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Le projet de nouveau code de l’investissement,
un texte inapproprié
Cette note analyse et critique le projet de nouveau code des investissements dont l’adoption
par l’ANC est considérée par le FMI comme la plus importante condition préalable pour
l’octroi d’un prêt à la Tunisie, selon un document rendu public par le gouvernement et la
presse Tunisienne fin Mars 2013.
Résumé :
 Le code proposé ne prend pas en compte le vrai problème du pays qui est de juguler
le chômage et de renforcer la croissance. Sa préoccupation explicite consiste surtout
à garantir des avantages aux IDE (investissements directs étrangers).
 Contrairement aux textes précédents règlementant l'investissement (loi 72 et code
des incitations aux investissements de 1993), il ne distingue pas entre bons et
mauvais IDE, exportateurs et non-exportateurs. Par conséquent, il expose le pays à
une hémorragie de devises. Il est indispensable de faire un bilan-devises pour chaque
projet afin d'éviter cette hémorragie de devises.
 Il est construit sur une lecture inexacte de l’expérience du pays en matière
d’investissement, expérience qui a mené au mécontentement des gens et à la
révolution. Cette lecture attribue la faiblesse de l’investissement national à
l’insuffisance des IDE alors que la raison essentielle est le recul de l’épargne et non
pas l’insuffisance des IDE.
 Il offre des avantages aux IDE sans discernement, sans en évaluer les conséquences
et sans en réclamer de contrepartie ferme et palpable.
 Il expose le pays à un déficit fiscal important et il hypothèque sa souveraineté et ses
terres.
 Il est indispensable de supprimer ou de corriger les articles inappropriés cités dans
cette note, ou mieux : de réécrire le code en s’inspirant des principes de la loi
américaine « recovery act » qui a permis aux USA de sortir de la crise de 2009 au
moindre frais. Ces principes, diamétralement opposés à la philosophie du projet de
code, consistent à encourager explicitement les entreprises nationales américaines et
l’emploi américain et à augmenter le niveau de transparence dans la gestion des
fonds d’Etat.
 Comme alternative à ce projet de code, il est suggéré de légiférer par filière
industrielle et non pas à partir de principes généraux (compétitivité, efficience,
ouverture, attractivité…), par exemple en commençant par les secteurs de
l’agriculture et de l’énergie solaire. L’approche par filière aura le mérite de la clarté
tant pour le législateur que l’exécutif et l’investisseur.
 Plutôt que dans des réformes générales opaques, il est préférable d’orienter les
efforts vers l’amélioration de l’efficacité de son intervention et de la gouvernance des
entreprises publiques de façon à ce que les emplois dans le secteur public, qui
demeurent une bouée de sauvetage incontournable en période de difficulté
économique et de reconstruction, servent réellement à produire de façon efficace.
I. Les principales dispositions inappropriées
Le cadre légal actuellement en vigueur, appelé code des incitations aux investissements (CII)
adopté en 1993, permet déjà d’accueillir des Investissements Direct Etrangers (IDE). Il
distingue deux sortes d’IDE. Les IDE exportateurs : ils ont un bon impact sur notre balance
des paiements extérieurs. Les IDE non exportateurs : ils sont au contraire une charge lourde
pour les réserves officielles de devises de la Tunisie (si la BCT les autorise à ponctionner ces
réserves, comme c’est le cas aujourd’hui). Ces derniers gagnent leurs bénéfices en dinars et
retirent leur argent à la BCT en devises, faisant fondre nos réserves officielles de devises.
Pour l’année 2012, c’est l’équivalent de près de 3 milliards de dinars de sorties de bénéfices
en devises dures. L’ampleur du phénomène est telle, que la BCT a dû emprunter des
sommes considérables en devises fin 2012 pour faire face à ces sorties de bénéfices dont les
plus importantes proviennent des sociétés de production de gaz, des sociétés pétrolières,
des cimenteries, des opérateurs de télécoms, et des banques.
Il serait préférable d’adopter une stratégie au cas par cas, où chaque opération sera évaluée
en fonction de ses avantages et de ses inconvénients, en veillant à étudier le bilan-devises de
chaque opération avant de l’accepter.
Le projet de nouveau code des investissements promu par le FMI (et ses organismes affiliés)
ne fait pas cette distinction essentielle entre IDE exportateurs et non exportateurs comme
c’était le cas de la loi 72 qui a été le fondement de l’industrialisation de la Tunisie, ainsi que
du CII de 1993. Les critères d’évaluation sur lesquels il se base ne prennent pas en compte
l’équilibre des comptes nationaux (bilan-devises).
D’autres dispositions inappropriées se trouvent dans ce projet de nouveau code
d’investissement :
L’article 7 dispense les projets de grande envergure d’autorisation préalables : mesure
absurde qui va à l’encontre de tout contrôle sérieux des projets les plus stratégiques. Dans
tout pays géré sérieusement, c’est toujours en dessous de certains seuils que le contrôle ne
s’effectue plus, jamais au dessus.
Les articles 9 et 10 vendent nos terres agricoles aux étrangers : le dispositif de façade des 30
% est facilement contournable.
L’article 12 octroie à l’investisseur étranger un traitement non moins favorable qu’à
l’investisseur tunisien : ce qui veut dire que le traitement octroyé à l’investisseur étranger ne
peut être que meilleur que le traitement octroyé à l’investisseur tunisien. L’octroi de
meilleures conditions à l’investisseur étranger vis-à-vis de l’investisseur tunisien ne peut être
acceptable que selon le principe de réciprocité, comme l’a fait la Turquie. Le principe de
réciprocité exige de n’accorder des avantages qu’aux investisseurs des pays qui nous
accordent sur leurs territoires les mêmes avantages.
L’article 14 nous engage à permettre des transferts de bénéfices en devises : devises que
nous ne possédons pas et que nous serons obligés d’emprunter. C’est le cas aujourd’hui par
un état de fait, mais la Tunisie n’a pas pris d’engagement irréversible dans ce sens. Il nous
reste la possibilité de rétablir le contrôle des changes en cas de choc (crise, révolution…), ce
que le gouvernement aurait pu faire depuis le départ de l’ancien Président, à l’exemple de
l’Islande en 2008 qui a bloqué momentanément les sorties de bénéfices étrangers en
attendant que l’économie retrouve son équilibre. Précisons que le FMI a accepté cette
mesure pour l’Islande. L’interdiction de sortie des bénéfices de l’Islande est encore en
vigueur aujourd’hui et ce pays a réussi son redressement. Avec cet article 14, nous nous
mettons la corde au cou et nous ne pourrons plus revenir en arrière.
