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The Tree of Life a comblécetteattente. Car cet hymne à la vie met en parallèle une histoire
de l’humanité et la vie d’une famille emblématique de l’Amérique des années 50 –
considérée comme un véritable jardin d’Éden, sans doute parce que Malick y était lui-même
enfant –, vivant à son échelle les bonheurs et les vicissitudes de toute famille biblique et
humaine. Comme Adam et Ève, cette famille a trois fils, qui tiennent les rôles d’Abel, Caïn et
Seth, et comme elle, va être chassée du paradis.
Plus descriptif que narratif, plus métaphysique que romanesque, et pourtant
autobiographique, ce film se veut une méditation mystique, qui entend dépasser le débat
entre évolutionnistes et créationnistes. Terrence Malick, professeur de théologie et de
philosophie au MIT, traducteur de Heidegger, s’inspire de la Kabbale, pour laquelle tout est
né de la lumière ou plutôt d’une énergie jaillissante unique, qui se déverse de vase en vase,
se coagule de plus en plus dans des mondes successifs. L’Arbre de Vie, mentionné par la
Genèse en 2, 9, est aussi celui qui symbolise dans la Kabbale les lois de l’univers et le
processus de création qui met en œuvre, dans le Macrocosme de l’univers et dans le
microcosme de l’être humain – rigoureusement homologues –, les énergies ou puissances
créatrices émanant du Créateur.
Car pour le Zohar, œuvre principale de la Kabbale, la Genèse ne raconte pas le
commencement temporel de l’histoire, mais transmet l’intuition ontologique du passage de
l’Infini, sinon directement au fini, du moins à la « transparence ». Réduisant le concret des
anecdotes à des fonctions abstraites ou transcendantes, ses textes évoquent une
architecture spirituelle à l’image de l’Homme, par un véritable anthropomorphisme
cosmique. C’est exactement ce que Terrence Malick traduit en images de synthèse, le
surgissement de la vie, puis la naissance de l’humanité, processus dont la Genèse est la
version mythique.
On suit donc l’évolution depuis le Chaos, avec les dinosaures, l’apparition de l’homme, son
adaptation et la découverte du mal, inhérent au projet de Dieu, comme le souligne en
exergue la citation de Job : « Où étais-tu quand je jetais les fondations de la terre ? » (Job,
38, 4). Comme Adam, Job aussi perd tout, et la famille symbolique du film incarne sa révolte
et son acceptation de la volonté divine, après avoir perdu l’un de ses fils et ses moyens
d’existence. Enfin les séquences finales montrent, en images indistinctes et ralenties, la
résurrection, la réunion de ceux qui avaient été séparés et le Paradis retrouvé.
La voix off du narrateur, plus omniscient que Dieu lui-même – invention biblique majeure
qui a influé sur toute la technique narrative ultérieure – domine le film, dont l’interprétation
n’est pas réaliste, mais distanciée parce que symbolique. Les trois enfants sont excellents.
L’aîné est interprété à l’âge adulte par un Sean Penn tourmenté, tandis que Brad Pitt joue le
rôle du père, « répressif par nature » selon le cinéaste, parce qu’il incarne l’autorité
formatrice des patriarches, tandis que son épouse (Jessica Chastain) fait ressentir la
tendresse active des mères de la Bible.
On peut certes rester extérieur à cette fresque presque abstraite, à cette saga initiatique
dont les clefs sont pourtant données par le réalisateur dès le titre : il ne faut pas chercher
d’intrigue dans ce film, mais se laisser entraîner au rythme d’une cosmogonie mystique,
d’une odyssée de l’espèce, dont chaque personnage est une vivante allégorie. L’ampleur de
la vision, traduite en images grandioses, est soulignée par la musique inspirée d’Alexandre
Desplat, mais surtout par la Moldau de Smetana, le Requiem de Berlioz, la première
symphonie de Mahler, la quatrième symphonie de Brahms, la Toccata et fugue de Bach…
Conjuguant son autobiographie rêvée avec le mythe de la Genèse et son interprétation
mystique, plus admissible sur le plan scientifique, Terrence Malick a subjugué le public par
une œuvre de pure poésie. Ode symphonique à la vie sur Terre, ce film sur l’immanence du
sacré et l’intuition humaine de la transcendance, est d’une ambition inouïe, mais s’avère à la
hauteur de cette ambition, comme l’a reconnu le jury du 64e Festival de Cannes.
