Lagrange écrit dans l’Avertissement de sa Méchanique Analytique (Paris, 1788): «On a déjà plusieurs Traités de Méchanique, mais le plan de celui-ci est entièrement neuf. Je me suis proposé de réduire la théorie de cette science et l’art de résoudre les problèmes qui s’y rapportent, à des formules générales, dont le simple développement donne toutes les équations nécessaires pour la solution de chaque problème». Cette «nouvelle vision du monde », qui sera celle du XVIIe siècle et encore plus celle du siècle suivant et qui tente d’établir un dialogue entre la Méchanique physique proposée par S.D. Poisson et la Mécanique analytique de Lagrange (reprise au XIXe siècle en termes plus précis par le courant des « axiomaticiens »), constitue un vaste et important projet scientifique qui dépasse les principes généraux de la Mécanique pour investir des lieux de recherche et des disciplines plus spécialisées et plus particulières comme, par exemple, la balistique et l’hydraulique.
La science du mouvement au XVIIe et XVIIIe siècles ou les fondements de la Mécanique analytique
1. LA SCIENCE DU MOUVEMENT AU XVIIE
ET XVIIIE
SIÈCLES OU
LES FONDEMENTS DE LA MÉCANIQUE ANALYTIQUE
MASSIMO CORRADI
Dipartimento di Scienze per l’Architettura – D.S.A., Università degli Studi di Genova, Genova
Universitè catholique de Louvain
“Centre de recherche en histoire des sciences”
Savoir, faire, savoir faire, faire savoir. Les techniques en perspective.
Louvain-la Neuve, 5 novembre 2004.
2. Universitè catholique de Louvain - “Centre de recherche en histoire des sciences”
Savoir, faire, savoir faire, faire savoir. Les techniques en perspective.
Louvain-la Neuve, 5 novembre 2004.
M. Corradi 2
LA SCIENCE DU MOUVEMENT AU XVIIE
ET XVIIIE
SIÈCLES OU
LES FONDEMENTS DE LA MÉCANIQUE ANALYTIQUE
MASSIMO CORRADI1
1Dipartimento di Scienze per l’Architettura – D.S.A., Università degli Studi di Genova, Genova
RÉSUMÉ
L’auteur se propose de parcourir à nouveau la science du mouvement au XVIIe et XVIIIe
siècles, en analysant les développements des fondements de la mécanique analytique suite à
l’introduction du calcul différentiel et intégral par Leibniz en 1684.
ABSTRACT
The aim of this paper is to propose a brief sketch on the development of science of motion
during the 17th
and 18th
centuries. Then we will analyse the foundation of analytic mechanics,
with the introduction in mathematics of scientific revolution operated by differential and
integral calculus by Leibniz in 1684.
INTRODUCTION
Lagrange écrit dans l’Avertissement de sa Méchanique Analytique (Paris, 1788): «On a déjà
plusieurs Traités de Méchanique, mais le plan de celui-ci est entièrement neuf. Je me suis
proposé de réduire la théorie de cette science et l’art de résoudre les problèmes qui s’y
rapportent, à des formules générales, dont le simple développement donne toutes les
équations nécessaires pour la solution de chaque problème».
Cette «nouvelle vision du monde », qui sera celle du XVIIe siècle et encore plus celle
du siècle suivant et qui tente d’établir un dialogue entre la Méchanique physique proposée par
S.D. Poisson et la Mécanique analytique de Lagrange (reprise au XIXe siècle en termes plus
précis par le courant des « axiomaticiens »), constitue un vaste et important projet scientifique
qui dépasse les principes généraux de la Mécanique pour investir des lieux de recherche et des
disciplines plus spécialisées et plus particulières comme, par exemple, la balistique et
l’hydraulique.
Il s’agit d’une réévaluation de cette « philosophie de la nature » qui dépasse les
frontières restreintes de la métaphysique - restée pendant des siècles à l’ombre de la pensée
scholastique post médiévale - pour devenir une science de la réalité définie et absolue. Elle
n’est donc plus une justification philosophique absolue de la réalité, mais une
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« axiomatisation » de la réalité physique en termes mathématiques. Ce qui donnera lieu à une
recherche du formalisme pur, au développement de nouveaux instruments de type
mathématique où la science est conçue comme un système hypothético-déductif, basé
exclusivement sur un ensemble de définitions implicites formelles des entités fondamentales,
choisies arbitrairement pourvu qu’elles soient compatibles avec la réalité naturelle.
Les arguments principaux qui ont leurs racines dans la mécanique analytique sont : 1)
l’entrée en scène du nouveau calcul leibnizien et les grands débats de l’Académie Royale des
Sciences de Paris (1684-1706) ; 2) quelques « prétextes » cinématiques concernent l’étude de
la courbe isochrone, de la brachistochrone et de la courbe d’égale pression ; 3) le concept
leibnizien de mouvement et son explication au moyen de l’algorithme de Varignon ; 4) le
développement des explications de la science du mouvement : 4a) le mouvement des
projectifs en milieu résistant, 4b) les premières études d’hydrodynamique. Nous nous
limiterons ici pour des raisons de temps aux deux premiers points, réservant les deux autres
pour une autre étude.
GÉOMÉTRIE, AXIOMATIQUE ET PHILOSOPHIE DE LA NATURE
Leibniz, déjà, en introduisant ses «monades» comme «unités réelles» ou points matériels qui
possèdent tant la «réalité» de l’atome (au mieux de la particule physique) que l’ « exactitude »
du point mathématique (et donc l’immatérialité de l’entité même) avait ouvert la porte de
cette nouvelle « conception » du monde. La recherche de « quelque chose » qui puisse être
considérée comme première, suprême, universelle, absolue, nécessaire, éternelle, infinie, par
opposition au fait ou à l’objet particulier, relatif, contingent, éphémère, fini, dérivé - en un
mot ce qui étant soumis au devenir est destiné à finir - ou encore ce qui est ou est considéré
comme immatériel, au-dessus du sensible, métaempirique, transcendant par opposition à ce
qui est ou est considéré comme physique, naturel, matériel, empirique : cette nouvelle
« philosophia naturalis » donne lieu à de nombreuses recherches et sujets d’étude à de
nombreux savants pour chercher à - ou mieux tenter - de formuler cette nouvelle vision
« mathématique » de la réalité de la nature.
