Conférence donnée lors de la journée "La création artistique au prisme du web. Enjeux et perspectives", organisée le 4 juillet 2013 par Sophie Noël, Manuel Dupuy-Salle et Antoine Gaudin par l'IRCAV/Paris 3 dans le cadre du labex ICCA
De l’amateur au praticien transmédiatique curieux ou 5 bonnes raisons d’en finir avec le mythe de l’amateur digital
1. DE L’AMATEUR AU PRATICIEN
TRANSMEDIATIQUE CURIEUX
OU 5 BONNES RAISONS D’EN FINIR
AVEC LE MYTHE DE L’AMATEUR DIGITAL
«
2. UN RECIT POSSIBLE EN TROMPE L’OEIL
Oui, il y a une production amateur sur internet,
Oui il existe des communautés créatives avec
d’authentiques auteurs, pas ces commentateurs
narcissiques qui tweetent sur Top Chef.
Oui ce sont des proam, ce sont de nouveaux entrants
dans des carrières artistiques.
Oui ils désirent la célébrité, cette forme typiquement web
2.0 de la reconnaissance.
Oui ce sont les enfants perdus de la légitimité culturelle.
La faute à Google (donc la NSA) annulant les hiérarchies
culturelles avec son algorithme de recherche basé sur le
goût moyen.
Mettre un peu d’ordre culturel existe dans le bazar
d’internet.
Mais d’une certaine façon, ce serait vous mentir.
En 15 ans d’études par la voie ethnographique des
pratiques digitales, la catégorisation d’amateur s’est
montrée de plus en plus inutile :pas assez précise, trop
normative.
Catégorie « zombie » (Ulrich Beck) qui ne fait plus
réfléchir et qui s’interpose devant les terrains de
recherche.
Une fois qu’on a qualité une production digitale d’amateur
…qu’a-t-on appris sur les pratiques elles-mêmes ?
Trouver d’autres jeux de catégories, décrire de l’intérieur
(au plus près des discours, des représentations, des
gestes, des corps…) les pratiques et les usagers.
Voilà à quoi ressemblerait plutôt l’amateur sur le web.
3. 1-Y A-T-IL DES AMATEURS SUR LE WEB ?
Orientation théorique épistémologique et
méthologique : socio—pragmatique /
ethnométhodologie/C.S
Thèse sur les pratiques amateurs AV 1994
Etude des pratiques numériques
« amateurs de cinéma » : étude sur
cinéphilie en ligne sur Titanic en 1997.
Réseaux n°99).
Entrée « amateur» toujours été
pragmatique et non normative.
«Amateur / Professionnel » :
Membership Categorization Device -
MCD asymétrique (Harvey Sacks).
Se poser la question de l’usage de ces
catégorisations.
Quand ? Comment ? Par qui ? y a-t-il
appellation « amateurs » ?
Cf Film de famille relève esthétique
amateur qui répond in fine aux fonctions
sociales « faire famille à travers sa
représentation.»
Sessions Skype sont les films de famille du
digital : esthétique de la webcam, du
« double écran » pour les analystes mais
pour les usagers =dispositif comme pièce
commune » réunissant diasporas, expats…
4. 2-PRATICIEN CURIEUX VS AMATEUR
«Le changement essentiel que l’Internet a
apporté est la décentralisation radicale des
moyens élémentaires de production de
l’information, du savoir et de la culture
(traitement, stockage, communication, localisati
on et détection) qui sont distribués dans
l’ensemble de la population », Yoshai
Benkler, La richesse des réseaux », PUL, 2009
Entretiens dans cadre ethnographie des
usages du numérique par les individus
connectés menées depuis plusieurs années :
Ni amateur, ni pro, mais des praticiens des
outils et des contenus au quotidien.
Aujourd’hui, tous praticiens
transmédiatiques et transcécraniques :
politique, consommation, culture….
17% des Français utilisent trois terminaux
pour se connecter à Internet; 96% des
Français utilisent chaque semaine un
ordinateur fixe ou portable, 54% un
Smartphone et 23% une tablette; 6 écrans par
foyer. (Médiamétrie juin 2013)
Des praticiens curieux dont Internet et le mobile
aiguillonnent et nourrissent la curiosité.
Le curieux, au XVIIème siècle comme au
XXIème siècle, est plutôt un omnivore qu’un
spécialiste ou un expert.
Krzysztof Pomian, Collectionneurs, amateurs, curieux:
Paris-Venise, XVIe -XIIIe siècles, Paris, Gallimard, 1987.
« Aujourd’hui quand tu es fan de basquet comme moi, tu
te mets forcément sur les forum, tu suis tous ça sur
Internet, même tu apprends l’anglais pour comprendre ce
que les grands basketteurs américains disent sur youtube.
Il n’a pas ceux qui vont sur Internet d’un côté et ceux qui
n’y vont pas de l’autre : il y a ceux qui sont passionnés ou
curieux, et ceux qui ne le sont pas. Même Georges, qui est
pas une flèche, il s’est mis à l’ordinateur à cause du
basket. Et mon ami qui adore l’apiculture, pareil »
Jean-Claude, 61 ans, retraité SNCF, janvier 2012
“L’ordinateur, c’est 3-4 fois par semaine, cela dépend de
ce qu’il y a à la télé. J’aime bien quand je vois quelque
chose à la télévision un truc intéressant, je vais le soir voir
les sites. “je tape sur Google un mot-clé comme “Inca”,
“Cobra Royal”. Mais je vais pas sur les premiers liens
genre Wikipédia. Je vais voir les photos et les sites de
vidéos”.
