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Le	design	sonore	du	livre	numérique,	ou
comment	le	livre	parle	à	ses	lecteurs	:	quelques
éléments	prospectifs
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3	AUTHORS,	INCLUDING:
Geraldine	Cohen
Université	de	Poitiers
6	PUBLICATIONS			0	CITATIONS			
SEE	PROFILE
Olivier	Rampnoux
Université	de	Poitiers
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SEE	PROFILE
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letting	you	access	and	read	them	immediately.
Available	from:	Geraldine	Cohen
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Ledesignsonoredulivrenumérique,oucommentlelivreparleàseslecteurs :
quelquesélémentsprospectifs
Olivier Rampnoux, Géraldine Cohen, Cyril Béchemin
Le développement des livres en format numérique soulève de nombreuses interrogations allant des
techniques de réalisation aux choix de format de supports, en passant par les interactions et
l’environnement sonore associés. Ainsi, selon que le livre est développé pour une liseuse ou une
tablette, les potentialités de design sonore s’avèrent inexistante ou en lien direct avec le texte.
L’intégration de ce nouveau paramètre pourrait conduire à une véritable mutation de la lecture, alors
même que le livre audio existe depuis près d’un siècle. Notre ambition est de présenter ici une
réflexion sur le glissement de sens opéré dans le livre sonore par l’innovation technologique que
représente la tablette numérique, et ses conséquences pour le métier d’éditeur.
Notre corpus d’étude se focalisera ici sur les livres illustrés pour enfant, puisque que notre propos
s’appuie sur un travail de recherche sur les usages, fruit d’une collaboration entre le Centre Européen
des Produits de l’Enfant (IAE, Université de Poitiers), et l’entreprise Néolibris IGS-CP qui a développé
un savoir-faire et une expertise dans la conception et l’édition de livres numériques dits « enrichis »1
.
Cette étude vise à restituer la perception de l’ebook2
pour enfant dans ses aspects tant sensitif que
symbolique et cognitif. Aussi nous sommes nous attachés à définir l’interaction avec l’objet, tout en
tenant compte de l’activité générée (ici la lecture de loisir), de son contexte d’usage (le cadre
familial), et du « contexte de ce contexte » (Askegaard et Linnet, 2011), à savoir la culture
historiquement située dans laquelle ce bien s’inscrit. L’enfant n’entrant pas seul dans la culture de
l’écrit (Donnat, 2009), nous nous sommes intéressés à son point de vue autant qu’à celui de ses
parents, et aux interactions interpersonnelles liées à l’activité de lecture. Dans un premier temps,
des entretiens en profondeur conduits au domicile des participants ont permis d’appréhender les
cultures familiales du livre et du numérique. Dans un second temps, chaque dyade ou triade parents-
enfants a été placée en situation de lecture numérique conjointe, seule, dans une salle dédiée aux
observations scientifiques. Notre dispositif leur permettait de consulter une douzaine d’ouvrages aux
formats, contenus et degré d’enrichissements variés, mais proposant tous une histoire linéaire et
illustrée, correspondant aux pratiques préalablement observées au domicile. Les résultats de
l’expérimentation de lecture numérique permettent d’identifier les éléments sonores signifiants pour
les lecteurs, et soutient notre réflexion, d’où la présence de nombreux verbatim. Ceux-ci sont
anonymisés et décontextualisés pour insister sur la valeur de représentation collective qui peut
émerger des discours du quotidien. Nous nous inscrivons de fait dans la continuité de la
phénoménologie de Schütz, qui propose de faire émerger la connaissance née de « l’expérience
collective » en prenant appui sur « la logique du domestique » ou « la pensée courante ».
Pour saisir la complexité polysémique de l’ebook pour enfant, nous proposons dans un premier
temps une rétrospective historique des liens unissant l’écrit et l’oral puis des différents
1
Cette expression renvoie à un ouvrage qui offre des suppléments de contenus multimédia : ambiance sonore,
animation des illustrations, liens hypertexte renvoyant vers un site Internet externe ou un fichier interne,
fonctionnalités intégrées (fichier audio, dictionnaire, surlignage, prise de notes…).
2
L’ebook est leterme que nous emploierons ici pour désigner l’objet formé par le support numérique (ici la
tablette) et le contenu du livre qu’il soit sous format iBook ou application livre.
développements techniques associés dans le livre audio, avant d’évoquer la période plus récente qui
autorise une convergence du texte et de l’audio vers un même support physique, la tablette
numérique. Dans un second temps, afin d’appréhender les enjeux de cette convergence, nous
identifierons un certain nombre de concepts qui peuvent permettre un travail de relecture de la
place du son dans une œuvre artistique. En effet, le développement du livre dans un format
numérique soulève des questions de sens qui, de notre point de vue, sont similaires aux
problématiques qui peuvent exister dans le cinéma par exemple. La place du son dans un livre
numérique mérite une attention particulière car le son investit un nouveau terrain de jeu et
renouvelle la relation lecture/image/son en intégrant le choix de parcours au sein de l’œuvre. Un
nouveau rapport de l’usager au média, une nouvelle lecture engendrée par l’activité sont autant de
directions que nous souhaitons explorer.
Du livre qui raconte au livre sonore
Comme le souligne Julie Hétu (2012), Cyrano de Bergerac3
rêvait déjà du livre audio en 1655, près de
trois siècles avant son apparition :
« C’est un livre a la vérité, mais c’est un livre miraculeux qui n’a ni feuillet ni caractères ; enfin c’est
un livre où, pour apprendre, les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que d’oreilles. […] Lorsque j’eus
réfléchi sur cette miraculeuse invention de faire les livres, je ne m’étonnai plus de voir que les jeunes
hommes de ce pays-là possédaient plus de connaissances à seize et à dix-huit ans que les barbes
grises du nôtre ; car, sachant lire aussitôt que de parler, ils ne sont jamais sans lecture ; dans la
chambre, à la promenade, en ville, en voyage, à pied, à cheval, ils peuvent avoir dans la poche, ou
pendus à l’arçon de leur selles, une trentaines de ces livres dont ils n’ont plus qu’à bander un ressort
pour en ouïr un chapitre seulement, ou plusieurs, s’ils sont en humeur d’écouter tout un livre ; ainsi,
vous avez éternellement autour de vous tous les grands hommes et morts et vivants qui vous
entretiennent de vive voix. »
Le livre était alors pensé comme l’instrument de la connaissance, et seul le contenu importait. En
outre, la lecture n’étant pas encore accessible à tous, savoir et production littéraire étaient souvent
transmis par la voix d’un tiers. Afin de bien comprendre les liens intimes qui attachent l’écrit à
l’oralité encore aujourd’hui, nous allons retracer brièvement l’histoire de la lecture avant de nous
intéresser plus particulièrement aux livres audio, et à la profonde modification de sens opérée sur
ces derniers par l’ère numérique.
La lente intériorisation de la lecture
Les premières écritures ont visé la retranscription de paroles dont la trace devait subsister à la
transformation potentiellement opérée par la mémoire humaine. Egyptiens, Hébreux puis Chrétiens
y ont adjoint une dimension sacrée (Vandendorpe, 2009, p.19). Ainsi, jusqu’au Moyen Age, pour des
raisons techniques (supports rares et fragiles), l’écrit était réservé à la parole divine et aux hauts faits
des monarques, eux-mêmes considérés comme des représentants de Dieu. Seule une élite savante,
longtemps dissociée de l’élite dirigeante, était capable d’écrire et de lire ces textes, qui étaient de fait
restitués oralement aux autres composantes de la société. Ce qui constitue le fondement de la
3
C. de Bergerac (1655), Histoire comique des Etats et Empire de la Lune, Paris, Editions du Boucher, 2002, p.77-
78
littérature de l’Occident Chrétien, à savoir les épopées, légendes et autres virelangues, était transmis
uniquement verbalement, par l’intermédiaire de conteurs ou plus tard de troubadours. Racontée,
récitée ou mise en musique, cette culture orale pose souvent des questions universelles, mais sa
forme est codifiée : on ne formule pas de la même façon la parole de Dieu et la geste de Roland. La
littérature orale4
véhicule ainsi l'histoire de la société dans laquelle elle s’inscrit, ses croyances, ses
représentations symboliques, ses modèles culturels ou sa vision du monde naturel, mais aussi la
prosodie de la langue, à savoir la musicalité générée par les phonèmes, le rythme et les intonations
des phrases.
C’est seulement lorsque les seigneurs féodaux ont eu accès à la lecture et l’écriture que les contenus
manuscrits se sont diversifiés. Traités de fauconnerie ou réceptaires5
sont ainsi apparus, figeant par
l’écriture des préoccupations plus profanes. Les premiers écrivains s’inspirent de la littérature orale,
qu’elle soit épique (Chrétien de Troyes, les Romans de la Table Ronde ; Jacques de Voragine, la
Légende Dorée ; Jean d’Arras, Mélusine…) ou lyrique (Guillaume IX et ses poèmes courtois, Christine
de Pisan, Cent balades d’amant et de dame …), avant de devenir moraliste, politique ou
philosophique (Dante, la Divine comédie ; Machiavel, le Prince ; Rabelais, Pantagruel…). Encore peu
nombreux, les lecteurs constituent des bibliothèques personnelles, signe de leur puissance et de leur
érudition. Dès le XIIème siècle la lecture silencieuse se développe (Aurell, 2011). En effet, le passage
à la langue vernaculaire, l’insertion d’espace entre chaque mot, et la codification de la mise en page
facilitent l’accès aux textes, qu’ils soient utilitaires ou qu’ils consacrent l’imaginaire ou la littérature.
C’est une grande rupture cognitive, car l’écrit se détache de la voix et c’est la vue qui capte le sens du
discours. Mais la lecture individuelle n’a pu se généraliser que par la conjugaison de deux facteurs.
Tout d’abord, l’invention de l’imprimerie, au XVème siècle, qui a révolutionné le livre. Multipliant les
exemplaires d’un même texte, elle a permis une plus grande diffusion des œuvres. Et surtout, en
fixant la pagination et en inventant la ponctuation, elle a fluidifié l’activité de lecture. D’autre part,
l’institutionnalisation de l’instruction, qui a généré un nombre croissant de lecteurs.
Avec l’école de la République, la lecture est pensée politiquement comme une activité permettant
d’élargir le savoir, l’expérience, la réflexivité et donc in fine, l’émancipation de l’individu. Aussi, au
XXème siècle, le livre pénètre-t-il dans tous les foyers de France. On peut s’étonner de découvrir que
l’Education Nationale ne privilégie l’apprentissage de la lecture silencieuse qu’à partir des années
1950 (Chartier, 2007), tant il est désormais admis que la lecture est synonyme de silence, de contrat6
intériorisé entre un auteur, un format d’édition et un lecteur. Pourtant, elle n’en demeure pas moins
une activité qui garde l’empreinte auditive des mots. Il suffit d’observer des enfants qui débutent
dans la pratique de la lecture silencieuse, pour voir qu’ils continuent à remuer les lèvres, comme si la
simple articulation recréait la prosodie nécessaire à la compréhension du discours. A tel point que
psychologues et spécialistes de l’éducation s’interrogent sur la primauté de l’œil ou de l’oreille dans
la conceptualisation de l’écrit et la compréhension du texte (Leroy Boussion, 1966).
4
Le terme de littérature orale, aujourd’hui accepté par les anthropologues et les spécialistes du langage, a été
introduit en 1881 par Paul Sébillot pour désigner les productions orales auxquelles on attribue une certaine
littérarité.
5
Les réceptaires sont des manuscrits très variés consignant toutes sortes de recettes et techniques à usage
domestique. La médecine y côtoie les filtres magiques et les recettes de cuisine, autant que les conseils en
agronomie. (Bruno Laurioux, Le règne de Taillevent : livre et pratiques culinaires à la fin du Moyen Age, Paris,
Publications de la Sorbonne, 1997, p.329)
6
Lors de son enquêtesur la presse, Eliséo Véron a inventé la notion de « contrat de lecture » pour évoquer la
nécessité de lier analysesémiotique du message communiqué et étudede la perception du récepteur. Depuis,
cette notion a été reprise et adaptée par les spécialistes du livre.
