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Pourquoi
travaillons-
nous ?GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
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INTRODUCTION (1)
 Le problème de la définition du travail
Au sens large du terme, par « travail », on entend
toute activité pénible, qui exige des efforts, qu’ils
soient physiques ou intellectuels.
Cf. l’étymologie latine du mot « travail » : le tripalium
désigne un instrument de torture formé de trois pieux,
qui sert aussi à ferrer les chevaux.
La notion de travail renvoie donc, en premier lieu, à
l’idée de douleur ou de souffrance.
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INTRODUCTION (2)
Au sens strict, par « travail », on entend aujourd’hui
une activité utile socialement, et qui fait l’objet d’une
rémunération. Le terme est alors synonyme
d’« emploi ».
Dans notre société, pris en ce sens, le travail est
doublement important.
1) D’un point de vue économique : on travaille « pour
gagner sa vie », pour assurer sa subsistance.
2) D’un point de vue social : le travail est un vecteur
d’intégration.
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INTRODUCTION (3)
 Le paradoxe de la société actuelle
Cf. Dominique Méda, Le travail. Une valeur en voie
de disparition (1995).
Grâce au progrès technique, nous avons gagné en
productivité : nous pouvons produire davantage, en
moins de temps, et en travaillant moins.
Paradoxalement, ce qui pourrait être une bonne
nouvelle est vécu comme un cauchemar. Au lieu de
nous réjouir, nous redoutons la « fin du travail ».
Pourquoi ?
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INTRODUCTION (4)
Réponse de Dominique Méda : nous sommes
victimes de nos préjugés. Spontanément, nous
considérons que le chômage est le pire des maux.
Pour nous, c’est évident : il faut travailler. Mais est-
ce si évident ?
Si le chômage de masse qui frappe les pays occidentaux
n’est pas conjoncturel, mais structurel, les politiques qui
visent à « sauver l’emploi » sont condamnées à l’échec.
→ Il faudrait plutôt repenser la place que nous
accordons au travail dans notre société.
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INTRODUCTION (5)
 Problématisation
Pourquoi continuons-nous donc à travailler ?
1. Il faut interroger le rapport entre le travail et la
technique. La fin du travail est-elle seulement
possible ? Faut-il espérer que le progrès technique
nous libère du travail ?
2. Le rapport entre le travail et le bonheur est aussi
problématique. La fin du travail, même si elle était
possible, ne serait peut-être pas souhaitable. Peut-on
être heureux sans travailler ?
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INTRODUCTION (6)
3. Il faut interroger enfin le rapport entre le travail et la
liberté.
Le travail est-il une activité servile ? La nécessité de
satisfaire ses besoins et de se conserver est-elle sa
seule raison d’être ?
Ne permet-il pas aussi à l’homme de prendre
conscience de lui-même et de développer son
humanité ? En ce sens, n’est-il pas libérateur ?
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1. La nécessité de travailler (1)
a) Le travail comme malédiction
Pour l’homme, le travail est une nécessité, car il a
des besoins qu’il ne peut pas satisfaire
immédiatement. La malédiction de l’homme est
double : 1) il est naturellement fragile ; 2) il est
confronté à une nature hostile.
 Le mythe de Prométhée : la fragilité naturelle de
l’homme.
Cf. Platon, Protagoras.
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1. La nécessité de travailler (2)
 Le récit de la Genèse : le travail comme
conséquence du péché originel.
« Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as
mangé de l’arbre dont je t’avais formellement prescrit de ne
pas manger, le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la
peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera
germer pour toi l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des
champs. À la sueur de ton front tu mangeras du pain jusqu’à
ce que tu retournes au sol car c’est de lui que tu as été pris.
Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras. »
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1. La nécessité de travailler (3)
b) La conception grecque du travail
NB : le grec ancien n’a pas d’équivalent pour le mot
« travail » tel que nous l’utilisons aujourd’hui. Mais
les différentes activités qui lui correspondent étaient
dépréciées.
 Le travail comme activité servile
Cf. Arendt, Condition de l’homme moderne (1958).
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+
1. La nécessité de travailler (4)
• Les Grecs opposent deux types d’activités :
1) Les activités qui sont des fins en soi : on les
accomplit pour elles-mêmes.
2) Les activités qui ne sont que des moyens : on les
accomplit pour autre chose.
Si le travail est méprisé, c’est parce qu’il appartient
à la seconde catégorie. On travaille toujours, non
pas pour travailler, mais pour satisfaire ses
besoins et assurer sa conservation.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
1. La nécessité de travailler (5)
• Non seulement le travail n’est pas accompli pour lui-
même, mais il témoigne de « l’asservissement » de
l’homme à l’égard de son être biologique. Comme
les animaux, l’homme a des besoins à satisfaire, et
pour cela, il doit travailler.
→ Chez les Grecs, le travail n’est pas conçu comme
une activité propre à l’homme et qui permettrait son
épanouissement. Le travail n’apporte pas le
bonheur. Il permet seulement de survivre. Pour
accéder au bonheur, il faut être libéré du travail.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
Vie contemplative
Vie active
Le classement des activités chez les Grecs
L’action (praxis)
La production
(poiésis)
La pensée (theoria)
Politique
Ethique
Vie
humaine
L’artisanat
(technè)
Le travail
pénible
(ponos)
Vie
dégradée
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+
1. La nécessité de travailler (6)
 Loisir et jeu
Cf. Aristote, Les politiques, VIII, 3.
