1. Chronologie israélite synchronisée (partie 1)
La chronologie israélite, qui est l'une des plus anciennes connues, est encore
régulièrement étudiée dans des thèses1. La difficulté majeure, comme dans toutes les
chronologies, est d'établir des dates absolues obtenues grâce à des synchronismes datés par
l'astronomie. Or les règnes de David et de Salomon se situent dans une période (1100-750)
la plus obscure de l'histoire2. La chronologie égyptienne fait exception, mais reste très
lacunaire3. Il y a cependant un obstacle encore plus redoutable à franchir: les préjugés
religieux. En effet, la chronologie israélite repose essentiellement sur les textes bibliques qui
sont aussi des textes religieux, ce qui entraîne fréquemment des réactions irrationnelles.
Lorsque je lui ai soumis mon mémoire de thèse, la première réaction de mon ancien
directeur de thèse a été de me demander de retirer tout ce qui concernait les datations
directement liées à la Bible (datation de la mort d'Hérode, datation de la mort de Jésus et
datation de la domestication du chameau à l'époque d'Abraham), ce que j'ai fait. Puis,
lorsque mon directeur a appris mon appartenance religieuse, la soutenance de ma thèse a
été suspendue, puis annulée. J'ai donc recherché un nouveau directeur de thèse en lui
expliquant la situation. Surprise, Daniel Bodi était particulièrement intéressé par la
chronologie israélite, il écrivait d'ailleurs dans sa lettre du 5 juin 2009: Par la présente, j'accepte
de diriger la recherche de M. Gérard GERTOUX en vue d'une thèse de doctorat de l'INALCO. Le
candidat prépare une thèse de doctorat relevant du domaine de l'histoire ancienne. Sa recherche porte sur la
chronologie d'Israël ancien selon la Bible hébraïque à la lumière des données comparatives proche-orientales.
Nouvelle déconvenue au moment de fixer la soutenance, la directrice de l'INALCO a
refusé mon transfert, ne voulant pas que son école soit classée comme fondamentaliste. Pour
justifier scientifiquement ce refus, Daniel Bodi m'écrivait dans son courriel du 14
septembre 2009: Le problème principal avec votre travail c'est de trouver un jury qui accepte de siéger à
votre soutenance. Le jury que vous m'avez proposé n'est pas prêt à siéger pour cette thèse. Il faut trouver des
professeurs qui acceptent les positions fondamantalistes que vous défendez. Il ne suffit pas de dire que
l'astronomie fournit la preuve scientifique que Jacob a vécu en 1878 av. J.-C. ; de placer les patriarches
dans un ordre "scientifique" grâce au présupposé de l'astronomie ; d'affirmer que la rédaction de la Genèse
s'est faite par Moïse en 1493! En quelle langue Moïse écrivit-il la Genèse? en égyptien hyéroglyphique, en
1 M.C. TETLEY – The Reconstructed Chronology of the Divided Kingdom
Winona 2005 Ed. Eisenbrauns pp. 179-180.
F. NOLEN JONES – The Chronology of the Old Testament
Texas 2005 Ed. Master Books pp. 170-173,326.
2 Plusieurs empires "s'évanouissent" durant cette période, comme l'élamite et le mycénien (grec), le babylonien devenant lacunaire.
3 R.K. RITNER – The Libyan Anarchy: Inscriptions from Egypt's Third Intermediate Period
Atlanta 2009 Ed. Society of Biblical Literature pp. 1-8.
2. 2 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
cunéiforme akkadien comme les lettres d'El-Amarna. L'alphabet démarre seulement avec Ugarit au XIIIe
siècle avant J.-C. et le linéaire phénicien deux siècles plus tard. Ces considérations de l'écriture utilisée ne
semblent pas vous poser de problème. En dépit de ma bonne volonté je ne peux pas vous défendre, car je ne
partage pas ce point de vue. Je vous propose donc de vous adresser aux facultés de théologie fondamantalistes
baptistes comme Vaux-sur-Seine ou chez les ultra-calvinistes d'Aix-en-Provence. Je suis vraiment désolé
mais je comprends maintenant la réaction de la commission doctorale de l'INALCO. Mes collègues ne
voulaient pas que l'INALCO soit taxé d'école fondamentaliste. Il faudrait mettre pratiquement chaque
page en perspective et en contexte historique. L'astronomie est votre seule référence extérieure et cela ne suffit
pas. Bien cordialement et bonne chance dans votre recherche d'un jury approprié.
P.S. Donner une appréciation "scientifique" à votre ms est très difficile: - d'un côté, vous faites preuve de
beaucoup de connaissances et d'une érudition certaine dans les problèmes chronologiques, toujours difficiles,
du Proche-Orient ancien, à tel point qu'une telle thèse ne peut être appréciée que par des spécialistes dans
différents domaines: en particulier assyriologie et historiographie grecque pour la période achéménide,
égyptologie et Bible/ancien Israël... - de l'autre, il est clair que votre travail souffre de deux maux: il est
apparemment en grande partie autodidacte (d'où de graves lacunes dans la littérature secondaire et, d'une
façon générale, très peu de discussions sérieuses des opinons différentes de la votre, vous avez tendance à
répéter pour convaincre) et, surtout, vous avez nettement une approche "fondamentaliste" par rapport au
texte biblique en ce qui concerne les problèmes de chronologie: vous savez vous montrer critique par rapport
aux chronologies akkadiennes ou égyptiennes, et à leur interprétation actuelle, mais jamais vis-à-vis du
texte biblique à quelque époque que cela ait pu être écrit: l'archéologie ou les autres textes du Proche-Orient
ancien "confirment" toujours finalement le texte biblique ou "concordent" avec lui. Juste deux exemple
flagrants de votre manque de sens critique vis-à-vis du texte biblique: p. 489: "Jacob (1878-1731), mort à
l'âge de 147 ans, a passé 20 ans en Mésopotamie (à Harrân). Joseph étant né dans la 91e année de Jacob
(en -1788)"... Cela ne pose aucun problème !... p. 484: "le texte de la Genèse a été rédigé par Moïse,
autour de -1493".
Conclusion de ce courrier expéditif: l'astronomie n'est pas suffisante pour dater le
texte (sans préciser par quel autre moyen), et le fait d'accepter que Jacob ait vécu 147 ans,
était scandaleusement fondamentaliste. À cause de ces deux remarques, j'ai trouvé judicieux
d'ajouter un long préambule à cette chronologie israélite synchronisée, pour examiner en
détail quelques points contestés comme: peut-on considérer la Bible comme un document
historique et est-il scientifiquement impossible de vivre 147 ans et d'être père à 91 ans?
3. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 3
LA BIBLE EST-ELLE UN DOCUMENT HISTORIQUE?
La chronologie des peuples de l'Antiquité (Égyptiens, Babyloniens, Assyriens,
Élamites, etc.) n'a été reconstituée qu'à partir de documents, dont la plupart sont des écrits
fortement influencés par la religion. La question de savoir s'il s'agit d'une chronologie
"religieuse" ne se pose même pas, vraisemblablement parce que tous ces cultes antiques
sont tombés en désuétude. Il n'en va pas de même avec la chronologie israélite, car le texte
biblique, qui sert principalement à l'élaboration de cette chronologie, contient un
enseignement religieux qui est encore pratiqué. Cette ambiguïté est source d'un paradoxe
incroyable. En effet, depuis Hérodote les historiens savent que "la chronologie est l'œil de
l'histoire", or la plupart des universitaires actuels refusent d'examiner la chronologie israélite
parce qu'ils craignent (de manière irrationnelle) qu'en validant scientifiquement cette
chronologie, ils cautionneraient en retour l'enseignement religieux des textes bibliques, ce
qui les amène à dénier à la Bible tout caractère historique. Cette attitude est déraisonnable
pour deux raisons: 1) il ne peut exister une chronologie "laïque" d'un côté et une
chronologie "religieuse" de l'autre, scientifiquement cela est absurde, et 2) la chronologie
israélite constitue un pilier de la chronologie du monde oriental. Les deux seules thèses
consacrées à la chronologie lui ont d'ailleurs accordé un volumineux chapitre4.
Quelles sont les raisons qui poussent la plupart des universitaires à refuser de
reconstituer une chronologie israélite à partir du texte biblique? Voici les principales:
Il est absurde, d'une part, de prendre le texte biblique pour un document historique, d'autre part
d'inverser l'importance des protagonistes: Israël n'est mentionné qu'une seule fois sur une stèle de
Mérenptah, alors que le mot Égypte est utilisé 680 fois dans la Bible (...) Les allusions à l'Égypte
dans la Bible servent essentiellement à nourrir l'histoire interne des Hébreux, en donnant un vague
décor à certains épisodes, et sont sans rapport avec ce que l'histoire actuelle enseigne5. Christiane
Desroches Noblecourt, égyptologue, conservateur en chef honoraire des Antiquités
égyptiennes du Louvre et ancien professeur d'archéologie à l'École du Louvre.
D'une façon générale, aucun archéologue sérieux ne croit plus aujourd'hui que les événements rapportés
dans le livre de Josué ont un fondement historique précis. Des prospections archéologiques, au début des
années 1990, en particulier, ont révélé que la culture israélite a émergé dans les collines du centre du
4 Mais aucune de ces thèses n'utilise une datation des synchronismes par l'astronomie:
O.A. TOFFTEEN – Ancient Chronology
Chicago 1907 The University of Chicago Press
P.J. FURLONG - Aspects of ancient Near Eastern Chronology (c. 1600-700 BC)
2008 The University of Melbourne.
5 C. DESROCHES NOBLECOURT - Symboles de l'Égypte
Paris 2004 Éd. Desclée de Brouwer pp. 125-126.
4. 4 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
pays, en continuité avec la culture cananéenne de l'époque précédente6. Pierre de Miroschedji,
archéologue, directeur de recherche au CNRS, centre de Jérusalem.
Puisque l'histoire des impurs est dépourvue de toute base historique, il est difficile d'admettre avec
Manéthon et Flavius Josèphe que l'expulsion manu militari du pharaon d'Avaris et de ses congénères
soit le même événement que la libération des Hébreux arrachée par Moïse avec l'aide de Dieu... La
grossière invention des scribes égyptiens, digne de la poubelle, ne saurait demeurer dans le dossier des
historiens des temps de la Bible (...) Le travestissement apologétique imaginé par Flavius Josèphe ne
vaut pas mieux que le travestissement diffamatoire de l'Égyptien7. Jean Yoyotte, égyptologue,
titulaire de la chaire d’égyptologie du Collège de France de 1992 à 2000, directeur
d'études à l'École pratique des hautes études.
Cette sortie d'Egypte, connue depuis sous le nom d'Exode, constitue une péripétie essentielle du récit
[Exode 13:14] (...) On en vient presque à oublier un fait fondamental: rien dans l'état actuel de la
documentation égyptienne plus ou moins contemporaine de ces événements, ne vient confirmer ce récit, ni
même faire allusion, ne serait-ce que fugitivement, à l'un des épisodes ou des personnages mentionnés.
Rien!8 Alain Zivie, égyptologue, directeur de recherche au CNRS.
La plupart des historiens prennent le texte biblique de la conquête de Canaan pour une pieuse légende,
une relecture idéologique et théologique des origines d'Israël (...) Ces cités sont, d'après la Bible,
puissamment fortifiées. Or les fouilles archéologiques révèlent le contraire. Donc, aujourd'hui, les fouilles
des cités cananéennes et la lecture des tablettes de Tell el-Amarna révèlent que les victoires de Josué
n'ont eu lieu que sur le papier9; Pour conclure laissons la parole à ces archéologues: “Il n'y a pas eu
d'exode de masse en provenance de l'Egypte. Le pays de Canaan n'a pas été conquis par la violence.
La plupart de ceux qui ont constitué le premier noyau d'Israël étaient des gens du cru. Les premiers
Israélites étaient d'origine cananéenne!”10 Richard Lebeau, égyptologue et historien des
religions au Proche-Orient ancien.
