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Interview de l’ancien Premier Ministre François Lonsény FALL
               Accordée à Mamadou BALDET, journaliste à aminata.com
                               New York, le 11 mars 2009

Q : Qu’est-ce que le briefing devant le CS des NU

R : Les briefings sont une exigence du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour tous les
Représentants spéciaux ; cela dépend du calendrier établi : ils sont organisés tous les trois ou
quatre mois selon les missions. Mais le briefing que j’ai fait hier n’était pas prévu. Je me
trouve à New York pour faire mon rapport de fin de mission au Secrétaire Général ; à cette
occasion, les membres du Conseil ont souhaité que je fasse un dernier briefing pour leur faire
le point de la situation avant de quitter mes fonctions. C’est ce que j’ai fait hier.

Q : Vous avez dit au-revoir aux Nations Unies alors qu’il se disait en Guinée que vous
n’avez pas pris congé ou que vous n’avez pas démissionné de votre poste mais que c’est votre
mission qui est terminée.

R : Cela est une désinformation. J’ai renouvelé mon contrat le 1er janvier 2009 pour une
période d’une année jusqu’au 31 décembre 2009. Une offre m’a été faite par le Secrétaire
Général. J’ai signé et mieux, j’ai travaillé avec les Nations Unies pour l’établissement d’une
mission intégrée en Centrafrique que je devais diriger et qui devrait normalement commencer
d’un moment à l’autre. Je peux vous dire directement, pour mettre fin à cette polémique, que
j’ai apporté les preuves de ce que je vous dis. Je vous donne d’abord l’offre de contrat qui m’a
été faite à la date du 26 décembre 2008 pour la période de janvier à décembre 2009 ; je vous
donne également la lettre d’acceptation à cette offre que j’ai signée le 9 janvier 2009, et puis
je vous donne la copie, à la date du 18 février 2009 de ma lettre de démission que j’ai
adressée au Secrétaire Général des Nations Unies, M. Ban Ki Moon ; et mieux, je vous donne
à la date du 3 mars 2009 la lettre d’acceptation du Secrétaire Général expliquant qu’il
acceptait ma démission pour des raisons personnelles avec beaucoup de regrets. Je vous
donne ces documents parce que je pense que certaines personnes ont voulu dire autre chose ;
je vous laisse la liberté de les publier puisque ce sont des documents authentiques.

Q : Les documents sont authentiques, c’est vrai. Et je vois même que dans la lettre, les NU
regrettent votre départ…

R : Bien sûr, même devant les membres de l’ambassade de Guinée qui étaient ce matin dans
la salle avec la Peace Building Commission et également en séance plénière au Conseil de
Sécurité. Les membres du Conseil ont exprimé beaucoup de regrets pour mon départ après le
travail qui a été abattu parce qu’en Centrafrique ma mission s’achève sur un élément positif
étant donné que nous avons pu en dix-sept mois organiser un Dialogue politique inclusif,
former un Gouvernement d’ouverture, signer des Accords de paix avec les mouvements
rebelles et un Accord global de paix. Les Centrafricains ont considéré que c’était une mission
qui devait continuer, mais vu l’appel pressant de mon pays, j’ai préféré rendre ma démission
et rentrer en Guinée.

Q : On va revenir à la Guinée. Quelques mois après votre nomination en tant que Premier
Ministre, vous avez décidé de rendre le tablier. Quelles sont les raisons profondes qui vous
ont conduit à la démission ?




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R : J’ai suffisamment expliqué les raisons de ma démission. Cette démission correspondait à
un refus : le refus de cautionner une mauvaise gouvernance. J’ai été nommé à un moment où
la Guinée connaissait de grosses difficultés : des difficultés financières et aussi un certain
isolement sur la scène politique internationale. J’avais à cœur de réussir ma mission et c’est à
ce titre que j’ai préparé une feuille de route qui a été approuvée par le Chef de l’Etat, feu le
Président Lansana Conté. J’ai donc accepté de faire une lettre de mission pour chaque
Ministre et je le dis clairement, car ces Ministres sont encore vivants, ils se trouvent en
Guinée. Chaque Ministre a reçu une lettre et ces lettres de mission correspondaient à ma
volonté de sortir la Guinée d’un certain état de misère dans laquelle elle était plongée. Et donc
je faisais en sorte que ces lettres puissent correspondre également aux Objectifs du Millénaire
pour le Développement qui ont été assignés particulièrement aux Etats africains pour sortir de
la pauvreté à l’horizon 2015. Les Ministres ont donc reçu ces lettres de mission et je leur ai
demandé de me faire des Plans d’action pour l’exécution à court, moyen et long terme. Tous
les Ministères se sont mis au travail et je crois que tous les fonctionnaires guinéens peuvent
l’attester. Lorsque ces plans d’action ont été élaborés, j’ai commencé l’application. Mais
auparavant, je m’étais rendu compte que les finances publiques étaient dans un état
désastreux. A titre d’exemple, je vous dirai que 70% des marchandises qui entraient à
l’époque au port de Conakry étaient exonérés abusivement et j’ai voulu y mettre fin ; ensuite,
la Banque centrale était devenue une vache à lait pour certaines personnes qui, sur des bons
volants, pouvaient retirer des montants colossaux. J’ai voulu mettre en place un Comité de
trésorerie et j’ai voulu mettre de l’ordre dans les finances, mobiliser et sécuriser les recettes de
l’Etat. C’était cela l’objectif parce que je savais que dans l’état de la Guinée, il fallait
absolument faire en sorte que les finances puissent être mobilisées. Malheureusement, chaque
fois que nous avons essayé de faire des réformes, nous nous sommes heurtés à des difficultés,
à des blocages. Et c’est en raison de cela que je me suis rendu compte que cette mauvaise
gouvernance ne pouvait pas être réglée autrement. Et lorsque je me suis rendu compte que ma
mission était impossible, j’ai rendu ma démission dans une lettre et j’ai mis en garde. Car
j’avais dit dans ma lettre que si les mesures n’étaient pas prises pour faire les réformes
nécessaires, il était évident que la Guinée allait vers le marasme. Malheureusement, c’est ce
qui est arrivé en 2006 et en 2007 avec les soulèvements populaires et tout ce qui s’en est suivi.
C’était cela la réalité et ce sont les conséquences que nous vivons encore aujourd’hui.

