Lettre Exprimeo : la fonction des sondages connait une mutation (2/3)
1. N°256 - du 22 au 28 mars 2011
Sondomanie :
vers une
gouvernance des
sondages ? (2/3)
2. Sondomanie :
une gouvernance
des sondages ?
Les véritables apports
des sondages
Les sondages procurent
des informations sur les
comportements de vote
des électeurs, la notoriété
et la popularité des per-
sonnalités.
En les étudiant, il importe
constamment de garder à
l’esprit trois considéra-
tions :
- La majorité ne fait
pas toute l’opinion : au
résultat «59 % des élec-
teurs pensent que…», il
ne faut pas traduire les
«é le cte ur s pense nt
que… ».
- L’intelligence des pe-
tits chiffres : les princi-
paux enseignements d’un
sondage résident davan-
tage dans les ventilations
(politiques, catégories so-
cio-professionnelles, géo-
graphiques…) et dans les
croisements que dans les
résultats bruts globaux.
De même, les sondages
ne sont-ils jamais d’une
exactitude absolue. Ils
comportent une marge
d’erreur plus ou moins
grande en fonction de la
taille et des qualités de
l’échantillon.
- Le sondage est un po-
laroïd qui s’efface :
photographies de l’opinion
à un moment précis, les
chiffres vivent un mouve-
ment permanent.
Ces précautions prises,
un sondage offre un atout
irremplaçable.
Il permet de déterminer
les cibles.
Pour l’essentiel, la meil-
leure campagne électora-
le possible consiste à s’a-
dresser aux «électorats
retenus pour cibles» dans
des termes de nature à
ne pas trop mobiliser les
électorats adversaires
tout en assurant l’adhé-
sion des «électorats sou-
tiens».
Il importe de distinguer
deux catégories de son-
dages : les sondages de
repérage et les sondages
de dépistage.
Les premiers visent à
donner des repères précis
pour la détermination de
la stratégie de campagne,
le planning, l’organisation
des opérations.
Les seconds consistent,
sur une périodicité plus
brève, à «prendre la tem-
pérature» de l’électorat
(et surtout des électorats
indécis) au fur et à mesu-
re que l’échéance appro-
che.
Les sondages de repé-
rage
Les objectifs d’informa-
tions à collecter sont
clairs. Pour l’essentiel, ils
sont au nombre de six :
- Qui sont les électeurs
indécis qui feront sou-
vent la décision (âges,
sexes, localités, catégo-
r i e s s o c i o -
2
3. Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (2/3)
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Karl Rove ou le push
polling
Karl Rove, ex-Conseiller de
GW Bush, traîne une mauvaise
réputation. Elle est pour partie
fondée tant il a monté des
coups bas pour le moins éloi-
gnés d’une éthique indispen-
sable. Mais il s’est avéré très
imaginatif et très efficace. La
dernière semaine en 2008 au-
rait été très «sportive» si la
crise financière n’avait pas
frappé. Avec d’autres métho-
des, il a pris la suite de Ri-
chard Wirthlin qui avait été un
«maître es opinion» auprès de
R. Reagan.
4. professionnelles, préfé-
rences partisanes,…) ?
- Quels sont les thèmes
porteurs (préoccupations
majeures, rejets confir-
més, attentes consensuel-
les,…) ?
- Qui sont les «Pour» et
les «Contre» ?
- Sur quels comporte-
ments et à quels thèmes
réagissent-ils (réflexes
de mobilisation) ?
- Quel est le profil perçu
d’un candidat (notoriété,
bonnes/mauvaises opi-
nions, qualités, défauts,
…) et les profils de ses
concurrents ?
- Quels sont les adhésions
et les rejets face à des
propositions éventuelles
dans le cadre d’un pro-
gramme ?
Les sondages de dépis-
tage
Il s’agit de sondages, sur
des échantillons plus ré-
duits, qui ponctuent les
mouvements des électo-
rats au fur et à mesure
du déroulement de la
campagne.
Ces informations doivent
être disponibles très rapi-
dement.
La raison d’être de ces
sondages est unique :
bien vérifier l’impact de la
stratégie définie après le
ou les sondage(s) de re-
pérage.
Pour l’essentiel, cinq indi-
cateurs sont décisifs :
- Le positionnement
sur l’échelle Droite/
Gauche
Quelle force politique do-
mine ?
Chaque force politique et
son profil : âges, sexes,
C.S.P., localités,…
- Les préférences parti-
sanes
Cette question permet de
répondre au point sui-
vant : une étiquette poli-
tique précise est-elle un
«plus» ou un frein ?
