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Définitions
Le mot sauvage dans le Larousse en ligne :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sauvage/71199?q=sauvage#70427
S'est dit des groupes humains qui se sont développés à l'écart des sociétés évoluées et dont le
mode de vie est resté primitif ; se dit aussi de ce qui leur est propre : « Une peuplade sauvage ».
Se dit de quelqu'un qui n'a pas le comportement social, l'attitude morale attendus dans une
société civilisée : « Quel sauvage ! Il aurait pu s'excuser ».
Qui fuit les contacts humains et mène une vie solitaire : « Un homme devenu sauvage avec l'âge ».
Qui est violent, brutal, cruel : « Il devient sauvage quand ses intérêts sont en jeu ».
Etymologie : du latin selvaticus : celui qui habite la forêt : silva
Le mot ethnocentrisme dans le Larousse en ligne :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ethnocentrisme/31406?
q=ethnocentrisme#31340
Tendance à privilégier les normes et valeurs de sa propre société pour analyser les autres sociétés.
Le mot ethnocentrisme dans Wikipédia :
• http://fr.wikipedia.org/wiki/Ethnocentrisme
Concept ethnologique ou anthropologique qui a été introduit par W.G. Sumner. Il signifie « voir
le monde et sa diversité à travers le prisme privilégié et plus ou moins exclusif des idées, des
intérêts et des archétypes de notre communauté d'origine, sans regards critiques sur celle-ci »1
1
Pierre-André Taguieff. Dictionnaire historique et critique du racisme, PUF, 2013.
• http://fr.wikipedia.org/wiki/Sauvage
Claude Lévi-Strauss rappelle que l'attitude la plus ancienne et la plus spontanée consiste à
« répudier purement et simplement les formes culturelles » qui sont les plus éloignées des nôtres.
Sans crainte de la contradiction, nous parlerons d'« habitudes de sauvages ». Des manières de
vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères, ou qui nous paraissent telles, remettent en
cause la nécessité de nos propres conceptions, nous rappellent que ce qui nous paraît aller de soi
est finalement l'expression d'un conditionnement toujours fragile. Paradoxalement, nous rejetons
l'autre dans la nature au moment où il nous rappelle que nous sommes très peu naturels. Plus
simplement, une autre norme que la nôtre est d'abord perçue comme absence de norme, ou
anormalité. Selon Lévi-Strauss, toujours, il y a derrière des épithètes comme barbare, dans
l'Antiquité, ou sauvage, actuellement, un même jugement : le terme sauvage, qui veut dire de la
forêt, évoque un genre animal, comme le Barbare était celui qui, ne parlant pas grec, était réputé
ne pas disposer de langage humain. « Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la
diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se
conforme pas à la norme sous laquelle on vit ». Or, écrit Lévi-Strauss, cette attitude est justement
l'attitude distinctive de ces prétendus sauvages mêmes. […] « C'est dans la mesure même où l'on
prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l'on s'identifie le plus
complètement avec celles qu'on essaye de nier ». « Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la
barbarie ». […]Lévi-Strauss voit dans l'ethnocentrisme une forme d'inculture, faite d'indifférence
(ou d'hostilité) aux autres formes culturelles que les nôtres.
Sitographie sur le « Sauvage »
• Musée Poitou-Charente :
http://www.oceaniedeslumieres.org/D_mythe_bon_sauvage.asp
Les découvertes des mondes nouveaux, du XVe au XVIIIe siècle, ont permis aux Européens de
déceler l'existence de sociétés humaines considérées comme sauvages, car les critères de
civilisation de ceux qui les observaient étaient différents. Dans les relations des voyageurs ou les
descriptions des missionnaires (ethnographes par nécessité) apparaissent des oppositions entre les
vertus naturelles, la simplicité de ces prétendus sauvages et la corruption liée à la civilisation
européenne. Les comportements de ces populations sont mythifiés parce qu'elles ne connaissent
pas les maux des civilisés.
Les constats d'absence (peuples sans histoire, sans écriture, sans religion ni mœurs et sans police)
ont pour effet de valoriser la force des sociétés cultivées. D'une façon contradictoire, l'homme
social désenchanté envie le bonheur de ces hommes qui vivent près de la nature.
En fait, ce mythe du bon sauvage est le résultat d'une opposition entre les concepts de Nature et
Culture révélé par les philosophes et écrivains durant quasiment trois siècles.
Parmi eux, Montaigne, Ronsard d'abord, puis Lafitau, Montesquieu, Rousseau et Diderot
évoqueront les qualités attribuées à ces sociétés.
Cette vision idéalisée des primitifs s'estompe avec les recherches ethnographiques au 19e siècle en
même temps que la colonisation cherche à tirer profit de valeurs qui n'ont rien de
socioculturelles.
• Monuments nationaux :
http://www.monuments-
nationaux.fr/fichier/edu_doc/96/doc_pdf_fr_outil.le.mythe.du.bon.sauvage.pdf
A la fin du XVe siècle, les grands voyages (Christophe Colomb découvre l’Amérique en 1492,
Vasco de Gama les Indes en 1497, Magellan le Canada en 1519), et les récits qui en résultent,
révèlent l’existence d’autres peuples, d’autres cultures. Les Européens prennent alors conscience
qu’ils ne sont pas seuls au monde et qu’il existe d’autres façons de vivre. Au XVIe siècle,
Montaigne* fait l’éloge du « bon sauvage », cet homme représentatif de l’ailleurs, de l’autre
monde, cet individu resté à l’état de nature, remarquable par ses qualités morales. Au XVIIIe
siècle, les récits de voyages (Voyage autour du monde de Bougainville - 1771, Les six voyages de
Jean-Baptiste Tavernier, Voyage en Perse et en Inde orientale de Jean Chardin) se multiplient et
continuent à propager l’image idyllique du « bon sauvage », symbole d’un paradis perdu.
Mais cette représentation relève du « mythe » au sens étymologique, soit une fable, une légende,
comme le souligne Rousseau dans la préface de son Discours sur l’origine des inégalités : « ...un
état qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé, qui probablement n’existera jamais... ». *dans
ses essais, Des cannibales et des coches
1.
MONTAIGNE ET LE MYTHE DU BON SAUVAGE
« Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette
nation, à ce qu’on m’en a rapporté ; sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son
usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que
l’exemple et l’idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite
religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même
que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits :
là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice, et détournés de l’ordre
commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les
vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-cy,
et les avons seulement accommodées au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant, la saveur
même et délicatesse se trouve à notre goût excellente, à l’envi des nôtres, en divers fruits de ces
contrées-là sans culture. Ce n’est pas raison que l’art gagne le point d’honneur de sur notre
grande et puissante mère Nature. Nous avons tant rechargé la beauté et la richesse de ses
ouvrages par nos inventions, que nous l’avons tout étouffée. Si est-ce que partout où sa pureté
reluit, elle fait merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises. » Montaigne, Essais , « Des
cannibales », I, 31
Montaigne joue sur la polysémie des adjectifs « sauvage » et « barbare »*, tantôt connotés de
manière dépréciative, tantôt colorés d’une teinte méliorative. Selon lui, les peuples qualifiés de «
barbares » ne le sont que dans la mesure où leurs usages, leur façon de vivre diffèrent de celles
des Européens. Ce ne sont pas des hommes cruels, féroces mais plutôt des hommes en
adéquation avec la nature, contrairement aux Européens que la civilisation a pervertis. *barbare :
du grec barbaros ce qui est étranger, qui a d’autres usages, un autre mode de vie.
2.
ROUSSEAU ET LE MYTHE DU BON SAUVAGE
« Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à
coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages,
à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs fl
èches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers
instruments de musique ; en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul
pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils
vécurent libres, sains, bons, et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et
continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais dès l’instant
qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul
d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint
nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la
sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec
les moissons. »
Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes(1755)
Dans ce texte, Rousseau présente l’état de nature comme un état idyllique, un âge d’or. Selon lui,
le progrès, la civilisation, corrompent cet état primitif et ne créent que du désagrément pour
l’homme. Il rejoint ainsi la thèse énoncée par Montaigne.
3.
VOLTAIRE ET LE MYTHE DU BON SAUVAGE
« Tous les hommes qu'on a découverts dans les pays les plus incultes et les plus affreux vivent en
société comme les castors, les fourmis, les abeilles, et plusieurs autres espèces d'animaux. On n'a
jamais vu de pays où ils vécussent séparés, où le mâle ne se joignît à la femelle que par hasard, et
l'abandonnât le moment après par dégoût ; où la mère méconnût ses enfants après les avoir
élevés, où l'on vécût sans famille et sans société. Quelques mauvais plaisants ont abusé de leur
esprit jusqu'au point de hasarder le paradoxe étonnant que l'homme est originairement fait pour
vivre seul comme un loup-cervier, et que c'est la société qui a dépravé la nature. Autant voudrait-
il dire que dans la mer les harengs sont originairement faits pour nager isolés, et que c'est par
excès de corruption qu'ils passent en troupe de la mer Glaciale sur nos côtes ; qu'anciennement
les grues volaient en l'air chacune à part, et que par une violation du droit naturel elles ont pris le
parti de voyager en compagnie. Chaque animal a son instinct, et l'instinct de l'homme, fortifié par
la raison, le porte à la société comme au manger et au boire. Loin que le besoin de la société ait
dégradé l'homme, c'est l'éloignement de la société qui le dégrade. Quiconque vivrait absolument
seul perdrait bientôt la faculté de penser et de s'exprimer : il serait à charge de lui-même ; il ne
parviendrait qu'à se métamorphoser en bête... Le même auteur ennemi de la société, semblable au
renard sans queue, qui voulait que tous ses confrères se coupassent la queue, s'exprime ainsi d'un
style magistral : Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : " Ceci est à moi" et trouva
assez de gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes,
de guerres, de meurtres, que de misères, que d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui
qui arrachant les pieux ou comblant les fossés, eût crié à ses semblables : " Gardez-vous d'écouter
cet imposteur, vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à
personne."
Ainsi, selon ce beau philosophe, un voleur, un destructeur aurait été le bienfaiteur du genre
humain et il aurait fallu punir un honnête homme qui aurait dit à ses enfants : " Imitons notre
voisin, il a enclos son champ, les bêtes ne viendront plus le ravager, son terrain deviendra plus
fertile ; travaillons le nôtre comme il a travaillé le sien, il nous aidera et nous l'aiderons. Chaque
famille cultivant son enclos, nous serons mieux nourris, plus sains, plus paisibles, moins
malheureux. Nous tâcherons d'établir une justice distributive qui consolera notre pauvre espèce,
et nous vaudrons mieux que les renards et les fouines à qui cet extravagant veut ressembler. »
Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, article « Homme », 1770.
Voltaire compare ici les hommes « sauvages » à des animaux et plus particulièrement à des
animaux vivant en société, sur terre, dans les airs ou dans les mers. Ces bêtes, qui vivent en
colonie, démontrent ainsi qu’il est naturel de vivre en société et ce postulat s’applique également à
l’homme.
• site perso E. Kennel : http://elisabeth.kennel.perso.neuf.fr/le_mythe_du_bon_sauvage.htm
Les grands voyages et les récits de ces voyages sont à l'origine du mythe du bon sauvage. Dès la
fin du XVe siècle, Christophe Colomb, en 1492, Vasco de Gama en 1497, Magellan, en 1519,
Jacques cartier en 1534, avaient respectivement fait route vers l'Amérique, les Indes, le Canada.
Leurs carnets de voyage nous révèlent l'existence d'autres peuples, d'autres coutumes, d'autres
cultures, d'autres religions. L'Europe prend conscience qu'elle n'est plus seule au monde. Par
ailleurs, Nicolas Copernic ( 1473 - 1543) démontre que la terre est ronde et qu'elle tourne, puis
Galilée ( 1564-1642) prouve que la terre tourne autour du soleil. C'en est fini du géocentrisme,
c'est la naissance de l'héliocentrisme. Tous ces éléments révolutionnent les systèmes de pensée, la
diversité des hommes et des coutumes voit naître le relativisme.
Déjà Montaigne dans les Essais, plus particulièrement dans Des Cannibales et Des
Coches, nous dresse un portrait de ce que l'on appellera au dix-huitième siècle le "bon sauvage"
et nous vante les mérites de ces peuples purs et innocents, à l'inverse des Européens, vils et
cruels. Il fait l'éloge de leurs qualités morales, la loyauté, la franchise, le courage, la fermeté, la
constance, de leur bon sens, de leur habileté. Ils n'attachent à l'or et aux pierres précieuses qu'une
importance esthétique et ne s'en servent que pour rendre leurs villes plus belles Ils ne
connaissent ni l'envie ni la jalousie et ne se s'adonnent à aucune guerre de conquête. la propriété
privée n'existe pas plus que la notion de classe sociale. A la sagesse des "barbares" qui sont
hospitaliers et qui vivent tranquillement au sein d'une nature luxuriante, il oppose la cruauté des
Européens qui ne pensent qu'à s'enrichir, qu'à détruire, qu'à asservir. Il accuse les conquistadors
de pervertir ce " monde enfant", c'est déjà, au seizième siècle remettre en cause la colonisation, et
faire le procès des civilisations policées.
Extrait de Des Coches
" ... Que n'est tombé sous Alexandre ou sous sous ces ancien Grecs et Romains une si noble
conquête, et une si grande mutation et altération de tant d'empires et de peuples, sous des mains
qui eussent doucement poli et défriché ce qu'il y avait de sauvage, et eussent conforté et promu
les bonnes semences que nature y avaient produites.... Au rebours, nous nous sommes servis de
leur ignorance et inexpérience à les plier plus facilement vers la trahison, luxure, avarice et vers
toute sorte d'inhumanité et de cruauté, à l'exemple et patron de nos mœurs. ... Tant de villes
rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l'épée, et la plus
riche et la plus belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre !
Mécaniques victoires. Jamais l'ambition, jamais les inimitiés publiques ne poussèrent les hommes
les uns contre les autres à si horribles hostilités et calamités si misérables."
Cet extrait de Montaigne trouve son écho dans le discours du vieillard du Supplément qui met en
garde les Tahitiens contre les Européens et qui dénonce les effets pervers des Européens sur les
tahitiens
Au dix-huitième siècle
Les récits de voyages sont de plus en plus nombreux. Outre le récit de Bougainville, on
peut citer : Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier ( 1605-1689), qui retracent son périple
en Turquie, en Perse et en Inde ; Nouveaux mémoires sur l'état présent de la Chine, de
Louis Lecomte ( 1656-1729) ; Voyage en Perse et en Inde orientale de Jean Chardin
( 1643-1713) ; Dialogue de monsieur le Baron de Lahontan et d'un sauvage de
l'Amérique, de Louis Armand de Lahontan ( 1666-1715). Ces récits, très appréciés du public
de l'époque, véhiculent l'image idyllique du "bon sauvage" et leur bonheur semble incontestable :
ils sont vigoureux, simples, obéissant à la mère nature, généreux, libres de toute contrainte sociale
ou politique, ils sont ignorants de la corruption, des sciences et des civilisations, ils respectent une
morale naturelle qui leur dicte le respect d'autrui et de faire le bien de tous. En aucun cas leur
morale n'est subordonnée à l'idée de religion, ils se contentent de croire en une volonté suprême
qui meut l'univers et la nature. Ces peuples nouveaux ne sont pas considérés comme inférieurs à
l'homme civilisé, au contraire, ils inspirent l'admiration et incarnent une sorte de pureté
originelle. Le dix-huitième siècle voit en eux la parfaite harmonie entre l'homme et la nature, loin
de tous préjugés, de quelque ordre que ce soit.
Le dix-huitième siècle utilise l'image du "bon sauvage" pour donner une leçon de
relativisme. Le Tahitien de Diderot ou le Huron de Voltaire, par leurs modes de vie différents de
ceux des Européens, donnent à voir une autre façon de vivre et d'être heureux. La diversité des
attitudes, des comportements, permet un élargissement de l'esprit et engendre la réflexion sur la
sens de la vie. Dés lors, l'esprit critique se développe et permet de porter un regard nouveau sur
soi et de se demander selon quelle légitimité l'Européen veut-il imposer ses façons de penser. Ce
n'est pas sans raison si ce siècle appelé " des Lumières" s'interroge sur les fondements de la
société dans laquelle il vit et remet en cause certains de ses principes.
En effet, les pays découverts, libres de toute convention sociale politique ou religieuse,
vivant en toute quiétude, sont l'occasion de dénoncer le poids de l'absolutisme royal, du
conformisme social et religieux. L'intolérance et les inégalités sont au centre des préoccupations
des philosophes du dix-huitième, j'en veux pour preuve le sujet du concours proposé par
l'académie de Dijon en 1754 : " Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes et si elle
est autorisée par la loi naturelle." De plus, sans vouloir nier le progrès et ses avantages pour
l'homme, à l'exclusion de Rousseau, les philosophes s'interrogent déjà sur certaines conséquences
du progrès, tel un nouvel asservissement pour l'homme.
Le "bon sauvage" : un mythe
Un mythe, et non pas un réalité. Conformément à sa définition le mythe désigne un récit
symbolique et figuratif qui révèle une vérité, " un mensonge qui dit vrai", selon la formule de
Cocteau. Le "bon sauvage" symbolise les aspects de la condition humaine et traduit ses
aspirations à savoir, la quête du bonheur et d'une vie harmonieuse. En proposant une vision
idyllique, utopique, du primitif naïf, bon, vivant en osmose parfaite avec la nature qui le fait vivre,
le dix-huitième siècle exprime son désir d'un bonheur simple et traduit aussi ses angoisses. On
peut y voir un regret d'une forme de paradis perdu. D'ailleurs, il convient de souligner que même
Rousseau, dans la préface de son discours sur l'origine des inégalités, présente l'homme à
l'état de pure nature comme étant un idéal et non une réalité : " ...un état qui n'existe plus, qui n'a
peut-être jamais existé, qui probablement n'existera jamais..." et dans le début de son discours il
précise que même à sa création, l'homme ne connaissait pas l'état de nature : " Il n'est même pas
venu dans l'esprit de la plupart des nôtres ( philosophes) de douter que l'état de nature eût existé,
tandis qu'il est évident, par la lecture des livres sacrés, que le premier homme, ayant reçu
immédiatement des Dieu des lumières et des préceptes, n'était point lui-même dans cet état...."
Des textes contradictoires
Extrait du chapitre des Cannibales, des Essais, de Montaigne (1580)
" Ces nations me semblent donc barbares de cette manière : pour avoir reçu fort peu de
façon de l'esprit humain, et pour être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois
naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres, mais c'est dans une telle
pureté qu'il me prend quelquefois déplaisir que la connaissance n'en soit venue plus tôt, du temps
qu'il y avait des hommes qui eussent su juger mieux que nous.... Ils ( Lycurgue et Platon) n'ont pu
imaginer une naïveté aussi pure et simple que nous la voyons par expérience. Ils n'ont pu croire
non plus que notre société peut se maintenir avec si peu d'artifice et de soudure humaine. c'est un
peuple , dirais-je à Platon, dans lequel il n'y a aucune espèce de trafic, nulle connaissance des
lettres, nulle science des nombres, nul nom de magistrat ni supériorité politique, nul usage de
service( c'est-à-dire pas d'esclavage), ni richesse, ni pauvreté, nul contrat, nulle succession, nul
partage, nulle occupation qu'oisive, nul respect de la parenté que commun, nul vêtement, nulle
agriculture, nul métal, nul usage du vin ou du blé. Les paroles mêmes qui signifient le mensonge,
la trahison, la dissimulation, l'avarice, l'envie, la médisance, le pardon : inouïes. Combien il
trouverait la République qu'il a imaginée loin de cette perfection. "
Extrait du discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, de
Rousseau( 1755)
" ... Je voudrais bien qu'on m'expliquât quel peut être le genre de misère d'un être libre, dont le
cœur est en paix et le corps en santé. Je demande laquelle, de la vie civile ou naturelle, est la plus
sujette à devenir insupportable à ceux qui en jouissent ? Nous ne voyons presque autour de nous
que des Gens qui se plaignent de leur existence ; plusieurs même qui s'en privent autant qu'il est
en eux, et la réunion des Lois divines et humaines suffit à peine pour arrêter ce désordre : je me
demande si on a jamais ouï dire qu'un sauvage en liberté ait seulement songé à se plaindre de la
vie et à se donner la mort ? Qu'on juge donc avec moins d'orgueil de quel côté est la véritable
misère. Rien au contraire n'eût été si misérable que l'homme Sauvage, ébloui par les lumières,
tourmenté par des Passions, et raisonnant sur un état différent du sien. ce fut par une Providence
très sage, que les facultés qu'il avait en puissance ne devaient se développer qu'avec les occasions
de les exercer, afin qu'elles ne lui fussent ni superflues et à charge avec le temps, ni tardives et
inutiles au besoin. Il avait dans le seul instinct tout ce qu'il lui fallait pour vivre dans l'état de
Nature, il a dans une raison cultivée que ce qu'il lui faut pour vivre en société.
Il paraît d'abord que les hommes dans cet état ( de nature), n'ayant ente eux aucune sorte de
relation morale ni de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons ni méchants, et n'avaient ni vices
ni vertus... cet état était par conséquent le plus propre à la paix et le plus convenable au genre
humain."
Extraits des questions sur l'Encyclopédie, Article " Homme", de Voltaire ( 1770)
Extrait N°1
" Tous les hommes qu'on a découverts dans les pays les plus incultes et les plus affreux vivent
en société comme les castors, les fourmis, les abeilles, et plusieurs autres espèces d'animaux.
On n'a jamais vu de pays où ils vécussent séparés, où le mâle ne se joignît à la femelle que par
hasard, et l'abandonnât le moment après par dégoût ; où la mère méconnût ses enfants après les
avoirs élevés, où l'on vécût sans famille et sans société. Quelques mauvais plaisants ont abusé de
leurs esprit jusqu'au point de hasarder le paradoxe étonnant que l'homme est originairement fait
pour vivre seul comme un loup-cervier, et que c'est la société qui a dépravé la nature. autant
voudrait-il dire que dans la mer les harengs sont originairement faits pour nager isolés, et que
c'est par excès de corruption qu'ils passent en troupe de la mer Glaciale sur nos côtes ;
qu'anciennement les grues volaient en l'air chacune à part, et que par une violation du droit
naturel elles ont pris le parti de voyager en compagnie.
Chaque animal a son instinct, et l'instinct de l'homme, fortifié par la raison, le porte à la société
comme au manger et au boire. Loin que le besoin de la société ait dégradé l'homme, c'est
l'éloignement de la société qui le dégrade. Quiconque vivrait absolument seul perdrait bientôt la
faculté de penser et de s'exprimer : il serait à charge de lui-même ; il ne parviendrait qu'à se
métamorphoser en bête...
