Un livre de motivation extrêmement puissant !
Plus qu’un roman, une véritable bouée de sauvetage.
À travers cette histoire, tout à fait captivante, vous allez apprendre comment puiser les ressources de la foi pour développer en vous le pouvoir de la pensée positive, capable de vous ouvrir les portes de la réalisation personnelle et vivre la vie dont vous avez toujours rêvé.
Ce voyage va vous aider à découvrir les secrets et l’attitude mentale de ces gens que rien n’arrête : ceux qui, en dépit des épreuves, n’abandonnent jamais !
6. Ne crains pas que ta vie prenne fin un jour, mais plutôt
qu'elle n'ait jamais commencé.
John Henry Newman.
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7. TABLE DES MATIÈRES
Prologue P.11
Première Partie
I - Rencontre avec Katelyn P.14
II - La visite de mon père P.24
III - Un pan de bonheur P.38
IV - Seul à Rouffignac P.52
Deuxième Partie
V - La route de Khartoum P.64
VI - L’urgence de la vie P.80
VII - Le désert de Nubie P.89
VIII - Le pays de Koush P.111
IX - Prélude à la vie P.132
Troisième Partie
X - La malédiction des Monge P.141
XI - L’Afrique P.164
XII - Le fief secret P.178
XIII - Le village de Hammadi P.194
XIV - Le Livre du destin P.204
XV - La joie de vivre P.218
XVI - L’Ancien P.228
XVII - La vallée Thébaine P.241
XVIII - Karnak P.255
XIX - Le songe de Mariette P.273
XX - La prédiction P.283
XXI - La salle panoramique P.288
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8. XXII - La conquête de soi P.303
XXIII - Panne des machines P.309
XXIV - Au fond des yeux P.316
XXV - Au Caire P.328
XXVI - La Grande pyramide P.342
XXVII - Au centre de la terre P.350
Quatrième Partie
XXVIII - Le retour P.364
XXIX - Le gardien de mon frère P.372
XXX - La fin d’une chose… P.380
XXXI - Un nouveau départ P.387
XXXII - Une nouvelle inattendue P.394
XXXIII - Sur le chemin de la ferme P.407
XXXIV - Un mauvais pressentiment P.421
XXXV - Le Livingstone P.430
XXXVI - Le dernier chant du coq P.435
XXXVII - L’instant présent P.454
XXXVIII - Des mots et des larmes P.464
XXXIX - Le jour de mon anniversaire P.475
Épilogue P.487
Voici la carte que nous remit le guide.
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10. Prologue
« - Dites-moi ce que vous voulez ; me demanda l’homme aux
cheveux laineux, dont l’éclat me frappait en plein visage.
- Je désire ouvrir la porte de mon destin, répondis-je en
tremblotant.
- Voici, fit-il en m’indiquant un long chemin pentu qui
s’ouvrait progressivement sous mes pieds. Maintenant, marchez-y !
s'écria-t-il.
Ce fut, à la pointe du jour, tout ce dont je pouvais me
souvenir du rêve que je fis au milieu de cette nuit.
Me dire qu’aujourd’hui est un autre jour, sans savoir ce que
demain sera, me remplit d’effroi. En m’éveillant en cette matinée,
fraîche et lumineuse, je m’introduisis dans le cabinet de travail. Avec
vélocité, je tirai vers moi le dossier un peu flasque du fauteuil
capitonné. Puis, plissant fébrilement les franges de ma jupe derrière
les genoux, je m’y installai pour déverser des flots de larmes. Transie
d’angoisses grandissantes, je levai la tête et posai derechef les yeux sur
le manuscrit. Sans me départir du phénix que je tins fermement dans
une main moite, je me remis à lire plusieurs chapitres d’affilée,
nonobstant l’écriture un peu griffonnée, avec des lettres enchevêtrées,
de nature à écorcher la compréhension de celui qui n’y fut
préalablement initié :
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11. « … Nous pouvons devenir tout ce que nous voulons être. Nous pouvons
obtenir tout ce à quoi nous aspirons. Nous pouvons tout recevoir, si
seulement nous pouvons le concevoir ! »
En lisant, comme si l'on me recollait soudain les ailes que
j’aurais pu perdre naguère, je reçus en mon sein une réponse qui me
crispa le coeur. Là-dessus, j’entendis très distinctement une voix
s’exprimer : « Heleen, écris ce que tu entends. N’y soumets aucune
réflexion. Efforce-toi de retranscrire ce que l’Esprit t’inspire. »
Ce faisant, je m’emparai de quelques feuilles de papier, et, j’y
rapportai aussi fidèlement que possible ce qui me fut dicté sur le
moment. Durant ce laps de temps, mon intelligence demeura stérile.
