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L'acteur au centre
Que peut-il y avoir de commun entre Ma Chambre froide de Joël Pommerat
et Les Quatre Jumelles de Capi, mis en scène par Jean-Michel Rabeux ?
L'installation d'une sorte d'arène, d'une aire de jeu circulaire entourée de
gradins, qui place V acteur au centre, dans les ateliers Berthier de l'Odéon
comme sur le plateau du Théâtre de la Bastille.
JOËL POMMERAT
MA CHAMBRE FROIDE
Odéon-Théâtre de l'Europe
Jusqu'au 24 juin
COFI
LES QUATRE JUMELLES
Mise en scène de Jean-Michel Rabeux
Théâtre de la Bastille
Jusqu'au 23 juin
La dernière saison de l'Odéon-Théâtre de
son remplacement par Luc Bondy, se clôt
d'aussi belle manière qu'elle s'est déroulée. Avec
le festival « Impatience », elle a fait découvrir
de prometteuses jeunes compagnies. Elle permet
actuellement d'apprécier la mise en scène de
Mademoiselle Julie par Frédéric Fisbach libérée
de la pression d'Avignon (I), de voir ou de revoir
Ma Chambre froide, déjà créé aux ateliers
Berthier en mars 2011 et présente ensuite en
une longue tournée devant des salles toujours
combles. Cette reprise exceptionnelle a été
associée à celle de Cercles/Fictions, datant de
janvier 2010 : Joël Pommerat était alors artiste
associé aux Bouffes du Nord, avant de le devenir
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THÉÂTRE
MONIQUE LE Roux
l'Europe programmée par Olivier Py, avant
à l'Odéon pour trois saisons ; en 2013, il pro-posera
une nouvelle création et la reprise de
Cendrillon (2).
Joël Pommerat, jusqu'alors adepte d'un
rapport scène/salle frontal, avait innové aux
Bouffes du Nord, grâce à l'espace d'inspiration
élisabéthaine conçu par Peter Brook. Pour la
première fois il avait créé un spectacle sur
une aire de jeu circulaire et l'avait appelé
Cercles/Fictions (3), sans que son processus
artistique permette d'établir l'antériorité d'un
élément sur un autre. Ainsi parmi de courtes his-toires,
alternées en brèves séquences, du Moyen
Âge à l'époque contemporaine (en 2009), un
« présentateur », organisateur du « jeu de
l'Infini », proposait « de prendre place ici à sa
place au centre / au centre / de ce cercle... Au
centre du cercle ». Pour Ma Chambre froide, le
même dispositif a été repris, avec un plateau
tournant qui varie les points de vue et contribue
parfois, par sa lente rotation, à une atmosphère
onirique. Il donne une réalisation concrète à la
préoccupation première de Joël Pommerat :
« placer l'acteur dans le temps de l'instant, et
dans un rapport à l'espace qui l'entoure et à ces
autres présences qui l'environnent (4) ».
« Ça va pas être simple de retracer cette
histoire et tous ces événements mais je vais
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essayer quand même. Je vais faire tout ce que je
peux. Ce que j'aurais envie de dire pour débuter,
pour démarrer, c'est que dans la vie tout est
fiction... Je sais pas mieux dire, oui. Tout est
fiction. Avec le recul c'est pas facile de s'y
retrouver dans la masse des réalités (5) » : une
voix dans l'obscurité commence ainsi le récit
d'épisodes reconstitués à travers un journal, celui
d'Estelle disparue dix ans auparavant, évoqués
de manière linéaire jusqu'au retour à la période
contemporaine et à la réapparition d'Estelle dans
les dernières scènes. Cette jeune femme fait
partie des sept employés d'un magasin, mais
diffère de ses collègues par son altruisme, sa
générosité, son empathie envers les autres, qui
ne manquent pas de l'exploiter et de la harceler,
à l'exemple du patron. À la suite de divers rebon-dissements,
théâtrale collective et protagoniste d'une intrigue
policière, elle va se comporter de manière
toujours plus incompréhensible pour son entou-rage,
pire persécutrice, narratrice du récit, semble à la
fois donner une explication simple à sa conduite
et révéler une ambivalence insoupçonnée : « On
dit qu'Estelle AIME plus que tout faire le bien
mais que, décidément, elle est peut-être surtout
très AMOUREUSE du mal... »
Un rythme de feuilleton, en séquences ellip-tiques,
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devenue initiatrice d'une création
jusqu'à ce que son journal, transmis à sa
prouve une nouvelle fois l'éblouissante
virtuosité de la compagnie, de ses techniciens
(associés à ceux de l'Odéon) et de ses acteurs,
partenaires inséparables des origines, agrégés en
évidente harmonie à des comédiens belges, Joël
Pommerat étant aussi artiste associé au Théâtre
national de Bruxelles : Jacob Ahrend, Saadia
Bentaïeb, Agnès Berthon, Lionel Codino, Ruth
Olaizola, Frédéric Laurent, Serge Larivière,
Marie Piemontese, Dominique Tack. Dans une
totale obscurité, puis grâce aux lumières du scé-nographe
Éric Soyer, se réalisent le passage
virtuose, parfois au son d'une musique rock
(François Leymarie et Grégoire Leymarie), d'une
scène d'hôpital à une évocation de rêve, la méta-morphose
d'un directeur d'abattoir en ours
polaire (costumes d'Isabelle Deffin). Le partage
du même amphithéâtre par les spectateurs sur les
gradins et les acteurs sur l'arène accentue la
magie et crée une fascination quasi hypnotique.