Le même auteur ( Rousseau) ennemi de la société, semblable au renard sans queue, qui voulait
que tous ses confrères se coupassent la queue, s'exprime ainsi d'un style magistral :
Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : " Ceci est à moi" et trouva assez de gens assez simples
pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères, que
d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui arrachant les pieux ou comblant les fossés, eût crié à ses
semblables : " Gardez-vous d'écouter cet imposteur, vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et
que la terre n'est à personne."
Ainsi, selon ce beau philosophe, un voleur, un destructeur aurait été le bienfaiteur du genre
humain et il aurait fallu punir un honnête homme qui aurait dit à ses enfants : " Imitons notre
voisin, il a enclos son champ, les bêtes ne viendront plus le ravager, son terrain deviendra plus
fertile ; travaillons le nôtre comme il a travaillé le sien, il nous aidera et nous l'aiderons. Chaque
famille cultivant son enclos, nous serons mieux nourris, plus sains, plus paisibles, moins
malheureux. Nous tâcherons d'établir une justice distributive qui consolera notre pauvre espèce,
et nous vaudrons mieux que les renards et les fouines à qui cet extravagant veut ressembler."
Extrait N° 2
" Que serait l'homme dans l'état qu'on nomme de pure nature ? Un animal fort au-dessous des
Iroquois qu'on trouva dans le nord de l'Amérique. Il serait très inférieur à ces Iroquois, puisque
ceux-ci savaient allumer du feu et faire des flèches. Il fallut des siècles pour parvenir à ces deux
arts.
L'homme abandonné à la pure nature n'aurait pour tout langage que quelques sons mal
articulés ; l'espèce serait réduite à un très petit nombre par la difficulté de la nourriture et par le
défaut des secours, du moins dans nos tristes climats. Il n'aurait pas plus de connaissance de Dieu
et de l'âme que des arithmétiques, ses idées seraient renfermées dans le soin de se nourrir.
L'espèce des castors serait très préférable.
C'est alors que l'homme ne serait précisément qu'un enfant robuste ; et on a vu beaucoup
d'hommes qui ne sont pas fort au-dessus de cet état.
Les Lapons, les Samoïèdes, les habitants de Kamtchatka, les Caffres, les Hottentots sont à
l'égard de l'homme en l'état de pure nature ce qu'étaient autrefois les cours de Cyrus et de
Sémiramis en comparaison des habitants de Cévennes. Et cependant ces habitants du
Kamtchatka et ces Hottentots de nos jours, si supérieurs à l'homme entièrement sauvage,
mangent à pleines mains la vermine dont ils sont mangés.
En général l'espèce humaine n'est pas de deux ou trois degrés plus civilisée que les gens du
Kamchatka. La multitude des bêtes brutes appelés hommes, comparée avec le petit nombre de
ceux qui pensent est au moins dans la proportion de cent à un chez beaucoup de nations....
.... plus de la moitié de la terre habitable est encore peuplée d'animaux à deux pieds qui vivent
dans cet horrible état qui approche de la pure nature, ayant à peine le vivre et le vêtir, jouissant à
peine du don de la parole, s'apercevant à peine qu'ils sont malheureux, vivant et mourant presque
sans le savoir."
• Web pédago :
http://lewebpedagogique.com/holala/category/themes-litteraires/page/2/
Au 18ème
siècle, les intellectuels expriment, à travers le mythe du bon sauvage, une vision utopique
inspirée par le mode de vie des tribus indiennes, alors considérées comme « non civilisées » et
donc sauvages. Le bonheur résiderait dans un état en osmose avec la nature qui prone la frugalité,
le refus du progrès et de la propriété privée. Cette vision, parfois un peu naive, a permis à des
philosophes comme Diderot, dans Le Supplément du voyage de Bougainville, de remettre
en question la « sauvagerie » de certaines pratiques occidentales (guerre, impérialisme, cupidité…).
On peut voir dans la lecture de ce mythe, un regret d’une forme de paradis perdu. D’ailleurs, il
convient de souligner que même Rousseau, dans la préface de son Discours sur l’origine des
inégalités, présente l’homme à l’état de pure nature comme étant un idéal et non une réalité : »
…un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé, qui probablement n’existera jamais… »
• La page des Lettres sur Ac-Versailles :
http://www.lettres.ac-versailles.fr/spip.php?article730
Nature et société : naissance du mythe du bon sauvage
par PLAISANT-SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie
Sommaire
• I. Le regard porté par l’Européen sur le « sauvage » depuis le XVIe siècle
• II. L’inscription de la réalité ethnologique au sein du débat
• III. Les réécritures de la réalité ethnologique : Le Supplément au Voyage de Bougainville au
cœur d’un débat d’idées
• Lectures en correspondance
I. Le regard porté par l’Européen sur le « sauvage » depuis le XVIème siècle
Lectures en correspondance
Deux représentations iconographique du sauvage au XVIème siècle
Représentation positive du sauvage : « Famille Tupinamba à l’ananas » : Jean de Léry, Histoire
d’un voyage en terre de Brésil, Livre de poche, bibliothèque classique n°0707, p213.
Représentation négative du sauvage cannibale : « Equarrissage de la victime » : André Thevet,
Les Singularités de la France Antarctique, Editions Chandeigne, p163.
Questions : Comparez ces deux représentations des Brésiliens issues d’un récit de voyage du
XVIème siècle. Analysez la représentation des corps et des attitudes. Quel discours véhiculent-
elles sur l’idée que les Européens se font du sauvage ?
Autres supports iconographiques : Le catalogue de l’exposition Kannibals et Vahinés qui s’est tenue
en 2001 au musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie offre également un grand choix de
représentations stéréotypées du bon et du mauvais sauvage, jusque dans la culture
contemporaine, manifestant la permanence du mythe.
Lectures en correspondance
La double dimension du regard porté par l’Européen sur le sauvage se retrouve également dans la
littérature.
Montesquieu
Les Lettres Persanes. Lettre XII
Usbeck à Mirza, à Ispahan
Tu renonces à ta raison pour essayer la mienne ; tu descends jusqu’à me consulter ; tu me crois
capable de t’instruire. Mon cher Mirza, il y a une chose qui me flatte plus encore que la bonne
opinion que tu as conçue de moi : c’est ton amitié qui me la procure.
Pour remplir ce que tu me prescris, je n’ai pas cru devoir employer des raisonnements forts
abstraits : il y a certaines vérités qu’il ne suffit pas de persuader, mais qu’il faut encore faire sentir.
Telles sont les vérités de morale. Peut-être que ce morceau d’histoire te touchera plus qu’une
philosophie subtile.
Il y avait en Arabie un petit peuple appelé Troglodyte, qui descendait de ces anciens Troglodytes
qui, si nous en croyons les historiens, ressemblaient plus à des bêtes qu’à des hommes. Ceux-ci
n’étaient point si contrefaits : ils n’étaient point velus comme des ours ; ils ne sifflaient point ; ils
avaient deux yeux ; mais ils étaient si méchants et si féroces qu’il n’y avait parmi eux aucun
principe d’équité ni de justice.
Ils avaient un roi d’une origine étrangère, qui, voulant corriger la méchanceté de leur naturel, les
traitait sévèrement. Mais ils conjurèrent contre lui, le tuèrent et exterminèrent toute la famille
royale.
Le coup étant fait, ils s’assemblèrent pour choisir un gouvernement, et, après bien des
dissensions, ils créèrent des magistrats. Mais, à peine les eurent-ils élus, qu’ils leur devinrent
insupportables, et ils les massacrèrent encore.
Ce peuple, libre de ce nouveau joug, ne consulta plus que son naturel sauvage ; tous les
particuliers convinrent qu’ils n’obéiraient plus à personne ; que chacun veillerait uniquement à ses
intérêts, sans consulter ceux des autres.
Cette résolution unanime flattait extrêmement tous les particuliers. Ils disaient : « Qu’ai-je affaire
d’aller me tuer à travailler pour des gens dont je ne me soucie point ? Je penserai uniquement à
moi ; je vivrai heureux. Que m’importe que les autres le soient ? Je me procurerai tous mes
besoins, et, pourvu que je les aie, je ne me soucie point que tous les autres Troglodytes soient
misérables. »
On était dans le mois où l’on ensemence les terres. Chacun dit : « Je ne labourerai mon champ
que pour qu’il me fournisse le lé qu’il me faut pour me nourrir : une plus grand quantité me serait
inutile ; je ne prendrai point de la peine pour rien. »
Les terres de ce petit royaume n’étaient pas de même nature : il y en avait d’arides et de
montagneuses, et d’autre qui, dans un terrain bas, étaient arrosées de plusieurs ruisseaux. Cette
année, la sécheresse fut très grande, de manière que les terres qui étaient dans les lieux élevés
manquèrent absolument, tandis que celles qui purent être arrosées furent très fertiles. Ainsi les
peuples des montagnes périrent presque tous de faim par la dureté des autres, qui leur refusèrent
de partager la récolte.
L’année d’ensuite fut très pluvieuse ; les lieux élevés se trouvèrent d’une fertilité extraordinaire, et
les terres basses furent submergées. La moitié du peuple cria une seconde fois famine ; mais ces
misérables trouvèrent des gens aussi durs qu’ils l’avaient été eux-mêmes.
Montesquieu
Les Lettres Persanes. Lettre XII
Usbek au même, à Ispahan.
Tu as vu, mon cher Mirza, comment les Troglodytes périrent par leur méchanceté même, et
furent les victimes de leurs propres injustices. De tant de familles, il n’en resta que deux, qui
échappèrent aux malheurs de la nation. Il y avait, dans ce pays, deux hommes bien singuliers : ils
avaient de l’humanité ; ils connaissaient la justice ; ils aimaient la vertu : autant liés par la droiture
de leur cœur, que par la corruption de celui des autres, ils voyaient la désolation générale, et ne la
ressentaient que par la pitié : c’était le motif d’une union nouvelle. Ils travaillaient, avec une
sollicitude commune, pour l’intérêt commun ; ils n’avaient de différends, que ceux qu’une douce
et tendre amitié faisait naître ; et, dans l’endroit du pays le plus écarté, séparés de leurs
compatriotes indignes de leur présence, ils menaient une vie heureuse et tranquille : la terre
semblait produire d’elle-même, cultivée par ces vertueuses mains.
Ils aimaient leurs femmes, et ils en étaient tendrement chéris. Toute leur attention était d’élever
leurs enfants à la vertu. Ils leur représentaient sans cesse les malheurs de leurs compatriotes, et
leur mettaient devant les yeux cet exemple si triste : ils leur faisaient surtout sentir que l’intérêt
des particuliers se trouve toujours dans l’intérêt commun ; que vouloir s’en séparer, c’est vouloir
se perdre ; que la vertu n’est point une chose qui doive nous coûter ; qu’il ne faut point la
regarder comme un exercice pénible ; et que la justice pour autrui est une charité pour nous.
Ils eurent bientôt la consolation des pères vertueux, qui est d’avoir des enfants qui leur
ressemblent. Le jeune peuple qui s’éleva sous leurs yeux s’accrut par d’heureux mariages : le
nombre augmenta, l’union fut toujours la même et le vertu, bien loin de s’affaiblir dans la
multitude, fut fortifiée, au contraire, par un plus grand nombre d’exemples.
Qui pourrait représenter ici le bonheur de ces Troglodytes ? Un peuple si juste devait être chéri
des dieux. Dès qu’il ouvrit les yeux pour les connaître, il apprit à les craindre ; et la religion vint
adoucir dans les mœurs ce que la nature y avait laissé de trop rude.
Lectures en correspondance
Dès le XVIème siècle, le regard porté par l’Européen sur le sauvage s’avère chargé d’idéologie.
Deux images antagonistes se dégagent, celle du bon et celle du mauvais sauvage, incarné tout
particulièrement par la figure du cannibale.
Jean de Léry
Histoire d’un Voyage fait en la terre du Brésil
« Nudité des Américaines moins à craindre que l’artifice des femmes de par-deçà »
Toutesfois avant que clore ce chapitre, ce lieu-ci requiert que je réponde, tant à ceux qui ont écrit,
qu’à ceux qui pensent que la fréquentation entre ces sauvages tous nus, et principalement parmi
les femmes, incite à lubricité et paillardise. Sur quoi je dirai en un mot, qu’encore voirement qu’en
apparence il n’y ait que trop d’occasion d’estimer qu’outre la déshonnêteté de voir ces femmes
nues, cela ne semble aussi servir comme d’un appât ordinaire à convoitise : toutefois, pour en
parler selon ce qui s’en est communément aperçu pour lors, cette nudité, aussi grossière en telle
femme est beaucoup moins attrayante qu’on ne cuiderait. Et partant, je maintiens que les attifets,
fards, fausses perruques, cheveux tortillés, grands collets fraisés, vertugales, robes sur robes, et
autres infinies bagatelles dont les femmes et filles de par-deçà se contrefont et n’ont jamais assez,
sont sans comparaison, cause de plus de maux que n’est la nudité ordinaire des femmes
sauvages : lesquelles cependant, quant au naturel, ne doivent rien aux autres en beauté. Tellement
que si l’honnêteté me permettait d’en dire davantage, me vantant de bien soudre toutes les
objections qu’on pourrait amener au contraire, j’en donnerais des raisons si évidentes que nul ne
pourrait les nier. Sans doncques poursuivre ce propos plus avant, je me rapporte de ce peu que
j’en ai dit à ceux qui ont fait le voyage en la terre du Brésil, et qui comme moi ont vu les unes et
les autres.
Ce n’est cependant que contre ce que dit la sainte Ecriture d’Adam et Eve, lesquels après le
péché, reconnaissant qu’ils étaient nus furent honteux, je veuille en façon que ce soit approuver
cette nudité : plutôt détesterai-je les hérétiques qui contre la Loi de nature (laquelle toutefois
quant à ce point n’est nullement observée entre nos pauvres Américains) l’ont toutefois voulu
introduire par-deçà.
Mais ce que j’ai dit de ces sauvages est, pour montrer qu’en les condamnant si austèrement, de ce
que sans nulle vergogne ils vont ainsi le corps entièrement découvert, nous excédant en l’autre
extrémité, c’est-à-dire en nos bombances, superfluités et excès en habits, ne sommes guères plus
louables. Et plût à Dieu, pour mettre fin à ce point, qu’un chacun de nous, plus pour l’honnêteté
et nécessité, que pour la gloire et mondanité, s’habillât modestement.
Montaigne
Les Essais
Livre I. Chapitre 31 « Des cannibales »
Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation,
à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ;
comme de vrai, il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple
et idée des opinions et usances d pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la
parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous
appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, à produits : là où, à la
vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l’ordre commun, que
nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus
utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons
seulement accommodés au plaisir de notre goût corrompu.
Montaigne
Les Essais
Livre II. Chapitre 6 « Des coches »
En côtoyant la mer à la quête de leurs mines, aucuns Espagnols prirent terre en une contrée
fertile et plaisante, fort habitée, et firent à ce peuple leurs remontrances accoutumées : « Qu’ils
étaient gens paisibles, venant de lointains voyages, envoyés de la part du roi de Castille, le plus
grand Prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant Dieu en terre, avait donné la
principauté de toutes les Indes ; que, s’ils voulaient lui être tributaires, ils seraient très
bénignement traités ; leur demandaient des vivres pour leur nourriture et de l’or pour le besoin de
quelque médecine ; leur remontraient au demeurant la créance d’un seul Dieu et la vérité de notre
religion laquelle ils conseillaient d’accepter, y ajoutant quelques menaces. »
La réponse fut telle : « Que, quant à être paisibles, ils n’en portaient pas la mine, s’ils l’étaient ;
quant à leur roi, puisqu’il demandait, il devait être indigent et nécessiteux, et celui qui lui avait fait
cette distribution, homme aimant dissension, d’aller donner à un tiers chose qui n’était pas sienne,
pour le mettre en débat contre les anciens possesseurs ; quant aux vivres, qu’ils leurs en
fourniraient ; d’or, ils en avaient pu, et que c’était chose qu’ils mettaient en nulle estime, d’autant
qu’elle était inutile au service de leur vie, là où tout leur soin regardait seulement à la passer
heureusement et plaisamment ; pourtant, ce qu’ils en pourraient trouver, sauf ce qui était employé
au service de leurs dieux, qu’ils le prissent hardiment ; quant à un seul Dieu, le discours leur en
avait plu, mais qu’ils ne voulaient changer leur religion, s’en étant si utilement servi si longtemps,
et qu’ils n’avaient accoutumé prendre conseil que de leurs amis et connaissances ; quant aux
menaces, c’était signe de faute de jugement d’aller menaçant ceux desquels la nature et les moyens
étaient inconnus ; ainsi qu’ils se dépêchassent promptement de vider leur terre, car ils n’étaient
pas accoutumés de prendre en bonne part les honnêtetés et remontrances de gens armés et
étrangers ; autrement, qu’on ferait d’eux comme de ces autre, leur montrant les têtes d’aucuns
hommes justiciés autour de leur ville. » Voilà un exemple de la balbutie de cette enfance.
Dès le XVIème siècle, la figure du sauvage sert à critiquer l’Européen. C’est déjà une arme
critique. La dette de Diderot à l’égard des textes du XVIème siècle et en particulier de Jean de
Léry se remarque également à propos d’un des textes majeurs du Supplément : les adieux du
vieillard.
II. L’inscription de la réalité ethnologique au sein du débat
Diderot pose d’emblée la question de la réalité ethnologique du Tahitien : « Est-ce que vous
donneriez dans la fable de Tahiti ? » (p 146). De fait le problème de l’articulation entre enquête
ethnographique et préjugés philosophiques apparaît dès les premiers témoignages directs sur l’île
de Tahiti, ceux de Bougainville et de ses compagnons.
Le Journal de bord de Bougainville
Ce texte est écrit au jour le jour par Bougainville pendant son voyage et en particulier pendant le
séjour de neuf jours à Tahiti en mars 1769. Cet ouvrage, qui n’était pas destiné à la publication,
est très vite connu et recèle déjà tous les éléments de la « fable de Tahiti » notamment à travers
l’éblouissement éprouvé par l’auteur devant l’île et ses habitants. Les peuples découverts sont en
effet lus à la lumière du bon sauvage originel imaginé par Rousseau dans son Discours sur l’origine et
les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755). Il est cependant impossible de parler d’une
valorisation générale du sauvage chez Bougainville puisqu’il ne décrit pas que les Tahitiens, mais
également d’autres peuplades qu’il voit beaucoup plus négativement.
Les textes des compagnons de Bougainville : le Journal de Commerson
Les préjugés philosophiques qui orientent le regard et l’interprétation des voyageurs en faveur du
thème de l’état de nature et du bon sauvage se retrouvent de façon beaucoup plus frappante chez
les compagnons de voyage de Bougainville
Le Journal de Commerson
Je reviens sur mes pas pour vous tracer une légère esquisse de cette île heureuse, dont je ne vous
ai fait mention qu’en passant dans le dénombrement des nouvelles terres que nous avons vues en
courant le monde. Je lui avais appliqué le nom d’Utopie que Thomas Morus avait donné à sa
république idéale en le dérivant des racines grecques (eus et topus, quasi felix locus). Je ne savais pas
encore que M. de Bougainville l’avait nommée Nouvelle-Cythère, et ce n’est que bien
postérieurement qu’un prince de cette nation, que l’on conduisit en Europe, nous a appris qu’elle
se nommait Tahiti par ses propres habitants.
Sa position en longitude et latitude est le secret du gouvernement, sur lequel je m’impose le
silence, mais je puis vous dire que c’est le seul coin de la terre où habitent des hommes sans vices,
sans préjugés, sans besoins, sans dissensions. Nés sous le plus beau ciel, nourris des fruits d’une
terre féconde sans culture, régis par des pères de famille plutôt que par des rois, ils ne connaissent
d’autre dieu que l’Amour. Tous les jours lui sont consacrés, toute l’île est son temple, toutes les
femmes en sont les autels, tous les hommes les sacrificateurs. Et quelles femmes, me
demanderez-vous ? les rivales des Géorgiennes en beauté, et les sœurs des Grâces toutes nues.
Là, ni la honte, ni la pudeur n’exercent leur tyrannie : la plus légère des gazes flotte toujours au
gré des vents et des désirs : l’acte de créer son semblable est un acte de religion ; les préludes en
sont encouragés par les vœux et les chants de tout le peuple assemblé, et la fin est célébrée par
des applaudissements universels ; tout étranger est admis à participer à ces heureux mystères ;
c’est même un des devoirs de l’hospitalité que de les inviter, de sorte que le bon Utopien jouit
sans cesse ou du sentiment de ses propres plaisirs ou du spectacle de ceux des autres. Quelque
censeur à double rabat ne verra peut-être en tout cela qu’un débordement de mœurs, une horrible
prostitution, le cynisme le plus effronté ; mais il se trompera lui-même grossièrement en
méconnaissant l’état de l’homme naturel, né essentiellement bon, exempt de tout préjugé et
suivant, sans défiance comme sans remords, les douces impulsions d’un instinct toujours sûr,
parce qu’il n’a pas encore dégénéré en raison.
Une langue très sonore, très harmonieuse, composée d’environ quatre ou cinq cents mots
indéclinables, inconjugables, c’est-à-dire sans syntaxe aucune, leur suffit pour rendre toutes leurs
idées et exprimer tous les besoins, noble simplicité qui, n’excluant ni les modiications de tons, ni
la pantomime des passions, les garantit de cette superbe bathologie que nous appelons la richesse
des langues et qui nous fait perdre dans le labyrinthe des mots la netteté des perceptions et la
promptitude du jugement. L’Utopien, au contraire, nomme aussitôt son objet qu’il l’aperçoi, le
ton dont il a prononcé le nom de cet objet a déjà rendu la manière dont il est affecté ; peu de
paroles font une conversation rapide ; les opérations de l’âme, les mouvements du cœur sont
isochrones avec le remuement des lèvres. Celui qui parle et celui qui écoute sont toujours à
l’unisson. Notre prince tahitien qui, depuis sept ou huit mois qu’il est avec nous, n’a pas encore
appris dix de nos paroles, étourdi le plus souvent de leur volubilité, n’a d’autre ressource que celle
de se boucher les oreilles et de nous rire au nez.
Qu’on se garde de soupçonner qu’il ne soit ici question que d’une horde de sauvages grossiers et
stupides ; tout chez eux est marqué au coin d la plus parfaite intelligence : des pirogues d’une
construction qui n’a point de modèle connu, leur navigation dirigée par l’inspection des astres,
des cases vastes, de forme élégante, commodes et régulières, l’art non pas de tisser le fil de la
toile, mais de la faire sortir subtilement toute faite de dessous le battoir, de la colorer de gouttes
de pourpre en faveur des femmes, de manière que leur sûreté de tous les mois ne soit jamais
trahie, les arbres fruitiers judicieusement espacés dans leurs champs ont tout l’agrément de nos
vergers sans en avoir l’ennuyeuse symétrie, tous les écueils de leurs côtés balisés et éclairés de nuit
en faveur de ceux qui tiennent la mer, toutes leurs plantes connues et distinguées par des noms
qui vont jusqu’à en indiquer les affinités, les instruments de leurs arts, quoique tirés de matières
brutes, dignes cependant d’être comparés aux nôtres par le choix des formes et la sûreté de leurs
opérations : tels sont les droits que nous leur connaissons déjà à notre estime malgré le peu de
temps que nous les avons fréquentés.