• Selon les Grecs, le bonheur réside dans le loisir
(scholè). Contrairement au travail, c’est une activité
libre, qui est sa propre fin. En outre, elle permet le
développement des facultés propres à l’homme.
Vie heureuse = vie authentiquement humaine =
vie de loisir
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+
1. La nécessité de travailler (7)
→ L’homme qui travaille n’est pas encore un homme
: il cherche d’abord à satisfaire ses besoins, et en ce
sens, il reste « animal ». L’homme qui a du loisir, au
contraire, développe son humanité.
• Or, encore faut-il distinguer le loisir et le jeu. Le
loisir grec ne ressemble en rien aux loisirs que nous
pratiquons aujourd’hui et qui relèvent du
divertissement. Avoir du loisir, selon les Grecs, ce
n’est ni jouer ni se divertir.
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+
1. La nécessité de travailler (8)
• Paradoxalement, le jeu est plus proche du travail
que du loisir. Si l’homme « travaille » pour satisfaire
ses besoins, il « joue » pour se délasser de la
fatigue et de la tension, générées par le travail.
• En ce sens, jeu et travail, loin de s’opposer, vont
ensemble : fatigué, le travailleur doit « jouer » pour
pouvoir, plus tard, se remettre à travailler. Le jeu n’a
donc de sens que par rapport au travail. En elle-
même, l’activité de jeu ne vaut rien.
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LOISIRTRAVAIL JEU
Satisfaire
ses besoins
= vivre
Se réaliser
= bien vivre
FIN EN SOIMOYENMOYEN
Délassement
rendu nécessaire
par le travail
≠
Fatigue et
tension
Détente et
plaisir
Plaisir et
bonheur
+
2. Le travail libérateur (1)
→ Problème : peut-on réduire, comme le font les Grecs,
le travail à la nécessité de se conserver ? Est-il
seulement une activité servile ? Ne peut-on pas le
concevoir comme une activité libératrice ?
Nous assistons, à l’époque moderne, à une revalorisation
du travail.
Cf. par exemple, dans le domaine littéraire, La Fontaine,
« Le laboureur et ses enfants », ou encore Voltaire : « Le
travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice
et le besoin » (Candide).
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+
2. Le travail libérateur (2)
a) La prise de conscience de soi dans le travail
Cf. Hegel, La phénoménologie de l’esprit (1807):
« la dialectique du maître et l’esclave ».
 La lutte pour la reconnaissance
• Selon Hegel, l’homme a un désir spécifique : il
désire être reconnu par autrui. Il est convaincu
d’avoir telle ou telle qualité. Mais il pourrait se
tromper. Il a donc besoin qu’autrui reconnaisse qu’il
est bien ce qu’il croit être.
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+
2. Le travail libérateur (3)
→ Nous sommes sensibles au regard qu’autrui porte sur
nous. Nous désirons qu’autrui nous voie tel que nous
nous voyons.
Hegel : « La conscience de soi atteint sa satisfaction
seulement dans une autre conscience de soi ».
Charles Taylor : « La reconnaissance n’est pas
simplement une politesse que l’on fait aux gens : c’est un
besoin humain fondamental ».
Or, ce désir de reconnaissance aboutit à un conflit : les
individus ont tendance à refuser aux autres la
reconnaissance qu’ils exigent pour eux-mêmes.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
2. Le travail libérateur (4)
• Selon Hegel, le conflit qui découle du désir de
reconnaissance se caractérise par le fait que chacun
individu accepte de mettre sa vie en danger.
Pourquoi ?
L’homme est un sujet, c’est-à-dire un être conscient de lui-
même et libre, distinct à la fois des animaux et des choses. En
ce sens, ce qui fait d’un homme un homme, c’est moins son
corps que son esprit ou sa conscience.
Si l’individu veut prouver à l’autre qu’il est bien « un homme »
(une « conscience de soi », un « être pour soi » dit Hegel), il
devra lui montrer qu’il n’est pas dépendant de son corps, et
donc qu’il n’est pas attaché à la vie.
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Je ne suis pas un animal.
Je suis un homme. Je
suis une conscience. Un
être pour soi.
Pour moi, tu n’es
qu’un objet. Je suis
« le » sujet. Je vais
te le montrer …
+
2. Le travail libérateur (5)
 Le résultat de la lutte : le maître et l’esclave
• Le premier qui cède devient l’esclave. Parce qu’il a eu
peur de mourir, il a arrêté la lutte et accepté de
reconnaître l’autre sans être reconnu lui-même. Pour
rester en vie, il renonce à sa liberté et se met au service
de celui qui a gagné, à savoir le maître.
• Le maître, ayant risqué sa vie jusqu’au bout, a satisfait
son désir de reconnaissance. Il est bien ce qu’il croyait
être : un « homme », un « sujet ». Il a montré qu’il n’est
pas attaché à la vie. Il est donc libre.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
2. Le travail libérateur (6)
• Mais l’esclave a-t-il vraiment perdu ?
