Par Alexandre Giuglaris, délégué général de l'Institut pour la Justice. L’actuel Gouvernement a décidé dans le domaine de la justice
pénale de mettre fin au projet de construction de 24 000 places de prison prévu dans la loi de programmation relative à l’exécution des peines votée début 2012. Cette décision, annoncée durant la campagne présidentielle, doit aujourd’hui être questionnée, en particulier sur le plan des principes et des valeurs.
3. Politique pénitentiaire : réconcilier éthique de conviction et éthique de responsabilité
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Un débat biaisé
L’actuel Gouvernement a décidé dans le domaine de la justice
pénale de mettre fin au projet de construction de 24 000 places de
prison prévu dans la loi de programmation relative à l’exécution
des peines votée début 2012. Cette décision, annoncée durant la
campagne présidentielle, doit aujourd’hui être questionnée, en
particulier sur le plan des principes et des valeurs.
Un relatif consensus médiatique et politique existe, pour certains,
autour d’un postulat, pourtant largement contestable, la prison
favorise la récidive et est « indigne de la République ». Cette idée que
plus personne ne songe à contester est révélatrice de ce qu’Elisabeth
Noëlle-Neumann nomme une « spirale du silence » :
« On peut conclure qu’une minorité convaincue de sa
domination future, et, par suite, disposée à s’exprimer, verra son
opinion devenir dominante, si elle est confrontée à une majorité
doutant que ses vues prévalent encore dans le futur, et donc
moins disposée à les défendre en public »1
.
Ce qu’Elisabeth Noëlle-Neumann suggère avec ce concept
de « spirale du silence », c’est qu’une opinion, même majoritaire,
tend à décliner lorsqu’elle se sent minoritaire. L’inverse étant
vérifié également. Il semble que les débats sur la prison se prêtent
particulièrement bien à la vérification empirique de ce concept.
En effet, c’est une véritable « spirale du silence » qui entoure
aujourd’hui les débats sur la politique pénale et en particulier sur
la question des prisons. Des intérêts et des opinions médiatiques et
politiques, pourtant minoritaires, convergent dans un seul sens, celui
d’une véritable difficulté à accepter l’utilité et la nécessité de la
prison dans notre société.
L’inconvénient de cette situation est que tout débat public est par
essence biaisé car l’information de l’opinion publique est parcellaire
et orientée ce qui nuit à l’objectivité, voire à la neutralité scientifique
de tout débat. Il n’est pour s’en convaincre, qu’à prendre un exemple
particulièrement éclairant. En octobre 2011, le journal Le Monde
publie un dossier au titre choc : « Comment les prisons françaises
fabriquent de la récidive ». à partir d’une étude statistique de qualité
de l’administration pénitentiaire, Le Monde tire deux conclusions
réductrices et contestables : une première (« les prisons fabriquent de
la récidive ») qui ne peut pas être déduite de l’étude, et une seconde
(« plus les condamnés restent enfermés, plus ils récidivent en sortant »)
que les auteurs de l’étude appellent précisément à ne pas tirer. En
effet, Annie Kensey et Abdelamlik Benaouda sont très clairs dans leur
étude2
:
« Les résultats n’indiquent pas forcément un lien de causalité
(entre aménagement de peine et taux de récidive) ».
Pourtant, malgré les précautions scientifiques des auteurs, cette
étude est devenue la référence incontournable tendant à mettre
1 Elisabeth Noëlle-Neumann. « L’opinion publique entre apathie et mobilisation : la spirale du
silence », dans L’Opinion publique. Dir. Nicole d’Almeida. Les essentiels d’Hermès. CNRS Éditions.
2 Annie Kensey et Abdelamlik Benaouda. « Les risques de récidive des sortants de prison. Une
nouvelle évaluation », dans les Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques.
Des intérêts et des
opinions médiatiques
et politiques, pourtant
minoritaires, convergent
dans un seul sens, celui
d’une véritable difficulté
à accepter l’utilité et la
nécessité de la prison
dans notre société.
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Page 4 – Mai 2013 Politique pénitentiaire : réconcilier éthique de conviction et éthique de responsabilité
en lumière la responsabilité de la prison dans l’aggravation du taux
de récidive des personnes incarcérées. Elle est citée par tous les
opposants à l’accroissement de notre parc carcéral ainsi que par
ceux qui sont philosophiquement ou intellectuellement opposés à la
possibilité même de mettre à l’écart de la société des personnes qui
pourtant le méritent en raison de leurs actes délictuels ou criminels.