Avec quelle industrie ne traitaient-ils pas déjà le fer, ce métal précieux pour eux qui ne le savent
tourner qu’en des usages utiles, si vil pour nous qui en avons fait les instruments du désespoir et
de la mort. Avec quelle horreur ne repoussaient-ils pas les couteaux et les ciseaux que nous leur
offrions, parce qu’ils semblaient deviner l’abus qu’on pouvait en faire ; avec quel empressement,
au contraire, ne sont-ils pas venus prendre les dimensions de nos canots, de nos chaloupes, de
nos voiles, de nos tentes, de nos barriques, en un mot, de tout ce qu’ils ont cru pouvoir imiter !
Pour ce qui regarde la simplicité de leurs mœurs, l’honnêteté de leurs procédés, surtout envers
leurs femmes qui ne sont nullement subjuguées chez eux comme chez les sauvages, leur
philadelphie entre eux tous, leur horreur devant l’effusion du sanghumain, leur respect idolâtre
pour leurs morts, qu’ils ne regardent que comme des gens endormis, leur hospitalité enfin, pour
les étrangerrs, il faut laisser aux journaux le mérite de s’étendre sur chacun de ces articles, comme
notre admiration et notre reconnaissance le requièrent.
On a admis leurs chefs à nos repas, tout ce qui a paru sur les tables a excité leur curiosité ; ils ont
voulu qu’on leur rendît raison de chaque plat ; un légume leur semblait bon ? ils en demandaient
aussitôt de la graine ; en la recevant ils s’informaient où et comment il faillait la planter ? dans
combien de temps elle viendrait en rapport ? Notre pain leur a paru excellent, mais il leur a fallu
montrer le grain dont on le faisait, les moyens de le pulvériser, la manière de mettre la farine en
pâte, de la faire fermenter et de la cuire ; tous ces procédés ont été suivis et saisis dans le détail, le
plus souvent il suffisait même de leur dire la moitié de la chose, l’autre était prévenue et devinée.
Leur aversion pour le vin et les liqueurs était invincible, hommes sages en tout ! Ils reçoivent
fidèlement des mains de la nature leurs aliments et leurs boissons, ils n’y a chez eux ni liqueurs
fermentées, ni pots à cuire ; aussi n’a-t-on jamais vu de plus belles dents ni de plus belle
carnation. Il est bien dommage que le seul homme qu’on puisse montrer de cette nation en soit
peut-être le plus laid ; qu’on se garde bien d’en juger sur cette montre ; mais je lui dois rendre la
justice qu’il mérite d’être étudié et connu à tous autres ; individu vraiment intéressant, digne de
toutes les attentions du ministère et auquel il est même dû, à titre de justice, bien des
dédommagements pour tous les sacrifices volontaires qu’il nous a faits dans l’enthousiasme de
son attachement.
Ce texte circule entre 1769 et 1770. C’est l’acte de naissance du mythe de Tahiti, à travers
notamment la réécriture de l’Utopie de Thomas More. L’allusion à l’accueil par la cour du Tahitien
Aotourou est également essentielle pour la compréhension du problème posé par la figure de
l’Autre au XVIIIème. La question ne porte plus seulement sur la véracité de la réalité
ethnologique racontée par les témoins de la découverte, mais également sur la nature du regard de
l’européen sur l’autre. Quel regard porter sur cette réalité ethnologique indéniable que constitue
Aoutourou ? Est-ce vraiment la réalité ou une image, une représentation que voit l’Européen ?
D’emblée le débat est aussi idéologique qu’ethnologique.
Le Voyage autour du monde de Bougainville
Le Voyage de Bougainville paraît en 1771. La tonalité est différente de celle du journal, et surtout
le texte présente une forme d’hésitation, d’indécidabilité quant au Tahitien : deux chapitres
consécutifs présentent en effet une vision idyllique de l’île puis sa critique. La question que posera
Diderot est donc sous-jacente dans le texte de Bougainville : quel regard porter sur le sauvage ?
Le débat s’avère finalement bien moins ethnologique que philosophique : quelle est la nature de
l’homme ? que penser des thèses rousseauistes ? De là la raison pour laquelle les philosophes des
Lumières s’empareront du mythe de Tahiti pour exposer leurs conceptions de la nature humaine.
L’île de Tahiti est pour Bougainville une vision édénique, qui évoque de plus en plus le mythe du
bon sauvage
Louis-Antoine de Bougainville
Voyage autour du monde
L’accueil des Européens par les Tahitiens
Les pirogues étaient remplies de femmes qui ne le cèdent pas, pour l’agrément de la figure, au
plus grand nombre des Européennes et qui, pour la beauté du corps, pourraient le disputer à
toutes avec avantage. La plupart de ces nymphes étaient nues, car les hommes et les vieilles qui
les accompagnaient leur avait ôter le pagne dont ordinairement elles s’enveloppent. Elles nous
firent d’abord, de leur pirogue, des agaceries où, malgré leur naïveté, on découvrit quelque
embarras ; soit que la nature ait partout embelli le sexe d’une timidité ingénue, soit que, même
dans les pays où règne encore la franchise de l’âge d’or, les femmes paraissent ne pas vouloir ce
qu’elles désirent le plus. Les hommes, plus simples ou plus libres, s’énoncèrent bientôt
clairement : ils nous pressaient de choisir une femme, de la suivre à terre, et leurs gestes non
équivoques démontraient la manière dont il fallait faire connaissance avec elle. Je le demande :
comment retenir au travail, au milieu d’un spectacle pareil, quatre cents Français, jeunes, marins,
et qui depuis six mois n’avaient point vu de femmes ? Malgré toutes les précautions que nous
pûmes prendre, il entra à bord une jeune fille, qui vint sur le gaillard d’arrière se placer à une des
écoutilles qui sont au-dessus du cabestan ; cette écoutille était ouverte pour donner de l’air à ceux
qui viraient. La jeune fille laissa tomber négligemment un pagne qui la couvrait, et parut aux yeux
de tous telle que Vénus se fit voir au berger phrygien : elle en avait la forme céleste. Matelots et
soldats s’empressaient pour parvenir à l’écoutille, et jamais cabestan ne fut viré avec une pareille
activité.
Louis-Antoine de Bougainville
Voyage autour du monde
Un lieu édénique, l’image même du bonheur
Chaque jour nos gens se promenaient dans le pays sans arme, seuls ou par petites bandes. On les
invitait à entrer dans les maisons, on leur y donnait à manger ; mais ce n’est pas à une collation
légère que se borne ici la civilité des maîtres de maisons ; ils leur offraient des jeunes filles ; la case
se remplissait à l’instant d’une foule curieuse d’hommes et de femmes qui faisaient un cercle
autour de l’hôte et de la jeune victime du devoir hospitalier ; la terre se jonchait de feuillages et de
fleurs, et des musiciens chantaient aux accords de la flûte un hymne de jouissance. Vénus est ici la
déesse de l’hospitalité, son culte n’y admet point de mystères, et chaque jouissance est une fête
pour la nation. Ils étaient surpris de l’embarras qu’on témoignait ; nos mœurs ont proscrit cette
publicité. Toutefois je ne garantirais pas qu’aucun n’ait vaincu sa répugnance et ne se soit
conformé aux usages du pays. J’ai plusieurs fois été me promener dans l’intérieur. Je me croyais
transporté dans le jardin d’Eden : nous parcourions une plaine de gazon, couverte de beaux
arbres fruitiers et coupée de petites rivières qui entretiennent une fraîcheur délicieuse, sans aucun
des inconvénients qu’entraîne l’humidité. Un peuple nombreux y jouit des trésors que la nature
verse à pleines mains sur lui. Nous trouvions des troupes d’hommes et de femmes assises à
l’ombre des vergers ; tous nous saluaient avec amitié ; ceux que nous rencontrions dans les
chemins se rangeaient à côté pour nous laisser passer ; partout nous voyions régner l’hospitalité,
le repos, une joie douce et toutes les apparences du bonheur.
Louis-Antoine de Bougainville
Voyage autour du monde
Un paradis sensuel
L’île, à laquelle on avait d’abord donné le nom de Nouvelle-Cythère, reçoit de ses habitants celui de
Tahiti.
Questions : Analysez la dimension mythologique et imaginaire de la description de Tahiti et des
insulaires. Comment interprétez-vous les références à la culture antique ?
Ce tableau idyllique se teinte peu à peu de couleurs plus sombres : le vol, la guerre. L’utopie
n’était qu’un reflet dans le regard des Européens, peu à peu démenti par Aoutourou
Louis-Antoine de Bougainville
Voyage autour du monde
Le vol et la guerre
Le caractère de la nation nous a paru être doux et bienfaisant. Il ne semble pas qu’il y ait dans l’île
aucune guerre civile, aucune haine particulière, quoique le pays soit divisé en petits cantons qui
ont chacun leur seigneur indépendant. Il est probable que les Tahitiens pratiquent entre eux une
bonne foi dont ils ne doutent poins. Qu’ils soient chez eux ou non, jour ou nuit, les maisons sont
ouvertes. Chacun cueille les fruits sur le premier arbre qu’il rencontre, en prend dans la maison
où il entre. Il paraîtrait que, pour les choses absolument nécessaires à la vie, il n’y a point de
propriété et que tout est à tous. Avec nous, ils étaient filous habiles, mais d’une timidité qui les
faisait fuir à la moindre menace. Au reste, on a vu que les chefs n’approuvaient point ces vols,
qu’ils nous pressaient au contraire de tuer ceux qui les commettaient. Ereti, cependant, n’usait
point de cette sévérité qu’il nous recommandait. Lui dénoncions-nous quelque voleur, il le
poursuivait lui-même à toutes jambes ; l’homme fuyait et, s’il était joint, ce qui arrivait
ordinairement, car Ereti était infatigable à la course, quelques coups de bâton et une restitution
forcée étaient le seul châtiment du coupable. Je ne croyais pas même qu’ils connussent de
punition plus forte, attendu que, quand ils voyait mettre quelqu’un de nos gens aux fers, ils en
témoignaient une peine sensible ; mais j’ai su depuis, à n’en pas douter, qu’ils ont l’usage de
pendre les voleurs à des arbres, ainsi qu’on le pratique dans nos armées.
Ils sont presque toujours en guerre avec les habitants des îles voisines. Nous avons vu les grandes
pirogues qui leur servent pour les descentes et même pour des combats de mer. Ils ont pour
armes l’arc, la fronde et une espèce de pique d’un bois fort dur. La guerre se fait chez eux d’une
manière cruelle. Suivant ce que nous a appris Aotourou, ils tuent les hommes et les enfants mâles
pris dans les combats ; ils leur lèvent la peau du menton avec la barbe, qu’ils portent comme un
trophée de victoire ; ils conservent seulement les femmes et les filles, que les vainqueurs ne
dédaignent pas d’admettre dans leur lit ; Aotourou lui-même est le fils d’un chef tahitien et d’une
captive de l’île de Oopoa, île voisine et souvent ennemie de Tahiti.
Louis-Antoine de Bougainville
Voyage autour du monde
Des sauvages capables de cruauté
J’ai dit plus haut que les habitants de Tahiti nous avaient paru vivre dans un bonheur digne
d’envie. Nous les avions cru presque égaux entre eux, ou du moins jouissant d’une liberté qui
n’était soumise qu’aux lois établies pour le bonheur de tous. Je me trompais, la distinction des
rangs est fort marquée à Tahiti, et la disproportion cruelle. Les rois et les grands ont droit de vie
ou de mort sur les esclaves et valets ; je serais même tenté de croire qu’ils ont aussi ce droit
barbare sur les gens du peuple qu’ils nomment Tata-einou, hommes vils ; toujours est-il sûr que
c’est dans cette classe infortunée qu’on prend les victimes pour les sacrifices humains.
Question : Comment peut-on interpréter le silence de Diderot sur ces éléments importants de la
réalité ethnographique de Tahiti ? Pourquoi choisit-il de ne traiter que de la dimension « Nouvelle
Cythère » de l’île ?
Les autres peuples rencontrés par Bougainville interdisent plus encore de croire à l’existence du
bon sauvage
Louis-Antoine de Bougainville
Voyage autour du monde
Rencontre et description des Pécherais
De tous les sauvages que j’ai vus de ma vie, les Pécherais sont les plus dénués de tout : ils sont
exactement dans ce qu’on peut appeler l’état de nature ; et, en vérité, si l’on devait plaindre le sort
d’un homme libre et maître de lui-même, sans devoir et sans affaires, content de ce qu’il a parce
qu’il ne connaît pas mieux, je plaindrais ces hommes qui, avec la privation de ce qui rend la vie
commode, ont encore à souffrir la dureté du plus affreux climat de l’univers.
Louis-Antoine de Bougainville
Voyage autour du monde
L’île des Lanciers
A mesure que nous l’approchâmes, nous découvrîmes qu’elle est bordée d’une plage de sable très
unie et que tout l’intérieur est couvert de bois touffus, au-dessus desquels s’élèvent les tiges
fécondes des cocotiers. La mer brisait assez au large au nord et au sud, et une grosse lame qui
battait toute la côte de l’est nous défendait l’accès de l’île dans cette partie. Cependant la verdure
charmait nos yeux et les cocotiers nous offraient partout leurs fruits et leur ombre sur un gazon
émaillé de fleurs ; des milliers d’oiseaux voltigeaient autour du rivage et semblaient annoncer une
côte poissonneuse ; on soupirait après la descente. Nous crûmes qu’elle serait plus facile dans la
partie occidentale, et nous suivîmes la côte à la distance d’environ deux milles. Partout nous
vîmes la mer briser avec la même force, sans une seule anse, sans la moindre crique qui pût servir
d’abri et rompre la lame. Perdant ainsi toute espérance de pouvoir y débarquer, à moins d’un
risque évident de briser les bateaux, nous remettions le cap en route lorsqu’on cria qu’on voyait
deux ou trois hommes accourir au bord de la mer. Nous n’eussions jamais pensé qu’une île aussi
petite pût être habitée, et ma première idée fut que sans doute quelques Européens y avaient fait
naufrage. J’ordonnai aussitôt de mettre en panne, déterminé à tenter tout pour les sauver. Ces
hommes étaient rentrés dans le bois ; bientôt iols en sortirent au nombre de quinze ou vingt et
s’avancèrent à grands pas ; ils étaient nus et portaient de fort logues piques qu’ils vinrent agiter
vis-à-vis les vaisseaux avec des démonstrations de menaces ; après cette parade, ils se retirèrent
sous les arbres où on distingua des cabanes avec des longues-vues. Ces hommes nous parurent
forts grands et d’une couleur bronzée. J’ai nommé l’île qu’ils habitent l’île des Lanciers.
Question : Comparez le traitement le l’île des Lanciers chez Bougainville et chez Diderot.
III. Les réécritures de la réalité ethnologique : Le Supplément au Voyage de Bougainville au cœur d’un
débat d’idées
Après les Hurons de Lahontan, dont s’inspirera Voltaire pour L’Ingénu, le Tahitien apparaît
comme une nouvelle figure du bon sauvage. Diderot va s’emparer du mythe et de son fondement
ethnologique pour le réorienter selon ses projets philosophiques.
La réécriture de la réalité ethnologique décrite par Bougainville s’opère d’abord par l’omission :
Diderot ne dit rien de l’état de guerre des Tahitiens, de la hiérarchie sociale, de l’infériorité des
femmes. Seule la liberté sexuelle des insulaires réapparaît, ce qui participe de la lecture de Tahiti
comme un paradis sensuel, un mythe. Cette réécriture est motivée par l’intérêt philosophique que
Diderot porte au thème de la sexualité, lieu de l’articulation entre le privé et le public, le social. La
relation sexuelle est privée, mais elle est à l’origine de la procréation, qui concerne le politique.
Diderot voit, à travers « la fable de Tahiti » l’occasion de réfléchir aux liens qui unissent individuel
et collectif, tout en profitant des intérêts argumentatifs que présente les dialogues avec le sauvage
(notamment la double énonciation).
Qui est le Tahitien que fait parler Diderot ? Un sauvage ou un narrateur occidental qui pourrait
être Diderot tant la harangue du vieillard se rapproche de ce que Diderot écrivait en son nom
propre dans le Compte-Rendu destiné à la Correspondance littéraire. Diderot en effet s’inscrit dans le
débat provoqué par la « fable de Tahiti » à l’occasion de deux textes : un compte-rendu inédit du
Voyage autour du monde de Bougainville, composé à la fin de 1771, probablement pour la
Correspondance littéraire de Grimm, et le Supplément au Voyage de Bougainville.
Compte-rendu du Voyage de Bougainville, écrit par Diderot pour la Correspondance littéraire de
Grimm
Ah ! Monsieur de Bougainville, éloignez votre vaisseau des rives de ces innocents et fortunés
Tahitiens ; ils sont heureux et vous ne pouvez que nuire à leur bonheur. Ils suivent l’instinct de la
nature, et vous allez effacer ce caractère auguste et sacré. Tout est à tous, et vous allez leur porter
la funeste distinction du tien et du mien. Leurs femmes et leurs filles sont communes, et vous
allez allumer entre eux les fureurs de l’amour et de la jalousie. Ils sont libres et voilà que vous
enfouissez dans une bouteille de verre le titre extravagant de leur futur esclavage. Vous prenez
possession de leur contrée, comme si elle ne leur appartenait pas ; songez que vous êtes aussi
injuste, aussi insensé d’écrire sur votre lame de cuivre, ce pays est à nous, parce que vous y avez
mis le pied, que si un Tahitien débarquait sur nos côtes, et qu’après y avoir mis le pied, que si un
Tahitien débarquait sur nos côtes, et qu’après y avoir mis le pied, il gravait ou sur une de nos
montagnes ou sur un de nos chênes, ce pays appartient aux habitants de Tahiti. Vous êtes le plus
fort, et qu’est-ce que cela fait ? Vous criez contre l’hobbisme social et vous l’exercer de nation à
nation. Commercez avec eux, prenez leurs denrées, portez-leur des vôtres, mais ne les enchaînez
pas. Cet homme dont vous vous emparez comme de la brute ou de la plante est un enfant de
nature comme vous. Quel droit avez-vous sur lui ? Laissez-lui ses mœurs, elles sont plus honnêtes
et plus sages que les vôtres. Son ignorance vaut mieux que toutes vos lumières ; il n’en a que faire.
Il ne connaissait point une vilaine maladie, vous la lui avez portée, et bientôt ses jouissances
seront affreuses. Il ne connaissait point le crime et la débauche, les jeunes filles se livraient aux
caresses des jeunes gens, en présence de leurs parents au milieu d’un cercle d’innocents habitants,
au son des flûtes, entre les danses, et vous allez empoisonner leurs âmes de vos extravagantes et
fausses idées, et réveiller en eux des notions de vice, avec vos chimériques notions de pudeur.
Enfoncez-vous dans les ténèbres avec la compagne corrompue de vos plaisirs, mais permettez
aux bons et simples Tahitiens de se reproduire sans honte à la face du ciel et au grand jour. A
peine vous êtes-vous montré parmi eux qu’ils sont devenus voleurs ; à peine êtes-vous descendu
dans leur terre qu’elle a été teinte de sang ; ce Tahitien qui vous reçut en criant Tayo, ami, ami,
vous l’avez tué, et pourquoi l’avez-vous tué ? Parce qu’il avait été séduit par l’éclat de vos
guenilles européennes ; il vous donnait ses fruits, sa maison, sa femme, sa fille, et vous l’avez tué
pour un morceau de verre qu’il vous dérobait. Ces Tahitiens, je les vois se sauver sur les
montagnes, remplis d’horreur et de crainte ; sans ce vieillard respectable qui vous protège, en un
instant, vous seriez tous égorgés. O père respectable de cette famille nombreuse, que je t’admire,
que je te loue ! Lorsque tu jettes des regards de dédain sur ces étrangers sans marquer ni
étonnement, ni frayeur, ni crainte, ni curiosité ; ton silence, ton air rêveur et soucieux ne décèlent
que trop ta pensée : tu gémis au-dedans de toi-même sur les beaux jours de ta contrée éclipsés.
Console-toi ; tu touches à tes derniers instants et la calamité que tu pressens, tu ne la verras pas.
Vous vous promenez, vous et les vôtres, Monsieur de Bougainville, dans toute l’île ; partout vous
êtes accueillis ; vous jouissez de tout, et personne ne vous en empêche ; vous ne trouvez aucune
porte fermée, parce que l’usage des portes est ignoré ; on vous invite, vous vous asseyez ; on vous
étale toute l’abondance du pays. Voulez-vous de jeunes filles ? ne les ravissez pas ; voilà leurs
mères qui vous les présentent toutes nues ; voilà les cases pleines d’hommes et de femmes, vous
voilà possesseur de la jeune victime du devoir hospitalier ; la terre se jonche de feuillages et de
fleurs ; les musiciens ont accordé leurs instruments ; rien ne troublera la douceur de vos
embrassements ; on y répondra sans contrainte ; l’hymne se chante ; l’hymne vous invite à être
homme ; l’hymne invite votre amante à être femme et femme complaisante, voluptueuse et
tendre ; et c’est au sortir des bras de cette femme que vous avez tué son ami, son frère, son père
peut-être ! Enfin vous vous éloignez de Tahiti ; vous allez recevoir les adieux de ces bons et
simples insulaires ; puissez-vous et vous et vos concitoyens et les autres habitants de notre
Europe être engloutis au fond des mers plutôt que de les revoir. Dès l’aube du jour ils
s’aperçoivent que vous mettez à la voile ; ils se précipitent sur vous ; ils vous embrassent, ils
pleurent. Pleurez, malheureux Tahitiens, pleurez ; mais que ce soit de l’arrivée et non du départ
de ces hommes ambitieux, corrompus et méchants. Un jour vous les connaîtrez mieux ; un jour
ils viendront un crucifix dans une main et le poignard dans l’autre, vous égorgez ou forcer à
prendre leurs mœurs et leurs opinions ; un jour vous serez sous eux presque aussi malheureux
qu’eux.
Le débat d’idées concerne finalement peut-être plus l’Europe que son altérité. Tahiti n’est
peut-être pas tant une figure de l’ailleurs, de l’autre, qu’une image d’un même, d’une Europe
qui n’aurait pas trahi ses valeurs, qui aurait gardé son authenticité.