« Nous cherchons à montrer, pas à démontrer et
nous pouvons montrer sans vraiment compren-dre,
ni chercher à faire comprendre » : ainsi s'ex-plique
le nom de « Louis Brouillard » choisi pour
la compagnie, en opposition avec la « clarté »
d'un certain « esprit français », avec « un
fantasme de domination par le mot, par le texte ».
Son processus de création justifie l'affirmation
de Joël Pommerat : « Je n'écris pas de pièces,
j'écris des spectacles (6). » Mais après une éla-boration
longuement poursuivie et les premières
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séries de représentations, les textes sont publiés
et donc lus, sans le sortilège du plateau. Alors
qui attend dans Ma Chambre froide, du travail
de palimpseste, non seulement sur Le Songe
d'une nuit d'été et Mesure sur mesure de
Shakespeare, mais surtout sur Sainte Jeanne des
abattoirs et La Bonne Âme de Se-Tchouan de
Brecht, une « clarté » autre que celle purement
réduite au rationalisme, reste quelque peu perdu
quant à l'interprétation de ces réécritures et leur
excès de références.
Dans Les Quatre Jumelles, dans les pièces de
Copi, il n'y a rien à comprendre rationnellement,
d'où un accueil perplexe, du vivant de l'auteur
(mort en 1987), contrastant avec le succès de « La
femme assise » dans Le Nouvel Observateur.
Jean-Michel Rabeux rappelle, dans le pro-gramme
était inadmissible à la plupart, un pédé, une folle,
un étranger, un insolent, un amoureux, et il
faisait, en français, un théâtre étranger, pédé,
folle, drogué et insolent. » II aurait pu ajouter
« travesti » ; il fait mieux : au lieu des magni-fiques
de la création au Palace (en 1973), il compose
un quatuor identique avec une femme, la grande
Claude Degliame, et trois hommes, grimés,
coiffés des mêmes perruques blanches ébourif-fées.
fois de son inventivité dans les costumes, les
maquillages, comme dans la scénographie. Au
milieu de l'arène, il a placé une sorte de céno-taphe
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de son spectacle à la Bastille, cette situa-tion
qui a manifestement motivé son choix : « II
actrices distribuées par Jorge Lavelli, lors
Pierre-André Weitz témoigne une nouvelle
rond, où s'affalent régulièrement telle ou
telle jumelle ou les quatre ensemble sous l'effet
des coups échangés, des piqûres d'héroïne, de
cocaïne ou de camphre, où elles tombent suc-cessivement,
mortes et ressuscitées, autour
duquel elles se cherchent ou s'esquivent dans une
poursuite achevée par un irrésistible défilé de
vieilles majorettes. La mise en scène choisit ainsi
d'effacer l'apparente opposition entre Maria
(Marc Mérigot) et Leïla Smith (Georges
Èdmont), riches habitantes d'une belle maison,
Joséphine (Claude Degliame) et Fougère
Goldwashing (Christophe Sauger), pauvres
errantes prêtes à s'employer auprès des deux
autres. Elle privilégie leur commune condition
marginale d'impliquées dans des affaires de
casses ou de meurtres, partageant le même voca-bulaire
et ses injures récurrentes : « Salope »,
« Ordure » (7). Surtout elle fait triompher une
réjouissante théâtralité. I
1. Cf. QL du 1er septembre 2011 ; le spectacle
de Frédéric Fisbach, Mademoiselle Julie, est
représenté jusqu'au 24 juin.
2. Cf. QL du 15 novembre 2011.
3. Joël Pommerat, Cercles/Fictions, Actes Sud-
Papiers, 2010 ; le spectacle a été repris à l'Odéon
du 23 mai au 3 juin 2012.
4. Joël Pommerat, Théâtres en présence, Actes
Sud-Papiers, 2007.
5. Joël Pommerat, Ma Chambre froide, Actes
Sud-Papiers, 2011.
6. Joëlle Gayot, Joël Pommerat, Joël Pommerat,
troubles, Actes Sud, 2009.
7. Copi, Les Quatre Jumelles, Christian Bourgois
1973 ; Théâtre I, Christian Bourgois, 1999.
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