- L’opinion publique et
le pouvoir national
Chaque élection est
«contaminée» par l’état
de satisfaction ou d’insa-
tisfaction du pouvoir na-
tional en exercice.
Quels sont l’état d’insatis-
faction et le degré de po-
litisation du scrutin ?
- Connaissance et per-
ception des personnali-
tés en présence
Il s’agit de déterminer les
points forts et les points
faibles de chaque candi-
dat et d’établir un dia-
gramme précis des quali-
tés et des défauts perçus.
Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (2/3)
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5. - Les facteurs des com-
portements de votes
Sur ce point, il s’agit de
déterminer la hiérarchie
des enjeux de vie quoti-
dienne notamment.
L’essentiel réside dans l’i-
dentification des points de
divorces dans deux do-
maines :
- l’appréciation du bilan
en général sur l’ensemble
de la ville et l’appréciation
de proximité c'est-à-dire
au niveau du quartier,
- les qualités attendues
pour la fonction en com-
pétition et les qualités
perçues des candidats en
présence.
Ces deux critères portent
les véritables fenêtres de
tirs ; d’où leur importance
toute particulière.
Cette présentation détail-
lée ramène le sondage à
ses vocations premières :
être un outil de connais-
sance et de mesure pour
mieux décider.
Or, face à cette fonction
initiale, les sondages ont
été instrumentalisés pour
évoluer vers d’autres
fonctions.
La place de plus en
plus importante du
push polling
La technique dite du
«push polling» est sim-
ple.
Il s’agit de poser des
questions biaisées lors
d’un sondage pour modi-
fier les intentions de vo-
tes des électeurs.
Alors, le sondage ne porte
pas seulement comme
message le chiffre qui
donne la photographie de
l’électorat sur une ques-
tion donnée mais c’est
l’existence même du
contenu de la question
qui devient le message.
Aux Etats-Unis, un
conseiller en communica-
tion, Karl Rove, était de-
venu un spécialiste de
cette technique.
Ainsi, en 1994, il com-
mande un sondage qui,
parmi les questions, com-
porte la question suivante
«voteriez-vous toujours
pour Ann Richards pour le
poste de Gouverneur du
Texas en sachant que son
équipe est entièrement
composée de lesbien-
nes ?».
Il transforme le sondage
d’outil quasi-scientifique
en instrument d’un mes-
sage au «hasard» d’une
question.
Cette technique est enco-
re peu répandue en Fran-
ce compte tenu de la
déontologie des grands
organismes de sondages
qui sont les défenseurs de
critères scientifiques et
Karl Rove et les
«sondages tordus»...
Une légende entoure Karl
Rove.
Il fut longtemps le
Conseiller le plus proche
du Président Bush. Sa ré-
putation est sulfureuse
mais établissant aussi une
incontestable efficacité.
La réputation sulfureuse
résulte d’une succession
de «coups tordus» prêtés
à l’intéressé.
Le premier d’entre eux
aurait débuté à l’âge de
20 ans quand, dans l’Illi-
nois, Karl Rove se présen-
te comme un supporter
d’un candidat démocrate,
lui dérobe du papier à en
tête et transforme chacu-
ne de ses réunions publi-
ques en annonces de fê-
tes avec «filles et bière
gratuite» distribuées aux
marginaux et aux clo-
chards.
Le candidat démocrate a
été ensuite dans l’incapa-
cité de tenir une réunion
publique … tant les margi-
naux ont été nombreux !
Né en 1950 au Colorado,
il est l’indiscutable maître
d’œuvre des deux campa-
gnes présidentielles de
GW Bush. Il était le spé-
cialiste des campagnes
négatives et effectue ac-
tuellement un retour en
force au sein du Parti Ré-
publicain.
Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (2/3)
5
6. peu emportés par de sim-
ples considérations com-
merciales.
Il a reproduit méthodi-
quement ce système lors
de la présidentielle de
2000 à l’occasion de la
primaire difficile contre
McCain en demandant si
«les électeurs voteraient
pour McCain si celui-ci
s’était rendu coupable de
trahison durant sa guerre
du Viet-Nam».
Karl Rove reproduira le
même dispositif lors de la
campagne de 2004 contre
Kerry au moment où ce-
lui-ci caracole en tête des
sondages.
En revanche, il y a un do-
maine où la France n’est
pas en retard ; c’est celui
de l’organisation de la
spirale auto-entretenue
du succès ou de la défai-
te.
Un vieil adage populaire
dit que la «victoire vole
au secours de ...la victoi-
re».
Il est certain qu’un son-
dage très favorable à un
candidat conforte ce can-
didat et dégage ainsi une
spirale qui s’entretient
d’elle-même.