La recherche d’un système d’axiomes - de vérités ou de principes que l’on puisse
admettre sans discussions, principes certains par évidence immédiate et qui puisse constituer
la base de nouvelles recherches [1] - en tant que « notions générales évidentes non
démontrables », qui constituent le fondement de la Mécanique et qui donc pourraient donner
une définition implicite des concepts et des entités fondamentales, constituait le défi lancé par
Lagrange à la « Mécanique pratique » fille de la « Nouvelle science » d’origine galiléenne.
Comme l’a écrit J. Merleau-Ponty dans sa préface au livre de M. Blay [2] « l’un des éléments
les plus importants de la « révolution scientifique » du Grand Siècle fut l’inauguration du
projet d’une science mathématique de la nature, se substituant à la physique qualitative
héritée d’Aristote ».
Pour Descartes, comme pour Galilée, la géométrie n’était pas l’unique instrument ou
mieux l’unique paradigme du vrai savoir. En fait, les concepts, les axiomes, les postulats de la
Géométrie doivent permettre à la pensée humaine de pénétrer la nautre des choses, ou du
moins de chercher à comprendre le langage à travers lequel Dieu a voulu s’exprimer, dans
l’optique qui sera mise en évidence plus tard par Saint-Venant qui ira jusqu’à en faire
l’objectif de sa recherche philosophique et scientifique [3].
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Comme on peut le lire dans le « Manifeste du cercle de Vienne », la théorie physique
n’est, au fond, rien d’autre qu’un système d’axiomes formels, plus ou moins conventionnels,
associé à un ensemble de « définitions de coordination » qui assurent la correspondance entre
les axiomes et les lois de la nature vérifiée par l’expérience. Donc la « Géométrie a perdu son
rôle directeur et presque son identité épistémologique ». La mathématisation de pointe et sans
préjugé, riche de principes, théorèmes, formalismes, langages a rendu les lois physiques de
plus en plus incompréhensibles et a osé (ou en fait risque aujourd’hui) de ne plus faire
comprendre de manière claire et univoque le sens des objectifs de ce projet scientifique. La
qualité parfaite entre le tenseur de tension et celui des déformations, entités différentes qui
décrivent des mondes et des caractéristiques physico-mathématiques et géométriques bien
différentes, où l’unique différence réside uniquement dans la genèse du concept, dans la
signification que l’on attribue au symbole, en est un excellent exemple.
L’invention de l’« algorithme » différentiel par Leibniz [4] qui permet de substituer
l’application de règles de calcul originales, différentes du calcul numérique, à l’intuition
géométrique, constitue le mélange qui donna naissance à la « nouveauté » de la
mathématisation de la mécanique : « …l’algorithme précis d’un nouveau calcul qui permet de
libérer l’imagination d’une attention continuelle aux figures… » [5]. En fait l’avantage offert
par l’application du calcul différentiel fut bien compris par les géomètres contemporains de
Leibniz plus portés à raisonner sur l’infiniment petit, même si des personnages comme
Newton, les frères Bernoulli, l’Hospital et d’autres continueront à traiter les problèmes
mécaniques, principalement ceux relatifs à la science du mouvement, en cherchant un
équivalent géométrique au problème mathématique. En ce sens, dans le domaine de la science
du mouvement, le calcul différentiel apparaissait comme un instrument auxiliaire de la
géométrie. La synthèse audacieuse et géniale des Principia de Newton, développés en suivant
une conception et une application purement géométriques des instruments mathématiques,
encouragèrent de manière décisive les mathématiciens à rassembler leurs efforts pour rendre
efficace les hypothèses de la science du mouvement et les principes mécaniques qui forment
la base de cette « philosophie de la Nature » que nous avons évoquée.
Varignon, personnage secondaire dans le contexte de la fondation de la Mécanique
analytique s’avèrera par contre, de première importance pour l’introduction du calcul
différentiel dans la science du mouvement. Dans les travaux de Varignon, on ne trouve pas de
manière claire et exhaustive, le concept de vitesse instantanée, mais sa définition du concept
de « force accélératrice » (1698) lui permettra de jeter les bases d’une méthode générale de
résolution des problèmes cinématiques de valeur incontestable, en éliminant de plus les
différences entre les traitements mathématiques des quantités relatives au mouvement
uniforme et au mouvement accéléré.
Dans cette perspective se situent les Principia de Newton [7] comme le texte de
Huygens [8]. Dans ces deux textes on trouve, par rapport au traité galiléen [9], un
développement considérable des sciences relatives à la Mécanique, mais dans ceux-ci
l’utilisation de la mathématique, et en particulier ceux de la géométrie différentielle, est
encore bien éloignée de celle des grands traités du XVIIIe
siècle (cfr. d’Alembert, Lagrange,
Laplace) où s’affirme avec force le prima du développement des procédures et des
formalismes analytiques.
La publication dans les Acta Eruditorum dans les années 1684 et 1686 des mémoires
de Leibniz sur le calcul différentiel entraîna une transformation conceptuelle profonde des
mathématiques et par conséquent, une transformation particulièrement significative de la
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Mécanique à partir de la science du mouvement (par exemple la description de la trajectoire
décrite sous certaines conditions, par les corps en mouvement). La détermination des
trajectoires décrites par les corps en mouvement peut vraiment être le fruit d’une
conceptualisation différentielle du problème mathématique ; c’est dans ce sens qui se pose le
travail des frères Jacob et Johann Bernoulli lorsqu’en 1690, ils se fixent comme objectif de
réduire le problème du mouvement à des problèmes de géométrie pure, susceptibles d’être
résolus au moyen des nouveaux outils mathématiques. « La conceptualisation différentielle de
la science du mouvement n’apparaît donc pas comme une conséquence immédiate de
l’introduction du calcul leibnizien dans le champ du savoir » [10]. Les fondements
mathématiques de cette nouvelle conceptualisation peuvent se trouver, par ailleurs, dans le
traité de Fontenelle sur la Géométrie de l’infini [11].
