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Élise de La Rochebrochard (dir.) De la pilule au bébé-éprouvette Choix individuels ou stratégies médicales ?
1. Élise de La Rochebrochard (dir.)
De la pilule au bébé-éprouvette
Choix individuels ou stratégies médicales ?
2008, Paris, Institut national d’études démographiques, Les Cahiers de l'ined, 264 pages.
troubles de la fertilité, une augmentation de l’im-
En matière de santé reproductive, des progrès
patience des couples et une diminution de la rési-
considérables ont été réalisés par la médecine ces
gnation des couples (couples n’ayant pas consulté
dernières décennies : dernières générations de
après un délai d’infécondité involontaire consi-
pilules, avortements médicamenteux, techniques
déré comme long). Une observation sur dix ans,
d’assistance médicale à la procréation, dépistages
entre 1985 et 1995, alors que le taux d’infertilité
des anomalies du fœtus. 74,6 % des femmes en
ne varie pas, montre que la première hypothèse
France utilisent une méthode contraceptive en
n’est pas valide et que l’augmentation des consul-
2000 et, lorsqu’elles sont enceintes, elles effec-
tations médicales est bien liée à d’autres facteurs.
tuent en moyenne 8,9 visites médicales prénatales
Il n’existe pas non plus d’association nette entre
et 4,5 échographies (p. 34). Quant à l’infertilité,
les facteurs démographiques ou comportementaux
elle est objet de traitements depuis le début des
et un recours aux soins. Les consultations pour
années 1980 pour les femmes et depuis 1992 pour
infécondité sont surtout le fait, assez logiquement,
les hommes. En France, selon l’Organisation mon-
de couples n’ayant pas encore eu d’enfants. Elles
diale de la santé, on compterait de 1,1 % à 1,4 %
dépendraient pour partie du niveau d’instruction,
de naissances suite à une fécondation in vitro
ce qui conduirait à mettre en lumière des iné-
(FIV). Plus globalement, 5 % à 6 % des naissances
galités sociales, mais de nombreux travaux sont
sont obtenues grâce à un traitement médical, le
encore à mener pour explorer plus finement l’en-
plus courant étant la stimulation ovarienne. On
semble du processus. Un autre chapitre s’intéresse
peut ainsi parler de « médicalisation » de la vie
spécifiquement aux inégalités géographiques à
sexuelle et reproductive en ce sens où la médica-
partir de l’étude du choix de la maternité dans le
lisation est une transformation socioculturelle qui
département de Seine-Saint-Denis. L’objectif était
« consiste à conférer une nature médicale à des
de comprendre comment l’accessibilité géogra-
représentations et des pratiques qui n’étaient
phique (distance domicile-maternité) intervient
jusqu’alors pas socialement appréhendées dans
dans le choix, et d’étudier les comportements en
ces termes » (Fassin, 1998:5, cité p. 31 de l’ouvrage).
fonction des caractéristiques sociodémographi-
L’objectif de cet ouvrage est justement d’inter-
ques des femmes enceintes face aux contraintes
roger cette médicalisation et son impact dans les
géographiques. La proximité se révèle bien être un
rapports patients-médecins en se plaçant du côté
facteur majeur, puisque 46,5 % des femmes de
des patients. La réflexion a été conduite collecti-
l’échantillon ont choisi d’accoucher à la maternité
vement par des épidémiologistes, des sociologues,
la plus proche. Pour les femmes enceintes qui
des démographes, des économistes et des psycho-
habitent à proximité de Paris, elles quittent
logues qui présentent ici les principaux apports
néanmoins plus souvent le département. Toutefois,
tant méthodologiques qu’empiriques de leurs
cette étude permet de mettre également en
enquêtes.
lumière des inégalités sociales en soulignant que
L’ouvrage a été conçu autour de grandes questions
l’absence de couverture sociale explique parfois
qui constituent trois parties. La première ques-
l’allongement du trajet moyen. De même, les
tion : sommes-nous tous égaux face à la médicali-
Françaises du département choisissent plus
sation ? Dès lors, quels types d’inégalités dans
souvent que les autres une maternité privée. Il
l’accès à cette médicalisation peut-on mettre en
ressort ainsi de cette étude que les réorganisations
lumière : sociales, de genre ou géographiques ?
spatiales de l’offre de soins pourraient affecter
Ainsi, la première partie de l’ouvrage s’ouvre sur
différemment les femmes selon leur origine géo-
une étude de la fertilité menée à Beaumont-Hague
graphique, leur couverture sociale ou leur niveau
et Saint-Brieuc, deux zones rurales dont l’objectif
socio-économique. Enfin, un dernier chapitre
était de mettre en lumière d’éventuelles inégalités
traite des inégalités de genre à partir d’une étude
sociales. Il s’agissait de tester les trois hypothèses
des représentations de la sexualité féminine et
posées par Henri Leridon en 1991 pour expliquer
masculine dans des documents scientifiques, qui
l’augmentation de la fréquence des difficultés à
montre ainsi comment la médecine restreint les
concevoir déclarées : une augmentation des
Politiques sociales et familiales n° 95 - mars 2009
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2. duel qui est celui de l’information du partenaire
dysfonctionnements sexuels masculins unique-
en cas d’infections sexuellement transmissibles.