Lectures en correspondance
Rousseau et le mythe du bon sauvage
Rousseau Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
• Première partie : l’état de pure nature
Quoiqu’il en soit de ces origines, on voit du moins, au peu de soin qu’a pris la Nature de
rapprocher les Hommes par des besoins mutuels, et de leur faciliter l’usage de la parole,
combien elle a peu préparé leur Sociabilité, et combien elle a peu mis du sien dans tout ce
qu’ils ont fait, pour en établir les liens. En effet, il est impossible d’imaginer pourquoi
dans cet état primitif un homme aurait plutôt besoin d’un autre homme qu’un singe ou un
Loup de son semblable, ni, ce besoin supposé, quel motif pourrait engager l’autre à y
pourvoir, ni même, dans ce dernier cas, comment ils pourraient convenir entre eux des
conditions. Je sais qu’on nous répète souvent que rien n’eût été si misérable que l’homme
dans cet état ; et s’il est vrai, comme je crois l’avoir prouvé, qu’il n’eût pu, qu’après bien
des Siècles, avoir le désir, et l’occasion d’en sortir, ce serait un procès à faire à la Nature,
et non à celui qu’elle aurait ainsi constitué ; Mais si j’entends bien ce terme de misérable,
c’est un mot qui n’a aucun sens, ou qui ne signifie qu’une privation douloureuse et la
souffrance du corps ou de l’âme : Or je voudrais bien qu’on m’expliquât quel peut être le
genre de misère d’un être libre, dont le cœur est en paix et le corps en santé. Je demande
laquelle, de la vie Civile ou naturelle, est la plus sujette à devenir insupportable à ceux qui
en jouissent ? Nous ne voyons presque autour de nous que des Gens qui se plaignent de
leur existence ; plusieurs même qui s’en privent autant qu’il est en eux, et la réunion des
Lois divine et humaines suffit à peine pour arrêter ce désordre : Je demande si on a jamais
ouï dire qu’un Sauvage en liberté ait seulement songé à se plaindre de la vie et à se donner
la mort ? Qu’on juge donc avec moins d’orgueil de quel côté est la véritable misère. Rien
au contraire n’eût été si misérable que l’homme Sauvage, ébloui par des lumières,
tourmenté par des Passions, et raisonnant sur un état différent du sien. Ce fut par une
Providence très sage, que les facultés qu’il avait en puissance ne devaient se développer
qu’avec les occasions de les exercer, afin qu’elles ne lui fussent ni superflues et à charge
avec le temps, ni tardives, et inutiles au besoin. Il avait dans le seul instinct tout ce qu’il lui
fallait pour vivre dans l’état de Nature, il a dans une raison cultivée que ce qu’il lui faut
pour vivre en société.
Rousseau Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
• Deuxième partie : le second état de nature
Ainsi quoique les hommes fussent devenus moins endurants, et que la pitié naturelle eût déjà souffert
quelque altération, cette période du développement des facultés humaines, tenant un juste milieu entre
l’indolence de l’état primitif et la pétulante activité de notre amour propre, dut être l’époque la plus
heureuse, et la plus durable. Plus on y réfléchit, plus on trouve que cet état était le moins sujet aux
révolutions, le meilleur à l’homme, et qu’il n’en a dû sortir que par quelque funeste hasard qui pour
l’utilité commune eût dû ne jamais arriver. L’exemple des Sauvages qu’on a presque tous trouvés à ce
point semble confirmer que le Genre humain était fait pour y rester toujours, que cet état est la véritable
jeunesse du Monde, et que tous les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection
de l’individu, et en effet vers la décrépitude de l’espèce.
Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs
habits de peaux avec des épines ou des arrêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre de corps
de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres
tranchantes quelques Canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de Musique ; En un mot, tant
qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas
besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient
l’être par leur Nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais
dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul
d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire,
et les vastes forêts se changèrent en des Campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes et
dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.
Questions :
• Quelle vision du sauvage et de l’état de nature Rousseau propose-t-il ici ? -* Quelle
conception de l’Histoire se dégage de ce texte ?
Diderot face à l’état de nature
Dans le Supplément, Diderot marque ses distances vis à vis des thèses rousseauistes. Le bon
sauvage n’existe pas selon lui. Il peut être cruel ou doux suivant les conditions naturelles dans
lesquelles il vit. La vision de Tahiti est contrebalancée par celle de l’île des Lanciers : p 145 « C’est,
à ce qu’il paraît, de la défense journalière contre les bêtes féroces, qu’il tient le caractère cruel
qu’on lui remarque quelquefois. Il est innocent et doux, partout où rien ne trouble son repos et sa
sécurité. ». Faits sociaux et politiques peuvent être compris comme un effet naturel qui est loin
d’être toujours positif. La nature n’est pas une utopie. Il n’y a pas de bon sauvage, mais seulement
des sauvages en situation.
Les contradictions internes à l’utopie tahitienne qu’il décrit font également glisser cette société
vers quelque chose de beaucoup plus inquiétant. L’objectif de Diderot n’est pas de proposer un
modèle idéal, mais de remettre en question la société européenne.
C’est la raison pour laquelle le compte-rendu qu’il écrit pour la Correspondance littéraire de Grimm
est un texte très mesuré, certes courtois, mais pas admiratif : depuis la rupture des philosophes
des Lumières et de Rousseau, Diderot s’est toujours montré distant voire opposé au mythe du
bon sauvage. Ainsi les articles de l’Encyclopédie consacrés à l’ethnologie insistent beaucoup plus
sur les ravages de la superstition que sur les merveilles de l’état de nature.
III. Voltaire et le mythe du bon sauvage
Quant à Voltaire, il refuse la « nostalgie du néolithique » de Rousseau en faisant de l’Ingénu une
incarnation du mythe du bon sauvage, mais après éducation philosophique. Ce n’est qu’après
l’épisode de la Bastille que le Huron, éduqué, devient un personnage pleinement positif. La
structure du conte, roman d’éducation, est d’ailleurs fondamentalement opposée à la conception
de l’Histoire comme dégradation que propose Rousseau. La comparaison des deux épisodes où
l’Ingénu exprime son amour pour la belle Saint-Yves est significative. Entre sa mâle impatience
qui donne lieu à un épisode comique proche de la farce dans le chapitre 6, et l’apprentissage de la
sensibilité du chapitre 14, le sauvage s’est civilisé, et loin d’y voir une dégradation comme le fait
Rousseau, Voltaire présente cette éducation comme une perfection des qualités naturelle du
Huron. Moins qu’un sauvage, l’Ingénu représente l’homme épargné par les préjugés qui
s’accomplit dans l’éducation propre aux philosophes des Lumières. Le bon sauvage en quelque
sorte, est celui qui n’en est plus vraiment un, qui n’est plus ingénu, mais qui est éclairé par les
idées des Lumières.
Voltaire L’Ingénu, chapitre 14
• L’Ingénu faisait des progrès rapides dans les sciences, et surtout dans la science de l’homme. La cause du
développement rapide de son esprit était due à son éducation sauvage presque autant qu’à la trempe de son
âme. Car, n’ayant rien appris dans son enfance, il n’avait point appris de préjugés. Son entendement,
n’ayant point été courbé par l’erreur, était demeuré dans toute sa rectitude. Il voyait les choses comme elles
sont, au lieu que les idées qu’on nous done dans l’enfance nous les font voir toute notre vie comme elles ne
sont point.
Pour Voltaire comme pour Diderot, même si leurs opinions diffèrent, choisir d’écrire un conte
sur un sauvage, c’est non seulement permettre, par la double énonciation, l’ironie, et la
distanciation induite par un regard étranger, de critiquer la société européenne, mais c’est aussi
réfuter les théories de Rousseau sur l’état de nature.
• CRDP Versailles :
http://blog.crdp-versailles.fr/classede1l/index.php/post/21/09/2013/Le-mythe-du-bon-
sauvage
Théodore de Bry, Scène de cannibalisme
Vespucci en Amérique, gravure de Théodore de Bry (né à Liège en 1528 et mort à Francfort le 27
mars 1598, dessinateur, graveur et éditeur protestant, d'origine liégeoise).
• CEGEP Montréal :
http://www.cvm.qc.ca/encephi/Syllabus/Litterature/18e/bonsauvage.htm
Le mythe du bon sauvage, qui s’est constitué suite à la découverte de l’Amérique, est l’idéalisation
des hommes vivant en contact étroit avec la nature. Il répond, entre autres, à la quête de
nouvelles valeurs du 18e
siècle ainsi qu’à son fougueux débat opposant « nature » et « culture ».
Associé à la période de grands bouleversements de la Révolution industrielle — réorganisation
sociale, développement technologique, productivité, propriété privée, etc.… — il représente un
havre de paix pour toutes les âmes agitées par un futur incertain. Vivre en d’autres temps, en
d’autres lieux où paix et bonheur sont assurés par une Nature bienveillante, voilà ce que propose
le mythe du bon sauvage dont l’expression même, très éloquente, mérite qu’on s’y attarde. En
effet, qu’est-ce qu’un « mythe »? Mais surtout, qu’est-ce qu’un «bon sauvage» ? Les réponses à
ces questions nous permettront de mieux approcher cette utopie des Lumières qui, malgré les
siècles passés, fait rêver encore aujourd’hui.
Qu’est-ce qu’un « mythe »?
Chez les peuples anciens, le mythe a pour fonction d’expliquer soit les origines du monde, soit les
phénomènes naturels énigmatiques. Ainsi, pour les Grecs, la naissance de notre univers s’illustre
par l’union d’Ouranos et Gaïa, incarnant respectivement le ciel et la terre; le phénomène de la
foudre, lui, qui terrifie le commun des mortels, s’explique par le dieu de la Lumière, Zeus, qui
décharge sa colère par des lances enflammées dirigées contre la terre. Ce type de récit, qui
présente des forces et des personnages symboliques, servira aussi à mieux raconter la vie des
hommes et à mieux rêver d’un ailleurs pour fuir l’écrasante réalité. Au XVIIIe siècle, par la
fiction du « bon sauvage », des philosophes tels que Diderot, Voltaire et Rousseau chercheront
non seulement à critiquer la colonisation ethnocentrique des Européens en Amérique, mais aussi
les idées de progrès et de raison au cœur même de l’idéologie des Lumières. Inspirés par les
nombreux récits de voyages de Vespucci, Colomb, Magellan, et Gama des 16e
et 17e
siècles, ceux-
ci, désireux de poursuivre la tradition humaniste de la Renaissance, interrogeront à travers elle de
nouveaux modèles d’hommes et de sociétés. En comparant leur monde à celui des indigènes
tahitiens, brésiliens, voire canadiens, ils feront le procès de l’Europe qui, se croyant supérieure et
indépassable, se donne pour mission de civiliser le Nouveau Monde. Ce Nouveau Monde, que
l’on aime dépeindre comme pur, vierge et bienheureux, sera bien sûr une représentation
déformée, imaginée et amplifiée de la réalité : en effet, la vaste majorité des philosophes et
littéraires n’a jamais même foulé la terre natale des « sauvages »! Le mythe, synonyme dans ce cas
d’invention et d’affabulation, reprend donc ici tout son sens.
Qu’est-ce qu’un «bon sauvage»?
Le « bon sauvage » est le fruit de l’imaginaire de tous les grands lecteurs des récits de voyages qui
foisonnent à partir du 16e
siècle : il est, en quelque sorte, un personnage composite fait à partir
des nombreuses descriptions des hommes primitifs vivant dans un « âge d’or » naturel : Dieu est
révélé par la Nature, croyait-on; par conséquent, l’être naturel est foncièrement bon. Mais d’où
pouvait donc provenir une telle croyance? Cette vision des « sauvages » a longtemps été nourrie
par des explorateurs et des missionnaires encore habités par l’illusion d’un paradis perdu. En
effet, nombreux sont ceux qui ont chéri les propos d’Amerigo Vespucchi (1454-1512) sur les
Indiens que l’on retrouve, ici, dans sa célèbre lettre intitulée Mundus novus (1503) :
Ils n’ont de vêtements, ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n’en ont aucun
besoin; et il n’y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous.
Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont
autant d’épouses qu’il leur plaît […]. Ils n’ont ni temples, ni religion, et ne sont pas
des idolâtres. Que puis-je dire de plus? Ils vivent selon la nature.
Libres, sensuels, polygames, communistes et bons, voilà les traits communs, mais combien
caricaturaux, des habitants de ce « meilleur des mondes ». Étrangement, les penseurs du XVIIIe
siècle se garderont longtemps de vouloir vérifier l’exactitude de ce genre de témoignage, car, on le
sait, le « bon sauvage » ainsi présenté sert mieux à réfléchir sur l’homme, sa nature, ses facultés
ainsi que sur sa société. Sans nul doute, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est reconnu pour
celui qui a le plus participé à ce mythe par la défense des idées suivantes qui traversent l’essentiel
de son oeuvre:
• « La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. »
Dans ses essais philosophiques Discours sur les sciences et les arts (1750) et Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), Rousseau prétend que l’état primitif de l’homme
porte celui-ci vers la vertu et le bonheur, car l’ignorance même du mal l’empêche de le répandre.
C’est le développement de son intelligence et la recherche du luxe, de la propriété et du pouvoir,
lesquels sont encouragés par les institutions sociales, qui a jeté l’homme en dehors d’un paradis
possible auprès de la Nature.
• Le luxe conduit à la corruption de l’âme.
Rousseau défend aussi que c’est la notion de propriété qui est responsable du malheur de
l’homme. Fondement même de la société civile et moderne, celle-ci conduira toujours l’être
humain à défendre son territoire — au besoin par la violence —, pour protéger ses biens
accumulés. Plus un homme possède, nous rappelle le philosophe, plus il est riche et considéré :
la puissance engendre des rapports de force auxquels doivent remédier les lois qui, à leur tour et
bien malgré elles, officialisent un système inégalitaire. Les besoins superflus et irréels sont, pour
lui, une des causes principales de la dénaturation de la société.
• L’éducation doit suivre l’exemple de la nature.
Dans l'Émile ou De l’éducation (1762), Rousseau propose une pédagogie naturelle qui répond aux
besoins réels de l’enfant. À travers l’histoire du jeune Émile, orphelin élevé par un précepteur
bienveillant, il s’appliquera à faire reconnaître non seulement les différences propres à tout
enfant, mais le développement psychologique particulier de celui-ci qu’il faudra éviter de brusquer
dans un désir de faire de lui un parfait citoyen. Le précepteur, qui servira uniquement de tuteur
de croissance, — c’est-à-dire d’organisateur des conditions d’apprentissage—, voudra surtout
faire du petit un homme épanoui et libre par le respect des différentes stades d’une éducation
dictés par Rousseau :
Dans un premier temps, Rousseau préconise le retrait de la société. Le précepteur
doit conduire l’enfant loin de la civilisation en le ramenant à la nature. Là, en
dehors des influences de sa famille et de ses amis, sa curiosité et ses talents
pourront se manifester librement. La Nature et l’expérience serviront de
principaux guides à ses sens qu’il développera jusqu’à l’âge de 12 ans. Le
précepteur aura principalement pour tâche de répondre aux questions de l’enfant
qui s’éveille au monde.
À douze ans, dans toute sa force physique et cognitive, l’enfant apprendra à faire
progresser sa réflexion au gré de ses habiletés et de ses intérêts. Au contact de ce
qui l’entoure, il devra se familiariser avec l’astronomie, la géographie et les
sciences. Une seule lecture lui est permise, celle de Robinson Crusoé (1719) de
Daniel Defoe (1660-1731), car auprès du courageux naufragé, le personnage
principal du récit, il pourra trouver un précieux exemple.
Aussi, le contact des livres n’est-il permis que vers l’âge de 15 ans. Grâce à la lecture,
Émile découvrira les hommes par le biais de l’histoire et de la philosophie — la
religion, ou plus précisément l’existence de Dieu, précise-t-il, ne lui sera révélée
qu’à l’âge de 18 ans. Son précepteur aura donc le soin de bien veiller au
développement de sa sensibilité au contact des hommes. Cette étape est cruciale,
car elle assurera sa sociabilité par sa découverte de l’amitié, de la pitié et de la
reconnaissance.
Il n’est pas étonnant que la défense de ces idées fera de Rousseau un des précurseurs de la
pédagogie moderne et de la psychologie de l’enfant. Malheureusement, la pensée de ce
philosophe est bien souvent malmenée : en effet, on réduit commodément sa philosophie à
quelques caricatures ou citations à l’emporte-pièce. L’homme « naturellement bon », par exemple,
Rousseau le savait chimérique. À preuve, «L’homme, écrivait-il, ne rétrograde pas », voulant ainsi
rappeler que l’être humain touché par la civilisation ne peut revenir en arrière. Cette image du
bon sauvage lui servira surtout à rappeler aux siens que plus ils s’éloignent de la simplicité de la
vie naturelle, plus ils courent à leur perte. Seule une éducation libre, ouverte et naturelle rendra à
l’être humain l’état de bonheur et de bonté qu’il doit regretter avoir perdu en rêvant du bon
sauvage que lui proposent les utopistes de son époque.
Pourquoi ce mythe ?
Il est bien connu que l’homme, foncièrement nostalgique, a toujours eu besoin de retrouver son
passé: le mythe du bon sauvage lui propose l’image rassurante d’un primitif heureux qui vit du
fond des âges en parfaite harmonie avec la nature. Ainsi, ces séduisantes fantasmagories lui
permettront d’échapper au réel en voyageant dans des pays imaginaires exotiques et
bienheureux. Offrant d’autres manières de penser et de vivre, cette utopie chère aux
philosophes défend la recherche du bonheur individuel et collectif tout en affirmant déjà les
valeurs qui seront proposées quelques années plus tard par la devise même de la Révolution
française : «Liberté, égalité et fraternité ». Si elle annonce en quelque sorte le monde rêvé de
demain, elle maintient aussi d’anciennes croyances judéo-chrétiennes associées au péché originel :
l’homme, rappelle La Bible, aurait connu le paradis, mais l’aurait perdu après avoir croqué la
pomme, symbolisant le la connaissance. La chute, associée au mal, se trouve du coup au cœur
même du « mythe du bon sauvage » : en effet, l’Européen « perverti », par sa culture énorme et sa
quête incessante de savoirs — on n’a qu’à penser à l’entreprise de L’Encyclopédie —, mais aussi par
son goût du luxe, aurait donc signé sa propre perte. Insatisfaits de cette vision primitiviste, les
penseurs des Lumières cesseront d’apprécier le mythe du bon sauvage pour revenir à l’idée de
progrès lorsqu’ils feront la découverte et l’observation d’enfants sauvages tels que Victor de
l’Aveyron (vignette à suivre). Ceux-ci firent comprendre définitivement que l’homme, privé de la
compagnie des siens, ressemble d’avantage à un animal qu’à l’idéal décrit par les colonisateurs, les
missionnaires et les littéraires. Il va sans dire que les voyages et les écrits de nombreux
ethnologues de la fin du siècle contribueront aussi à briser cette représentation idyllique. Bref,
on aura compris que rien ne pouvait éclipser le Progrès et la Raison, emblèmes tout-puissants de
la lutte philosophique de cette période historique éblouissante.
« Il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce
qu’on m’a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui
n’est pas de son usage. » Montaigne
• Lycée G. Sand :
http://lyc-george-sand-la-chatre.tice.ac-orleans-tours.fr/eva/spip.php?article1611
Les origines du mythe du bon sauvage
L’image que véhiculeront les missionnaires et voyageurs du "nouveau monde" , c’est-à-dire
l’Amérique découverte en 1492 par Christophe Colomb, va permettre aux Européens de projeter
sur ces territoires une utopie où l’homme vivrait heureux à l’état de nature.
Cette terre nouvelle où l’homme vit de façon archaïque inspire Montaigne qui va
consacrer un chapitre des Essais , "Des Cannibales", à une réflexion autour du terme
"barbare".
Les écrits de Montaigne sont fondateurs du mythe du bon sauvage qui consiste en une vision
imaginaire d’une terre sur laquelle l’homme vivrait heureux, en harmonie avec la nature dont les
richesses lui épargneraient le travail.
Ce mythe, comme toute représentation fantasmée de l’Autre, induit une part
d’attirance et de répulsion.
Extrait du chapitre "Des Cannibales", Essais (1580)
« Ces nations me semblent donc barbares de cette manière : pour avoir reçu fort peu de façon de
l’esprit humain, et pour être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur
commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres, mais c’est dans une telle pureté qu’il me
prend quelquefois déplaisir que la connaissance n’en soit venue plus tôt, du temps qu’il y avait des
hommes qui eussent su juger mieux que nous...(...). C’est un peuple, dirais-je à Platon, dans lequel
il n’y a aucune espèce de trafic, nulle connaissance des lettres, nulle science des nombres, nul nom
Daniel Defoe (1660-1731) Robinson Crusoé (1717)
Montesquieu (Charles de Secondat, baron de La
Brède et de) (1689 - 1755)
Lettres persanes (1721)
Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain) (1688 -1763) L’Ile aux esclaves (1725)
Voltaire (François Marie Arouet, dit) (1694 - 1778) Candide (1752)
Denis Diderot (1713-1784) Le Supplément au voyage de Bougainville (1772)
Jean-Jacques Rousseau (1712- 1778) La Nouvelle Héloïse (1761)
Émile ou De l’Éducation (1762)
James Fennimore Cooper (1901-1961) Le Dernier des Mohicans (1826)
Bernardin de St-Pierre (1737-1814) Paul et Virginie (1788 )
Aldous Huxley (1894-1963) Le Meilleur des mondes (1932)
de magistrat ni supériorité politique, nul usage de service, ni richesse, ni pauvreté, nul contrat,
nulle succession, nul partage, nulle occupation qu’oisive, nul respect de la parenté que commun,
nul vêtement, nulle agriculture, nul métal, nul usage du vin ou du blé. Les paroles mêmes qui
signifient le mensonge, la trahison, la dissimulation, l’avarice, l’envie, la médisance, le pardon :
inouïes. Combien il trouverait la République qu’il a imaginée loin de cette perfection. »
L’image du bon sauvage se lit également dans Voyage au Canada, le récit par Jacques Cartier de
ses rencontres avec les autochtones d’Hochelaga. Selon Cartier, le sauvage n’est plus barbare,
mais plutôt proche de la nature, « l’âme aussi pure que des enfants ». Leur façon de s’habiller et
leur mode de vie montrent à Cartier qu’ils ne sont pas effrayants ni dangereux, mais qu’ils sont
des êtres humains.
• Larousse :
Les grandes découvertes : Le mythe du bon sauvage
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/grandes_d%C3%A9couvertes/40401
Le mythe du bon sauvage s'est en quelque sorte répandu comme l'antithèse de la « légende noire »
antihispanique qui accuse les conquérants du Nouveau Monde de tous les forfaits. Ces
accusations ne sont qu'en partie fondées, car les crimes des conquistadores ont été dénoncés par
les évangélisateurs, qui ont su préserver et les vies humaines et les langues indigènes.
