Baromètre des Entreprises Sociales en Belgique 2016
Est il rentable de bien agir ?
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Est-il rentable de bien agir ?
Depuis près de 35 ans, de nombreuses analyses économiques
ont étudié la corrélation entre performance sociale et performance
financière de l’entreprise. Récemment, une méta-analyse1 menée
par Joshua Margolis (Université de Harvard), Hillary
Elfenbein (Université Washington à Saint-Louis) et James
Walsh (Université du Michigan) a combiné les résultats des séries
statistiques existantes.
La méthodologie
La méta-analyse1 a recoupé près de 160 études et catégorisé les
facteurs déterminants. Ces derniers précisent quel type d’action
sociale est pris en compte dans la performance sociale : La
philanthropie, l’éthique d’entreprise, la performance
environnementale, l’annonce publique de fraudes, la transparence.
D’autre part, les auteurs ont également relevé quatre autres facteurs,
englobant les émetteurs de la performance sociale: Les observateurs
extérieurs, les audits, le « reporting », les fonds communs de
placement sécurisés.
Les résultats
1 Does it pay to be good ?, article publié en 2010 dans la série des HBS Working
Papers
2 Une méta-analyse est une démarche statistique combinant les résultats d'une série
d'études indépendantes sur un problème donné. La méta-analyse permet une
analyse plus précise des données par l'augmentation du nombre de cas étudiés et de
tirer une conclusion globale.
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Selon ces paramètres, la corrélation entre performance sociale et
performance financière varie. La corrélation est positive lorsque la
performance sociale repose sur des politiques de philanthropie. Les
auteurs considèrent que cette relation touche davantage les
entreprises aux ressources financières importantes, qui sont plus
tentées de consacrer une partie de ces dernières dans des œuvres de
charité. Les politiques de transparence ont également un effet positif
direct et sont généralement accueillies comme un signal de confiance
sur le marché. D’autres au contraire, comme l’éthique d’entreprise
semble être l’apanage des compagnies au succès financier passé, elle
n’est en rien une assurance d’une performance financière. En
conclusion, l’étude croisée des facteurs a montré dans 58% des cas
qu’il n’y avait pas de corrélation significative, dans 27% un effet
positif, dans 2% un effet négatif. Les 13% restants ont été jugés non
pertinents pour l’étude.
Ainsi, si les actions qui ont pour but d’améliorer la performance
sociale des organisations n’ont pas d’effet négatif sur leur
performance financière, elles n’ont pourtant qu’un moindre effet
positif. On remarque surtout combien la relation entre performance
financière et performance sociale est complexe à appréhender. Un
autre élément important est à souligner : on constate que la
performance financière précède la performance sociale dans la relation
de causalité. Ce sont donc généralement les entreprises aux résultats
financiers plus prospères qui s’engagent sur la voie de l’action sociale.
Cependant, les entreprises peuvent (et doivent) continuer à bien agir
et faire des bénéfices, même si les entreprises ne gagnent pas
toujours de l’argent en soutenant des mesures d’intraprenariat social3.
3 « Le terme d’intrapreneur social est maintenant utilisé pour désigner ceux qui
mettent en oeuvre, en interne, des solutions innovantes en matière de responsabilité
sociale »
Julie Battilana, Le Monde Economie, 27.09.10
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(…) L’absence ou le manque d’engagement en matière de
responsabilité sociale semble, en revanche, de plus en plus
pénalisant pour les multinationales, aussi bien en termes de
réputations que de résultats.
Julie Battilana (Professeur assistant à Havard Business School),
Le Monde Economie, 27.09.2010.
Evaluer la performance sociale
A travers cette étude, c’est bien les fondements de la
performance sociale que l’on examine : sa légitimité, sa valeur et son
efficacité.
En effet, l’étude ne révélant pas d’effet négatif direct de
l’intraprenariat social sur la performance financière, elle suggère qu’il
n’est pas illégitime de s’engager dans cette voie. Une autre question
est également posée : la performance sociale vaut-elle un
investissement quelconque d’une entreprise ?
L’étude répond à ce problème en considérant les entreprises qui
ne se sont pas encore engagées ou qui n’ont pas choisi la voie de la
performance sociale : ces entreprises apprennent généralement à leurs
dépends les conséquences de leur choix. Les chercheurs évoquent
ainsi le cas de Wal Mart, qui ne s’est jamais engagé dans des actions
d’intraprenariat social. Lorsque l’entreprise a créé une banque et lancé
sa propre carte de crédit, cela a immédiatement provoqué une levée
de boucliers de la part de ses plus opposants, nuisant directement à
sa réputation. Aujourd’hui, c’est la cette dimension qui est en jeu
lorsque une entreprise décide de ne pas s’engager pour la société.
Enfin, est ce que la performance sociale est efficace pour
l’entreprise ? Là, le simple débat concernant la performance financière
et la performance sociale ne peut y répondre. Pour les chercheurs, une
question fondamentale reste en suspend : pour qui et à quelles fins
ces actions sociales de la part de l’entreprise sont elles efficaces ?
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Bien qu’il y ait eu près de 167 études sur la question, les chefs
d’entreprise sont peut être encore au point où ils se trouvaient en
1972 : chercher des critères pour évaluer et juger lorsque la
performance sociale est cohérente avec la performance financière,
évaluer si les actions menées sont pertinentes et constructives. Les
chercheurs proposent ici d’autres aspects pour approfondir cette
relation et poser de nouvelles questions.