ment à l’organe – ne s’intéressant qu’au physio-
Une enquête sur les comportements sexuels en
logique – tandis que les dysfonctionnements
France menée en 1992 montrait que les patients
féminins relèvent, pour les médecins, de la « souf-
informaient moins souvent leurs partenaires
france personnelle ». Les facteurs psychiques sont
lorsque le diagnostic avait été réalisé dans une
oubliés de la médecine dans les traitements mas-
structure publique plutôt que chez un spécialiste
culins des dysfonctionnements sexuels.
privé ou un généraliste. Ce constat établi, une
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les rapports
enquête qualitative a été menée auprès de mé-
patients-médecins sont explorés à partir de l’inter-
decins et de gynécologues, qui confirme que
rogation suivante : quel est le poids réel du patient
l’information du partenaire serait dépendante des
dans la prise de décision ? Les deux premiers
comportements des médecins : les hommes infor-
chapitres sont des analyses issues de l’enquête
meraient moins leurs partenaires que les femmes
Cocon menée par l’INED et l’INSERM sur la
parce qu’ils consultent dans des structures où on
contraception et l’interruption volontaire de
les inviterait moins à le faire (dispensaires anti-
grossesse (IVG). Le premier porte sur le choix de la
vénériens ou structures hospitalières). On pourrait
contraception et montre que les logiques de pres-
critiquer pour partie cette hypothèse qui tient
cription ne s’appuient pas forcément sur les atten-
insuffisamment compte des caractéristiques socio-
tes des femmes mais sur ce que les médecins
démographiques des hommes qui consultent dans
pensent médicalement le mieux pour elles. En
ce type d’endroits (au lieu du médecin généraliste
France, la norme contraceptive telle que véhiculée
par exemple) et des aspects psychologiques (infec-
par les médecins est l’utilisation associée pilule et
tion qui peut être liée à la multiplicité des parte-
préservatif au début de la vie sexuelle, la pilule
naires ou qui relève d’une infidélité).
quand la relation est stabilisée puis le stérilet qui
Dans la troisième partie, il est question des
dépend de l’âge et du nombre d’enfants. Or, ce
souffrances psychologiques vécues par les patients.
dernier peut être théoriquement utilisé à n’importe
La question posée est sur le vécu des hommes et
quel moment de la vie sexuelle. Le choix de la
des femmes dans cet univers médicalisé. Un
méthode contraceptive apparaît ainsi limité pour
premier chapitre traite du suivi des femmes
les patientes. Le deuxième chapitre, toujours à
ayant eu une grossesse extra-utérine. Les femmes
partir de l’enquête Cocon, porte sur le choix de la
recontactées six mois après, et non enceintes,
technique d’avortement : méthode médicamen-
déclarent se sentir fragilisées et diminuées dans
teuse en médecine de ville ou la méthode chirur-
leur féminité, ce qui se traduit par des arrêts de
gicale. Cette question du choix de la technique est
travail, voire un état dépressif. L’expression des
liée aux conditions d’accès à l’IVG. En effet, il est
difficultés psychologiques varie en fonction du
a priori plus facile de trouver une place pour l’acte
niveau socioculturel. Il est plus important avec un
chirurgical parce que la pratique médicamenteuse
niveau d’études élevé. Toutefois, les femmes inter-
est moins diffusée. Toutefois, il n’existe pas de lien
rogées font toutes état d’un sentiment d’isolement
entre la première personne contactée (gynéco-
par rapport au monde médical et considèrent ne
logue, généraliste, etc.) et la probabilité de choisir
pas avoir été suivies. Un autre chapitre porte sur
soi-même sa méthode. De même, entre le fait
les souffrances psychologiques masculines, cette
d’avoir eu un entretien préIVG ou pas. L’enquête
fois lors du recueil de sperme infertile en labo-
Cocon datant de 2000, il n’est pas impossible de
ratoire. Les hommes interrogés ont fait part d’un
supposer que l’accès à l’IVG médicamenteuse
sentiment d’intimité dépouillée. Pour les auteurs
s’est répandu depuis. L’étude mériterait ainsi assu-
de l’étude, cette pratique biomédicale repose sur
rément d’être réactualisée d’autant que la législa-
l’effacement relatif de l’usager et du couple. Enfin,
tion a également changé depuis 2001 (possibilité
le dernier chapitre s’intéresse à la FIV qui nécessite
d’avorter jusqu’à douze semaines de grossesse et
des traitements lourds et contraignants pour les
non plus dix). Un autre chapitre est consacré au
couples, et plus spécifiquement pour les femmes.