La littérature dédiée à la jeunesse, quant à elle, est née au XVIIème siècle seulement avec la
construction de l’individualité de l’enfant (Ariès, 1960, Becchi et Julia, 1998). A vocation éducative,
les ouvrages s’adressent alors à des enfants déjà lecteurs (Poslaniec, 2008). Contes et albums
illustrés se développent à la fin du XIXème, grâce à l’invention de la polychromie, mais ne pénètrent
que les foyers des classes supérieures (Renonciat, 1998). Ainsi, jusque dans les années 1960, les
enfants non lecteurs n’accédaient à la littérature que par des histoires racontées et non lues, les
seuls livres conçus pour eux se limitant aux imagiers (Chartier, 2009). La grande variété de formats et
de contenus que nous connaissons aujourd’hui date de la seconde moitié du XXème siècle, signe
d’une volonté très récente d’initier les plus jeunes à l’artefact cognitif que constitue la langue écrite,
et à son média, le livre. Par la conjugaison d’une volonté politique d’accès à la lecture pour tous, et
de la création d’un segment éditorial spécialisé (Bruno, 2010), le livre est devenu un objet familier
des très jeunes enfants dans toutes les institutions qui le concernent : crèches, écoles et famille. Il
fait donc sens avant même d’apprendre à déchiffrer les signes écrits.
Le livre est unanimement pensé par les participants de notre étude, comme un objet tangible, avec
lequel une intimité et une expérience émotionnelle sont entretenues. Le papier est évoqué comme
une source de plaisir sensoriel (vue, toucher, odeur), particulièrement intense dans le cas des livres
pour enfants qui jouent sur la manipulation. Aucun des enfants rencontrés n’associe spontanément
le livre au son. Cependant l’oralité des textes apparait dans leurs discours. Les lecteurs autonomes ne
pratiquent plus la lecture à voix haute, sauf exceptionnellement « pour jouer à la maîtresse » ou dans
le cadre d’un travail scolaire. En revanche, tous ceux qui n’en bénéficient plus, sont nostalgiques de
la lecture du soir effectuée par un parent. Il apparait même que c’est ce rituel qui est à l’origine de
leur envie de devenir lecteur. Pour les adultes, outre la dimension affective, ce moment de partage
quotidien est le plus sûr moyen d’instiller la musicalité de la langue écrite à leurs enfants (« on veille
particulièrement à leur lire différents registres de langue. Alors, bon, quet elles ramènent [de la bibliothèque] la
version originale de Blanche Neige ou de Cendrillon, des fois on simplifie un peu, mais le moins possible »).
Puisqu’il apparait que c’est l’articulation entre la narration orale et l’objet livre qui implique l’enfant
dans l’activité de lecture et la dote de sens, le livre audio dont rêvait Cyrano de Bergerac a toute sa
place dans la transmission de la culture écrite.
Le livre audio, cet artefact qui raconte
On date de 1932 la création du livre audio, financée par un programme du Congrès américain (Hétu,
2010, p.337). Là encore, on retrouve une volonté politique de faire accéder le plus grand nombre à la
connaissance et à l’imaginaire étroitement liés à l’artefact cognitif que constitue la langue écrite. A
l’origine conçu pour les malvoyants, il venait compléter la diffusion par la radio de textes lus où les
classiques de la littérature côtoyaient des fictions créées spécifiquement pour ce média. Dans les
années 50, le livre audio a pris la forme de livre disque et s’est développé grâce à un nouveau
segment de marché, celui des contes pour enfants. Ainsi, en France, Lucien Adès crée le label Le Petit
Ménestrel, allusion évidente aux conteurs médiévaux. Grâce à l’acquisition des droits d’adaptation
des œuvres de Walt Disney, les Editions Adès connaissent un véritable succès, et le marché du livre
audio jeunesse prend son essor. Avec l’apparition des cassettes, dans les années 70, puis surtout du
CD dans les années 90, l’objet pénètrera un nombre croissant de foyers, d’autant que les fabricants
de jouets commercialisent des lecteurs audio adaptés aux plus jeunes, et accessibles à toutes les
bourses. Adopté également par la presse jeunesse (Milan, Bayard), le livre CD raconte des histoires
de plus en plus variées, et écrites spécialement pour les pré-lecteurs, ou les débutants. L’introduction
d’un complément audio au livre permet ainsi à l’enfant d’accéder à des univers imaginaires tout en
s’initiant à la langue écrite et à l’objet livre, avant même d’être capable de déchiffrer les textes. Il
n’est plus obligé de demander à un proche d’être disponible pour lui faire la lecture.
Tous les participants de notre étude connaissent le livre audio, et l’ont expérimenté. Certains parents
ont opté pour les abonnements à des magazines incluant un CD (Histoires pour les petits ou
J’apprends à lire de Milan Presse), afin de permettre aux enfants de découvrir des univers littéraires
en autonomie. D’autres ont choisi ce media pour transmettre des classiques à leurs enfants pendant
les trajets en voiture (« Pendant un temps, on écoutait en boucle Fanfan la Tulipe dans la voiture, lu par
Gérard Philippe. Ils connaissaient certaines répliques par cœur ! »). Pour tous, le livre audio est donc
synonyme d’accès facilité au texte, d’imprégnation culturelle sans effort cognitif particulier.
Cependant, la plupart des familles disent avoir suspendu cette pratique parce que l’enfant ne pensait
pas à écouter les CD, ou parce qu’au moment de l’apprentissage formel de la lecture, il était
nécessaire pour lui de se concentrer sur l’entrainement, que certains parents qualifient de « bagarre
avec les mots ». Aucun des enfants de plus de 7 ans rencontrés n’utilise des livres audio, ou regrette
de ne plus en avoir. L’œil prendrait-il l’ascendant sur l’oreille dès que la lecture intériorisée est
maîtrisée ?
La principale critique émise envers l’offre de livre audio, est qu’elle n’a pas réussi à s’affranchir de la
manipulation simultanée de deux composantes, d’un côté le livre, de l’autre le fichier son, ce qui
induit des contraintes de synchronisation. Pourtant dans une période plus récente, grâce aux progrès
technologiques réalisés en électronique, les produits préscolaires interactifs se sont développés. Des
éditeurs ont réussi l’intégration d’éléments sonores directement dans le livre, comme cette
collection cartonnée d’imagiers7
permettant aux tout petits, en touchant une puce identifiable sur
l’illustration, d’entendre le son des animaux, ou des instruments. Cependant, ce procédé limite la
taille des fichiers sonores. Les livres qui racontent sont donc contraints techniquement.
Certains industriels spécialistes du jeu éducatif pour enfants optent pour un objet en plastique avec
des narrations audio déclenchées par une pression du lecteur, comme le Storio de Vtech. Mais ceux-
ci modifient considérablement la relation physique au livre et le rapprochent du jouet, d’autant que
la qualité de la restitution sonore demeure inférieure à celle d’un CD. D’autres fabricants, comme
Leapfrog avec le « système Tag », privilégient le support papier et introduisent un lecteur
complémentaire à manipuler comme un gros stylo pour pointer dans le livre. Par l’intégration d’une
trame invisible dans les albums illustrés de la collection dédiée, le lecteur optique du stylo est
capable de lire mot à mot, de faire surgir des éléments sonores contextuels (en pointant des
illustrations par exemple), de proposer des explications complémentaires ou des jeux en lien avec le
texte (par un système d’icônes), et même de lire entièrement le contenu de la double page. Le
« stylo lecteur » offre une excellente qualité sonore, et résout définitivement le problème de la
synchronisation entre le support de la narration écrite et celui de la narration orale. Cependant, le
système Tag, très bien vendu aux Etats Unis, n’a pas rencontré son public en France. Une étude
réalisée par les étudiants du CEPE en 2011-2012, montre au moins trois raisons à cet échec. Tout
d’abord, la contrainte technique n’a pas totalement disparu, même si elle se reporte sur le parent.
Celui-ci doit en effet acheter le livre physique. Puis il doit charger en ligne le contenu audio sur le
lecteur Tag en le reliant à son ordinateur. Alors seulement, l’enfant peut lire en toute liberté les
livres qu’il possède, dans la limite de la capacité de stockage du lecteur Tag (entre 5 et 10 livres selon
le poids de leur fichier numérique, et le modèle de lecteur acheté). Ensuite, il s’avère que la
7
« Petits imagiers sonores », édités par Gallimard.
collection de livres est presque uniquement composée de licences issues de l’animation américaines,
alors que le positionnement marketing du produit s’adresse à des CSP+ qui investissent de
préférence dans la littérature européenne pour donner le goût de la lecture à leurs enfants. Enfin, le
système Tag introduit un artefact qui modifie le « corps à corps » avec le livre, puisque c’est le stylo-
lecteur qui touche le livre et non le doigt de l’enfant utilisateur. Cet aspect n’affecte pas les 4-6 ans,
mais les tests montrent que les enfants en apprentissage de la lecture essaient de lire par eux-
mêmes. S’ils butent sur un mot, ils ne pensent absolument pas à utiliser le lecteur Tag qu’ils ont été
obligés de poser pour suivre le texte du bout des doigts. En revanche, tous sont ravis de l’utiliser
pour les compléments de jeux ou les animations sonores cachées dans les images, une fois qu’ils ont
déchiffré le contenu narratif. Ils y voient un enrichissement de l’activité de lecture, qu’il soit ludique
ou pédagogique.
Le livre numérique, une convergence inédite
Depuis quelques années se développent de nouveaux supports numériques qui permettent au livre
de se désolidariser du papier et de son épaisseur physique. Liseuses et tablettes offrent ainsi la
possibilité de regrouper toute une bibliothèque sur un appareil vraiment nomade et recréant sur un
écran la relation tactile directe entre le texte et son lecteur. Le livre illustré numérique, pour sa part,
n’existe que sur tablette, la technologie des liseuses ne permettant pas encore la couleur. Dès lors,
l’offre pour enfant bénéficie de l’ensemble des fonctionnalités permises par cet outil : connexion
Internet, lecture de fichiers multimédia, capture d’images fixes ou animées, détection des
mouvements de l’utilisateur, enregistrement sonore… Ainsi, la dématérialisation du livre (que l’on
devrait plus logiquement nommer « le changement de support du contenu narratif textuel et
iconographique»), peut être un simple chargement de fichier figé, type pdf, sur un ordinateur, une
tablette, ou un smartphone. Mais avec ces deux derniers supports de lecture, une nouvelle catégorie
de livre est née : le livre dit « enrichi ». Notons tout de suite qu’en fonction des choix technologiques
de l’éditeur et du support de lecture de l’utilisateur, les enrichissements possibles du texte et des
illustrations varient. Nous retiendrons ici simplement qu’un livre enrichi est un ouvrage proposant au
lecteur des contenus complémentaires en accès permanent (animation des illustrations, sonorisation
d’ambiance …) ou par activation d’hyperliens (accès à une définition, une vidéo, à la lecture audio de
la page …). Ce dernier type de contenu est caché au lecteur lorsqu’il découvre la page/écran. Il
n’apparaîtra que si l’utilisateur choisit d’interagir avec l’objet. Il y est parfois invité par les repères
visuels usuels dans le monde numérique (icones, code couleur ou surlignage de texte). Mais certains
ouvrages proposent une découverte plus intuitive, par exploration tactile de l’écran. Dans la relation
à l’objet, la technologie s’efface pour l’utilisateur. Cette évolution permet enfin au livre de devenir un
objet sonore.