Le nouveau film de Terrence Malick, The Tree of Life, attendu si longtemps, sort enfin sur les
écrans français après sa présentation à Cannes. Prévu pour le festival à Cannes de 2010, il
n’a été montré par la suite ni à Venise, ni à Berlin, ni à Londres. Rien d’étonnant que la
tension montât. Les cinéphiles se perdaient en conjectures d’autant plus que le cinéaste,
tout au long de sa carrière, a crée le mythe d’un créateur peu prolifique mais génial. Il a
réalisé seulement cinq films depuis 1973. Chacune de ses œuvres marque l’histoire du
cinéma par une vision inspirée, très personnelle, voire audacieuse. Malick a le courage
d’atteindre certains registres de sensibilité esthétique, émotionnelle et spirituelle, ce qui le
place à la marge du monde contemporain. Il est frappant que ces mêmes registres soient
acceptés et assimilés dans la musique et contestés dans le cinéma, qui subit une pression
commerciale qui exclut un ton plus élevé, méditatif et poétique.
Malick compose un requiem qui est paradoxalement un hymne glorifiant la vie. Cette
solennité est son choix artistique et correspond à sa quête spirituelle authentique. Certains
posent cependant la question : est-il sublime ou grandiloquent ? Il suffit pourtant de penser
à l’histoire de l’art, et surtout à celle de la musique, pour constater que certains sujets
requièrent un style soutenu. Le cinéma devrait se situer dans cette riche tradition et
développer sa palette d’expression. Malick n’a pas peur de l’élan wagnérien. Livré à la
méditation métaphysique, doté d’une sensibilité morale aiguë, enivré par la splendeur du
monde et désespéré par sa corruption, il revient à l’arbre de vie pour troubler l’âme, la faire
pleurer, dire sa soif de pureté, de beauté, l’essence de la vie dans son exubérance.
La narration s’ouvre par une voix d’enfant chuchotant une prière, illuminée d’une image
abstraite, une sorte d’interstice embrasé dans le ciel. Dans tous les films du réalisateur
américain, la voix d’un enfant donne aux histoires leur profondeur candide et les renvoie à
l’innocence primitive. Cette voix revient tout au long du film, elle évoque Job, le malheur et
le mal, la faute et la culpabilité, la nostalgie du bien absolu. Les chants religieux récurrents et
les cloches rythment le récit. Bien que l’œuvre de Malick soit imprégnée de spiritualité, elle
ne se réfère pas aux symboles religieux, sauf à l’allégorie de Job, dans les scènes à l’église ou
dans les citations musicales. Malick n’a d’aspiration ni moraliste ni didactique. Il est fidèle à
la voix intime issue des origines, de l’enfance et du Paradis. Le drame se déroule parmi des
hommes ordinaires et touche plus les cœurs et les consciences qu’il ne développe de
péripéties. Les protagonistes sont confrontés à de larges espaces où l’âme cherche ses
racines. Dieu est invisible, pressenti et proche, perdu malgré tout par l’homme qui, secoué
par la souffrance, a besoin de le retrouver.
Le héros habillé en tenue impeccable (Sean Penn), enfermé dans d’énormes cages de verre,
des buildings d’une grande métropole, au sommet de sa réussite professionnelle, subit une
crise intérieure dans ce monde artificiel et stérile. Ces images appuyées sur des éléments
très rudimentaires, montrent surtout un état intérieur dans un décor moderne où seul le ciel
offre un horizon de liberté, un souffle de vie. Des yeux égarés, des déambulations entre des
étages de bureaux impersonnels, des fonctionnaires en uniformes, sans nom, tout ce monde
anonyme exhibe le désastre humain et donne l’ampleur de la perdition.
A partir de ce moment se développe une rétrospective, le retour à l’enfance.
