1. +
Le préconstruit. Généalogie et déploiements d’une notion plastique
Marie-Anne Paveau, Université de Paris 13 Sorbonne Paris Cité
EA 7338 Pléiade
ma.paveau@orange.fr - http://penseedudiscours.hypotheses.org
2. +
Introduction
! Il y a préconstruit et préconstruit
– emploi générique
Hypéronyme traces
Léard 1983, dans Gobert 2001 : 503
« Terme général qui regroupe des données qui ne sont pas
présentes dans l’énoncé mais qui s’y manifestent sous forme
de traces (marqueur énonciatif, organisation phrastique
particulière, etc.). On parlera suivant le cas d’implicite, de
présupposé, de méta-règle ou de méta-énoncé »
3. +
Hypéronyme formes
Présentation du Séminaire des doctorants de Marge,
30/10/2013, http://teteschercheuses.hypotheses.org/1019
« La notion de préconstruit se décline en une liste conséquente
de synonymes : clichés, stéréotypes, lieux communs mais
aussi idées reçues, poncifs, doxa, topoï, préjugés, archétypes,
mythes, banalité, code, forme fixe, etc. »
– emploi notionnel : le préconstruit comme notion et les
autres « pré- »
4. +
! Les lieux du préconstruit => son analysabilité linguistique
– les extérieurs-antérieurs du discours (données culturelles,
idéologiques cognitives) => non analysable
– les manifestations langagières/discursives (déclinaison des
figements) => analysable
=> notion plastique
5. + 1. La sémantique discursive de l’analyse du discours
dite « française » : préconstruit, interdiscours,
intradiscours (Pêcheux, Henry, Fuchs)
! Le préconstruit est un mode de saisie des extérieurs du
discours
Marandin 1993 : 166
« La notion de préconstruit n’appartient pas à la théorie qui
étudie les modes d’organisation du langage (la théorie de ce
que j’appelle langue) ; elle relève d’une théorie qui étudie le
fonctionnement du langage dans une formation sociale. »
6. +
! Le préconstruit n’est pas une notion isolée mais il est
intégré dans un dispositif complexe à trois notions :
préconstruit, interdiscours, intradiscours
Maldidier 1993 : 113
« Je voudrais mettre l’accent ici sur ce que, dans ma lecture
rétrospective, j’ai considéré comme la clef de voûte du
système, le concept d’interdiscours dans sa relation avec le
préconstruit, élaboré avec Paul Henry, et l’intradiscours. Ces
trois concepts constituent à mes yeux le fond – décisif – de la
théorie du discours. »
7. + 2. Préconstruit, pré-asserté, prélexical (Pêcheux &
Culioli), présupposé (Ducrot)
! Le préconstruit émerge d’un travail sur l’inter-discours qui
mobilise les notions de pré-asserté et de prélexical d’A.
Culioli en 1970-1971
Culioli et al. 1970 : 18
« [L’interdicours est une] base sur laquelle s’organisent les
“mécanismes stratégiques” [d’un discours]. Cela signifie que
l’on est ainsi au niveau du “on parle” ou du “ça parle”, c’est-à-
dire au niveau non conscient (niveau du pré-asserté : lexis et
relations primitives) »
8. +
! Le préconstruit est une alternative à la notion de
présupposition
Henry 1977 : 166
[…] la théorie exposée par Ducrot […] conduit à supposer un
sujet de la langue. […] Le linguiste s’y montre victime de
l’illusion d’autonomie du moi, de la fonction de
méconnaissance de l’imaginaire […]
=> assujettissement, insu du sujet, méconnaissance : dimension
inconsciente
9. + 3. Définitions : du pré-construit au préconstruit
Pêcheux, Haroche et Henry 1971 : 153
« […] le sujet parlant prend position par rapport aux
représentations dont il est le support, ces représentations se
trouvant réalisées par du “pré-construit ” linguistiquement
analysable »
Henry 1975 : 97 (je souligne)
« Il est donc possible […] qu’une formulation puisse paraître
saturée comme si sa saturation était liée à un rapport intra-
séquence alors qu’en réalité, sur la base de l’autonomie
relative de la langue, un rapport inter-séquence doit
nécessairement jouer. Cela produit l’effet subjectif d’antériorité,
d’implicitement admis, etc., que nous avons désigné ailleurs
sous le terme de préconstruit. »
10. +
Pêcheux 1975, dans Maldidier, 1990
193 « “Celui qui sauva le monde en mourant sur la croix n’a jamais
existé”. […] Ne faudrait-il pas plutôt considérer qu’il y a séparation,
distance ou décalage dans la phrase entre ce qui est pensé avant,
ailleurs ou indépendamment, et ce qui est contenu dans
l’affirmation globale de la phrase ? C’est ce qui a conduit P. Henry
à proposer le terme de préconstruit pour désigner ce qui renvoie à
une construction antérieure, extérieure, en tout cas indépendante,
par opposition à ce qui est “construit” par l’énoncé. Il s’agit en fait
de l’effet discursif lié à l’enchâssement syntaxique. »
235 « […] le préconstruit, tel que nous l’avons redéfini renvoie
simultanément à “ce que chacun connaît”, c’est-à-dire aux
contenus de pensée du “sujet universel” support de l’identification
et à ce que chacun, dans une “situation” donnée, peut voir et
entendre, sous la forme des évidences du“ contexte situationnel”.