Aucune des familles de notre étude n’avait l’expérience des livres numériques pour enfants, même si
elles étaient déjà équipées en tablette. Nous les avons placées en situation de lecture conjointe
parent/enfant, en leur permettant la découverte en autonomie d’une douzaine d’ouvrages avec des
degrés d’interaction et d’enrichissements variés. Tous proposaient une histoire linéaire
correspondant au niveau de lecture de l’enfant, et aux pratiques constatées dans les foyers. Des
enregistrements audio et vidéo ont capté les réactions et les discours spontanés issus de cette
première rencontre avec des ebooks. L’attitude, unanimement positive envers l’objet se cristallise
autour du plaisir : celui des images qui s’animent, celui de l’interaction ludique, et enfin, celui de
l’immersion dans un dispositif sonore. Encore très attachées par ailleurs à l’objet papier, comme elles
nous l’ont démontré lors d’entretiens approfondis à leur domicile, les familles ne sont prêtes à
s’approprier le livre numérique que s’il exploite au mieux les possibilités offertes par la tablette, et
qu’il ajoute de la valeur à l’expérience de lecture. Ainsi, seuls les ouvrages enrichis les ont
convaincues.
Les parents y voient un nouveau développement ludo-éducatif et/ou un outil complémentaire pour
donner le goût de la lecture aux enfants. Ces derniers sont émerveillés par ces livres qu’ils ne
soupçonnaient pas (aucun n’en avait lu auparavant, et seulement 3 enfants connaissaient l’existence
de livres numérique, mais ils n’avaient aperçu que des ouvrages pour adultes homothétiques et sans
image). Ils se sentent impliqués dans la lecture grâce à la fluidité de la technologie et au potentiel
d’interactivité (« on fonctionne avec le livre, comme si on pouvait changer l’histoire », « c’est comme si on
marchait avec les images », « regarde, on me voit dans le miroir du salon ! »), mais aussi grâce à l’immersion
polysensorielle renforcée par la sollicitation de l’ouïe (« c’est génial on a l’ambiance de l’histoire »).
Certains participants relèvent immédiatement le plaisir que leur procure l’environnement sonore
(« Oh ! c’est ma musique préférée de Zarafa ! » « Ferme les yeux et écoute… on est en Orient ! », « Du clavecin,
c’est rare, j’adore ! »). D’autres ne disent rien, mais c’est leur corps qui s’exprime : les balancements au
rythme des musiques, les sourires, voire les éclats de rire au gré des bruitages (comme les pets de La
princesse aux petits prouts, Editions Audois et Alleuil). D’ailleurs, le seul livre enrichi qui était testé
avant sa finalisation sonore, intéressait les participants pour son contenu (l’histoire, les illustrations
comme les petits jeux intégrés), mais les décevaient sans qu’ils puissent expliquer pourquoi en fin de
test. Ce n’est que lorsque l’absence de bande son était révélée que subitement les participants
comprenaient ce qui leur avait manqué ! Clairement catégorisé comme livre par tous les participants,
le livre numérique enrichi est aussi un produit hybride qui emprunte certains des codes de
l’animation, du jeu vidéo, du cinéma ou de la culture Internet. De fait, il devient obligatoirement un
objet sonore, sans quoi il perd son pouvoir de séduction.
Parents et enfants redécouvrent également le plaisir d’une narration orale. Sur presque tous les
livres, celle-ci est optionnelle, ce qui offre différentes expériences de lecture d’un même ouvrage. La
plupart des parents identifient et apprécient les voix d’acteurs (Bernard Giraudeau pour Le Petit
Prince de Gallimard, ou Arthur H pour Caïman Songes, de Tralalère), et ne peuvent s’empêcher de
commenter celles qui leur déplaisent (« C’est gnangan, non ? », à propos de la version audio de
Martine fait du Cheval, de Casterman). Les enfants sont rarement critiques sur le registre des voix,
mais les versions audio sont plébiscitées « parce que maman, elle n’a pas toujours la bonne
intonation ». Le fait que cette lecture à voix haute soit intégrée au même support que le texte et les
illustrations facilite son utilisation. Cela renforce la logique narrative, mais suscite parfois une
inquiétude parentale : l’enfant continuera-t-il à faire l’effort de lire ? Les réponses développées par
les éditeurs varient. Certains cherchent à maintenir l’attention visuelle de l’enfant, en surlignant le
texte au fil de la lecture audio. D’autres utilisent des astuces, comme le bafouillage du narrateur sur
un mot difficile, qui sera finalement barré dans le texte par une main invisible, et remplacé par un
autre plus facile à prononcer. Finalement, après l’exploration de la bibliothèque proposée, les
parents ne retiennent que l’aspect positif de cette option d’écoute du texte. Une mère s’étonne
même : « Je me demande si je ne préfère pas écouter ces livres que les lire ! ».
L’ebook acquiert ainsi la particularité d’objectiver la culture de l’écrit et celle du numérique, en une
version syncrétique du livre, le livre enrichi. En synthétisant les repères de l’album illustré et les
codes des univers multimedia incorporés par les Digital Native8
, il marque l’avènement d’un nouvel
objet sonore et crée une rupture dans la façon de concevoir des livres pour enfants puisque le son
devient un élément structurant de l’œuvre.
Le son du livre : vers une nouvelle narration et une médiation réinventée
Les travaux en réception des médias, notamment en audiovisuel (par exemple Livingstone, 2002,
2008), considèrent qu’il est nécessaire de dépasser l’idée selon laquelle le sens se situe
exclusivement dans le livre, sa structure, ses illustrations. Il convient aussi de tenir compte du
contexte en intégrant dans le processus analytique les processus interprétatifs mobilisés par le
lecteur. Ce lecteur ne peut être ignoré ou laissé pour compte dans les processus interprétatifs mis en
jeu. Comme le souligne David Bordwell, dans ses analyses cinématographiques, le spectateur a un
rôle prépondérant dans la construction du sens. Les significations apparaissent dès lors comme des
construits individuels, que l’analyse de l’œuvre elle-même ne suffit pas à déceler. En prenant appui
sur ce point de départ, nous souhaitons élargir notre analyse du livre numérique et dépasser le seul
rapport à l’objet livre. Appréhender et comprendre les relations qu’entretiennent le livre et le lecteur
est une orientation spécifique qui permet alors de mieux rendre compte du son des livres. Cela
implique d’accepter la dynamique de la construction dans une logique pragmatique, dans la lignée
des travaux conduit par Odin qui considère la relation livre – lecteur – contexte de la communication.
Nous rejoignons ainsi les réflexions de Chartier et Martin (1982, vol.1, p.10) : « l’histoire des livres ne
peut plus esquiver les lectures, pour partie inscrites dans l’objet lui-même, qui définit les possibles
d’une appropriation, mais pour parties aussi portées par la culture de ceux qui lisent et qui donnent
sens, mais un sens qui est le leur, aux matériaux lus ». Il en découle une approche qui dépasse les
considérations esthétiques générales et qui permet d’explorer les apports particuliers du son au livre.
Dans le livre, le son se manifeste le plus souvent de manière organisé, sous des formes comme la
musique, le langage. Il est rarement inorganisé, c’est-à-dire comme il nous parvient au quotidien, ce
que l’on appelle communément « les bruits du monde ». Le son renvoie au texte et à l’iconographie
perçus par l’intermédiaire du regard, ce qui en facilite l’identification, mais produit autant de
situations d’écoute (lecture) différentes. Daniel Deshays dans son ouvrage Pour une écriture du son
soulève la question importante du lien qui existe entre l’oreille et l’œil. Savoir si l’œil l’emporte
chronologiquement sur l’oreille ou inversement revêt un caractère crucial pour analyser la relation
entre le livre et le lecteur. D’un côté, si dans la chronologie de la perception, le cerveau échantillonne
les données fournies par l’œil plus vite que les données apportées par l’oreille (Jouhaneau, 1998)
alors, il faudrait conclure que le design sonore du livre numérique viendrait au second plan, justifiant
alors parfois les choix faits par les éditeurs qui arbitrent leurs budgets en faveur du graphique, de
l’interaction et non du son. Le son occupant un rôle secondaire dans l’expérience de lecture, alors,
Deshays conclut que l’image et le son sont autonomes. D’un autre côté, et en prenant appui sur
l’analyse théâtrale ou le hors champ du cinéma, il affirme qu’il est aussi possible d’infirmer cette
prééminence de la vue sur l’ouïe. Dans ce cas, le off invisible sur la scène ou l’écran vient discuter le
8
Attribué à Marc Prensky (2001), ce terme est une analogie avec la notion d'autochtone, qui définit celui pour
qui religion, langue et coutumes locales vont desoi, par opposition aux immigrés qui doivent s'adapter et
assimiler leur nouvel environnement.
visible, contredire ce qui est donné à voir et déplace le sens. Nous avons là un espace propice à la
construction d’une compréhension différente de ce qui est vu, c’est-à-dire donner un autre sens.
Prenons l’exemple de Bleu de toi, ouvrage créé spécifiquement pour la tablette (Cotcotcot Apps).
L’introduction annonce clairement que la narration n’est qu’un prétexte, un point de départ à
l’imagination et aux différents parcours de lecture de chaque utilisateur. Dans la page représentant
des oiseaux, quasiment tous les dessins génèrent une interaction sonore, provoquant un vaste
concert de gazouillis variés. Or un des volatiles émet un grognement. Un son qui vient en
contradiction aussi forte avec le texte ou l’image du livre interpelle le lecteur, ouvrant la porte à des
possibles renouvelés. L’imagination prend alors le pas sur la perception, réinventant la lecture. Cette
technique créative, que Deshays appelle substitution permet ainsi « au son de discuter ce qui est
donné à voir, en déplace le sens » (p.23) et fait douter de ce qui est visible. Le rapport entre l’image
et le son est modifié, donnant au son une place nouvelle, plus à égalité avec l’image et le texte du
livre. Le défi étant que le son ne devienne pas gêneur de la compréhension, sans quoi on
n’entendrait plus que lui, il serait le sujet premier. Le lecteur alors, devrait faire un effort pour le
remettre à sa place, c’est-à-dire en second. Comme l’affirme Deshays, il ne sera jamais imputer au
texte ou à l’image de ne pas être à sa place, car ils les référents temporels tangibles et structurant de
la narration. Le son ne venant qu’en second, il doit se contraindre à ne pas prendre son autonomie
au risque d’être rejeté par le lecteur.
C’est bien dans cet équilibre du design sonore que les éditeurs de livres numériques se doivent de
travailler, car le livre doit rester livre même dans un format dématérialisé. En effet, la seule réticence
des parents de notre étude porte sur ce point. L’enfant continue-t-il à lire avec un dispositif
multimédia intégrant une narration sonore, ou se laisse-t-il porter par l’image et le son ? « Tu es sûr
que tu fais attention à l’histoire, là M. ? Parce que le texte est drôlement beau, il n’y a pas que les
animations ! », demande ainsi une maman à son fils qui tapote l’écran de manière frénétique pour
être sûr de ne rater aucun des contenus hypertexte (son, animation) cachés dans Conte du haut de
mon crâne, édition La Souris qui raconte. Pire, le livre numérique serait-il un produit prêt-à-
consommer, nuisible à la construction de l’imaginaire de l’enfant ? « Je m’interroge : toutes ces
insertions ne participent-elles pas à ce « toujours plus tout de suite » qui rendent nos enfants incapables
du moindre effort ? Je trouve que la musique rajoute à l’imaginaire, ca peut être de belles pistes. Mais en
même temps je trouve que c’est un peu tout mâché. Tu vois Zarafa par exemple, cette magnifique
musique, je trouve ça très chouette. Mais en même temps, nous quand on était petit, on avait un livre
illustré et on avait vu le film au cinéma. Et quelque part, les mots te conduisaient vers cette petite musique
intérieure. Là, on a tout et de manière immédiate.». La nécessité d’une prise de recul s’impose afin que
le destinataire-lecteur puisse appréhender l’intention de communication incorporée à l’objet.