L’histoire de Malick est très épurée, voire schématique. Des événements à peine esquissés
sont les moments cruciaux pour le cœur de l’enfant. Instants presque banals de la vie
familiale, jalousie envers le frère, révolte contre le père. Le cinéaste revient à la simplicité de
son premier film, Balade sauvage (1973), comme s’il cherchait à dépouiller l’anecdote ou
même à s’en débarrasser pour en tirer l’essence philosophique. Ce n’est pas dans l’anecdote
même que se place la valeur attrayante de ce film. Rien de plus ordinaire que la vie d’une
famille typique au Texas dans les années cinquante, une opposition entre un père violent
(Brad Pitt) et un fils révolté, une mère douce et sensible (Jessica Chastain). Même dans ce
schéma familial, Malick ne porte pas de jugement. Ses personnages sont divisés, déchirés,
l’ambition et l’autorité mises en question. Chacun y a sa part de faute comme une erreur
inévitable. Le père regrette sa dureté, le fils est égaré dans l’amour pour son père, alors qu’il
le déteste. Entre violences, regrets et jalousie, les cœurs vacillent et cherchent leur
purification, plongent dans la nostalgie d’un monde immaculé.
Cette nostalgie se nourrit de somptueuses images de la nature vierge, du Paradis. Dans tous
les films de Malick, de grands plans jouent un rôle important mais, jamais comme dans ce
dernier film, l’image de la nature n’atteint un tel degré de beauté frôlant l’abstraction.
L’artiste se délecte de perspectives grandioses du ciel, des galaxies, des montagnes, de la
mer démontée, des volcans. Ces images progressent avec la musique (Brahms, Mozart,
Bach, Górecki, Preisner…). Plus qu’une démonstration esthétique ou une illustration, le
rythme symphonique de ces passages entraîne dans la contemplation de la beauté qui
provoque la catharsis.
Bien qu’appuyé essentiellement sur les images, le talent du cinéaste se révèle ici
proprement musical, c’est-à-dire attaché aux canons de la musique classique et
contemporaine réservés aux grands thèmes religieux. L’image, la musique, la prière sont
comme les moyens d’accéder à un monde supérieur où l’homme peut retrouver toute sa
noble dimension humaine. Malick donne ce pur plaisir de plonger dans la beauté visuelle
soutenue par la musique. Ces amples vues cosmiques, où apparaissent les galaxies aussi
énigmatiques et enivrantes que les cellules et les veines du corps, montrent la vie dans toute
son étendue, dans sa richesse perçue comme une ouverture vers la divinité.
Sur cet horizon gigantesque se déroule une petite histoire avec une maison comme noyau
intime, secret, avec ses objets familiers, ses moments de bonheur, ses violences, ses
troubles ; développement progressif de chacun à travers les drames, les larmes, la mort,
l’abandon. Jamais, dans l’œuvre de Malick, la sublimation esthétique n’a été aussi célébrée
et osée. L’artiste répond ici aux exigences de son talent et ne recule pas devant une
expression élevée et vaste, guidé par un rythme musical large, symphonie, hymne, messe,
épopée, allégorie biblique. Il est plus proche de la poésie et du rêve que de l’examen de la
réalité, de l’analyse psychologique. Son tempérament se prononce décidément comme
philosophique et visionnaire. Il sait que la grandeur du questionnement moral correspond à
un mystère qui dépasse l’homme. Il sait que l’homme, pour découvrir son humanité, ne peut
échapper à ce dialogue pathétique avec l’Univers et ses origines. Le mal qui ronge le cœur
de l’enfant, ce trouble au départ banal ressemble à une éruption de volcan, il a son germe
dans l’histoire très ancienne du monde, dans la formation de l’Univers. La naissance de la
vie, autant que la naissance du mal, ne peut être considérée que dans cette mesure géante.
Là, l’homme perdu se construit et se cherche, animé par la soif de la pureté originaire.
Le film, grâce à sa beauté et à l’accent mis sur des sentiments tourmentés, porte une forte
charge émotionnelle. Les larmes y sont comme une expiation. Les larmes, la beauté
plastique, autant que la musique, forment un fond hypnotique qui provoque une émotion
libératrice. Soit on se laisse entraîner par l’atmosphère et le rythme de l’ensemble, soit on y
résiste. C’est pour cela que la critique du film est si difficile et loin d’être objective. L’œuvre
de Malick s’adresse à une certaine sensibilité peu courante aujourd’hui, non atteinte par
l’ironie, le pragmatisme et la distanciation.