Q : Ces blocages venaient-ils du cercle présidentiel ou du Président lui-même ?

R : D’abord, il y avait un clan mafieux qui était autour du Chef de l’Etat et qui n’avait pas
intérêt à ce que ces réformes voient le jour. Partout où je mettais la main pour mettre de
l’ordre, je rencontrais des oppositions, aussi bien de la part du Chef de l’Etat que de ce clan
mafieux qui gravitait autour de lui.

Q : Lorsque vous avez quitté vos fonctions, il semblerait que le Président Lansana Conté
était très choqué. Et c’est pour cette raison qu’il aurait mis votre chère Maman à contribution
pour vous faire revenir sur votre décision. Est-ce vrai ?

R : Oui, certainement que le Président Conté a été surpris par ma démission dans la mesure où
il ne s’y attendait pas. Lorsque je suis parti, il a fait venir effectivement ma Maman, et compte
tenu des liens particuliers que j’entretiens avec elle (le Président Conté connaissait bien ma
Maman), il a essayé de me faire revenir par ma mère. Mais ma décision était irréversible et
finalement je suis resté à l’extérieur.




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Q : Je sais que vous avez du respect pour le Président Lansana Conté. Mais est-ce qu’il
était facile d’être Ministre du Président ?

R : C’est vrai que j’ai beaucoup de respect pour le Président Lansana Conté. Je n’avais pas de
problème particulier avec lui. J’ai toujours dit que le Président avait une grande estime pour
moi et cela est exact. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais cessé de le dire. En tant que
Ministre des Affaires étrangères, je n’avais pas de problème particulier avec le Président,
étant donné que ce domaine ne l’intéressait pas beaucoup ; j’avais les mains libres en tant que
Ministre des Affaires étrangères. Mais en tant que Premier Ministre, c’était une autre tâche.
Dès lors que j’ai essayé de mettre ma main sur certains dossiers ou dans certains secteurs qui
intéressaient certains de ses amis, c’est là où le problème a commencé. Donc, je peux dire que
la tâche de Premier Ministre avec le Général Conté n’était pas facile ; je pense que tous ceux
qui ont occupé ce poste peuvent le dire.

Q : Après votre démission, vous avez été coopté aux Nations Unies pour être Représentant
spécial du Secrétaire Général en Somalie puis en République Centrafricaine. Si en RCA, vous
avez réussi à stabiliser la situation, en Somalie, les Nations Unies sont presque passées à côté.
Qu’est-ce qui fait la différence entre les deux conflits ?

R : Les deux cas sont très différents : le premier, la Somalie, il n’y avait pas d’Etat. Il s’agit
d’un pays qui était resté sans Etat, sans institutions, sans Gouvernement pendant près de
quinze ans. Et la République Centrafricaine qui, (bien que comme le dit International Crisis
Group) était un « Etat fantôme », dû au fait que l’Etat ne contrôle pas tout le territoire, mais
où il y a quand même des institutions qui fonctionnent. Donc, les deux situations, les deux
conflits étaient différents. Mais par contre, si nous avons réussi en RCA à faire un Dialogue et
des Accords de paix, nous ne sommes pas tout à fait passés à côté pendant le temps où j’étais
en Somalie.
En Somalie, lorsque je suis arrivé en 2005, le Gouvernement était à Nairobi, les institutions
étaient à Nairobi. Nous avons quand même réussi à ramener les institutions d’abord à Djohar,
puis à Baidoa : le Parlement et le Gouvernement. On a d’abord réconcilié ces deux institutions
qui se sont retrouvées à Baidoa puis à Mogadiscio. C’est avec l’apparition des Islamistes sur
la scène politique que les choses vont se gâter. Et c’est à ce moment-là d’ailleurs que j’ai
quitté pour aller en République Centrafricaine.

Q : Selon vous qui avez géré des conflits parfois meurtriers qu’est-ce qui est à la base ? Je
prends le cas de RCA qui est semblable à la RDC…

R : S’il y a une leçon que j’ai apprise avec la gestion des conflits, je dirais que l’une des
causes des conflits aujourd’hui, c’est le manque de dialogue entre les protagonistes. Nous
avons eu l’expérience en Sierra Leone, au Liberia, au Congo, au Soudan… il a fallu des
rencontres à Sun City, à Naivasha, à Yamoussoukro, à Accra. Il a fallu qu’il y ait le dialogue
entre les protagonistes. Un dialogue direct. Et chaque fois qu’il y a un dialogue direct, on
arrive toujours à une solution. Mais quand il y a le refus du dialogue, ce sont les armes qui
parlent. Et nous encourageons donc les Africains à se parler, à dialoguer. C’est la source
féconde de toute solution.

Q : Vous avez dit que pour des raisons de patriotisme, vous voulez rentrer
définitivement au bercail. Vous avez décidé de rentrer pour la conquête du pouvoir en créant
un parti politique. Pourquoi ce choix sachant que désormais ni vous ni votre famille ne serez à
l’abri de la calomnie, des injures, des critiques parfois subjectives ?


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R : C’est une question de principe. Depuis mon départ de la Guinée, en cinq années, je n’ai
pas cessé de penser à la Guinée. Je me suis levé avec la Guinée, je me suis couché avec la
Guinée. J’ai démissionné pour une question de principe de mon poste de Premier Ministre et
c’est pour les mêmes raisons de principe que j’ai démissionné de mon poste de l’ONU pour
retourner dans mon pays.
Retourner dans son pays n’est pas un crime, surtout dans l’état dans lequel la Guinée se
trouve. Je pense que tous les enfants de la Guinée qui sont à l’extérieur et qui sont à même de
rentrer aujourd’hui doivent le faire. Parce que c’est maintenant que nous devons venir pour
bâtir ce pays. Quand on s’engage dans la vie politique, il est évident qu’il faut s’attendre à ces
attaques - et cela je le comprends-, mais je pense que cela doit se faire aussi sur des règles
d’éthique et de déontologie. De toutes les façons, n’en déplaise à certains, nous sommes
déterminés à jouer notre rôle aux côtés de ceux qui sont en Guinée pour qu’il y ait un vrai
changement dans notre pays. Pour que l’ordre des choses puisse changer. Parce que la Guinée
a besoin d’un vrai changement maintenant.