Autrement dit, un rapport intersubjectif s’installe en même temps que la distance se creuse entre
l’énonciateur et le destinataire. Comme le souligne Meunier (2013), les implications cognitives sont
importantes. De ce fait, les parents sont vigilants ou en tout cas sont en demande, et les éditeurs
peuvent saisir cette opportunité pour construire une relation de confiance avec leur(s) lectorat(s)9
.
Afin de d’approfondir cette analyse de la construction du sens au sein du livre numérique, nous nous
proposons de prendre appui sur les travaux d’Igonet (2005) qui analyse l’espace dévolu au son dans
les applications multimédia comme une architecture du son. La lecture devient une forme de
spectacle total par l’association de l’image et du son mais aussi et surtout par les modalités de
9
A titre d’exemple, dans l’édition pour enfants, L’école des loisirs dispose d’un capital confiance important de
par sa distribution (modalité d’accès au marché) par l’intermédiaire des écoles et des enseignants
l’interactivité. Le support tablette offre au lecteur, par sa navigation10
, l’opportunité de modeler son
espace et son temps. D’ailleurs, Igonet souligne que le son d’une œuvre multimédia comme le livre
enrichi présente quatre caractéristiques importantes. D’abord, la « lecture du son » est plutôt une
lecture individuelle à la différence d’un disque, d’un concert ou d’un film qui sont pensés dans un
collectif. Ensuite, il y a une volonté explicite de convergence entre l’image, le son et le texte afin de
proposer une œuvre syncrétique permettant la convergence. Au-delà même, il y a l’interprétation du
son qui relève toujours d’une articulation entre les signifiants sonores et les autres types de
signifiants. Enfin, la dernière caractéristique, plus complexe à appréhender, concerne les
compétences que le lecteur auditeur doit maîtriser pour accéder au sens du livre numérique. Notre
lecteur doit, dans un même temps, appréhender la sémiotique du son et la technologie qui permet
d’activer le son. Le statut du son se transforme de producteur d’émotion en producteur de sens
(Igonet, p.221). Cette complexité est d’autant plus perceptible dans notre étude, que certains
enfants participants étaient en phase de consolidation de leurs compétences de lecteurs et donc les
différents types de signifiants pouvaient se télescoper ou se trouver en dissonance.
L’éditeur de livre numérique doit pouvoir proposer des espaces favorisant des rencontres entre les
différentes esthétiques (graphique, sonore, textuelle) et en même temps favoriser la construction de
sens. C’est pourquoi, Igonet propose une échelle des formes sonores à mettre en parallèle avec une
échelle des formes visuelles au sein des œuvres multimédia. Dans un livre numérique, il y a plusieurs
possibilités d’écoute qui font que l’individu ne perçoit pas les sons de la même façon ; cela constitue
la base de l’analyse de la forme sonore. Il est possible de distinguer le bruit, le son, qui est un bruit
identifié et reconnu, les sons articulés qui, écoutés, deviennent une esthétique sonore, les signes
sonores qui sont interprétables par l’expérience esthétique de l’individu, et enfin, la parole, qui
instaure la communication.
Forme sonore Bruit Son
Esthétique
sonore
Signe sonore Parole
Position du
sujet
Il oit Il reconnait Il écoute Il interprète Il énonce
Adapté de Igonet (2005)
Pour Igonet, la parole est un système de signes sonores qui appelle une réponse et donne au sujet un
rôle dépassant celui d’auditeur. Nous avons là des potentialités pour le livre numérique qui
dépassent largement le livre audio. Dans les livres numériques manipulés lors de notre étude, deux
ouvrages explorent ce dernier niveau de forme sonore et d’interactivité. Bleu de toi amorce
l’interaction par le son, en invitant les adultes à enregistrer leur propre narration du texte, afin de
restituer la relation privilégiée parent/enfant dans la découverte en autonomie de cette création
multimédia. La sorcière sans nom, éditée par Slim Cricket, met à profit des logiques d’interaction
héritées du jeu vidéo, et utilise la fonction enregistrement de la tablette, pour initier un début
d’interaction sonore entre l’enfant utilisateur et la narration. Ainsi, le personnage principal de
l’histoire est une sorcière acariâtre parce qu’elle n’a pas de nom, et qui, de ce fait, souffre de ne
pouvoir entrer en communication avec son entourage. Après de multiples aventures qui conduisent
10
La navigation commela lecturesont deux modalités métaphoriques possibles des usages de l’espace et de la
temporalité
l’enfant à collaborer avec elle pour confectionner une potion magique, elle accède enfin à la vérité :
elle a prêté son nom, il y a fort longtemps à un enfant qui ne lui a pas rendu. Cet enfant apparait
dans une boule de cristal, et, grâce à la caméra intégrée dans l’iPad, c’est le reflet du lecteur qui
émerge. La sorcière lui demande alors de lui rendre son nom. L’application accède automatiquement
à la fonction enregistrement sonore de la tablette, ce qui permet à l’enfant de la doter d’un nom qu’il
est invité à énoncer à voix haute. La sorcière se l’approprie aussitôt, accédant enfin à une vie sociale :
elle va libérer ses victimes et chacune reprend le nom donné par l’enfant pour la saluer. Le lecteur
influe donc sur la narration, et le logiciel de reconnaissance vocale permet à chaque protagoniste
d’interpeler la sorcière avec une voix qui lui est propre. Il est intéressant de souligner qu’à cette
échelle des formes sonores correspond un statut du sujet lecteur, selon le degré d’interaction.
Mais il est important aussi d’adjoindre à cette échelle, l’analyse de plusieurs éléments variables que
nous pourrons trouver dans le texte ou l’image. Il faut porter l’attention sur la présence visible ou
non des énonciateurs et la structure linguistique des énoncés (Meunier, 2013) Ces éléments précis
ont des implications cognitives, ce qui, dans le cas présent, rejoint le questionnement intuitif des
parents face au livre numérique sur le risque d’un enrichissement multimédia qui, trop foisonnant,
nuirait à leurs attentes en matière de littérature jeunesse. En effet, leur discours est clair : s’ils
investissent massivement aujourd’hui dans le livre (les maisons des enfants rencontrés disposent de
vastes collections) et s’ils s’impliquent dans un processus de socialisation contraignant (tous
pratiquent ou ont pratiqué le rituel de la l’histoire quotidienne avec l’enfant), c’est pour donner le
goût de l’activité de lecture, laquelle doit nourrir l’enfant et le construire. Les éditeurs de livres
enrichis doivent donc veiller à construire une narration multimédia en cohérence avec cet objectif, et
qui respecte les codes de lecture incorporés par les utilisateurs.
Ici, arrêtons-nous un instant sur un exemple précis. Remond et alii (2012) propose une analyse
approfondie d’un livre l’Herbier des fées qui existe aussi en version numérique pour Ipad. Une des
questions centrales de leur réflexion est d’appréhender la matérialité même du support numérique
car le texte est loin d’être le seul signe offert à l’interprétation. Autant l’album papier pose la
question de l’interrelation texte-image, autant la version numérique va plus loin « puisque la forme
rhétorique même du récit « devient une architecture matérielle » à comprendre dans ses relations à
l’histoire racontée (Bourchardon, 2009) ». La difficulté réside dans le fait que chaque média présent
dans l’œuvre (texte, son, image, vidéo) possède ses propres exigences analytiques. Il s’agit alors
d’« articuler des codes culturels hétérogènes » en vue d’une reconfiguration narrative cohérente.
Ainsi, « l’écriture-lecture est une bataille contre l’unité technique pour reconstruire la complexité
culturelle » (Jeanneret, 2000) » (ibid).
Il est à souligner dans cette œuvre que le son est présenté comme un « fond sonore » dès la
première double page exposant le « mode d’emploi ». Cette expression de fond sonore renvoie bien
le son au second plan de l’expression signifiante, comme un complément, d’autant plus que la
musique est en arrière-plan. Comme le souligne Remond et alii, il existe une différence significative
entre la bande son du cinéma et la bande son du livre, puisque le temps passé sur une page par le
lecteur ne peut être mesuré. La lecture étant aléatoire, la bande son se doit d’être plastique et
d’accompagner la lecture. De même dans cette œuvre, le silence est aussi mis en scène. Lorsque le
lecteur lance les vidéos « documentaires » présentant les fées. La musique s’arrête, la vidéo se passe
de commentaire et se visionne dans le silence, comme si pour s’approcher de ces êtres insaisissables
que sont les fées, le silence était une condition nécessaire à l’observation. Le livre numérique, de par
la richesse des formes sémiotiques qu’il propose, renforce l’immersion d’un lecteur vite fasciné par
l’activation de ses sens. « Le regard est sollicité avec le geste et l’ouïe mobilisant ses codes
sémiotiques propres » (ibid.).
Conclusion
Un livre numérique enrichi utilise, par nature, une écriture qui associe son, texte et image. Il existe
une multitude de possibilités d’agencement et d’articulation entre ces trois médias, chacun pouvant
occuper une place différente, donnant par la même occasion des significations particulières à
l’œuvre. C’est la raison pour laquelle, pour conduire une analyse du livre, il est possible de puiser
dans les travaux des médias audiovisuels classiques comme le cinéma ou la télévision. Il est
également possible de se rapprocher des travaux d’analyse du jeu vidéo et du multimédia, tant il
ressort que l’interaction constitue une modalité d’appropriation de l’œuvre. Pour les enfants comme
pour les parents, le plaisir de lire dépasse la simple activité de lecture car le livre numérique propose
et réinvente le parcours du lecteur et renouvelle la (re)lecture d’une œuvre. La stimulation
polysensorielle, rendue possible grâce à l’interactivité de ce média enrichi, ouvre autant de
potentialité de source de plaisir, ce qui constitue des pistes de recherches fécondes.
En nous focalisant plus spécifiquement sur le son dans les livres, nous avons montré que le texte et le
son ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et que depuis que la technologie le permet, il y a toujours eu
une volonté de les associer. Par ailleurs, le son permet de reconfigurer le média en s’introduisant
dans le dialogue établi de longue date entre texte et image. En s’immisçant au sein de ce dialogue, il
en modifie le sens car il apporte aussi sa contribution à la signification et son lot de continuité ou de
rupture au sein du livre. Une syntaxe sonore prend forme et se rajoute à la syntaxe iconographique
ou textuelle. Ainsi, le design sonore du livre nécessite une attention particulière dans la mesure où la
convergence devient centrale dans la conception. Cette question de la conception de l’œuvre reste
encore à explorer et la technologie ouvre chaque jour de nouvelles potentialités de réinvention de la
narration. Le son et son design occupent une place toujours plus importante, puisque l’histoire
devient interactive autant par le texte et l’image que par le son. Une esthétique de ce dernier doit
encore être approfondie alors même qu’une esthétique de la convergence se construit. Les éditeurs
et les auteurs doivent se l’approprier et cela prend du temps car ce sont de nouvelles significations,
voire de nouveaux contrats de lecture qu’il faut appréhender. Le design sonore du livre numérique
pour enfant en est encore à ses premiers pas.
