1. Tous contre le mariage pour tous ?
A l’heure où s’engage à l’Assemblée Nationale le débat relatif au projet de loi visant
à instituer le mariage pour tous, il m’a semblé utile de faire quelques mises au point.
Il s’agit de rappeler et d’expliquer ce que sont mes convictions et ce que sera ma
position quant à ce sujet.
J’entends que la quasi-totalité des élus des outre-mer seraient opposés à ce texte.
S’il est évident que les plus farouches opposants ne manquent jamais de se faire
entendre, j’ai le sentiment que la majorité est bien silencieuse. Nombreux sont ceux
qui en réalité ne prennent pas ou ne défendent pas leurs positions.
J’entends que ce silence serait une façon de ne pas se mettre « en porte-à-faux »
avec un électorat très majoritairement opposé au mariage homosexuel. J’ignore s’il
faut donner foi à cette explication. Dans le même temps, j’ignore également si une
étude sérieuse a été conduite quant à l’état de l’opinion sur ce sujet dans les outre-
mer – et singulièrement en Martinique.
Pour ma part, non seulement je voterai ce texte, mais je m’efforcerai également de le
défendre toutes les fois où l’occasion m’en sera donnée.
Voilà pourquoi.
L’ouverture de l’institution du mariage civil aux homosexuels était un engagement de
campagne clair, net et précis du candidat Hollande. Je ne comprends pas qu’on
puisse à la fois reprocher aux élus de ne pas tenir leurs engagements et leur faire
procès lorsqu’ils les tiennent. Certes, on peut élire un Président sans être d’accord
avec l’ensemble de ses projets ; mais tout de même, comment le peuple de
Martinique peut-il voter massivement pour un candidat dont l’une des mesures
phares serait proprement insupportable aux Martiniquais. N’y a-t-il pas une forme de
schizophrénie à choisir un Président dont on sait qu’il va faire voter une loi qui va
prétendument saper les bases, la culture, la tradition, les coutumes et les valeurs de
notre société martiniquaise.
Balivernes ! Ce projet ne détruit rien : il ajoute, il augmente, il génère de l’égalité.
Comme le démontre brillamment jour après jour Christiane Taubira, le droit nouveau
pour les couples homosexuels n’enlève absolument rien aux couples hétérosexuels.
Il ne s’agit pas d’un gâteau qu’il faudrait partager avec de nouveaux convives.
J’ai entendu un collègue député affirmer que le mariage gay « fragilise le délicat
édifice sur lequel se sont construites nos sociétés antillaises et guyanaises après
l’abolition de l’esclavage ». N’importe quoi ! De quel édifice parle-t-on ? En quoi le
mariage hétérosexuel en est-il le fondement ? Faut-il convoquer ici la réalité de nos
sociétés pour démontrer l’ineptie du propos : sociétés matrifocales, monoparentalité,
cohabitation des fratries et des générations, rapport conflictuel à la monogamie…
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2. Voilà notre vrai visage. Il ne s’agit pas de le juger en bien ou en mal. Il n’est ni bien ni
mal, il est comme il est. Par contre où se situe dans ce tableau le mariage
« traditionnel » qui serait prétendument notre modèle absolu et le fondement même
de notre société et de nos valeurs ? Invention.
Si nous voulons convoquer l’Histoire, c’est celle de la conquête des droits qui doit
nous interpeler. Les révoltes anti-esclavagistes, l’abolition, la départementalisation,
l’égalité sociale : nos luttes font écho à la devise de la République et en particulier à
ses deux premiers mouvements : Liberté et Egalité. A ce titre, il me semble que nous
devrions être les premiers défenseurs de ce projet de loi car il nous renvoie à la lutte
qui a été historiquement la nôtre au cours du XXè siècle : la conquête de l’égalité
parfaite en droits. Car c’est de droit qu’il s’agit : ce pour quoi nous nous sommes
battus - nous descendants d’esclaves, au nom de quoi le refuserions-nous à d’autres
au motif de leur orientation sexuelle.