Il faut ajouter que cet article va aussi encourager les investisseurs Tunisiens à céder en partie
leurs industries aux étrangers afin de bénéficier de la possibilité de sortir leurs capitaux
(pour des raisons d’évasion fiscale ou de contrôle par exemple), ce qui va aggraver
l’hémorragie de capitaux et le déficit fiscal.
Les articles 55 à 58 instituent le Conseil National de l’Investissement (CNI) et l’Instance
Nationale de l’Investissement (INI) : deux instances qui font participer le secteur privé
international dans l’élaboration de la stratégie et le contrôle de l’investissement national.
Elles n’ont aucun équivalent dans les pays développés tels que la France ou les Etats-Unis. Et
pour cause, ces instances vident complètement de leur substance les prérogatives du
gouvernement et du parlement.
En effet, dans les démocraties développées, c’est au gouvernement de mettre en place et
d’exécuter la stratégie nationale d’investissement, que celle-ci soit élaborée, en général de
manière plus ou moins confidentielle, par le gouvernement (France) ou bien en commun
accord entre le parlement et le gouvernement (USA). En Tunisie, la stratégie
d’investissement a été historiquement élaborée par des ministères tels que celui de
l’industrie ou celui du développement et de la coopération internationale dont la
dénomination contenait le terme « investissement » jusqu’en 2011. Le mot
« investissement » se trouve aujourd’hui supprimé de cette dénomination comme pour
préparer le terrain pour ces deux instances. Mais il est illusoire de croire qu’on peut séparer
développement et investissement.
C’est en définitive au parlement que revient le contrôle de la bonne tenue et l’effectivité des
investissements, à travers des commissions parlementaires affectées à cette tâche ; alors
que les instances CNI et INI proposées par ce projet de nouveau code des investissements
sont en même temps décideurs et contrôleurs, juges et parties, et qu’elles sont de surcroît
non-démocratiques et non-nationales.
Les articles 67 à 72 sur l’arbitrage en cas de litige entre l’Etat Tunisien et l’investisseur : la
question de l’arbitrage viole le principe d’égalité de traitement entre investisseurs étrangers
et Tunisiens. Le recours devant le CIRDI par les investisseurs étrangers risque de coûter cher
à l’Etat. Il aurait fallu respecter le principe d’égalité et privilégier le recours obligatoire à la
juridiction nationale pour tous les investisseurs (étrangers et Tunisiens) avec possibilité, en
dernier recours et avec l’accord de la partie Tunisienne, de s’adresser à la juridiction
internationale.
II. Les effets pervers possibles des incitations à l’investissement :
leçons du précédent code d’incitations aux investissements (encore
en vigueur aujourd’hui)
La Tunisie a déjà l’expérience d’un texte de loi pour encourager l’investissement : la loi 93-
120 du 27/12/1993 appelée « code d’incitation aux investissements » (CII). Plusieurs
amendements ont modifié cette loi par la suite. Mais elle a constitué le cadre règlementaire
de référence pour l’investissement.
Bien que cette loi a pris la précaution de distinguer entre les bons IDE qui sont exportateurs
(en réservant un traitement particulier aux entreprises exportatrices) et les mauvais qui
portent atteinte aux réserves officielles de devises du pays, le bilan économique qu’on peut
en établir aujourd’hui montre qu’il ne suffit pas de faciliter les choses aux investisseurs pour
arriver à un bon résultat.
Sans avoir la prétention d’établir un bilan complet du CII, deux critiques peuvent être
formulées brièvement.
En premier lieu, l’impact macroéconomique a plutôt favorisé la consommation que la
production. Par conséquent, il a comprimé l’épargne, ce qui a plafonné l’investissement. Ce
n’est donc pas la question « investissement public ou privé ? » qui est importante comme le
supposent les promoteurs du projet du nouveau code des investissements, mais plutôt qu’il
s’agit d’une mauvaise orientation macroéconomique de nos ressources nationales, tant pour
les acteurs publics que privés.
En effet, d’une part le taux d’investissement a baissé le long de la période novembriste, ce
qui ne permet pas au système productif de relever les défis de l’amélioration du niveau de
vie et de l’emploi. D’autre part, le taux d’épargne a baissé, ce qui indique une tendance vers
l’encouragement de la consommation.
Année 1983 2007
Investissement total (en % du PIB) 33% 25%
Epargne nationale totale (en % du PIB) 26% 22%
A titre de comparaison, les taux d’épargne et d’investissement des pays asiatiques que nous
prenons comme modèles de réussite économique sont aux alentours de 35-40%. C’est ce qui
leur a permis de passer d’une économie rudimentaire à une économie à forte valeur
ajoutée. C’est donc par l’épargne que doit commencer la réforme de notre système
économique si on veut suivre la trace de ces pays.
En effet, la baisse de l’épargne nationale totale limite l’investissement national total et elle
oblige le pays à recourir à l’investissement étranger, ce qui cause une appropriation des
fruits de cet investissement par des intérêts étrangers. Ces fruits se trouvent alors
ponctionnés au dehors des circuits de l’économie nationale.
En général l’investissement étranger vise les créneaux les plus rentables, ce qui prive
l’économie de revenus importants et aggrave le manque d’épargne et ainsi de suite. C’est le
chemin du désinvestissement, chemin contraire à l’accumulation du capital nécessaire à
l’élévation du niveau de la valeur ajoutée et des salaires.
Cet effet pervers des incitations à l’investissement est dû au fait qu’au lieu d’investir, les
entreprises peuvent utiliser les facilités fiscales ou autres accordées par l’Etat, pour
augmenter les dividendes, salaires et avantages qu’elles offrent aux dirigeants et
actionnaires.
Par conséquent, les facilités accordées par le CII se traduisent par un déplacement de revenu
de l’Etat (obligé par le CII à diminuer les taxes) vers les ménages. Ceci est confirmé par les
données suivantes :
Part dans le revenu total 1983 2007
pour l’Etat 26% 19%
pour les sociétés 8% 10%
pour les ménages 66% 71%
Le déplacement de revenu se fait surtout en faveur des ménages et au détriment de l’Etat.
Bien sûr, le CII n’est pas le seul responsable. La politique de démantèlement douanier l’est
aussi.