On assiste donc à un changement important de paradigme où c’est l’étude de la
mathématique qui conduit à développer de nouveaux problèmes appartenant au domaine des
sciences mécaniques. En ce sens deux problèmes mécaniques intéressants, qui ouvriront deux
disciplines aussi importantes que la ballistique et l’hydrodynamique, prendront une part
importante de l’intérêt des scientifiques, qui pourront ainsi traiter les problèmes du
mouvement relatif comme le mouvement des projectiles dans les milieux résistants et les
premiers exercices d’hydrodynamique.
BREVE EXCURSUS HISTORIQUE SUR L’INTRODUCTION DU NOUVEAU
CALCUL LEIBNIZIEN
En 1684, Leibniz publie son traité Nova Methodus pro maximis et minimis [12], dans les Acta
Eruditorum, où il donne une nouvelle méthode pour chercher les maximas et minimas ainsi
que les tangentes d’une fonction donnée. Dans l’article suivant De geometria recondita et
analysi indivisibilium atque infinitorum, Leibniz introduit le signe intégral (∫) – même si le
mot « intégrale » ne fut introduit pour la première fois qu’en 1690 dans un texte écrit par
Jacob Bernoulli [13] – entraînant un jugement favorable de Fontenelle [14] sur le travail qu’il
a réalisé. Pourtant, le premier traité consacré au calcul leibnizien n’apparaît qu’en 1696, le
Marquis Guillaume de l’Hospital, initié à cette nouvelle branche des mathématiques – le
calcul différentiel et intégral – par les frères Bernoulli, publie sa célèbre Analyse des
infiniment petits pour l’intelligence des lignes courbes. Il reste incontestable que le travail de
Leibniz poursuit les réflexions mathématiques initiées par Descartes dans sa Géométrie
publiée à Leyden en 1637. Leibniz souligne la très grande généralité de sa méthode ainsi que
sa supériorité sur celles utilisées jusque là : voyez à ce sujet les algorithmes mathématiques
proposés entre autres par Jean Hudde, Pierre Fermat, James Gregory, Isaac Barrow et John
Wallis. « Lorsqu’on connaît l’algorithme, si je peux dire, de ce calcul que j’appelle
différentiel…devait être fait avec les méthodes présentées jusqu’à ce jour » [15].
En dépit de le vaste horizon ouvert dans la mathématique par le calcul leibnizien, ses
règles principales eurent une diffusion lente parmi les savants à cause, d’une part, du caractère
novateur de cette méthode et, d’autre part, de l’extrême concision du texte leibnizien qui en
rendait la lecture difficile. Un des premiers à apprécier le nouveau calcul fut Jacob Bernoulli
[16]. Dans une note publiée en 1690 dans les Acta Eruditorum, Jacob Bernoulli résoud, au
moyen du calcul différentiel, le problème de la courbe isochrone, problème proposé par
Leibniz en 1687 [17], démontrant la puissance du nouvel instrument de calcul mais aussi
l’élégance du traitement d’une question aussi difficile.
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Dans les années qui suivirent 1690, les frères Jacob et Johann Bernoulli se
consacrèrent avec énergie à l’application du nouveau calcul leibnizien aux sujets les plus
variés de la géométrie, parmi lesquels l’étude des courbes élastiques qui aura de nombreuses
applications théoriques dans la mécanique des structures [18].
Ensuite Varignon (1695) d’abord, Joseph Sauveur (1697) plus tard se consacreront à
l’application du calcul leibnizien en utilisant comme instrument l’ Analyse des infiniment
petits du Marquis de l’Hospital. Plus tard, encore, Thomas Fantet de Lagny (1696) et Philippe
de La Hire (1697) se dédieront à ce sujet bien que ce dernier ait eu quelques doutes
méthodologiques quant à l’éfficacité réelle de cette nouvelle méthode d’analyse. La critique
de La Hire portait sur le fait qu’il est possible dans un cercle de confondre la corde et l’arc
lorsque la grandeur de l’arc de circonférence est très petit, et donc – en se référant au
théorème VI, proposition VII de la IIIe journée des Discorsi de Galileo – consacrée au
mouvement d’un corps sur un plan incliné, de La Hire met en exergue l’erreur à laquelle on
peut arriver et propose le problème de mécanique suivant : quelle est la courbe plane que doit
parcourir une point massif à partir d’un point donné O, sans vitesse initiale, pour arriver à un
autre point P dans le temps qu’il emploierait pour parcourir la corde OP De La Hire se
propose alors de comparer l’arc et la corde « si l’on veut déterminer la différence du temps
que le corps employé à parcourir l’arc DB, infiniment petit et sa corde, il ne sera pas difficile
par la voye ordinaire… », comme d’ailleurs le montre Newton [19].
Comme l’on sait la solution de ce problème ou la courbe décrite n’est pas un arc de
cercle mais une lemniscate de Bernoulli, ou un arc de lemniscate dont le centre est au point O
et l’axe fait un angle de 45° avec l’horizontale [20].
Dès lors, de La Hire conseille de comparer les résultats obtenus par le calcul
différentiel avec ceux déduits au moyen de la géométrie ordinaire, engendrant le jugement
sévère de Leibniz qui l’accuse – dans une lettre à de l’Hospital – d’utiliser des méthodes « à
la façon des Anciens » pour résoudre des problèmes tels que celui de l’épicycloïde [21].
L’usage de la « géométrie ordinaire » restait cependant, aux yeux de nombreux savants,
l’unique instrument indispensable pour garantir l’exactitude des résultats obtenus. L’Abbé
Bignon (président de l’Académie), le Père Gouye et l’Abbé Gallois, ainsi que Michel Rolle
[22] resteront sur ces anciennes positions méthodologiques. Les critiques de Michel Rolle se
basaient principalement sur deux arguments : 1) l’insuffisance et le manque de rigueur
logique des concepts et des principes fondamentaux du nouveau calcul ; 2) le fait que le
nouveau calcul conduisait à des résultats erronés ou pour le moins différents de ceux obtenus
par les méthodes classiques [23].