Jusqu’à la fin, j’écrivis avec frénésie, presque automatiquement, sans
trop songer à ce que j’étais en train de faire.
Deux heures s’étaient écoulées ; ayant fini par démêler le fil de
mes pensées et repris mes esprits, je poussai un grand cri et tombai à
la renverse en découvrant, après coup, la signification de ce que je
venais de rédiger. »
11
13. I
Rencontre avec Katelyn
- C’est comment l’Amérique ?
- Mais, c’est très bien ; bredouilla-t-elle en se baissant une
nouvelle fois pour ramasser quelques livres, les joues empourprées, le
nez renfrogné ; incapable de dissimuler, par ses bégaiements, une
nervosité presque maladive.
- Oh, vraiment ? Raconte-moi un peu ! Il paraît qu'il y a des
gratte-ciel partout, m'a dit mon oncle Raphaël ; insistai-je, plein
d’allant.
- Entre autres, abrégea-t-elle.
- Pardon. Je dois sûrement t’ennuyer.
- Non, Loïc. Il y a que, depuis que nous nous sommes
installés à Paris, tout le monde nous pose exactement les mêmes
questions. C’est plutôt amusant, tu ne trouves pas ? s’exclama-t-elle
en affichant enfin un sourire d’émerveillement face à mon insatiable
curiosité.
Ce fut dans la librairie Point de mire, à l’angle de la rue
Montmartre et de la rue Saint-Joseph, dans le deuxième
13
14. arrondissement de Paris, que je fis la connaissance de Katelyn Walsh.
À aucun moment je n’aurais pu m’imaginer que ce lundi 14 août
1950, veille de l’assomption, allait marquer à tout jamais le reste de
mon existence.
Le fait est que dès mon plus jeune âge, ma mère prit
éperdument l’habitude de me conter mille et une histoires, inoculant
dans mes gènes l’engouement forcené pour la littérature. Sans
toutefois parvenir à l’exprimer avec justesse, je dirais simplement que
je lisais sans arrêt. En réalité, tout ce qui me tombait sous la main.
Tout, ou devrais-je dire, n’importe quoi. Pourvu seulement que mes
yeux parcourussent des mots et des lignes, que mon esprit s’activât,
voguât dans le fictif, détourant l’irréel. Une véritable boulimie en
somme que je me devais d’apaiser. Tant et si bien que je tenais
immanquablement deux ou trois livres d’avance sur ma table de
chevet. De plus, il m’avait toujours paru peu évident, plus
précisément, rédhibitoire, que de poursuivre par exemple la lecture
d’un roman qui ne m’eût guère appartenu, dans la mesure où, dès la
seconde phrase, la fin du premier paragraphe, il fallut irréversiblement
que je notasse une expression, que j’en soulignasse l’idée, et, par un
brusque jeu d’association d’idées, inscrire en marge de la page le
prolongement d’une pensée. Au fur et à mesure, cette inextinguible
appétence me contraignit à l’aménagement d’une plage horaire
particulière sur ma journée du mardi, que je dédiai tout naturellement
à cette préoccupation consistant à me trouver un livre captivant. Voici
donc en peu de mots l’explication de mon irruption dans cette
librairie ; fulminant de rage, au motif que je ne disposais, en ce lundi
après-midi, que d’un créneau beaucoup trop réduit pour que je pusse
dénicher la perle livresque.