Ce déplacement entraîne une baisse du taux de l’épargne nationale totale du pays en raison
du fait que le taux d’épargne de l’Etat est traditionnellement supérieur au taux d’épargne
moyen des ménages :
Taux d’épargne de l’Etat en 2010 22%
Taux d’épargne des ménages en 2010 12%
C’est l’explication de la baisse du taux d’épargne nationale totale indiquée ci-dessus : de 26%
à 22%, alors que le contexte démographique du pays favorisait une hausse du taux
d’épargne toute chose égale par ailleurs (grâce à l’augmentation de la part de la population
en âge de travailler, phénomène appelé dividende démographique et lié à la transition
démographique).
Ainsi, le code des incitations aux investissements s’est avéré être surtout un code des
incitations à la consommation.
Les ménages concernés par ce déplacement de revenu en leur faveur sont les dirigeants
d’entreprises, les actionnaires, les commerçants et dans une moindre mesure les salariés,
alors que les classes pauvres ne sont que peu concernées.
Le CII a donc approfondi les inégalités.
En deuxième lieu, il n’y a pas de véritable vision ou stratégie industrielle qui a accompagné
le CII. Les facilités sont octroyées sans réelle vision sectorielle. Elles sont uniquement basées
sur des concepts généraux (comme les concepts de compétitivité, ouverture, concurrence,
attractivité…) et n’abordent presque pas les spécificités des filières industrielles. Il s’en suit
que les secteurs qui ont le plus profité des incitations ne sont pas ceux qui en ont fait le
meilleur usage au regard de l’intérêt national, de l’équilibre extérieur, l’épargne et de
l’emploi.
Une étude sur l’impact du CII finalisée par le bureau ECOPA en Décembre 2012, estime que
les incitations du CII ont couté directement à l’Etat la somme de 1254 millions de Dinars en
2009, soit 2,2% du PIB ou encore plus de 8% des recettes de l’Etat.
Le secteur des mines, pétrole, gaz et électricité reçoit la part du lion de ce montant, soit 28%
en 2009. Or ce secteur est naturellement appelé à se développer avec ou sans incitations car
il dépend seulement de l’existence des ressources naturelles et de l’existence d’un marché
pour le carburant et l’électricité, deux conditions vérifiées. Autrement dit, même sans les
incitations, ce secteur aurait réalisé autant d’investissement.
En revanche, les incitations dirigées vers les secteurs réellement porteurs de valeur ajoutée
et d’emploi n’ont reçu que des parts insignifiantes de ces incitations.
Ce qu’il faut, c’est que le cadre légal qui nous lie aux IDE s’inscrive dans une stratégie
nationale préalable d’investissement et non l’inverse, c’est-à-dire une stratégie
d’investissement soumise à un cadre légal adopté sans vision.
Cette deuxième critique portant sur l’orientation sectorielle des facilités aux investissements
est partagée par les promoteurs du projet du nouveau code des investissements. Ils sont
conscients des insuffisances de la situation actuelle mais ils ne voient pas le déficit d’épargne
nationale qui en est la cause fondamentale. Par conséquent, ils proposent une réforme qui
renforce la cause du mal.
III. Un projet de nouveau code des investissements à contre-courant
d’une vraie politique moderne de réforme du système productif et
de l’emploi
Bien que ce projet de nouveau code des investissements comporte quelques mesures
souhaitables pour ce qui concerne les procédures administratives, comme l’idée du vis-à-vis
unique, les principes qui le sous-tendent ne sont pas de nature à favoriser la réalisation des
objectifs de la révolution.
Au contraire, ce projet de nouveau code menace la solvabilité financière du pays et porte
atteinte à sa capacité à gérer et à redresser son économie. Il accorde des avantages
importants et mal calculés aux investisseurs étrangers sans obtenir d’eux des avantages
palpables, par exemple en terme de garanti d’accès à leurs marchés.
Pour redresser notre économie, il serait plus approprié de s’inspirer des principes adoptés
par les démocraties développées pour sortir des situations de crise.
Par exemple, lorsque les USA ont cherché à redresser leur économie après la forte récession
de 2009 (dont l’ampleur a été plus forte que la récession Tunisienne de 2011), ils ont adopté
des principes diamétralement opposés à ce que le projet de nouveau code nous propose.
En effet, la réponse du gouvernement d’Obama fut l’American Recovery and Reinvestment
Act de 2009 (ARRA), plan de relance dont les mesures phares reposaient essentiellement sur
le « Buy American » (section 1605) et les mesures de transparence, de contrôle, et de
publication des informations liées à l’utilisation de l’argent public (section 1511).
La section 1605 protège l’industrie nationale de l’acier, du fer et des produits manufacturés
(autant dire l’essentiel de l’industrie). En effet, elle exige que les achats publics de ces
produits soient effectués exclusivement auprès de l’industrie nationale américaine. L’idée
étant de privilégier les entreprises américaines afin d’impulser une relance et de baisser le
chômage américain. C’est donc loin d’être un traitement de faveur pour les entreprises
étrangères comme c’est le cas pour le projet de nouveau code en Tunisie.
La section 1511 instaure l’obligation de transparence et de publication maximale de
l’information sur l’utilisation des fonds publics alloués au plan de relance. Les informations
concernant les contrats publics de plus de 500 000 dollars sont désormais accessibles au
public, même les contrats militaires, à l’opposé de l’article 7 du projet de nouveau code
tunisien.
Pour superviser la bonne application de ces dispositions de transparence, une commission
composée de parlementaires et de hauts fonctionnaires a été créée. Elle contrôle
l’effectivité de la transparence de l’usage des fonds publics à travers un site Internet qui
centralise et diffuse toutes les informations importantes (emplois créés, contrats octroyés,
etc.) : http://www.recovery.gov/ (sections 1511 et 1526)
Les graphiques suivants (page 5) montrent l’étendue du succès du recovery act. En effet,
alors que la relance d’une économie, dans un contexte économique mondial ralenti,
provoque habituellement une aggravation du déficit courant extérieur (donc de la dette
extérieure), on voit que les USA ont réussi le pari de relancer leur économie et
simultanément de réduire leur déficit courant extérieur. Alors, suivons le bon exemple et
appliquons les bons principes!
Le taux de croissance de l’économie des USA remonte en 2010 (reprise économique), alors
que le déficit courant (graphique ci-dessus à droite) reste maîtrisé. Il est contenu à moins de
500 milliards de dollars alors qu’avant la crise il dépassait 700 milliards de dollars.
Les deux graphiques ci-dessous montrent que la relance de l’économie Tunisienne de 2012 a
suivi au contraire un chemin d’aggravation du déficit courant puisque ce dernier était
contenu dans la limite de 3 milliards de Dinars avant la crise de 2011 et qu’il a dépassé les 5
milliards de Dinars à la reprise de l’économie en 2012.