Q : Que répondez-vous à ceux qui affirment que le trio Sydia Touré, Lansana Kouyaté,
F. L. Fall est en négociation pour une éventuelle coalition pour la conquête du pouvoir ?

R : J’ai lu cela dans la presse, comme vous. Mais à ma connaissance, il n’y a jamais eu de
telle coalition. Pour le moment, chacun œuvre de son côté. Le moment des alliances n’est pas
encore arrivé. Pour le moment, chacun est sur son terrain et je peux vous confirmer que nous
n’avons jamais eu de consultation pour former un quelconque trio.

Q : Depuis le 23 décembre 2008, il y a un nouveau régime à Conakry avec à sa tête le
CNDD du capitaine Moussa Dadis Camara. D’aucuns affirment que vous avez été contacté
par le CNDD pour la Primature. Certains disent pour le poste de Premier Ministre, d’autres
encore pour le Ministère des Affaires étrangères. Il y en a même qui vont plus loin pour
affirmer qu’actuellement vous roulez pour le CNDD. Dans tout cela, Excellence, qu’est-ce qui
est vrai, qu’est-ce qui est faux ?

R : Je n’ai pas été contacté par le CNDD. Je n’ai eu aucun contact direct avec le CNDD avant
mon arrivée à Conakry. J’ai par contre été consulté par le Premier Ministre qui m’a proposé
d’entrer au Gouvernement. Et pour certaines raisons, j’ai décliné. Quant à dire que je roule
pour le CNDD, cela aussi est une désinformation. Ce que je sais, c’est que je suis arrivé à
Conakry début février pour participer au quarantième jour du décès du Président Lansana
Conté et aussi pour voir ma famille et notamment ma mère (je suis allé à Kankan rendre visite
à ma mère) et à cette occasion, comme il se devait, je suis allé rendre visite au Chef de l’Etat.
Ce sont les nouvelles autorités. J’ai été reçu par le Chef de l’Etat. Il m’a fait l’amabilité de me
recevoir. J’ai été reçu également par le Premier Ministre et le Ministre des Affaires
étrangères qui sont des amis de longue date. Je n’ai pas eu de relation particulière avec le
CNDD. J’ai rencontré certains membres du CNDD pour la première fois lorsque j’ai été reçu
par le Chef de l’Etat. Dire que je cours pour le CNDD, je n’en vois pas la raison. Je n’ai
jamais été contacté par le CNDD pour une quelconque mission. Dans leur logique, certains
disent ce qu’ils veulent…

Q : Vous avez parlé de Kankan. Cela veut dire que vous êtes de Kankan ?

R : Tout à fait. Ma maman y habite, mais je suis de la Guinée.



                                                                                                 4
Q : Certains cadres qui sont restés à l’étranger parlent difficilement leur langue
maternelle. Vous parlez malinké ?

R : Je parle très bien malinké. Je parle soussou. Je comprends un peu peul. Je suis né en
Guinée, j’ai grandi en Guinée. Je parle ma langue maternelle ; cela va de soi.

Q : Quel commentaire faites-vous aujourd’hui de la gestion des affaires courantes par le
CNDD : audits, narcotrafiquants etc ?

R : Lorsque le Président Conté est décédé, j’ai eu l’avantage d’être interviewé par RFI le
matin, juste avant qu’on annonce la prise du pouvoir par l’armée. Au cours de cet interview,
je ne savais pas encore qu’il y aurait un coup d’Etat, mais j’avais dit, -connaissant le pays, et
vu la longue maladie du Président-, tout était possible. Je m’attendais un peu à la prise du
pouvoir par l’armée parce que les conditions étaient réunies, vu la situation particulière dans
laquelle vivait le pays. Les dernières années, avec la maladie du Président, tout le monde sait
que la Guinée vivait dans une situation très anormale surtout dans le domaine économique. Il
y a eu un gâchis réel, une grosse corruption, des détournements énormes de fonds publics.
Donc, ce que le CNDD est en train de faire aujourd’hui, je pense que tout Gouvernement qui
serait venu après le Président Lansana Conté aurait fait la même chose, parce que vu les
montants qui ont été détournés, l’économie qui a été complètement saccagée, les contrats
fallacieux qui ont été faits… il fallait mettre de l’ordre. La lutte contre les narcotrafiquants est
une lutte juste, dans la région de Guinée Bissau, de Sierra Leone. Je pense que c’est une très
bonne mesure, ce sont des mesures d’assainissement sanitaire que tout autre Gouvernement
aurait prises. Cela est absolument certain.

Q : Le CNDD a indexé les anciens Premiers Ministres. Est-ce que vous vous sentez
concerné ?

R : Pour les audits, je pense que c’est une très bonne chose. Je ne me sens pas concerné.
J’étais à Conakry en février. Je repars à Conakry maintenant. Je suis prêt à être audité à
n’importe quel moment. Ce que je sais, c’est que lorsque j’étais Premier Ministre, j’avais
voulu lutter contre la corruption, justement. Et ce que je voulais combattre, c’est ce que le
CNDD est en train de combattre aujourd’hui. Et je vous dirai que même après ma démission,
alors que j’étais à Paris, j’ai renvoyé mon billet retour au Gouvernement parce que je ne
voulais pas devoir un sou à l’Etat guinéen. Donc, l’audit, je suis entièrement pour, pour que
tout le monde soit audité, tous les anciens Premiers Ministres, tous les Ministres, y compris
moi-même. Sur ce point, je n’ai pas de commentaire particulier.