Armando, 38 ans, facadier, Paris) curieux et
inventeur de la télé connectée, janvier 2012
«C’est devenu un réflexe de prendre mon iPhone quand je
me pose une question…L’autre fois je me demandais à
quelle hauteur était la Tour Eiffel. Mon fils me dit «t’es folle
avec ton téléphone» . Moi je suis juste curieuse.»,
5. 3-EXPRESSIVISME VS ESTHETIQUE AMATEUR
Praticiens transécraniques curieux qui avec leurs
outils s’expriment et communiquent.
Procédé langagier le plus commun s ur les
SNS : parler par images (« montée du web
visuel »).
Images crées par soi-même issues le plus
souvent du mobile (5,2 milliards de mobiles
actuellement en service, 4,4 milliards
sont dotés d’un appareil photo. 82% des
mobinautes prennent des photographies avec
leurs mobiles (Mary Meeker Rapport, juin 2013)
L’usage social de images crées ou re-crées par
les utilisateur est de nature conversationnelle.
Sur internet, contrairement à ce qui est
ressassé, on ne s’expose jamais à nu. Il y a
toujours une mise en forme de ce qu’on veut dire
et de ce qu’on veut montrer de soi.
Le langage de l’image –ou agencements de
signes - est comme un vêtement.
Perfomativité de l’identité comme signe :
s’auto-formuler à travers petite forme ; « dire
c’est être.»
Concept d’individualisme expressif : arrière-plan
sociétal qui habilite tout un chacun à s’exprimer
6. 4-REMIXEUR DECRYPTEUR VS (A)MATEUR D’IMAGES
Les contenus crées par soi-même ou remixés
symboliquement constituent la matière
conversationnelle sur les SNS et applications
mobiles.
Usage expressif mais également « défensif . »
internet comme machine à se protéger des
contenus choquant, à décrypter, à
réinterpréter et resignifier.
jeunes interrogés pour la CNIL citent
spontanément les contenus homophobes ou
racistes, là où les adultes pensent d’abord
pornographie (CNIL, France, 2011).
Regarder un remix d’un clip « bling bling » avec
des représentations hypersexualisées des filles ou
des garçons, c’est aussi se protéger de ces
images « choquantes » par leurs stéréotypes du
genre.
Le remix est une des formes d’auto-protection
des jeunes offertes par internet.
Savoir que ces remixes existent et qu’ils peuvent
être plus visionnés encore que les contenus
sources est assez rassurant.
Les images sont toujours soumises à discussion
sur internet, elles ne sont pas consommables
simplement au premier degré sans commentaire.
7. 5-PARTICIPER C’EST AVOIR UNE PART
Remix s’adossant aux pratiques sociales digitales
ordinaires représente une modalité inclusive du
rapport aux oeuvres.
Remix comme format d’appropriabilité des
contenus culturels.
Consécration culturelle du remix :
Muséomix , Biblio Remix, Public Domaine
Remix, Mashup Film Festival
Il constitue l’un des formats d’une participation
culturelle éprouvée sur le web .
Logique de participation culturelle qui repose sur la
réversibilité des rôles culturels .
Culture numérique en écriture/lecture rend
encore une fois quelque peu inopérante la
notion « d’amateurs; »
Grammaire de la participation culturelle à trois
temps : » prendre part à une activité »
, «apporter une part en y contribuant » et
« recevoir une part », c'est-à-dire une
gratification rendant possible « en retour le
prendre part.» (Joëlle Zask, Participer. Essai sur
les formes démocratiques de la
participation., 2011.)
Le laboratoire du crowdfunding comme
dépassement tendance intrusive du digital
labor, du crowdsourcing : contribution &
Notes de l'éditeur
Je pourrais vous dire : oui il y une production amateur sur internet, il existe des communautés créatives avec des auteurs qui peuvent être des proam, qui sont de nouveaux entrants, qui désirent la célébrité. Je pourrais analyser leurs productions selon la carte des goûts de la Distinction de Bourdieu et poser le verdict des enfants perdus de la légitimité culturelle au profit d’une moyennisation généralisée d’un « art moyen. Je sais que cela rassure tout le monde. Mettre un peu d’ordre culturel existe dans le bazar d’internet c’est aussi notre mission de scientifique. Mais d’une certaine façon, ce serait vous mentir. Depuis près de 15 ans que j’étudie par la voie ethnographique les pratiques digitales, la catégorisation d’amateur s’est montrée de plus en plus inutile :pas assez précise, trop normative. Il a fallu trouver d’autres jeux de catégories, décrire de l’intérieur (au plus près des discours, des représentations, des gestes, des corps…) les pratiques et les usagers. C’est un travail en cours cf la partie crowdfunding qui amène à reproblématiser la grammaire de la participation sur le web.5 bonnes raisons d’en finir avec les amateurs : plus de 15 ans d’études ethno usages, analyse corpus digitaux. Avec au départ l’amateur dans l’AV, le cinéphilie sur internet pour arriver à d’autres catégorisations qui me semblent décrire moins asymétriquement ce que font les praticiens du web.Il y a ici de la créativité, des usages ordinaires de créations diverses
Aller plus loin que la notion de participation
Esthétique amateur : expressivisme généralisée : se mettre en forme et pas se mettre à nu / l’image comme vêtement