-4
-3
-2
-1
0
1
2
3
2007 2008 2009 2010 2011 2012
taux de croissance réel du
PIB des USA en %
-800
-600
-400
-200
0
2007 2008 2009 2010 2011 2012
solde courant des USA en
milliards de dollars
La raison est que nous ne suivons pas les bons principes qui permettent de redresser une
économie. L’internationalisme absolu n’est pas bon conseiller quand il s’agit de sortir un
pays d’une situation compromise car les créanciers, eux, n’oublient pas les frontières quand
arrive le moment de rembourser.
IV Conclusion et recommandations
La stratégie américaine a su relancer l’économie sans se baser sur la dette grâce au recovery
act qui a focalisé les aides de l’Etat fédéral des USA sur les producteurs nationaux. Au
contraire, la relance de l’économie Tunisienne s’est basée sur la dette, la consommation et
les subventions au profit de producteurs étrangers (pour les produits de base et les
carburants), ce qui ne peut résoudre le problème du chômage. Le projet de nouveau code
des investissements renforcera cette tendance en instituant le renoncement de l’Etat
Tunisien à favoriser les producteurs nationaux et en fragilisant la solvabilité externe du
pays et de l’Etat Tunisien par une hémorragie de devises, donc sa capacité à réaliser les
objectifs de la révolution.
Il faudrait au moins supprimer les articles indiqués dans la section I ou mieux encore,
réécrire ce code en partant d’un réel souci patriote de sortir ce pays de son actuelle situation
économique et financière compromise, à l’image de l’esprit qui anime le texte du recovery
act américain.
Il faudrait partir du souci de résoudre le vrai problème du pays qui est de juguler le chômage
et de renforcer la croissance sans compromettre les finances extérieures et non pas du souci
de garantir des avantages aux IDE comme c’est explicitement le cas pour ce projet de
nouveau code.
Les dispositions tendant à simplifier et accélérer les démarches administratives et améliorer
la productivité et la transparence de l’administration sont à conserver, et même à renforcer
en ce qui concerne la transparence. En effet, le projet de nouveau code est très insuffisant
-4
-2
0
2
4
6
8
2007 2008 2009 2010 2011 2012
taux de croissance réel du
PIB de la Tunisie en %
-6,00
-5,00
-4,00
-3,00
-2,00
-1,00
0,00
2007 2008 2009 2010 2011 2012
solde courant de la Tunisie
en milliards de Dinars
pour la transparence. Dans ce domaine, il faudrait adopter les standards américains imposés
par le recovery act.
Le minimum de prise en compte de l’intérêt du pays est de se référer au bilan-devises
comme critère pour accorder les avantages. L’occultation de cette question constitue
malheureusement la principale innovation du projet de nouveau code.
Il faudrait veiller à ce que les facilités octroyées soient employées réellement dans
l’investissement et non pas dans l’augmentation de la consommation des personnes
privilégiées comme cela a été le cas jusqu’à présent, au moins en partie.
Il faudrait procéder par filière industrielle et non pas à partir de principes généraux
(compétitivité, efficience, ouverture, attractivité…) car ces principes généraux peuvent être
détournés au profit d’intérêts particuliers au détriment de l’intérêt national.
L’approche par filière aura le mérite de la clarté tant pour le législateur que l’exécutif et
l’investisseur.
Les secteurs de l’agriculture et de l’énergie renouvelable devraient avoir la priorité. Il est
urgent pour l’Etat d’orienter ses efforts vers ces secteurs au lieu de dépenser du temps et de
l’argent dans des réformes générales opaques telle que ce projet de nouveau code.
En particulier, une proposition concrète pourrait être d’orienter les fonds publics vers une
entrée de plein pied dans le secteur de l’énergie solaire par le lancement d’un Institut Solaire
d’envergure dans le sud du pays ayant un impact immédiat sur l’emploi des régions pauvres.
Cela serait préférable à une recapitalisation des banques qu’il serait logique de reporter en
attendant une conjoncture plus favorable, ou à des importations de voitures qui ne font
qu’augmenter alors que le pays s’endette pour payer non seulement les voitures mais aussi
le carburant et les travaux d’infrastructure routière.
La nature de la transition démocratique fait que la participation du secteur public au sein de
l’économie Tunisienne est incontournable pour relever le défi économique car les privés
n’ont pas la taille suffisante contrairement aux USA et par aversion naturelle au risque, ils
n’interviennent que quand l’économie est en bonne santé. Même les décideurs politiques
qui se disent libéraux n’ont pas manqué de s’appuyer fortement sur le secteur public pour
répondre aux besoins urgents de la population, en 2011 par les aides consenties et les
emplois municipaux fictifs et en 2012 par les embauches de façade dans la fonction
publique.
Il faut donc reconnaître la nécessité de l’intervention de l’Etat dans les circonstances
actuelles au lieu de la refuser pour ensuite être obligé d’y recourir en catastrophe comme en
2011 et 2012. Si on avait accepté cette nécessité dès le changement de régime (le 14 Janvier
2011), on aurait pu prévoir un meilleur usage des fonds publics que les aides improductives
et les emplois fictifs et on aurait commencé à en cueillir les fruits aujourd’hui. Mais si on
attend encore une fois l’explosion sociale, on ne pourra pas orienter dans l’urgence la
dépense de l’Etat de façon efficace et productive.
Afin d’avoir une intervention efficace de l’Etat, il faut aujourd’hui réfléchir à un meilleur
moyen de gérer nos entreprises publiques de façon à ce que les emplois publics servent
réellement à produire de façon efficace.
Il faut que nos grandes entreprises publiques soient soumises à des critères stricts
d’efficacité, de rentabilité et de transparence. La concurrence public-public peut inciter à
améliorer les performances dans ces domaines. Des pays ont réussi à transformer leurs
entreprises publiques en acteurs économiques efficaces offrant la meilleure qualité au
moindre coût. Par exemple, les 3 banques les plus rentables du monde sont des banques
Chinoises à 100% publiques. Ces banques se font concurrence entre elles, ce qui les oblige à
être plus performantes.
C’est par l’amélioration de la gouvernance de nos entreprises publiques et de l’efficacité de
la dépense publique que passe le chemin du succès économique de la Tunisie, et non par des
avantages aux IDE sans contreparties fermes.
