1. N°260 - du 19 au 24 avril 2011
2012 :
la nouvelle idéologie :
le style ! (3/3)
2. 2012 :
la nouvelle idélogie :
le style !
En France, les discours ou
les arguments d’une cam-
pagne électorale font l’ob-
jet d’une préparation sou-
vent méticuleuse.
A l’opposé, bien peu de
candidats se préoccupent
d’identifier les gestes qui
porteront les messages
définis. Or ces gestes
jouent un rôle fondamen-
tal probablement beau-
coup plus important que
le contenu même du mes-
sage.
En 2006, Harper a fait
basculer la campagne fé-
dérale canadienne par un
nouveau style basé avant
tout sur des «images par-
lantes» (photo page 6).
A cette époque, il entend
dénoncer les affaires qui
entourent la gestion du
pouvoir sortant. Pour dé-
noncer des «fausses fac-
tures», il se rend à une
conférence de presse
avec deux objets.
A sa main droite, il tient
un attaché-case de cuir
noir symbole traditionnel
de milieux d’affaires.
Dans sa main gauche, il
tient quelques chemises
de dossiers manifeste-
ment peu encombrées par
des quelconques papiers.
La conférence de presse
débute. Le candidat ouvre
la mallette qui dégorge de
«billets». Il cite le détail
de la somme en question.
Le montant très élevé im-
pressionne (études…).
Puis, il ouvre l’une des
chemises et là c’est le vi-
de. Il n’y a rien ou pres-
que. Le candidat indique :
toute cette somme pour
rien, c’est une nouvelle
affaire.
Autre cas, le candidat
Harper est en déplace-
ment sur le terrain. Son
programme prévoit une
baisse de certaines taxes
sur l’accession à la pro-
priété. Il remonte des
rues avec d’autres candi-
dats de son parti et cha-
que fois qu’il passe de-
vant le panneau d’une
maison à vendre, il appo-
se lui-même un autocol-
lant qui indique qu’avec
«son» candidat, grâce à
la suppression de certai-
nes taxes, ce sera au
moins 5 % moins cher.
Chaque fois qu’il appose
un autocollant, les photo-
graphes présents mitrail-
lent son acte.
Ces gestuelles ne sont
pas le fruit d’une concep-
tion cinématographique
ou extraites d’une campa-
gne ostentatoire d’une
vedette du cinéma holly-
woodien en mal de re-
conversion ; ce sont des
exemples parmi d’autres
des attitudes de campa-
gne de Stephen Harper,
leader du Parti Conserva-
teur canadien qui allait
bouleverser tous les pro-
nostics. Le Parti Libéral au
pouvoir en 2005 a lancé
des élections anticipées
parce que les sondages le
donnaient vainqueur lar-
gement.
Quelques semaines plus
tard, fin janvier 2006, le
même Parti Libéral était
battu. L’opinion avait dé-
couvert un candidat neuf
2
3. 2012 : la nouvelle idéologie : le style ! (3/3)
3
François Bayrou ou la
solitude attitude
François Bayrou a cultivé, vo-
lontairement ou pas, deux so-
cles pour 2012 : la solitude et
le terroir.
La solitude est devenue une
marque de fabrique. Parce
qu’il est seul, il est différent,
loin des compromis, à l’écart
du personnel politique.
Le terroir, c’est l’image du
tracteur en 2007, celle des
chevaux, des montagnes des
Pyrénées.
4. qui avait trouvé les
moyens d’affirmer un sty-
le à l’appui de quelques
mesures très simples et
claires.
Ce nouveau style passe
par cinq supports prati-
ques.
Le premier message
est celui des vêtements
En France, le vêtement
est porteur de significa-
tions sociales.
Progressivement, les res-
ponsables politiques fran-
çais ont évolué vers une
sorte «d’uniforme» com-
portant un code très ad-
mis : costume-cravate,
couleurs sombres, chemi-
se bleue…
Cette situation est d’au-
tant plus étonnante que
cette uniformité tranche
avec la diversité qui est
désormais de règle dans
la société.
La profession politique a
des vêtements qui reven-
diquent davantage l’ap-
partenance à une élite
que la recherche du sim-
ple confort corporel ou du
naturel.
Cette situation compa-
rée aux campagnes
américaines est un cli-
vage majeur.
A l’exception de circons-
tances très officielles, il
est désormais admis aux
Etats-Unis que le vête-
ment sera soit un outil de
confort soit un message
de proximité mais pas un
symbole visuel d’apparte-
nance à une élite donc
marque de «fracture ».
A ce jour, pour la prési-
dentielle française 2012,
seul Nicolas Hulot semble
disposé à casser ce code
de «l’uniforme des politi-
ques». La surveillance des
réactions de l’opinion sera
très intéressante.