L'archéologie moderne a donc prouvé que le concept d'archives à Jérusalem ayant conservé des écrits du
Xe siècle, est une absurdité fondée sur un témoignage biblique et non sur une évidence factuelle11. Les
récits bibliques se rangeraient donc parmi les mythologies nationales, et n'auraient pas plus de
fondement historique que la saga homérique d'Ulysse, ou celle d'Énée, le fondateur de Rome, chantée
6 P. DE MIROSCHEDJI – Les archéologues réécrivent la Bible
in: La Recherche n°391 (novembre 2005) p. 32.
7 J. YOYOTTE – En Égypte, le faux mystère des dynasties hyksos
in: Le monde de la Bible n°146 (novembre 2002) pp. 44-45.
8 A. ZIVIE – Les Hébreux en Egypte: réalités et fantasmes
in: Historia n°698 (février 2005) p. 59.
9 R. LEBEAU – La Terre promise était acquise
in: Historia n°698 (février 2005) pp. 64, 65.
10 R. LEBEAU – L'Exode une fiction théologique
in: Histoire Antique n°41 (février 2009) p. 79.
11 I. FINKELSTEIN – Le grand roi? Rien qu'un potentat local
in: Historia n°698 (février 2005) p. 73.
5. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 5
par Virgile12. Israel Finkelstein, archéologue israélien, directeur de l'Institut
d'Archéologie de l'Université de Tel-Aviv, auteur du célèbre ouvrage La Bible dévoilée.
L'histoire ne corrobore pas le fabuleux et miraculeux récit de l'Exode tel que nous le conte la Bible.
Maintenant que nous sommes en possession de la récente documentation archéologique sur l'émergence
de l'Israël primitif en Canaan, cette série d'événements survenus dans une terre lointaine et étrangère ne
nous est d'aucune utilité. L'explication historique des origines d'Israël n'a plus besoin de l'Exode.
Aussi dramatique soit-elle, et quel que soit le rôle central que cette histoire ait pu jouer dans l'auto-
identification ultérieure de l'Israël biblique —voire dans la construction de notre identité occidentale—,
elle doit être considérée comme un mythe. Elle représente le type même du mythe fondateur,
caractéristique de nombre de peuples passés ou présents (...) Plutôt que de tenter vainement de défendre
l'historicité de l'Exode, je suggère qu'il vaut mieux interpréter le récit comme un mythe, ou plutôt
comme une “métaphore pour une libération”. William G. Dever, archéologue américain
(université d'Arizona), spécialiste et défenseur (sic) de l'histoire de l'Israël biblique13.
Les raisons invoquées sont les suivantes: absurde; aucun archéologue sérieux ne croit plus
les événements rapportés dans le livre de Josué; digne de la poubelle; fait fondamental: rien; pieuse légende; il
n'y a pas eu d'exode de masse en provenance de l'Egypte; absurdité fondée sur un témoignage biblique; type
même du mythe fondateur. Par ces remarques cinglantes, qui apparaissent à partir de 198014, le
texte de l'Ancien Testament est considéré comme étant sans valeur historique. Cela
implique une conséquence importante: le Nouveau Testament est lui même sans valeur
puisqu'il cautionne intégralement le texte de l'Ancien Testament, on lit en effet: Car si vous
croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce que c'est de moi qu'il a écrit. Mais si vous ne croyiez pas à ce
qu'il a écrit, comment croirez-vous à mes paroles?15. Mais les pharisiens objectèrent: Pourquoi alors Moïse
a-t-il commandé à l'homme de remettre à sa femme un certificat de divorce quand il la répudie? Il [Jésus]
leur répondit: Moïse vous a permis de renvoyer vos épouses parce que vous avez des cœurs de pierre16. Vous
mettez de côté ce que Dieu a prescrit, pour vous attacher à la tradition des hommes! Puis il ajouta: Ah!
vous vous entendez à merveille pour contourner et annuler la Loi de Dieu au profit de votre tradition!
Ainsi, par exemple, Moïse a dit: “Honore ton père et ta mère” (...) n'avez-vous jamais lu dans le livre de
Moïse, lorsqu'il est question du buisson ardent, en quels termes Dieu lui a parlé: Je suis le Dieu
d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob17. Le texte biblique n'est-il qu'une pieuse légende?
12 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée
Paris 2002 Éd. Bayard pp. 51-53.
13 W.G. DEVER – Aux origines d'Israël. Quand la Bible dit vrai
Paris 2005 Éd. Bayard pp. 255-256.
14 J.K. H OFFMEIER – Israel in Egypt. The Evidence for the Authenticity of the Exodus Tradition
New York 1996 Ed. Oxford University Press pp. 3-5.
15 Jean 5:46-47 Pirot et Clamer.
16 Matthieu 19:7-8 Kuen.
17 Marc 7:8-10; 12:26.
6. 6 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
En rangeant le récit de Moïse parmi les fables pieuses, comme l'enseignent les
égyptologues, on aboutit à un paradoxe étonnant, car les rédacteurs des textes évangéliques,
qui condamnent invariablement les mythes, présentent aussi le récit de Moïse comme
authentique: C'est à ce moment-là que naquit Moïse. C'était un enfant d'une beauté exceptionnelle. Dieu
y prenait plaisir. Pendant trois mois, il fut élevé en cachette dans la maison de son père. Lorsque,
finalement, les parents l'exposèrent (sur le Nil), il fut recueilli par la fille de Pharaon qui l'adopta et le fit
élever comme son propre fils. C'est ainsi que Moïse fut initié à toute la science des Egyptiens et qu'il devint
un habile orateur, aussi bien qu'un homme d'action remarquable. Lorsqu'il eut atteint la quarantaine,
l'idée lui vint de voir dans quelles conditions vivaient ses frères de race, les Israélites. Il désirait leur venir en
aide. Un jour il vit de ses yeux comment on maltraitait l'un d'eux. Il prit sa défense et, pour venger ce frère,
tua l'Egyptien qui l'opprimait. Il pensait que ses frères comprendraient que Dieu voulait se servir de lui
pour les libérer. Mais ils ne comprirent pas. Le lendemain, il survint au moment où deux d'entre eux se
querellaient. Il s'interposa et essaya de réconcilier les adversaires. Mes amis, leur dit-il, n'êtes-vous pas frères
de même race? Pourquoi, alors, vous faites-vous réciproquement du mal? Celui qui était en train de frapper
l'autre et qui était dans son tort le repoussa en disant: De quoi te mêles-tu? Qui t'a demandé d'être notre
chef ou de jouer au juge? Voudrais-tu par hasard aussi me tuer, comme hier tu as tué l'Egyptien? Quand
Moïse entendit cela, il prit la fuite et alla vivre en exilé dans le pays de Madian où il eut deux fils.
Quarante années passèrent. Alors un ange lui apparut dans le désert du Mont Sinaï, au milieu d'une
flamme, dans un buisson de feu. Saisi d'étonnement à ce spectacle, Moïse s'approchait pour le considérer de
plus près, lorsque la voix du Seigneur se fit entendre: “Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob”. Moïse, tout bouleversé et tremblant, n'osait plus lever les yeux. Alors le Seigneur lui
dit: Ote tes sandales, car l'endroit où tu te tiens est une terre sainte. J'ai regardé et j'ai vu la misère de mon
peuple en Egypte. Je sais qu'il est opprimé et qu'il souffre. J'ai entendu ses gémissements et je suis descendu
pour le délivrer. Et maintenant, je viens: C'est toi que je veux envoyer en Egypte”. Ainsi donc, c'est bien ce
même Moïse —celui que ses frères avaient repoussé en lui disant: De quoi te mêles-tu? Qui t'a demandé
d'être notre chef ou de jouer au juge?— c'est lui que Dieu a envoyé comme chef et libérateur du peuple avec
l'assistance de l'ange qui lui était apparu dans le buisson. Ce fut effectivement lui qui les a fait sortir du
pays de l'esclavage en accomplissant des prodiges et des miracles en Egypte, au passage de la Mer Rouge et,
pendant quarante ans, durant la traversée du désert (Actes 7:20-36). Le Nouveau Testament
retransmet donc fidèlement le Moïse de l'Ancien Testament.
Si Moïse n'était qu'une pieuse légende, il devient difficile d'expliquer pourquoi tous
les rédacteurs chrétiens, tout en retranscrivant sa vie, ont tant insisté pour dénoncer la
futilité des mythes: Je t'ai encouragé à demeurer encore quelques temps à Éphèse pour avertir certains de
ne pas introduire dans leur enseignement des nouveautés qui devient de la vraie doctrine. Qu'ils ne se
7. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 7
mettent pas à étudier des récits forgés de toutes pièces, à s'occuper de mythes (...) Mais ferme ton esprit aux
mythes impies et sans valeur, ne t'occupe pas de ces contes de bonnes femmes qui n'ont rien à voir avec la
vraie religion (...) Ayant la démangeaison d'entendre des paroles qui chatouillent agréablement leurs oreilles,
ils se détourneront de plus en plus de la vérité et se rabattront vers des mythes (...) C'est pourquoi n'hésite
pas à les reprendre ouvertement pour qu'ils aient une foi saine et cessent de s'intéresser à des légendes juives,
des commandements d'origine purement humaine ou des préceptes formulés par des gens qui tournent le dos à
la vérité (...) En effet, lorsque que nous vous avons fait connaître la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ
et que nous vous avons annoncé son Retour, nous ne nous sommes pas laissé berner par des histoires
inventées ou des mythes ingénieusement arrangés18. Condamner les mythes pour mieux propager
celui de Moïse et de l'Exode serait d'une extrême perversité et cette tromperie serait
d'autant plus répréhensible que, selon les ultimes chapitres de la Bible19, les menteurs sont
condamnés à la disparition éternelle. Quel serait le but d'un rédacteur qui condamnerait la
fausseté pour mieux la répandre? Les rédacteurs bibliques seraient-ils tous schizophrènes?
Un croyant rationnel, pour éviter l'incohérence d'avoir une vérité s'appuyant sur des
mythes, pourrait supposer que l'épisode de l'Exode fut en fait un événement mineur dont le
récit fut exagéré par la tradition. Cette dernière explication ne tient pas, car la Cène,
instituée par Jésus lors de la Pâque, constitue la célébration fondamentale du christianisme,
le Christ étant même "l'agneau pascal" de cette Pâque. La foi chrétienne dépend ainsi de cet
événement central: Or il est écrit: “Celui qui est juste à mes yeux et qui me restera fidèle accèdera à la
Vie par la foi (...) Au moment de la naissance de Moïse, ce fut la foi qui donna à ses parents le courage de
le cacher durant trois mois. Frappés par la beauté de l'enfant, ils ne se laissèrent pas intimider par le décret
du roi (ordonnant la mise à mort de tous les enfants mâles). Poussé par cette même foi, Moïse lui-même, une
fois devenu grand, renonça au titre de “fils de la fille de pharaon”. Il choisit de partager les souffrances du
peuple de Dieu plutôt que de jouir —pour bien peu de temps— des joies et des avantages d'une vie dans le
péché. Subir le mépris et les outrages comme le Messie (à venir) lui paraissait un bien plus précieux que tous
les trésors de l'Egypte. Pourquoi? Parce qu'il avait les yeux fixés au loin sur la rétribution finale. Fortifié
par la foi, il brava la fureur du roi et quitta l'Egypte, aussi intrépide et ferme que s'il avait vu de ses yeux
le Dieu invisible. Dans cette même foi, il institua la Pâque et fit répandre (sur les portes) le sang (des
agneaux immolés), pour que l'ange exterminateur épargnât les fils aînés des Hébreux. C'est la foi qui fit
traverser les Israélites la Mer rouge comme on marche sur la terre ferme; les Egyptiens ont bien essayé de les
imiter, mais ils périrent engloutis par les flots20. L'épisode de l'Exode, commémoré par la
célébration de la Pâque, est bien un enseignement fondamental du Nouveau Testament.
18 1Timothée 1:3-4; 4:7; 2Timothée 4:3-4; Tite 1:13-14; 2Pierre 1:16 .
19 Révélation 21:8; 22:18,19.
20 1Corinthiens 5:7; Hébreux 10:38; 11:23-29.