Contre toute attente, un renversement intervient : la
relation de domination qui semble, à première vue, à
l’avantage du maître, va se révéler à l’avantage de
l’esclave.
Cf. Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de
Hegel.
Grâce à son travail, l’esclave devient maître de la
nature, et par là même, maître du maître. Le maître,
de son côté, ne travaillant pas, finit par devenir
esclave de l’esclave.
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Le maître L’esclave
Héroïsme Peur
Indépendance à l’égard de la vie Attachement à la vie
Reconnaissance comme être pour
soi
Absence de reconnaissance
Jouissance des biens produits par
l’esclave
Travail au service du maître
Dépendance vis-à-vis de l’esclave Libération par le travail
Incapacité à transformer la matière Maîtrise de la nature
Prise de conscience de soi
Stagnation (« identité avec soi-
même »)
Evolution (« Histoire »)
Animalité Humanité
+
2. Le travail libérateur (7)
b) Le travail est le propre de l’homme
Dans la continuité de Hegel, Marx considère le
travail comme une activité propre à l’homme : c’est
en travaillant que l’homme développe son humanité,
et ainsi se distingue des animaux.
« On peut distinguer les hommes des animaux par la
conscience, par la religion et par tout ce que l’on
voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer
des animaux dès qu’ils commencent à produire leurs
moyens d’existence » (L’idéologie allemande).
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
2. Le travail libérateur (6)
→ Marx met l’accent sur trois propriétés essentielles
du travail humain.
 Travail et conscience
Cf. Le capital, I, 3, 7.
Le travail humain est une activité consciente qui
suppose la représentation préalable d’un projet à
réaliser. Contrairement à l’animal, l’homme conçoit
d’abord ce qu’il veut produire. En travaillant, il fait
aussi preuve de volonté : il lutte pour imposer à la
matière inerte la forme qu’il désire.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
2. Le travail libérateur (7)
 Travail et technique
L’autre spécificité du travail humain réside dans la
fabrication et l’utilisation d’outils : l’homme travaille
toujours contre la nature qui lui résiste, mais à partir
d’instruments déjà fabriqués. `
L’outil a un double statut : il est à la fois un produit du
travail et un moyen utilisé par l’homme au cours de son
activité laborieuse. Il n’est pas un bien éphémère voué à
la consommation ; il a vocation à durer. Cf. La notion de
détour de production (Böhm Bawerk).
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+
2. Le travail libérateur (8)
 Travail et liberté
En travaillant, l’homme montre qu’il est capable de
différer la satisfaction de ses besoins et désirs ; en
cela il se distingue radicalement des animaux.
Cf. Marx : L’animal « ne produit que sous l'empire du besoin
physique immédiat, tandis que L’homme produit même libéré
du besoin physique » (Les manuscrits de 1844).
Loin d’être une activité servile, le travail est à la fois libéré (en
ce qu’il n’est pas soumis à la nécessité biologique) et libérateur
(en ce qu’il permet à l’homme de s’affirmer comme tel et de
développer ses facultés).
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+
2. Le travail libérateur (9)
c) Le problème de l’aliénation
Cf. Marx, Manuscrits de 1844.
Là où il y a homme, il y a travail : le travail est
l’essence de l’homme ; être un homme, c’est donc
travailler. Pourtant, la réciproque n’est pas vraie : on
peut concevoir un travail qui déshumanise, qui fait
perdre au travailleur ses propres qualités. Marx en
est conscient, et développe, pour penser ce type de
travail, propre au mode de production capitaliste, le
concept d’aliénation.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
2. Le travail libérateur (10)
 Le concept d’aliénation a une double composante.
• La dépossession psychologique. Le travailleur se
découvre étranger à sa propre activité.
• Son travail le rend malheureux : il « mortifie son corps et
ruine son esprit ».
• Son travail est contraint : « dès qu’il n’existe pas de
contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la
peste ».
→ Le travailleur est réduit au statut d’animal, mû par ses
instincts et l’aiguillon de ses besoins vitaux. Il travaille
seulement pour survivre.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
2. Le travail libérateur (11)
• La dépossession économique. Non seulement le
travailler se perd dans son travail, en devenant
étranger à lui-même, mais il est aussi dépossédé du
fruit de son travail. Le travailleur s’appauvrit ainsi,
tant humainement qu’économiquement.
• Le salaire qu’il gagne, en contrepartie du travail qu’il
fournit, ne lui permet que de reproduire sa force de
travail.
• C’est l’entrepreneur capitaliste qui s’approprie la
richesse créée par le travail sous la forme d’une plus-
value. C’est le principe de l’exploitation.
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Charb, Marx mode d’emploi, avec Daniel Bensaïd, 2009.
Prolétaire Capitaliste
Journée de travail (10h)
Salaire (6h)
= valeur d’échange de
la force de travail
= quantité de travail
nécessaire à la
production et à la
reproduction de la
force de travail
Plus-value (4h)
L’exploitation selon Marx
Surtravail
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
2. Le travail libérateur (12)
 Le travail comme réalité historique
Le travail aliéné, tel qu’il est décrit par Marx, est une
forme historique du travail, propre aux sociétés
modernes, mais il n’est pas « la » vérité du travail.