LE PRÉTEXTE CINÉMATIQUE
Sous le thème de prétexte cinématique nous rassemblons quelques considérations sur le
problème de la détermination des trajectoires décrites, sous certaines conditions, par des corps
en mouvement. Le point de départ de la discussion était l’étude des trajectoires décrites par
les corps et fut l’enjeu de la querelle entre Leibniz et l’Abbé Catelan sur la « mesure des
forces » ou autrement dit sur les forces vives. Le défi lancé par Leibniz aux cartésiens était le
suivant : « trouver une ligne de descente, dans laquelle le corps pesant descende
uniformément, et approche également de l’horizon en temps égaux », ou le problème de la
ligne isochrone [24]. Il faut ici rappeler que les résultats de Galileo relatifs au mouvement
rectiligne et uniforme et uniformément accéléré (décrits dans la IIIe journée des Discorsi)
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furent confirmés – donc le problème fut résolu sans faire appel au calcul différentiel – par
Christiaan Huygens avec pour seul outil la géométrie infinitésimale classique. La
démonstration de Huygens fait intervenir des grandeurs qui, si elles sont infinitésimales,
sont évincées de la construction géométrique. En d’autres termes, son raisonnement ne fait
pas appel à des formules algébriques mais seulement à des proportions entre segments
géométriques [25].
La solution de Leibniz publiée dans « De Linea isochrona, in qua grave sive
acceleratione descendit… » [26] montre en quoi sa solution est complémentaire de celle
d’Huygens. Il est pourtant important de rappeler que la solution de Leibniz qualifiée de « très
élégante » par ses contemporains – et même si l’auteur ne partage pas cet avis (« dépourvue
d’élégance ») ne fait plus usage du calcul différentiel que celle de Huygens, il n’utilise pas le
calcul différentiel. La solution de Jacob Bernoulli, qui paraît dans le numéro de mai des Acta
Eruditorum, est par contre une solution plus « analytique ». Elle se compose de deux parties
bien distinctes : une première partie qui a pour objectif de ramener le problème physique qui
implique des considérations de mouvement à une pure question de géométrie (Unde
problema, ad puram Geometriam reductum) [27] et une deuxième partie qui entend résoudre
ce problème de géométrie à l’aide des concepts du calcul différentiel, obtenant comme
solution la formule de la parabole semi-cubique. Johann Bernoulli s’applique au même
problème et ses résultats furent publiés dans ses Lectiones Mathematicae [28].
Substantiellement identique au travail de son frère, celui de Johann est tout aussi intéressant
par sa présentation plus didactique qui met mieux en évidence les hypothèses relatives à
l’analyse du mouvement.
Durant ces mêmes années, d’autres problèmes de grand intérêt fascineront ceux qui
étudient la mécanique et les nouveaux adeptes du calcul leibnizien : la courbe isochrone
paracentrique, la courbe brachistochrone, la courbe d’égale pression, et d’autres thèmes
importants de grande importance scientifique autre que mathématique.
Le premier problème consiste à définir la courbe isochrone paracentrique ou à
déterminer la courbe le long de laquelle la chute d’un corps pesant est telle qu’il s’éloigne ou
s’approche de manière uniforme à partir d’un point donné du point de chute. Ce problème fut
proposé par Leibniz dans le numéro d’avril 1684 des Acta Eruditorum. Ce problème consiste
à rechercher la courbe plane qu’un point pesant doit décrire pour que sa distance à un point
fixe varie proportionnellement au temps nécessaire pour parcourir chaque arc de la courbe.
Pour résoudre ce problème intéressant les plus grands savants de l’époque se mettent au
travail parmi eux les frères Bernoulli et évidemment Leibniz. La première solution proposée
publiquement au jugement des savants (elle paraît aux Acta Eruditorum de juin 1694) fut celle
de Jacob Bernoulli, suivie immédiatement par la solution de Leibniz (publiée dans le numéro
d’août de la même année dans les Acta Eruditorum), ensuite ce mémoire fit l’objet d’une
réponse du même Bernoulli en septembre 1694. Une deuxième solution importante fut rendue
publique toujours au même endroit par le frère de Jacob, Johann Bernoulli, au mois d’octobre
1694, témoignant d’un vif débat qui a eu lieu durant l’été 1694. Les deux solutions des frères
Bernoulli sont très voisines tant dans leur style que dans leur esprit, même si celle de Johann
Bernoulli est plus détaillée du point de vue du calcul leibnizien. La solution de Leibniz diffère
par contre fortement de celle des frères Bernoulli. Sa solution adapte la même articulation du
raisonnement qui caractérise l’étude de la courbe isochrone, ramenant la solution du problème
à un problème de nature purement géométrique, mais susceptible d’être résolu par les
méthodes du calcul différentiel ; dans la démonstration de Leibniz on met en évidence
8. Universitè catholique de Louvain - “Centre de recherche en histoire des sciences”
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comment la construction de la courbe dépend en fait de la rectification d’un axe de lemniscate
[29].
Le problème de la courbe brachistochrone, ou la recherche de la trajectoire qu’un
point mobile soumis à une force déterminée doit décrire pour aller d’un point A à un point B
dans le moins de temps possible (Fig. 1), fut proposé par contre par Johann Bernoulli dans le
numéro de juin 1696 toujours des Acta Eruditorum, devenus le terrain sur lequel les plus
grands savants de ce temps échangeaient leurs défis mathématiques. Le thème n’était certes
pas neuf puisque Galileo l’avait abordé durant la IIIe journée des Discorsi (théorème XXII)
même si pour lui la solution se ramenait simplement à un arc de cercle. Mais l’origine du
thème comme formulé par Johann Bernoulli, avait des fins plus profondes où la mathématique
et le nouveau calcul différentiel et intégral devaient fournir leurs réelles potentialités. Il était
de plus dans les intentions de Bernoulli de mettre en évidence un problème important bien
connu des géomètres, très utile en mécanique [30]. Par exemple, si nous examinons le
problème d’un grave qui doit descendre, sans friction, d’un point A à un point B donné, on
trouve que la brachistochrone est une cycloïde située dans le plan vertical passant par A et B
(problème résolu par Johann Bernoulli en 1696 et qui est à l’origine des études sur le calcul
des variations). Il était en fait connu, dans la construction des pendules à oscillations
isochrones, que dans le cas où un point pesant se meut sans friction le long d’une cycloïde
située dans un plan vertical, ce point atteind le point le plus bas dans le même temps quelque
soit le point de la courbe dont il part (tautochronisme ou isochronisme). En fait, comme on le
sait, la courbe tautochrone est la courbe située dans un plan vertical et ayant la propriété
qu’un point pesant qui la parcourt avec ou sans friction, et éventuellement soumis de plus à
une résistance du milieu proportioinnelle à la vitesse, atteind le point le plus bas (point de
tautochronisme) toujours dans le même temps quelque soit la position de laquelle le point est
livré à lui même à partir du repos ; d’éventuelles oscillations autour du point de
tautochronisme ont une période indépendante de l’amplitude, et donc sont isochrones. On
peut de plus démontrer que la courbe tautochrone est un arc de cycloïde ordinaire à base
horizontale dont la concavité est tournée vers le haut.