8. 8 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
L'enseignement de la Bible sur l'Exode et celui des égyptologues sont inconciliables:
mythe d'un côté, vérité historique de l'autre. Si c'est un mythe, l'enseignement de la Bible
n'est plus qu'une gigantesque imposture que l'historien doit dénoncer, si par contre l'Exode
est un fait historique, au même titre que la destruction du temple de Jérusalem en 70 par les
armées romaines, pourquoi le refuser? En effet, même si le récit de l'Exode des Israélites
avait été transmis de façon très déformée à cause d'un antisémitisme latent, il était connu
des historiens de l'Antiquité21. Ce refus n'est pas nouveau puisque après avoir cité les récits
sur l'Exode de Manéthon (-280), de Chaerémon (-100) et de Lysimaque (50), Flavius
Josèphe, historien juif du 1er siècle, précise les raisons de ce refus: Les calomnies à notre adresse
vinrent d'abord des Égyptiens, puis, dans l'intention de leur être agréables, certains auteurs entreprirent
d'altérer la vérité; ils n'avouèrent pas l'arrivée de nos ancêtres en Égypte telle qu'elle eut lieu, ni ne
racontèrent sincèrement la façon dont ils en sortirent. Les Égyptiens eurent bien des motifs de haine et
d'envie: à l'origine la domination de nos ancêtres sur leur pays, et leur prospérité quand ils l'eurent quitté
pour retourner chez eux. Puis l'opposition de leurs croyances et des nôtres leur inspira une haine profonde,
car notre piété diffère de celle qui est en usage chez eux autant que l'être divin est éloigné des animaux privés
de raison. Toute leur nation, en effet, d'après une coutume héréditaire, prend les animaux pour des dieux,
qu'ils honorent d'ailleurs chacun à sa façon, et ces hommes tout à fait légers et insensés, qui dès l'origine
s'étaient accoutumés à des idées fausses sur les dieux, n'ont pas été capables de prendre modèle sur la dignité
de notre religion, et nous ont jalousés en voyant combien elle trouvait de zélateurs. Quelques-uns d'entre eux
ont poussé la sottise et la petitesse au point de ne pas hésiter à se mettre en contradiction même avec leurs
antiques annales, et, bien mieux, de ne pas s'apercevoir, dans l'aveuglement de leur passion, que leurs
propres écrits les contredisaient (Contre Apion I:223-226).
Ce qui est paradoxal c'est que, bien qu'il soit l'inventeur de la chronologie
synchronisée (méthode élaborée en réaction des critiques portées à l'encontre de ses
Antiquités juives), Flavius Josèphe est toujours classé, par certains universitaires, parmi les
apologistes dont l'édifice chronologique manque de base solide22(!), plutôt qu'un historien.
Bien qu'Hérodote soit, lui, le "père de l'histoire", car il est le premier à avoir compris
l'importance de la chronologie dans l'établissement de la vérité historique, ce sont
cependant les copistes Juifs qui furent les premiers à reconstituer une chronologie fondée
21 P. SCHÄFER – Judeophobia. Attitudes toward the Jews in the Ancient World
Massachusetts 1997 Ed. Harvard University Press pp. 15-33
J.G. GAGER – Moses in Greco-Roman Paganism
New York 1972 Ed. Abingdon Press pp. 113-133.
22 T. REINACH, L. B LUM – Contre Apion
Paris 2003 Éd. Les Belles Lettres pp. v, xxix, xxxv.
L'auteur reconnaît cependant (ce qui le contredit et en dit long sur les préjugés) que la fidélité des citations de Josèphe est attestée par la
comparaison avec des citations indépendantes dues à d'autres compilateurs. De plus, il était dans l'intérêt de Josèphe d'être exact dans sa
polémique, car les antisémites alexandrins étaient aux aguets et, comme ils disposaient de bibliothèques bien fournies, la moindre
altération volontaire aurait vite été décelée, dénoncée, et aurait porté une atteinte grave à la crédibilité de l'auteur et au succès de sa thèse.
9. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 9
sur une "ère du monde (débutant avec Adam)" au lieu de chronographies nationales. En
effet, les chronologies de Démétrius (220-200), Eupolème (-160) et du Livre des Jubilés (160-
140) indiquent que, dès la fin du 4e siècle avant notre ère, ce type de calculs chronologiques
existait23 (mais n'était pas encore standardisé)24:
Démétrius Eupolème Josèphe
année d'Adam ère chrétienne année d'Adam ère chrétienne ère chrétienne
Adam 1 -5307 1 -5307 -5101
Déluge 2264 -3043 994 -4037 -2545
Naissance d'Abraham 3334 -1973 2064 -3243
Entrée de Jacob en Égypte 3624 -1683 2354 -2953
Exode sous Moïse 3839 -1468 2569 -2738 -1650
Destruction du Temple -587
Ces calculs, même s'ils comportent d'importants écarts dus au choix du texte
biblique de référence (Septante au texte massorétique), prouvent que le texte biblique
permet la reconstitution d'une chronologie. Fort de cette évidence, Flavius Josèphe25 avait
lui-même effectué ses propres calculs: Telle fut la fin des rois issus de la famille de David; ils
avaient été au nombre de vingt et un jusqu’au dernier roi et avaient régné en tout 514 ans, 6 mois et 10
jours. Pendant 20 de ces années, le pouvoir avait appartenu au premier de leurs rois, Saül, qui était d’une
tribu différente. Le Babylonien envoie à Jérusalem son général Nabouzardan pour piller le Temple; il avait
ordre aussi de l’incendier ainsi que le palais royal, de raser la ville jusqu’au sol et de transporter le peuple en
Babylonie Nabouzardan, arrivé à Jérusalem la 11e année du règne de Sédécias, pille le Temple, emporte les
vases d’or et d’argent consacrés à Dieu, ainsi que le grand bassin dédié par Salomon; il prit même les
colonnes d’airain avec leurs chapiteaux, les tables d’or et les candélabres. Après avoir enlevé ces ornements,
il mit le feu au Temple le 1er jour du 5e mois, la 11e année du règne de Sédécias, 18e de Nabuchodonosor. Il
incendia également le palais et rasa la ville. Le Temple fut incendié 470 ans, 6 mois et 10 jours après son
édification: il y avait alors 1062 ans, 6 mois, 10 jours que le peuple était sorti d’Égypte. Depuis le déluge
jusqu’à la destruction du Temple, il s’était écoulé en tout 1957 ans, 6 mois, 10 jours. Et depuis la
naissance d’Adam jusqu’aux événements relatifs au Temple, 4513 ans, 6 mois, 10 jours. Voilà pour le
compte des années: quant à ce qui s’est accompli dans cet intervalle, nous l’avons indiqué événement par
événement. Flavius Josèphe va se servir de cette chronologie pour prouver l'historicité de ses
Antiquités juives. Il s'agissait bien d'une démarche scientifique et non religieuse (même si
l'origine de l'ère fait référence à un personnage biblique). Il expose la raison et la manière
de ses démarches: J'ai déjà suffisamment montré, je pense, très puissant Épaphrodite, par mon histoire
23 É. PUECH – Qumrân grotte a XXVII
in: Discoveries in the Judaean Desert XXXVII 2009 Ed. Clarendon Press pp. 263-267.
24 J. FINEGAN - Handbook of Biblical Chronology
Massachusetts 1999 Ed. Hendrickson Publishers p. 145.
25 Antiquités juives X:127-130.
10. 10 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
ancienne, à ceux qui la liront, et la très haute antiquité de notre race juive, et l'originalité de son noyau
primitif, et la manière dont elle s'est établie dans le pays que nous occupons aujourd'hui; en effet 5000 ans
sont compris dans l'histoire que j'ai racontée en grec d'après nos Livres sacrés. Mais puisque je vois bon
nombre d'esprits, s'attachant aux calomnies haineuses répandues par certaines gens, ne point ajouter foi aux
récits de mon Histoire ancienne et alléguer pour preuve de l'origine assez récente de notre race que les
historiens grecs célèbres ne l'ont jugée digne d'aucune mention, j'ai cru devoir traiter brièvement tous ces
points afin de confondre la malveillance et les mensonges volontaires de nos détracteurs, redresser l'ignorance
des autres, et instruire tous ceux qui veulent savoir la vérité sur l'ancienneté de notre race. J'appellerai, en
témoignage de mes assertions, les écrivains les plus dignes de foi, au jugement des Grecs, sur toute l'histoire
ancienne; quant aux auteurs d'écrits diffamatoires et mensongers à notre sujet, ils comparaîtront pour se
confondre eux-mêmes. J'essaierai aussi d'expliquer pour quelles raisons peu d'historiens grecs ont mentionné
notre peuple ; mais, d'autre part, je ferai connaître les auteurs qui n'ont pas négligé notre histoire à ceux qui
les ignorent ou feignent de les ignorer (...) Ainsi, c'est l'absence, à la base de l'histoire, de toutes annales
antérieures, propres à éclairer les hommes désireux de s'instruire et à confondre l'erreur, qui explique les
nombreuses divergences des historiens. En second lieu, il faut ajouter à celle-là une cause importante. Ceux
qui ont entrepris d'écrire ne se sont point attachés à chercher la vérité, malgré la profession qui revient
toujours sous leur plume, mais ils ont fait montre de leur talent d'écrivain; et si par un moyen quelconque ils
pensaient pouvoir en cela surpasser la réputation des autres, ils s'y pliaient, les uns se livrant aux récits
mythiques, les autres, par flatterie, à l'éloge des cités et des rois. D'autres encore s'adonnèrent à la critique
des événements et des historiens, dans la pensée d'établir ainsi leur réputation. Bref, rien n'est plus opposé à
l'histoire que la méthode dont ils usent continuellement. Car la preuve de la vérité historique serait la
concordance sur les mêmes points des dires et des écrits de tous; et, au contraire, chacun d'eux, en donnant
des mêmes faits une version différente, espérait paraître par là le plus véridique de tous. Ainsi pour
l'éloquence et le talent littéraire nous devons céder le pas aux historiens grecs, mais non point aussi pour la
vérité historique en ce qui concerne l'antiquité, et principalement quand il s'agit de l'histoire nationale de
chaque pays26. La méthode est excellente, et c'est d'ailleurs grâce à Flavius Josèphe que nous
est parvenue la chronologie des dynasties égyptiennes établies par le prêtre Manéthon.
Sans les travaux chronologiques de Flavius Josèphe sur la Bible, et malgré ses
défauts, nous ne pourrions établir la chronologie égyptienne actuelle. En effet, par une
ironie de l'histoire, les égyptologues qui refusent la chronologie israélite ne sont pas
conscients d'une double inconséquence: 1) si la chronologie israélite devait être rejetée à
cause d'un manque de fiabilité il faudrait aussi rejeter, pour les mêmes raisons, la
chronologie égyptienne fondée sur les chiffres de Manéthon et 2) il faudrait retirer le seul
26 Contre Apion I:1-5,23-27.
11. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 11
point d'ancrage de la 3e période intermédiaire puisque celui-ci dépend du règne de Chéchanq Ier
(945-924) qui est lui-même calé sur la 5e année de Roboam calculée par Thiele!
De façon surprenante une des rares dates pivots en égyptologie (-945) provient d'un
synchronisme avec la chronologie biblique calculée par Thiele27! En effet, selon Kitchen28
l'attaque de Jérusalem par Chéchanq Ier qui coïncide avec sa campagne en Palestine
(mentionnée sur une stèle datée de sa 21e et dernière année de règne) doit être datée de la 5e
année de Roboam29. En s'appuyant ensuite sur la chronologie de Thiele, datant le règne de
Roboam (930-913), il date sa 5e année en 925 (= 930 - 5), en supposant que la campagne
dut se dérouler juste avant l'an 21 de Chéchanq Ier (accession en 945 = 925 + 20). Si la
coïncidence avec l'an 21 est supposée30, celle avec l'an 5 est attestée31. La chronologie
biblique de Thiele est erronée (!), car il l'a ancrée sur un synchronisme supposé et non réel
ce qui l'a décalée d'environ 45 ans. En effet, il a supposé que le tribut payé au roi assyrien
Pul par Ménahem était le même que celui mentionné dans les annales du roi babylonien
Pulu (surnom de Tiglath-phalazar III). Or, cette équivalence est impossible, Ménahem
ayant régné (771-760), 40 ans avant Pulu (728-727). Selon le texte biblique, le roi assyrien
Pul a précédé le roi assyrien Tiglath-phalazar III, car on lit32: Le dieu d'Israël excita l'esprit de
Phul, roi d'Assyrie, et l'esprit de Thelgathphalnasar, roi d'Assyrie, il n'y a donc pas d'équivalence.