Q : Quelqu’un disait que rien n’est fait encore en Guinée. C’est un pays vierge. Tout est
prioritaire. Alors, si vous êtes élu Président de la Guinée, quelles seront vos priorités ?

R : Pour le moment, je ne suis pas candidat. Actuellement, mon intention est d’aller en Guinée
et de créer un parti politique. Les priorités en Guinée sont connues. D’abord, il faut réhabiliter
les institutions. Il faut réhabiliter la Justice. Il faut refonder l’Etat ; je parle de refondation
parce qu’au cours des dernières années, on a connu un déséquilibre sur tous les plans. Il faut
ensuite faire de l’économie. Il faut s’attaquer aux problèmes économiques pour faire en sorte
que pour une fois, les Guinéens puissent voir le jour, la lumière, l’électricité, l’eau, les soins
de santé. Que les enfants soient soignés et éduqués, que l’agriculture puisse progresser. Il y a
des mesures à prendre et je crois que dans le projet de société que je vais présenter, avec le
parti que je vais créer, je ferai des propositions concrètes dans tous les secteurs pour sortir le


                                                                                                  5
pays du marasme dans lequel il vit. Et je crois que ce travail là, nous devons pouvoir le faire.
C’est cela qui est le plus important. Ce qui est important pour la Guinée aujourd’hui, c’est de
permettre aux Guinéens, pour une fois, en cinquante années, de pouvoir goûter au bien-être,
le bien-être dont ils ont été privés pendant si longtemps. Il y a des Guinéens dans certaines
villes qui n’ont jamais vu la lumière, qui n’ont jamais eu l’eau potable. Ce n’est pas normal.
Ce n’est pas normal parce que même dans les pays sahéliens il y a de l’eau courante. Je ne
conçois pas que la Guinée puisse vivre dans un tel état, alors que Dieu lui a tout donné, lui a
donné tant de ressources humaines, de ressources économiques. C’est un paradoxe. Ce n’est
pas une fatalité. On peut y mettre fin.

Q : C’est surprenant quand vous dites que vous allez créer un parti politique, alors que
nous avons appris déjà que vous avez créé votre parti et que ce parti est en négociation ?

R : Je n’ai pas encore créé de parti. Je déposerai dans les très prochains jours la demande
d’agrément et si Dieu le veut ce parti sera créé et à ce moment-là le parti va commencer à
exercer. Un parti qui n’est pas encore créé ne peut pas être en négociation. On n’est en
négociation avec personne. Je suis en négociation plutôt avec les personnes qui veulent aller
avec moi dans ce parti et ce parti sera ouvert à tous les Guinéens.

Q : Quelles sont vos relations personnelles avec les leaders politiques déjà sur le terrain,
entre autres Jean-Marie Doré, Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, Sydia Touré et Bah
Ousmane, par exemple ?

R : Ces leaders que vous avez cités et que je respecte, je les connais tous. On se connaît très
bien. Ce sont des frères. Certains sont des amis, d’autres des camarades d’école, des
promotionnaires, des condisciples. Ce que je peux dire, c’est que je vais venir me joindre à
eux pour mener ensemble le combat pour la restauration de la démocratie et faire en sorte que
la vie politique s’enrichisse. C’est à ce titre là que je viens. Je n’ai pas a priori de jugement
personnel sur un leader politique. Comme je vous l’ai dit, je connais la plupart d’entre eux,
certains depuis l’école, comme Cellou Dalein qui a fait la même Faculté que moi ; d’autres
que je connais comme amis avec lesquels j’entretiens de très bonnes relations.

Q : En dernière question, quel est le message que vous avez pour ceux qui vous admirent
et même pour ceux qui ne vous admirent pas ?

R : Ce message est un message pour tous les Guinéens. C’est un message d’espoir. La
situation que vit la Guinée aujourd’hui n’est pas une fatalité. Cette situation de misère est le
fait des hommes. Elle peut être réglée par les hommes, pas par tous mais par les Guinéens
eux-mêmes. Je crois que Dieu a tout donné à la Guinée. La Guinée peut se sortir de cette
situation parce qu’elle dispose d’atouts très importants : des ressources humaines de qualité
aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, des ressources naturelles abondantes avec un
potentiel économique qui peut faire de la Guinée un pays envié, et aussi une jeunesse et des
femmes dynamiques. Nous avons tout pour réussir. Il faudrait que les Guinéens se
convainquent que ce n’est possible que dans la paix, qu’il faut maintenir la paix. Parce que
rien ne peut être fait sans la paix. Il faut que les conditions de la paix se maintiennent, que la
sécurité soit restaurée, que le cadre légal soit institué pour que les Guinéens puissent se mettre
au travail et mettre ces atouts au service de notre Nation. Afin que nous puissions sortir de ce
marasme, de cette situation inacceptable dans laquelle nous vivons depuis cinquante ans.
Et ce message d’espoir, je voudrais que tous les Guinéens le comprennent. Que nous tous,
nous nous donnions la main. Et qu’on ne prenne pas une autre direction que la direction


                                                                                                6
Guinée. Qu’on ne regarde que la Guinée. Parce que si la Guinée se trouve dans de meilleures
conditions, je crois que tout le monde en bénéficiera. Le bien-être doit être général, il ne doit
pas être qu’individuel. Et pour créer un bien-être général, il faut que les Guinéens se mettent
au travail. Il faut revaloriser le travail, pas par des slogans mais par des actions concrètes.
Cela pour que l’excellence puisse revenir et que nos enfants puissent être élevés dans une
Guinée prometteuse et une Guinée où il fera bon vivre.

« Dans un pays où il fera bon vivre… » . Vous avez suivi notre invité qui a parlé de paix et
de stabilité. Comprenez que c’est un ancien gestionnaire de conflits à travers le monde qui
parle. Il parle de conflits, il parle de paix. Encore une fois je vous dis merci et j’étais très
heureux aujourd’hui d’avoir cet invité sur le plateau d’aminata.com depuis New York.
Excellence, je vous dis merci d’avoir accepté cette invitation. Je vous souhaite bon retour à
Conakry et bonne chance dans votre nouvelle entreprise qu’est la politique.