Lorsque je la vis pour la première fois, imperturbable, elle
démontait une colonne de livres empilés dans un espace réservé aux
auteurs anglophones, au milieu d’un léger tumulte de feuilles de
papier frais que l’on claquait sec en les retournant précipitamment,
14
15. entre les soupirs prolongés de ces volumes compacts dont on rabattait
sourdement les reliures sous un long filet d’air étouffé. Je suivis
chacun de ses mouvements répétés avec la pertinence d’un spectateur
affecté par l'on ne sait quelle espèce d’admiration. Au premier coup
d’oeil, je pressentis qu’elle était étrangère. Elle avait belle allure, avec
ses petites bouclettes de cheveux dorés qui remuaient indéfiniment
sous la nuque, mais affichait sous son bonnet mis de travers
l’inflexibilité qui sied communément à une bigote. Elle portait
avantageusement une jupe en soie noire moirée, avec des bottes bien
montantes et une jaquette de velours amarante dont les lacets
embastillaient admirablement le dos. Son buste était joliment sanglé à
la taille. Une boucle argentée, ciselée d’un bouton de rose grenat, en
recouvrait l’abdomen à l’asphyxier énergiquement.
D’emblée, je la jugeai quelque peu pimbêche, avec ses
formules à l’emporte-pièce. Sans ambages, j’aurais pu en dépeindre un
portrait rosse, sans doute parce que je faisais face à un visage
compassé, restituant malgré elle une sévérité inaccoutumée.
Apparemment, elle peinait à trouver une oeuvre littéraire, mais n'osait
interroger le libraire. Certainement par timidité.
À mon plus grand étonnement, je me montrai plutôt affable,
faisant abstraction à l’accueil qui me fut premièrement réservé. Ses
déclarations lapidaires et glaciales à mon adresse ne purent annihiler
mon initiative. Ceci étant, je me penchai pour la saluer, m’empressai
de serrer d’un effleurement la main menue qu’elle finit par me
présenter, et, fis sur-le-champ profession de l’aider à remettre ces
romans en place, en les imbriquant avec soin dans le rayonnage.
Contre toute attente, son regard bienveillant dérida le sommet
de son visage. Le sourire que je lui arrachai embrasa ses yeux pers
brillant de gratitude. J’y découvris alors une infinie tendresse que je
n’aurais pu percevoir autrement qu’en y regardant aussi
profondément.
Au cours de la conversation qui suivit, elle me confia que sa
15
16. mère était originaire du Finistère Nord, son père américain,
diplomate de sa fonction, en poste à Paris depuis déjà trois bonnes
années. Comme par extraordinaire, elle était tout comme moi en
faculté de médecine. Ces occurrences nous enjoignirent à des
bavardages fort prolixes pendant plus d’une heure, nous amenant
subséquemment à nous trouver de plus en plus d’atomes crochus. De
fait, nous y prîmes racine.
- Mesdames et messieurs, nous fermons dans une
minute ! beugla l’un des employés, en nous examinant attentivement
dans ce qui, de loin, prit les teintes d’un conciliabule.
- Oui, oui, on y va ; assura-t-elle, pratiquement sans accent,
après avoir consulté sa montre, adjurant d’un air candide que l’on
nous laissât au moins le temps de choisir un livre.
Finalement, elle ne trouva pas l’opuscule tant quêté. Pour ma
part, puisqu'il fallut quitter les lieux, je passai en caisse avec un
ouvrage dont je ne pris nullement la peine de jauger le contenu. La
journée s’écoula. Je la raccompagnai sous le porche de son immeuble,
au numéro 23 de la rue de Vienne, dans le huitième arrondissement ;
chose que je réitérai le lendemain, puis le surlendemain. Dès lors, les
habitudes prises scellèrent une indissoluble amitié faisant de nous,
deux êtres irrémédiablement inséparables.
Nous vécûmes les moments les plus intenses de notre
existence. À tel point qu'il nous semblait, certaines fois, pouvoir
même repousser les parois de l'univers jusqu'à l'infini, tant le bonheur
nous enveloppait de ce zèle si ardent.