Pulu est présenté comme un roi babylonien et non comme un roi assyrien et ce nom ne fut
jamais employé dans les textes babyloniens et assyriens33. Autre paradoxe, le tribut de
Ménahem (Me-ni-hi-im-me alSa-me-ri-na-a-a) apparaît dans les annales de Tiglath-phalazar III
avant sa 9e campagne34, soit en -737, presque 10 ans avant qu'il ne devienne roi de Babylone
sous le nom de Pulu. Ce synchronisme est donc anachronique et ne peut être utilisé pour
ancrer la chronologie israélite. Les thèses universitaires actuelles sur la chronologie israélite
montrent donc que le règne de Roboam doit débuter vers 980, avec un règne de 981-964 35
27 E.R. THIELE – The Mysterious Numbers of the Hebrew Kings
Grand Rapids 1983 Ed. The Zondervan Corporation p. 10.
28 K.A. KITCHEN - On the Reliability of the Old Testament
Cambridge 2003 Ed. W.B. Eerdmans pp. 30-34,108-110.
29 1Rois 14:25,26; 2Chroniques 12:2-9. Le nom Chéchanq est écrit Šyšq et vocalisé Shishaq dans le texte massorétique, mais Šš(n)q dans
les cartouches égyptiens. Le n devait vraisemblablement être nasalisé car il manque dans certains cartouches, ce qui induirait une
prononciation Chéchanq. Ce nom a été vocalisé Su-si-in-qu dans les annales d'Assurbanipal (en -668), laissant supposer une
prononciation Shoshenq, mais les transcriptions akkadiennes des noms égyptiens sont souvent peu fidèles à l'original.
30 Le pylône où apparaît la scène de triomphe a été achevé par Ioupout un fils du roi, le II Shemou [?] de l'an 21, soit peu avant la mort
de Chéchanq Ier (R.A. CAMINOS – Gebel Es-Silsillah n°100 in: Journal of Egyptian Archaeology 38 (1952) pp. 46-61), ce qui n'implique pas
de lien immédiat avec la campagne en Palestine, mais plutôt un délai de plusieurs années avant cet an 21, durée nécessaire à la
construction à la construction du bâtiment commémorant le triomphe.
31 K.A. WILSON – The Campaign of Pharaoh Shoshenq I into Palestine
2005 Tübingen Ed. Mohr Siebeck pp. 97-99.
32 1Chroniques 5:26 (Bible de Pirot-Clamer).
33 G. FRAME – Babylonia 689-627 B.C.
Istanbul 1992 Ed. Nederlands Historish-Archaeologish Instituut pp. 303-305.
34 D.D. LUCKENBILL – Ancient Records of Assyria and Babylonia
Chicago 1926 Ed. The University of Chicago Press pp. 276,277.
35 M.C. TETLEY – The Reconstructed Chronology of the Divided Kingdom
Winona 2005 Ed. Eisenbrauns pp. 179-180.
12. 12 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
ou de 975-95936 et non de 930-913, soit un décalage de 45/50 ans. Malgré les progrès dans
la précision de la chronologie israélite, les égyptologues actuels (dans leur immense
majorité), ainsi que les archéologues, refusent toujours d'en tenir compte. Quelles sont les
raisons de ce refus? La réponse de Christiane Desroches Noblecourt dans son courrier,
daté du 9 août 2002, est révélatrice, elle écrit: Votre documentation sur ce que l'on peut s'imaginer
de l'Exode est impressionnante et m'a beaucoup intéressée. En ce qui me concerne, comme vous devez le
savoir, je ne suis absolument pas spécialiste de la question, mais j'ai dû m'y intéresser "de loin" lorsque j'ai
organisé l'exposition Ramsès II puis, par la suite au moment où j'ai écrit mon livre sur Ramsès. A cette
époque, il me fallait faire au moins allusion à l'Exode puisque certains auteurs en avaient parlé. Vous
avez dû constater que j'avais été prudente et qu'il s'agissait surtout de situer le contexte correspondant à
certains détails du récit biblique. Mais rien ne pouvait me permettre d'être réellement affirmative. Et, depuis
cette époque, je me range de plus en plus aux côtés de mon excellent collègue et ami, le Prof. Claude
Vandersleyen qui place le contexte éventuel de la légende, j'écris bien la légende de l'Exode autour du départ
d'Égypte des Hyksos (...) Enfin pour répondre à certains intégristes qui veulent absolument que David et
Salomon aient existé, faut-il se référer au travail de deux archéologues israéliens Israël Finkelstein et Asher
Silberman. Les nouvelles révélations de l'archéologie (Bayard Éditions). Les précisions de cette
éminente égyptologue sont sidérantes, bien qu'elle ne soit "absolument pas spécialiste de la
question" et qu'elle prétende ne pas être affirmative, elle se contredit immédiatement en
affirmant de façon dogmatique "l'Exode est une légende" et elle accuse même ceux qui
croient à l'existence de David et de Salomon d'être des intégristes (le monde est donc plein
d'intégristes, à l'exception bien sûr des égyptologues et des archéologues). Quels sont les
arguments permettant des conclusions aussi provocantes? Aucun, sinon la référence à deux
universitaires. Quels sont les arguments invoqués par les spécialistes pour refuser à la Bible
sa prétention à être un document historique ?
LA "VERITE" EST-ELLE HISTORIQUE OU ARCHEOLOGIQUE?
Dans son livre La Bible dévoilée, l'archéologue israélien Finkelstein expose les raisons
de douter de l'authenticité de la Bible. Le titre même du livre "dévoile" son caractère
subversif, et le sous-titre "Les nouvelles révélations de l'archéologie" est une prétention
quasi religieuse. Il écrit: Les savants qui prêtaient foi au compte rendu biblique commettaient l'erreur de
croire que l'ère des patriarches devait à tout prix être considérée comme la phase première d'une histoire
séquentielle d'Israël. Les spécialistes de la critique textuelle, qui avaient identifié les sources distinctives sous-
36F. NOLEN JONES – The Chronology of the Old Testament
Texas 2005 Ed. Master Books pp. 170-173,326.
13. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 13
jacentes du texte de la Genèse, répétaient avec insistance que le récit des patriarches avait été couché par écrit
à une date relativement récente, qu'ils situaient à la période monarchique (Xe-VIIIe siècles av. J.C.) ... Les
récits bibliques se rangeraient donc parmi les mythologies nationales, et n'auraient pas plus de fondement
historique que la saga homérique d'Ulysse, ou celle d'Énée, le fondateur de Rome (...) L'histoire des
patriarches est pleine de chameaux (...) Or, l'archéologie révèle que le dromadaire ne fut pas domestiqué
avant la fin du IIe millénaire37. Finkelstein fait référence à la critique biblique de Wellhausen,
pour dater les récits du Pentateuque, or cette "critique" est sérieusement critiquée38 (ce qui
est un comble). De plus, bien qu'il connaisse l'excellent travail de Bulliet sur la
domestication du chameau à la fin du 3e millénaire avant notre ère, il ne le cite jamais (on
comprend pourquoi). Concernant l'existence de David et Salomon39, après avoir précisé
Posée de façon aussi abrupte, cette question risque de paraître intentionnellement provocatrice, il écrit:
David et Salomon ont été élevés, au cours des siècles, au rang d'icônes religieuses auréolées d'un tel prestige
—tant par le judaïsme que par le christianisme— que les déclarations récentes de certains biblistes
radicaux, qui affirment que le roi David n'a pas davantage « de validité historique que le roi Arthur », ont
été accueillies dans les cercles religieux et scientifiques avec un mépris hautain et scandalisé. Des historiens
de la Bible comme Thomas Thompson et Niels Peter Lemche, de l'université de Copenhague, et Philip
Davies, de l'université de Sheffield, que leurs détracteurs surnomment les « minimalistes bibliques », n'ont
en effet pas hésité à déclarer que David et Salomon, la monarchie unifiée, en réalité l'entière description
biblique de l'histoire d'Israël, n'étaient rien de plus que des montages idéologiques, habilement élaborés,
effectués par les différents cercles sacerdotaux de Jérusalem, durant la période postexilique, voire
hellénistique. D'un point de vue purement littéraire et archéologique, certains arguments plaident en faveur
des minimalistes. La lecture attentive de la description biblique du règne de Salomon démontre clairement
qu'il s'agit de la peinture d'un passé idéalisé, d'une sorte d'âge d'or, nimbé de gloire. Le compte rendu de ses
fabuleuses richesses (...) abonde en détails trop excessifs pour être crédibles. En outre, en dépit de leurs
prétendues richesses et pouvoirs, ni David ni Salomon ne figurent dans aucun texte égyptien ou
mésopotamien. Enfin, Jérusalem ne contient pas le moindre vestige archéologique des célèbres constructions de
Salomon. Les fouilles entreprises à Jérusalem, autour et sur la colline du Temple, au cours du XIXe siècle
et au début du XXe siècle, n'ont pas permis d'identifier ne serait-ce qu'une trace du Temple de Salomon et
de son palais (...) Quant aux édifices monumentaux attribués jadis à Salomon, les rapporter à d'autres rois
paraît aujourd'hui beaucoup plus raisonnable. Les implications d'un tel réexamen sont énormes. En effet,
s'il n'y a pas eu de patriarches, ni d'Exode, ni de conquête de Canaan —ni de monarchie unifiée et
37 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée
Paris 2002 Éd. Bayard pp. 50, 51.
38 P. GUILLEMETTE, M. BRISEBOIS – introduction aux méthodes historico-critiques
Québec 1987 Éd. Fides pp. 232-238.
39 La Bible dévoilée pp. 150, 154-156.
14. 14 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
prospère sous David et Salomon—, devons-nous en conclure que l'Israël biblique tel que nous le décrivent
les cinq livres de Moïse, et les livres de Josué, des Juges et de Samuel, n'a jamais existé. Pour résumer
cette argumentation nihiliste: en dehors des vérités archéologiques point de salut, car toute
histoire ne peut être que mythique. Cette conception du passé est extrêmement subversive.
En effet, du point de vue archéologique, l'existence des chambres à gaz, par exemple (que
j'ai choisi à dessein pour illustrer les conséquences dramatiques de cette idéologie), ne
peuvent être prouvées, ce qui conduirait à la conclusion choquante d'un "mythe des
chambres à gaz". Finkelstein40 explique le but de son travail: Tout ceci démontre le pouvoir
extraordinaire de l'archéologie, témoin en temps réel des événements. L'archéologie doit prendre l'initiative
dans l'écriture de l'histoire de l'ancien Israël; non pas l'archéologie biblique traditionnelle, qui a assujetti
l'archéologie au texte et l'a surtout utilisée de manière « décorative » pour illustrer les histoires bibliques,
mais l'archéologie moderne, débarrassée de toute influence, indépendante (...) l'archéologie est le seul témoin
de l'histoire du Xe siècle avant notre ère. En réalité, l'archéologie va bien plus loin que cela. Elle peut aussi
largement nous renseigner sur les textes eux-mêmes (...) Me considérant comme un « historien qui pratique
l'archéologie », je traiterai avant tout d'histoire politique (...) Il faut reconnaître que nous manquons
cruellement de documents historiques pour le fer I, période allant de la fin du XIIe à la fin du Xe siècle av.
J.C. Bien que le texte biblique ait pu préserver des parcelles de souvenirs anciens, le matériau utilisé dans
les livres de Josué et des Juges n'a que peu de rapport avec cette histoire formative de l'histoire de l'ancien
Israël (...) Il va sans dire que je vais utiliser le système de la chronologie basse pour la datation des strates de
l'âge de fer (...) Je pense que la notion de grand État pan-israélite au Xe siècle av. J.C. est une invention des
historiens deutéronomistes et a été dictée par l'idéologie de Juda pendant la monarchie tardive.