                                                                                               7

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Interview De FrançOis LonséNy Fall Aminata[1].Com 11.03.09versioncorrigéE

  • 1. Interview de l’ancien Premier Ministre François Lonsény FALL Accordée à Mamadou BALDET, journaliste à aminata.com New York, le 11 mars 2009 Q : Qu’est-ce que le briefing devant le CS des NU R : Les briefings sont une exigence du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour tous les Représentants spéciaux ; cela dépend du calendrier établi : ils sont organisés tous les trois ou quatre mois selon les missions. Mais le briefing que j’ai fait hier n’était pas prévu. Je me trouve à New York pour faire mon rapport de fin de mission au Secrétaire Général ; à cette occasion, les membres du Conseil ont souhaité que je fasse un dernier briefing pour leur faire le point de la situation avant de quitter mes fonctions. C’est ce que j’ai fait hier. Q : Vous avez dit au-revoir aux Nations Unies alors qu’il se disait en Guinée que vous n’avez pas pris congé ou que vous n’avez pas démissionné de votre poste mais que c’est votre mission qui est terminée. R : Cela est une désinformation. J’ai renouvelé mon contrat le 1er janvier 2009 pour une période d’une année jusqu’au 31 décembre 2009. Une offre m’a été faite par le Secrétaire Général. J’ai signé et mieux, j’ai travaillé avec les Nations Unies pour l’établissement d’une mission intégrée en Centrafrique que je devais diriger et qui devrait normalement commencer d’un moment à l’autre. Je peux vous dire directement, pour mettre fin à cette polémique, que j’ai apporté les preuves de ce que je vous dis. Je vous donne d’abord l’offre de contrat qui m’a été faite à la date du 26 décembre 2008 pour la période de janvier à décembre 2009 ; je vous donne également la lettre d’acceptation à cette offre que j’ai signée le 9 janvier 2009, et puis je vous donne la copie, à la date du 18 février 2009 de ma lettre de démission que j’ai adressée au Secrétaire Général des Nations Unies, M. Ban Ki Moon ; et mieux, je vous donne à la date du 3 mars 2009 la lettre d’acceptation du Secrétaire Général expliquant qu’il acceptait ma démission pour des raisons personnelles avec beaucoup de regrets. Je vous donne ces documents parce que je pense que certaines personnes ont voulu dire autre chose ; je vous laisse la liberté de les publier puisque ce sont des documents authentiques. Q : Les documents sont authentiques, c’est vrai. Et je vois même que dans la lettre, les NU regrettent votre départ… R : Bien sûr, même devant les membres de l’ambassade de Guinée qui étaient ce matin dans la salle avec la Peace Building Commission et également en séance plénière au Conseil de Sécurité. Les membres du Conseil ont exprimé beaucoup de regrets pour mon départ après le travail qui a été abattu parce qu’en Centrafrique ma mission s’achève sur un élément positif étant donné que nous avons pu en dix-sept mois organiser un Dialogue politique inclusif, former un Gouvernement d’ouverture, signer des Accords de paix avec les mouvements rebelles et un Accord global de paix. Les Centrafricains ont considéré que c’était une mission qui devait continuer, mais vu l’appel pressant de mon pays, j’ai préféré rendre ma démission et rentrer en Guinée. Q : On va revenir à la Guinée. Quelques mois après votre nomination en tant que Premier Ministre, vous avez décidé de rendre le tablier. Quelles sont les raisons profondes qui vous ont conduit à la démission ? 1
  • 2. R : J’ai suffisamment expliqué les raisons de ma démission. Cette démission correspondait à un refus : le refus de cautionner une mauvaise gouvernance. J’ai été nommé à un moment où la Guinée connaissait de grosses difficultés : des difficultés financières et aussi un certain isolement sur la scène politique internationale. J’avais à cœur de réussir ma mission et c’est à ce titre que j’ai préparé une feuille de route qui a été approuvée par le Chef de l’Etat, feu le Président Lansana Conté. J’ai donc accepté de faire une lettre de mission pour chaque Ministre et je le dis clairement, car ces Ministres sont encore vivants, ils se trouvent en Guinée. Chaque Ministre a reçu une lettre et ces lettres de mission correspondaient à ma volonté de sortir la Guinée d’un certain état de misère dans laquelle elle était plongée. Et donc je faisais en sorte que ces lettres puissent correspondre également aux Objectifs du Millénaire pour le Développement qui ont été assignés particulièrement aux Etats africains pour sortir de la pauvreté à l’horizon 2015. Les Ministres ont donc reçu ces lettres de mission et je leur ai demandé de me faire des Plans d’action pour l’exécution à court, moyen et long terme. Tous les Ministères se sont mis au travail et je crois que tous les fonctionnaires guinéens peuvent l’attester. Lorsque ces plans d’action ont été élaborés, j’ai commencé l’application. Mais auparavant, je m’étais rendu compte que les finances publiques étaient dans un état désastreux. A titre d’exemple, je vous dirai que 70% des marchandises qui entraient à l’époque au port de Conakry étaient exonérés abusivement et j’ai voulu y mettre fin ; ensuite, la Banque centrale était devenue une vache à lait pour certaines personnes qui, sur des bons volants, pouvaient retirer des montants colossaux. J’ai voulu mettre en place un Comité de trésorerie et j’ai voulu mettre de l’ordre dans les finances, mobiliser et sécuriser les recettes de l’Etat. C’était cela l’objectif parce que je savais que dans l’état de la Guinée, il fallait absolument faire en sorte que les finances puissent être mobilisées. Malheureusement, chaque fois que nous avons essayé de faire des réformes, nous nous sommes heurtés à des difficultés, à des blocages. Et c’est en raison de cela que je me suis rendu compte que