Par Chafik Ben Rouin et Mohamed Mabrouk
Rédigé le 9/5/2013
Les données citées dans la présente note concernant la Tunisie proviennent de l’INS, celle concernant les USA proviennent du site
www.economagic.com
Références:
 L'investissement direct étranger: une analyse critique pour la Tunisie, par Hager Trabelsi Chaibi, document de travail de l'Institut
Tunisien de Compétitivité et d'Economie Quantitative (ITCEQ), disponible à:
http://www.ieq.nat.tn/upload/files/Notes%20et%20analyses/IDE_analyse2.pdf
 Coûts/Bénéfices des incitations fiscales et financières à l'investissement, ECOPA

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Le projet de nouveau code des investissements n’est pas approprié aux objectifs de la révolutionouveau code de l

  • 1. Le projet de nouveau code de l’investissement, un texte inapproprié Cette note analyse et critique le projet de nouveau code des investissements dont l’adoption par l’ANC est considérée par le FMI comme la plus importante condition préalable pour l’octroi d’un prêt à la Tunisie, selon un document rendu public par le gouvernement et la presse Tunisienne fin Mars 2013. Résumé :  Le code proposé ne prend pas en compte le vrai problème du pays qui est de juguler le chômage et de renforcer la croissance. Sa préoccupation explicite consiste surtout à garantir des avantages aux IDE (investissements directs étrangers).  Contrairement aux textes précédents règlementant l'investissement (loi 72 et code des incitations aux investissements de 1993), il ne distingue pas entre bons et mauvais IDE, exportateurs et non-exportateurs. Par conséquent, il expose le pays à une hémorragie de devises. Il est indispensable de faire un bilan-devises pour chaque projet afin d'éviter cette hémorragie de devises.  Il est construit sur une lecture inexacte de l’expérience du pays en matière d’investissement, expérience qui a mené au mécontentement des gens et à la révolution. Cette lecture attribue la faiblesse de l’investissement national à l’insuffisance des IDE alors que la raison essentielle est le recul de l’épargne et non pas l’insuffisance des IDE.  Il offre des avantages aux IDE sans discernement, sans en évaluer les conséquences et sans en réclamer de contrepartie ferme et palpable.  Il expose le pays à un déficit fiscal important et il hypothèque sa souveraineté et ses terres.  Il est indispensable de supprimer ou de corriger les articles inappropriés cités dans cette note, ou mieux : de réécrire le code en s’inspirant des principes de la loi américaine « recovery act » qui a permis aux USA de sortir de la crise de 2009 au moindre frais. Ces principes, diamétralement opposés à la philosophie du projet de code, consistent à encourager explicitement les entreprises nationales américaines et l’emploi américain et à augmenter le niveau de transparence dans la gestion des fonds d’Etat.  Comme alternative à ce projet de code, il est suggéré de légiférer par filière industrielle et non pas à partir de principes généraux (compétitivité, efficience, ouverture, attractivité…), par exemple en commençant par les secteurs de l’agriculture et de l’énergie solaire. L’approche par filière aura le mérite de la clarté tant pour le législateur que l’exécutif et l’investisseur.
  • 2.  Plutôt que dans des réformes générales opaques, il est préférable d’orienter les efforts vers l’amélioration de l’efficacité de son intervention et de la gouvernance des entreprises publiques de façon à ce que les emplois dans le secteur public, qui demeurent une bouée de sauvetage incontournable en période de difficulté économique et de reconstruction, servent réellement à produire de façon efficace. I. Les principales dispositions inappropriées Le cadre légal actuellement en vigueur, appelé code des incitations aux investissements (CII) adopté en 1993, permet déjà d’accueillir des Investissements Direct Etrangers (IDE). Il distingue deux sortes d’IDE. Les IDE exportateurs : ils ont un bon impact sur notre balance des paiements extérieurs. Les IDE non exportateurs : ils sont au contraire une charge lourde pour les réserves officielles de devises de la Tunisie (si la BCT les autorise à ponctionner ces réserves, comme c’est le cas aujourd’hui). Ces derniers gagnent leurs bénéfices en dinars et retirent leur argent à la BCT en devises, faisant fondre nos réserves officielles de devises. Pour l’année 2012, c’est l’équivalent de près de 3 milliards de dinars de sorties de bénéfices en devises dures. L’ampleur du phénomène est telle, que la BCT a dû emprunter des sommes considérables en devises fin 2012 pour faire face à ces sorties de bénéfices dont les plus importantes proviennent des sociétés de production de gaz, des sociétés pétrolières, des cimenteries, des opérateurs de télécoms, et des banques. Il serait préférable d’adopter une stratégie au cas par cas, où chaque opération sera évaluée en fonction de ses avantages et de ses inconvénients, en veillant à étudier le bilan-devises de chaque opération avant de l’accepter. Le projet de nouveau code des investissements promu par le FMI (et ses organismes affiliés) ne fait pas cette distinction essentielle entre IDE exportateurs et non exportateurs comme c’était le cas de la loi 72 qui a été le fondement de l’industrialisation de la Tunisie, ainsi que du CII de 1993. Les critères d’évaluation sur lesquels il se base ne prennent pas en compte l’équilibre des comptes nationaux (bilan-devises). D’autres dispositions inappropriées se trouvent dans ce projet de nouveau code d’investissement : L’article 7 dispense les projets de grande envergure d’autorisation préalables : mesure absurde qui va à l’encontre de tout contrôle sérieux des projets les plus stratégiques. Dans tout pays géré sérieusement, c’est toujours en dessous de certains seuils que le contrôle ne s’effectue plus, jamais au dessus. Les articles 9 et 10 vendent nos terres agricoles aux étrangers : le dispositif de façade des 30 % est facilement contournable.