La prison a mauvaise presse, c’est incontestable. Parce qu’en
dehors de faciliter la récidive (la prison serait évidemment l’école du
crime), la prison révèlerait les échecs individuels dont la société serait
l’unique responsable.
Là encore, un discours convenu, et pourtant largement répandu,
explique que les causes de la délinquance (et donc parfois
d’incarcération légitime) sont à trouver dans les origines et conditions
sociales des individus. Faisant fi des études montrant que le taux de
pauvreté est plus bas dans certaines zones rurales qu’en Seine-Saint-
Denis3
, « la “culture de l’excuse” a conduit l’intelligentsia à ignorer le
parti de la victime pour prendre trop souvent le parti du délinquant ».
Cette phrase est d’Hervé Algalarrondo, rédacteur en chef adjoint
au Nouvel Observateur, qui ajoute :
« Croire, comme les bien-pensants, que le retour du plein-emploi,
d’une part, le recrutement massif d’éducateurs sociaux, d’autre
part, permettraient d’en finir avec la délinquance s’apparente
à une douce utopie. À rebours de l’angélisme propagé par Mai
68, il faut réhabiliter la norme, et son corollaire, la sanction »4
.
Or, on sait pourtant depuis le XVIIIe
siècle avec Cesare Beccaria
et son ouvrage Des délits et des peines, que la sanction (et donc la
justice) pour être crédible et respectée, doit être rapide, certaine et
prévisible. Pour parvenir à cet objectif indispensable dans un état de
droit qui garantit à chaque citoyen son droit à la sécurité, le droit à
la sûreté étant en effet un droit naturel et imprescriptible de l’Homme
depuis la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789
et donc par extension un droit constitutionnel aujourd’hui ; notre
pays a besoin d’une politique pénitentiaire ambitieuse menant à la
construction de 20 000 à 30 000 places de prison.
A. Pourquoi construire 20 000 places ?
Avant de répondre à cette question essentielle, il faut d’abord
battre en brèche une idée, qui, si elle ne cesse d’être répétée, n’en
est pas, pour autant, devenue une vérité. Il s’agit de cette idée selon
laquelle la France aurait connu, ces dernières années, une politique
de « tout carcéral ». La simple évocation de cette expression mériterait
de la part de ceux qui l’emploient, une explication minimale, mais
contentons-nous d’observer quelques chiffres pour remettre en cause
cette idée fausse.
Commençons par comparer la situation française à celle de nos
voisins européens. On observe ainsi que le tout carcéral est un mythe
3 Voir à ce sujet des rapports de l’IGAS ou de l’INSEE sur les taux de pauvreté et l’analyse de
Christophe Guilluy dans Fractures françaises, François Bourin Éditeur.
4 Hervé Algalarrondo. Sécurité : la gauche contre le peuple. Robert Laffont
La prison a mauvaise
presse, c’est
incontestable. Parce
qu’en dehors de faciliter
la récidive (la prison
serait évidemment
l’école du crime), la
prison révèlerait les
échecs individuels dont
la société serait l’unique
responsable.
5. Politique pénitentiaire : réconcilier éthique de conviction et éthique de responsabilité
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vivace mais parfaitement erroné. Ainsi, selon les statistiques pénales
annuelles du Conseil de l’Europe et le rapport parlementaire d’éric
Ciotti sur l’exécution des peines, la France compte 96 détenus pour
100 000 habitants contre 106 en Italie, 152 au Royaume-Uni et 173
en Espagne pour une moyenne européenne de 143 pour 100 000
habitants, donc bien au-dessus du niveau français.
Plus intéressant encore, les capacités carcérales pour 100 000
habitants, c’est-à-dire le nombre de places est de 83 pour 100 000
habitants en France contre 97 en Allemagne, 113 en Espagne et
155 au Royaume-Uni pour une moyenne européenne, là encore
supérieure au niveau français de 138 pour 100 000 habitants. Notre
pays est donc, comparativement aux niveaux européens, très loin de
connaître une politique de « tout carcéral ».