BIBLIOGRAPHIE
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Le design sonore des livres numériques

  • 2. Ledesignsonoredulivrenumérique,oucommentlelivreparleàseslecteurs : quelquesélémentsprospectifs Olivier Rampnoux, Géraldine Cohen, Cyril Béchemin Le développement des livres en format numérique soulève de nombreuses interrogations allant des techniques de réalisation aux choix de format de supports, en passant par les interactions et l’environnement sonore associés. Ainsi, selon que le livre est développé pour une liseuse ou une tablette, les potentialités de design sonore s’avèrent inexistante ou en lien direct avec le texte. L’intégration de ce nouveau paramètre pourrait conduire à une véritable mutation de la lecture, alors même que le livre audio existe depuis près d’un siècle. Notre ambition est de présenter ici une réflexion sur le glissement de sens opéré dans le livre sonore par l’innovation technologique que représente la tablette numérique, et ses conséquences pour le métier d’éditeur. Notre corpus d’étude se focalisera ici sur les livres illustrés pour enfant, puisque que notre propos s’appuie sur un travail de recherche sur les usages, fruit d’une collaboration entre le Centre Européen des Produits de l’Enfant (IAE, Université de Poitiers), et l’entreprise Néolibris IGS-CP qui a développé un savoir-faire et une expertise dans la conception et l’édition de livres numériques dits « enrichis »1 . Cette étude vise à restituer la perception de l’ebook2 pour enfant dans ses aspects tant sensitif que symbolique et cognitif. Aussi nous sommes nous attachés à définir l’interaction avec l’objet, tout en tenant compte de l’activité générée (ici la lecture de loisir), de son contexte d’usage (le cadre familial), et du « contexte de ce contexte » (Askegaard et Linnet, 2011), à savoir la culture historiquement située dans laquelle ce bien s’inscrit. L’enfant n’entrant pas seul dans la culture de l’écrit (Donnat, 2009), nous nous sommes intéressés à son point de vue autant qu’à celui de ses parents, et aux interactions interpersonnelles liées à l’activité de lecture. Dans un premier temps, des entretiens en profondeur conduits au domicile des participants ont permis d’appréhender les cultures familiales du livre et du numérique. Dans un second temps, chaque dyade ou triade parents- enfants a été placée en situation de lecture numérique conjointe, seule, dans une salle dédiée aux observations scientifiques. Notre dispositif leur permettait de consulter une douzaine d’ouvrages aux formats, contenus et degré d’enrichissements variés, mais proposant tous une histoire linéaire et illustrée, correspondant aux pratiques préalablement observées au domicile. Les résultats de l’expérimentation de lecture numérique permettent d’identifier les éléments sonores signifiants pour les lecteurs, et soutient notre réflexion, d’où la présence de nombreux verbatim. Ceux-ci sont anonymisés et décontextualisés pour insister sur la valeur de représentation collective qui peut émerger des discours du quotidien. Nous nous inscrivons de fait dans la continuité de la phénoménologie de Schütz, qui propose de faire émerger la connaissance née de « l’expérience collective » en prenant appui sur « la logique du domestique » ou « la pensée courante ». Pour saisir la complexité polysémique de l’ebook pour enfant, nous proposons dans un premier temps une rétrospective historique des liens unissant l’écrit et l’oral puis des différents 1 Cette expression renvoie à un ouvrage qui offre des suppléments de contenus multimédia : ambiance sonore, animation des illustrations, liens hypertexte renvoyant vers un site Internet externe ou un fichier interne, fonctionnalités intégrées (fichier audio, dictionnaire, surlignage, prise de notes…). 2 L’ebook est leterme que nous emploierons ici pour désigner l’objet formé par le support numérique (ici la tablette) et le contenu du livre qu’il soit sous format iBook ou application livre.
  • 3. développements techniques associés dans le livre audio, avant d’évoquer la période plus récente qui autorise une convergence du texte et de l’audio vers un même support physique, la tablette numérique. Dans un second temps, afin d’appréhender les enjeux de cette convergence, nous identifierons un certain nombre de concepts qui peuvent permettre un travail de relecture de la place du son dans une œuvre artistique. En effet, le développement du livre dans un format numérique soulève des questions de sens qui, de notre point de vue, sont similaires aux problématiques qui peuvent exister dans le cinéma par exemple. La place du son dans un livre numérique mérite une attention particulière car le son investit un nouveau terrain de jeu et renouvelle la relation lecture/image/son en intégrant le choix de parcours au sein de l’œuvre. Un nouveau rapport de l’usager au média, une nouvelle lecture engendrée par l’activité sont autant de directions que nous souhaitons explorer. Du livre qui raconte au livre sonore Comme le souligne Julie Hétu (2012), Cyrano de Bergerac3 rêvait déjà du livre audio en 1655, près de trois siècles avant son apparition : « C’est un livre a la vérité, mais c’est un livre miraculeux qui n’a ni feuillet ni caractères ; enfin c’est un livre où, pour apprendre, les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que d’oreilles. […] Lorsque j’eus réfléchi sur cette miraculeuse invention de faire les livres, je ne m’étonnai plus de voir que les jeunes hommes de ce pays-là possédaient plus de connaissances à seize et à dix-huit ans que les barbes grises du nôtre ; car, sachant lire aussitôt que de parler, ils ne sont jamais sans lecture ; dans la chambre, à la promenade, en ville, en voyage, à pied, à cheval, ils peuvent avoir dans la poche, ou pendus à l’arçon de leur selles, une trentaines de ces livres dont ils n’ont plus qu’à bander un ressort pour en ouïr un chapitre seulement, ou plusieurs, s’ils sont en humeur d’écouter tout un livre ; ainsi, vous avez éternellement autour de vous tous les grands hommes et morts et vivants qui vous entretiennent de vive voix. » Le livre était alors pensé comme l’instrument de la connaissance, et seul le contenu importait. En outre, la lecture n’étant pas encore accessible à tous, savoir et production littéraire étaient souvent transmis par la voix d’un tiers. Afin de bien comprendre les liens intimes qui attachent l’écrit à l’oralité encore aujourd’hui, nous allons retracer brièvement l’histoire de la lecture avant de nous intéresser plus particulièrement aux livres audio, et à la profonde modification de sens opérée sur ces derniers par l’ère numérique. La lente intériorisation de la lecture Les premières écritures ont visé la retranscription de paroles dont la trace devait subsister à la transformation potentiellement opérée par la mémoire humaine. Egyptiens, Hébreux puis Chrétiens y ont adjoint une dimension sacrée (Vandendorpe, 2009, p.19). Ainsi, jusqu’au Moyen Age, pour des raisons techniques (supports rares et fragiles), l’écrit était réservé à la parole divine et aux hauts faits des monarques, eux-mêmes considérés comme des représentants de Dieu. Seule une élite savante, longtemps dissociée de l’élite dirigeante, était capable d’écrire et de lire ces textes, qui étaient de fait restitués oralement aux autres composantes de la société. Ce qui constitue le fondement de la 3 C. de Bergerac (1655), Histoire comique des Etats et Empire de la Lune, Paris, Editions du Boucher, 2002, p.77- 78
  • 4. littérature de l’Occident Chrétien, à savoir les épopées, légendes et autres virelangues, était transmis uniquement verbalement, par l’intermédiaire de conteurs ou plus tard de troubadours. Racontée, récitée ou mise en musique, cette culture orale pose souvent des questions universelles, mais sa forme est codifiée : on ne formule pas de la même façon la parole de Dieu et la geste de Roland. La littérature orale4 véhicule ainsi l'histoire de la société dans laquelle elle s’inscrit, ses croyances, ses représentations symboliques, ses modèles culturels ou sa vision du monde naturel, mais aussi la prosodie de la langue, à savoir la musicalité générée par les phonèmes, le rythme et les intonations des phrases. C’est seulement lorsque les seigneurs féodaux ont eu accès à la lecture et l’écriture que les contenus manuscrits se sont diversifiés. Traités de fauconnerie ou réceptaires5 sont ainsi apparus, figeant par l’écriture des préoccupations plus profanes. Les premiers écrivains s’inspirent de la littérature orale, qu’elle soit épique (Chrétien de Troyes, les Romans de la Table Ronde ; Jacques de Voragine, la Légende Dorée ; Jean d’Arras, Mélusine…) ou lyrique (Guillaume IX et ses poèmes courtois, Christine de Pisan, Cent balades d’amant et de dame …), avant de devenir moraliste, politique ou philosophique (Dante, la Divine comédie ; Machiavel, le Prince ; Rabelais, Pantagruel…). Encore peu nombreux, les lecteurs constituent des bibliothèques personnelles, signe de leur puissance et de leur érudition. Dès le XIIème siècle la lecture silencieuse se développe (Aurell, 2011). En effet, le passage à la langue vernaculaire, l’insertion d’espace entre chaque mot, et la codification de la mise en page facilitent l’accès aux textes, qu’ils soient utilitaires ou qu’ils consacrent l’imaginaire ou la littérature. C’est une grande rupture cognitive, car l’écrit se détache de la voix et c’est la vue qui capte le sens du discours. Mais la lecture individuelle n’a pu se généraliser que par la conjugaison de deux facteurs. Tout d’abord, l’invention de l’imprimerie, au XVème siècle, qui a révolutionné le livre. Multipliant les exemplaires d’un même texte, elle a permis une plus grande diffusion des œuvres. Et surtout, en fixant la pagination et en inventant la ponctuation, elle a fluidifié l’activité de lecture. D’autre part, l’institutionnalisation de l’instruction, qui a généré un nombre croissant de lecteurs. Avec l’école de la République, la lecture est pensée politiquement comme une activité permettant d’élargir le savoir, l’expérience, la réflexivité et donc in fine, l’émancipation de l’individu. Aussi, au XXème siècle, le livre pénètre-t-il dans tous les foyers de France. On peut s’étonner de découvrir que l’Education Nationale ne privilégie l’apprentissage de la lecture silencieuse qu’à partir des années 1950 (Chartier, 2007), tant il est désormais admis que la lecture est synonyme de silence, de contrat6 intériorisé entre un auteur, un format d’édition et un lecteur. Pourtant, elle n’en demeure pas moins une activité qui garde l’empreinte auditive des mots. Il suffit d’observer des enfants qui débutent dans la pratique de la lecture silencieuse, pour voir qu’ils continuent à remuer les lèvres, comme si la simple articulation recréait la prosodie nécessaire à la compréhension du discours. A tel point que psychologues et spécialistes de l’éducation s’interrogent sur la primauté de l’œil ou de l’oreille dans la conceptualisation de l’écrit et la compréhension du texte (Leroy Boussion, 1966). 4 Le terme de littérature orale, aujourd’hui accepté par les anthropologues et les spécialistes du langage, a été introduit en 1881 par Paul Sébillot pour désigner les productions orales auxquelles on attribue une certaine littérarité. 5 Les réceptaires sont des manuscrits très variés consignant toutes sortes de recettes et techniques à usage domestique. La médecine y côtoie les filtres magiques et les recettes de cuisine, autant que les conseils en agronomie. (Bruno Laurioux, Le règne de Taillevent : livre et pratiques culinaires à la fin du Moyen Age, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p.329) 6 Lors de son enquêtesur la presse, Eliséo Véron a inventé la notion de « contrat de lecture » pour évoquer la nécessité de lier analysesémiotique du message communiqué et étudede la perception du récepteur. Depuis, cette notion a été reprise et adaptée par les spécialistes du livre.