Il faut donc distinguer le travail comme catégorie
anthropologique, élément invariant qui définit la
condition humaine, et les formes historiques qu’il
peut prendre.
Le travail évolue selon le type de société à laquelle
on appartient et selon l’état du développement
technique.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
2. Le travail libérateur (13)
 La critique de Hannah Arendt
Marx est victime d’une confusion conceptuelle. Il
faut distinguer le travail (labor) et l’œuvre (work).
• Si l’homme travaille, c’est parce qu’il est en vie.
Subordonné à la satisfaction des besoins, le travail
désigne donc une activité répétitive, dont le produit
éphémère est aussitôt consommé : « la marque de tout
travail, c’est de ne rien laisser derrière soi ». En ce
sens, le travail n’est pas le propre de l’homme. Arendt
rejoint, sur ce point, les Grecs.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
2. Le travail libérateur (14)
• Au travail dont la finalité est exclusivement naturelle
s’oppose l’œuvre qui a une dimension culturelle : « elle
fournit un monde “artificiel” d’objets, nettement différent de
tout milieu naturel ».
L’homme ne se contente pas de produire des biens
éphémères à consommer : il produit aussi des biens dont la
vocation est de durer. Si les animaux « travaillent », seul
l’homme « œuvre » ; il produit alors un monde à son image,
un monde humain.
Le reproche que Arendt adresse à Marx (comme à Hegel),
c’est d’attribuer au travail des vertus qui sont le propre de
l’œuvre.
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+
3. La fin du travail ? (1)
→ Transition. Le travail n’est pas seulement une
nécessité vitale ou une contrainte imposée par la
société : c’est une obligation de l’homme. Celui-ci
doit travailler pour développer ses facultés, se
réaliser.
Il n’en reste pas moins vrai que la réalité du travail,
dans la majorité des cas, ne contribue pas à
l’épanouissement des individus. Le travail peut être
aliénant. Si c’est le cas, pourquoi continuons-nous à
valoriser, voire à glorifier le travail ?
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
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3. La fin du travail ? (2)
a) Le travail comme police
Cf. Nietzsche, Aurore, III, §173.
La glorification du travail, loin d’être innocente, a une
finalité politique. Le travail est valorisé, non pas pour
l’épanouissement qu’il procure à l’individu, mais pour la
sécurité qu’il apporte à la société.
Le travail, en particulier lorsqu’il est aliénant, est « la
meilleure des polices », précisément parce qu’il rend la
police inutile.
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+
3. La fin du travail ? (3)
Tant que les individus travaillent, ils n’ont ni le temps ni
l’énergie de réfléchir. Spontanément, ils obéissent. Ils
n’ont même pas l’idée de se révolter. Le travail apparaît
comme une forme de contrôle social d’autant plus
efficace qu’il agit de manière insidieuse.
Les individus croient, en travaillant, veiller à leur propre
intérêt. En fait, sans le savoir, ils se nuisent à eux-
mêmes. En travaillant, ils assurent, certes, leur survie,
mais, leur individualité s’appauvrit. Leur seul objectif
étant le salaire, semblables les uns aux autres, ils restent
dans le rang.
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+
3. La fin du travail ? (4)
b) Pour une société du loisir
Cf. Russell, Eloge de l’oisiveté (1932)
Double thèse :
1) On peut réduire le temps de travail, grâce au progrès
technique.
2) On a tort de valoriser le travail. Il faut reconsidérer le
loisir. Celui-ci est bénéfique non seulement pour
l’individu (il est nécessaire pour mener une vie
heureuse) mais aussi pour la société (il contribue au
développement de la civilisation).
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+
3. La fin du travail ? (5)
• L’origine du dogme du travail
Au cours de l’histoire, il y a toujours eu une minorité qui
ne travaillait pas et qui faisait travailler les autres. Elle a
eu d’abord recours à la force pour se faire obéir.
Mais l’usage de la force a des limites. 1) Tout rapport
de force est précaire : celui qui domine peut, à chaque
instant, se faire renverser. 2) Il faut sans cesse
surveiller l’autre. La force est non seulement inefficace,
mais aussi coûteuse. Elle contraint, mais elle n’oblige
pas.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
3. La fin du travail ? (6)
Il faut trouver une autre
solution. Il faut faire en sorte
que les individus fassent par
eux-mêmes ce qu’on veut
qu’ils fassent. Pour cela, il
suffit de les convaincre que
le travail est un devoir.
L’éthique du travail est donc
une ruse : au lieu de
contraindre les corps, on
manipule les esprits.
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+
3. La fin du travail ? (7)
• Les conséquences absurdes du dogme
Il faut prendre acte du gain de productivité permis par le
progrès technique, et en profiter pour réduire le temps de
travail. On pourrait ainsi « démocratiser » le loisir !
Si nous n’avons réduit le temps de travail, alors qu’il aurait
été rationnel de le faire, c’est parce que, selon Russell, nous
sommes prisonniers du dogme du travail.