Mais au-delà des comparaisons, quelques chiffres, propres à notre
pays, donnent également un ordre de grandeur des besoins et des
réalités de l’administration pénitentiaire de notre pays ; bien loin des
discours convenus sur le « tout carcéral ». Ainsi, au 31 décembre 2012,
le France comptait pas moins de 99 600 peines de prison en attente
d’exécution. Enfin, sur les 1,4 million d’infractions qui font l’objet d’un
traitement ou d’une poursuite, environ 10 % aboutissent à une peine
de prison (123 000 peines de prison fermes prononcées en 2010),
sachant que 20 % de ces peines de prison ferme prononcées ne sont
pas exécutées. Tout cela sans parler évidemment des libérations
conditionnelles, des crédits de réduction de peine automatiques et
supplémentaires qui permettent à un détenu de réduire sa peine de
prison de 5 à 6 mois chaque année.
Ces quelques chiffres donnent la mesure des marges de progrès
qu’il y a accomplir dans le domaine de l’exécution des peines, en
particulier pour les peines de prison. Mais il convient à présent de
répondre à notre questionnement.
B. Pourquoi punir, pourquoi emprisonner ?
L’objectif principal que l’on doit assigner à une politique pénale
et à une politique pénitentiaire est de parvenir à concilier l’éthique
de responsabilité et l’éthique de conviction que le grand sociologue
Max Weber mettait en avant dans son essai, le Savant et le politique.
Le propre du politique est bien de concilier ces exigences à la fois
morale, intellectuelle et politique.
Les critiques systématiques à l’égard de la prison et d’une
politique pénitentiaire, qui atteindrait au moins le niveau moyen
européen, au nom de la lutte contre ce prétendu « tout carcéral »
et de « valeurs humanistes » là encore, prétendument généreuses et
supérieures ; vont pourtant précisément à l’encontre de l’humanisme
qui se convainc de l’utilité de la peine, utilité pour le condamné tout
d’abord, mais également pour la victime et pour la société dans son
ensemble.
Si certains se parent du costume de défenseurs des grands principes
et notamment des droits de l’Homme, c’est qu’ils méconnaissent à
la fois ces grands principes qui animent notre éthique de conviction
Si certains se parent du
costume de défenseurs
des grands principes et
notamment des droits
de l’Homme, c’est qu’ils
méconnaissent à la fois
ces grands principes qui
animent notre éthique
de conviction mais
également la réalité
de la situation de la
délinquance.
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Page 6 – Mai 2013 Politique pénitentiaire : réconcilier éthique de conviction et éthique de responsabilité
mais également la réalité de la situation de la délinquance dans
notre pays et de nos prisons qui doivent, elles, déterminer le niveau
ou l’éthique de responsabilité de nos dirigeants politiques.
Il n’est que temps que cessent les débats idéologiques et les
postures sur les questions de sécurité et de prisons. À titre d’exemple,
on ne parle des prisons que comme de cachots du XIXe
siècle en
mettant en avant certains établissements pénitentiaires effectivement
indignes mais en occultant le fait que plus de la moitié de notre parc
pénitentiaire a moins de trente ans, grâce aux différents programmes
de construction lancés en 1986, 1994 et 2002.
La responsabilité politique aujourd’hui est de poursuivre un vaste
plan de construction de prison en dégageant les moyens nécessaires
à cette prérogative régalienne de l’état. Construire 20 000 à 30 000
places de prison supplémentaires permettrait ainsi de répondre à
l’ensemble des défis qui se posent en matière pénale et pénitentiaire.
Cela permettrait de mettre fin aux situations d’indignité des
détenus et d’améliorer les possibilités d’encellulement individuel.
Mais cela permettrait aussi d’appliquer, enfin, les peines de prison
qui sont prononcées. On entend souvent évoquer, avec inquiétude
ou agacement, la question de la séparation des pouvoirs dans notre
pays. Or, en refusant de construire des places de prison, on condamne
les juges à ne pas voir les peines de prison qu’ils prononcent, mises à
exécution et l’on nuit ainsi à la crédibilité de l’autorité judiciaire.