diagnostic prénatal. Il s’agit d’un exemple parti-
Les couples interrogés exposent un déficit d’infor-
culièrement intéressant pour étudier les rapports
mations quant aux risques liés aux traitements hormo-
médecins-patients, le choix du patient étant déter-
naux et aux effets secondaires. Mais c’est surtout
minant : faire une amniocentèse en tenant compte
dans la nature des relations avec les médecins que
du risque de fausse couche, décider d’avorter ou
les couples donnent des éléments intéressants. Lors
pas si une anomalie est dépistée. Or, l’enquête par
des FIV, les femmes ont le sentiment d’être mani-
questionnaires autoadministrée montre une ten-
pulées comme un objet. Dans certains cas, il est
dance à la délégation des décisions de dépistage
possible de parler d’« acharnement » du corps
au professionnel de santé. Le dépistage (prise de
médical. Un tiers des couples finissent par changer
sang) entraînerait pour les médecins une décision
de centre ; pour 62 %, parce qu’ils sont insatisfaits
allant de soi de réaliser une amniocentèse, puis
des rapports avec l’équipe. Le secteur privé semble
d’avorter le cas échéant. Le dernier chapitre de
bénéficier d’un taux de satisfaction plus élevé.
cette partie relève également d’un choix indivi-
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3. Malgré la juxtaposition de chapitres sur des lesquels posent de nombreuses questions sur les
enquêtes dont les terrains sont très divers, et dont rapports patientes-médecins : choix des méthodes
on peine à trouver un fil conducteur, cet ouvrage pour accoucher, accès aux préparations à l’accou-
est riche en travaux exploratoires. Il ouvre, en chement, recours à la péridurale, épisiotomie,
effet, sur une série de recherches qui seraient à césarienne, etc.
mener, notamment dans une perspective compa-
rative avec les pratiques dans d’autres pays.
Sandrine Dauphin
Pourraient être ainsi comparés le suivi de la CNAF – Rédactrice en chef
grossesse et les conditions d’accouchement, de Politiques sociales et familiales
Nathalie Coulon et Geneviève Cresson (dir.)
La petite enfance
Entre familles et crèches, entre sexe et genre
2007, Paris, L’Harmattan, collection Logiques sociales, 234 pages.
Cet ouvrage est issu d’une journée d’étude « Petite observé la vie quotidienne dans les crèches. Le
enfance et rapports sociaux de sexe » qui s’est bilan qu’elle en tire montre que la question du
tenue en 2005 avec le soutien de l’association genre, pour les professionnelles, ne semble pas se
Colline, qui anime un réseau d’accueil des jeunes poser ; leurs pratiques ne sont pas spontanément
enfants. Le propos vise à mettre en lumière les interrogées car elles sont perçues comme neutres.
modes de construction du genre dès la prime Les distinctions réalisées seraient justifiées par le
enfance. Deux vecteurs de socialisation sont ici caractère individuel des enfants ou par leur âge.
étudiés : les structures collectives d’accueil des Une anecdote souligne l’écart entre cette idée et
jeunes enfants et les parents. Dans l’introduction, la réalité : derrière la directrice, qui énonce à
après avoir rappelé leur cadre de référence, notam- l’enquêtrice le principe d’indifférence, se situent les
ment composé des « pionnières » Simone de dossiers des enfants, roses pour les filles et bleus
Beauvoir (1) et Elena Gianini Belotti (2), les auteu- pour les garçons. Le monde est donc bien, dans les
res convoquent trois sciences : la psychologie, qui crèches comme ailleurs, divisé en deux. La beauté
envisage la construction de l’identifiée (notamment est valorisée chez la fille, la motricité chez le garçon.
sexuée), la sociologie, qui réfléchit en terme Sous couvert de besoins individuels différents, sont
d’organisation du pouvoir, l’économie qui pense la proposés aux filles et aux garçons des jeux différents ;
répartition des ressources. L’ouvrage s’articule pour les mêmes jeux, les garçons sont davantage
autour de trois grandes parties : les enfants à la encouragés dans leurs efforts. La gestion des conflits
crèche, les professionnel-le-s, la place des pères. montre également une naturalisation des comporte-
Le premier chapitre, « Le quot;jeu librequot; en crèche, une ments : les professionnelles sont plus tolérantes à
expression des rapports sociaux de sexe ? », rédigé par l’égard de l’agressivité des garçons qu’à celle des
Dominique Golay, étudie les « jeux libres », censés filles. Le genre s’avère donc une grille de lecture
permettre le développement de la personnalité et implicite utilisée par les professionnelles.
l’épanouissement des enfants. L’auteure note que Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Nadine
les règles, symboles et normes véhiculés dans ces Plateau relate une expérience de formation sur le
jeux reproduisent des stéréotypes sexués ; ainsi, en genre dispensée à des enseignants. À la fois théo-
l’absence d’intervention des adultes, les enfants riques ou basés sur l’expérience d’étudiants, ces
reproduisent des rapports de domination. L’inter- modules devaient éveiller les participants aux iné-
vention des adultes ne résout d’ailleurs pas forcé- galités entre les sexes, dans les sphères domestiques,
ment la question. En effet, Geneviève Cresson a professionnelles et scolaires. Les intervenantes ont
(1) Le deuxième sexe, Gallimard, 1949.
(2) Du côté des petites filles, Éditions des femmes, 1976 (traduction française).
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