J’entends que le mariage a pour fondement un ordre naturel concourant à la
reproduction de l’espèce – et qu’à ce titre il ne peut concerner un choix qui va en
contradiction avec la nature. Ceux qui tiennent ce discours n’ont certainement pas
beaucoup observé la nature : elle regorge d’exemple de comportements
homosexuels dans le règne animal. Mais passons, revenons aux hommes. Une fois
encore, nous sommes particulièrement bien placés, nous Antillais et Antillaises, pour
savoir que la reproduction et le mariage sont deux choses parfaitement dissociables.
La question n’est donc pas de savoir si le mariage est nécessaire à la reproduction,
elle est de savoir si le mariage entre personnes de même sexe empêchera aux
autres de se reproduire. Evidemment non ! Ce n’est pas parce que les droits des
couples homosexuels seront mieux reconnus que qui que ce soit va se « convertir »
à l’homosexualité. En fait, l’argument de la « menace » homosexuelle quant à la
survie de l’humanité est tellement aberrant et grossier qu’on éprouverait presqu’un
sentiment de perte de temps à y répondre.
J’entends que l’enfant grandissant au sein du couple homosexuel serait en danger.
Plus que l’enfant du couple hétérosexuel comprenant un parent violent ? Plus que
l’enfant du couple hétérosexuel démissionnaire ? Là encore, notre expérience devrait
nous instruire. Nous savons que l’enfant à certes besoin de modèles pour se
construire, mais nous savons également que le modèle du couple hétérosexuel
marié n’a pas valeur universelle. Nous savons dans notre société la place des
référents externes au couple : la place de la grand-mère, la place du grand-père, la
place de l’oncle, la place de la tante, la place de l’enseignant, la place de l’ami de la
famille, la place de la voisine, la place du parrain ou de la marraine… Si le modèle
stable père-mère était le seul viable, la majorité d’entre nous seraient sans doute en
grande difficulté. Donner un cadre légal aux couples homosexuels pour éduquer
leurs enfants, c’est mettre fin à une hypocrisie et à une dissimulation préjudiciables à
l’enfant. C’est permettre à l’enfant lui-même d’être pleinement inséré dans la société
et ouvert à sa complexité.
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3. J’entends que quand la loi sera votée on ne trouvera aucun élu acceptant de
célébrer ces mariages dans certaines communes. Ce que je sais, c’est que la
séparation de l’Eglise et de l’Etat date de 1905. Qu’un Maire ait des convictions
religieuses c’est une chose – et c’est certainement très bien ; qu’il administre sa
collectivité publique en vertu desdites convictions s’en est une toute autre. A vrai
dire, j’ai regretté que le Président de la République évoque la notion de clause de
conscience. Dura lex sed lex. La loi est faite pour être appliquée. Si on laisse aux
personnes concernées le choix de le faire ou non - elle n’a alors plus valeur de loi. Si
un élu estime qu’une loi est tellement en contradiction avec ses convictions qu’il doit
refuser de l’appliquer, il doit alors en tirer des conséquences personnelles quant à
son statut d’élu.
Au final, bien que tout cela soit mâtiné de bonne conscience chrétienne, le
fondement de la lutte contre ce projet de loi réside largement dans l’homophobie
d’une partie de la population et du personnel politique. Et cela n’est pas acceptable.
Il n’y a aucune raison de craindre l’attirance d’une personne pour une autre personne
du même sexe. Il y a également une malhonnêteté intellectuelle grossière à évoquer
l’homosexualité comme une déviance – et à en faire l’amalgame avec les véritables
déviances (pédophilie, zoophilie…). L’homophobie n’est donc pas une phobie, c’est
au mieux de l’ignorance, au pire de la bêtise. Je voterai ce texte car il constitue une
contribution essentielle à la lutte contre l’homophobie, cette homophobie qui fait que
nous feignons d’ignorer l’homosexualité qui d’un frère, qui d’une amie, qui d’un fils.
Je voterai ce texte car ce frère, cette amie, ce fils qui existent dans nombre de nos
familles, nous devons cesser de les exclure, de les marginaliser – au point que
certains n’ont d’autre horizon que de s’exiler dans des mégalopoles lointaines où on
ne les jugera pas. Je voterai ce texte car il est un pas dans la lutte contre l’ignorance
et la bêtise.
Serge LARCHER, Sénateur de la Martinique
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