Fig. 1 – Le problème de la courbe brachistochrone.
Le numéro de mai de l’année 1697 des Acta Eruditorum fut un numéro exceptionnel
contenant la publication de quelques six solutions trouvées respectivement par Leibniz (pp.
201-205), Johann Bernoulli (pp. 206-211), Jacob Bernoulli (pp. 211-217), le Marquis de
l’Hospital (pp. 217-218) [31], Tschirnhaus (pp. 220-223). Il faut préciser tout de suite que la
solution de Tschirnhaus, basée sur l’hypothèse que la courbe est une cycloïde, est donnée sans
aucune démonstration. Une solution, fut publiée anonymement, par Newton d’abord dans les
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M. Corradi 9
Philosophical Transactions de 1697 [32], puis dans le même volume déjà mentionné des Acta
Eruditorum.
Quelques remarques sur les solutions publiées. La solution de Leibniz part de
l’hypothèse qui identifie la courbe à un polygone à un nombre infini de côtés. Chaque côté de
longueur infinitésimale est tel qu’il est parcouru par un point massif en mouvement suivant
les lois galiléennes du mouvement. Il associe, comme le fera d’ailleurs Jacob Bernoulli, les
propriétés de la courbe valables en général à celles valables pour des quantités infinitésimales.
Il faut souligner que Leibniz ramène le problème physique qui implique la considération du
mouvement à un problème de pure géométrie. La traduction en termes algébrico-différentiels
des quantités géométriques conduit à la solution cherchée de l’équation différentielle de la
cycloïde, courbe décrite par un point lié de manière rigide à un cercle (épicycle) qui roule
dans le plan, sans glisser, sur une droite fixe. À chaque tour complet du cercle roulant
correspond un « arc complet » de cycloïde. Ce qui confirme que la cycloïde est une courbe
transcendante constituée d’une infinité d’arcs égaux entre eux. Il est important de rappeler que
Leibniz, dans son mémoire, n’utilise pas ce terme qui lui sera suggéré par Johann Bernoulli
dans une lettre du 21 juillet 1696 [33]. L’équation cherchée est la suivante:
d y
d x
=
x
2b − x
(1)
La solution de Jacob Bernoulli part au contraire de l’hypothèse (lemme) que l’on peut
remplacer le calcul du temps minimum nécessaire à parcourir la courbe entière par celui du
temps minimum nécessaire à parcourir un arc infinitésimal. De cette manière on évite la
difficulté liée au calcul de la différentielle d’une intégrale. La solution se développe de
manière géométrique et mène pourtant à la même équation de la cycloïde. Jacob Bernoulli
souligne, lui-même comme le fera son frère Johann, que ce problème dépasse la limite
classique de la méthode des maximas et minimas, et requiert donc une autre approche
mathématique.
Vice versa, la solution de Johann Bernoulli, bien qu’élégante du point de vue
mathématique, a une portée plus limitée que celle de son frère Jacob. Il fait une analogie
intéressante avec le problème de la réfraction d’un rayon lumineux, arrivant sous un certain
angle d’incidence à travers un «milieu» optique formé par la superposition d’un nombre infini
de strattes, tous homogènes entre eux mais dont la «densité» - au sens de l’opposition
entre différentes raretés et caractérisant le «milieu» - varie le long de l’axe vertical. Un rayon
lumineux émis par la source A se refracte à travers chacune des surfaces réfringentes qui
séparent les strattes et se propage vers le point B suivant une certaine ligne courbe [34]. Cette
ligne peut être assimilée à un polygone à un nombre infini de côtés rectilignes. Johann
Bernoulli, utilisant les résultats de Fermat relatifs aux surfaces réfringentes déduit la courbe
décrite par le rayon lumineux correspond, selon le principe de Fermat, à la trajectoire la plus
rapide pour aller de A à B et donc la courbe brachistochrone cherchée. Il faut souligner que
dans une telle analogie Johann Bernoulli n’utilise pas l’hypothèse de Galileo sur la chute des
graves, mais considère une relation quelconque entre la vitesse et la hauteur de chute, qui
exprime à travers une courbe arbitraire AHE. En conclusion, la brachistochrone et la cycloïde
ordinaire où le cercle générateur de diamètre a roule sur le plan horizontal à partir d’un point
fixe (donné). Ce que l’on formule de la manière suivante :
10. Universitè catholique de Louvain - “Centre de recherche en histoire des sciences”
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M. Corradi 10
d y = d x
x
a − x
(2)
Toujours est-il que, comme l’a écrit M. Blay : « Cette solution, bien que différente
dans son principe des deux précédentes, ne fait pas intervenir, elle non plus, une quelconque
conceptualisation différentielle de la science du mouvement » [35].
La solution de l’Hospital. Informé par Varignon du thème au centre des dissensions
des plus grands savants de l’époque, au cours d’une correspondance suivie entre eux,
l’Hospital, une fois le problème délivré des questions physiques et réduit à la « mathématique
pure », se lance dans la solution du problème en s’inspirant du thème de la funiculaire et de la
caténaire [36]. Dans son mémoire publié dans les Acta Eruditorum, inquiété aussi par
quelques critiques de Johann Bernoulli visant son modus operandi l’Hospital n’expose que les
résultats de son travail sans aucune démonstration. Dans une première version de sa
démonstration l’Hospital se contente de montrer que la cycloïde, assimilée à un polygone à
une infinité de côtés, vérifie la règle de proportionnalité établie entre le sinus de l’angle de la
tangente à la courbe en un point et la verticale avec la vitesse de chute. Toujours est-il qu’il
faut faire quelques observations et préciser pour mieux comprendre une telle solution. Soit AB
= 2r et r = 1. La longueur de la demi-circonférence est alors égale à L = pr = p = 3,14. Se
rappelant que la tangente en un point de la cycloïde passe par l’extrémité du diamètre
perpendiculaire à la droite sur laquelle roule le cercle générateur et que la normale à la
tangente au point de contact passe par l’autre extrémité du diamètre du cercle générateur, on
obtient, en termes galiléens, que la vitesse que le corps acquiert durant sa chute est
directement proportionnelle à la racine carrée de la hauteur de chute. Sachant que les côtés du
polygone qui approchent la courbe sont infinitésimaux et donc parcourus à une vitesse
uniforme, on déduit que le corps va de B (voir Fig. 2) tournée de 90° à B’’ (de A en B), le long
de la courbe AB dans un temps minimum, si cette courbe est une brachistochrone.