  • 5. La littérature dédiée à la jeunesse, quant à elle, est née au XVIIème siècle seulement avec la construction de l’individualité de l’enfant (Ariès, 1960, Becchi et Julia, 1998). A vocation éducative, les ouvrages s’adressent alors à des enfants déjà lecteurs (Poslaniec, 2008). Contes et albums illustrés se développent à la fin du XIXème, grâce à l’invention de la polychromie, mais ne pénètrent que les foyers des classes supérieures (Renonciat, 1998). Ainsi, jusque dans les années 1960, les enfants non lecteurs n’accédaient à la littérature que par des histoires racontées et non lues, les seuls livres conçus pour eux se limitant aux imagiers (Chartier, 2009). La grande variété de formats et de contenus que nous connaissons aujourd’hui date de la seconde moitié du XXème siècle, signe d’une volonté très récente d’initier les plus jeunes à l’artefact cognitif que constitue la langue écrite, et à son média, le livre. Par la conjugaison d’une volonté politique d’accès à la lecture pour tous, et de la création d’un segment éditorial spécialisé (Bruno, 2010), le livre est devenu un objet familier des très jeunes enfants dans toutes les institutions qui le concernent : crèches, écoles et famille. Il fait donc sens avant même d’apprendre à déchiffrer les signes écrits. Le livre est unanimement pensé par les participants de notre étude, comme un objet tangible, avec lequel une intimité et une expérience émotionnelle sont entretenues. Le papier est évoqué comme une source de plaisir sensoriel (vue, toucher, odeur), particulièrement intense dans le cas des livres pour enfants qui jouent sur la manipulation. Aucun des enfants rencontrés n’associe spontanément le livre au son. Cependant l’oralité des textes apparait dans leurs discours. Les lecteurs autonomes ne pratiquent plus la lecture à voix haute, sauf exceptionnellement « pour jouer à la maîtresse » ou dans le cadre d’un travail scolaire. En revanche, tous ceux qui n’en bénéficient plus, sont nostalgiques de la lecture du soir effectuée par un parent. Il apparait même que c’est ce rituel qui est à l’origine de leur envie de devenir lecteur. Pour les adultes, outre la dimension affective, ce moment de partage quotidien est le plus sûr moyen d’instiller la musicalité de la langue écrite à leurs enfants (« on veille particulièrement à leur lire différents registres de langue. Alors, bon, quet elles ramènent [de la bibliothèque] la version originale de Blanche Neige ou de Cendrillon, des fois on simplifie un peu, mais le moins possible »). Puisqu’il apparait que c’est l’articulation entre la narration orale et l’objet livre qui implique l’enfant dans l’activité de lecture et la dote de sens, le livre audio dont rêvait Cyrano de Bergerac a toute sa place dans la transmission de la culture écrite. Le livre audio, cet artefact qui raconte On date de 1932 la création du livre audio, financée par un programme du Congrès américain (Hétu, 2010, p.337). Là encore, on retrouve une volonté politique de faire accéder le plus grand nombre à la connaissance et à l’imaginaire étroitement liés à l’artefact cognitif que constitue la langue écrite. A l’origine conçu pour les malvoyants, il venait compléter la diffusion par la radio de textes lus où les classiques de la littérature côtoyaient des fictions créées spécifiquement pour ce média. Dans les années 50, le livre audio a pris la forme de livre disque et s’est développé grâce à un nouveau segment de marché, celui des contes pour enfants. Ainsi, en France, Lucien Adès crée le label Le Petit Ménestrel, allusion évidente aux conteurs médiévaux. Grâce à l’acquisition des droits d’adaptation des œuvres de Walt Disney, les Editions Adès connaissent un véritable succès, et le marché du livre audio jeunesse prend son essor. Avec l’apparition des cassettes, dans les années 70, puis surtout du CD dans les années 90, l’objet pénètrera un nombre croissant de foyers, d’autant que les fabricants de jouets commercialisent des lecteurs audio adaptés aux plus jeunes, et accessibles à toutes les bourses. Adopté également par la presse jeunesse (Milan, Bayard), le livre CD raconte des histoires de plus en plus variées, et écrites spécialement pour les pré-lecteurs, ou les débutants. L’introduction
  • 6. d’un complément audio au livre permet ainsi à l’enfant d’accéder à des univers imaginaires tout en s’initiant à la langue écrite et à l’objet livre, avant même d’être capable de déchiffrer les textes. Il n’est plus obligé de demander à un proche d’être disponible pour lui faire la lecture. Tous les participants de notre étude connaissent le livre audio, et l’ont expérimenté. Certains parents ont opté pour les abonnements à des magazines incluant un CD (Histoires pour les petits ou J’apprends à lire de Milan Presse), afin de permettre aux enfants de découvrir des univers littéraires en autonomie. D’autres ont choisi ce media pour transmettre des classiques à leurs enfants pendant les trajets en voiture (« Pendant un temps, on écoutait en boucle Fanfan la Tulipe dans la voiture, lu par Gérard Philippe. Ils connaissaient certaines répliques par cœur ! »). Pour tous, le livre audio est donc synonyme d’accès facilité au texte, d’imprégnation culturelle sans effort cognitif particulier. Cependant, la plupart des familles disent avoir suspendu cette pratique parce que l’enfant ne pensait pas à écouter les CD, ou parce qu’au moment de l’apprentissage formel de la lecture, il était nécessaire pour lui de se concentrer sur l’entrainement, que certains parents qualifient de « bagarre avec les mots ». Aucun des enfants de plus de 7 ans rencontrés n’utilise des livres audio, ou regrette de ne plus en avoir. L’œil prendrait-il l’ascendant sur l’oreille dès que la lecture intériorisée est maîtrisée ? La principale critique émise envers l’offre de livre audio, est qu’elle n’a pas réussi à s’affranchir de la manipulation simultanée de deux composantes, d’un côté le livre, de l’autre le fichier son, ce qui induit des contraintes de synchronisation. Pourtant dans une période plus récente, grâce aux progrès technologiques réalisés en électronique, les produits préscolaires interactifs se sont développés. Des éditeurs ont réussi l’intégration d’éléments sonores directement dans le livre, comme cette collection cartonnée d’imagiers7 permettant aux tout petits, en touchant une puce identifiable sur l’illustration, d’entendre le son des animaux, ou des instruments. Cependant, ce procédé limite la taille des fichiers sonores. Les livres qui racontent sont donc contraints techniquement. Certains industriels spécialistes du jeu éducatif pour enfants optent pour un objet en plastique avec des narrations audio déclenchées par une pression du lecteur, comme le Storio de Vtech. Mais ceux- ci modifient considérablement la relation physique au livre et le rapprochent du jouet, d’autant que la qualité de la restitution sonore demeure inférieure à celle d’un CD. D’autres fabricants, comme Leapfrog avec le « système Tag », privilégient le support papier et introduisent un lecteur complémentaire à manipuler comme un gros stylo pour pointer dans le livre. Par l’intégration d’une trame invisible dans les albums illustrés de la collection dédiée, le lecteur optique du stylo est capable de lire mot à mot, de faire surgir des éléments sonores contextuels (en pointant des illustrations par exemple), de proposer des explications complémentaires ou des jeux en lien avec le texte (par un système d’icônes), et même de lire entièrement le contenu de la double page. Le « stylo lecteur » offre une excellente qualité sonore, et résout définitivement le problème de la synchronisation entre le support de la narration écrite et celui de la narration orale. Cependant, le système Tag, très bien vendu aux Etats Unis, n’a pas rencontré son public en France. Une étude réalisée par les étudiants du CEPE en 2011-2012, montre au moins trois raisons à cet échec. Tout d’abord, la contrainte technique n’a pas totalement disparu, même si elle se reporte sur le parent. Celui-ci doit en effet acheter le livre physique. Puis il doit charger en ligne le contenu audio sur le lecteur Tag en le reliant à son ordinateur. Alors seulement, l’enfant peut lire en toute liberté les livres qu’il possède, dans la limite de la capacité de stockage du lecteur Tag (entre 5 et 10 livres selon le poids de leur fichier numérique, et le modèle de lecteur acheté). Ensuite, il s’avère que la 7 « Petits imagiers sonores », édités par Gallimard.
  • 7. collection de livres est presque uniquement composée de licences issues de l’animation américaines, alors que le positionnement marketing du produit s’adresse à des CSP+ qui investissent de préférence dans la littérature européenne pour donner le goût de la lecture à leurs enfants. Enfin, le système Tag introduit un artefact qui modifie le « corps à corps » avec le livre, puisque c’est le stylo- lecteur qui touche le livre et non le doigt de l’enfant utilisateur. Cet aspect n’affecte pas les 4-6 ans, mais les tests montrent que les enfants en apprentissage de la lecture essaient de lire par eux- mêmes. S’ils butent sur un mot, ils ne pensent absolument pas à utiliser le lecteur Tag qu’ils ont été obligés de poser pour suivre le texte du bout des doigts. En revanche, tous sont ravis de l’utiliser pour les compléments de jeux ou les animations sonores cachées dans les images, une fois qu’ils ont déchiffré le contenu narratif. Ils y voient un enrichissement de l’activité de lecture, qu’il soit ludique ou pédagogique. Le livre numérique, une convergence inédite Depuis quelques années se développent de nouveaux supports numériques qui permettent au livre de se désolidariser du papier et de son épaisseur physique. Liseuses et tablettes offrent ainsi la possibilité de regrouper toute une bibliothèque sur un appareil vraiment nomade et recréant sur un écran la relation tactile directe entre le texte et son lecteur. Le livre illustré numérique, pour sa part, n’existe que sur tablette, la technologie des liseuses ne permettant pas encore la couleur. Dès lors, l’offre pour enfant bénéficie de l’ensemble des fonctionnalités permises par cet outil : connexion Internet, lecture de fichiers multimédia, capture d’images fixes ou animées, détection des mouvements de l’utilisateur, enregistrement sonore… Ainsi, la dématérialisation du livre (que l’on devrait plus logiquement nommer « le changement de support du contenu narratif textuel et iconographique»), peut être un simple chargement de fichier figé, type pdf, sur un ordinateur, une tablette, ou un smartphone. Mais avec ces deux derniers supports de lecture, une nouvelle catégorie de livre est née : le livre dit « enrichi ». Notons tout de suite qu’en fonction des choix technologiques de l’éditeur et du support de lecture de l’utilisateur, les enrichissements possibles du texte et des illustrations varient. Nous retiendrons ici simplement qu’un livre enrichi est un ouvrage proposant au lecteur des contenus complémentaires en accès permanent (animation des illustrations, sonorisation d’ambiance …) ou par activation d’hyperliens (accès à une définition, une vidéo, à la lecture audio de la page …). Ce dernier type de contenu est caché au lecteur lorsqu’il découvre la page/écran. Il n’apparaîtra que si l’utilisateur choisit d’interagir avec l’objet. Il y est parfois invité par les repères visuels usuels dans le monde numérique (icones, code couleur ou surlignage de texte). Mais certains ouvrages proposent une découverte plus intuitive, par exploration tactile de l’écran. Dans la relation à l’objet, la technologie s’efface pour l’utilisateur. Cette évolution permet enfin au livre de devenir un objet sonore. Aucune des familles de notre étude n’avait l’expérience des livres numériques pour enfants, même si elles étaient déjà équipées en tablette. Nous les avons placées en situation de lecture conjointe parent/enfant, en leur permettant la découverte en autonomie d’une douzaine d’ouvrages avec des degrés d’interaction et d’enrichissements variés. Tous proposaient une histoire linéaire correspondant au niveau de lecture de l’enfant, et aux pratiques constatées dans les foyers. Des enregistrements audio et vidéo ont capté les réactions et les discours spontanés issus de cette première rencontre avec des ebooks. L’attitude, unanimement positive envers l’objet se cristallise autour du plaisir : celui des images qui s’animent, celui de l’interaction ludique, et enfin, celui de l’immersion dans un dispositif sonore. Encore très attachées par ailleurs à l’objet papier, comme elles