11. + 4. Formes syntaxiques : constructions relatives,
constructions adjectives, nominalisations
! Corpus relatives et constructions adjectives de Pêcheux et
Fuchs s.d. (1971 ?) – mécanisme d’enchâssement d’un
préconstruit :
– Les patriotes qui ont fait de la résistance pendant la deuxième
guerre mondiale méritent notre respect (manuel d’histoire
classe de CM1 années 1970)
– le capitalisme apatride
– le nationalisme conservateur
– L’Algérie française
– l’idéalisme révolutionnaire
! Guilhaumou & Maldidier prise de la Bastille (1994), Sitri sur les
nominalisations (1998)
12. + 5. Le préconstruit est un effet (idéologique)
Fuchs, Pêcheux s.d. (1971 ?)
Premier mécanisme : l’enchâssement d’un pré-construit. Décrit dans sa
forme générale, ce mécanisme consiste en ce qu’une séquence SY (par
exemple « le facteur passe ») se trouve intercalée dans une séquence SX
(par exemple « le passage du facteur amuse toujours les enfants »). […]
On voit que le propre de ce premier mécanisme est de faire comme si le
contenu de la séquence SY était déjà là, déjà connu, déjà disponible au
moment où on énonce SX : autrement dit, il a le statut d’une réalité
empirique, de ce que Husserl appelle « une chose » ;
Fradin, Marandin 1979 : 82
« […] ce qui fonctionne comme évidence ayant un effet de référence extra-
linguistique dans un discours donné. Il n’est porteur de cet effet qu’en tant
que sa nature d’élément discursif est occulté, oublié dans une formation
discursive ».
13. + 6. Évolution : du préconstruit au prédiscours, l’apport
de la cognition sociale
Paveau 2006
Je définis les prédiscours comme un ensemble de cadres
prédiscursifs collectifs (savoirs, croyances, pratiques), qui donnent
des instructions pour la production et l’interprétation du sens en
discours. J’attribue à ces cadres six propriétés spécifiques. »
Paveau 2007
Ce sont des cadres de savoir, de croyance et de pratique qui ne sont
pas seulement disponibles dans l’esprit des individus et dans la
culture des groupes (c’est leur nature représentationnelle), mais
sont distribués, au sens cognitif de ce terme, dans les
environnements matériels de la production discursive (leur nature
pratique voire technique).
=> Exemple du toponyme comme nom de mémoire
14. +
! Les six propriétés des prédiscours
– leur collectivité, résultat d’une co-élaboration entre les individus et
entre l’individu et la société ;
– leur immatérialité, la prédiscursivité étant d’ordre tacite (c’est-à-
dire non formulable explicitement, contrairement à l’implicite) ;
– leur transmissibilité, sur l’axe horizontal de communicabilité
encyclopédique (l’idée du partage) et l’axe vertical de la
transmission via les lignées discursives (le rôle de la mémoire)
– leur expérientialité, puisqu’ils permettent au sujet d’organiser
mais aussi d’anticiper son comportement discursif ;
– leur intersubjectivité, les critères de mobilisation étant véri-
relationnels et non logiques ;
– leur discursivité enfin, puisqu’ils sont langagièrement signalés.