Comme Tarkowski, Malick compose son journal intime, livre son âme, assoiffée du beau et
du bien. C’est un homme inconsolé qui retourne obsessionnellement à l’idéal. Ce côté
idéaliste de ses films peut, lui aussi, s’exposer à la critique. Mais Malick n’a pas honte de dire
sa quête spirituelle élémentaire, grandeur aujourd’hui oubliée et gênante

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  • 1. The Tree of Life a comblécetteattente. Car cet hymne à la vie met en parallèle une histoire de l’humanité et la vie d’une famille emblématique de l’Amérique des années 50 – considérée comme un véritable jardin d’Éden, sans doute parce que Malick y était lui-même enfant –, vivant à son échelle les bonheurs et les vicissitudes de toute famille biblique et humaine. Comme Adam et Ève, cette famille a trois fils, qui tiennent les rôles d’Abel, Caïn et Seth, et comme elle, va être chassée du paradis. Plus descriptif que narratif, plus métaphysique que romanesque, et pourtant autobiographique, ce film se veut une méditation mystique, qui entend dépasser le débat entre évolutionnistes et créationnistes. Terrence Malick, professeur de théologie et de philosophie au MIT, traducteur de Heidegger, s’inspire de la Kabbale, pour laquelle tout est né de la lumière ou plutôt d’une énergie jaillissante unique, qui se déverse de vase en vase, se coagule de plus en plus dans des mondes successifs. L’Arbre de Vie, mentionné par la Genèse en 2, 9, est aussi celui qui symbolise dans la Kabbale les lois de l’univers et le processus de création qui met en œuvre, dans le Macrocosme de l’univers et dans le microcosme de l’être humain – rigoureusement homologues –, les énergies ou puissances créatrices émanant du Créateur. Car pour le Zohar, œuvre principale de la Kabbale, la Genèse ne raconte pas le commencement temporel de l’histoire, mais transmet l’intuition ontologique du passage de l’Infini, sinon directement au fini, du moins à la « transparence ». Réduisant le concret des anecdotes à des fonctions abstraites ou transcendantes, ses textes évoquent une architecture spirituelle à l’image de l’Homme, par un véritable anthropomorphisme cosmique. C’est exactement ce que Terrence Malick traduit en images de synthèse, le surgissement de la vie, puis la naissance de l’humanité, processus dont la Genèse est la version mythique. On suit donc l’évolution depuis le Chaos, avec les dinosaures, l’apparition de l’homme, son adaptation et la découverte du mal, inhérent au projet de Dieu, comme le souligne en exergue la citation de Job : « Où étais-tu quand je jetais les fondations de la terre ? » (Job, 38, 4). Comme Adam, Job aussi perd tout, et la famille symbolique du film incarne sa révolte et son acceptation de la volonté divine, après avoir perdu l’un de ses fils et ses moyens d’existence. Enfin les séquences finales montrent, en images indistinctes et ralenties, la résurrection, la réunion de ceux qui avaient été séparés et le Paradis retrouvé. La voix off du narrateur, plus omniscient que Dieu lui-même – invention biblique majeure qui a influé sur toute la technique narrative ultérieure – domine le film, dont l’interprétation n’est pas réaliste, mais distanciée parce que symbolique. Les trois enfants sont excellents. L’aîné est interprété à l’âge adulte par un Sean Penn tourmenté, tandis que Brad Pitt joue le rôle du père, « répressif par nature » selon le cinéaste, parce qu’il incarne l’autorité
  • 2. formatrice des patriarches, tandis que son épouse (Jessica Chastain) fait ressentir la tendresse active des mères de la Bible. On peut certes rester extérieur à cette fresque presque abstraite, à cette saga initiatique dont les clefs sont pourtant données par le réalisateur dès le titre : il ne faut pas chercher d’intrigue dans ce film, mais se laisser entraîner au rythme d’une cosmogonie mystique, d’une odyssée de l’espèce, dont chaque personnage est une vivante allégorie. L’ampleur de la vision, traduite en images grandioses, est soulignée par la musique inspirée d’Alexandre Desplat, mais surtout par la Moldau de Smetana, le Requiem de Berlioz, la première symphonie de Mahler, la quatrième symphonie de Brahms, la Toccata et fugue de Bach… Conjuguant son autobiographie rêvée avec le mythe de la Genèse et son interprétation mystique, plus admissible sur le plan scientifique, Terrence Malick