nature de 47 Droit des transports, I. Bon-Garcin, M. Bernadet, Y. Reinhard, Précis Dalloz, 1ère édition, 2010. 48 Convention de Genève : article 23 CMR ; Convention de Bernes : article 30 RU-CIM ; Convention de Budapest : article 19 CMNI.