Fig.2 - Mouvement du corps pesant le long de la ligne AB.
La courbe d’égale pression. En avril 1695, dans un supplément aux Acta Eruditorum,
Johann Bernoulli propose de déterminer la nature de la courbe d’égale pression (ou courbe
centrifuge). Il s’agit de trouver, dans un plan vertical, la courbe décrite par un corps qui
descend sous l’action de son poids propre alors qu’il est soumis à une pression en tous les
points générée par une force constante égale à son poids. La solution du problème fut trouvée
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par Johann Bernoulli et communiquée à de l’Hospital après un long échange de lettres durant
les années 1695-96 ; finalement cette solution fut mise au net par ce dernier et publiée en
1700 dans les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences comme Solution d’un problème
physico-mathématique.
Fig. 3a – Équilibre des forces Fig. 3b – La courbe d’égale pression
selon Johann Bernoulli
Le problème abordé par Johann Bernoulli est le suivant (Fig. 3b) : déterminer «la
courbe EFM, dans laquelle le corps M descendant librement, et par sa propre pesanteur, la
presse dans toutes ses parties avec une force égale à celle de son poids» ou, en utilisant à la
manière de Huygens la développée HC de la courbe cherchée, « en sorte que le poids M
attaché à l’extrémité d’un fil qui entoure cette développée, décrive en descendant cette ligne
courbe ; il faut que dans chaque position du corps M, il tende le fil développée MC avec la
même force que s’il étoit suspendu par ce fil» (Johann Bernoulli, 5 mars 1695). La solution du
problème est beaucoup plus simple: il s’agit d’écrire que la somme des forces agissant suivant
la normale à la trajectoire est constante et égale numériquement au poids. Il y a deux forces en
jeu : la force centrifuge et la composante normale au poids. Il suffit alors d’écrire que la
somme des intensités des deux forces est égale à celle du poids : mais – ajoute l’Hospital – le
corps arrivé au point M tend le fil MC avec cette force centrifuge, augmentée de la partie de
son poids qui agit sur le point M de cette courbe par l’effet de la pression suivant la
perpendiculaire MS du poids «absolu» - c’est-à-dire la quantité MR. La solution est sans
difficulté lorsque l’on sait « par les Mechaniques» que si l’on suppose que la partie constante
MR de la verticale PM prolongée précisément de MR, exprime le poids absolu du corps M et
que si nous traçons le segment RS perpendiculaire au segment MS qui coupe à angle droit la
courbe au point M, alors la droite MS exprime la quantité avec laquelle le poids M agit sur le
fil MC pour le tirer vers S. Le problème se réduit alors à déterminer l’intensité de la force
centrifuge «avec laquelle ce corps tend le fil MC» exercé par le corps en mouvement, «afin de
réduire cette question à la pure géométrie» [37].
Le calcul de la force centrifuge dans le cas du mouvement circulaire [38]. Quelques
années plus tard, en 1687, Newton [39] donne la démonstration de ce problème dans le but de
déterminer la force centripète. « Les corps qui parcourent uniformément différents cercles
sont animés par des forces centripèdes qui tendent au centre de ces cercles, et qui sont
entr’elles comme les quarrés des arcs décrits en temps égal, divisés par les rayons de ce
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cercle » [40]. La solution de l’Hospital, qui se fie à plusieurs reprises à Johann Bernoulli –
déclarant ouvertement son « ignorance » de certaines questions physiques – est la suivante:
« … la force centrifuge feroit parcourir au corps M, un espace égal au quarré de l’arc MN
appliquée au diamètre MK, dans le même instant que ce corps parcoureroit l’arc MN ;
puisque par le moyen de cette force, le corps M se trouvant en L au lieu d’être en N, elle luy
auroit fait parcourir la ligne NL» [41]. Cette affirmation de l’Hospital appelle une remarque :
ce résultat qui permet, connaissant le rayon du cercle et la vitesse du mobile, d’exprimer le
rapport d’une telle force centrifuge à d’autres, ne satisfait pas totalement des conditions du
problème. Il est nécessaire, en fait, de mettre les deux forces en rapport avec un même terme
de comparaison qualifié par Johann Bernoulli, de poids absolu. On comprend donc que
l’Hospital désireux de trouver une solution correcte et exhaustive du problème, se tourne
immédiatement vers la recherche de la solution d’un nouveau problème : déterminer la valeur
du rapport des intensités des forces centrifuges au poids (ou gravité). En résumé, il s’agissait
de comparer les espaces infiniment petits que, au même instant, la force centrifuge et la
gravité font parcourir au même corps. L’hypothèse galiléenne du degré moyen [42] permet
d’assimiler la vitesse constante du mobile M qui se meut sur un cercle de diamètre KM à celle
générée par le même corps au cours d’une chute d’une hauteur égale à PM (Fig. 4).
Fig. 4 – Hypothèse galiléenne du «degré moyen».
Soit M le corps, t1 le temps de chute de la hauteur PM, t2 le temps de parcours de l’arc MN,
alors on a:
t1
t2
=
2PM
MN
o
t1
2
t2
2 =
PM
MN
2
4PM
. (3)
Donc la quantité
MN2
4PN
exprime l’espace que parcourerait le corps M au premier instant de la
chute (durant lequel il parcourt l’arc MN). Il est donc possible de comparer « les espaces que
font parcourir ces deux forces (la force centrifuge et la pesanteur) dans le même instant ».