a subjugué le public par une œuvre de pure poésie. Ode symphonique à la vie sur Terre, ce film sur l’immanence du sacré et l’intuition humaine de la transcendance, est d’une ambition inouïe, mais s’avère à la hauteur de cette ambition, comme l’a reconnu le jury du 64e Festival de Cannes. Le nouveau film de Terrence Malick, The Tree of Life, attendu si longtemps, sort enfin sur les écrans français après sa présentation à Cannes. Prévu pour le festival à Cannes de 2010, il n’a été montré par la suite ni à Venise, ni à Berlin, ni à Londres. Rien d’étonnant que la tension montât. Les cinéphiles se perdaient en conjectures d’autant plus que le cinéaste, tout au long de sa carrière, a crée le mythe d’un créateur peu prolifique mais génial. Il a réalisé seulement cinq films depuis 1973. Chacune de ses œuvres marque l’histoire du cinéma par une vision inspirée, très personnelle, voire audacieuse. Malick a le courage d’atteindre certains registres de sensibilité esthétique, émotionnelle et spirituelle, ce qui le place à la marge du monde contemporain. Il est frappant que ces mêmes registres soient acceptés et assimilés dans la musique et contestés dans le cinéma, qui subit une pression commerciale qui exclut un ton plus élevé, méditatif et poétique. Malick compose un requiem qui est paradoxalement un hymne glorifiant la vie. Cette solennité est son choix artistique et correspond à sa quête spirituelle authentique. Certains posent cependant la question : est-il sublime ou grandiloquent ? Il suffit pourtant de penser à l’histoire de l’art, et surtout à celle de la musique, pour constater que certains sujets requièrent un style soutenu. Le cinéma devrait se situer dans cette riche tradition et développer sa palette d’expression. Malick n’a pas peur de l’élan wagnérien. Livré à la méditation métaphysique, doté d’une sensibilité morale aiguë, enivré par la splendeur du
  • 3. monde et désespéré par sa corruption, il revient à l’arbre de vie pour troubler l’âme, la faire pleurer, dire sa soif de pureté, de beauté, l’essence de la vie dans son exubérance. La narration s’ouvre par une voix d’enfant chuchotant une prière, illuminée d’une image abstraite, une sorte d’interstice embrasé dans le ciel. Dans tous les films du réalisateur américain, la voix d’un enfant donne aux histoires leur profondeur candide et les renvoie à l’innocence primitive. Cette voix revient tout au long du film, elle évoque Job, le malheur et le mal, la faute et la culpabilité, la nostalgie du bien absolu. Les chants religieux récurrents et les cloches rythment le récit. Bien que l’œuvre de Malick soit imprégnée de spiritualité, elle ne se réfère pas aux symboles religieux, sauf à l’allégorie de Job, dans les scènes à l’église ou dans les citations musicales. Malick n’a d’aspiration ni moraliste ni didactique. Il est fidèle à la voix intime issue des origines, de l’enfance et du Paradis. Le drame se déroule parmi des hommes ordinaires et touche plus les cœurs et les consciences qu’il ne développe de péripéties. Les protagonistes sont confrontés à de larges espaces où l’âme cherche ses racines. Dieu est invisible, pressenti et proche, perdu malgré tout par l’homme qui, secoué par la souffrance, a besoin de le retrouver. Le héros habillé en tenue impeccable (Sean Penn), enfermé dans d’énormes cages de verre, des buildings d’une grande métropole, au sommet de sa réussite professionnelle, subit une crise intérieure dans ce monde artificiel et stérile. Ces images appuyées sur des éléments très rudimentaires, montrent surtout un état intérieur dans un décor moderne où seul le ciel offre un horizon de liberté, un souffle de vie. Des yeux égarés, des déambulations entre des étages de bureaux impersonnels, des fonctionnaires en uniformes, sans nom, tout ce monde anonyme exhibe le désastre humain et donne l’ampleur de la perdition. A partir de ce moment se développe une rétrospective, le retour à l’enfance. L’histoire de Malick est très épurée, voire schématique. Des événements à peine esquissés sont les moments cruciaux pour le cœur de l’enfant. Instants presque banals de la vie familiale, jalousie envers le frère, révolte contre le père. Le cinéaste revient à la simplicité de son premier film, Balade sauvage (1973), comme s’il cherchait à dépouiller l’anecdote ou même à s’en débarrasser pour en tirer l’essence