Il faudrait, selon Finkelstein, remplacer les historiens par les archéologues pour
écrire l'histoire d'Israël. Formidable retour en arrière41. En effet, depuis Hérodote, les
historiens se sont efforcés d'améliorer la chronologie afin de trier entre les fables et
l'histoire, les archéologues, qui ne peuvent dater leurs objets bien souvent qu'à un siècle
près, voire pas du tout dans le cas des édifices en pierres, prétendent refaire l'histoire. Sans
chronologie, l'histoire ne serait qu'une branche de la philosophie, sans les historiens,
l'archéologie ne peut être qu'une nouvelle branche de la mythologie. Dever42 résume le
processus actuellement en cours: À la relecture de tout ce que Finkelstein a écrit sur le sujet, trois
choses en particulier me surprennent. Premièrement, contrairement aux autres savants que j'ai mentionnés,
40 I. FINKELSTEIN – Un archéologue au pays de la Bible
Paris 2008 Éd. Bayard pp. 32, 33, 52, 53.
41 Les historiens savent depuis longtemps que les faits n'existent pas en eux-mêmes, il faut se servir des témoignages historiques, puis les
replacer dans le temps grâce à une chronologie précise, afin de dissocier les causes des conséquences. Les archéologues qui prétendent
faire parler les pierres ‘oublient’ qu'ils en deviennent les ventriloques, comme le prouvent les querelles entre leurs différentes chapelles.
42 W.G. DEVER – Aux origines d'Israël. Quand la Bible dit vrai
Paris 2005 Éd. Bayard pp. 171-173, 245, 263..
15. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 15
il ne donne aucune description claire et digne d'être citée de l'entité qu'il a jadis appelée l'« Israël primitif »
(...) Deuxièmement, dans les débats d'après 1995 (ceux de 1996, 1997, 1998, en particulier), il ne cesse
de se répéter, parfois mot pour mot. Troisièmement, Finkelstein rejette systématiquement toutes mes critiques
dans ses publications, mais il ne trouve à leur opposer que des attaques personnelles au lieu de données
concrètes, qu'elles soient anciennes ou nouvelles. Non content de déformer mes propos (je n'ai jamais été un«
gottwaldien »), il me prend pour un « archéologue biblique », alors que je critiquais déjà cette approche
quand Finkelstein allait encore à l'école. Ces remarques illustrent les motivations derrière le débat
dit "scientifique", dans lequel le fait d'être qualifié "d'archéologue biblique" constitue une
insulte insupportable. En fait, contrairement à leur prétendue neutralité, les archéologues
sont les parties prenantes d'un débat idéologique. Dever conclut ainsi son analyse: Ce qui
précède se voulait une analyse critique des données archéologiques et bibliques en notre possession sur les
origines d'Israël. Tout au long de cet exposé, j'ai tenté de démontrer que les témoignages archéologiques les
plus récents, dont certains représentent une révolution dans ce domaine, doivent être dorénavant considérés
comme notre source primordiale pour l'écriture (ou la réécriture) de l'histoire des débuts d'Israël. Cette
affirmation catégorique de la primauté de l'archéologie en matière de recherche historique n'en pose pas
moins un problème: elle relègue le texte biblique, avec ses hautes traditions, à un rang subalterne en tant que
source. On pourrait même l'interpréter comme un rejet global de la Bible. Il devient en effet tentant d'ignorer
les récits bibliques sur les origines d'Israël et son émergence historique en les prenant pour des textes de
propagande théocratique trop tardifs, parfois divertissants, quelquefois édifiants, mais entièrement fictifs.
Une porte est ouverte à travers laquelle ne manqueront pas de s'engouffrer les révisionnistes, déjà trop enclins
à se servir du scepticisme des archéologues pour justifier leur programme nihiliste. Qu'est-ce qui motive
cette démolition programmée de l'histoire biblique (et aussi par extension de l'histoire en
général)? Dever en dévoile les raisons: Balter introduit avec soin la façon dont les diverses idéologies,
religieuses ou politiques, se servent de l'archéologie à des fins douteuses. Comme je lui ai dit: « Nous nous
sommes tellement battus pour faire de l'archéologie une discipline respectable, pour la libérer de ce genre de
problème émotionnels... Nous y voilà de nouveau plongés jusqu'au cou ! » Balter fait correctement le lien
entre le révisionnisme biblique originel et le nouveau révisionnisme archéologique. Il explique comment
Hamid Sali, un jeune archéologue palestinien de l'université de Birzeit, se disait ravi de pouvoir enfin
fouiller le sol de sa propre patrie (...) Khaled Nashef est un partisan fervent et redoutablement efficace de
l'engagement de l'archéologie locale dans la cause palestinienne. Il déclare que l'histoire de la Palestine a été
trop longtemps écrite et définie par les « archéologues bibliques », chrétiens ou israéliens. À présent, dit-il, il
appartient aux Palestiniens de réécrire cette histoire, en commençant par la redécouverte archéologique de
l'ancienne Palestine. Effectivement, selon le texte biblique, c'est Dieu qui autorise les Israélites
à expulser des Cananéens de leur terre. S'agit-il d'une interprétation religieuse?
16. 16 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
On le voit, l'interprétation archéologique n'est jamais neutre, ni religieusement, ni
politiquement. De plus, sans chronologie précise, les objets archéologiques sont souvent
ininterprétables, ce qui laisse donc place à toutes les spéculations43. Dans ces conditions,
comment reconstituer l'histoire d'Israël ? Il faut laisser l'affaire aux mains des historiens, et
la meilleure méthode, instaurée par Hérodote, est celle qui s'appuie sur des synchronismes
historiques qui peuvent être datés par l'astronomie.
COMMENT RECONSTITUER L'HISTOIRE D'ISRAËL?
Roland de Vaux44 expose en préface la méthode utilisée pour reconstituer l'histoire
d'Israël, il écrit: J'ai longtemps hésité sur le titre qu'aurait cet ouvrage. Le nom d'« Histoire d'Israël »,
donné souvent à des travaux analogues, a semblé inadéquat. En effet, « Israël » n'émerge dans l'histoire que
comme le nom collectif donné à un groupe de tribus après leur installation en Canaan. Devenu une entité
politique par l'institution de la monarchie sous Saül, réduit au royaume du Nord après la mort de
Salomon, cet « Israël » a cessé d'exister politiquement lorsque la chute de Samarie a consommé la réduction
du royaume du Nord en provinces assyriennes (...) D'un autre côté, le nom d'« Israël », avec sa connotation
religieuse, est à partir du retour de l'Exil en compétition avec celui de « Judaïsme », désignant un
mouvement qui, malgré toutes ses attaches avec le passé, est assez original pour justifier un nom nouveau
(...) Puisque l'Ancien Testament est la source principale de cette histoire, la recherche doit partir de l'étude
de son texte (...) La critique historique, enfin, travaille sur les éléments ainsi rassemblés. Elle recourt à
l'Ancien Testament lui-même mais elle fait appel à des témoignages externes : la géographie humaine et
historiques des territoires externes ; les textes anciens du Proche-Orient qui, par milliers, nous renseignent
sur les peuples voisins d'Israël et permettent de reconstruire leur histoire, ou qui, rarement, contiennent une
référence directe à un personnage ou à un événement de la Bible, ou qui, trouvés en Palestine ; l'archéologie
qui illustre ces textes orientaux et ceux de l'Ancien Testament qui les complète lorsqu'ils sont défaillants.
Aucun historien ne conteste la nécessité de tenir compte à la fois du texte biblique et de tout l'apport des
découvertes récentes. Il paraît effectivement raisonnable de restreindre l'histoire de l'ancien
Israël à une période commençant au plus tôt avec Abraham, puisque avant lui il n'y a pas de
peuple (et donc pas de trace), et finissant au plus tard avec Bar-Kokhba, puisque après ce
personnage il n'y a plus de peuple localisé mais seulement une diaspora juive. La méthode
consistant à comparer les textes anciens avec les inscriptions et les données archéologiques
est excellente, même si les résultats sont généralement limités.
43 A. MAZAR – Archeology of the Land of the Bible
New York 1990 Ed. Doubleday pp. 28-34, 232-530.
44 R. DE VAUX – Histoire ancienne d'Israël
Paris 1986 Éd. Gabalda pp. 7-10.
17. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 17
Selon le texte biblique, Abraham était originaire d'Ur, personnage puissant45, il
aurait vécu autour de -1900. Le livre de la Genèse46 donne les noms de ses ancêtres
immédiats: Térah, Nahôr et Seroug. Selon l'archéologie la ville d'Ur a bel et bien existé.
C'était une ville prestigieuse de Sumer qui eut son apogée vers la fin du 3e millénaire avant
notre ère. Les noms très rares des ancêtres d'Abraham ont été retrouvés dans le nord de la
Mésopotamie, sous la forme Ša-ru-gi (Seroug) dans un document de Tello daté de la IIIe
dynastie d'Ur III (2020-1912), et sous la forme Na-ḫa-rum (Nahôr) dans un document de la
même époque à Nippur47. Un document de Mari48 précisant même que la ville de Nahour
était proche de Harrân49. L'archéologie a montré que Harrân fut une ville prospère à la fin
du 3e millénaire avant notre ère, période durant laquelle la Genèse place la vie d'Abraham,
puis cette ville végéta entre -1800 et -700.
Même s'il est le plus souvent difficile de dater avec précision les événements
bibliques par l'archéologie, car ils sont nécessairement lacunaires sur ces époques reculées,
certains détails donnent des renseignements que l'on peut comparer à des empreintes
digitales. C'est d'ailleurs grâce à ces détails insoupçonnés que l'on peut déterminer si un
récit peut être classé comme historique ou mythologique du type "il était une fois". Trois
éléments apparemment anodins (à l'époque de la rédaction), permettent ainsi de dater un
événement de manière assez précise, soit:
1) Le taux d'inflation du prix d'un esclave.
2) La proportion de certains noms dans les documents.
3) La structure des traités connus.
4) La présence de mots rares liés à une époque précise.
1) Le premier élément de vérification de la chronologie israélite est fourni par
l'évolution du prix d'un esclave. Celui-ci a augmenté avec le temps50, phénomène qu'on
appelle inflation. Il est de 10 à 15 shekels à Akkad (-2200), de 10 shekels à Ur III (-2000),
de 20 shekels dans le code d'Hammurabi et à Mari (-1700), de 30 shekels à Nuzi (-1400),
entre 20 et 40 shekels à Ugarit (-1300), de 50 à 60 shekels en Assyrie (900-800), et entre 90
et 120 shekels au début de l'époque perse (600-500).
45 Genèse 11:31; 14:14.
46 Genèse 11:22-26.
47 R. DE VAUX - Histoire ancienne d'Israël des origines à l'installation en Canaan
Paris 1986 Éd. Gabalda p. 185.
48 G. ROUX - La Mésopotamie
Paris 1995 Éd. Seuil p. 256.
The Biblical Archaeologist
1948 p. 16.
49 Genèse 29:4,5.
50 E.M. B LAIKLOCK - The New International Dictionary of Biblical Archaeology
Michigan 1983 Ed. Zondervan Publishing House p. 417.
P. GARELLI, J.M. DURAND, H. GONNET, C. BRENIQUET - Le Proche-Orient Asiatique
Paris 1997 Éd. P.U.F. pp. 278-288.
18. 18 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
La corrélation entre la datation biblique et la période où les événements sont censés
se produire est excellente. Le prix de 20 shekels fixé pour acheter Joseph (à l'âge de 17 ans)
comme esclave51 est en accord avec la période où il fut vendu (-1770), comme celui de 30
shekels en Exode52 avec la période où Moïse est censé avoir vécu (-1500). De même, le prix
de 50 shekels53 correspond à la période où régna Ménahem (-770). Enfin, le prix de 90
shekels (3x30) se déduit à partir du texte de Zacharie54 qui écrivit vers -520. La somme de
30 shekels représentait un mois de salaire soit le tiers du prix d'un esclave. En effet, un
shekel valait 3 deniers, et un denier correspondait à une journée de travail au 1er siècle55.