Naturellement, la légende noire est complaisamment accueillie par toutes les monarchies hostiles
aux Habsbourg d'Espagne.
Le mythe du bon sauvage remonte à Christophe Colomb, qui a été émerveillé de rencontrer chez
les populations des Grandes Antilles des qualités de douceur, d'hospitalité, de docilité et de
générosité. Ces qualités ne sont pas partagées par les féroces Caraïbes anthropophages des Petites
Antilles. Le xvie
siècle européen crédite cependant les habitants du Nouveau Monde de toutes les
vertus. Le bon sauvage inspire Thomas More dans son Utopie (1516) et surtout Montaigne, qui
consacre l'essentiel du chapitre « les Cannibales » de ses Essais (1580) aux Indiens du Brésil. Il
loue chez ces « naturels » un mode de vie édénique. Pour lui, les cannibales, à la différence des
Européens, ne font la guerre que pour des besoins alimentaires.
Louis Antoine de Bougainville
L'amour de l'Indien, du primitif subsiste à travers les siècles. Au xviiie
siècle, il bénéficie de
l'engouement pour la nature, que l'on oppose à l'artifice et au goût dépravé du luxe, courant dont
J.-J. Rousseau est le plus illustre représentant. Bernardin de Saint-Pierre, dans Paul et Virginie
(1788), s'attendrit sur la bonté des nègres qui servent ses héros. Mais l'incisif Voltaire constate
que le « prix du sucre » est payé par les Noirs qui travaillent aux horribles moulins. La meule leur
happe la main ou le bras (Candide, 1759). Il faudra attendre 1848 pour que Schoelcher, député de
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Sitographie "sauvage". Bac de français.

  • 1. Définitions Le mot sauvage dans le Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sauvage/71199?q=sauvage#70427 S'est dit des groupes humains qui se sont développés à l'écart des sociétés évoluées et dont le mode de vie est resté primitif ; se dit aussi de ce qui leur est propre : « Une peuplade sauvage ». Se dit de quelqu'un qui n'a pas le comportement social, l'attitude morale attendus dans une société civilisée : « Quel sauvage ! Il aurait pu s'excuser ». Qui fuit les contacts humains et mène une vie solitaire : « Un homme devenu sauvage avec l'âge ». Qui est violent, brutal, cruel : « Il devient sauvage quand ses intérêts sont en jeu ». Etymologie : du latin selvaticus : celui qui habite la forêt : silva Le mot ethnocentrisme dans le Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ethnocentrisme/31406? q=ethnocentrisme#31340 Tendance à privilégier les normes et valeurs de sa propre société pour analyser les autres sociétés. Le mot ethnocentrisme dans Wikipédia : • http://fr.wikipedia.org/wiki/Ethnocentrisme Concept ethnologique ou anthropologique qui a été introduit par W.G. Sumner. Il signifie « voir le monde et sa diversité à travers le prisme privilégié et plus ou moins exclusif des idées, des intérêts et des archétypes de notre communauté d'origine, sans regards critiques sur celle-ci »1 1 Pierre-André Taguieff. Dictionnaire historique et critique du racisme, PUF, 2013. • http://fr.wikipedia.org/wiki/Sauvage Claude Lévi-Strauss rappelle que l'attitude la plus ancienne et la plus spontanée consiste à « répudier purement et simplement les formes culturelles » qui sont les plus éloignées des nôtres. Sans crainte de la contradiction, nous parlerons d'« habitudes de sauvages ». Des manières de
  • 2. vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères, ou qui nous paraissent telles, remettent en cause la nécessité de nos propres conceptions, nous rappellent que ce qui nous paraît aller de soi est finalement l'expression d'un conditionnement toujours fragile. Paradoxalement, nous rejetons l'autre dans la nature au moment où il nous rappelle que nous sommes très peu naturels. Plus simplement, une autre norme que la nôtre est d'abord perçue comme absence de norme, ou anormalité. Selon Lévi-Strauss, toujours, il y a derrière des épithètes comme barbare, dans l'Antiquité, ou sauvage, actuellement, un même jugement : le terme sauvage, qui veut dire de la forêt, évoque un genre animal, comme le Barbare était celui qui, ne parlant pas grec, était réputé ne pas disposer de langage humain. « Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit ». Or, écrit Lévi-Strauss, cette attitude est justement l'attitude distinctive de ces prétendus sauvages mêmes. […] « C'est dans la mesure même où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l'on s'identifie le plus complètement avec celles qu'on essaye de nier ». « Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie ». […]Lévi-Strauss voit dans l'ethnocentrisme une forme d'inculture, faite d'indifférence (ou d'hostilité) aux autres formes culturelles que les nôtres. Sitographie sur le « Sauvage » • Musée Poitou-Charente : http://www.oceaniedeslumieres.org/D_mythe_bon_sauvage.asp Les découvertes des mondes nouveaux, du XVe au XVIIIe siècle, ont permis aux Européens de déceler l'existence de sociétés humaines considérées comme sauvages, car les critères de civilisation de ceux qui les observaient étaient différents. Dans les relations des voyageurs ou les descriptions des missionnaires (ethnographes par nécessité) apparaissent des oppositions entre les vertus naturelles, la simplicité de ces prétendus sauvages et la corruption liée à la civilisation européenne. Les comportements de ces populations sont mythifiés parce qu'elles ne connaissent pas les maux des civilisés. Les constats d'absence (peuples sans histoire, sans écriture, sans religion ni mœurs et sans police) ont pour effet de valoriser la force des sociétés cultivées. D'une façon contradictoire, l'homme social désenchanté envie le bonheur de ces hommes qui vivent près de la nature. En fait, ce mythe du bon sauvage est le résultat d'une opposition entre les concepts de Nature et Culture révélé par les philosophes et écrivains durant quasiment trois siècles. Parmi eux, Montaigne, Ronsard d'abord, puis Lafitau, Montesquieu, Rousseau et Diderot évoqueront les qualités attribuées à ces sociétés. Cette vision idéalisée des primitifs s'estompe avec les recherches ethnographiques au 19e siècle en même temps que la colonisation cherche à tirer profit de valeurs qui n'ont rien de socioculturelles. • Monuments nationaux :
  • 3. http://www.monuments- nationaux.fr/fichier/edu_doc/96/doc_pdf_fr_outil.le.mythe.du.bon.sauvage.pdf A la fin du XVe siècle, les grands voyages (Christophe Colomb découvre l’Amérique en 1492, Vasco de Gama les Indes en 1497, Magellan le Canada en 1519), et les récits qui en résultent, révèlent l’existence d’autres peuples, d’autres cultures. Les Européens prennent alors conscience qu’ils ne sont pas seuls au monde et qu’il existe d’autres façons de vivre. Au XVIe siècle, Montaigne* fait l’éloge du « bon sauvage », cet homme représentatif de l’ailleurs, de l’autre monde, cet individu resté à l’état de nature, remarquable par ses qualités morales. Au XVIIIe siècle, les récits de voyages (Voyage autour du monde de Bougainville - 1771, Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier, Voyage en Perse et en Inde orientale de Jean Chardin) se multiplient et continuent à propager l’image idyllique du « bon sauvage », symbole d’un paradis perdu. Mais cette représentation relève du « mythe » au sens étymologique, soit une fable, une légende, comme le souligne Rousseau dans la préface de son Discours sur l’origine des inégalités : « ...un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé, qui probablement n’existera jamais... ». *dans ses essais, Des cannibales et des coches 1. MONTAIGNE ET LE MYTHE DU BON SAUVAGE « Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté ; sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et l’idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice, et détournés de l’ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-cy, et les avons seulement accommodées au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant, la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût excellente, à l’envi des nôtres, en divers fruits de ces contrées-là sans culture. Ce n’est pas raison que l’art gagne le point d’honneur de sur notre grande et puissante mère Nature. Nous avons tant rechargé la beauté et la richesse de ses ouvrages par nos inventions, que nous l’avons tout étouffée. Si est-ce que partout où sa pureté reluit, elle fait merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises. » Montaigne, Essais , « Des cannibales », I, 31 Montaigne joue sur la polysémie des adjectifs « sauvage » et « barbare »*, tantôt connotés de manière dépréciative, tantôt colorés d’une teinte méliorative. Selon lui, les peuples qualifiés de « barbares » ne le sont que dans la mesure où leurs usages, leur façon de vivre diffèrent de celles des Européens. Ce ne sont pas des hommes cruels, féroces mais plutôt des hommes en adéquation avec la nature, contrairement aux Européens que la civilisation a pervertis. *barbare : du grec barbaros ce qui est étranger, qui a d’autres usages, un autre mode de vie. 2. ROUSSEAU ET LE MYTHE DU BON SAUVAGE
  • 4. « Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs fl èches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique ; en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons, et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. » Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes(1755) Dans ce texte, Rousseau présente l’état de nature comme un état idyllique, un âge d’or. Selon lui, le progrès, la civilisation, corrompent cet état primitif et ne créent que du désagrément pour l’homme. Il rejoint ainsi la thèse énoncée par Montaigne. 3. VOLTAIRE ET LE MYTHE DU BON SAUVAGE « Tous les hommes qu'on a découverts dans les pays les plus incultes et les plus affreux vivent en société comme les castors, les fourmis, les abeilles, et plusieurs autres espèces d'animaux. On n'a jamais vu de pays où ils vécussent séparés, où le mâle ne se joignît à la femelle que par hasard, et l'abandonnât le moment après par dégoût ; où la mère méconnût ses enfants après les avoir élevés, où l'on vécût sans famille et sans société. Quelques mauvais plaisants ont abusé de leur esprit jusqu'au point de hasarder le paradoxe étonnant que l'homme est originairement fait pour vivre seul comme un loup-cervier, et que c'est la société qui a dépravé la nature. Autant voudrait- il dire que dans la mer les harengs sont originairement faits pour nager isolés, et que c'est par excès de corruption qu'ils passent en troupe de la mer Glaciale sur nos côtes ; qu'anciennement les grues volaient en l'air chacune à part, et que par une violation du droit naturel elles ont pris le parti de voyager en compagnie. Chaque animal a son instinct, et l'instinct de l'homme, fortifié par la raison, le porte à la société comme au manger et au boire. Loin que le besoin de la société ait dégradé l'homme, c'est l'éloignement de la société qui le dégrade. Quiconque vivrait absolument seul perdrait bientôt la faculté de penser et de s'exprimer : il serait à charge de lui-même ; il ne parviendrait qu'à se métamorphoser en bête... Le même auteur ennemi de la société, semblable au renard sans queue, qui voulait que tous ses confrères se coupassent la queue, s'exprime ainsi d'un style magistral : Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : " Ceci est à moi" et trouva assez de gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères, que d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui arrachant les pieux ou comblant les fossés, eût crié à ses semblables : " Gardez-vous d'écouter cet imposteur, vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne."
  • 5. Ainsi, selon ce beau philosophe, un voleur, un destructeur aurait été le bienfaiteur du genre humain et il aurait fallu punir un honnête homme qui aurait dit à ses enfants : " Imitons notre voisin, il a enclos son champ, les bêtes ne viendront plus le ravager, son terrain deviendra plus fertile ; travaillons le nôtre comme il a travaillé le sien, il nous aidera et nous l'aiderons. Chaque famille cultivant son enclos, nous serons mieux nourris, plus sains, plus paisibles, moins malheureux. Nous tâcherons d'établir une justice distributive qui consolera notre pauvre espèce, et nous vaudrons mieux que les renards et les fouines à qui cet extravagant veut ressembler. » Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, article « Homme », 1770. Voltaire compare ici les hommes « sauvages » à des animaux et plus particulièrement à des animaux vivant en société, sur terre, dans les airs ou dans les mers. Ces bêtes, qui vivent en colonie, démontrent ainsi qu’il est naturel de vivre en société et ce postulat s’applique également à l’homme. • site perso E. Kennel : http://elisabeth.kennel.perso.neuf.fr/le_mythe_du_bon_sauvage.htm Les grands voyages et les récits de ces voyages sont à l'origine du mythe du bon sauvage. Dès la fin du XVe siècle, Christophe Colomb, en 1492, Vasco de Gama en 1497, Magellan, en 1519, Jacques cartier en 1534, avaient respectivement fait route vers l'Amérique, les Indes, le Canada. Leurs carnets de voyage nous révèlent l'existence d'autres peuples, d'autres coutumes, d'autres cultures, d'autres religions. L'Europe prend conscience qu'elle n'est plus seule au monde. Par ailleurs, Nicolas Copernic ( 1473 - 1543) démontre que la terre est ronde et qu'elle tourne, puis Galilée ( 1564-1642) prouve que la terre tourne autour du soleil. C'en est fini du géocentrisme, c'est la naissance de l'héliocentrisme. Tous ces éléments révolutionnent les systèmes de pensée, la diversité des hommes et des coutumes voit naître le relativisme. Déjà Montaigne dans les Essais, plus particulièrement dans Des Cannibales et Des Coches, nous dresse un portrait de ce que l'on appellera au dix-huitième siècle le "bon sauvage" et nous vante les mérites de ces peuples purs et innocents, à l'inverse des Européens, vils et cruels. Il fait l'éloge de leurs qualités morales, la loyauté, la franchise, le courage, la fermeté, la constance, de leur bon sens, de leur habileté. Ils n'attachent à l'or et aux pierres précieuses qu'une importance esthétique et ne s'en servent que pour rendre leurs villes plus belles Ils ne connaissent ni l'envie ni la jalousie et ne se s'adonnent à aucune guerre de conquête. la propriété privée n'existe pas plus que la notion de classe sociale. A la sagesse des "barbares" qui sont hospitaliers et qui vivent tranquillement au sein d'une nature luxuriante, il oppose la cruauté des Européens qui ne pensent qu'à s'enrichir, qu'à détruire, qu'à asservir. Il accuse les conquistadors de pervertir ce " monde enfant", c'est déjà, au seizième siècle remettre en cause la colonisation, et faire le procès des civilisations policées. Extrait de Des Coches " ... Que n'est tombé sous Alexandre ou sous sous ces ancien Grecs et Romains une si noble conquête, et une si grande mutation et altération de tant d'empires et de peuples, sous des mains qui eussent doucement poli et défriché ce qu'il y avait de sauvage, et eussent conforté et promu les bonnes semences que nature y avaient produites.... Au rebours, nous nous sommes servis de leur ignorance et inexpérience à les plier plus facilement vers la trahison, luxure, avarice et vers toute sorte d'inhumanité et de cruauté, à l'exemple et patron de nos mœurs. ... Tant de villes
  • 6. rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l'épée, et la plus riche et la plus belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre ! Mécaniques victoires. Jamais l'ambition, jamais les inimitiés publiques ne poussèrent les hommes les uns contre les autres à si horribles hostilités et calamités si misérables." Cet extrait de Montaigne trouve son écho dans le discours du vieillard du Supplément qui met en garde les Tahitiens contre les Européens et qui dénonce les effets pervers des Européens sur les tahitiens Au dix-huitième siècle Les récits de voyages sont de plus en plus nombreux. Outre le récit de Bougainville, on peut citer : Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier ( 1605-1689), qui retracent son périple en Turquie, en Perse et en Inde ; Nouveaux mémoires sur l'état présent de la Chine, de Louis Lecomte ( 1656-1729) ; Voyage en Perse et en Inde orientale de Jean Chardin ( 1643-1713) ; Dialogue de monsieur le Baron de Lahontan et d'un sauvage de l'Amérique, de Louis Armand de Lahontan ( 1666-1715). Ces récits, très appréciés du public de l'époque, véhiculent l'image idyllique du "bon sauvage" et leur bonheur semble incontestable : ils sont vigoureux, simples, obéissant à la mère nature, généreux, libres de toute contrainte sociale ou politique, ils sont ignorants de la corruption, des sciences et des civilisations, ils respectent une morale naturelle qui leur dicte le respect d'autrui et de faire le bien de tous. En aucun cas leur morale n'est subordonnée à l'idée de religion, ils se contentent de croire en une volonté suprême qui meut l'univers et la nature. Ces peuples nouveaux ne sont pas considérés comme inférieurs à l'homme civilisé, au contraire, ils inspirent l'admiration et incarnent une sorte de pureté originelle. Le dix-huitième siècle voit en eux la parfaite harmonie entre l'homme et la nature, loin de tous préjugés, de quelque ordre que ce soit. Le dix-huitième siècle utilise l'image du "bon sauvage" pour donner une leçon de relativisme. Le Tahitien de Diderot ou le Huron de Voltaire, par leurs modes de vie différents de ceux des Européens, donnent à voir une autre façon de vivre et d'être heureux. La diversité des attitudes, des comportements, permet un élargissement de l'esprit et engendre la réflexion sur la sens de la vie. Dés lors, l'esprit critique se développe et permet de porter un regard nouveau sur soi et de se demander selon quelle légitimité l'Européen veut-il imposer ses façons de penser. Ce n'est pas sans raison si ce siècle appelé " des Lumières" s'interroge sur les fondements de la société dans laquelle il vit et remet en cause certains de ses principes. En effet, les pays découverts, libres de toute convention sociale politique ou religieuse, vivant en toute quiétude, sont l'occasion de dénoncer le poids de l'absolutisme royal, du conformisme social et religieux. L'intolérance et les inégalités sont au centre des préoccupations des philosophes du dix-huitième, j'en veux pour preuve le sujet du concours proposé par l'académie de Dijon en 1754 : " Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle." De plus, sans vouloir nier le progrès et ses avantages pour l'homme, à l'exclusion de Rousseau, les philosophes s'interrogent déjà sur certaines conséquences du progrès, tel un nouvel asservissement pour l'homme. Le "bon sauvage" : un mythe Un mythe, et non pas un réalité. Conformément à sa définition le mythe désigne un récit symbolique et figuratif qui révèle une vérité, " un mensonge qui dit vrai", selon la formule de Cocteau. Le "bon sauvage" symbolise les aspects de la condition humaine et traduit ses
  • 7. aspirations à savoir, la quête du bonheur et d'une vie harmonieuse. En proposant une vision idyllique, utopique, du primitif naïf, bon, vivant en osmose parfaite avec la nature qui le fait vivre, le dix-huitième siècle exprime son désir d'un bonheur simple et traduit aussi ses angoisses. On peut y voir un regret d'une forme de paradis perdu. D'ailleurs, il convient de souligner que même Rousseau, dans la préface de son discours sur l'origine des inégalités, présente l'homme à l'état de pure nature comme étant un idéal et non une réalité : " ...un état qui n'existe plus, qui n'a peut-être jamais existé, qui probablement n'existera jamais..." et dans le début de son discours il précise que même à sa création, l'homme ne connaissait pas l'état de nature : " Il n'est même pas venu dans l'esprit de la plupart des nôtres ( philosophes) de douter que l'état de nature eût existé, tandis qu'il est évident, par la lecture des livres sacrés, que le premier homme, ayant reçu immédiatement des Dieu des lumières et des préceptes, n'était point lui-même dans cet état...." Des textes contradictoires Extrait du chapitre des Cannibales, des Essais, de Montaigne (1580) " Ces nations me semblent donc barbares de cette manière : pour avoir reçu fort peu de façon de l'esprit humain, et pour être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres, mais c'est dans une telle pureté qu'il me prend quelquefois déplaisir que la connaissance n'en soit venue plus tôt, du temps qu'il y avait des hommes qui eussent su juger mieux que nous.... Ils ( Lycurgue et Platon) n'ont pu imaginer une naïveté aussi pure et simple que nous la voyons par expérience. Ils n'ont pu croire non plus que notre société peut se maintenir avec si peu d'artifice et de soudure humaine. c'est un peuple , dirais-je à Platon, dans lequel il n'y a aucune espèce de trafic, nulle connaissance des lettres, nulle science des nombres, nul nom de magistrat ni supériorité politique, nul usage de service( c'est-à-dire pas d'esclavage), ni richesse, ni pauvreté, nul contrat, nulle succession, nul partage, nulle occupation qu'oisive, nul respect de la parenté que commun, nul vêtement, nulle agriculture, nul métal, nul usage du vin ou du blé. Les paroles mêmes qui signifient le mensonge, la trahison, la dissimulation, l'avarice, l'envie, la médisance, le pardon : inouïes. Combien il trouverait la République qu'il a imaginée loin de cette perfection. " Extrait du discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, de Rousseau( 1755) " ... Je voudrais bien qu'on m'expliquât quel peut être le genre de misère d'un être libre, dont le cœur est en paix et le corps en santé. Je demande laquelle, de la vie civile ou naturelle, est la plus sujette à devenir insupportable à ceux qui en jouissent ? Nous ne voyons presque autour de nous que des Gens qui se plaignent de leur existence ; plusieurs même qui s'en privent autant qu'il est en eux, et la réunion des Lois divines et humaines suffit à peine pour arrêter ce désordre : je me demande si on a jamais ouï dire qu'un sauvage en liberté ait seulement songé à se plaindre de la vie et à se donner la mort ? Qu'on juge donc avec moins d'orgueil de quel côté est la véritable misère. Rien au contraire n'eût été si misérable que l'homme Sauvage, ébloui par les lumières, tourmenté par des Passions, et raisonnant sur un état différent du sien. ce fut par une Providence très sage, que les facultés qu'il avait en puissance ne devaient se développer qu'avec les occasions de les exercer, afin qu'elles ne lui fussent ni superflues et à charge avec le temps, ni tardives et inutiles au besoin. Il avait dans le seul instinct tout ce qu'il lui fallait pour vivre dans l'état de Nature, il a dans une raison cultivée que ce qu'il lui faut pour vivre en société. Il paraît d'abord que les hommes dans cet état ( de nature), n'ayant ente eux aucune sorte de relation morale ni de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons ni méchants, et n'avaient ni vices ni vertus... cet état était par conséquent le plus propre à la paix et le plus convenable au genre humain."