philosophique. Ce n’est pas dans l’anecdote même que se place la valeur attrayante de ce film. Rien de plus ordinaire que la vie d’une famille typique au Texas dans les années cinquante, une opposition entre un père violent (Brad Pitt) et un fils révolté, une mère douce et sensible (Jessica Chastain). Même dans ce schéma familial, Malick ne porte pas de jugement. Ses personnages sont divisés, déchirés, l’ambition et l’autorité mises en question. Chacun y a sa part de faute comme une erreur inévitable. Le père regrette sa dureté, le fils est égaré dans l’amour pour son père, alors qu’il le déteste. Entre violences, regrets et jalousie, les cœurs vacillent et cherchent leur purification, plongent dans la nostalgie d’un monde immaculé. Cette nostalgie se nourrit de somptueuses images de la nature vierge, du Paradis. Dans tous les films de Malick, de grands plans jouent un rôle important mais, jamais comme dans ce dernier film, l’image de la nature n’atteint un tel degré de beauté frôlant l’abstraction. L’artiste se délecte de perspectives grandioses du ciel, des galaxies, des montagnes, de la mer démontée, des volcans. Ces images progressent avec la musique (Brahms, Mozart, Bach, Górecki, Preisner…). Plus qu’une démonstration esthétique ou une illustration, le
  • 4. rythme symphonique de ces passages entraîne dans la contemplation de la beauté qui provoque la catharsis. Bien qu’appuyé essentiellement sur les images, le talent du cinéaste se révèle ici proprement musical, c’est-à-dire attaché aux canons de la musique classique et contemporaine réservés aux grands thèmes religieux. L’image, la musique, la prière sont comme les moyens d’accéder à un monde supérieur où l’homme peut retrouver toute sa noble dimension humaine. Malick donne ce pur plaisir de plonger dans la beauté visuelle soutenue par la musique. Ces amples vues cosmiques, où apparaissent les galaxies aussi énigmatiques et enivrantes que les cellules et les veines du corps, montrent la vie dans toute son étendue, dans sa richesse perçue comme une ouverture vers la divinité. Sur cet horizon gigantesque se déroule une petite histoire avec une maison comme noyau intime, secret, avec ses objets familiers, ses moments de bonheur, ses violences, ses troubles ; développement progressif de chacun à travers les drames, les larmes, la mort, l’abandon. Jamais, dans l’œuvre de Malick, la sublimation esthétique n’a été aussi célébrée et osée. L’artiste répond ici aux exigences de son talent et ne recule pas devant une expression élevée et vaste, guidé par un rythme musical large, symphonie, hymne, messe, épopée, allégorie biblique. Il est plus proche de la poésie et du rêve que de l’examen de la réalité, de l’analyse psychologique. Son tempérament se prononce décidément comme philosophique et visionnaire. Il sait que la grandeur du questionnement moral correspond à un mystère qui dépasse l’homme. Il sait que l’homme, pour découvrir son humanité, ne peut échapper à ce dialogue pathétique avec l’Univers et ses origines. Le mal qui ronge le cœur de l’enfant, ce trouble au départ banal ressemble à une éruption de volcan, il a son germe dans l’histoire très ancienne du monde, dans la formation de l’Univers. La naissance de la vie, autant que la naissance du mal, ne peut être considérée que dans cette mesure géante. Là, l’homme perdu se construit et se cherche, animé par la soif de la pureté originaire. Le film, grâce à sa beauté et à l’accent mis sur des sentiments tourmentés, porte une forte charge émotionnelle. Les larmes y sont comme une expiation. Les larmes, la beauté plastique, autant que la musique, forment un fond hypnotique qui provoque une émotion libératrice. Soit on se laisse entraîner par l’atmosphère et le rythme de l’ensemble, soit on y résiste. C’est pour cela que la critique du film est si difficile et loin d’être objective. L’œuvre de Malick s’adresse à une certaine sensibilité peu courante aujourd’hui, non atteinte par l’ironie, le pragmatisme et la distanciation. Comme Tarkowski, Malick compose son journal intime, livre son âme, assoiffée du beau et du bien. C’est un homme inconsolé qui retourne obsessionnellement à l’idéal. Ce côté idéaliste de ses films peut, lui aussi, s’exposer à la critique. Mais Malick n’a pas honte de dire sa quête spirituelle élémentaire, grandeur aujourd’hui oubliée et gênante