cette mauvaise gouvernance ne pouvait pas être réglée autrement. Et lorsque je me suis rendu compte que ma mission était impossible, j’ai rendu ma démission dans une lettre et j’ai mis en garde. Car j’avais dit dans ma lettre que si les mesures n’étaient pas prises pour faire les réformes nécessaires, il était évident que la Guinée allait vers le marasme. Malheureusement, c’est ce qui est arrivé en 2006 et en 2007 avec les soulèvements populaires et tout ce qui s’en est suivi. C’était cela la réalité et ce sont les conséquences que nous vivons encore aujourd’hui. Q : Ces blocages venaient-ils du cercle présidentiel ou du Président lui-même ? R : D’abord, il y avait un clan mafieux qui était autour du Chef de l’Etat et qui n’avait pas intérêt à ce que ces réformes voient le jour. Partout où je mettais la main pour mettre de l’ordre, je rencontrais des oppositions, aussi bien de la part du Chef de l’Etat que de ce clan mafieux qui gravitait autour de lui. Q : Lorsque vous avez quitté vos fonctions, il semblerait que le Président Lansana Conté était très choqué. Et c’est pour cette raison qu’il aurait mis votre chère Maman à contribution pour vous faire revenir sur votre décision. Est-ce vrai ? R : Oui, certainement que le Président Conté a été surpris par ma démission dans la mesure où il ne s’y attendait pas. Lorsque je suis parti, il a fait venir effectivement ma Maman, et compte tenu des liens particuliers que j’entretiens avec elle (le Président Conté connaissait bien ma Maman), il a essayé de me faire revenir par ma mère. Mais ma décision était irréversible et finalement je suis resté à l’extérieur. 2
  • 3. Q : Je sais que vous avez du respect pour le Président Lansana Conté. Mais est-ce qu’il était facile d’être Ministre du Président ? R : C’est vrai que j’ai beaucoup de respect pour le Président Lansana Conté. Je n’avais pas de problème particulier avec lui. J’ai toujours dit que le Président avait une grande estime pour moi et cela est exact. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais cessé de le dire. En tant que Ministre des Affaires étrangères, je n’avais pas de problème particulier avec le Président, étant donné que ce domaine ne l’intéressait pas beaucoup ; j’avais les mains libres en tant que Ministre des Affaires étrangères. Mais en tant que Premier Ministre, c’était une autre tâche. Dès lors que j’ai essayé de mettre ma main sur certains dossiers ou dans certains secteurs qui intéressaient certains de ses amis, c’est là où le problème a commencé. Donc, je peux dire que la tâche de Premier Ministre avec le Général Conté n’était pas facile ; je pense que tous ceux qui ont occupé ce poste peuvent le dire. Q : Après votre démission, vous avez été coopté aux Nations Unies pour être Représentant spécial du Secrétaire Général en Somalie puis en République Centrafricaine. Si en RCA, vous avez réussi à stabiliser la situation, en Somalie, les Nations Unies sont presque passées à côté. Qu’est-ce qui fait la différence entre les deux conflits ? R : Les deux cas sont très différents : le premier, la Somalie, il n’y avait pas d’Etat. Il s’agit d’un pays qui était resté sans Etat, sans institutions, sans Gouvernement pendant près de quinze ans. Et la République Centrafricaine qui, (bien que comme le dit International Crisis Group) était un « Etat fantôme », dû au fait que l’Etat ne contrôle pas tout le territoire, mais où il y a quand même des institutions qui fonctionnent. Donc, les deux situations, les deux conflits étaient différents. Mais par contre, si nous avons réussi en RCA à faire un Dialogue et des Accords de paix, nous ne sommes pas tout à fait passés à côté pendant le temps où j’étais en Somalie. En Somalie, lorsque je suis arrivé en 2005, le Gouvernement était à Nairobi, les institutions étaient à Nairobi. Nous avons quand même réussi à ramener les institutions d’abord à Djohar, puis à Baidoa : le Parlement et le Gouvernement. On a d’abord réconcilié ces deux institutions qui se sont retrouvées à Baidoa puis à Mogadiscio. C’est avec l’apparition des Islamistes sur la scène politique que les choses vont se gâter. Et c’est à ce moment-là d’ailleurs que j’ai quitté pour aller en République Centrafricaine. Q : Selon vous qui avez géré des conflits parfois meurtriers qu’est-ce qui est à la base ? Je prends le cas de RCA qui est semblable à la RDC… R : S’il y a une leçon que j’ai apprise avec la gestion des conflits, je dirais que l’une des causes des conflits aujourd’hui, c’est le manque de dialogue entre les protagonistes. Nous avons eu l’expérience en Sierra Leone, au Liberia, au Congo, au Soudan… il a fallu des rencontres à Sun City, à Naivasha, à Yamoussoukro, à Accra. Il a fallu qu’il y ait le dialogue entre les protagonistes. Un dialogue direct. Et chaque fois qu’il y a un dialogue direct, on arrive toujours à une solution. Mais quand il y a le refus du dialogue, ce sont les armes qui parlent. Et nous encourageons donc les Africains à se parler, à dialoguer. C’est la source féconde de toute solution. Q : Vous avez dit que pour des raisons de patriotisme, vous voulez rentrer définitivement au bercail. Vous avez décidé de rentrer pour la conquête du pouvoir en créant un parti politique. Pourquoi ce choix sachant que désormais ni vous ni votre famille ne serez à l’abri de la calomnie, des injures, des critiques parfois subjectives ? 3