Dans ce cas, on assiste à
une indiscutable instru-
mentalisation du sondage
qui n’est plus un outil de
collecte d’informations
fiables mais un moyen
pour influencer l’opinion.
Cette situation est d’au-
tant plus importante que
l’ancrage idéologique de
l’électorat diminue le ren-
dant plus perméable à
des effets de mode.
En France, la grille de cli-
vage demeure encore en-
tre la droite et la gauche.
La détermination d’une
«approche de gauche»
réside pour l’essentiel
dans la place reconnue à
un Etat fort intervention-
niste opérant un contrôle
administratif détaillé des
activités économiques
tout particulièrement pour
le motif officiel de bonne
régulation et conduisant
par ailleurs des program-
mes d’actions publiques
dans des domaines privi-
légiés tels que l’égalité, la
libération des moeurs, la
Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (2/3)
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7. laïcité de l’enseignement
public, la redistribution
des richesses par un im-
pôt progressif maintenu à
un seuil significatif.
Voilà l’univers culturel
d’une approche de gau-
che.
A l’opposé, le discours de
droite considère que l’Etat
n’est pas nécessairement
protecteur des individus,
que les conditions de ses
moyens d’actions repo-
sent sur un poids de fis-
calité trop lourd pour les
individus comme pour les
entreprises, que des iné-
galités peuvent exister
dès l’instant qu’elles nais-
sent par la reconnaissan-
ce de la différence liée au
mérite.
En complément de ce cli-
vage qui demeure très
structurant dans la vie
politique française, des
lignes fortes sont appa-
rues dans trois directions.
Tout d’abord, la priorité
des préoccupations est le
c o n t e x t e s o c i o -
économique dans une
ambiance de réelle forte
morosité.
La hiérarchie des préoc-
cupations prioritaires ac-
tuelles des Français reste
dominée par l'emploi, par
le pouvoir d’achat. Cet
état d’esprit intervient
dans une ambiance col-
lective de forte morosité.
Le second constat est ce-
lui de l’implication politi-
que plus forte dans la
perspective de l'élection
présidentielle. Le Prési-
dent et le Maire sont au-
jourd'hui les deux autori-
tés perçues comme dispo-
sant de réels pouvoirs.
Ce sont les deux seules
autorités que l'opinion ar-
rive à identifier clairement
quant aux compétences
qui peuvent être assu-
mées par les intéressés et
les conséquences quoti-
Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (2/3)
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8. de chercher à s'intégrer
et par conséquent l'opi-
nion considère aujour-
d'hui que, s’il y a échec,
c’est celui des individus
issus de l'immigration qui
n’acceptent pas les règles
du pays d’accueil.
C’est une évolution ma-
jeure apparue dans l’en-
quête du Cevipof début
2007 marquant un tour-
nant majeur. Cette appro-
che s’est ensuite considé-
rablement amplifié par la
suite.
diennes qui peuvent en
résulter pour les citoyens.
Dans ces conditions, la
présidentielle devient un
scrutin majeur bénéficiant
d’une attention soutenue
de la part des citoyens
pour décider du pouvoir
national comme l’élection
du Maire devient le temps
fort pour le pouvoir de
proximité.
Dans ces deux circonstan-
ces, l’opinion manifeste
une attention particulière-
ment sérieuse dans l’exa-
men des personnalités
comme des programmes.
Ce sont des votes de pou-
voir.
En revanche, il peut en
être autrement des autres
échéances qui peuvent
être considérées comme
des élections intermédiai-
res. Ces échéances sont
davantage des moments
d’humeur à l’occasion
desquels l’opinion fait
passer ses appréciations
sur la politique nationale.
Le troisième constat,
l'opinion a évolué concer-
nant les attentes en ma-
tière d'intégration. Une
logique nouvelle se fait
jour dans la répartition
des responsabilités entre
le pays d'accueil et les ar-
rivants. C’est désormais
aux personnes immigrées
Editeur :
Newday
www.exprimeo.fr
Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (2/3)
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9. Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (3/3)
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L’annonce du duel DSK / Mari-
ne le Pen dans les sondages
rouvre la question de leur or-
ganisation pratique.
Mais surtout, c’est désormais
la place même des sondages
dans la structuration de l’opi-
nion qui est posée.
Le droit français applicable en
l’espèce pose des contraintes.
Sont-elles assez fortes ? Celles
qui existent sont-elles
«légitimes» ? Les sondages
s’inscrivent au centre de la
présidentielle 2012 : pourquoi
à ce point ?
Parution le : 29 mars 2011.