Le rêve de Katelyn était d’exercer la médecine, à la campagne.
Dans le Périgord. Le pays de Montaigne, de La Boétie. Celui des
troubadours. Avec ses bastides, ses grottes paléolithiques, ses
forteresses et ses châteaux forts.
Pendant les vacances d’été, tous en famille, ils descendaient la
16
17. Dordogne en gabarre. À chaque fois, elle en revenait absolument
enchantée, prétextant même y avoir découvert un coin fabuleux. Un
petit village paisible près de Périgueux. Le paradis sur terre ! Ce fut là
qu’elle souhaitait infailliblement se fixer, une fois le diplôme en
poche.
Auparavant, je n’avais jamais entendu parler de Rouffignac.
Hormis Paris et ma Bretagne natale, je dois avouer que je ne
connaissais aucune autre région de France. Sortie tout droit de
Boulder, dans l'état du Colorado, Katelyn était cependant capable de
citer toute une série de noms de villes dont je soupçonnais à peine
l'existence : les Eyzies, Sarlat, Monbazillac, Montignac, et bien
d’autres. Nous résolûmes d’y installer plus tard notre cabinet médical.
Souvent, je visualisais, en rêve éveillé, nos deux noms côte à côte, en
gros caractères d’imprimerie, sur une plaque dorée, à l’entrée de notre
futur cabinet :
WALSH - POULIQUEN
CABINET MÉDICAL
Avant ma rencontre avec Katelyn, j’ignorais qu’il fût possible
d’entretenir une amitié aussi réelle que profonde avec une personne
du sexe opposé. Au reste, je ne connaissais aucune autre fille et ne
m’en approchais guère, fuyant les équivoques et redoutant les
malentendus.
Avec le progrès du temps, nous prîmes les mêmes intonations
de voix, usant de locutions tout à fait analogues, esquissant des
mimiques étonnamment similaires. Au bout de plusieurs mois, nous
nous surprenions à penser les mêmes choses, à les exprimer au même
moment ; parvenant en outre à imprimer dans nos regards des
expressions singulièrement identiques. Peu de mots sortaient de nos
bouches. Un regard puis un sourire. Un regard puis un froncement de
sourcils.
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18. Nous avions nos habitudes au Provençal, un bistrot plutôt
animé, très divertissant, situé rue de la Huchette, dans le quartier
latin, où nous déjeunions souvent, car les prix y étaient peu excessifs.
Nous y fûmes constamment : pour y travailler ou prendre un verre
entre copains d’université. Généralement, le samedi, nous consacrions
notre soirée au théâtre. Nous appréciâmes énormément la pièce
d’Eugène Ionesco ; nous retînmes par coeur les répliques de La
cantatrice chauve pour avoir assisté à au moins quinze représentations
successives. Sans motif apparent, Katelyn m’entraînait
immanquablement dans une avidité incontrôlable d’activités
culturelles, de sorties nocturnes. On eût dit que le temps lui fut
soudain compté...
Ordinairement, le dimanche, nos pas allaient souvent se
perdre le long des quais. Chinant parmi les étals des vieux
bouquinistes, nous finissions par échouer sur le parvis de la cathédrale
Notre-Dame afin de nourrir les pigeons et les moineaux accourant des
gargouilles. Assez régulièrement, nous passions le plus précieux de nos
moments de liberté sur l'Île de la Cité : ancien village de pêcheurs
gaulois, figure de proue de ce qui devint à travers les siècles, par la
force des conquêtes, le Paris que nous connaissions à cette époque.
Nous en fîmes notre lieu de prédilection. Pour ne pas déroger à la
règle, en adéquation avec cette inexprimable passion qui m’habitait, le
mardi, nous démarrions la journée au Point de mire, après avoir avalé
un chocolat chaud et un croissant au petit-déjeuner. Pour elle, ce fut
systématiquement un thé à la bergamote, avec des tranches tartinées
de pain grillé. Le reste du temps se résumait à la Faculté, aux
bibliothèques, et pour ce qui me concerne, à quelques kilomètres de
lignes de lecture supplémentaires.