  • 4. R : C’est une question de principe. Depuis mon départ de la Guinée, en cinq années, je n’ai pas cessé de penser à la Guinée. Je me suis levé avec la Guinée, je me suis couché avec la Guinée. J’ai démissionné pour une question de principe de mon poste de Premier Ministre et c’est pour les mêmes raisons de principe que j’ai démissionné de mon poste de l’ONU pour retourner dans mon pays. Retourner dans son pays n’est pas un crime, surtout dans l’état dans lequel la Guinée se trouve. Je pense que tous les enfants de la Guinée qui sont à l’extérieur et qui sont à même de rentrer aujourd’hui doivent le faire. Parce que c’est maintenant que nous devons venir pour bâtir ce pays. Quand on s’engage dans la vie politique, il est évident qu’il faut s’attendre à ces attaques - et cela je le comprends-, mais je pense que cela doit se faire aussi sur des règles d’éthique et de déontologie. De toutes les façons, n’en déplaise à certains, nous sommes déterminés à jouer notre rôle aux côtés de ceux qui sont en Guinée pour qu’il y ait un vrai changement dans notre pays. Pour que l’ordre des choses puisse changer. Parce que la Guinée a besoin d’un vrai changement maintenant. Q : Que répondez-vous à ceux qui affirment que le trio Sydia Touré, Lansana Kouyaté, F. L. Fall est en négociation pour une éventuelle coalition pour la conquête du pouvoir ? R : J’ai lu cela dans la presse, comme vous. Mais à ma connaissance, il n’y a jamais eu de telle coalition. Pour le moment, chacun œuvre de son côté. Le moment des alliances n’est pas encore arrivé. Pour le moment, chacun est sur son terrain et je peux vous confirmer que nous n’avons jamais eu de consultation pour former un quelconque trio. Q : Depuis le 23 décembre 2008, il y a un nouveau régime à Conakry avec à sa tête le CNDD du capitaine Moussa Dadis Camara. D’aucuns affirment que vous avez été contacté par le CNDD pour la Primature. Certains disent pour le poste de Premier Ministre, d’autres encore pour le Ministère des Affaires étrangères. Il y en a même qui vont plus loin pour affirmer qu’actuellement vous roulez pour le CNDD. Dans tout cela, Excellence, qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? R : Je n’ai pas été contacté par le CNDD. Je n’ai eu aucun contact direct avec le CNDD avant mon arrivée à Conakry. J’ai par contre été consulté par le Premier Ministre qui m’a proposé d’entrer au Gouvernement. Et pour certaines raisons, j’ai décliné. Quant à dire que je roule pour le CNDD, cela aussi est une désinformation. Ce que je sais, c’est que je suis arrivé à Conakry début février pour participer au quarantième jour du décès du Président Lansana Conté et aussi pour voir ma famille et notamment ma mère (je suis allé à Kankan rendre visite à ma mère) et à cette occasion, comme il se devait, je suis allé rendre visite au Chef de l’Etat. Ce sont les nouvelles autorités. J’ai été reçu par le Chef de l’Etat. Il m’a fait l’amabilité de me recevoir. J’ai été reçu également par le Premier Ministre et le Ministre des Affaires étrangères qui sont des amis de longue date. Je n’ai pas eu de relation particulière avec le CNDD. J’ai rencontré certains membres du CNDD pour la première fois lorsque j’ai été reçu par le Chef de l’Etat. Dire que je cours pour le CNDD, je n’en vois pas la raison. Je n’ai jamais été contacté par le CNDD pour une quelconque mission. Dans leur logique, certains disent ce qu’ils veulent… Q : Vous avez parlé de Kankan. Cela veut dire que vous êtes de Kankan ? R : Tout à fait. Ma maman y habite, mais je suis de la Guinée. 4
  • 5. Q : Certains cadres qui sont restés à l’étranger parlent difficilement leur langue maternelle. Vous parlez malinké ? R : Je parle très bien malinké. Je parle soussou. Je comprends un peu peul. Je suis né en Guinée, j’ai grandi en Guinée. Je parle ma langue maternelle ; cela va de soi. Q : Quel commentaire faites-vous aujourd’hui de la gestion des affaires courantes par le CNDD : audits, narcotrafiquants etc ? R : Lorsque le Président Conté est décédé, j’ai eu l’avantage d’être interviewé par RFI le matin, juste avant qu’on annonce la prise du pouvoir par l’armée. Au cours de cet interview, je ne savais pas encore qu’il y aurait un coup d’Etat, mais j’avais dit, -connaissant le pays, et vu la longue maladie du Président-, tout était possible. Je m’attendais un peu à la prise du pouvoir par l’armée parce que les conditions étaient réunies, vu la situation particulière dans laquelle vivait le pays. Les dernières années, avec la maladie du Président, tout le monde sait que la Guinée vivait dans une situation très anormale surtout dans le domaine économique. Il y a eu un gâchis réel, une grosse corruption, des détournements énormes de fonds publics. Donc, ce que le CNDD est en train de faire aujourd’hui, je pense que tout Gouvernement qui serait venu après le Président Lansana Conté aurait fait la même chose, parce que vu les montants qui ont été détournés, l’économie qui a été complètement saccagée, les contrats fallacieux qui ont été faits… il fallait mettre de l’ordre. La lutte contre les narcotrafiquants est une lutte juste, dans la région de Guinée Bissau, de Sierra Leone. Je pense que c’est une très bonne mesure, ce sont des mesures d’assainissement sanitaire que tout autre Gouvernement aurait prises. Cela est absolument certain. Q : Le CNDD a indexé les anciens Premiers Ministres. Est-ce que vous vous sentez concerné ? R : Pour les audits, je pense que c’est une très bonne chose. Je ne me sens pas concerné. J’étais à Conakry en février. Je repars à Conakry maintenant. Je suis prêt à être audité à n’importe quel moment. Ce que je sais, c’est que lorsque j’étais Premier Ministre, j’avais voulu lutter contre la corruption, justement. Et ce que je voulais combattre, c’est ce que le CNDD est en train de combattre aujourd’hui. Et je vous dirai que même après ma démission, alors que j’étais à Paris, j’ai renvoyé mon billet retour au Gouvernement parce que je ne voulais pas devoir un sou à l’Etat guinéen. Donc, l’audit, je suis entièrement pour, pour que tout le monde soit audité, tous les anciens Premiers Ministres, tous les Ministres, y compris moi-même. Sur ce point, je n’ai pas de commentaire particulier. Q : Quelqu’un disait que rien n’est fait encore en Guinée. C’est un pays vierge. Tout est prioritaire. Alors, si vous êtes élu Président de la Guinée, quelles