15. + 7. Le préconstruit culturel de J.-B. Grize, vers la
représentation
Grize 1978
45 « Je considère que tout discours construit une sorte de micro-
univers que j’appelle une schématisation ».
47 « […] par le biais des langues naturelles, un discours quelconque
prend toujours ancrage et dans un préconstruit culturel et dans un
préconstruit situationnel. »
Grize 1998 : 119-120
« Le terme de représentation sociale désigne le champ tout entier
des croyances d’un individu, soit tout ce qui lui sert de “cadres
d’interprétation du réel, de repérage pour l’action” (Jodelet, 1984 :
261) et on peut en parler comme de PCC [Préconstruits culturels] :
préconstruits parce que acquis, et culturels parce que fonctions de
l’environnement collectif. »
16. + 8. L’éthos préalable ou prédiscursif chez R. Amossy et
D. Maingueneau
Amossy 1999
« l’image préexistante du locuteur »
Maingueneau 2002 : 58
« L’ethos est crucialement lié à l’acte d’énonciation, mais on ne
peut ignorer que le public se construit aussi des
représentations de l’ethos de l'énonciateur avant même qu’il ne
parle. Il semble donc nécessaire d’établir une distinction entre
ethos discursif et ethos prédiscursif ».
17. + Conclusion. Le préconstruit n’existe pas dans
la nature
! Le préalable est-il préconstruit ? équivalence des
phénomènes ?
! Le préconstruit est construit (effet de référence), mais qui
construit le préconstruit ?
=> un déficit épistémologique : le préconstruit notion sans point
de vue
! Préconstruit double réalité : dans l’activité langagière des
sujets, dans le regard du chercheur
! Analyse du discours située
18. +
Références bibliographiques
! Amossy R. (dir.), 1999, Images de soi dans le discours. La construction de
l’ethos, Lausanne-Paris, Delachaux et Niestlé.
! Culioli A., Fuchs C., Pêcheux M., 1970, Considérations théoriques à
propos du traitement formel du langage, Paris, Dunod, Documents de
linguistique quantitative 7.
! Fuchs C., Pêcheux M., s.d. (1971 ?), La détermination : relatives et
déterminants, mémoire s.l.n.d., 46 p. dactylographiées (incomplet, 2
premiers chapitres).
! Gobert F., 2001, Glossaire bibliographique des sciences du langage,
Paris, Panormitis.
! Grize J.-B., 1978, « Schématisation, représentations et images », in
Stratégies discursives, 1978, Actes du colloque du Centre de Recherches
linguistiques et Sémiologiques de Lyon, 20-22 mai 1977, Lyon, PUL, p.
45-52.
! Grize J.-B., 1998, « Logique naturelle, activité de schématisation et
concept de représentation », Cahiers de praxématique 31, p. 115-125.
! Henry P., 1975, « Constructions relatives et articulations discursive »,
Langages 37, p. 81-98.
! Henry P., 1977, Le mauvais outil. Langue, sujet et discours, Paris,
Klincksieck.
19. +
! Maingueneau D., 2002, « Problèmes d'ethos », Pratiques 113-114, p.
55-67.
! Maldidier D., (prés.), 1990, L’inquiétude du discours. Textes de M.
Pêcheux, Paris, Éditions des Cendres.
! Maldidier D., 1993, « L’inquiétude du discours. Un trajet dans l’histoire de
l’analyse du discours : le travail de Michel Pêcheux », Semen 8, http://
semen.revues.org/4351
! Marandin J.-M., 1993, « Syntaxe, discours. Du point de vue de l’analyse
du discours », Histoire Épistémologie Langage, XV-2, p. 155-177.
! Paveau M.-A., 2006, Les prédiscours. Sens, mémoire, cognition, Paris,
Presses Sorbonne nouvelle.
! Paveau M.-A., 2007 : « Discours et cognition. Les prédiscours entre
cadres internes et environnement extérieur », Corela (Cognition,
Représentation, langage), http://corela.revues.org/1550#tocto1n3
! Pêcheux M., 1975, Les Vérités de La Palice. Linguistique, sémantique,
philosophie, Paris, Maspero.
! Pêcheux M., Haroche C. et Henry P., 1971, « La sémantique et la coupure
saussurienne », Langages 24, repris in Maldidier, 1990, p. 133-153.