Le deuxième élément
fondateur de l’image
de marque concerne la
démarche physique
Tout candidat américain
doit dégager une énergie
débordante par une dé-
marche qui occupe l’espa-
ce. Le corps est souple. Il
avance fermement vers
une direction claire.
C’est la force en marche.
La démarche française est
souvent différente. Elle
est raide et régulière
semblant occuper un es-
pace restreint. Les améri-
cains ont coutume de dire
que les français donnent
toujours l’impression de
traverser un «corridor
étroit». La tête est sou-
vent en avant comme si
c’était elle qui guidait
l’ensemble du corps.
Cette situation est à l’op-
posé des travaux que tout
candidat américain effec-
tue minutieusement sur
sa démarche avec ses
2012 : la nouvelle idéologie : le style ! (3/3)
4
5. conseils externes.
Le troisième élément
fondateur de l’image
de marque concerne la
figure et le regard
Dans son comportement,
l’homme politique français
doit attacher une atten-
tion particulière à l’ex-
pression témoignée par
son visage et par son re-
gard.
Ce sont des vecteurs pri-
vilégiés de sentiments. En
1974, Valéry Giscard
d’Estaing avait été le pre-
mier homme politique à
jouer autant sur la
«morale du corps» y com-
pris en utilisant l’expres-
sion «regarder la France
au fond des yeux».
Cette expression va réap-
paraître lors du débat
présidentiel de 1988 lors-
que Jacques Chirac devait
demander à François Mit-
terrand de lui confirmer
une décision «les yeux
dans les yeux».
Le quatrième élément
fondateur concerne les
mains
En France, les mains ne
se cachent pas. Toute l’é-
ducation est axée sur
l’apparence des mains.
Les mains sous la table
sont un signe de mauvai-
se éducation. De même
pour les mains qui sont
dans les poches lors d’une
discussion.
Lors d’une réunion publi-
que et a fortiori lors d’un
débat, les mains sont un
outil important d’expres-
sion.
Le cinquième élément
concerne de façon plus
globale la «morale du
corps»
Le corps est aujourd’hui
considéré comme l’ex-
pression de l’ensemble
d’un style ou d’un tempé-
rament.
Le corps et l’esprit ne
sont plus perçus comme
séparés l’un de l’autre.
En France, il s’agit là d’u-
ne révolution majeure car
la France a longtemps été
un pays où non seule-
ment les activités physi-
ques étaient séparées de
celles de l’esprit mais en-
core les apparences phy-
siques étaient peu valori-
sées par rapport à l’es-
prit.
Cette situation s’est tota-
lement inversée.
Le physique est devenu
l’esprit en surface.
Un esprit dont on se mé-
fie d’ailleurs de plus en
plus s’il se limite à des
mots ou à des messages
purement conceptuels.
En effet, la mise en cause
de la modernité s’accom-
Canada : les leçons de
Harper en 2006 ou com-
ment inverser totalement
une tendance en 60 jours
Tout d’abord, il a su identi-
fier puis incarner le besoin
de «grand changement» at-
tendu par le pays. Il a su
exprimer ce besoin dans des
termes très simples, pres-
que rudes.
Dans ses dernières réunions
électorales, il était question
de «tourner la page sur plus
d’une décennie perdue en
scandales, en erreurs, en
gaspillages. Tourner la page
sur la corruption, les enquê-
tes, les accusations et l’obs-
truction systématique et
aveugle».
Ce message était martelé à
chacune des réunions si
bien qu’il était impossible de
ne pas l’identifier comme la
promesse forte de l’offre du
Parti Conservateur.
Seconde qualité, la capacité
à aller sur le terrain et prio-
ritairement en «terres enne-
mies».
S. Harper a fait d’abord
campagne dans des endroits
très libéraux. Le symbole de
cette bataille en «territoires
à convaincre» a été la der-
nière journée de campagne
électorale consacrée à la vil-
le de Windsor en Ontario qui
n’est pas moins que la ville
natale de Paul Martin, alors
Premier Ministre sortant et
leader du Parti Libéral.
Ces deux facteurs cumulés
lui ont donné un style de
courage digne d’un leader.
2012 : la nouvelle idéologie : le style ! (3/3)
5
6. pagne d’une méfiance
croissante vis-à-vis de
l’intelligence au point que
la mode est presque à la
bêtise.
Le triomphe de «Dîner de
cons», de Forrest Gump,
des «Visiteurs», des bêti-
siers pour les émissions
télévisées...traduisent le
rejet des performances où
les élites sont arrogantes
et l’opinion se gausse de
leurs échecs ou de leurs
difficultés.
Si la mode n’est pas à la
bêtise, elle est surtout à
l’authenticité simple com-
me socle des vraies
confiances.
Les prochaines élections
seront celles du style.
Les vainqueurs seront
ceux qui auront été capa-
bles de briser les barriè-
res des «coutumes politi-
ques» pour faire naître
leur style c'est-à-dire leur
personnalité avec ce
qu’elle apporte de diffé-
rent, de nouveau, voire
de fantaisie. Comment y
parvenir ?