  • 8. Extraits des questions sur l'Encyclopédie, Article " Homme", de Voltaire ( 1770) Extrait N°1 " Tous les hommes qu'on a découverts dans les pays les plus incultes et les plus affreux vivent en société comme les castors, les fourmis, les abeilles, et plusieurs autres espèces d'animaux. On n'a jamais vu de pays où ils vécussent séparés, où le mâle ne se joignît à la femelle que par hasard, et l'abandonnât le moment après par dégoût ; où la mère méconnût ses enfants après les avoirs élevés, où l'on vécût sans famille et sans société. Quelques mauvais plaisants ont abusé de leurs esprit jusqu'au point de hasarder le paradoxe étonnant que l'homme est originairement fait pour vivre seul comme un loup-cervier, et que c'est la société qui a dépravé la nature. autant voudrait-il dire que dans la mer les harengs sont originairement faits pour nager isolés, et que c'est par excès de corruption qu'ils passent en troupe de la mer Glaciale sur nos côtes ; qu'anciennement les grues volaient en l'air chacune à part, et que par une violation du droit naturel elles ont pris le parti de voyager en compagnie. Chaque animal a son instinct, et l'instinct de l'homme, fortifié par la raison, le porte à la société comme au manger et au boire. Loin que le besoin de la société ait dégradé l'homme, c'est l'éloignement de la société qui le dégrade. Quiconque vivrait absolument seul perdrait bientôt la faculté de penser et de s'exprimer : il serait à charge de lui-même ; il ne parviendrait qu'à se métamorphoser en bête... Le même auteur ( Rousseau) ennemi de la société, semblable au renard sans queue, qui voulait que tous ses confrères se coupassent la queue, s'exprime ainsi d'un style magistral : Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : " Ceci est à moi" et trouva assez de gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères, que d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui arrachant les pieux ou comblant les fossés, eût crié à ses semblables : " Gardez-vous d'écouter cet imposteur, vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne." Ainsi, selon ce beau philosophe, un voleur, un destructeur aurait été le bienfaiteur du genre humain et il aurait fallu punir un honnête homme qui aurait dit à ses enfants : " Imitons notre voisin, il a enclos son champ, les bêtes ne viendront plus le ravager, son terrain deviendra plus fertile ; travaillons le nôtre comme il a travaillé le sien, il nous aidera et nous l'aiderons. Chaque famille cultivant son enclos, nous serons mieux nourris, plus sains, plus paisibles, moins malheureux. Nous tâcherons d'établir une justice distributive qui consolera notre pauvre espèce, et nous vaudrons mieux que les renards et les fouines à qui cet extravagant veut ressembler." Extrait N° 2 " Que serait l'homme dans l'état qu'on nomme de pure nature ? Un animal fort au-dessous des Iroquois qu'on trouva dans le nord de l'Amérique. Il serait très inférieur à ces Iroquois, puisque ceux-ci savaient allumer du feu et faire des flèches. Il fallut des siècles pour parvenir à ces deux arts. L'homme abandonné à la pure nature n'aurait pour tout langage que quelques sons mal articulés ; l'espèce serait réduite à un très petit nombre par la difficulté de la nourriture et par le défaut des secours, du moins dans nos tristes climats. Il n'aurait pas plus de connaissance de Dieu et de l'âme que des arithmétiques, ses idées seraient renfermées dans le soin de se nourrir. L'espèce des castors serait très préférable.
  • 9. C'est alors que l'homme ne serait précisément qu'un enfant robuste ; et on a vu beaucoup d'hommes qui ne sont pas fort au-dessus de cet état. Les Lapons, les Samoïèdes, les habitants de Kamtchatka, les Caffres, les Hottentots sont à l'égard de l'homme en l'état de pure nature ce qu'étaient autrefois les cours de Cyrus et de Sémiramis en comparaison des habitants de Cévennes. Et cependant ces habitants du Kamtchatka et ces Hottentots de nos jours, si supérieurs à l'homme entièrement sauvage, mangent à pleines mains la vermine dont ils sont mangés. En général l'espèce humaine n'est pas de deux ou trois degrés plus civilisée que les gens du Kamchatka. La multitude des bêtes brutes appelés hommes, comparée avec le petit nombre de ceux qui pensent est au moins dans la proportion de cent à un chez beaucoup de nations.... .... plus de la moitié de la terre habitable est encore peuplée d'animaux à deux pieds qui vivent dans cet horrible état qui approche de la pure nature, ayant à peine le vivre et le vêtir, jouissant à peine du don de la parole, s'apercevant à peine qu'ils sont malheureux, vivant et mourant presque sans le savoir." • Web pédago : http://lewebpedagogique.com/holala/category/themes-litteraires/page/2/ Au 18ème siècle, les intellectuels expriment, à travers le mythe du bon sauvage, une vision utopique inspirée par le mode de vie des tribus indiennes, alors considérées comme « non civilisées » et donc sauvages. Le bonheur résiderait dans un état en osmose avec la nature qui prone la frugalité, le refus du progrès et de la propriété privée. Cette vision, parfois un peu naive, a permis à des philosophes comme Diderot, dans Le Supplément du voyage de Bougainville, de remettre en question la « sauvagerie » de certaines pratiques occidentales (guerre, impérialisme, cupidité…). On peut voir dans la lecture de ce mythe, un regret d’une forme de paradis perdu. D’ailleurs, il convient de souligner que même Rousseau, dans la préface de son Discours sur l’origine des inégalités, présente l’homme à l’état de pure nature comme étant un idéal et non une réalité : » …un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé, qui probablement n’existera jamais… » • La page des Lettres sur Ac-Versailles : http://www.lettres.ac-versailles.fr/spip.php?article730 Nature et société : naissance du mythe du bon sauvage par PLAISANT-SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie Sommaire • I. Le regard porté par l’Européen sur le « sauvage » depuis le XVIe siècle • II. L’inscription de la réalité ethnologique au sein du débat
  • 10. • III. Les réécritures de la réalité ethnologique : Le Supplément au Voyage de Bougainville au cœur d’un débat d’idées • Lectures en correspondance I. Le regard porté par l’Européen sur le « sauvage » depuis le XVIème siècle Lectures en correspondance Deux représentations iconographique du sauvage au XVIème siècle Représentation positive du sauvage : « Famille Tupinamba à l’ananas » : Jean de Léry, Histoire d’un voyage en terre de Brésil, Livre de poche, bibliothèque classique n°0707, p213. Représentation négative du sauvage cannibale : « Equarrissage de la victime » : André Thevet, Les Singularités de la France Antarctique, Editions Chandeigne, p163. Questions : Comparez ces deux représentations des Brésiliens issues d’un récit de voyage du XVIème siècle. Analysez la représentation des corps et des attitudes. Quel discours véhiculent- elles sur l’idée que les Européens se font du sauvage ? Autres supports iconographiques : Le catalogue de l’exposition Kannibals et Vahinés qui s’est tenue en 2001 au musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie offre également un grand choix de représentations stéréotypées du bon et du mauvais sauvage, jusque dans la culture contemporaine, manifestant la permanence du mythe. Lectures en correspondance La double dimension du regard porté par l’Européen sur le sauvage se retrouve également dans la littérature. Montesquieu Les Lettres Persanes. Lettre XII Usbeck à Mirza, à Ispahan Tu renonces à ta raison pour essayer la mienne ; tu descends jusqu’à me consulter ; tu me crois capable de t’instruire. Mon cher Mirza, il y a une chose qui me flatte plus encore que la bonne opinion que tu as conçue de moi : c’est ton amitié qui me la procure. Pour remplir ce que tu me prescris, je n’ai pas cru devoir employer des raisonnements forts abstraits : il y a certaines vérités qu’il ne suffit pas de persuader, mais qu’il faut encore faire sentir. Telles sont les vérités de morale. Peut-être que ce morceau d’histoire te touchera plus qu’une philosophie subtile. Il y avait en Arabie un petit peuple appelé Troglodyte, qui descendait de ces anciens Troglodytes qui, si nous en croyons les historiens, ressemblaient plus à des bêtes qu’à des hommes. Ceux-ci n’étaient point si contrefaits : ils n’étaient point velus comme des ours ; ils ne sifflaient point ; ils avaient deux yeux ; mais ils étaient si méchants et si féroces qu’il n’y avait parmi eux aucun principe d’équité ni de justice. Ils avaient un roi d’une origine étrangère, qui, voulant corriger la méchanceté de leur naturel, les traitait sévèrement. Mais ils conjurèrent contre lui, le tuèrent et exterminèrent toute la famille royale. Le coup étant fait, ils s’assemblèrent pour choisir un gouvernement, et, après bien des dissensions, ils créèrent des magistrats. Mais, à peine les eurent-ils élus, qu’ils leur devinrent
  • 11. insupportables, et ils les massacrèrent encore. Ce peuple, libre de ce nouveau joug, ne consulta plus que son naturel sauvage ; tous les particuliers convinrent qu’ils n’obéiraient plus à personne ; que chacun veillerait uniquement à ses intérêts, sans consulter ceux des autres. Cette résolution unanime flattait extrêmement tous les particuliers. Ils disaient : « Qu’ai-je affaire d’aller me tuer à travailler pour des gens dont je ne me soucie point ? Je penserai uniquement à moi ; je vivrai heureux. Que m’importe que les autres le soient ? Je me procurerai tous mes besoins, et, pourvu que je les aie, je ne me soucie point que tous les autres Troglodytes soient misérables. » On était dans le mois où l’on ensemence les terres. Chacun dit : « Je ne labourerai mon champ que pour qu’il me fournisse le lé qu’il me faut pour me nourrir : une plus grand quantité me serait inutile ; je ne prendrai point de la peine pour rien. » Les terres de ce petit royaume n’étaient pas de même nature : il y en avait d’arides et de montagneuses, et d’autre qui, dans un terrain bas, étaient arrosées de plusieurs ruisseaux. Cette année, la sécheresse fut très grande, de manière que les terres qui étaient dans les lieux élevés manquèrent absolument, tandis que celles qui purent être arrosées furent très fertiles. Ainsi les peuples des montagnes périrent presque tous de faim par la dureté des autres, qui leur refusèrent de partager la récolte. L’année d’ensuite fut très pluvieuse ; les lieux élevés se trouvèrent d’une fertilité extraordinaire, et les terres basses furent submergées. La moitié du peuple cria une seconde fois famine ; mais ces misérables trouvèrent des gens aussi durs qu’ils l’avaient été eux-mêmes. Montesquieu Les Lettres Persanes. Lettre XII Usbek au même, à Ispahan. Tu as vu, mon cher Mirza, comment les Troglodytes périrent par leur méchanceté même, et furent les victimes de leurs propres injustices. De tant de familles, il n’en resta que deux, qui échappèrent aux malheurs de la nation. Il y avait, dans ce pays, deux hommes bien singuliers : ils avaient de l’humanité ; ils connaissaient la justice ; ils aimaient la vertu : autant liés par la droiture de leur cœur, que par la corruption de celui des autres, ils voyaient la désolation générale, et ne la ressentaient que par la pitié : c’était le motif d’une union nouvelle. Ils travaillaient, avec une sollicitude commune, pour l’intérêt commun ; ils n’avaient de différends, que ceux qu’une douce et tendre amitié faisait naître ; et, dans l’endroit du pays le plus écarté, séparés de leurs compatriotes indignes de leur présence, ils menaient une vie heureuse et tranquille : la terre semblait produire d’elle-même, cultivée par ces vertueuses mains. Ils aimaient leurs femmes, et ils en étaient tendrement chéris. Toute leur attention était d’élever leurs enfants à la vertu. Ils leur représentaient sans cesse les malheurs de leurs compatriotes, et leur mettaient devant les yeux cet exemple si triste : ils leur faisaient surtout sentir que l’intérêt des particuliers se trouve toujours dans l’intérêt commun ; que vouloir s’en séparer, c’est vouloir se perdre ; que la vertu n’est point une chose qui doive nous coûter ; qu’il ne faut point la regarder comme un exercice pénible ; et que la justice pour autrui est une charité pour nous. Ils eurent bientôt la consolation des pères vertueux, qui est d’avoir des enfants qui leur ressemblent. Le jeune peuple qui s’éleva sous leurs yeux s’accrut par d’heureux mariages : le nombre augmenta, l’union fut toujours la même et le vertu, bien loin de s’affaiblir dans la multitude, fut fortifiée, au contraire, par un plus grand nombre d’exemples. Qui pourrait représenter ici le bonheur de ces Troglodytes ? Un peuple si juste devait être chéri des dieux. Dès qu’il ouvrit les yeux pour les connaître, il apprit à les craindre ; et la religion vint adoucir dans les mœurs ce que la nature y avait laissé de trop rude. Lectures en correspondance
  • 12. Dès le XVIème siècle, le regard porté par l’Européen sur le sauvage s’avère chargé d’idéologie. Deux images antagonistes se dégagent, celle du bon et celle du mauvais sauvage, incarné tout particulièrement par la figure du cannibale. Jean de Léry Histoire d’un Voyage fait en la terre du Brésil « Nudité des Américaines moins à craindre que l’artifice des femmes de par-deçà » Toutesfois avant que clore ce chapitre, ce lieu-ci requiert que je réponde, tant à ceux qui ont écrit, qu’à ceux qui pensent que la fréquentation entre ces sauvages tous nus, et principalement parmi les femmes, incite à lubricité et paillardise. Sur quoi je dirai en un mot, qu’encore voirement qu’en apparence il n’y ait que trop d’occasion d’estimer qu’outre la déshonnêteté de voir ces femmes nues, cela ne semble aussi servir comme d’un appât ordinaire à convoitise : toutefois, pour en parler selon ce qui s’en est communément aperçu pour lors, cette nudité, aussi grossière en telle femme est beaucoup moins attrayante qu’on ne cuiderait. Et partant, je maintiens que les attifets, fards, fausses perruques, cheveux tortillés, grands collets fraisés, vertugales, robes sur robes, et autres infinies bagatelles dont les femmes et filles de par-deçà se contrefont et n’ont jamais assez, sont sans comparaison, cause de plus de maux que n’est la nudité ordinaire des femmes sauvages : lesquelles cependant, quant au naturel, ne doivent rien aux autres en beauté. Tellement que si l’honnêteté me permettait d’en dire davantage, me vantant de bien soudre toutes les objections qu’on pourrait amener au contraire, j’en donnerais des raisons si évidentes que nul ne pourrait les nier. Sans doncques poursuivre ce propos plus avant, je me rapporte de ce peu que j’en ai dit à ceux qui ont fait le voyage en la terre du Brésil, et qui comme moi ont vu les unes et les autres. Ce n’est cependant que contre ce que dit la sainte Ecriture d’Adam et Eve, lesquels après le péché, reconnaissant qu’ils étaient nus furent honteux, je veuille en façon que ce soit approuver cette nudité : plutôt détesterai-je les hérétiques qui contre la Loi de nature (laquelle toutefois quant à ce point n’est nullement observée entre nos pauvres Américains) l’ont toutefois voulu introduire par-deçà. Mais ce que j’ai dit de ces sauvages est, pour montrer qu’en les condamnant si austèrement, de ce que sans nulle vergogne ils vont ainsi le corps entièrement découvert, nous excédant en l’autre extrémité, c’est-à-dire en nos bombances, superfluités et excès en habits, ne sommes guères plus louables. Et plût à Dieu, pour mettre fin à ce point, qu’un chacun de nous, plus pour l’honnêteté et nécessité, que pour la gloire et mondanité, s’habillât modestement. Montaigne Les Essais Livre I. Chapitre 31 « Des cannibales » Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances d pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, à produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l’ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons seulement accommodés au plaisir de notre goût corrompu.
  • 13. Montaigne Les Essais Livre II. Chapitre 6 « Des coches » En côtoyant la mer à la quête de leurs mines, aucuns Espagnols prirent terre en une contrée fertile et plaisante, fort habitée, et firent à ce peuple leurs remontrances accoutumées : « Qu’ils étaient gens paisibles, venant de lointains voyages, envoyés de la part du roi de Castille, le plus grand Prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant Dieu en terre, avait donné la principauté de toutes les Indes ; que, s’ils voulaient lui être tributaires, ils seraient très bénignement traités ; leur demandaient des vivres pour leur nourriture et de l’or pour le besoin de quelque médecine ; leur remontraient au demeurant la créance d’un seul Dieu et la vérité de notre religion laquelle ils conseillaient d’accepter, y ajoutant quelques menaces. » La réponse fut telle : « Que, quant à être paisibles, ils n’en portaient pas la mine, s’ils l’étaient ; quant à leur roi, puisqu’il demandait, il devait être indigent et nécessiteux, et celui qui lui avait fait cette distribution, homme aimant dissension, d’aller donner à un tiers chose qui n’était pas sienne, pour le mettre en débat contre les anciens possesseurs ; quant aux vivres, qu’ils leurs en fourniraient ; d’or, ils en avaient pu, et que c’était chose qu’ils mettaient en nulle estime, d’autant qu’elle était inutile au service de leur vie, là où tout leur soin regardait seulement à la passer heureusement et plaisamment ; pourtant, ce qu’ils en pourraient trouver, sauf ce qui était employé au service de leurs dieux, qu’ils le prissent hardiment ; quant à un seul Dieu, le discours leur en avait plu, mais qu’ils ne voulaient changer leur religion, s’en étant si utilement servi si longtemps, et qu’ils n’avaient accoutumé prendre conseil que de leurs amis et connaissances ; quant aux menaces, c’était signe de faute de jugement d’aller menaçant ceux desquels la nature et les moyens étaient inconnus ; ainsi qu’ils se dépêchassent promptement de vider leur terre, car ils n’étaient pas accoutumés de prendre en bonne part les honnêtetés et remontrances de gens armés et étrangers ; autrement, qu’on ferait d’eux comme de ces autre, leur montrant les têtes d’aucuns hommes justiciés autour de leur ville. » Voilà un exemple de la balbutie de cette enfance. Dès le XVIème siècle, la figure du sauvage sert à critiquer l’Européen. C’est déjà une arme critique. La dette de Diderot à l’égard des textes du XVIème siècle et en particulier de Jean de Léry se remarque également à propos d’un des textes majeurs du Supplément : les adieux du vieillard. II. L’inscription de la réalité ethnologique au sein du débat Diderot pose d’emblée la question de la réalité ethnologique du Tahitien : « Est-ce que vous donneriez dans la fable de Tahiti ? » (p 146). De fait le problème de l’articulation entre enquête ethnographique et préjugés philosophiques apparaît dès les premiers témoignages directs sur l’île de Tahiti, ceux de Bougainville et de ses compagnons. Le Journal de bord de Bougainville Ce texte est écrit au jour le jour par Bougainville pendant son voyage et en particulier pendant le séjour de neuf jours à Tahiti en mars 1769. Cet ouvrage, qui n’était pas destiné à la publication, est très vite connu et recèle déjà tous les éléments de la « fable de Tahiti » notamment à travers l’éblouissement éprouvé par l’auteur devant l’île et ses habitants. Les peuples découverts sont en effet lus à la lumière du bon sauvage originel imaginé par Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755). Il est cependant impossible de parler d’une valorisation générale du sauvage chez Bougainville puisqu’il ne décrit pas que les Tahitiens, mais également d’autres peuplades qu’il voit beaucoup plus négativement.
  • 14. Les textes des compagnons de Bougainville : le Journal de Commerson Les préjugés philosophiques qui orientent le regard et l’interprétation des voyageurs en faveur du thème de l’état de nature et du bon sauvage se retrouvent de façon beaucoup plus frappante chez les compagnons de voyage de Bougainville Le Journal de Commerson Je reviens sur mes pas pour vous tracer une légère esquisse de cette île heureuse, dont je ne vous ai fait mention qu’en passant dans le dénombrement des nouvelles terres que nous avons vues en courant le monde. Je lui avais appliqué le nom d’Utopie que Thomas Morus avait donné à sa république idéale en le dérivant des racines grecques (eus et topus, quasi felix locus). Je ne savais pas encore que M. de Bougainville l’avait nommée Nouvelle-Cythère, et ce n’est que bien postérieurement qu’un prince de cette nation, que l’on conduisit en Europe, nous a appris qu’elle se nommait Tahiti par ses propres habitants. Sa position en longitude et latitude est le secret du gouvernement, sur lequel je m’impose le silence, mais je puis vous dire que c’est le seul coin de la terre où habitent des hommes sans vices, sans préjugés, sans besoins, sans dissensions. Nés sous le plus beau ciel, nourris des fruits d’une terre féconde sans culture, régis par des pères de famille plutôt que par des rois, ils ne connaissent d’autre dieu que l’Amour. Tous les jours lui sont consacrés, toute l’île est son temple, toutes les femmes en sont les autels, tous les hommes les sacrificateurs. Et quelles femmes, me demanderez-vous ? les rivales des Géorgiennes en beauté, et les sœurs des Grâces toutes nues. Là, ni la honte, ni la pudeur n’exercent leur tyrannie : la plus légère des gazes flotte toujours au gré des vents et des désirs : l’acte de créer son semblable est un acte de religion ; les préludes en sont encouragés par les vœux et les chants de tout le peuple assemblé, et la fin est célébrée par des applaudissements universels ; tout étranger est admis à participer à ces heureux mystères ; c’est même un des devoirs de l’hospitalité que de les inviter, de sorte que le bon Utopien jouit sans cesse ou du sentiment de ses propres plaisirs ou du spectacle de ceux des autres. Quelque censeur à double rabat ne verra peut-être en tout cela qu’un débordement de mœurs, une horrible prostitution, le cynisme le plus effronté ; mais il se trompera lui-même grossièrement en méconnaissant l’état de l’homme naturel, né essentiellement bon, exempt de tout préjugé et suivant, sans défiance comme sans remords, les douces impulsions d’un instinct toujours sûr, parce qu’il n’a pas encore dégénéré en raison. Une langue très sonore, très harmonieuse, composée d’environ quatre ou cinq cents mots indéclinables, inconjugables, c’est-à-dire sans syntaxe aucune, leur suffit pour rendre toutes leurs idées et exprimer tous les besoins, noble simplicité qui, n’excluant ni les modiications de tons, ni la pantomime des passions, les garantit de cette superbe bathologie que nous appelons la richesse des langues et qui nous fait perdre dans le labyrinthe des mots la netteté des perceptions et la promptitude du jugement. L’Utopien, au contraire, nomme aussitôt son objet qu’il l’aperçoi, le ton dont il a prononcé le nom de cet objet a déjà rendu la manière dont il est affecté ; peu de paroles font une conversation rapide ; les opérations de l’âme, les mouvements du cœur sont isochrones avec le remuement des lèvres. Celui qui parle et celui qui écoute sont toujours à l’unisson. Notre prince tahitien qui, depuis sept ou huit mois qu’il est avec nous, n’a pas encore appris dix de nos paroles, étourdi le plus souvent de leur volubilité, n’a d’autre ressource que celle de se boucher les oreilles et de nous rire au nez. Qu’on se garde de soupçonner qu’il ne soit ici question que d’une horde de sauvages grossiers et stupides ; tout chez eux est marqué au coin d la plus parfaite intelligence : des pirogues d’une construction qui n’a point de modèle connu, leur navigation dirigée par l’inspection des astres, des cases vastes, de forme élégante, commodes et régulières, l’art non pas de tisser le fil de la toile, mais de la faire sortir subtilement toute faite de dessous le battoir, de la colorer de gouttes de pourpre en faveur des femmes, de manière que leur sûreté de tous les mois ne soit jamais
  • 15. trahie, les arbres fruitiers judicieusement espacés dans leurs champs ont tout l’agrément de nos vergers sans en avoir l’ennuyeuse symétrie, tous les écueils de leurs côtés balisés et éclairés de nuit en faveur de ceux qui tiennent la mer, toutes leurs plantes connues et distinguées par des noms qui vont jusqu’à en indiquer les affinités, les instruments de leurs arts, quoique tirés de matières brutes, dignes cependant d’être comparés aux nôtres par le choix des formes et la sûreté de leurs opérations : tels sont les droits que nous leur connaissons déjà à notre estime malgré le peu de temps que nous les avons fréquentés. Avec quelle industrie ne traitaient-ils pas déjà le fer, ce métal précieux pour eux qui ne le savent tourner qu’en des usages utiles, si vil pour nous qui en avons fait les instruments du désespoir et de la mort. Avec quelle horreur ne repoussaient-ils pas les couteaux et les ciseaux que nous leur offrions, parce qu’ils semblaient deviner l’abus qu’on pouvait en faire ; avec quel empressement, au contraire, ne sont-ils pas venus prendre les dimensions de nos canots, de nos chaloupes, de nos voiles, de nos tentes, de nos barriques, en un mot, de tout ce qu’ils ont cru pouvoir imiter ! Pour ce qui regarde la simplicité de leurs mœurs, l’honnêteté de leurs procédés, surtout envers leurs femmes qui ne sont nullement subjuguées chez eux comme chez les sauvages, leur philadelphie entre eux tous, leur horreur devant l’effusion du sanghumain, leur respect idolâtre pour leurs morts, qu’ils ne regardent que comme des gens endormis, leur hospitalité enfin, pour les étrangerrs, il faut laisser aux journaux le mérite de s’étendre sur chacun de ces articles, comme notre admiration et notre reconnaissance le requièrent. On a admis leurs chefs à nos repas, tout ce qui a paru sur les tables a excité leur curiosité ; ils ont voulu qu’on leur rendît raison de chaque plat ; un légume leur semblait bon ? ils en demandaient aussitôt de la graine ; en la recevant ils s’informaient où et comment il faillait la planter ? dans combien de temps elle viendrait en rapport ? Notre pain leur a paru excellent, mais il leur a fallu montrer le grain dont on le faisait, les moyens de le pulvériser, la manière de mettre la farine en pâte, de la faire fermenter et de la cuire ; tous ces procédés ont été suivis et saisis dans le détail, le plus souvent il suffisait même de leur dire la moitié de la chose, l’autre était prévenue et devinée. Leur aversion pour le vin et les liqueurs était invincible, hommes sages en tout ! Ils reçoivent fidèlement des mains de la nature leurs aliments et leurs boissons, ils n’y a chez eux ni liqueurs fermentées, ni pots à cuire ; aussi n’a-t-on jamais vu de plus belles dents ni de plus belle carnation. Il est bien dommage que le seul homme qu’on puisse montrer de cette nation en soit peut-être le plus laid ; qu’on se garde bien d’en juger sur cette montre ; mais je lui dois rendre la justice qu’il mérite d’être étudié et connu à tous autres ; individu vraiment intéressant, digne de toutes les attentions du ministère et auquel il est même dû, à titre de justice, bien des dédommagements pour tous les sacrifices volontaires qu’il nous a faits dans l’enthousiasme de son attachement. Ce texte circule entre 1769 et 1770. C’est l’acte de naissance du mythe de Tahiti, à travers notamment la réécriture de l’Utopie de Thomas More. L’allusion à l’accueil par la cour du Tahitien Aotourou est également essentielle pour la compréhension du problème posé par la figure de l’Autre au XVIIIème. La question ne porte plus seulement sur la véracité de la réalité ethnologique racontée par les témoins de la découverte, mais également sur la nature du regard de l’européen sur l’autre. Quel regard porter sur cette réalité ethnologique indéniable que constitue Aoutourou ? Est-ce vraiment la réalité ou une image, une représentation que voit l’Européen ? D’emblée le débat est aussi idéologique qu’ethnologique. Le Voyage autour du monde de Bougainville Le Voyage de Bougainville paraît en 1771. La tonalité est différente de celle du journal, et surtout le texte présente une forme d’hésitation, d’indécidabilité quant au Tahitien : deux chapitres consécutifs présentent en effet une vision idyllique de l’île puis sa critique. La question que posera Diderot est donc sous-jacente dans le texte de Bougainville : quel regard porter sur le sauvage ?