Le manque de places de prison conduit également au
développement systématique des aménagements de peine avant
leur exécution. Ces aménagements de peine mis en œuvre par le
juge d’application des peines créent une « justice aux deux visages »
qui transforme en toute discrétion les peines prononcées devant la
société. En effet, la sanction prononcée publiquement dans l’enceinte
d’une juridiction devant les victimes et la société toute entière, n’est
pas forcément celle qui sera mise en œuvre, car elle est aménagée
en toute discrétion après le prononcé. Si l’on se refuse à voir le fossé
entre la justice et les citoyens se creuser davantage, préoccupation
sur laquelle tout décideur public doit pouvoir se retrouver, il faut que
les aménagements de peine cessent d’être effectués dans une
relative obscurité et avec pour principale préoccupation d’éviter la
surpopulation carcérale. Là encore, la seule solution crédible et ne
menaçant pas la sécurité quotidienne, revient à augmenter notre
parc pénitentiaire sous dimensionné.
Enfin, la prison répond à d’autres fonctions que l’on n’évoque
pratiquement jamais dans le débat public, tant la préoccupation
première semble être de demander à la prison de réinsérer les
détenus. Pourtant, la prison a une fonction sociale essentielle au
sein de la société, elle vient réaffirmer que le non-respect des règles
communes doit être sanctionné. Cette fonction de communication
de la prison avait d’ailleurs été analysée par émile Durkheim dans
l’éducation morale. Ainsi, punir c’est communiquer pour rappeler à
la société la nécessité de respecter la loi.
Cette fonction de communication est par ailleurs, intimement
liée à la fonction de dissuasion de la prison, dissuasion qui s’applique
aussi bien aux délinquants qu’à la société toute entière. En effet, un
Si l’on se refuse à
voir le fossé entre la
justice et les citoyens
se creuser davantage,
préoccupation sur
laquelle tout décideur
public doit pouvoir se
retrouver, il faut que
les aménagements de
peine cessent d’être
effectués dans une
relative obscurité et
avec pour principale
préoccupation d’éviter
la surpopulation
carcérale.
7. Politique pénitentiaire : réconcilier éthique de conviction et éthique de responsabilité
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individu ayant eu à connaître une détention, réfléchira peut-être à
deux fois avant de récidiver s’il ne souhaite pas retourner en prison.
De même, cette fonction de dissuasion est particulièrement vérifiée
auprès de la population dans son ensemble. Enfreindre la règle
commune, c’est prendre le risque d’être condamné à une privation
de liberté. La crainte de la sanction, en particulier si elle est certaine
et rapide, est une idée qui n’a rien de novateur, Beccaria en a
ainsi beaucoup parlé. Il serait cependant utile de renouer avec ce
principe aujourd’hui.
La prison a, pour terminer, un rôle de neutralisation des délinquants
et criminels qui est essentiel. En écartant certains individus de la
société, on peut les aider à se réinsérer (ou à racheter leur faute),
mais on permet aussi de renforcer la sécurité commune. De
nombreuses études concordantes au niveau international ont mis en
évidence l’existence d’un noyau dur de la délinquance. Ce noyau
dur de 5 % des délinquants serait responsable d’environ 50 % des
crimes et délits. Il est donc indispensable de crédibiliser la réponse
pénale en construisant de nouvelles places de prison pour réduire la
délinquance.
La politique pénitentiaire ne doit plus être l’objet de débats
idéologiques dont les principaux intervenants seraient uniquement
animés par une éthique de conviction centrée sur les détenus, mais
doit, au contraire, être réappropriée par les décideurs politiques.
Ceux-ci peuvent réussir à concilier éthique de conviction et éthique
de responsabilité car construire des places de prison supplémentaires,
c’est à la fois conforter la dignité des détenus sans renoncer à une
politique de sécurité efficace, mais c’est aussi assurer la séparation
et le respect de l’autorité judiciaire tout en répondant aux attentes
légitimes des Français en matière d’exécution des peines.
C’est donc bien le nombre de places de prison qui doit être
adapté aux besoins de notre justice et non le nombre de détenus
et de peines prononcées qui doivent être réduits pour tenir compte
du nombre de places de prison, comme le suggère la proposition de
création d’un « numerus clausus » dans les prisons. On doit aujourd’hui
définitivement sortir de la « spirale du silence » pour permettre de
concilier idéaux humanistes et responsabilités politiques en matière
de politique pénale et pénitentiaire.
On doit aujourd’hui
définitivement
sortir de la « spirale
du silence » pour
permettre de concilier
idéaux humanistes
et responsabilités
politiques en matière
de politique pénale et
pénitentiaire.
8. Édité par l’Institut pour la Justice - Association loi 1901 - 140 bis, rue de Rennes - 75006 PARIS - www.institutpourlajustice.org
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