En laissant au placard les
«vieux habits des campa-
gnes électorales» et en
substituant de la couleur,
de l’âme, du plaisir ; bref
du tempérament. Les
nouveaux leaders améri-
cains excellent dans ce
choix à l’exemple de Kristi
Noem (photo page 7) ou
de Mark Warner (photo
page 8).
Les campagnes vont se
jouer à un niveau plus
émotionnel que rationnel.
Mais surtout, au-delà de
ce socle, il importe de
constater que le style ne
peut être le même selon
les circonstances et qu’il
doit être travaillé en fonc-
tion des étapes de vie
d’une campagne électora-
le.
Trois temps différents ap-
pellent des profils diffé-
rents de personnalités.
Le temps de crise produit
la super-personnalisation.
Le temps d’équilibre favo-
rise un profil d’arbitre. La
période de paix ouvre la
porte aux «gens ordinai-
res». Nous traversons
une indiscutable période
de crise.
2012 : la nouvelle idéologie : le style ! (3/3)
6
7. Les prochaines campa-
gnes seront donc mar-
quées par une personnali-
sation poussée à l’excès.
Derrière cette personnali-
sation se cachent trois
enjeux.
Tout d’abord, recréer
les bases d’une nouvel-
le confiance. Le vrai
séisme actuel c’est la
chute généralisée des pi-
liers classiques de la so-
ciété. C’est le manque de
confiance de tous côtés.
Nous ne croyons plus en
ceux qui nous gouvernent
mais pas davantage aux
entreprises, à la religion,
à la médecine, à la publi-
cité, aux valeurs familia-
les...Tout s’est écroulé et
fracassé en mille mor-
ceaux.
Le premier enjeu consiste
à reconstruire un disposi-
tif de confiance.
Ensuite, bien analyser
la météorologie cultu-
relle du territoire élec-
toral concerné. Une
campagne électorale n’a
pas le pouvoir de modifier
la réalité culturelle d’un
moment. Elle ne peut
qu’accélérer ou anticiper
sa révélation. A chaque
courant culturel corres-
pond un code d’attitudes
très singulier. Le candidat
ne peut agir efficacement
en s’exonérant de cette
analyse.
Enfin, bien identifier
les temps de communi-
cation d’une campagne
électorale. Il n’y a ja-
mais une campagne
électorale mais des
campagnes au sein
d’une campagne élec-
torale.
En effet, 4 temps diffé-
rents portent des logi-
ques différentes.
L’annonce de candida-
ture est le temps du
pacte électoral. La per-
sonnalité qui fait officiel-
2012 : la nouvelle idéologie : le style ! (3/3)
7
8. ner en rond et l’échec se
profile.
A chacune de ces étapes,
le style doit rester cohé-
rent et offensif.
Cette «morale du corps»
devient ainsi le program-
me des temps modernes.
Parce qu’elle est plus sim-
ple qu’un programme, el-
le suscite acte d’allégean-
ce ou d’hostilité. Tout de-
vient plus binaire et
moins nuancé. D’où les
ruptures qui en résultent.
lement acte de candidatu-
re mute aussitôt. Elle sort
du présent pour s’engager
dans une spirale du vir-
tuel. Toute la campagne
sera influencée par l’acte
de candidature.
Second temps, l’état de
charme. Aussitôt procla-
mée, la candidature laisse
place à une période où le
style doit s’installer, sé-
duire à coups de symbo-
les forts.
Troisième temps, le se-
cond souffle. D’autres
candidats se sont décla-
rés. Des coups ont été
portés. La concurrence
est dure. Plus le temps
passe, plus les embûches
sont là. Il faut alors ouvrir
le temps du «second
souffle». C’est le moment
critique de la campagne.
C’est le moment où il s’a-
git d’avoir gardé suffi-
samment de gestes forts
pour faire «renaître» sa
campagne, sauver son
dynamisme et son origi-
nalité.
Enfin, c’est l’épilogue
de la campagne. Soit
tout reste rationnel et of-
fensif et la victoire sera
probablement au rendez-
vous. Soit l’irrationnel
prend chaque jour plus
d’importance et tout don-
ne le sentiment de tour-
Editeur :
Newday
www.exprimeo.fr
2012 : la nouvelle idéologie : le style ! (3/3)
8
9. Les primaires du PS : tremplin ou plongeoir ?
9
Les primaires étaient suppo-
sées réconcilier le PS avec la
modernité et avec la compéti-
tion interne.
Il devait s’agir de montrer que
l’avenir c’est la diversité apai-
sée, les débats internes puis la
grande réconciliation avant
que le leader choisi ne parte
pour le combat frontal contre
le concurrent de droite.
Mais ce schéma patine.
Alors les primaires, tremplin
ou plongeoir ?
Parution le : 26 avril 2011.