Un an plus tard, Auguste, le patron du Provençal, nous
informa qu’il mettait en location son modeste appartement situé au
premier étage, juste au-dessus du bistrot. Il semblait avoir un mal fou
à trouver des locataires. Ce fut alors qu'il eut la lumineuse idée de
18
19. revoir son loyer à la baisse et d'en proposer la location à de jeunes
étudiants, supposés plus imperméables aux bruits ambiants. Nous
échangeâmes un regard empli d’exaltation. Sans tergiverser, nous
secouâmes la tête d’un signe d’approbation.
Effectivement, le prix du loyer nous rendit bien sourds au
chahut des clients qui jacassaient sans cesse, aux verres que l’on cassait
à longueur de journée, aux assiettes massives que l’on fracassait contre
le dallage. Nous nous en plaignîmes si peu et finîmes, dans une
certaine mesure, par nous en accommoder.
Nous apprécions Paris, même sous la pluie. Nous nous y
promenions auréolés de nos capuches, scandant hilares Casse-noisette
de Tchaïkovsky ou le dernier air à la mode. Bras dessus bras dessous,
esquissant les pires contrepèteries qui ne pouvaient amuser que nous
seuls. Quelquefois, nous restions des heures dans l’une des pièces de
notre appartement, sans musique, sans un mot, à écouter le silence et
les sons extrinsèques. Cela nous rassérénait profondément, initiait une
osmose sans égal.
Nos chambres étaient contiguës. Elles s’ouvraient sur un
dégagement donnant accès à la salle de bains. Ce fut là, notre salle de
réveil. Chacun sortait du lit, armé d’un édredon que nous nous
balancions par la suite en pleine figure en guise de bonjour. Le
principe consistait à frapper aussi fort que possible afin d’arracher à
l’autre son premier cri de la journée. Bien évidemment, le premier qui
hurlait, perdait. Sadisme ou masochisme ? Sans doute les deux. Mais
comme nous nous amusions !
Elle s’appropriait toutes mes chaussettes. Je lui empruntais ses
maillots de corps en coton, que je portais toujours à l’envers pour
dissimuler les motifs féminins, un peu trop colorés à mon goût. Nous
mangions les mêmes yoghourts. À la rhubarbe. Vraisemblablement
par mimétisme, je me mis également au thé. Je devins bilingue.
Français, américain. Je lui communiquai mon engouement pour
l'Égypte antique. En particulier, la Nubie. Le royaume de Koush.
Mon rêve. Le rêve au-dessus de tout rêve devenu en définitive notre
19
20. plus beau rêve.
Sincèrement, ce ne serait pas trop exagérer de prétendre qu’il
eût suffi que l’un se frottât le bout du nez pour que l’autre éternuât.
Comment vous expliquer cette affinité unissant un couple d’amis,
présentant des liens beaucoup plus étroits que n’en développeraient
deux jumeaux, agissant tel un seul homme, une seule femme ? Sans
pour autant que cela ne revêtît les apparences d’une relation
fusionnelle. Au contraire, au fil du temps, nous y vîmes un rapport au
demeurant ordinaire. Parlant en outre du temps, nous ignorions
intrinsèquement que nous n’en aurions jamais assez pour réaliser tous
nos rêves communs. En réalité, juste assez pour apprendre à nous
apprécier, à nous aimer. Aimer véritablement. Aimer profondément,
sans extravagances, sans compromis ; suffisamment toutefois pour
parvenir à conjuguer ce verbe avec l’intensité d’un présent continu.
Plus qu’un mot, la conception et l’expression d’une vie. Aimer, tout
en restant soi-même. Dans la vérité. Sans aucune forme de
condamnation. Car en la scrutant, ce fut moi que je voyais. En la
pesant, ce fut encore toute la mesure de mon être que j’y trouvais. Et
réciproquement. Bien que nous manifestassions un jugement sévère
sur nos fréquentations respectives, il ne se dessinait aucune ombre de
discorde entre nous deux. Hormis ce dernier soir...