Perspectives
Afin de continuer à creuser et comprendre davantage les
mécanismes de causalité entre performance sociale et performance
financière, les chercheurs préconisent de nouvelles directions pour
affiner les études futures.
Tout d’abord, les données doivent être des informations
comportementales, basées sur des audits ou des éléments
quantitatifs, qui puissent être vérifiés. Pour cela, les chercheurs
doivent trouver des alternatives aux sondages du magazine Fortune et
aux rapports internes, publiés par les entreprises, souvent biaisés.
Dans un second temps, les critères à évaluer doivent prendre en
compte : la taille, le secteur d’activité, le risque du secteur, voire
même les dépenses effectuées par l’entreprise en recherche et
développement et en publicité. Le troisième élément à considérer est
le temps : il s’agit d’évaluer les performances sociales et financières
sur des périodes temporelles différentes afin d’en savoir plus sur la
relation de causalité.
Ces résultats, d’autre part, doivent être articulés entre eux et
testés. Car jusque là, certaines conclusions étaient prononcées sans
être mises à l’épreuve empiriquement.
Les investissements dans la performance sociale sont sans aucun
doute utiles pour recruter des salariés très qualifiés, attirer et
construire de manière pérenne une clientèle, ou garantir une
assurance pour l’entreprise lors d’une crise imprévue. La performance
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sociale pèse très certainement sur les résultats financiers, mais c’est
aux recherches futures désormais d’évaluer comment celle-ci influe
sur la performance financière.
Le débat peut être ainsi donc élargi à d’autres perspectives. Car
un des défis pour les chercheurs et les chefs d’entreprise
d’aujourd’hui c’est de comprendre comment les entreprises peuvent
évoluer dans une économie qui leur demande d’être rentables tout en
menant des actions positives pour la société. Un des objectifs
fondamentaux est de comprendre la coexistence entre performance
financière et performance sociale, ainsi les chercheurs ont examiné
trois questions, en guise de pistes : pourquoi les firmes mènent elles
des actions sociales ? Comment y parviennent-elles ? Et comment
conduisent-elles simultanément performance financière et
performance sociale ?
Pourquoi ?
Quatre motivations principales sont retenues pour expliquer
pourquoi les entreprises se lancent sur la voie de l’intraprenariat
social : la dissipation du risque, les attentes extérieures, la réciprocité
et la culpabilité. Lorsque les entreprises deviennent prospères, les
risques planant sur leur réputation peuvent leur coûter très cher. C’est
ainsi que l’intraprenariat social permet de limiter ce risque. Leur
succès financier peut aussi générer des attentes de la part des
consommateurs, qui peuvent exercer une forme de pression sur
l’entreprise, obligée alors de s’engager. Les cadres dans une
entreprise, conscients de la nécessité de s’engager dans la société,
peuvent également être les leviers d’une politique dite
de « réciprocité » et inviter leur entreprise à agir. Enfin, une des
dernières motivations évoquées par les chercheurs, est la culpabilité,
un facteur non négligeable qui pousse une entreprise aux résultats
financiers conséquents, à vouloir réduire les inégalités.
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Comment ?
La compréhension systématique de « comment » les entreprises
s’impliquent dans la société est essentielle. Une première vague de
recherches se concentrerait sur comment établir un engagement social
durable. Quelle logique interne dans l’entreprise peut permettre de
« vendre » mais aussi d’expliquer l’intraprenariat social ? Enfin, une
seconde vague de recherches devrait, quant à elle, étudier les
engagements spécifiques des entreprises. Cette recherche descriptive
devrait ainsi former un corpus théorique pour savoir comment les
entreprises poursuivent leurs objectifs d’actions sociales, qui
compléterait les récentes contributions, indiquant l’influence
de l’intraprenariat social sur le réseau et les zones géographiques
d’influence de l’entreprise.
Etre rentable et bien agir ?
Il est essentiel pour les recherches futures d’approfondir une
question : comment est-il possible de cumuler performance financière
et performance sociale ? Quelles sont en définitive les stratégies, les
structures, les processus, les pratiques, des entreprises et des agents
pour faire coïncider les deux ? Ce qui est là plus intéressant serait de
déterminer les pratiques organisationnelles qui permettent
d’augmenter l’impact de l’intraprenariat social pas seulement pour
l’entreprise, mais aussi pour les bénéficiaires directs de ces actions.
Les pistes de recherche évoquées sont denses et touchent évidemment
à des données auxquelles les analystes eux-mêmes n’ont pas souvent
accès4.
La méta analyse présentée ici par Joshua Margolis (Université de
Harvard), Hillary Elfenbein (Université Washington à Saint-Louis)
4 L’indépendance des informations, mises à disposition, est une des conditions
présentée comme sine qua non à la bonne conduite des recherches à venir.
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et James Walsh (Université du Michigan), a le mérite de donner un
large panorama théorique et statistique sur la corrélation
performance sociale / performance financière. Même si beaucoup de
questions restent en suspens pour appréhender les mécanismes en
détails, une évidence se dégage de l’étude : la nécessité pour les
entreprises de s’engager dans la société pour vivre avec son temps,
assurer leur réputation, créer une relation pérenne avec leurs publics
et lancer dans leur sillage une dynamique positive durable.