2) Le deuxième élément de vérification de la chronologie israélite provient de la
proportion des noms amorites comportant une forme conjuguée à l'imparfait (commençant
souvent par un i ou un y) par rapport à l'ensemble des noms à une période donnée. Il est
évident que certains noms (ou prénoms) sont caractéristiques d'une époque, ce qui permet
de les dater. Une étude56 portant sur 360 noms akkadiens du 3e millénaire avant notre ère, a
montré une proportion de 20% de noms à l'imparfait, dont 80% commençant par y/i. Une
autre étude57 portant sur 6000 noms a révélé que vers -1800 il y en avait 16% à l'imparfait,
dont 55% commençant par y/i. Autour de -1300 sur 4050 noms il n'y en a plus que 2% à
l'imparfait, dont 30% commençant par y/i. Au début du 1er millénaire avant notre ère, sur
5000 noms, il n'en reste que 0,25% à l'imparfait, dont 1,6% commençant par y/i:
51 Genèse 37:28.
52 Exode 21:32.
53 2Rois 15:20.
54 Zacharie 11:8,12.
55 Matthieu 20:2.
56 R.A. DI VITO - Studies in Third Millenium Sumerian and Akkadian Personal Names
Roma 1993 Ed. Pontificio Istituto Biblico pp. 306-317.
J. BRIGHT - A History of Israel
London 1980 ED. SCM pp. 77, 78.
K.A. KITCHEN - Ancient Orient and the Old Testament
Chicago 1966 Ed. IVP pp. 48, 49.
D.J. WISEMAN F.E. GAEBELEIN - Archaeology & The Old Testament
in: Expositor’s Bible Commentary, Vol. 1, Grand Rapids 1983 Ed. Zondervan p. 316.
57 K.A. KITCHEN - Ancient Israel. A Short History from Abraham to the Destruction of the Tem.
1989 in: Themelios 15:1 Ed. H. Shanks pp. 25-28.
19. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 19
Dans les chapitres 16 à 50 du livre de la Genèse apparaissent vingt-quatre
descendants d'Abraham, dont quatre ont un nom commençant par y/i (Ismaël, Isaac,
Jacob, Joseph), soit une proportion de 16%. La période où ces personnages ont vécu
s'étend de -2000 à -1750 selon la Bible, ce qui est effectivement en très bon accord avec ces
données archéologiques. Détail digne d'intérêt, toutes les divinités dont le nom commence
par y/i sont très anciennes, en fait avant le 2e millénaire avant notre ère; par exemple:
Ishtar, Il, Igigi, Inanna, Ishkur, Ishara, Inshushinak, etc.
3) Le troisième élément de vérification de la chronologie israélite provient de la
structure des traités, également caractéristique de chaque époque. Une étude58 portant sur
cinquante-sept traités a montré que ceux-ci comportaient des parties spécifiques (témoins,
titres, serments, engagements, malédictions, bénédictions, rappels historiques) présentés
dans un ordre caractéristique propre à chaque époque.
La Bible rapporte trois traités conclus à l'époque patriarcale: celui d'Abraham avec
Abimélek en Genèse 21, celui d'Isaac avec Abimélek en Genèse 26, et celui de Jacob avec
Laban en Genèse 31. Ces trois traités ont la même structure:
1) des témoins59;
2) un serment60;
3) des engagements61;
4) des malédictions et des bénédictions62.
58 K.A. KITCHEN - The Patriarchal Age: Myth or History
1995 in: Biblical Archaeology Review 21:2 pp. 48-57, 88-95.
K.A. KITCHEN, R.S. HESS - Genesis 12-50 in the Near Eastern World
Cambridge 1993 in: He Swore an Oath Ed. Tyndale House pp. 67-92.
59 Genèse 21:22; 26:28; 31:44-52.
60 Genèse 21:23; 26:28; 31:44.
61 Genèse 21:24,30; 26:29; 31:52.
62 Genèse 21:33; 26:29; 31:53.
20. 20 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
Les trois traités bibliques de l'époque patriarcale cadrent exactement avec ceux qui
existaient au début du 2e millénaire avant notre ère, d'après les données archéologiques et
linguistiques. Cette confrontation est pertinente puisqu'elle compare des données
sensiblement du même lieu et de la même époque.
4) Le quatrième élément de vérification de la chronologie israélite provient de la
présence de mots rares liés à une époque déterminée dans le temps. Cette méthode de
datation par l'analyse linguistique n'est possible que si le corpus est bien documenté, ce qui
est rarement le cas. Le mot manne, par exemple, est traduit par "qu'est-ce [que c'est]?63". Or
ce mot "manne" est légèrement différent de sa définition hébraïque mâ-hou. Certains
linguistes expliquent cet écart en invoquant une étymologie populaire basée sur le syriaque
ou l'araméen tardif. Cette explication érudite n'est pas satisfaisante puisque le mot manne
signifie "qui" et non "qu'est-ce" dans ces deux langues. La forme des pronoms interrogatifs
dans les langues sémitiques anciennes64, est la suivante:
Qui Quoi Langue attestée de - à:
Égyptien ancien/moyen m m -2500 -1500
Akkadien ancien man min -2500 -2000
Assyro-Babylonien mannu(m) mînu(m) -1900 -600
Amorite manna ma -2500 -1500
Ugaritique my mh, mn -1500 -1100
Cananéen ancien miya manna -1800 -1100
Phénicien my m -1000 300
Hébreu mî mâ -1000 500
Araméen ancien/moyen man mâ -900 200
Syriaque ancien man mâ 0 200
63Exode 16:15.
64E. LIPINSKI - Semitic Languages Outline of a Comparative Grammar
in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 336,337.
21. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 21
Le mot manne existait en cananéen ancien et avait le sens de "qu'est-ce", il se trouve
écrit sous la forme ma-an-na dans une lettre à El-Amarna (EA 286), datée autour de -1350.
Cette vocalisation est conservée par la Septante et par le Nouveau Testament. Le cananéen
ancien est un hébreu teinté d'akkadien65, utilisé par des scribes dans leur correspondance
avec Canaan. Or, cet ancien dialecte a disparu après -1100. Un autre exemple d'étymologie,
attestant de la très haute antiquité du texte biblique, est fourni par le mot hanikayw "ses
hommes d'élite" en Genèse 14:14. Cet hapax, dont on ignorait encore le sens exact il y a
peu, fut découvert dans des textes égyptiens d'exécration datés en 1900-1800 pour qualifier
"les hommes d'élite" des princes cananéens. Ce mot rare66 apparaît ensuite, pour la dernière
fois, dans un texte trouvé à Taanach daté en 1500-1400. Comment un rédacteur tardif du
texte biblique aurait-il pu connaître un mot disparu depuis -1400? L'explication la plus
simple de cette étonnante précision n'est-elle pas d'admettre que l'auteur du texte ait vécu à
l'époque des faits? La datation obtenue grâce à la linguistique est cependant balbutiante à
cause du corpus très restreint sur lequel elle opère. Les mots rares de la Bible ont souvent
été supposés tardifs, et donc anachroniques. Ces conclusions, qui reposaient en fait sur
notre ignorance des langues anciennes, ont régulièrement été démenties. Par exemple, selon
un dictionnaire de référence67, les mots ketem "or" (Job 28:16,19), pardes "parc" (Cantique
des cantiques 4:13; Ecclésiaste 2:5; Néhémie 2:8) et karoz "héraut" (Daniel 3:4) sont tardifs
puisque pardes et karoz auraient été empruntés au grec (paradeisos "paradis" et kerux
"héraut"), soit autour de -400. Selon un dictionnaire plus récent68, ces mots rares existaient
en akkadien: kutîmu viendrait du sumérien KU-DIM "orfèvrerie" (avant -2000), pardêsu
"enclos" du vieux perse "muret autour" (vers -600) et kirenzi "proclamation" serait
emprunté à la langue hourrite (vers -1500). Selon une étude plus approfondie, le mot vieux
perse pari-dîdâ "muraille autour", viendrait du mède pari-daiza. Or, la langue mède était
parlée à Ecbatane et remonte au début du 1er millénaire avant notre ère69. Les affirmations
d'anachronismes sont donc maintenant devenues anachroniques, elles reposaient en fait sur
une illusion, les mots disparus étant en fait des mots hibernants70.
65 S. IZRE'EL - Canaano-Akkadian
Munich 2005 Ed. Licom Europa pp. 1-4.
66 R. DE VAUX - Histoire ancienne d'Israël des origines à l'installation en Canaan
Paris 1986 Éd. Gabalda pp. 208-209.
67 F. BROWN, S.R. DRIVER, C.A. BRIGGS – A Hebrew and English Lexicon of the Old Testament
Oxford 1951 Ed. Oxford University pp. 508, 825, 1097.
68 J. BLACK, A. GEORGE, N. POSTGATE – A Concise Dictionary of Akkadian
Wiesbaden 2000 Ed.Harrassowitz Verlag pp. 159, 171, 266.
69 F. JOANNES – Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne
Paris 2001 Éd. Robet Laffont p. 517.
70 A.R. MILLARD - The Tell Fekheriyeh Inscriptions
in: Biblical Archaeology Today 1990. Jerusalem 1993, Ed. Israel Exploration Society p. 523
A.R. MILLARD - A Lexical Illusion
in: Journal of Semitic Studies 31 (1986) pp. 1-3.
22. 22 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
Les fouilles de ras Shamra (en 1929), qui ont exhumé l'antique ville d'Ugarit détruite
en -1185, ont permis de démentir plusieurs préjugés de l'archéologie. En effet, cette ville de
Syrie connaissait déjà l'alphabet (en cunéiforme) au 14e siècle avant notre ère71, sa langue
étant très proche de l'hébreu. Cela a d'ailleurs permis d'éclairer des expressions bibliques
obscures72: šebîsîm "petits soleils" en Isaïe 3:18, šeta‘ "craindre/ terrifier" en Isaïe 41:10, bêt-
hahopšît "maison de réclusion" en 2Rois 15:8, rokeb ba‘arabôt "chevaucheurs de nuées" en
Psaumes 68:5, etc. Les connaissances archéologiques n'en sont donc qu'à leur début.
Les conclusions linguistiques sont encore faussées par d'autres difficultés:
Selon le Talmud73, le texte biblique en paléo-hébreu a été réécrit en caractère araméen
(appelé "hébreu carré") par Esdras (vers -400). Certains termes techniques archaïques
ont été réactualisés, ce qui a généré des anachronismes artificiels. Le mot "darique"
(1Chroniques 29:7), par exemple, est anachronique, puisque cette unité monétaire,
apparue seulement au 6e siècle avant notre ère, était inconnue à l'époque de David,
quatre siècles plus tôt. Esdras, l'auteur présumé du livre des Chroniques, a donc
effectué la conversion d'une ancienne unité, inusitée à son époque, en une autre plus
courante et familière: "la darique", comme il le fait en Esdras 8:27. Par contre, la qesitah
(Genèse 33:19; Josué 24:32; Job 42:11) n'a pas été convertie par Esdras (les traducteurs
de la Septante, eux, l'ont traduite par "agneau", créant ainsi un nouvel anachronisme).
Les aires géographiques de l'Antiquité, dont le nom a été conservé, ont changé avec le
temps. Selon le Nouveau Testament, le Sinaï (au nord de l'Égypte) était une montagne
située en Arabie (Galates 4:25; Ac 7:29,30). De même, les traducteurs de la Septante
situaient aussi (en -280) le pays de Goshèn en Arabie74. Il semble donc y avoir un
anachronisme, cependant cette définition de l'Arabie recoupe celle des historiens de
l'époque. Strabon75 (-64 21), historien grec du Pont, décrivait les frontières de l'Arabie
comme allant du Golf persique à l'Est jusqu'au Nil à l'Ouest, ce qui signifie que pour
lui la péninsule arabique et la péninsule du Sinaï étaient incluses dans l'Arabie. De
même, l'historien grec Hérodote76 (495-425) appelait Arabie toute cette région allant de
l'Est du Nil à la Mer Rouge. L'Arabie de la Septante et du Nouveau Testament est
donc différente de celle de l'Ancien Testament (qui correspond à la définition actuelle),
mais était en accord avec celle des géographes grecs de leur époque.