Nous étions pourtant si jeunes ! En principe, à vingt-deux ans,
la mort accepte volontiers de patienter le temps que jeunesse se passe.
Du moins, c’est ce que je m’étais imaginé. D’ailleurs, l’Écclésiaste
n’en avait-il pas exposé les signes avant-coureurs ? Ne faut-il pas au
préalable « que s’obscurcissent le soleil et la lumière, la lune et les
étoiles, et que les nuages reviennent après la pluie1» ? Comment
aurais-je pu deviner que la vie est en fin de compte un chemin de
glace prêt à céder sous chacun de nos pas, beaucoup plus fragile que
ne le présageait mon innocence, qu’à n’importe quelle occasion un
petit rien peut en suspendre l’aboutissement, en briser le fil ? Cela, je
ne le découvris que le jour où Katelyn mourut. Brutalement. D’un
1 Livre de l’Écclésiaste 12 : 2
20
21. accident de la circulation. De là, je perdis les maillons de mon
existence. Il semblait malaisé, à mon esprit, de pouvoir relier deux
points entre eux. Penser, ne représentait plus cette forme de liberté
qui jadis me transcendait, cet exutoire qui fort souvent m’apaisait,
mais une douleur profonde qui, épouvantablement, m’écrasait. Je
n’étais plus moi ; si tant est que je l’eusse été auparavant. Mon esprit
demeurait embrumé, le coeur abominablement envasé.
Dorénavant, je marchais seul vers l’inconnu : ce substrat si
imprévisible, si effrayant, qui brutalise l’ordre établi, rompt avec cette
superficielle quiétude humaine.
Dans l’aversion de tout, le dédain de soi, assaisonné de larmes
de sang, torturé par la véhémence des intentions perverses et
morbides. De ces résolutions dépravées que rien ne voulut réfréner, ce
mental estropié augurait un dépérissement fatidique. À l'image
apparente d'un misanthrope, je vécus les années qui s'enchaînèrent
dans la réclusion la plus austère.
II
21
22. La visite de mon père
« Toutes les choses qui me causent de l’anxiété ou de
l’inquiétude n’ont, en soi, rien de bon ou de mauvais, sauf dans la
mesure où mon esprit est perturbé par elles » ; ainsi, s’exprimait
Spinoza. Une telle assertion trouve aisément écho dès lors que l’on est
porté par les meilleures aspirations au monde, versé dans les plus
grandes espérances ; mais laquelle se révèle à tout le moins insipide
sitôt que nos horizons s’assombrissent.
Généralement, placé dans ma condition, lorsque les rêves
s’envolent, l’espoir s’éteint de lui-même. Ne parvenant à observer le
ciel qu’au travers des nuages, et le fleuve que par ses remous, on en
vient, en l’espèce, à estimer que plus rien n’est vrai, à l’exception de ce
que l’on vit ; plus rien n’a de sens, si ce n’est ce que l’on peut encore
éprouver.
Le mur en pierres que j'avais érigé au fond de moi était
devenu si haut que je ne parvenais plus à voir personne. Excepté
mes parents, je ne permis dans mon périmètre d’intimité que ce seul
ami d’enfance que je considérais profondément comme mon frère.
Toujours vrai, déconcertant de simplicité et d’empathie : Alban
Monge, dont la famille, frappée de malédiction, fut dépouillée de ses
membres, tel un arbre soumis aux vents impétueux. Mes parents
craignaient beaucoup pour sa vie. Ils priaient régulièrement pour lui.
Sans nuance, sans fiel, Alban me rappelait inlassablement à
quel point il fallut me remettre à vivre sans délai, tel que l’on revient
promptement à un ouvrage laissé de côté ; faute de quoi, affirmait-il,
on risque très vite d’en perdre l’habitude, de s’atrophier, et
rapidement, le goût de l’existence se dilue dans l’amertume, à nous
ôter définitivement l’envie de vivre.
22