L’Hospital observe que l’on peut considérer la gravité comme une force qui agit
uniformément et sans augmentation durant le premier instant de la chute à cause du caractère
infinitésimal du temps écoulé [43].
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Si l’on pose que, n est l’intensité de la vitesse de M sur le cercle de diamètre MK et g
l’accélération de la pesanteur, alors la solution de l’Hospital conduit à la solution suivante.
Appelons force centrifuge la quantité fc =
2PM
CM
⋅ g , où g est la pesanteur (ou gravité), alors
on peut écrire que cette force vaut fc =
v2
R
. Cette équation représente l’expression de la force
centrifuge dans le cas du mouvement circulaire uniforme. À présent, si CM = R, où R est le
rayon de la circonférence, et 2PM =
v2
g
, avec g égale à l’accélération de la pesanteur on
obtient le résultat cherché.
Dans le cas d’une trajectoire quelconque, si MR représente l’intensité de la pesanteur on
obtient que la force centrifuge vaut fc =
2PM ⋅ MR
MC
, en chaque point de la trajectoire ou en
chaque instant du mouvement. Cette trajectoire [44] peut être assimilée à une succession de
petits arcs de cercle de rayon égal au rayon de courbure et où les centres décrivent la
développée HC de la courbe EFM.
Le problème de la courbe d’égale pression se réduit donc à chercher une courbe EFM
le long de laquelle l’expression
2PM ⋅ MR
MC
+ MS = MR est toujours vérifiée. Le problème se
réduit alors à un problème « de pure géométrie ». En substituant à chaque « élément »
géométrique un symbole algébrique, par exemple MR = a, AP = x, PM = y, l’arce de courbe
EFM = v, on obtient: MK = dx, Km = dy, Mm = dn (constant par l’hypothèse de l’uniformité
du mouvement). En substituant et en simplifiant on peut écrire l’équation différentielle 2yddx
+ dydx = dvdy pour laquelle l’Hospital donne une solution [45]. Cette solution fit d’ailleurs
l’objet en 1708 d’une querelle au sein de l’ l’Académie Royale des Sciences de Paris entre
Parent et Saurin, due en substance à la difficulté de la nouvelle méthode de calcul utilisée. En
tout cas la solution de l’Hospital fut reprise et développée des années plus tard (1710) par
Varignon, avec rigueur de méthode, élégance du calcul et caractère complet de la présentation
des solutions.
CONCLUSIONS
L’évolution de la recherche effectuée par les auteurs que nous avons cités se déroule
principalement en deux étapes : 1) ramener les questions les plus importantes de la science du
mouvement à des questions de «pure géométrie»; 2) résoudre ces questions de «pure
géométrie» à l’aide des nouveaux « moyens » du calcul leibnizien. Cette évolution de la
recherche basée sur de nouveaux principes et de nouveaux instruments mathématiques,
contrairement à la finesse de certaines analyses de géométrie infinitésimale, d’inspiration
newtonienne, appliquée au mouvement - mais précisément exclusivement de géométrie
infinitésimale à cause de la réduction effectuée dans la première étape – ne présente encore
aucune conceptualisation différentielle spécifique de la science du mouvement susceptible
d’être soumise à des procédures algorithmiques bien établies [46], puisque les grandes
potentialités du calcul leibnizien sont encore à exprimer. La question restait donc encore
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ouverte mais les applications ultérieures au mouvement des projectiles dans un fluide
élastique aux nouveaux principes de l’hydrodynamique par Daniel Bernoulli et à la
mécanique des fluides en général, démontreront que les premières étapes de ce chemin
nouveau et complexe de la mathématisation du monde physique donneront lieu à
d’importantes modifications conceptuelles et linguistiques en Mécanique.
BIBLIOGRAPHIE
[1] Kant E., Critica della ragion pura, a cura di Pietro Chiodi; trad. di Pietro Chiodi; Utet, Torino, 1967
[2] Merleau-Ponty J.: Préface. In: Blay M., La naissance de la mécanique analytique ; Puf, Paris, 1992, p. 3.
[3] Benvenuto, E.: Natural philosophy, rational mechanics and practical engineering in the work and life of
Adhémar Jean Claude Barré de Saint-Venant, European Journal of Mechanics, A/Solids, vol. 16, Special
issue, 1997, Gauthier-Villars, Paris, pp. 45-63. Vedi anche: Benvenuto, E.: Adhémar-Jean-Claude Barré de
Saint-Venant: the Man, the Scientist, the Engineer, Atti dei convegni lincei, 140. Giornata lincea. Il
problema di de Saint-Venant: aspetti teorici e applicativi (Roma, 6 marzo 1997), Accademia Nazionale dei
Lincei, Roma, 1998, pp. 7-34.
[4] Leibniz, G.-W.: Nova methodus pro maximis et minimis, itemque tangentibus, quae nec Fractas nec
Irrationales quantitates moratur, et singulare pro illis calculi genus, Acta Eruditorum, Leipzig, 1864, pp.
467-473; Leibniz, G.-W.: De geometria recondita et analysi indivisibilium infinitorum, Acta Eruditorum,
Leipzig, 1686, pp. 292-300.
[5] Gerhardt, von G.I. Leibnizens mathematische Schriften, Bd. 1-7; Halle, Berlin, 1849-63, V, p. 393.
[6] Blay, M., La naissance de la mécanique analytique; Puf, Paris, 1992.
[7] Newton, I., Philosophiae Naturalis Principia Mathematicae; Londini, 1687.
[8] Huygens, C., Horologium Oscillatorium; Paris, 1673.
[9] Galilei, G., Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze …; Leyden, 1638.
[10] Blay, M., La naissance de la mécanique analytique; Puf, Paris, 1992, p. 8.
[11] Fontenelle B, Le Bovier de, Elémens de la Géometrie de l’infini; Paris, 1727.
[12] Leibniz, G.-W.: Nova Methodus pro maximis et minimis, op. cit., 1684.
[13] L'utilisation du terme “calcul” et “calcul intégré” et a fait l'objet d'un long conflit entre les frères Jacques et
Jean Bernoulli, qui a eu lieu sur les pages de la.Acta eruditorum.
[14] Fontenelle, B, Le Bovier de, in: Histoire de l’Académie Royale des Sciences avec les mémoires de
Mathématiques et de Physique pour la même année. Tirés des registres de cette Académie. Année 1705
(1706), p. 141.