  • 3. L’article 12 octroie à l’investisseur étranger un traitement non moins favorable qu’à l’investisseur tunisien : ce qui veut dire que le traitement octroyé à l’investisseur étranger ne peut être que meilleur que le traitement octroyé à l’investisseur tunisien. L’octroi de meilleures conditions à l’investisseur étranger vis-à-vis de l’investisseur tunisien ne peut être acceptable que selon le principe de réciprocité, comme l’a fait la Turquie. Le principe de réciprocité exige de n’accorder des avantages qu’aux investisseurs des pays qui nous accordent sur leurs territoires les mêmes avantages. L’article 14 nous engage à permettre des transferts de bénéfices en devises : devises que nous ne possédons pas et que nous serons obligés d’emprunter. C’est le cas aujourd’hui par un état de fait, mais la Tunisie n’a pas pris d’engagement irréversible dans ce sens. Il nous reste la possibilité de rétablir le contrôle des changes en cas de choc (crise, révolution…), ce que le gouvernement aurait pu faire depuis le départ de l’ancien Président, à l’exemple de l’Islande en 2008 qui a bloqué momentanément les sorties de bénéfices étrangers en attendant que l’économie retrouve son équilibre. Précisons que le FMI a accepté cette mesure pour l’Islande. L’interdiction de sortie des bénéfices de l’Islande est encore en vigueur aujourd’hui et ce pays a réussi son redressement. Avec cet article 14, nous nous mettons la corde au cou et nous ne pourrons plus revenir en arrière. Il faut ajouter que cet article va aussi encourager les investisseurs Tunisiens à céder en partie leurs industries aux étrangers afin de bénéficier de la possibilité de sortir leurs capitaux (pour des raisons d’évasion fiscale ou de contrôle par exemple), ce qui va aggraver l’hémorragie de capitaux et le déficit fiscal. Les articles 55 à 58 instituent le Conseil National de l’Investissement (CNI) et l’Instance Nationale de l’Investissement (INI) : deux instances qui font participer le secteur privé international dans l’élaboration de la stratégie et le contrôle de l’investissement national. Elles n’ont aucun équivalent dans les pays développés tels que la France ou les Etats-Unis. Et pour cause, ces instances vident complètement de leur substance les prérogatives du gouvernement et du parlement. En effet, dans les démocraties développées, c’est au gouvernement de mettre en place et d’exécuter la stratégie nationale d’investissement, que celle-ci soit élaborée, en général de manière plus ou moins confidentielle, par le gouvernement (France) ou bien en commun accord entre le parlement et le gouvernement (USA). En Tunisie, la stratégie d’investissement a été historiquement élaborée par des ministères tels que celui de l’industrie ou celui du développement et de la coopération internationale dont la dénomination contenait le terme « investissement » jusqu’en 2011. Le mot « investissement » se trouve aujourd’hui supprimé de cette dénomination comme pour préparer le terrain pour ces deux instances. Mais il est illusoire de croire qu’on peut séparer développement et investissement.
  • 4. C’est en définitive au parlement que revient le contrôle de la bonne tenue et l’effectivité des investissements, à travers des commissions parlementaires affectées à cette tâche ; alors que les instances CNI et INI proposées par ce projet de nouveau code des investissements sont en même temps décideurs et contrôleurs, juges et parties, et qu’elles sont de surcroît non-démocratiques et non-nationales. Les articles 67 à 72 sur l’arbitrage en cas de litige entre l’Etat Tunisien et l’investisseur : la question de l’arbitrage viole le principe d’égalité de traitement entre investisseurs étrangers et Tunisiens. Le recours devant le CIRDI par les investisseurs étrangers risque de coûter cher à l’Etat. Il aurait fallu respecter le principe d’égalité et privilégier le recours obligatoire à la juridiction nationale pour tous les investisseurs (étrangers et Tunisiens) avec possibilité, en dernier recours et avec l’accord de la partie Tunisienne, de s’adresser à la juridiction internationale. II. Les effets pervers possibles des incitations à l’investissement : leçons du précédent code d’incitations aux investissements (encore en vigueur aujourd’hui) La Tunisie a déjà l’expérience d’un texte de loi pour encourager l’investissement : la loi 93- 120 du 27/12/1993 appelée « code d’incitation aux investissements » (CII). Plusieurs amendements ont modifié cette loi par la suite. Mais elle a constitué le cadre règlementaire de référence pour l’investissement. Bien que cette loi a pris la précaution de distinguer entre les bons IDE qui sont exportateurs (en réservant un traitement particulier aux entreprises exportatrices) et les mauvais qui portent atteinte aux réserves officielles de devises du pays, le bilan économique qu’on peut en établir aujourd’hui montre qu’il ne suffit pas de faciliter les choses aux investisseurs pour arriver à un bon résultat. Sans avoir la prétention d’établir un bilan complet du CII, deux critiques peuvent être formulées brièvement. En premier lieu, l’impact macroéconomique a plutôt favorisé la consommation que la production. Par conséquent, il a comprimé l’épargne, ce qui a plafonné l’investissement. Ce n’est donc pas la question « investissement public ou privé ? » qui est importante comme le supposent les promoteurs du projet du nouveau code des investissements, mais plutôt qu’il s’agit d’une mauvaise orientation macroéconomique de nos ressources nationales, tant pour les acteurs publics que privés. En effet, d’une part le taux d’investissement a baissé le long de la période novembriste, ce qui ne permet pas au système productif de relever les défis de l’amélioration du niveau de
  • 5. vie et de l’emploi. D’autre part, le taux d’épargne a baissé, ce qui indique une tendance vers l’encouragement de la consommation. Année 1983 2007 Investissement total (en % du PIB) 33% 25% Epargne nationale totale (en % du PIB) 26% 22% A titre de comparaison, les taux d’épargne et d’investissement des pays asiatiques que nous prenons comme modèles de réussite économique sont aux alentours de 35-40%. C’est ce qui leur a permis de passer d’une économie rudimentaire à une économie à forte valeur ajoutée. C’est donc par l’épargne que doit commencer la réforme de notre système économique si on veut suivre la trace de ces pays. En effet, la baisse de l’épargne nationale totale limite l’investissement national total et elle oblige le pays à recourir à l’investissement étranger, ce qui cause une appropriation des fruits de cet investissement par des intérêts étrangers. Ces fruits se trouvent alors ponctionnés au dehors des circuits de l’économie nationale. En général l’investissement étranger vise les créneaux les plus rentables, ce qui prive l’économie de revenus importants et aggrave le manque d’épargne et ainsi de suite. C’est le chemin du désinvestissement, chemin contraire à l’accumulation du capital nécessaire à l’élévation du niveau de la valeur ajoutée et des salaires. Cet effet pervers des incitations à l’investissement est dû au fait qu’au lieu d’investir, les entreprises peuvent utiliser les facilités fiscales ou autres accordées par l’Etat, pour augmenter les dividendes, salaires et avantages qu’elles offrent aux dirigeants et actionnaires. Par conséquent, les facilités accordées par le CII se traduisent par un déplacement de revenu de l’Etat (obligé par le CII à diminuer les taxes) vers les ménages. Ceci est confirmé par les données suivantes : Part dans le revenu total 1983 2007 pour l’Etat 26% 19% pour les sociétés 8% 10% pour les ménages 66% 71% Le déplacement de revenu se fait surtout en faveur des ménages et au détriment de l’Etat. Bien sûr, le CII n’est pas le seul responsable. La politique de démantèlement douanier l’est aussi.