Les conséquences sont absurdes : certains continuent à
s’épuiser au travail, tandis que d’autres sont au chômage et
sont menacés par la pauvreté.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
+
ATTENTION DANGER
TRAVAIL (2003)
Un film de Pierre Carles
Christophe Coello et
Stéphane Goxe.
+
Suggestions de lecture (pour aller
plus loin)
 Dominique Méda, Le travail. Une valeur en voie de
disparition, Flammarion, « Champs », 1995.
 André Gorz, Métamorphoses du travail. Critique de la raison
économique, Gallimard, « Folio essais », 2004 (1988).
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Pourquoi travaillons-nous? (G.Gay-Para)

  • 1. + Pourquoi travaillons- nous ?GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 2. + INTRODUCTION (1)  Le problème de la définition du travail Au sens large du terme, par « travail », on entend toute activité pénible, qui exige des efforts, qu’ils soient physiques ou intellectuels. Cf. l’étymologie latine du mot « travail » : le tripalium désigne un instrument de torture formé de trois pieux, qui sert aussi à ferrer les chevaux. La notion de travail renvoie donc, en premier lieu, à l’idée de douleur ou de souffrance. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 3. + INTRODUCTION (2) Au sens strict, par « travail », on entend aujourd’hui une activité utile socialement, et qui fait l’objet d’une rémunération. Le terme est alors synonyme d’« emploi ». Dans notre société, pris en ce sens, le travail est doublement important. 1) D’un point de vue économique : on travaille « pour gagner sa vie », pour assurer sa subsistance. 2) D’un point de vue social : le travail est un vecteur d’intégration. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 4. + INTRODUCTION (3)  Le paradoxe de la société actuelle Cf. Dominique Méda, Le travail. Une valeur en voie de disparition (1995). Grâce au progrès technique, nous avons gagné en productivité : nous pouvons produire davantage, en moins de temps, et en travaillant moins. Paradoxalement, ce qui pourrait être une bonne nouvelle est vécu comme un cauchemar. Au lieu de nous réjouir, nous redoutons la « fin du travail ». Pourquoi ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 5. + INTRODUCTION (4) Réponse de Dominique Méda : nous sommes victimes de nos préjugés. Spontanément, nous considérons que le chômage est le pire des maux. Pour nous, c’est évident : il faut travailler. Mais est- ce si évident ? Si le chômage de masse qui frappe les pays occidentaux n’est pas conjoncturel, mais structurel, les politiques qui visent à « sauver l’emploi » sont condamnées à l’échec. → Il faudrait plutôt repenser la place que nous accordons au travail dans notre société. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 6. + INTRODUCTION (5)  Problématisation Pourquoi continuons-nous donc à travailler ? 1. Il faut interroger le rapport entre le travail et la technique. La fin du travail est-elle seulement possible ? Faut-il espérer que le progrès technique nous libère du travail ? 2. Le rapport entre le travail et le bonheur est aussi problématique. La fin du travail, même si elle était possible, ne serait peut-être pas souhaitable. Peut-on être heureux sans travailler ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 7. + INTRODUCTION (6) 3. Il faut interroger enfin le rapport entre le travail et la liberté. Le travail est-il une activité servile ? La nécessité de satisfaire ses besoins et de se conserver est-elle sa seule raison d’être ? Ne permet-il pas aussi à l’homme de prendre conscience de lui-même et de développer son humanité ? En ce sens, n’est-il pas libérateur ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 8. + 1. La nécessité de travailler (1) a) Le travail comme malédiction Pour l’homme, le travail est une nécessité, car il a des besoins qu’il ne peut pas satisfaire immédiatement. La malédiction de l’homme est double : 1) il est naturellement fragile ; 2) il est confronté à une nature hostile.  Le mythe de Prométhée : la fragilité naturelle de l’homme. Cf. Platon, Protagoras. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 9. + 1. La nécessité de travailler (2)  Le récit de la Genèse : le travail comme conséquence du péché originel. « Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais formellement prescrit de ne pas manger, le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des champs. À la sueur de ton front tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes au sol car c’est de lui que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras. » GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 10. + 1. La nécessité de travailler (3) b) La conception grecque du travail NB : le grec ancien n’a pas d’équivalent pour le mot « travail » tel que nous l’utilisons aujourd’hui. Mais les différentes activités qui lui correspondent étaient dépréciées.  Le travail comme activité servile Cf. Arendt, Condition de l’homme moderne (1958). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 11. + 1. La nécessité de travailler (4) • Les Grecs opposent deux types d’activités : 1) Les activités qui sont des fins en soi : on les accomplit pour elles-mêmes. 2) Les activités qui ne sont que des moyens : on les accomplit pour autre chose. Si le travail est méprisé, c’est parce qu’il appartient à la seconde catégorie. On travaille toujours, non pas pour travailler, mais pour satisfaire ses besoins et assurer sa conservation. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 12. + 1. La nécessité de travailler (5) • Non seulement le travail n’est pas accompli pour lui- même, mais il témoigne de « l’asservissement » de l’homme à l’égard de son être biologique. Comme les animaux, l’homme a des besoins à satisfaire, et pour cela, il doit travailler. → Chez les Grecs, le travail n’est pas conçu comme une activité propre à l’homme et qui permettrait son épanouissement. Le travail n’apporte pas le bonheur. Il permet seulement de survivre. Pour accéder au bonheur, il faut être libéré du travail. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 13. Vie contemplative Vie active Le classement des activités chez les Grecs L’action (praxis) La production (poiésis) La pensée (theoria) Politique Ethique Vie humaine L’artisanat (technè) Le travail pénible (ponos) Vie dégradée GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 14. + 1. La nécessité de travailler (6)  Loisir et jeu Cf. Aristote, Les politiques, VIII, 3. • Selon les Grecs, le bonheur réside dans le loisir (scholè). Contrairement au travail, c’est une activité libre, qui est sa propre fin. En outre, elle permet le développement des facultés propres à l’homme. Vie heureuse = vie authentiquement humaine = vie de loisir GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 15. + 1. La nécessité de travailler (7) → L’homme qui travaille n’est pas encore un homme : il cherche d’abord à satisfaire ses besoins, et en ce sens, il reste « animal ». L’homme qui a du loisir, au contraire, développe son humanité. • Or, encore faut-il distinguer le loisir et le jeu. Le loisir grec ne ressemble en rien aux loisirs que nous pratiquons aujourd’hui et qui relèvent du divertissement. Avoir du loisir, selon les Grecs, ce n’est ni jouer ni se divertir. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 16. + 1. La nécessité de travailler (8) • Paradoxalement, le jeu est plus proche du travail que du loisir. Si l’homme « travaille » pour satisfaire ses besoins, il « joue » pour se délasser de la fatigue et de la tension, générées par le travail. • En ce sens, jeu et travail, loin de s’opposer, vont ensemble : fatigué, le travailleur doit « jouer » pour pouvoir, plus tard, se remettre à travailler. Le jeu n’a donc de sens que par rapport au travail. En elle- même, l’activité de jeu ne vaut rien. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 17. LOISIRTRAVAIL JEU Satisfaire ses besoins = vivre Se réaliser = bien vivre FIN EN SOIMOYENMOYEN Délassement rendu nécessaire par le travail ≠ Fatigue et tension Détente et plaisir Plaisir et bonheur
  • 18. + 2. Le travail libérateur (1) → Problème : peut-on réduire, comme le font les Grecs, le travail à la nécessité de se conserver ? Est-il seulement une activité servile ? Ne peut-on pas le concevoir comme une activité libératrice ? Nous assistons, à l’époque moderne, à une revalorisation du travail. Cf. par exemple, dans le domaine littéraire, La Fontaine, « Le laboureur et ses enfants », ou encore Voltaire : « Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin » (Candide). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 19. + 2. Le travail libérateur (2) a) La prise de conscience de soi dans le travail Cf. Hegel, La phénoménologie de l’esprit (1807): « la dialectique du maître et l’esclave ».  La lutte pour la reconnaissance • Selon Hegel, l’homme a un désir spécifique : il désire être reconnu par autrui. Il est convaincu d’avoir telle ou telle qualité. Mais il pourrait se tromper. Il a donc besoin qu’autrui reconnaisse qu’il est bien ce qu’il croit être. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 20. + 2. Le travail libérateur (3) → Nous sommes sensibles au regard qu’autrui porte sur nous. Nous désirons qu’autrui nous voie tel que nous nous voyons. Hegel : « La conscience de soi atteint sa satisfaction seulement dans une autre conscience de soi ». Charles Taylor : « La reconnaissance n’est pas simplement une politesse que l’on fait aux gens : c’est un besoin humain fondamental ». Or, ce désir de reconnaissance aboutit à un conflit : les individus ont tendance à refuser aux autres la reconnaissance qu’ils exigent pour eux-mêmes. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 21. + 2. Le travail libérateur (4) • Selon Hegel, le conflit qui découle du désir de reconnaissance se caractérise par le fait que chacun individu accepte de mettre sa vie en danger. Pourquoi ? L’homme est un sujet, c’est-à-dire un être conscient de lui- même et libre, distinct à la fois des animaux et des choses. En ce sens, ce qui fait d’un homme un homme, c’est moins son corps que son esprit ou sa conscience. Si l’individu veut prouver à l’autre qu’il est bien « un homme » (une « conscience de soi », un « être pour soi » dit Hegel), il devra lui montrer qu’il n’est pas dépendant de son corps, et donc qu’il n’est pas attaché à la vie. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 22. Je ne suis pas un animal. Je suis un homme. Je suis une conscience. Un être pour soi. Pour moi, tu n’es qu’un objet. Je suis « le » sujet. Je vais te le montrer …
