1. Comtesse
Le magazine pour les femmes dans l’air du temps
Numéro du 6 juillet
1759
2. Article à la une : histoires de
femmes
Journaliste : Aujourd’hui, nous accueillons deux de nos plus fidèles
lectrices : Mademoiselle Cunégonde et une femme voulant rester anonyme.
Elles vous parleront de leur conditions, et de leur place dans la société en
tant que femmes, à notre époque. Bonjour Cunégonde : racontez nous un
peu votre parcours.
Cunégonde : Je suis née de bonne famille. Mon père était un puissant
Baron de Westphalie, le Baron de Thunder-ten-tronck. J’étais élevée et
instruite par le meilleur philosophe de toute la région : Pangloss, et j’avais
un doux et bon amant qui répondait au nom de Candide. J’avais tout pour
vivre heureuse.
Journaliste : Qu’est ce qui a fait basculer votre vie ?
Cunégonde : Un jour froid et sombre, les soldats bulgare sont arrivés au
château. Il ne leur a pas fallu plus de deux minutes pour gâcher ce qu’il
restait de ma vie. Après m’avoir éventrée et violée, ils m’ont capturée, ont
fait de moi leur cuisinière, moi, qui était habituée au confort et au luxe de
mon château. Ils m’ont ensuite vendue, puis re-vendue, encore et encore.
J’ai finalement parvenu à m’échapper de chez un de mes acheteurs. J’ai
ensuite dû fuir avec mon amant, retrouvé en route, et une autre servante
dans le même cas que moi.
Journaliste : Que pensez vous de la façon dont vous avez été traité tout
au long de votre vie ?
Cunégonde : Je suis a la fois déçue et satisfaite. Bien sûr, je n’aurais
jamais du vivre toutes ces horreurs, mais cela m’as fait ouvrir les yeux sur
quelque chose : les hommes n’ont pas conscience de notre existence. Ils
nous maltraitent, nous prennent pour des objets, nous battent, nous violent,
et n’hésitent pas a tuer certaines d’entre nous sans aucun scrupule. Les
hommes sont les seuls responsables de ce qui m’est arrivé. C’est pourquoi
je m’adresse à vous, lectrices. Rebellons nous ! Prenons notre
indépendance ! Nous ne sommes pas plus faibles qu’eux ! Ils faut qu’ils
prennent consciences qu’on ne sert pas qu’à assouvir leurs besoins, les
3. Journaliste : Merci, Cunégonde de ce message qui fera peut être
jaillir une étincelle de révolte dans le cœur des femmes les plus
désespérée. Nous nous tournons maintenant vers vous, madame.
Quelle vie avez-vous vécue jusqu’ici ?
Madame : J’ai vécu mes quatorze premières année dans le
comble du confort : j’étais la fille du pape Urbain X et de la
princesse de Palestrine. Je vivais dans un palais plus que luxueux,
avec plus de domestiques que la terre ne peut supporter, et les plus
belles robes serties des plus beaux joyaux du monde. J’étais belle,
très belle. Sans doute plus belle que toutes les reines de la terre.
J’étais fiancée au plus beau et au plus doux des princes.
Malheureusement, après une visite chez une vieille femme aigrie, il
est décédé dans de violentes convulsions. Mais ce n’est rien face à
ce que j’ai vécu plus tard. Embarquées dans une galère avec ma
mère, nous voilà abordées par des pirates. Ils étaient violents,
méchants, et ils ont profité du fait que nous soyons presque
exclusivement des filles pour nous violer et nous découper, une à
une. Ils ont tranché la tête de ma mère devant moi. Je n’avais que
quinze ans et j’étais déjà détruite.
Journaliste : Que s’est-il passé ensuite ?
Madame : J’ai erré, j’ai été revendue, deçà, delà. Puis j’ai croisé le
destin de Cunégonde. J’avais à présent un but dans ma vie :
prendre soin de cette jeune fille, elle-même déshonorée est
anéantie par les hommes.
Journaliste : Vous avez donc consacré le reste de votre vie pour
celle de cette jeune fille.
Madame : Exact. Et je ne le regrette pas. Ma vie ne vaut plus rien
de toute manière. C’est ma façon de me venger des hommes, et de