  • 8. nous l’ont démontré lors d’entretiens approfondis à leur domicile, les familles ne sont prêtes à s’approprier le livre numérique que s’il exploite au mieux les possibilités offertes par la tablette, et qu’il ajoute de la valeur à l’expérience de lecture. Ainsi, seuls les ouvrages enrichis les ont convaincues. Les parents y voient un nouveau développement ludo-éducatif et/ou un outil complémentaire pour donner le goût de la lecture aux enfants. Ces derniers sont émerveillés par ces livres qu’ils ne soupçonnaient pas (aucun n’en avait lu auparavant, et seulement 3 enfants connaissaient l’existence de livres numérique, mais ils n’avaient aperçu que des ouvrages pour adultes homothétiques et sans image). Ils se sentent impliqués dans la lecture grâce à la fluidité de la technologie et au potentiel d’interactivité (« on fonctionne avec le livre, comme si on pouvait changer l’histoire », « c’est comme si on marchait avec les images », « regarde, on me voit dans le miroir du salon ! »), mais aussi grâce à l’immersion polysensorielle renforcée par la sollicitation de l’ouïe (« c’est génial on a l’ambiance de l’histoire »). Certains participants relèvent immédiatement le plaisir que leur procure l’environnement sonore (« Oh ! c’est ma musique préférée de Zarafa ! » « Ferme les yeux et écoute… on est en Orient ! », « Du clavecin, c’est rare, j’adore ! »). D’autres ne disent rien, mais c’est leur corps qui s’exprime : les balancements au rythme des musiques, les sourires, voire les éclats de rire au gré des bruitages (comme les pets de La princesse aux petits prouts, Editions Audois et Alleuil). D’ailleurs, le seul livre enrichi qui était testé avant sa finalisation sonore, intéressait les participants pour son contenu (l’histoire, les illustrations comme les petits jeux intégrés), mais les décevaient sans qu’ils puissent expliquer pourquoi en fin de test. Ce n’est que lorsque l’absence de bande son était révélée que subitement les participants comprenaient ce qui leur avait manqué ! Clairement catégorisé comme livre par tous les participants, le livre numérique enrichi est aussi un produit hybride qui emprunte certains des codes de l’animation, du jeu vidéo, du cinéma ou de la culture Internet. De fait, il devient obligatoirement un objet sonore, sans quoi il perd son pouvoir de séduction. Parents et enfants redécouvrent également le plaisir d’une narration orale. Sur presque tous les livres, celle-ci est optionnelle, ce qui offre différentes expériences de lecture d’un même ouvrage. La plupart des parents identifient et apprécient les voix d’acteurs (Bernard Giraudeau pour Le Petit Prince de Gallimard, ou Arthur H pour Caïman Songes, de Tralalère), et ne peuvent s’empêcher de commenter celles qui leur déplaisent (« C’est gnangan, non ? », à propos de la version audio de Martine fait du Cheval, de Casterman). Les enfants sont rarement critiques sur le registre des voix, mais les versions audio sont plébiscitées « parce que maman, elle n’a pas toujours la bonne intonation ». Le fait que cette lecture à voix haute soit intégrée au même support que le texte et les illustrations facilite son utilisation. Cela renforce la logique narrative, mais suscite parfois une inquiétude parentale : l’enfant continuera-t-il à faire l’effort de lire ? Les réponses développées par les éditeurs varient. Certains cherchent à maintenir l’attention visuelle de l’enfant, en surlignant le texte au fil de la lecture audio. D’autres utilisent des astuces, comme le bafouillage du narrateur sur un mot difficile, qui sera finalement barré dans le texte par une main invisible, et remplacé par un autre plus facile à prononcer. Finalement, après l’exploration de la bibliothèque proposée, les parents ne retiennent que l’aspect positif de cette option d’écoute du texte. Une mère s’étonne même : « Je me demande si je ne préfère pas écouter ces livres que les lire ! ». L’ebook acquiert ainsi la particularité d’objectiver la culture de l’écrit et celle du numérique, en une version syncrétique du livre, le livre enrichi. En synthétisant les repères de l’album illustré et les
  • 9. codes des univers multimedia incorporés par les Digital Native8 , il marque l’avènement d’un nouvel objet sonore et crée une rupture dans la façon de concevoir des livres pour enfants puisque le son devient un élément structurant de l’œuvre. Le son du livre : vers une nouvelle narration et une médiation réinventée Les travaux en réception des médias, notamment en audiovisuel (par exemple Livingstone, 2002, 2008), considèrent qu’il est nécessaire de dépasser l’idée selon laquelle le sens se situe exclusivement dans le livre, sa structure, ses illustrations. Il convient aussi de tenir compte du contexte en intégrant dans le processus analytique les processus interprétatifs mobilisés par le lecteur. Ce lecteur ne peut être ignoré ou laissé pour compte dans les processus interprétatifs mis en jeu. Comme le souligne David Bordwell, dans ses analyses cinématographiques, le spectateur a un rôle prépondérant dans la construction du sens. Les significations apparaissent dès lors comme des construits individuels, que l’analyse de l’œuvre elle-même ne suffit pas à déceler. En prenant appui sur ce point de départ, nous souhaitons élargir notre analyse du livre numérique et dépasser le seul rapport à l’objet livre. Appréhender et comprendre les relations qu’entretiennent le livre et le lecteur est une orientation spécifique qui permet alors de mieux rendre compte du son des livres. Cela implique d’accepter la dynamique de la construction dans une logique pragmatique, dans la lignée des travaux conduit par Odin qui considère la relation livre – lecteur – contexte de la communication. Nous rejoignons ainsi les réflexions de Chartier et Martin (1982, vol.1, p.10) : « l’histoire des livres ne peut plus esquiver les lectures, pour partie inscrites dans l’objet lui-même, qui définit les possibles d’une appropriation, mais pour parties aussi portées par la culture de ceux qui lisent et qui donnent sens, mais un sens qui est le leur, aux matériaux lus ». Il en découle une approche qui dépasse les considérations esthétiques générales et qui permet d’explorer les apports particuliers du son au livre. Dans le livre, le son se manifeste le plus souvent de manière organisé, sous des formes comme la musique, le langage. Il est rarement inorganisé, c’est-à-dire comme il nous parvient au quotidien, ce que l’on appelle communément « les bruits du monde ». Le son renvoie au texte et à l’iconographie perçus par l’intermédiaire du regard, ce qui en facilite l’identification, mais produit autant de situations d’écoute (lecture) différentes. Daniel Deshays dans son ouvrage Pour une écriture du son soulève la question importante du lien qui existe entre l’oreille et l’œil. Savoir si l’œil l’emporte chronologiquement sur l’oreille ou inversement revêt un caractère crucial pour analyser la relation entre le livre et le lecteur. D’un côté, si dans la chronologie de la perception, le cerveau échantillonne les données fournies par l’œil plus vite que les données apportées par l’oreille (Jouhaneau, 1998) alors, il faudrait conclure que le design sonore du livre numérique viendrait au second plan, justifiant alors parfois les choix faits par les éditeurs qui arbitrent leurs budgets en faveur du graphique, de l’interaction et non du son. Le son occupant un rôle secondaire dans l’expérience de lecture, alors, Deshays conclut que l’image et le son sont autonomes. D’un autre côté, et en prenant appui sur l’analyse théâtrale ou le hors champ du cinéma, il affirme qu’il est aussi possible d’infirmer cette prééminence de la vue sur l’ouïe. Dans ce cas, le off invisible sur la scène ou l’écran vient discuter le 8 Attribué à Marc Prensky (2001), ce terme est une analogie avec la notion d'autochtone, qui définit celui pour qui religion, langue et coutumes locales vont desoi, par opposition aux immigrés qui doivent s'adapter et assimiler leur nouvel environnement.
  • 10. visible, contredire ce qui est donné à voir et déplace le sens. Nous avons là un espace propice à la construction d’une compréhension différente de ce qui est vu, c’est-à-dire donner un autre sens. Prenons l’exemple de Bleu de toi, ouvrage créé spécifiquement pour la tablette (Cotcotcot Apps). L’introduction annonce clairement que la narration n’est qu’un prétexte, un point de départ à l’imagination et aux différents parcours de lecture de chaque utilisateur. Dans la page représentant des oiseaux, quasiment tous les dessins génèrent une interaction sonore, provoquant un vaste concert de gazouillis variés. Or un des volatiles émet un grognement. Un son qui vient en contradiction aussi forte avec le texte ou l’image du livre interpelle le lecteur, ouvrant la porte à des possibles renouvelés. L’imagination prend alors le pas sur la perception, réinventant la lecture. Cette technique créative, que Deshays appelle substitution permet ainsi « au son de discuter ce qui est donné à voir, en déplace le sens » (p.23) et fait douter de ce qui est visible. Le rapport entre l’image et le son est modifié, donnant au son une place nouvelle, plus à égalité avec l’image et le texte du livre. Le défi étant que le son ne devienne pas gêneur de la compréhension, sans quoi on n’entendrait plus que lui, il serait le sujet premier. Le lecteur alors, devrait faire un effort pour le remettre à sa place, c’est-à-dire en second. Comme l’affirme Deshays, il ne sera jamais imputer au texte ou à l’image de ne pas être à sa place, car ils les référents temporels tangibles et structurant de la narration. Le son ne venant qu’en second, il doit se contraindre à ne pas prendre son autonomie au risque d’être rejeté par le lecteur. C’est bien dans cet équilibre du design sonore que les éditeurs de livres numériques se doivent de travailler, car le livre doit rester livre même dans un format dématérialisé. En effet, la seule réticence des parents de notre étude porte sur ce point. L’enfant continue-t-il à lire avec un dispositif multimédia intégrant une narration sonore, ou se laisse-t-il porter par l’image et le son ? « Tu es sûr que tu fais attention à l’histoire, là M. ? Parce que le texte est drôlement beau, il n’y a pas que les animations ! », demande ainsi une maman à son fils qui tapote l’écran de manière frénétique pour être sûr de ne rater aucun des contenus hypertexte (son, animation) cachés dans Conte du haut de mon crâne, édition La Souris qui raconte. Pire, le livre numérique serait-il un produit prêt-à- consommer, nuisible à la construction de l’imaginaire de l’enfant ? « Je m’interroge : toutes ces insertions ne participent-elles pas à ce « toujours plus tout de suite » qui rendent nos enfants incapables du moindre effort ? Je trouve que la musique rajoute à l’imaginaire, ca peut être de belles pistes. Mais en même temps je trouve que c’est un peu tout mâché. Tu vois Zarafa par exemple, cette magnifique musique, je trouve ça très chouette. Mais en même temps, nous quand on était petit, on avait un livre illustré et on avait vu le film au cinéma. Et quelque part, les mots te conduisaient vers cette petite musique intérieure. Là, on a tout et de manière immédiate.». La nécessité d’une prise de recul s’impose afin que le destinataire-lecteur puisse appréhender l’intention de communication incorporée à l’objet. Autrement dit, un rapport intersubjectif s’installe en même temps que la distance se creuse entre l’énonciateur et le destinataire. Comme le souligne Meunier (2013), les implications cognitives sont importantes. De ce fait, les parents sont vigilants ou en tout cas sont en demande, et les éditeurs peuvent saisir cette opportunité pour construire une relation de confiance avec leur(s) lectorat(s)9 . Afin de d’approfondir cette analyse de la construction du sens au sein du livre numérique, nous nous proposons de prendre appui sur les travaux d’Igonet (2005) qui analyse l’espace dévolu au son dans les applications multimédia comme une architecture du son. La lecture devient une forme de spectacle total par l’association de l’image et du son mais aussi et surtout par les modalités de 9 A titre d’exemple, dans l’édition pour enfants, L’école des loisirs dispose d’un capital confiance important de par sa distribution (modalité d’accès au marché) par l’intermédiaire des écoles et des enseignants