  • 16. Le débat s’avère finalement bien moins ethnologique que philosophique : quelle est la nature de l’homme ? que penser des thèses rousseauistes ? De là la raison pour laquelle les philosophes des Lumières s’empareront du mythe de Tahiti pour exposer leurs conceptions de la nature humaine. L’île de Tahiti est pour Bougainville une vision édénique, qui évoque de plus en plus le mythe du bon sauvage Louis-Antoine de Bougainville Voyage autour du monde L’accueil des Européens par les Tahitiens Les pirogues étaient remplies de femmes qui ne le cèdent pas, pour l’agrément de la figure, au plus grand nombre des Européennes et qui, pour la beauté du corps, pourraient le disputer à toutes avec avantage. La plupart de ces nymphes étaient nues, car les hommes et les vieilles qui les accompagnaient leur avait ôter le pagne dont ordinairement elles s’enveloppent. Elles nous firent d’abord, de leur pirogue, des agaceries où, malgré leur naïveté, on découvrit quelque embarras ; soit que la nature ait partout embelli le sexe d’une timidité ingénue, soit que, même dans les pays où règne encore la franchise de l’âge d’or, les femmes paraissent ne pas vouloir ce qu’elles désirent le plus. Les hommes, plus simples ou plus libres, s’énoncèrent bientôt clairement : ils nous pressaient de choisir une femme, de la suivre à terre, et leurs gestes non équivoques démontraient la manière dont il fallait faire connaissance avec elle. Je le demande : comment retenir au travail, au milieu d’un spectacle pareil, quatre cents Français, jeunes, marins, et qui depuis six mois n’avaient point vu de femmes ? Malgré toutes les précautions que nous pûmes prendre, il entra à bord une jeune fille, qui vint sur le gaillard d’arrière se placer à une des écoutilles qui sont au-dessus du cabestan ; cette écoutille était ouverte pour donner de l’air à ceux qui viraient. La jeune fille laissa tomber négligemment un pagne qui la couvrait, et parut aux yeux de tous telle que Vénus se fit voir au berger phrygien : elle en avait la forme céleste. Matelots et soldats s’empressaient pour parvenir à l’écoutille, et jamais cabestan ne fut viré avec une pareille activité. Louis-Antoine de Bougainville Voyage autour du monde Un lieu édénique, l’image même du bonheur Chaque jour nos gens se promenaient dans le pays sans arme, seuls ou par petites bandes. On les invitait à entrer dans les maisons, on leur y donnait à manger ; mais ce n’est pas à une collation légère que se borne ici la civilité des maîtres de maisons ; ils leur offraient des jeunes filles ; la case se remplissait à l’instant d’une foule curieuse d’hommes et de femmes qui faisaient un cercle autour de l’hôte et de la jeune victime du devoir hospitalier ; la terre se jonchait de feuillages et de fleurs, et des musiciens chantaient aux accords de la flûte un hymne de jouissance. Vénus est ici la déesse de l’hospitalité, son culte n’y admet point de mystères, et chaque jouissance est une fête pour la nation. Ils étaient surpris de l’embarras qu’on témoignait ; nos mœurs ont proscrit cette publicité. Toutefois je ne garantirais pas qu’aucun n’ait vaincu sa répugnance et ne se soit conformé aux usages du pays. J’ai plusieurs fois été me promener dans l’intérieur. Je me croyais transporté dans le jardin d’Eden : nous parcourions une plaine de gazon, couverte de beaux arbres fruitiers et coupée de petites rivières qui entretiennent une fraîcheur délicieuse, sans aucun des inconvénients qu’entraîne l’humidité. Un peuple nombreux y jouit des trésors que la nature verse à pleines mains sur lui. Nous trouvions des troupes d’hommes et de femmes assises à l’ombre des vergers ; tous nous saluaient avec amitié ; ceux que nous rencontrions dans les chemins se rangeaient à côté pour nous laisser passer ; partout nous voyions régner l’hospitalité, le repos, une joie douce et toutes les apparences du bonheur.
  • 17. Louis-Antoine de Bougainville Voyage autour du monde Un paradis sensuel L’île, à laquelle on avait d’abord donné le nom de Nouvelle-Cythère, reçoit de ses habitants celui de Tahiti. Questions : Analysez la dimension mythologique et imaginaire de la description de Tahiti et des insulaires. Comment interprétez-vous les références à la culture antique ? Ce tableau idyllique se teinte peu à peu de couleurs plus sombres : le vol, la guerre. L’utopie n’était qu’un reflet dans le regard des Européens, peu à peu démenti par Aoutourou Louis-Antoine de Bougainville Voyage autour du monde Le vol et la guerre Le caractère de la nation nous a paru être doux et bienfaisant. Il ne semble pas qu’il y ait dans l’île aucune guerre civile, aucune haine particulière, quoique le pays soit divisé en petits cantons qui ont chacun leur seigneur indépendant. Il est probable que les Tahitiens pratiquent entre eux une bonne foi dont ils ne doutent poins. Qu’ils soient chez eux ou non, jour ou nuit, les maisons sont ouvertes. Chacun cueille les fruits sur le premier arbre qu’il rencontre, en prend dans la maison où il entre. Il paraîtrait que, pour les choses absolument nécessaires à la vie, il n’y a point de propriété et que tout est à tous. Avec nous, ils étaient filous habiles, mais d’une timidité qui les faisait fuir à la moindre menace. Au reste, on a vu que les chefs n’approuvaient point ces vols, qu’ils nous pressaient au contraire de tuer ceux qui les commettaient. Ereti, cependant, n’usait point de cette sévérité qu’il nous recommandait. Lui dénoncions-nous quelque voleur, il le poursuivait lui-même à toutes jambes ; l’homme fuyait et, s’il était joint, ce qui arrivait ordinairement, car Ereti était infatigable à la course, quelques coups de bâton et une restitution forcée étaient le seul châtiment du coupable. Je ne croyais pas même qu’ils connussent de punition plus forte, attendu que, quand ils voyait mettre quelqu’un de nos gens aux fers, ils en témoignaient une peine sensible ; mais j’ai su depuis, à n’en pas douter, qu’ils ont l’usage de pendre les voleurs à des arbres, ainsi qu’on le pratique dans nos armées. Ils sont presque toujours en guerre avec les habitants des îles voisines. Nous avons vu les grandes pirogues qui leur servent pour les descentes et même pour des combats de mer. Ils ont pour armes l’arc, la fronde et une espèce de pique d’un bois fort dur. La guerre se fait chez eux d’une manière cruelle. Suivant ce que nous a appris Aotourou, ils tuent les hommes et les enfants mâles pris dans les combats ; ils leur lèvent la peau du menton avec la barbe, qu’ils portent comme un trophée de victoire ; ils conservent seulement les femmes et les filles, que les vainqueurs ne dédaignent pas d’admettre dans leur lit ; Aotourou lui-même est le fils d’un chef tahitien et d’une captive de l’île de Oopoa, île voisine et souvent ennemie de Tahiti. Louis-Antoine de Bougainville Voyage autour du monde Des sauvages capables de cruauté J’ai dit plus haut que les habitants de Tahiti nous avaient paru vivre dans un bonheur digne d’envie. Nous les avions cru presque égaux entre eux, ou du moins jouissant d’une liberté qui n’était soumise qu’aux lois établies pour le bonheur de tous. Je me trompais, la distinction des rangs est fort marquée à Tahiti, et la disproportion cruelle. Les rois et les grands ont droit de vie ou de mort sur les esclaves et valets ; je serais même tenté de croire qu’ils ont aussi ce droit
  • 18. barbare sur les gens du peuple qu’ils nomment Tata-einou, hommes vils ; toujours est-il sûr que c’est dans cette classe infortunée qu’on prend les victimes pour les sacrifices humains. Question : Comment peut-on interpréter le silence de Diderot sur ces éléments importants de la réalité ethnographique de Tahiti ? Pourquoi choisit-il de ne traiter que de la dimension « Nouvelle Cythère » de l’île ? Les autres peuples rencontrés par Bougainville interdisent plus encore de croire à l’existence du bon sauvage Louis-Antoine de Bougainville Voyage autour du monde Rencontre et description des Pécherais De tous les sauvages que j’ai vus de ma vie, les Pécherais sont les plus dénués de tout : ils sont exactement dans ce qu’on peut appeler l’état de nature ; et, en vérité, si l’on devait plaindre le sort d’un homme libre et maître de lui-même, sans devoir et sans affaires, content de ce qu’il a parce qu’il ne connaît pas mieux, je plaindrais ces hommes qui, avec la privation de ce qui rend la vie commode, ont encore à souffrir la dureté du plus affreux climat de l’univers. Louis-Antoine de Bougainville Voyage autour du monde L’île des Lanciers A mesure que nous l’approchâmes, nous découvrîmes qu’elle est bordée d’une plage de sable très unie et que tout l’intérieur est couvert de bois touffus, au-dessus desquels s’élèvent les tiges fécondes des cocotiers. La mer brisait assez au large au nord et au sud, et une grosse lame qui battait toute la côte de l’est nous défendait l’accès de l’île dans cette partie. Cependant la verdure charmait nos yeux et les cocotiers nous offraient partout leurs fruits et leur ombre sur un gazon émaillé de fleurs ; des milliers d’oiseaux voltigeaient autour du rivage et semblaient annoncer une côte poissonneuse ; on soupirait après la descente. Nous crûmes qu’elle serait plus facile dans la partie occidentale, et nous suivîmes la côte à la distance d’environ deux milles. Partout nous vîmes la mer briser avec la même force, sans une seule anse, sans la moindre crique qui pût servir d’abri et rompre la lame. Perdant ainsi toute espérance de pouvoir y débarquer, à moins d’un risque évident de briser les bateaux, nous remettions le cap en route lorsqu’on cria qu’on voyait deux ou trois hommes accourir au bord de la mer. Nous n’eussions jamais pensé qu’une île aussi petite pût être habitée, et ma première idée fut que sans doute quelques Européens y avaient fait naufrage. J’ordonnai aussitôt de mettre en panne, déterminé à tenter tout pour les sauver. Ces hommes étaient rentrés dans le bois ; bientôt iols en sortirent au nombre de quinze ou vingt et s’avancèrent à grands pas ; ils étaient nus et portaient de fort logues piques qu’ils vinrent agiter vis-à-vis les vaisseaux avec des démonstrations de menaces ; après cette parade, ils se retirèrent sous les arbres où on distingua des cabanes avec des longues-vues. Ces hommes nous parurent forts grands et d’une couleur bronzée. J’ai nommé l’île qu’ils habitent l’île des Lanciers. Question : Comparez le traitement le l’île des Lanciers chez Bougainville et chez Diderot. III. Les réécritures de la réalité ethnologique : Le Supplément au Voyage de Bougainville au cœur d’un débat d’idées
  • 19. Après les Hurons de Lahontan, dont s’inspirera Voltaire pour L’Ingénu, le Tahitien apparaît comme une nouvelle figure du bon sauvage. Diderot va s’emparer du mythe et de son fondement ethnologique pour le réorienter selon ses projets philosophiques. La réécriture de la réalité ethnologique décrite par Bougainville s’opère d’abord par l’omission : Diderot ne dit rien de l’état de guerre des Tahitiens, de la hiérarchie sociale, de l’infériorité des femmes. Seule la liberté sexuelle des insulaires réapparaît, ce qui participe de la lecture de Tahiti comme un paradis sensuel, un mythe. Cette réécriture est motivée par l’intérêt philosophique que Diderot porte au thème de la sexualité, lieu de l’articulation entre le privé et le public, le social. La relation sexuelle est privée, mais elle est à l’origine de la procréation, qui concerne le politique. Diderot voit, à travers « la fable de Tahiti » l’occasion de réfléchir aux liens qui unissent individuel et collectif, tout en profitant des intérêts argumentatifs que présente les dialogues avec le sauvage (notamment la double énonciation). Qui est le Tahitien que fait parler Diderot ? Un sauvage ou un narrateur occidental qui pourrait être Diderot tant la harangue du vieillard se rapproche de ce que Diderot écrivait en son nom propre dans le Compte-Rendu destiné à la Correspondance littéraire. Diderot en effet s’inscrit dans le débat provoqué par la « fable de Tahiti » à l’occasion de deux textes : un compte-rendu inédit du Voyage autour du monde de Bougainville, composé à la fin de 1771, probablement pour la Correspondance littéraire de Grimm, et le Supplément au Voyage de Bougainville. Compte-rendu du Voyage de Bougainville, écrit par Diderot pour la Correspondance littéraire de Grimm Ah ! Monsieur de Bougainville, éloignez votre vaisseau des rives de ces innocents et fortunés Tahitiens ; ils sont heureux et vous ne pouvez que nuire à leur bonheur. Ils suivent l’instinct de la nature, et vous allez effacer ce caractère auguste et sacré. Tout est à tous, et vous allez leur porter la funeste distinction du tien et du mien. Leurs femmes et leurs filles sont communes, et vous allez allumer entre eux les fureurs de l’amour et de la jalousie. Ils sont libres et voilà que vous enfouissez dans une bouteille de verre le titre extravagant de leur futur esclavage. Vous prenez possession de leur contrée, comme si elle ne leur appartenait pas ; songez que vous êtes aussi injuste, aussi insensé d’écrire sur votre lame de cuivre, ce pays est à nous, parce que vous y avez mis le pied, que si un Tahitien débarquait sur nos côtes, et qu’après y avoir mis le pied, que si un Tahitien débarquait sur nos côtes, et qu’après y avoir mis le pied, il gravait ou sur une de nos montagnes ou sur un de nos chênes, ce pays appartient aux habitants de Tahiti. Vous êtes le plus fort, et qu’est-ce que cela fait ? Vous criez contre l’hobbisme social et vous l’exercer de nation à nation. Commercez avec eux, prenez leurs denrées, portez-leur des vôtres, mais ne les enchaînez pas. Cet homme dont vous vous emparez comme de la brute ou de la plante est un enfant de nature comme vous. Quel droit avez-vous sur lui ? Laissez-lui ses mœurs, elles sont plus honnêtes et plus sages que les vôtres. Son ignorance vaut mieux que toutes vos lumières ; il n’en a que faire. Il ne connaissait point une vilaine maladie, vous la lui avez portée, et bientôt ses jouissances seront affreuses. Il ne connaissait point le crime et la débauche, les jeunes filles se livraient aux caresses des jeunes gens, en présence de leurs parents au milieu d’un cercle d’innocents habitants, au son des flûtes, entre les danses, et vous allez empoisonner leurs âmes de vos extravagantes et fausses idées, et réveiller en eux des notions de vice, avec vos chimériques notions de pudeur. Enfoncez-vous dans les ténèbres avec la compagne corrompue de vos plaisirs, mais permettez aux bons et simples Tahitiens de se reproduire sans honte à la face du ciel et au grand jour. A peine vous êtes-vous montré parmi eux qu’ils sont devenus voleurs ; à peine êtes-vous descendu dans leur terre qu’elle a été teinte de sang ; ce Tahitien qui vous reçut en criant Tayo, ami, ami, vous l’avez tué, et pourquoi l’avez-vous tué ? Parce qu’il avait été séduit par l’éclat de vos guenilles européennes ; il vous donnait ses fruits, sa maison, sa femme, sa fille, et vous l’avez tué
  • 20. pour un morceau de verre qu’il vous dérobait. Ces Tahitiens, je les vois se sauver sur les montagnes, remplis d’horreur et de crainte ; sans ce vieillard respectable qui vous protège, en un instant, vous seriez tous égorgés. O père respectable de cette famille nombreuse, que je t’admire, que je te loue ! Lorsque tu jettes des regards de dédain sur ces étrangers sans marquer ni étonnement, ni frayeur, ni crainte, ni curiosité ; ton silence, ton air rêveur et soucieux ne décèlent que trop ta pensée : tu gémis au-dedans de toi-même sur les beaux jours de ta contrée éclipsés. Console-toi ; tu touches à tes derniers instants et la calamité que tu pressens, tu ne la verras pas. Vous vous promenez, vous et les vôtres, Monsieur de Bougainville, dans toute l’île ; partout vous êtes accueillis ; vous jouissez de tout, et personne ne vous en empêche ; vous ne trouvez aucune porte fermée, parce que l’usage des portes est ignoré ; on vous invite, vous vous asseyez ; on vous étale toute l’abondance du pays. Voulez-vous de jeunes filles ? ne les ravissez pas ; voilà leurs mères qui vous les présentent toutes nues ; voilà les cases pleines d’hommes et de femmes, vous voilà possesseur de la jeune victime du devoir hospitalier ; la terre se jonche de feuillages et de fleurs ; les musiciens ont accordé leurs instruments ; rien ne troublera la douceur de vos embrassements ; on y répondra sans contrainte ; l’hymne se chante ; l’hymne vous invite à être homme ; l’hymne invite votre amante à être femme et femme complaisante, voluptueuse et tendre ; et c’est au sortir des bras de cette femme que vous avez tué son ami, son frère, son père peut-être ! Enfin vous vous éloignez de Tahiti ; vous allez recevoir les adieux de ces bons et simples insulaires ; puissez-vous et vous et vos concitoyens et les autres habitants de notre Europe être engloutis au fond des mers plutôt que de les revoir. Dès l’aube du jour ils s’aperçoivent que vous mettez à la voile ; ils se précipitent sur vous ; ils vous embrassent, ils pleurent. Pleurez, malheureux Tahitiens, pleurez ; mais que ce soit de l’arrivée et non du départ de ces hommes ambitieux, corrompus et méchants. Un jour vous les connaîtrez mieux ; un jour ils viendront un crucifix dans une main et le poignard dans l’autre, vous égorgez ou forcer à prendre leurs mœurs et leurs opinions ; un jour vous serez sous eux presque aussi malheureux qu’eux. Le débat d’idées concerne finalement peut-être plus l’Europe que son altérité. Tahiti n’est peut-être pas tant une figure de l’ailleurs, de l’autre, qu’une image d’un même, d’une Europe qui n’aurait pas trahi ses valeurs, qui aurait gardé son authenticité. Lectures en correspondance Rousseau et le mythe du bon sauvage Rousseau Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes • Première partie : l’état de pure nature Quoiqu’il en soit de ces origines, on voit du moins, au peu de soin qu’a pris la Nature de rapprocher les Hommes par des besoins mutuels, et de leur faciliter l’usage de la parole, combien elle a peu préparé leur Sociabilité, et combien elle a peu mis du sien dans tout ce qu’ils ont fait, pour en établir les liens. En effet, il est impossible d’imaginer pourquoi dans cet état primitif un homme aurait plutôt besoin d’un autre homme qu’un singe ou un Loup de son semblable, ni, ce besoin supposé, quel motif pourrait engager l’autre à y pourvoir, ni même, dans ce dernier cas, comment ils pourraient convenir entre eux des conditions. Je sais qu’on nous répète souvent que rien n’eût été si misérable que l’homme dans cet état ; et s’il est vrai, comme je crois l’avoir prouvé, qu’il n’eût pu, qu’après bien des Siècles, avoir le désir, et l’occasion d’en sortir, ce serait un procès à faire à la Nature, et non à celui qu’elle aurait ainsi constitué ; Mais si j’entends bien ce terme de misérable, c’est un mot qui n’a aucun sens, ou qui ne signifie qu’une privation douloureuse et la souffrance du corps ou de l’âme : Or je voudrais bien qu’on m’expliquât quel peut être le
  • 21. genre de misère d’un être libre, dont le cœur est en paix et le corps en santé. Je demande laquelle, de la vie Civile ou naturelle, est la plus sujette à devenir insupportable à ceux qui en jouissent ? Nous ne voyons presque autour de nous que des Gens qui se plaignent de leur existence ; plusieurs même qui s’en privent autant qu’il est en eux, et la réunion des Lois divine et humaines suffit à peine pour arrêter ce désordre : Je demande si on a jamais ouï dire qu’un Sauvage en liberté ait seulement songé à se plaindre de la vie et à se donner la mort ? Qu’on juge donc avec moins d’orgueil de quel côté est la véritable misère. Rien au contraire n’eût été si misérable que l’homme Sauvage, ébloui par des lumières, tourmenté par des Passions, et raisonnant sur un état différent du sien. Ce fut par une Providence très sage, que les facultés qu’il avait en puissance ne devaient se développer qu’avec les occasions de les exercer, afin qu’elles ne lui fussent ni superflues et à charge avec le temps, ni tardives, et inutiles au besoin. Il avait dans le seul instinct tout ce qu’il lui fallait pour vivre dans l’état de Nature, il a dans une raison cultivée que ce qu’il lui faut pour vivre en société. Rousseau Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes • Deuxième partie : le second état de nature Ainsi quoique les hommes fussent devenus moins endurants, et que la pitié naturelle eût déjà souffert quelque altération, cette période du développement des facultés humaines, tenant un juste milieu entre l’indolence de l’état primitif et la pétulante activité de notre amour propre, dut être l’époque la plus heureuse, et la plus durable. Plus on y réfléchit, plus on trouve que cet état était le moins sujet aux révolutions, le meilleur à l’homme, et qu’il n’en a dû sortir que par quelque funeste hasard qui pour l’utilité commune eût dû ne jamais arriver. L’exemple des Sauvages qu’on a presque tous trouvés à ce point semble confirmer que le Genre humain était fait pour y rester toujours, que cet état est la véritable jeunesse du Monde, et que tous les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection de l’individu, et en effet vers la décrépitude de l’espèce. Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arrêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre de corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques Canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de Musique ; En un mot, tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur Nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des Campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. Questions : • Quelle vision du sauvage et de l’état de nature Rousseau propose-t-il ici ? -* Quelle conception de l’Histoire se dégage de ce texte ? Diderot face à l’état de nature Dans le Supplément, Diderot marque ses distances vis à vis des thèses rousseauistes. Le bon sauvage n’existe pas selon lui. Il peut être cruel ou doux suivant les conditions naturelles dans lesquelles il vit. La vision de Tahiti est contrebalancée par celle de l’île des Lanciers : p 145 « C’est, à ce qu’il paraît, de la défense journalière contre les bêtes féroces, qu’il tient le caractère cruel qu’on lui remarque quelquefois. Il est innocent et doux, partout où rien ne trouble son repos et sa