  • 6. Ce déplacement entraîne une baisse du taux de l’épargne nationale totale du pays en raison du fait que le taux d’épargne de l’Etat est traditionnellement supérieur au taux d’épargne moyen des ménages : Taux d’épargne de l’Etat en 2010 22% Taux d’épargne des ménages en 2010 12% C’est l’explication de la baisse du taux d’épargne nationale totale indiquée ci-dessus : de 26% à 22%, alors que le contexte démographique du pays favorisait une hausse du taux d’épargne toute chose égale par ailleurs (grâce à l’augmentation de la part de la population en âge de travailler, phénomène appelé dividende démographique et lié à la transition démographique). Ainsi, le code des incitations aux investissements s’est avéré être surtout un code des incitations à la consommation. Les ménages concernés par ce déplacement de revenu en leur faveur sont les dirigeants d’entreprises, les actionnaires, les commerçants et dans une moindre mesure les salariés, alors que les classes pauvres ne sont que peu concernées. Le CII a donc approfondi les inégalités. En deuxième lieu, il n’y a pas de véritable vision ou stratégie industrielle qui a accompagné le CII. Les facilités sont octroyées sans réelle vision sectorielle. Elles sont uniquement basées sur des concepts généraux (comme les concepts de compétitivité, ouverture, concurrence, attractivité…) et n’abordent presque pas les spécificités des filières industrielles. Il s’en suit que les secteurs qui ont le plus profité des incitations ne sont pas ceux qui en ont fait le meilleur usage au regard de l’intérêt national, de l’équilibre extérieur, l’épargne et de l’emploi. Une étude sur l’impact du CII finalisée par le bureau ECOPA en Décembre 2012, estime que les incitations du CII ont couté directement à l’Etat la somme de 1254 millions de Dinars en 2009, soit 2,2% du PIB ou encore plus de 8% des recettes de l’Etat. Le secteur des mines, pétrole, gaz et électricité reçoit la part du lion de ce montant, soit 28% en 2009. Or ce secteur est naturellement appelé à se développer avec ou sans incitations car il dépend seulement de l’existence des ressources naturelles et de l’existence d’un marché pour le carburant et l’électricité, deux conditions vérifiées. Autrement dit, même sans les incitations, ce secteur aurait réalisé autant d’investissement. En revanche, les incitations dirigées vers les secteurs réellement porteurs de valeur ajoutée et d’emploi n’ont reçu que des parts insignifiantes de ces incitations.
  • 7. Ce qu’il faut, c’est que le cadre légal qui nous lie aux IDE s’inscrive dans une stratégie nationale préalable d’investissement et non l’inverse, c’est-à-dire une stratégie d’investissement soumise à un cadre légal adopté sans vision. Cette deuxième critique portant sur l’orientation sectorielle des facilités aux investissements est partagée par les promoteurs du projet du nouveau code des investissements. Ils sont conscients des insuffisances de la situation actuelle mais ils ne voient pas le déficit d’épargne nationale qui en est la cause fondamentale. Par conséquent, ils proposent une réforme qui renforce la cause du mal. III. Un projet de nouveau code des investissements à contre-courant d’une vraie politique moderne de réforme du système productif et de l’emploi Bien que ce projet de nouveau code des investissements comporte quelques mesures souhaitables pour ce qui concerne les procédures administratives, comme l’idée du vis-à-vis unique, les principes qui le sous-tendent ne sont pas de nature à favoriser la réalisation des objectifs de la révolution. Au contraire, ce projet de nouveau code menace la solvabilité financière du pays et porte atteinte à sa capacité à gérer et à redresser son économie. Il accorde des avantages importants et mal calculés aux investisseurs étrangers sans obtenir d’eux des avantages palpables, par exemple en terme de garanti d’accès à leurs marchés. Pour redresser notre économie, il serait plus approprié de s’inspirer des principes adoptés par les démocraties développées pour sortir des situations de crise. Par exemple, lorsque les USA ont cherché à redresser leur économie après la forte récession de 2009 (dont l’ampleur a été plus forte que la récession Tunisienne de 2011), ils ont adopté des principes diamétralement opposés à ce que le projet de nouveau code nous propose. En effet, la réponse du gouvernement d’Obama fut l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009 (ARRA), plan de relance dont les mesures phares reposaient essentiellement sur le « Buy American » (section 1605) et les mesures de transparence, de contrôle, et de publication des informations liées à l’utilisation de l’argent public (section 1511). La section 1605 protège l’industrie nationale de l’acier, du fer et des produits manufacturés (autant dire l’essentiel de l’industrie). En effet, elle exige que les achats publics de ces produits soient effectués exclusivement auprès de l’industrie nationale américaine. L’idée étant de privilégier les entreprises américaines afin d’impulser une relance et de baisser le chômage américain. C’est donc loin d’être un traitement de faveur pour les entreprises étrangères comme c’est le cas pour le projet de nouveau code en Tunisie.