  • 23. + 2. Le travail libérateur (5)  Le résultat de la lutte : le maître et l’esclave • Le premier qui cède devient l’esclave. Parce qu’il a eu peur de mourir, il a arrêté la lutte et accepté de reconnaître l’autre sans être reconnu lui-même. Pour rester en vie, il renonce à sa liberté et se met au service de celui qui a gagné, à savoir le maître. • Le maître, ayant risqué sa vie jusqu’au bout, a satisfait son désir de reconnaissance. Il est bien ce qu’il croyait être : un « homme », un « sujet ». Il a montré qu’il n’est pas attaché à la vie. Il est donc libre. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 24. + 2. Le travail libérateur (6) • Mais l’esclave a-t-il vraiment perdu ? Contre toute attente, un renversement intervient : la relation de domination qui semble, à première vue, à l’avantage du maître, va se révéler à l’avantage de l’esclave. Cf. Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel. Grâce à son travail, l’esclave devient maître de la nature, et par là même, maître du maître. Le maître, de son côté, ne travaillant pas, finit par devenir esclave de l’esclave. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 25. Le maître L’esclave Héroïsme Peur Indépendance à l’égard de la vie Attachement à la vie Reconnaissance comme être pour soi Absence de reconnaissance Jouissance des biens produits par l’esclave Travail au service du maître Dépendance vis-à-vis de l’esclave Libération par le travail Incapacité à transformer la matière Maîtrise de la nature Prise de conscience de soi Stagnation (« identité avec soi- même ») Evolution (« Histoire ») Animalité Humanité
  • 26. + 2. Le travail libérateur (7) b) Le travail est le propre de l’homme Dans la continuité de Hegel, Marx considère le travail comme une activité propre à l’homme : c’est en travaillant que l’homme développe son humanité, et ainsi se distingue des animaux. « On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion et par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils commencent à produire leurs moyens d’existence » (L’idéologie allemande). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 27. + 2. Le travail libérateur (6) → Marx met l’accent sur trois propriétés essentielles du travail humain.  Travail et conscience Cf. Le capital, I, 3, 7. Le travail humain est une activité consciente qui suppose la représentation préalable d’un projet à réaliser. Contrairement à l’animal, l’homme conçoit d’abord ce qu’il veut produire. En travaillant, il fait aussi preuve de volonté : il lutte pour imposer à la matière inerte la forme qu’il désire. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 28. + 2. Le travail libérateur (7)  Travail et technique L’autre spécificité du travail humain réside dans la fabrication et l’utilisation d’outils : l’homme travaille toujours contre la nature qui lui résiste, mais à partir d’instruments déjà fabriqués. ` L’outil a un double statut : il est à la fois un produit du travail et un moyen utilisé par l’homme au cours de son activité laborieuse. Il n’est pas un bien éphémère voué à la consommation ; il a vocation à durer. Cf. La notion de détour de production (Böhm Bawerk). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 29. + 2. Le travail libérateur (8)  Travail et liberté En travaillant, l’homme montre qu’il est capable de différer la satisfaction de ses besoins et désirs ; en cela il se distingue radicalement des animaux. Cf. Marx : L’animal « ne produit que sous l'empire du besoin physique immédiat, tandis que L’homme produit même libéré du besoin physique » (Les manuscrits de 1844). Loin d’être une activité servile, le travail est à la fois libéré (en ce qu’il n’est pas soumis à la nécessité biologique) et libérateur (en ce qu’il permet à l’homme de s’affirmer comme tel et de développer ses facultés). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 30. + 2. Le travail libérateur (9) c) Le problème de l’aliénation Cf. Marx, Manuscrits de 1844. Là où il y a homme, il y a travail : le travail est l’essence de l’homme ; être un homme, c’est donc travailler. Pourtant, la réciproque n’est pas vraie : on peut concevoir un travail qui déshumanise, qui fait perdre au travailleur ses propres qualités. Marx en est conscient, et développe, pour penser ce type de travail, propre au mode de production capitaliste, le concept d’aliénation. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 31. + 2. Le travail libérateur (10)  Le concept d’aliénation a une double composante. • La dépossession psychologique. Le travailleur se découvre étranger à sa propre activité. • Son travail le rend malheureux : il « mortifie son corps et ruine son esprit ». • Son travail est contraint : « dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste ». → Le travailleur est réduit au statut d’animal, mû par ses instincts et l’aiguillon de ses besoins vitaux. Il travaille seulement pour survivre. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 32. + 2. Le travail libérateur (11) • La dépossession économique. Non seulement le travailler se perd dans son travail, en devenant étranger à lui-même, mais il est aussi dépossédé du fruit de son travail. Le travailleur s’appauvrit ainsi, tant humainement qu’économiquement. • Le salaire qu’il gagne, en contrepartie du travail qu’il fournit, ne lui permet que de reproduire sa force de travail. • C’est l’entrepreneur capitaliste qui s’approprie la richesse créée par le travail sous la forme d’une plus- value. C’est le principe de l’exploitation. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 33. Charb, Marx mode d’emploi, avec Daniel Bensaïd, 2009.