  • 22. sécurité. ». Faits sociaux et politiques peuvent être compris comme un effet naturel qui est loin d’être toujours positif. La nature n’est pas une utopie. Il n’y a pas de bon sauvage, mais seulement des sauvages en situation. Les contradictions internes à l’utopie tahitienne qu’il décrit font également glisser cette société vers quelque chose de beaucoup plus inquiétant. L’objectif de Diderot n’est pas de proposer un modèle idéal, mais de remettre en question la société européenne. C’est la raison pour laquelle le compte-rendu qu’il écrit pour la Correspondance littéraire de Grimm est un texte très mesuré, certes courtois, mais pas admiratif : depuis la rupture des philosophes des Lumières et de Rousseau, Diderot s’est toujours montré distant voire opposé au mythe du bon sauvage. Ainsi les articles de l’Encyclopédie consacrés à l’ethnologie insistent beaucoup plus sur les ravages de la superstition que sur les merveilles de l’état de nature. III. Voltaire et le mythe du bon sauvage Quant à Voltaire, il refuse la « nostalgie du néolithique » de Rousseau en faisant de l’Ingénu une incarnation du mythe du bon sauvage, mais après éducation philosophique. Ce n’est qu’après l’épisode de la Bastille que le Huron, éduqué, devient un personnage pleinement positif. La structure du conte, roman d’éducation, est d’ailleurs fondamentalement opposée à la conception de l’Histoire comme dégradation que propose Rousseau. La comparaison des deux épisodes où l’Ingénu exprime son amour pour la belle Saint-Yves est significative. Entre sa mâle impatience qui donne lieu à un épisode comique proche de la farce dans le chapitre 6, et l’apprentissage de la sensibilité du chapitre 14, le sauvage s’est civilisé, et loin d’y voir une dégradation comme le fait Rousseau, Voltaire présente cette éducation comme une perfection des qualités naturelle du Huron. Moins qu’un sauvage, l’Ingénu représente l’homme épargné par les préjugés qui s’accomplit dans l’éducation propre aux philosophes des Lumières. Le bon sauvage en quelque sorte, est celui qui n’en est plus vraiment un, qui n’est plus ingénu, mais qui est éclairé par les idées des Lumières. Voltaire L’Ingénu, chapitre 14 • L’Ingénu faisait des progrès rapides dans les sciences, et surtout dans la science de l’homme. La cause du développement rapide de son esprit était due à son éducation sauvage presque autant qu’à la trempe de son âme. Car, n’ayant rien appris dans son enfance, il n’avait point appris de préjugés. Son entendement, n’ayant point été courbé par l’erreur, était demeuré dans toute sa rectitude. Il voyait les choses comme elles sont, au lieu que les idées qu’on nous done dans l’enfance nous les font voir toute notre vie comme elles ne sont point. Pour Voltaire comme pour Diderot, même si leurs opinions diffèrent, choisir d’écrire un conte sur un sauvage, c’est non seulement permettre, par la double énonciation, l’ironie, et la distanciation induite par un regard étranger, de critiquer la société européenne, mais c’est aussi réfuter les théories de Rousseau sur l’état de nature. • CRDP Versailles : http://blog.crdp-versailles.fr/classede1l/index.php/post/21/09/2013/Le-mythe-du-bon- sauvage
  • 23. Théodore de Bry, Scène de cannibalisme Vespucci en Amérique, gravure de Théodore de Bry (né à Liège en 1528 et mort à Francfort le 27 mars 1598, dessinateur, graveur et éditeur protestant, d'origine liégeoise). • CEGEP Montréal : http://www.cvm.qc.ca/encephi/Syllabus/Litterature/18e/bonsauvage.htm Le mythe du bon sauvage, qui s’est constitué suite à la découverte de l’Amérique, est l’idéalisation des hommes vivant en contact étroit avec la nature. Il répond, entre autres, à la quête de nouvelles valeurs du 18e siècle ainsi qu’à son fougueux débat opposant « nature » et « culture ». Associé à la période de grands bouleversements de la Révolution industrielle — réorganisation sociale, développement technologique, productivité, propriété privée, etc.… — il représente un havre de paix pour toutes les âmes agitées par un futur incertain. Vivre en d’autres temps, en d’autres lieux où paix et bonheur sont assurés par une Nature bienveillante, voilà ce que propose le mythe du bon sauvage dont l’expression même, très éloquente, mérite qu’on s’y attarde. En effet, qu’est-ce qu’un « mythe »? Mais surtout, qu’est-ce qu’un «bon sauvage» ? Les réponses à ces questions nous permettront de mieux approcher cette utopie des Lumières qui, malgré les siècles passés, fait rêver encore aujourd’hui. Qu’est-ce qu’un « mythe »? Chez les peuples anciens, le mythe a pour fonction d’expliquer soit les origines du monde, soit les phénomènes naturels énigmatiques. Ainsi, pour les Grecs, la naissance de notre univers s’illustre par l’union d’Ouranos et Gaïa, incarnant respectivement le ciel et la terre; le phénomène de la foudre, lui, qui terrifie le commun des mortels, s’explique par le dieu de la Lumière, Zeus, qui
  • 24. décharge sa colère par des lances enflammées dirigées contre la terre. Ce type de récit, qui présente des forces et des personnages symboliques, servira aussi à mieux raconter la vie des hommes et à mieux rêver d’un ailleurs pour fuir l’écrasante réalité. Au XVIIIe siècle, par la fiction du « bon sauvage », des philosophes tels que Diderot, Voltaire et Rousseau chercheront non seulement à critiquer la colonisation ethnocentrique des Européens en Amérique, mais aussi les idées de progrès et de raison au cœur même de l’idéologie des Lumières. Inspirés par les nombreux récits de voyages de Vespucci, Colomb, Magellan, et Gama des 16e et 17e siècles, ceux- ci, désireux de poursuivre la tradition humaniste de la Renaissance, interrogeront à travers elle de nouveaux modèles d’hommes et de sociétés. En comparant leur monde à celui des indigènes tahitiens, brésiliens, voire canadiens, ils feront le procès de l’Europe qui, se croyant supérieure et indépassable, se donne pour mission de civiliser le Nouveau Monde. Ce Nouveau Monde, que l’on aime dépeindre comme pur, vierge et bienheureux, sera bien sûr une représentation déformée, imaginée et amplifiée de la réalité : en effet, la vaste majorité des philosophes et littéraires n’a jamais même foulé la terre natale des « sauvages »! Le mythe, synonyme dans ce cas d’invention et d’affabulation, reprend donc ici tout son sens. Qu’est-ce qu’un «bon sauvage»? Le « bon sauvage » est le fruit de l’imaginaire de tous les grands lecteurs des récits de voyages qui foisonnent à partir du 16e siècle : il est, en quelque sorte, un personnage composite fait à partir des nombreuses descriptions des hommes primitifs vivant dans un « âge d’or » naturel : Dieu est révélé par la Nature, croyait-on; par conséquent, l’être naturel est foncièrement bon. Mais d’où pouvait donc provenir une telle croyance? Cette vision des « sauvages » a longtemps été nourrie par des explorateurs et des missionnaires encore habités par l’illusion d’un paradis perdu. En effet, nombreux sont ceux qui ont chéri les propos d’Amerigo Vespucchi (1454-1512) sur les Indiens que l’on retrouve, ici, dans sa célèbre lettre intitulée Mundus novus (1503) : Ils n’ont de vêtements, ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n’en ont aucun besoin; et il n’y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont autant d’épouses qu’il leur plaît […]. Ils n’ont ni temples, ni religion, et ne sont pas des idolâtres. Que puis-je dire de plus? Ils vivent selon la nature. Libres, sensuels, polygames, communistes et bons, voilà les traits communs, mais combien caricaturaux, des habitants de ce « meilleur des mondes ». Étrangement, les penseurs du XVIIIe siècle se garderont longtemps de vouloir vérifier l’exactitude de ce genre de témoignage, car, on le sait, le « bon sauvage » ainsi présenté sert mieux à réfléchir sur l’homme, sa nature, ses facultés ainsi que sur sa société. Sans nul doute, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est reconnu pour celui qui a le plus participé à ce mythe par la défense des idées suivantes qui traversent l’essentiel de son oeuvre: • « La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. » Dans ses essais philosophiques Discours sur les sciences et les arts (1750) et Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), Rousseau prétend que l’état primitif de l’homme porte celui-ci vers la vertu et le bonheur, car l’ignorance même du mal l’empêche de le répandre.
  • 25. C’est le développement de son intelligence et la recherche du luxe, de la propriété et du pouvoir, lesquels sont encouragés par les institutions sociales, qui a jeté l’homme en dehors d’un paradis possible auprès de la Nature. • Le luxe conduit à la corruption de l’âme. Rousseau défend aussi que c’est la notion de propriété qui est responsable du malheur de l’homme. Fondement même de la société civile et moderne, celle-ci conduira toujours l’être humain à défendre son territoire — au besoin par la violence —, pour protéger ses biens accumulés. Plus un homme possède, nous rappelle le philosophe, plus il est riche et considéré : la puissance engendre des rapports de force auxquels doivent remédier les lois qui, à leur tour et bien malgré elles, officialisent un système inégalitaire. Les besoins superflus et irréels sont, pour lui, une des causes principales de la dénaturation de la société. • L’éducation doit suivre l’exemple de la nature. Dans l'Émile ou De l’éducation (1762), Rousseau propose une pédagogie naturelle qui répond aux besoins réels de l’enfant. À travers l’histoire du jeune Émile, orphelin élevé par un précepteur bienveillant, il s’appliquera à faire reconnaître non seulement les différences propres à tout enfant, mais le développement psychologique particulier de celui-ci qu’il faudra éviter de brusquer dans un désir de faire de lui un parfait citoyen. Le précepteur, qui servira uniquement de tuteur de croissance, — c’est-à-dire d’organisateur des conditions d’apprentissage—, voudra surtout faire du petit un homme épanoui et libre par le respect des différentes stades d’une éducation dictés par Rousseau : Dans un premier temps, Rousseau préconise le retrait de la société. Le précepteur doit conduire l’enfant loin de la civilisation en le ramenant à la nature. Là, en dehors des influences de sa famille et de ses amis, sa curiosité et ses talents pourront se manifester librement. La Nature et l’expérience serviront de principaux guides à ses sens qu’il développera jusqu’à l’âge de 12 ans. Le précepteur aura principalement pour tâche de répondre aux questions de l’enfant qui s’éveille au monde. À douze ans, dans toute sa force physique et cognitive, l’enfant apprendra à faire progresser sa réflexion au gré de ses habiletés et de ses intérêts. Au contact de ce qui l’entoure, il devra se familiariser avec l’astronomie, la géographie et les sciences. Une seule lecture lui est permise, celle de Robinson Crusoé (1719) de Daniel Defoe (1660-1731), car auprès du courageux naufragé, le personnage principal du récit, il pourra trouver un précieux exemple. Aussi, le contact des livres n’est-il permis que vers l’âge de 15 ans. Grâce à la lecture, Émile découvrira les hommes par le biais de l’histoire et de la philosophie — la religion, ou plus précisément l’existence de Dieu, précise-t-il, ne lui sera révélée qu’à l’âge de 18 ans. Son précepteur aura donc le soin de bien veiller au développement de sa sensibilité au contact des hommes. Cette étape est cruciale, car elle assurera sa sociabilité par sa découverte de l’amitié, de la pitié et de la reconnaissance. Il n’est pas étonnant que la défense de ces idées fera de Rousseau un des précurseurs de la pédagogie moderne et de la psychologie de l’enfant. Malheureusement, la pensée de ce philosophe est bien souvent malmenée : en effet, on réduit commodément sa philosophie à
  • 26. quelques caricatures ou citations à l’emporte-pièce. L’homme « naturellement bon », par exemple, Rousseau le savait chimérique. À preuve, «L’homme, écrivait-il, ne rétrograde pas », voulant ainsi rappeler que l’être humain touché par la civilisation ne peut revenir en arrière. Cette image du bon sauvage lui servira surtout à rappeler aux siens que plus ils s’éloignent de la simplicité de la vie naturelle, plus ils courent à leur perte. Seule une éducation libre, ouverte et naturelle rendra à l’être humain l’état de bonheur et de bonté qu’il doit regretter avoir perdu en rêvant du bon sauvage que lui proposent les utopistes de son époque. Pourquoi ce mythe ? Il est bien connu que l’homme, foncièrement nostalgique, a toujours eu besoin de retrouver son passé: le mythe du bon sauvage lui propose l’image rassurante d’un primitif heureux qui vit du fond des âges en parfaite harmonie avec la nature. Ainsi, ces séduisantes fantasmagories lui permettront d’échapper au réel en voyageant dans des pays imaginaires exotiques et bienheureux. Offrant d’autres manières de penser et de vivre, cette utopie chère aux philosophes défend la recherche du bonheur individuel et collectif tout en affirmant déjà les valeurs qui seront proposées quelques années plus tard par la devise même de la Révolution française : «Liberté, égalité et fraternité ». Si elle annonce en quelque sorte le monde rêvé de demain, elle maintient aussi d’anciennes croyances judéo-chrétiennes associées au péché originel : l’homme, rappelle La Bible, aurait connu le paradis, mais l’aurait perdu après avoir croqué la pomme, symbolisant le la connaissance. La chute, associée au mal, se trouve du coup au cœur même du « mythe du bon sauvage » : en effet, l’Européen « perverti », par sa culture énorme et sa quête incessante de savoirs — on n’a qu’à penser à l’entreprise de L’Encyclopédie —, mais aussi par son goût du luxe, aurait donc signé sa propre perte. Insatisfaits de cette vision primitiviste, les penseurs des Lumières cesseront d’apprécier le mythe du bon sauvage pour revenir à l’idée de progrès lorsqu’ils feront la découverte et l’observation d’enfants sauvages tels que Victor de l’Aveyron (vignette à suivre). Ceux-ci firent comprendre définitivement que l’homme, privé de la compagnie des siens, ressemble d’avantage à un animal qu’à l’idéal décrit par les colonisateurs, les missionnaires et les littéraires. Il va sans dire que les voyages et les écrits de nombreux ethnologues de la fin du siècle contribueront aussi à briser cette représentation idyllique. Bref, on aura compris que rien ne pouvait éclipser le Progrès et la Raison, emblèmes tout-puissants de la lutte philosophique de cette période historique éblouissante. « Il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. » Montaigne
  • 27. • Lycée G. Sand : http://lyc-george-sand-la-chatre.tice.ac-orleans-tours.fr/eva/spip.php?article1611 Les origines du mythe du bon sauvage L’image que véhiculeront les missionnaires et voyageurs du "nouveau monde" , c’est-à-dire l’Amérique découverte en 1492 par Christophe Colomb, va permettre aux Européens de projeter sur ces territoires une utopie où l’homme vivrait heureux à l’état de nature. Cette terre nouvelle où l’homme vit de façon archaïque inspire Montaigne qui va consacrer un chapitre des Essais , "Des Cannibales", à une réflexion autour du terme "barbare". Les écrits de Montaigne sont fondateurs du mythe du bon sauvage qui consiste en une vision imaginaire d’une terre sur laquelle l’homme vivrait heureux, en harmonie avec la nature dont les richesses lui épargneraient le travail. Ce mythe, comme toute représentation fantasmée de l’Autre, induit une part d’attirance et de répulsion. Extrait du chapitre "Des Cannibales", Essais (1580) « Ces nations me semblent donc barbares de cette manière : pour avoir reçu fort peu de façon de l’esprit humain, et pour être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres, mais c’est dans une telle pureté qu’il me prend quelquefois déplaisir que la connaissance n’en soit venue plus tôt, du temps qu’il y avait des hommes qui eussent su juger mieux que nous...(...). C’est un peuple, dirais-je à Platon, dans lequel il n’y a aucune espèce de trafic, nulle connaissance des lettres, nulle science des nombres, nul nom Daniel Defoe (1660-1731) Robinson Crusoé (1717) Montesquieu (Charles de Secondat, baron de La Brède et de) (1689 - 1755) Lettres persanes (1721) Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain) (1688 -1763) L’Ile aux esclaves (1725) Voltaire (François Marie Arouet, dit) (1694 - 1778) Candide (1752) Denis Diderot (1713-1784) Le Supplément au voyage de Bougainville (1772) Jean-Jacques Rousseau (1712- 1778) La Nouvelle Héloïse (1761) Émile ou De l’Éducation (1762) James Fennimore Cooper (1901-1961) Le Dernier des Mohicans (1826) Bernardin de St-Pierre (1737-1814) Paul et Virginie (1788 ) Aldous Huxley (1894-1963) Le Meilleur des mondes (1932)
  • 28. de magistrat ni supériorité politique, nul usage de service, ni richesse, ni pauvreté, nul contrat, nulle succession, nul partage, nulle occupation qu’oisive, nul respect de la parenté que commun, nul vêtement, nulle agriculture, nul métal, nul usage du vin ou du blé. Les paroles mêmes qui signifient le mensonge, la trahison, la dissimulation, l’avarice, l’envie, la médisance, le pardon : inouïes. Combien il trouverait la République qu’il a imaginée loin de cette perfection. » L’image du bon sauvage se lit également dans Voyage au Canada, le récit par Jacques Cartier de ses rencontres avec les autochtones d’Hochelaga. Selon Cartier, le sauvage n’est plus barbare, mais plutôt proche de la nature, « l’âme aussi pure que des enfants ». Leur façon de s’habiller et leur mode de vie montrent à Cartier qu’ils ne sont pas effrayants ni dangereux, mais qu’ils sont des êtres humains. • Larousse : Les grandes découvertes : Le mythe du bon sauvage http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/grandes_d%C3%A9couvertes/40401 Le mythe du bon sauvage s'est en quelque sorte répandu comme l'antithèse de la « légende noire » antihispanique qui accuse les conquérants du Nouveau Monde de tous les forfaits. Ces accusations ne sont qu'en partie fondées, car les crimes des conquistadores ont été dénoncés par les évangélisateurs, qui ont su préserver et les vies humaines et les langues indigènes. Naturellement, la légende noire est complaisamment accueillie par toutes les monarchies hostiles aux Habsbourg d'Espagne. Le mythe du bon sauvage remonte à Christophe Colomb, qui a été émerveillé de rencontrer chez les populations des Grandes Antilles des qualités de douceur, d'hospitalité, de docilité et de générosité. Ces qualités ne sont pas partagées par les féroces Caraïbes anthropophages des Petites Antilles. Le xvie siècle européen crédite cependant les habitants du Nouveau Monde de toutes les vertus. Le bon sauvage inspire Thomas More dans son Utopie (1516) et surtout Montaigne, qui consacre l'essentiel du chapitre « les Cannibales » de ses Essais (1580) aux Indiens du Brésil. Il loue chez ces « naturels » un mode de vie édénique. Pour lui, les cannibales, à la différence des Européens, ne font la guerre que pour des besoins alimentaires. Louis Antoine de Bougainville L'amour de l'Indien, du primitif subsiste à travers les siècles. Au xviiie siècle, il bénéficie de l'engouement pour la nature, que l'on oppose à l'artifice et au goût dépravé du luxe, courant dont J.-J. Rousseau est le plus illustre représentant. Bernardin de Saint-Pierre, dans Paul et Virginie (1788), s'attendrit sur la bonté des nègres qui servent ses héros. Mais l'incisif Voltaire constate que le « prix du sucre » est payé par les Noirs qui travaillent aux horribles moulins. La meule leur happe la main ou le bras (Candide, 1759). Il faudra attendre 1848 pour que Schoelcher, député de la Martinique, fait abolir l'esclavage dans les colonies françaises. • Slideshare 1ere S