  • 8. La section 1511 instaure l’obligation de transparence et de publication maximale de l’information sur l’utilisation des fonds publics alloués au plan de relance. Les informations concernant les contrats publics de plus de 500 000 dollars sont désormais accessibles au public, même les contrats militaires, à l’opposé de l’article 7 du projet de nouveau code tunisien. Pour superviser la bonne application de ces dispositions de transparence, une commission composée de parlementaires et de hauts fonctionnaires a été créée. Elle contrôle l’effectivité de la transparence de l’usage des fonds publics à travers un site Internet qui centralise et diffuse toutes les informations importantes (emplois créés, contrats octroyés, etc.) : http://www.recovery.gov/ (sections 1511 et 1526) Les graphiques suivants (page 5) montrent l’étendue du succès du recovery act. En effet, alors que la relance d’une économie, dans un contexte économique mondial ralenti, provoque habituellement une aggravation du déficit courant extérieur (donc de la dette extérieure), on voit que les USA ont réussi le pari de relancer leur économie et simultanément de réduire leur déficit courant extérieur. Alors, suivons le bon exemple et appliquons les bons principes! Le taux de croissance de l’économie des USA remonte en 2010 (reprise économique), alors que le déficit courant (graphique ci-dessus à droite) reste maîtrisé. Il est contenu à moins de 500 milliards de dollars alors qu’avant la crise il dépassait 700 milliards de dollars. Les deux graphiques ci-dessous montrent que la relance de l’économie Tunisienne de 2012 a suivi au contraire un chemin d’aggravation du déficit courant puisque ce dernier était contenu dans la limite de 3 milliards de Dinars avant la crise de 2011 et qu’il a dépassé les 5 milliards de Dinars à la reprise de l’économie en 2012. -4 -3 -2 -1 0 1 2 3 2007 2008 2009 2010 2011 2012 taux de croissance réel du PIB des USA en % -800 -600 -400 -200 0 2007 2008 2009 2010 2011 2012 solde courant des USA en milliards de dollars
  • 9. La raison est que nous ne suivons pas les bons principes qui permettent de redresser une économie. L’internationalisme absolu n’est pas bon conseiller quand il s’agit de sortir un pays d’une situation compromise car les créanciers, eux, n’oublient pas les frontières quand arrive le moment de rembourser. IV Conclusion et recommandations La stratégie américaine a su relancer l’économie sans se baser sur la dette grâce au recovery act qui a focalisé les aides de l’Etat fédéral des USA sur les producteurs nationaux. Au contraire, la relance de l’économie Tunisienne s’est basée sur la dette, la consommation et les subventions au profit de producteurs étrangers (pour les produits de base et les carburants), ce qui ne peut résoudre le problème du chômage. Le projet de nouveau code des investissements renforcera cette tendance en instituant le renoncement de l’Etat Tunisien à favoriser les producteurs nationaux et en fragilisant la solvabilité externe du pays et de l’Etat Tunisien par une hémorragie de devises, donc sa capacité à réaliser les objectifs de la révolution. Il faudrait au moins supprimer les articles indiqués dans la section I ou mieux encore, réécrire ce code en partant d’un réel souci patriote de sortir ce pays de son actuelle situation économique et financière compromise, à l’image de l’esprit qui anime le texte du recovery act américain. Il faudrait partir du souci de résoudre le vrai problème du pays qui est de juguler le chômage et de renforcer la croissance sans compromettre les finances extérieures et non pas du souci de garantir des avantages aux IDE comme c’est explicitement le cas pour ce projet de nouveau code. Les dispositions tendant à simplifier et accélérer les démarches administratives et améliorer la productivité et la transparence de l’administration sont à conserver, et même à renforcer en ce qui concerne la transparence. En effet, le projet de nouveau code est très insuffisant -4 -2 0 2 4 6 8 2007 2008 2009 2010 2011 2012 taux de croissance réel du PIB de la Tunisie en % -6,00 -5,00 -4,00 -3,00 -2,00 -1,00 0,00 2007 2008 2009 2010 2011 2012 solde courant de la Tunisie en milliards de Dinars
  • 10. pour la transparence. Dans ce domaine, il faudrait adopter les standards américains imposés par le recovery act. Le minimum de prise en compte de l’intérêt du pays est de se référer au bilan-devises comme critère pour accorder les avantages. L’occultation de cette question constitue malheureusement la principale innovation du projet de nouveau code. Il faudrait veiller à ce que les facilités octroyées soient employées réellement dans l’investissement et non pas dans l’augmentation de la consommation des personnes privilégiées comme cela a été le cas jusqu’à présent, au moins en partie. Il faudrait procéder par filière industrielle et non pas à partir de principes généraux (compétitivité, efficience, ouverture, attractivité…) car ces principes généraux peuvent être détournés au profit d’intérêts particuliers au détriment de l’intérêt national. L’approche par filière aura le mérite de la clarté tant pour le législateur que l’exécutif et l’investisseur. Les secteurs de l’agriculture et de l’énergie renouvelable devraient avoir la priorité. Il est urgent pour l’Etat d’orienter ses efforts vers ces secteurs au lieu de dépenser du temps et de l’argent dans des réformes générales opaques telle que ce projet de nouveau code. En particulier, une proposition concrète pourrait être d’orienter les fonds publics vers une entrée de plein pied dans le secteur de l’énergie solaire par le lancement d’un Institut Solaire d’envergure dans le sud du pays ayant un impact immédiat sur l’emploi des régions pauvres. Cela serait préférable à une recapitalisation des banques qu’il serait logique de reporter en attendant une conjoncture plus favorable, ou à des importations de voitures qui ne font qu’augmenter alors que le pays s’endette pour payer non seulement les voitures mais aussi le carburant et les travaux d’infrastructure routière. La nature de la transition démocratique fait que la participation du secteur public au sein de l’économie Tunisienne est incontournable pour relever le défi économique car les privés n’ont pas la taille suffisante contrairement aux USA et par aversion naturelle au risque, ils n’interviennent que quand l’économie est en bonne santé. Même les décideurs politiques qui se disent libéraux n’ont pas manqué de s’appuyer fortement sur le secteur public pour répondre aux besoins urgents de la population, en 2011 par les aides consenties et les emplois municipaux fictifs et en 2012 par les embauches de façade dans la fonction publique. Il faut donc reconnaître la nécessité de l’intervention de l’Etat dans les circonstances actuelles au lieu de la refuser pour ensuite être obligé d’y recourir en catastrophe comme en 2011 et 2012. Si on avait accepté cette nécessité dès le changement de régime (le 14 Janvier 2011), on aurait pu prévoir un meilleur usage des fonds publics que les aides improductives et les emplois fictifs et on aurait commencé à en cueillir les fruits aujourd’hui. Mais si on
  • 11. attend encore une fois l’explosion sociale, on ne pourra pas orienter dans l’urgence la dépense de l’Etat de façon efficace et productive. Afin d’avoir une intervention efficace de l’Etat, il faut aujourd’hui réfléchir à un meilleur moyen de gérer nos entreprises publiques de façon à ce que les emplois publics servent réellement à produire de façon efficace. Il faut que nos grandes entreprises publiques soient soumises à des critères stricts d’efficacité, de rentabilité et de transparence. La concurrence public-public peut inciter à améliorer les performances dans ces domaines. Des pays ont réussi à transformer leurs entreprises publiques en acteurs économiques efficaces offrant la meilleure qualité au moindre coût. Par exemple, les 3 banques les plus rentables du monde sont des banques Chinoises à 100% publiques. Ces banques se font concurrence entre elles, ce qui les oblige à être plus performantes. C’est par l’amélioration de la gouvernance de nos entreprises publiques et de l’efficacité de la dépense publique que passe le chemin du succès économique de la Tunisie, et non par des avantages aux IDE sans contreparties fermes. Par Chafik Ben Rouin et Mohamed Mabrouk Rédigé le 9/5/2013 Les données citées dans la présente note concernant la Tunisie proviennent de l’INS, celle concernant les USA proviennent du site www.economagic.com Références:  L'investissement direct étranger: une analyse critique pour la Tunisie, par Hager Trabelsi Chaibi, document de travail de l'Institut Tunisien de Compétitivité et d'Economie Quantitative (ITCEQ), disponible à: http://www.ieq.nat.tn/upload/files/Notes%20et%20analyses/IDE_analyse2.pdf  Coûts/Bénéfices des incitations fiscales et financières à l'investissement, ECOPA