  • 34. Prolétaire Capitaliste Journée de travail (10h) Salaire (6h) = valeur d’échange de la force de travail = quantité de travail nécessaire à la production et à la reproduction de la force de travail Plus-value (4h) L’exploitation selon Marx Surtravail GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 35. + 2. Le travail libérateur (12)  Le travail comme réalité historique Le travail aliéné, tel qu’il est décrit par Marx, est une forme historique du travail, propre aux sociétés modernes, mais il n’est pas « la » vérité du travail. Il faut donc distinguer le travail comme catégorie anthropologique, élément invariant qui définit la condition humaine, et les formes historiques qu’il peut prendre. Le travail évolue selon le type de société à laquelle on appartient et selon l’état du développement technique. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 36. + 2. Le travail libérateur (13)  La critique de Hannah Arendt Marx est victime d’une confusion conceptuelle. Il faut distinguer le travail (labor) et l’œuvre (work). • Si l’homme travaille, c’est parce qu’il est en vie. Subordonné à la satisfaction des besoins, le travail désigne donc une activité répétitive, dont le produit éphémère est aussitôt consommé : « la marque de tout travail, c’est de ne rien laisser derrière soi ». En ce sens, le travail n’est pas le propre de l’homme. Arendt rejoint, sur ce point, les Grecs. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 37. + 2. Le travail libérateur (14) • Au travail dont la finalité est exclusivement naturelle s’oppose l’œuvre qui a une dimension culturelle : « elle fournit un monde “artificiel” d’objets, nettement différent de tout milieu naturel ». L’homme ne se contente pas de produire des biens éphémères à consommer : il produit aussi des biens dont la vocation est de durer. Si les animaux « travaillent », seul l’homme « œuvre » ; il produit alors un monde à son image, un monde humain. Le reproche que Arendt adresse à Marx (comme à Hegel), c’est d’attribuer au travail des vertus qui sont le propre de l’œuvre. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 38. + 3. La fin du travail ? (1) → Transition. Le travail n’est pas seulement une nécessité vitale ou une contrainte imposée par la société : c’est une obligation de l’homme. Celui-ci doit travailler pour développer ses facultés, se réaliser. Il n’en reste pas moins vrai que la réalité du travail, dans la majorité des cas, ne contribue pas à l’épanouissement des individus. Le travail peut être aliénant. Si c’est le cas, pourquoi continuons-nous à valoriser, voire à glorifier le travail ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 39. + 3. La fin du travail ? (2) a) Le travail comme police Cf. Nietzsche, Aurore, III, §173. La glorification du travail, loin d’être innocente, a une finalité politique. Le travail est valorisé, non pas pour l’épanouissement qu’il procure à l’individu, mais pour la sécurité qu’il apporte à la société. Le travail, en particulier lorsqu’il est aliénant, est « la meilleure des polices », précisément parce qu’il rend la police inutile. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 40. + 3. La fin du travail ? (3) Tant que les individus travaillent, ils n’ont ni le temps ni l’énergie de réfléchir. Spontanément, ils obéissent. Ils n’ont même pas l’idée de se révolter. Le travail apparaît comme une forme de contrôle social d’autant plus efficace qu’il agit de manière insidieuse. Les individus croient, en travaillant, veiller à leur propre intérêt. En fait, sans le savoir, ils se nuisent à eux- mêmes. En travaillant, ils assurent, certes, leur survie, mais, leur individualité s’appauvrit. Leur seul objectif étant le salaire, semblables les uns aux autres, ils restent dans le rang. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 41. + 3. La fin du travail ? (4) b) Pour une société du loisir Cf. Russell, Eloge de l’oisiveté (1932) Double thèse : 1) On peut réduire le temps de travail, grâce au progrès technique. 2) On a tort de valoriser le travail. Il faut reconsidérer le loisir. Celui-ci est bénéfique non seulement pour l’individu (il est nécessaire pour mener une vie heureuse) mais aussi pour la société (il contribue au développement de la civilisation). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 42. + 3. La fin du travail ? (5) • L’origine du dogme du travail Au cours de l’histoire, il y a toujours eu une minorité qui ne travaillait pas et qui faisait travailler les autres. Elle a eu d’abord recours à la force pour se faire obéir. Mais l’usage de la force a des limites. 1) Tout rapport de force est précaire : celui qui domine peut, à chaque instant, se faire renverser. 2) Il faut sans cesse surveiller l’autre. La force est non seulement inefficace, mais aussi coûteuse. Elle contraint, mais elle n’oblige pas. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 43. + 3. La fin du travail ? (6) Il faut trouver une autre solution. Il faut faire en sorte que les individus fassent par eux-mêmes ce qu’on veut qu’ils fassent. Pour cela, il suffit de les convaincre que le travail est un devoir. L’éthique du travail est donc une ruse : au lieu de contraindre les corps, on manipule les esprits. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 44. + 3. La fin du travail ? (7) • Les conséquences absurdes du dogme Il faut prendre acte du gain de productivité permis par le progrès technique, et en profiter pour réduire le temps de travail. On pourrait ainsi « démocratiser » le loisir ! Si nous n’avons réduit le temps de travail, alors qu’il aurait été rationnel de le faire, c’est parce que, selon Russell, nous sommes prisonniers du dogme du travail. Les conséquences sont absurdes : certains continuent à s’épuiser au travail, tandis que d’autres sont au chômage et sont menacés par la pauvreté. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015
  • 45. + ATTENTION DANGER TRAVAIL (2003) Un film de Pierre Carles Christophe Coello et Stéphane Goxe.
  • 46. + Suggestions de lecture (pour aller plus loin)  Dominique Méda, Le travail. Une valeur en voie de disparition, Flammarion, « Champs », 1995.  André Gorz, Métamorphoses du travail. Critique de la raison économique, Gallimard, « Folio essais », 2004 (1988). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2014-2015