seront vos priorités ? R : Pour le moment, je ne suis pas candidat. Actuellement, mon intention est d’aller en Guinée et de créer un parti politique. Les priorités en Guinée sont connues. D’abord, il faut réhabiliter les institutions. Il faut réhabiliter la Justice. Il faut refonder l’Etat ; je parle de refondation parce qu’au cours des dernières années, on a connu un déséquilibre sur tous les plans. Il faut ensuite faire de l’économie. Il faut s’attaquer aux problèmes économiques pour faire en sorte que pour une fois, les Guinéens puissent voir le jour, la lumière, l’électricité, l’eau, les soins de santé. Que les enfants soient soignés et éduqués, que l’agriculture puisse progresser. Il y a des mesures à prendre et je crois que dans le projet de société que je vais présenter, avec le parti que je vais créer, je ferai des propositions concrètes dans tous les secteurs pour sortir le 5
  • 6. pays du marasme dans lequel il vit. Et je crois que ce travail là, nous devons pouvoir le faire. C’est cela qui est le plus important. Ce qui est important pour la Guinée aujourd’hui, c’est de permettre aux Guinéens, pour une fois, en cinquante années, de pouvoir goûter au bien-être, le bien-être dont ils ont été privés pendant si longtemps. Il y a des Guinéens dans certaines villes qui n’ont jamais vu la lumière, qui n’ont jamais eu l’eau potable. Ce n’est pas normal. Ce n’est pas normal parce que même dans les pays sahéliens il y a de l’eau courante. Je ne conçois pas que la Guinée puisse vivre dans un tel état, alors que Dieu lui a tout donné, lui a donné tant de ressources humaines, de ressources économiques. C’est un paradoxe. Ce n’est pas une fatalité. On peut y mettre fin. Q : C’est surprenant quand vous dites que vous allez créer un parti politique, alors que nous avons appris déjà que vous avez créé votre parti et que ce parti est en négociation ? R : Je n’ai pas encore créé de parti. Je déposerai dans les très prochains jours la demande d’agrément et si Dieu le veut ce parti sera créé et à ce moment-là le parti va commencer à exercer. Un parti qui n’est pas encore créé ne peut pas être en négociation. On n’est en négociation avec personne. Je suis en négociation plutôt avec les personnes qui veulent aller avec moi dans ce parti et ce parti sera ouvert à tous les Guinéens. Q : Quelles sont vos relations personnelles avec les leaders politiques déjà sur le terrain, entre autres Jean-Marie Doré, Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, Sydia Touré et Bah Ousmane, par exemple ? R : Ces leaders que vous avez cités et que je respecte, je les connais tous. On se connaît très bien. Ce sont des frères. Certains sont des amis, d’autres des camarades d’école, des promotionnaires, des condisciples. Ce que je peux dire, c’est que je vais venir me joindre à eux pour mener ensemble le combat pour la restauration de la démocratie et faire en sorte que la vie politique s’enrichisse. C’est à ce titre là que je viens. Je n’ai pas a priori de jugement personnel sur un leader politique. Comme je vous l’ai dit, je connais la plupart d’entre eux, certains depuis l’école, comme Cellou Dalein qui a fait la même Faculté que moi ; d’autres que je connais comme amis avec lesquels j’entretiens de très bonnes relations. Q : En dernière question, quel est le message que vous avez pour ceux qui vous admirent et même pour ceux qui ne vous admirent pas ? R : Ce message est un message pour tous les Guinéens. C’est un message d’espoir. La situation que vit la Guinée aujourd’hui n’est pas une fatalité. Cette situation de misère est le fait des hommes. Elle peut être réglée par les hommes, pas par tous mais par les Guinéens eux-mêmes. Je crois que Dieu a tout donné à la Guinée. La Guinée peut se sortir de cette situation parce qu’elle dispose d’atouts très importants : des ressources humaines de qualité aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, des ressources naturelles abondantes avec un potentiel économique qui peut faire de la Guinée un pays envié, et aussi une jeunesse et des femmes dynamiques. Nous avons tout pour réussir. Il faudrait que les Guinéens se convainquent que ce n’est possible que dans la paix, qu’il faut maintenir la paix. Parce que rien ne peut être fait sans la paix. Il faut que les conditions de la paix se maintiennent, que la sécurité soit restaurée, que le cadre légal soit institué pour que les Guinéens puissent se mettre au travail et mettre ces atouts au service de notre Nation. Afin que nous puissions sortir de ce marasme, de cette situation inacceptable dans laquelle nous vivons depuis cinquante ans. Et ce message d’espoir, je voudrais que tous les Guinéens le comprennent. Que nous tous, nous nous donnions la main. Et qu’on ne prenne pas une autre direction que la direction 6
  • 7. Guinée. Qu’on ne regarde que la Guinée. Parce que si la Guinée se trouve dans de meilleures conditions, je crois que tout le monde en bénéficiera. Le bien-être doit être général, il ne doit pas être qu’individuel. Et pour créer un bien-être général, il faut que les Guinéens se mettent au travail. Il faut revaloriser le travail, pas par des slogans mais par des actions concrètes. Cela pour que l’excellence puisse revenir et que nos enfants puissent être élevés dans une Guinée prometteuse et une Guinée où il fera bon vivre. « Dans un pays où il fera bon vivre… » . Vous avez suivi notre invité qui a parlé de paix et de stabilité. Comprenez que c’est un ancien gestionnaire de conflits à travers le monde qui parle. Il parle de conflits, il parle de paix. Encore une fois je vous dis merci et j’étais très heureux aujourd’hui d’avoir cet invité sur le plateau d’aminata.com depuis New York. Excellence, je vous dis merci d’avoir accepté cette invitation. Je vous souhaite bon retour à Conakry et bonne chance dans votre nouvelle entreprise qu’est la politique. 7