  • 11. l’interactivité. Le support tablette offre au lecteur, par sa navigation10 , l’opportunité de modeler son espace et son temps. D’ailleurs, Igonet souligne que le son d’une œuvre multimédia comme le livre enrichi présente quatre caractéristiques importantes. D’abord, la « lecture du son » est plutôt une lecture individuelle à la différence d’un disque, d’un concert ou d’un film qui sont pensés dans un collectif. Ensuite, il y a une volonté explicite de convergence entre l’image, le son et le texte afin de proposer une œuvre syncrétique permettant la convergence. Au-delà même, il y a l’interprétation du son qui relève toujours d’une articulation entre les signifiants sonores et les autres types de signifiants. Enfin, la dernière caractéristique, plus complexe à appréhender, concerne les compétences que le lecteur auditeur doit maîtriser pour accéder au sens du livre numérique. Notre lecteur doit, dans un même temps, appréhender la sémiotique du son et la technologie qui permet d’activer le son. Le statut du son se transforme de producteur d’émotion en producteur de sens (Igonet, p.221). Cette complexité est d’autant plus perceptible dans notre étude, que certains enfants participants étaient en phase de consolidation de leurs compétences de lecteurs et donc les différents types de signifiants pouvaient se télescoper ou se trouver en dissonance. L’éditeur de livre numérique doit pouvoir proposer des espaces favorisant des rencontres entre les différentes esthétiques (graphique, sonore, textuelle) et en même temps favoriser la construction de sens. C’est pourquoi, Igonet propose une échelle des formes sonores à mettre en parallèle avec une échelle des formes visuelles au sein des œuvres multimédia. Dans un livre numérique, il y a plusieurs possibilités d’écoute qui font que l’individu ne perçoit pas les sons de la même façon ; cela constitue la base de l’analyse de la forme sonore. Il est possible de distinguer le bruit, le son, qui est un bruit identifié et reconnu, les sons articulés qui, écoutés, deviennent une esthétique sonore, les signes sonores qui sont interprétables par l’expérience esthétique de l’individu, et enfin, la parole, qui instaure la communication. Forme sonore Bruit Son Esthétique sonore Signe sonore Parole Position du sujet Il oit Il reconnait Il écoute Il interprète Il énonce Adapté de Igonet (2005) Pour Igonet, la parole est un système de signes sonores qui appelle une réponse et donne au sujet un rôle dépassant celui d’auditeur. Nous avons là des potentialités pour le livre numérique qui dépassent largement le livre audio. Dans les livres numériques manipulés lors de notre étude, deux ouvrages explorent ce dernier niveau de forme sonore et d’interactivité. Bleu de toi amorce l’interaction par le son, en invitant les adultes à enregistrer leur propre narration du texte, afin de restituer la relation privilégiée parent/enfant dans la découverte en autonomie de cette création multimédia. La sorcière sans nom, éditée par Slim Cricket, met à profit des logiques d’interaction héritées du jeu vidéo, et utilise la fonction enregistrement de la tablette, pour initier un début d’interaction sonore entre l’enfant utilisateur et la narration. Ainsi, le personnage principal de l’histoire est une sorcière acariâtre parce qu’elle n’a pas de nom, et qui, de ce fait, souffre de ne pouvoir entrer en communication avec son entourage. Après de multiples aventures qui conduisent 10 La navigation commela lecturesont deux modalités métaphoriques possibles des usages de l’espace et de la temporalité
  • 12. l’enfant à collaborer avec elle pour confectionner une potion magique, elle accède enfin à la vérité : elle a prêté son nom, il y a fort longtemps à un enfant qui ne lui a pas rendu. Cet enfant apparait dans une boule de cristal, et, grâce à la caméra intégrée dans l’iPad, c’est le reflet du lecteur qui émerge. La sorcière lui demande alors de lui rendre son nom. L’application accède automatiquement à la fonction enregistrement sonore de la tablette, ce qui permet à l’enfant de la doter d’un nom qu’il est invité à énoncer à voix haute. La sorcière se l’approprie aussitôt, accédant enfin à une vie sociale : elle va libérer ses victimes et chacune reprend le nom donné par l’enfant pour la saluer. Le lecteur influe donc sur la narration, et le logiciel de reconnaissance vocale permet à chaque protagoniste d’interpeler la sorcière avec une voix qui lui est propre. Il est intéressant de souligner qu’à cette échelle des formes sonores correspond un statut du sujet lecteur, selon le degré d’interaction. Mais il est important aussi d’adjoindre à cette échelle, l’analyse de plusieurs éléments variables que nous pourrons trouver dans le texte ou l’image. Il faut porter l’attention sur la présence visible ou non des énonciateurs et la structure linguistique des énoncés (Meunier, 2013) Ces éléments précis ont des implications cognitives, ce qui, dans le cas présent, rejoint le questionnement intuitif des parents face au livre numérique sur le risque d’un enrichissement multimédia qui, trop foisonnant, nuirait à leurs attentes en matière de littérature jeunesse. En effet, leur discours est clair : s’ils investissent massivement aujourd’hui dans le livre (les maisons des enfants rencontrés disposent de vastes collections) et s’ils s’impliquent dans un processus de socialisation contraignant (tous pratiquent ou ont pratiqué le rituel de la l’histoire quotidienne avec l’enfant), c’est pour donner le goût de l’activité de lecture, laquelle doit nourrir l’enfant et le construire. Les éditeurs de livres enrichis doivent donc veiller à construire une narration multimédia en cohérence avec cet objectif, et qui respecte les codes de lecture incorporés par les utilisateurs. Ici, arrêtons-nous un instant sur un exemple précis. Remond et alii (2012) propose une analyse approfondie d’un livre l’Herbier des fées qui existe aussi en version numérique pour Ipad. Une des questions centrales de leur réflexion est d’appréhender la matérialité même du support numérique car le texte est loin d’être le seul signe offert à l’interprétation. Autant l’album papier pose la question de l’interrelation texte-image, autant la version numérique va plus loin « puisque la forme rhétorique même du récit « devient une architecture matérielle » à comprendre dans ses relations à l’histoire racontée (Bourchardon, 2009) ». La difficulté réside dans le fait que chaque média présent dans l’œuvre (texte, son, image, vidéo) possède ses propres exigences analytiques. Il s’agit alors d’« articuler des codes culturels hétérogènes » en vue d’une reconfiguration narrative cohérente. Ainsi, « l’écriture-lecture est une bataille contre l’unité technique pour reconstruire la complexité culturelle » (Jeanneret, 2000) » (ibid). Il est à souligner dans cette œuvre que le son est présenté comme un « fond sonore » dès la première double page exposant le « mode d’emploi ». Cette expression de fond sonore renvoie bien le son au second plan de l’expression signifiante, comme un complément, d’autant plus que la musique est en arrière-plan. Comme le souligne Remond et alii, il existe une différence significative entre la bande son du cinéma et la bande son du livre, puisque le temps passé sur une page par le lecteur ne peut être mesuré. La lecture étant aléatoire, la bande son se doit d’être plastique et d’accompagner la lecture. De même dans cette œuvre, le silence est aussi mis en scène. Lorsque le lecteur lance les vidéos « documentaires » présentant les fées. La musique s’arrête, la vidéo se passe de commentaire et se visionne dans le silence, comme si pour s’approcher de ces êtres insaisissables que sont les fées, le silence était une condition nécessaire à l’observation. Le livre numérique, de par la richesse des formes sémiotiques qu’il propose, renforce l’immersion d’un lecteur vite fasciné par
  • 13. l’activation de ses sens. « Le regard est sollicité avec le geste et l’ouïe mobilisant ses codes sémiotiques propres » (ibid.). Conclusion Un livre numérique enrichi utilise, par nature, une écriture qui associe son, texte et image. Il existe une multitude de possibilités d’agencement et d’articulation entre ces trois médias, chacun pouvant occuper une place différente, donnant par la même occasion des significations particulières à l’œuvre. C’est la raison pour laquelle, pour conduire une analyse du livre, il est possible de puiser dans les travaux des médias audiovisuels classiques comme le cinéma ou la télévision. Il est également possible de se rapprocher des travaux d’analyse du jeu vidéo et du multimédia, tant il ressort que l’interaction constitue une modalité d’appropriation de l’œuvre. Pour les enfants comme pour les parents, le plaisir de lire dépasse la simple activité de lecture car le livre numérique propose et réinvente le parcours du lecteur et renouvelle la (re)lecture d’une œuvre. La stimulation polysensorielle, rendue possible grâce à l’interactivité de ce média enrichi, ouvre autant de potentialité de source de plaisir, ce qui constitue des pistes de recherches fécondes. En nous focalisant plus spécifiquement sur le son dans les livres, nous avons montré que le texte et le son ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et que depuis que la technologie le permet, il y a toujours eu une volonté de les associer. Par ailleurs, le son permet de reconfigurer le média en s’introduisant dans le dialogue établi de longue date entre texte et image. En s’immisçant au sein de ce dialogue, il en modifie le sens car il apporte aussi sa contribution à la signification et son lot de continuité ou de rupture au sein du livre. Une syntaxe sonore prend forme et se rajoute à la syntaxe iconographique ou textuelle. Ainsi, le design sonore du livre nécessite une attention particulière dans la mesure où la convergence devient centrale dans la conception. Cette question de la conception de l’œuvre reste encore à explorer et la technologie ouvre chaque jour de nouvelles potentialités de réinvention de la narration. Le son et son design occupent une place toujours plus importante, puisque l’histoire devient interactive autant par le texte et l’image que par le son. Une esthétique de ce dernier doit encore être approfondie alors même qu’une esthétique de la convergence se construit. Les éditeurs et les auteurs doivent se l’approprier et cela prend du temps car ce sont de nouvelles significations, voire de nouveaux contrats de lecture qu’il faut appréhender. Le design sonore du livre numérique pour enfant en est encore à ses premiers pas.
  • 14. BIBLIOGRAPHIE Ad iman, émi (2005), “Sons, images et narration au cours de la pro ection,” in Une architecture du son, R. Adjiman et B. Cailler, eds., Paris : L’Harmattan, 101–38. Ariès, Philippe (1960), L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Civilisations d’hier et d’au ourd’hui, Paris, France : Plon. Askegaard, Søren, et Jeppe Trolle Linnet (2011), “Towards an epistemology of consumer culture theory Phenomenology et the context of context,” Marketing Theory, 11(4), 381–404. Aurell, Martin (2011), Le Chevalier lettré - Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles, Nouvelles études historiques, Fayard. Becchi, Egle, et Dominique Julia (1998), Histoire de l’enfance en Occident, L’Univers historique, Paris, France : Éditions du Seuil. Bouchardon, Serge (2009), Littérature numérique : le récit interactif, TIC et sciences cognitives, Collection Ingénierie représentationnelle et constructions de sens, Paris, France : Hermès Science  : Lavoisier. Bruno, Pierre (2010), La littérature pour la jeunesse : m diolo ie des rati ues et des classements, Sociétés (Dijon), Dijon, France : Éd. universitaires de Dijon. Chartier, Anne-Marie (2007), L’école et la lecture obligatoire, Forum éducation culture, Paris, France : Retz. ——— (2009), “Lire avec les enfants,” Le point sur..., (14), 1–17. Chartier, Roger, et Henri-Jean Martin (1989), Histoire de l’édition française, Paris, France : Fayard, Cercle de la Librairie. Deshays, Daniel (2006), Pour une écriture du son, 50 questions, Paris : Klincksieck. Donnat, Olivier (2009), “Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique,” Culture études, (5), 1–12. Hétu, Juliette (2012), “Le livre CD : s’accorder aux mots de l’ère numérique,” in Le livre, produit culturel : politiques éditoriales, stratégies de li rairie et mutations de l’o et de l’invention de l’im rim la r volution num ri ue, G. Polizzi et A éach- g , eds., Paris : L’Harmattan- Orizons, 333–50. Igonet, Aurélie (2005), “Une architecture du son dans la communication multimédiatée,” in Une architecture du son, R. Adjiman et B. Cailler, eds., Paris : L’Harmattan, 218–53. Jeanneret, Yves (2011), Y a-t-il (vraiment) des technolo ies de l’information ?, Savoirs mieux, Villeneuve d’Ascq, France : Presses universitaires du Septentrion. Leroy-Boussion, Andrée (1966), “La lecture silencieuse,” L’ann e sycholo i ue, 66(2), 579–98. Livingstone, Sonia M (2002), Young people et new media childhood et the changing media environment, London; Thouset Oaks, Calif. : SAGE. Livingstone, Sonia M, et Kirsten Drotner (2008), International handbook of children, media et culture, London : SAGE. Meunier, Jean-Pierre (2013), es ima es et des mots - co nition et r flexivit dans la communication, Louvain-la-Neuve : Academia-l’Harmattan Odin, Roger (2011), Les espaces de communication : introduction la s mio-pragmatique, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble. Poslaniec, Christian (2008), es livres d’enfants la littérature de jeunesse, [Paris] : Gallimard  : Bibliothèque nationale de France. Prensky, Marc (2001), “Digital atives, Digital Immigrants,” On the Horizon, 9(5), 1–6.
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