Ce mémoire a pour but d’analyser la situation du documentaire dans le contexte journalistique actuel en France. Depuis le début des années 2000, on n’a jamais autant réalisé de documentaires que depuis ces trente dernières années. Pour comprendre ce succès et la place qui lui est accordée dans la presse, il faut revenir quelques décennies auparavant pour constater que médias et documentaires ont vécu « ensemble », deux moments primordiaux de l’histoire audiovisuelle : l’arrivée de la télévision et l’instauration de l’information télévisuelle. Ainsi, comprendre la place du documentaire dans les médias permet également de questionner les mutations du journalisme actuel.
2. de l’information même si celle-ci ne cesse de
changer en fonction des environnements. Cette
place a sans doute gagné en nécessité et en
singularité. On réalise depuis le début des
années 2000, notamment en France mais pas
seulement, plus de films documentaires que jamais
au cours des trente années précédentes.
Émilie Lamine
Lesbellesfrontières
C’est aussi de l’analogique et du numérique, de la télévision et du web.
Aujourd’hui, on le décline volontiers en lui associant d’autres mots,
du web-docu au docu-fiction. À défaut de savoir précisément ce qu’est le
documentaire, on sait déjà un peu ce qu’il n’est pas, ce avec quoi il ne
faut pas le confondre : le documentaire n’est pas un reportage. L’un et
l’autre campent pourtant aux frontières du même territoire que l’on appelle
la réalité. Mais ils n’y pénètrent pas de la même manière. C’est ainsi
qu’ils modifient la nature de cette frontière-même. Cette histoire n’est
pas nouvelle. Elle vient de loin, de plus d’un siècle maintenant ; depuis
la naissance de ces deux pratiques caractéristiques de la modernité que
sont la presse et le cinéma. Un nouvel épisode se joue actuellement sous
l’éclairage des technologies numériques. Ça change. Un peu ? Beaucoup ?
Complètement ? Tout cela reste à voir. Une chose est sûre, cela accuse les
différences. Dans un monde marqué par l’accélération de la production et de
la circulation des informations, la singularité du documentaire se remarque
davantage. Il prend son temps.
« Prendre son temps »... Cela ne signifie pas seulement qu’il est plus lent,
mais qu’il construit sa propre temporalité, son propre rythme. Le documentaire
se sert de ses propres modes d’articulation à la fichue et incernable réalité.
Campant aux frontières, il les dessine lui-même pour mieux les franchir. Cette
histoire... Les différentes techniques d’enregistrements et de diffusion
l’ont marquée, non pas en étapes successives, mais par sédimentation. Elle a
évolué avec les techniques du cinéma, les actualités filmées, les différents
âges de la télévision, les outils successifs et les pratiques aussi, celle
des professionnels, celle des publics. « Ceci n’a pas tué cela », disait
Umberto Eco. C’est pourquoi le documentaire trouve sa place aujourd’hui dans
les écoles de journalisme, sur les sites d’information et dans les festivals
récompensant des reportages. Il tient depuis toujours sa place dans le monde
Le documentaire, c’est beaucoup et peu à la
fois. Des images, des sons, des gens, des
silences, des lieux et de l’imaginaire.
10. 10
Le documentaire a été le premier modèle du Septième Art. Ce genre noble des
débuts s’est vite transformé en genre maudit au cours de son histoire. On le
comparera aussi beaucoup au reportage. Mais si le documentaire n’est pas un média
d’information, il est pourtant ancré dans cette même culture de la télévision et
de ses engrenages. À la fois dans ses financements mais aussi dans sa diffusion.
Pourtant, la télévision n’est pas la seule garante de ces deux médias. Même
si l’entente n’a pas toujours été facile entre documentaristes et journalistes
sur le petit écran, les frontières s’ouvrent et de nouveaux lieux s’offrent
aujourd’hui à eux. Ils se retrouvent de plus en plus sur les podiums de festivals
et sur le web. Des représentations documentaires vont sortir des sentiers battus
pour laisser place à de nouvelles images.
En France, le documentaire a connu un déclin important dans les années 70.
À cette époque, de nouveaux circuits parallèles, généralement militants,
vont se créer. En effet, l’intégration du documentaire à la télévision
n’a pas été chose facile. Pour Didier Mauro, réalisateur et théoricien du
documentaire, les raisons étaient diverses : « Il y a eu le démantèlement de
l’ORTF, une hégémonie du mode de traitement journalistique et une nouvelle
course à l’audience »*. Parallèlement, le Journal Télévisé va multiplier les
sujets d’actualité en instaurant de courts reportages et ainsi imposer un
nouveau mode d’information. Cette offre est alors justifiée par ce que les
rédactions considèrent comme une nouvelle demande du public. Le sociologue
Pierre Bourdieu qualifiait ces informations d’omnibus*1
: « Une part de
l’action symbolique de la télévision, au niveau des informations, consiste
à attirer l’attention sur des faits qui sont de nature à intéresser tout
le monde, donc on peut dire qu’ils sont omnibus. Ils ne doivent choquer
personne, sont sans enjeu, ne divisent pas, font le consensus, et intéressent
tout le monde mais sur un mode tel qu’ils ne touchent à rien d’important ».