71 Les archives d'Ugarit avant -1350 ont malheureusement disparu, peut-être parce que le support utilisé pour l'écriture était la tablette de
bois recouverte de cire (S. LACKENBACHER – Textes akkadiens d'Ugarit, in: LAPO 22, Éd. Cerf 2002, pp. 22-23). Les archives d'Ébla
(vers -2300), éclairent aussi l'hébreu (M. DAHOOD – Eblaite and Biblical Hebrew in: Catholic Biblical Quaterly 44:1, 1982, pp. 1-24).
72 A. SCHOORS - Ugarit, in: Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Éd. Brepols 1987 pp. 1287-1290.
73 Talmud de Babylone: Baba Batra 14b; Sanhédrin 4:7 21b.
74 Genèse 45:10, 46:34.
75 Géographie 16:4:2; 17:1:21-31.
76 Enquête 2:8, 15, 19, 30, 75, 124, 158.
23. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 23
Les liens entre l'ethnicité et l'aire géographique ont évolué avec le temps. La précision
"Ur des Chaldéens77" de l'époque d'Abraham (autour de -2000), par exemple, est jugée
anachronique puisque les Chaldéens n'apparaissent que 1000 ans plus tard. La Chaldée
désigne une région au sud de la Babylonie. La Septante à traduit l'expression "Ur des
Chaldéens" par "territoire des Chaldéens", ce qui est une précision géographique et
non ethnique. Le mot grec kaldaiôn "Chaldéens" vient de l'assyrien kaldu et provient du
babylonien kašdu78 (avant -900). Or, le mot hébreu n'est pas kaldu mais kašdim,
l'équivalent de kašdu. Ce mot pourrait provenir de kiššatu, qui désignait à la fois "la
totalité" et "[l'empire de] Kiš". Selon Joannès79: Les Chaldéens restent une population
relativement mal connue. Il s'agit vraisemblablement de sémites occidentaux, originellement nomades,
dont on constate l'apparition et l'installation dans l'extrême sud de la basse Mésopotamie au début du
Ier millénaire av. J.-C., au même moment que les Araméens auxquels ils sont peut-être apparentés.
C'est dans une inscription d'Aššurbanipal II qu'ils apparaissent pour la première fois en 872 av. J.-
C. Si l'on trouve des Chaldéens dans certaines grandes villes babyloniennes (Sippar, Kuta, Kiš,
Nippur, Uruk), leur habitat privilégié semble avoir été le sud de la Babylonie et le pays des marais,
où ils fondèrent des établissements permanents, que les rois assyriens eurent à conquérir (...) De la
même manière que le terme Akkad renvoie à la capitale et au pays qu'elle dominait, le nom Kiš a
désigné plusieurs siècles auparavant et dans la même région, à la fois la ville éponyme et l'ensemble
géographique constitué entre les cours parallèle de l'Euphrate et du Tigre à leur entrée en basse
Mésopotamie. "Ur des Chaldéens" pourrait donc se référer à "Ur [de l'empire] de Kiš".
Bien que, selon la Liste royale sumérienne, Kiš fut la première ville à recevoir la royauté
après le Déluge, le corpus provenant de cette antique civilisation80 reste encore très
faible par rapport à celui de Sumer, le Shinéar de la Bible81.
Les archéologues supposent "par principe" que le texte biblique est tardif. Ainsi
lorsque la tablette XI de L'épopée de Gilgamesh, donnant la version en sumérien du récit
biblique du Déluge (chapitres 7 et 8 de la Genèse), fut découverte en 1872, l'explication qui
s'est vite imposée fut de considérer la version biblique comme un plagiat, Ziusudra, "vie de
longs jours" en sumérien, devenant le modèle du Noé biblique. Une analyse critique82 de ce
célèbre récit aboutit à une conclusion inverse. En effet, le récit sumérien comporte
77 Genèse 11:28,31; 15:7.
78 J. BLACK, A. GEORGE, N. POSTGATE – A Concise Dictionary of Akkadian
Wiesbaden 2000 Ed.Harrassowitz Verlag pp. 152, 162.
79 F. JOANNES – Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne
Paris 2001 Éd. Robet Laffont pp. 175-176, 448-449.
80 E. LIPINSKI - Semitic Languages Outline of a Comparative Grammar
in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 51-52.
81 Bien que les empires d'Uruk, d'Akkad et de Babylone soient présentés comme anciens (Genèse 10:10), celui de Kiš a pu les précéder.
82 R.J. TOURNAY, A. SHAFFER – L'épopée de Gilgamesh
Paris 1994 Éd. Cerf pp. 222-247.
24. 24 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
plusieurs invraisemblances, absentes du texte biblique83. Le récit biblique du Déluge est
donc plus conforme à la logique et contient une version plus proche de l'original. Enfin, la
différence majeure concerne le monothéisme strict du texte biblique par opposition au
polythéisme grossier du récit sumérien. Or, les seuls monothéistes connus, à cette époque,
sont les Hyksos. Selon les informations du prêtre égyptien Manéthon, rapportées par
Flavius Josèphe84, les Hyksos vivaient à Avaris, une ville consacrée à Typhon/Seth (Seth est
le nom égyptien de Baal, le "Seigneur" de Canaan)85. Apopi, le dernier Hyksos, est d'ailleurs
le premier monothéiste connu86, un adorateur du seul "Seigneur". En fonction de ces
quelques critères, la version monothéiste du Déluge n'a chronologiquement pu naître, ou
être rapportée, qu'en milieu hyksos de l'époque d'Apopi.
Ainsi, les conclusions linguistiques sont souvent utilisées à charge contre le texte
biblique. Lorsqu'elles confirment la chronologie israélite, elles ne sont généralement pas
retenues, les archéologues assimilant alors ces synchronismes à des "coïncidences" en se
focalisant sur de prétendus anachronismes rédhibitoires. L'anachronisme le plus grave,
selon Finkelstein étant celui-ci: L'histoire des patriarches est pleine de chameaux (...) Or, l'archéologie
révèle que le dromadaire ne fut pas domestiqué avant la fin du IIe millénaire87. Alors que dit réellement
l'archéologie et quelles sont les preuves disponibles?
Les chameaux dans le récit d'Abraham sont-ils anachroniques? Plusieurs études
mentionnent des vestiges, des textes et des restes animaux, qui appuient une domestication
du chameau commençant en Arabie88 avant -2000. De nombreux pétroglyphes89
apparaissant sur des roches en Arabie appuient ce fait90. S'y ajoute la présence d'ossements
de chameaux91 datés aux mêmes époques (fin du 3e millénaire).
83 1) Ziusudra construit un coffre cubique de 120 coudées de côté. Les grands pétroliers actuels, conçus pour transporter de gros volumes
en toute sécurité et de manière stable, ont exactement les proportions que l'arche biblique (300, 50 et 30 coudées), soit un rapport
longueur sur largeur de 6 à 1, ce qui constitue un rapport idéal pour la flottabilité d'après les spécialistes de la construction navale, alors
qu'un cube est très instable; 2) Ziusudra lance une colombe qui revint vers l'arche, puis une hirondelle qui fit de même, et enfin un
corbeau qui ne revint pas. Noé, lui, lâche un corbeau qui va et vient, puis une colombe qui revient, puis de nouveau la colombe qui
revient avec une feuille d'olivier, et enfin la colombe qui ne revient pas. Selon les naturalistes, l'astucieux corbeau est un des oiseaux les
plus capable de s'adapter et un des plus ingénieux. Il était donc avisé de commencer par le corbeau pour tester l'état du pays et de
terminer par la colombe, un oiseau peu astucieux; 3) Ziusudra était un homme immortel et vivait dans une contrée appelée Dilmun
(l'actuelle île de Bahreïn). Même si les jours de Noé furent prolongés à 950 ans, il finit, lui, par mourir.
84 Contre Apion I:237-238. Typhon est le nom grec de Seth, selon Diodore (Bibliothèque historique I:21, I:88).
85 N. A LLON - Seth is Baal — Evidence from the Egyptian Script
in: Ägypten und Levante XVII Wien 1997 pp. 15-22.
86 O. GOLDWASSER – King Apophis and the Emergence of Monotheism
in: Timelines Studies in Honour of Manfred Bietak Vol. I (2006) pp. 129-133, 331-354.
87 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée
Paris 2002 Éd. Bayard pp. 50, 51.
88 S. AD SAUD ABDULLAH - The Domestication of Camels and Inland Trading Routes in Arabia
in: Atlas. The Journal of Saudi Arabian Archaeology Vol. 14, Riyadh 1996 pp. 129-131.
89 E. ANATI - Rock-Art in Central Arabia Vol. 1
1968 Louvain Ed. Institut Orientaliste pp. 109-111.
90
E. ANATI - Rock-Art in Central Arabia Vol. 4
1974 Louvain Ed. Institut Orientaliste pp. 128, 234.
91
J. ZARINS - Camel
in: The Anchor Bible Dictionary. New York 1992 Ed. Doubleday pp. 824-826.
25. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 25
En dehors de ces gravures sur pierre, les bédouins (transitant principalement sur la
route de l'encens) n'ont apparemment laissé aucun texte. L'opinion courante veut que cet
animal ait été introduit en Syrie par les Araméens vers la fin du 2e millénaire pour prendre
de l'importance à l'époque néo-assyrienne à la fois comme animal de bât et animal de
monte utilisé pour la guerre, en particulier par les Bédouins. Le roi arabe Gindibu aurait
envoyé 10 000 hommes à dos de chameau à la bataille de Karkar remportée en -853 par
Salmanazar III. En -652, Šamaš-šum-ukîn, roi de Babylone, reçoit le renfort de troupes
arabes montées à dos de chameau pour affronter Aššurbanipal. De telles troupes sont aussi
représentées sur les bas-reliefs du palais d'Aššurbanipal.
En fait, les pétroglyphes de chameaux sont assez fréquents, mais la principale
difficulté est leur datation car la pierre ne peut être datée par le C14. Il n'y a en fait que
deux autres moyens qui permettent de les dater:
L'étude de l'environnement immédiat (poterie typée ou objet en bois datable par le
C14) donne une datation approximative. Des études sur l'art rupestre du Hemma
(Djezireh syrienne), par exemple, ont révélé au moins une quinzaine de pétroglyphes de
chameaux dont certains remonteraient au 12e siècle avant notre ère92.
Il arrive de façon exceptionnelle que certains pétroglyphes soient accompagnés d'un
texte contenant les noms de personnages qui peuvent être situés dans le temps. C'est le
cas de cette représentation (ci-dessous) découverte en Nubie93 dont l'inscription se lit:
Le guide des bons chemins, pilote Imai. Le nom Imai (’Im3i) est peu courant et n'apparaît que
sous le règne de Pépi II (2196-2136), ce qui situe l'inscription vers 2200-2100.
92
http://www.espasoc.org/2004/he4_18drom.html
93ZBYNEK ZABA - The Rock Inscriptions of Lower Nubia
Prague 1974 Ed. Tzechoslovak Institute of Egyptology pp. 237, 238, Fig. 409 CCXXIX.
26. 26 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
En dehors des bédouins, les autres civilisations du passé ont peu apprécié ce type
d'animal. Les Sumériens et les Égyptiens, par exemple, ont toujours considéré le chameau
(ou le dromadaire) comme un animal exotique. Ils ne s'y sont guère intéressés (aujourd'hui,
de fait, à part les gens de cirque, qui s'intéresse aux chameaux?). Il subsiste cependant
quelques vestiges94. Les fouilles effectuées en Égypte ont livré d'autres confirmations. Ainsi
une corde tressée en poil de chameau, datée autour de -2500, a été exhumée à Pi-Ramsès
dans le Fayoum. Un récipient en forme de chameau portant quatre amphores a été exhumé
à Abusir el-Meleq95 (dans le Fayoum 10 kilomètres au sud du Caire). Au Wadi Nasib dans le
Sinaï, une caravane de chameaux dont l'un est tiré par un homme, apparaît sur des
rochers96. Une statuette en forme de chameau portant des amphores a été trouvée à Rifeh.