[15] Gerhardt, von G.I. Leibnizens mathematische Schriften, Bd. 1-7; Halle, Berlin, 1849-63, V, pp. 222-223.
[16] Montucla, J. F., Histoire des Mathématiques; Paris, an VII, II, p. 323 (Première édition du second volume:
Paris, 1758).
[17] Gerhardt, von G.I. Leibnizens mathematische Schriften, Bd. 1-7; Halle, Berlin, 1849-63, V, cap. III, § 1.
[18] Benvenuto, E., La scienza delle costruzioni e il suo sviluppo storico; Sansoni, Firenze, 1981.
[19] Newton, I., Principes Mathématiques de la philosophie Naturelle; Paris, 1756-1759. Traduction française
du marquis du Chastelet (nouvelle édition: Blanchard, Paris, 1966).
[20] Saladani, G., Compendio d’Analisi, Bologna, 1775, libro II, cap. XIII.
[21] Archives de l’Académie des Sciences de Paris. Registres manuscrits des procès-verbaux des séances de
l’Académie royale des Sciences des Paris. Fol. 26, v°. Cfr aussi: Gerhardt, von G.I. Leibnizens
mathematische Schriften, Bd. 1-7; Halle, Berlin, 1849-63, I, p. 276.
[22] Sur la critique de M. Rolle au débat sur la infinilment petits voir aussi: Blay, M., La naissance de la
mécanique analytique; Puf, Paris, 1992, pp. 42-62.
[23] Voir par exemple les travaux de Jean Hudde (1633-1704).
[24] Le nom de «courbe isochrone" a été introduite par Leibniz dans sa mémoire en 1689 intitulé:De Linea
isochrona, in qua grave sive acceleratione descendit, et de controversia cum Dn Abbate D.C., Acta
Eruditorum (1689), pp. 195-198.
[25] Huygens, C.: Solution du problème proposé par M. L. dans les Nouvelles de la République des Lettres du
mois de septembre 1687, Oeuvres complètes de Christiaan Huygens, 22 vol.; Société hollandaise des
sciences, La Haye, 1888-1950, IX, pp. 224-226.
[26] Leibniz, G.-W, op. cit., Acta Eruditorum (1689), pp. 195-198.
[27] Jacobi Bernoulli Basileensisi, Opera, 2 vol.; Genève, 1744.
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[28] Lectiones Mathematicae. Varia problemata Physico-Mechanica, eorumque solutiones. Inventio Curvae
descensus aequalibis. In: Johannis Bernoulli ... Opera omnia tam antea sparsim edita, quam hactenus
inedita, vol. 4; Lausanne et Genève, 1742.
[29] Della rettifica degli archi di una curva elastica, cfr. Jacobi Bernoulli Basileensisi, Opera, 2 vol.; Genève,
1744., vol. I, p. 603.
[30] Voir à cet égard Huygens, C., Horologium Oscillatorium; Paris, 1673, 2e partie et Newton, I. Philosophiae
Naturalis Principia Mathematicae; Londini, 1687, Proposizione L.
[31] Une analyse approfondie de la mémoire des frères Bernoulli et le marquis de L'Hospital est situé dans J.
Peiffer, J., Le problème de la brachystochrone à travers les relations de Jean I Bernoulli avec L’Hôpital et
Varignon, Studia Leibnitiana, XVII (1989), pp. 59-81.
[32] Newton, I., Philosophical Transactions, Genn. 1697, pp. 384-389. Cet essai a été réédité en Acta
Eruditorum, Maggio 1697, pp. 223-224.
[33] Gerhardt, von G.I. Leibnizens mathematische Schriften, Bd. 1-7; Halle, Berlin, 1849-63, II, pp. 298-299.
[34] Huygens, C., Traité de la lumière; Leyden, 1690, p. 46.
[35] Blay, M., La naissance de la mécanique analytique; Puf, Paris, 1992, p. 90.
[36] Voir le problème d'une corde lourde, souple, inextensible et homogène, suspendu à deux points fixes, le
problème proposé par Jacques Bernoulli dans les mois de mai 1690 et réglé par Leibniz, Jean Bernoulli et
Huygens. In: Benvenuto, E. op. cit.; Sansoni, Firenze, 1981.
[37] Histoire de l’Académie Royale des Sciences avec les Mémoires de Mathématiques et de Physique pour la
même année. Tirés des registres de cette Académie. Année 1700 (1703), p. 10.
[38] Cfr. Huygens, C., Horologium Oscillatorium; Paris, 1673 (Parte 5a), Théorème I, II, III a pag. 102. Voir
aussi le mémoire de 1659 intitulé «De vi centrifuga» publié à titre posthume en 1703 Volder et Fullenius, in
Oeuvres complètes de Christiaan Huygens, 22 vol.; Société hollandaise des sciences, La Haye, 1888-1950.
Opuscula Posthuma, XVI, pp. 260-267.
[39] Newton, I., Philosophiae Naturalis Principia Mathematicae; Londini, 1687, prop. IV, Sec. II, Libro I.
[40] Newton, I., Principes Mathématiques de la philosophie Naturelle; Paris, 1756-1759, p. 54, p. 56.
[41] L’Hospital, Marquis Guillaume de, Mém. Acad. Roy. Sci. Année 1700 (1703), p. 11.
[42] Galileo a montré que si un corps M se déplace uniformément avec la vitesse qui acquiert une chute de
hauteur PM, il se rendra dans le même temps une double ligne de PM. Voir Galilei, G., discours ..., op.
Théorème cit., 3e jour, I, Proposition I.
[43] L’Hospital, Marquis Guillaume de, Mém. Acad. Roy. Sci. Année 1700 (1703), pp. 11-12.
[44] L’Hospital, Marquis Guillaume de, Analyse des Infiniment petits pour l’intelligence des lignes courbes,
Paris, 1696, e anche Jean Bernoulli, Lectiones Mathematicae. In: Opera omnia, Lausanne et Gèneve, 1742.
[45] L’Hospital, Marquis Guillaume de, Mém. Acad. Roy. Sci. Année 1700 (1703), p. 13.
[46] Blay, M., La naissance de la mécanique analytique; Puf, Paris, 1992, p. 109.
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