Abusir el-Meleq (Égypte, vers -2000) Wadi Nasib (Sinaï, vers -1500)
Rifeh (Égypte, 13e siècle avant notre ère)
Ces découvertes archéologiques fortuites montrent que si l'Égypte pharaonique ne
mentionne pas le chameau elle ne l'ignorait pas. Les chameaux apparaissent à cette époque
dans plusieurs cités97 qui se situent toutes autour de la célèbre Via Maris "route de la mer",
un tronçon de la "route de l'encens" qui reliait le Golf persique à l'Égypte en longeant la
mer Méditerranée.
94
K.A. KITCHEN - On the Reliability of the Old Testament
Cambridge 2003 Ed. W.B. Eerdmans pp. 338, 339, 640.
95
L. PIROT, A. C LAMERT - La Sainte Bible Tome I
Paris 1953 Éd. Letouzey et Ané pp. 242, 243.
F. VIGOUROUX - Dictionnaire de la Bible Tome 2
Paris 1899 Éd. Letouzey et Ané p. 525.
96 RANDALL W. YOUNKER - Late Bronze Age Camel Petroglyphs in the Wadi Nasib, Sinai
in: Near East Archaeological Society Bulletin 42 (1997) pp. 47-54.
97 R.W. BULLIET - The Camel and the Wheel
Cambridge Massachusetts 1975 Ed. Harvard University Press pp. 57-71.
27. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 27
Byblos (autour de -2000)
Suse (autour de -2300)98 Ur (1900-1700)
Sceau syrien (1800-1400) [dessin de la partie droite]
Sceau d'Asie centrale (autour de -2000)99
On a aussi retrouvé à Ur100, ville d'où Abraham est parti, un petit chameau en or en
train de s'agenouiller. Ce bijou faisait partie d'un collier daté dans la IIIe dynastie soit autour
de -2000. Toutes ces découvertes prouvent donc que la domestication des chameaux101
remonte sans conteste au début du 3e millénaire, du moins en Arabie. Même si les textes
mentionnant cette domestication sont rares, ils ne sont pas inexistants. Un texte en vieux
babylonien trouvé à Nippur, daté entre -2000 et -1700, fait explicitement allusion au lait de
98 E. VILLENEUVE - Archéologie: Bitume au natuel
2002, in: Le monde de la Bible n°145 pp. 57-59.
99 J. ARUZ Art of the First Cities. The Third Millenium B.C. from the Mediterranean to the Indus
New York 2003 Ed. The Metropolitan Museum of Art pp. 374, 375.
100 E.M. B LAIKLOCK R.K. H ARRISON - The New International Dictionary of Biblical Archaeology
Michigan 1983 Ed. Zondervan Publishing House pp. 115,116.
101 G. RACHET -Dictionnaire des civilisations de l'Orient
Paris 1999 Éd. Larousse-Bordas p. 109.
28. 28 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
chamelle102 (comment obtenir du lait d'un animal sauvage?) Le chameau est en fait appelé le
"pachyderme d'Harrân". Toujours à Nippur, une liste sumérienne d'animaux exotiques,
remontant au babylonien ancien (daté entre 1900 et 1500), classe le chameau103 avec le tigre
et l'éléphant d'Asie. Un texte trouvé à Alalakh, daté entre 1800 et 1700, évoque le fourrage
des chameaux104 (la lecture du mot [ANŠE]-GAM-MAL "chameau" est discutée). À partir du
11e siècle avant notre ère, les textes assyriens citant des chameaux domestiqués, comme
celui du roi Assur-bêl-kala (1073-1056), sont de plus en plus nombreux105.
Notre mot "camélidés" dérive de l'akkadien gammalu, venant lui-même du sumérien
[ANŠE]-GAM-MAL. La signification d'un autre mot sumérien pour désigner le chameau, soit
[ANŠE]-A-AB-BA "âne de la mer", est éclairante sur le rôle de cet animal à cette époque
reculée. Ce classement sommaire du chameau par les Sumériens dans la catégorie de l'âne
montre que cet animal était peu commun. De plus, la précision surprenante "de la mer" est
une confirmation indirecte de son origine arabe. En effet, les chameaux étaient surtout
utilisés par les caravaniers arabes pour vendre de l'encens106. Or ces marchands
empruntaient une "route de l'encens" qui reliait le Golfe persique à l'Égypte en passant le
long de la mer Méditerranée107, d'où son nom ultérieur de Via Maris108 (route de la mer),
citée sous cette forme par le texte d'Isaïe109. Une lettre du roi assyrien Shamshi-Adad Ier
atteste de l'utilisation de cette voie par son armée110 vers -1700 et la vente de Joseph à des
marchands ismaélites est une bonne illustration du rôle de cette antique route
commerciale111. Les découvertes112 archéologiques ont ainsi confirmé une domestication
précoce du chameau en Arabie113 même si son développement fut très lent.
102 The Assyrian Dictionary Vol. 7
Chicago 1960 Ed. The Oriental Institute p. 2.
103 M. CIVIL - "Adamdun", the Hippopotamus, and the Crocodile
in: Journal of Cuneiform Studies 50 (1998) p. 11.
104 A. GOETZE - Remarks on the Ration Lists from Alalakh VII
in: Journal of Cuneiform Studies 13. New Haven 1959 pp. 29, 37.
W.G. L AMBERT - The Domesticated Camel in the Second Millenium
in: BASOR 160 (dec. 1960) pp. 42, 43.
105 A. KUHRT - The Exploitation of the Camel in the Neo-Assyrian Empire
in: Studies on Ancient Egypt London 1999 Ed. The Egypt Exploration Society pp. 179-184.
106 Isaïe 60:6.
107 2Chroniques 20:2.
108 É. STERN - La Via Maris in: Les routes du Proche-Orient. Des séjours d'Abraham
aux caravanes de l'encens Paris 2000 Éd. Desclée de Brouwer pp. 58-65.
109 Isaïe 8:23.
110 J.C. MARGUERON, L. PFIRSCH - Le Proche-Orient et l'Égypte antique
Paris 2005 Éd. Hachette Supérieur p. 199.
111 Genèse 37:25.
112 JOHN J. DAVIS -The Camel In Biblical Narratives,
in: A Tribute To Gleason Archer. Chicago 1986, Ed. Moody Press
A.E. DAY R.K HARRISON G.W. BROMILEY - International Standard Bible Encyclopedia, Vol. 1
1979 Grand Rapids: Eerdmans: pp. 583-584.
D.J. WISEMAN F.E. GAEBELEIN - Archaeology & The Old Testament
in: Expositor’s Bible Commentary, Vol. 1, 1979 Grand Rapids: Zondervan p. 316.
J.P. FREE - Abraham's Camels
in: Journal of Near Eastern Studies 3, 1944, pp. 187-93.
113 I. KÖHLER-ROLLEFSON - Camels and Camel Pastoralism in Arabia
in: Biblical Archaeologist 56 (1993) pp. 180-188.
29. CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 29
La lecture du récit biblique donne parfois l'impression que les chameaux étaient
abondamment utilisés en Mésopotamie dès l'époque patriarcale. Ce n'est pas le cas.
Quelques points permettent de le vérifier. Abraham eut des chameaux seulement après être
parti d'Harrân et être passé par le Négueb114. Les propriétaires de ces animaux étaient des
bédouins arabes115 pour la plupart. La possession de chameaux était un signe de richesse
surtout pour les peuples arabes116 comme les Madianites et les Edomites. En fait, les
données bibliques concernant les chameaux concordent avec les découvertes
archéologiques. Les propriétaires de chameaux sont essentiellement en Arabie. Job, qui
mentionne les caravanes de Téma117, est un Oriental. La reine de Saba, arrivant avec ses
chameaux, séjournait dans le sud de l'Arabie118. Abraham, bien que propriétaire de
chameaux ne le devint en fait qu'après le départ d'Harrân119 sa ville d'accueil. Ce riche
propriétaire, originaire de la prospère ville d'Ur, opéra un choix judicieux en acquérant une
caravane de chameaux, probablement auprès de marchands arabes, car ces animaux sont
très bien adaptés pour la vie nomade. Abraham, bien que résidant sous les tentes, n'est pas
présenté comme un bédouin, mais comme un chef prestigieux, éleveur de bétail
sédentarisé, se déplaçant parfois à cause d'événements extérieurs.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces éléments provenant de l'archéologie
sont ignorés par la plupart des égyptologues. Lorsque j'ai envoyé mon dossier à Claude
Obsomer, il m'a renvoyé aux livres de Finkelstein. J'ai donc insisté en lui livrant mon
dossier sur la domestication des chameaux. Il m'a répondu dans son courriel daté du 2
septembre 2004: Cher Monsieur Gertoux, je vous remercie d'avoir persévéré. Effectivement, vous avez
114 Genèse 12:9,16.
115 Genèse 32:3,15; Juges 6:3,5.
116 Job 1:3.
117 Job 6.19.
118 2Chroniques 9:1.
119 Genèse 12:5.
30. 30 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
une série de documents intéressants en ce qui concerne les chameaux pour réfuter une idée largement diffusée.
S'il s'avère que les datations indiquées sont correctes, ce que vous avez eu à cœur de vérifier en consultant les
publications originelles et études sur la question, il va de soi que la question des chameaux ne pourra plus
être proposée comme objection à une datation haute du récit biblique. Ceci n'exclut pas non plus une
datation basse, bien entendu, et il revient dès lors de réexaminer les autres objections archéologiques avancées
par Finkelstein.
En fait, de nombreux spécialistes ne veulent pas changer d'avis même quand ils
connaissent les preuves archéologiques. Cécile Michel, par exemple, dans sa lettre datée du
25 mars 2004 m'a répondu: En ce qui concerne le chameau, gammalu en akkadien (Dictionnaire
entrée animaux domestiques), son terme sumérien [ANŠE]-GAM-MAL est un emprunt tardif à
l'akkadien. En effet, les Akkadiens utilisent encore le sumérien dans certains contextes aux IIe et Ier
millénaires et il leur arrive de créer des mots sumériens parfois décalqués sur leur propre langue. Rien ne
prouve donc que les Sumériens connaissent les chameaux qui n'apparaissent d'ailleurs dans les textes qu'à
la fin du IIe millénaire. Je ne crois donc pas en l'existence du lait de chamelle ou du fourrage des chameaux
dans les textes du début du IIe millénaire. Ce que vous identifiez comme un chameau sur une plaque
rituelle retrouvée à Suse n'y ressemble guère. Surpris par tant de mauvaise foi, j'ai de nouveau
consulté le dictionnaire akkadien120. Ce dictionnaire cite bien un texte en vieux babylonien
trouvé à Nippur, daté entre -2000 et -1700, faisant explicitement allusion au lait de
chamelle. Il s'agit bien du début et non de la fin du IIe millénaire. De plus, les chameaux
qui sont équipés avec des jarres ne peuvent être classés parmi les animaux sauvages, mais
bien parmi les animaux domestiques.
Pour bien comprendre la question du chameau et de sa domestication, j'ai consulté
un spécialiste réputé des langues sémitiques. Dans sa lettre datée du 2 août 2004, Edward
Lipinski m'a répondu: Vous avez certainement raison de rappeler que le chameau semble avoir été
domestiqué en Arabie dès le IIIe millénaire av.n.è. En sud-arabique, il porte le nom de gml, certainement
le même que ǧamal en arabe classique, gəmoul en copte, et que le pluriel GIMLN, ou GMIL des
inscriptions numides du 2e siècle av.n.è. ("dromadaires", peut-être "chameliers"). Le pseudo-idéogrammes
sumérien et mot akkadien sont manifestement des emprunts à l'arabe ancien des régions du Golfe Persique.
Le déterminatif ANŠE indique qu'il s'agit d'un animal de bât, tout comme l'âne. Le redoublement du m
dans un mot d'emprunt ne me paraît pas significatif ; l'hébreu redouble ainsi le l au pluriel sans raison
apparente. La forme ANŠE-GAM, sans le signe MAL, n'est toutefois pas attestée, à ma connaissance. La
structure primitive du mot, antérieure à la domestication du dromadaire, dont on a retrouvé des traces en
Tunisie dès le IVe millénaire av.n.è., avait cependant une base monosyllabique : gam ou kam. On la
120 The Assyrian Dictionary Vol. 7 Chicago 1960 Ed. The Oriental Institute p. 2.