DOCUMENTAIRE &
Chacun sa place à la télévision...
*Praxis du cinéma documentaire, Publibook, Paris, janvier 2013
*1
Sur la télévision, Liber-Raisons d’agir, Paris, 1996
Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER
16. Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER
16
ENTREVUE AVEC
THIERRY GARREL
Thierry Garrel est un ancien membre de l’ORTF, de l’INA mais également ancien directeur de
l’unité documentaires sur la chaîne ARTE depuis sa naissance en 1992, et sur la Sept depuis
1987. Il est actuellement heureux retraité et vit entre la France et le Canada. Occupé par
un projet multimédia sur la préservation des baleines blanches au large de Vancouver, il
reste fidèle à sa cause et se qualifie aujourd’hui comme « consultant bénévole de bonne cause
documentaire » ! Entre deux discussions sur les baleines, nous avons parlé documentaire.
Meurice sur Elf ou sur le Crédit
Lyonnais, dans lesquels il s’appuie
sur un travail journalistique
approfondi, avec des entretiens de
première main, des protagonistes
principaux. En même temps, il les
organise de manière filmique avec
des formes qui emprunteraient au
langage documentaire.
Il y a toujours eu cette confusion
autour du terme documentaire. Est-
ce quelque chose qui vous dérange ?
Non, il y a une raison historique
à cela. Dans ses premiers âges, la
TV était considérée comme moyen
de partager des expériences,
de s’ouvrir sur le monde. Elle
était par nature et par essence,
documentaire. Assez rapidement
finalement, le journalisme a
phagocyté le documentaire en TV.
Il a progressivement développé
des formes qui se sont prétendues
documentaires. Dans le même temps,
il a minoré des formes plus
créatives, plus métaphoriques. Il y
a donc eu ces effets de conclusion.
D’ailleurs, récemment, le festival
de Cannes a donné à Michael Moore un
prix documentaire [ndlr. Farenheit
9/11]. C’est pourtant une forme
de journalisme engagé. Il a filmé
des faits, il n’a pas échangé de
pensées.
Le documentaire pourrait-il être
complémentaire au journalisme
d’actualité ?
Au XIXe
siècle, les journalistes
se battaient pour les droits
humains. Depuis la mondialisation,
le journalisme est rentré en
crise. Dans le système des grands
médias, c’est devenu un art spécial
conditionné par les gros titres,
le désir d’attraper la plus grande
audience. Cette compétition fait
que les valeurs initiales de porter
à la connaissance du plus grand
public des faits pour aider à une
mutation d’une société, de porter
la vérité, sont en perdition.
L’actualité a tué le journalisme.
Ce besoin de transmettre rapidement
avait un sens au XIXe
et peut-être
au XXe
. Plus tellement aujourd’hui
finalement. On est dans un sentiment
du présent, de l’actuel; pourtant ce
qui est actuel échappe probablement
à cette temporalité brève, ce n’est
pas durable. On efface tous les
jours le tableau, comme une espèce
de papillonnage où l’on étale des
morcellement de faits, dont le
spectateur ne peut trop rien faire.
Les faits sont des faits sans cause,
repêchés avec rien de ce qui vient
avant ou de ce qui vient après. Le
documentaire réorganise une certaine
cohérence dans l’organisation des
pensées qui environnent des faits.
Bien sûr, il y a aussi des faits
dans le documentaire, on parle du
monde réel, pas de la planète Mars.
Mais souvent plus en profondeur.
Le documentaire peut donc avoir
l’impact d’une information
différente...
Il y a eu relativement peu d’études
sur ce que les images font aux gens
mais ce que l’on vérifie lorsque l’on
est spectateur, c’est que dans le
temps organisé par le documentaire,
on pense. Ils produisent des
effets de mémoire. À une époque
où l’information mondialisée est
partialisée en millions de petits
faits, c’est important. La pensée
peut toujours être appliquée de
manière analogique à un autre
objet, c’est dans ce sens que le
documentaire est métaphorique, il
parle plus que ce dont il parle.
Ce n’est pas le fait du journalisme
où on va observer de très près la
matérialité des faits.
Quelle est la différence entre le
reportage et le documentaire ?
Un reportage, c’est une succession
d’images et de choses vues. Le
journaliste rapporte par des mots,
des choses qu’il a apprises. La
différence est celle-ci : le
documentaire parle par métaphores.
Il n’est pas organisé selon la pensée
verbale. Le reportage oui car il
illustre un texte journalistique.
Donc, le documentaire rend compte
d’une expérience du réel mais il
le fait avec des moyens d’images et
de sons qui ne sont pas forcément
la reproduction d’un morceau de la
réalité ; alors que le reportage
prétend filmer des faits. Je crois
que le documentaire cherche plutôt
à transmettre une pensée qui
environnerait les faits.
On parle parfois de documentaire
d’information. Le documentaire n’a-
t-il jamais vocation à informer ?
Disons qu’il informe aussi, mais sa
première fonction c’est d’avoir une
pensée sur le monde. Il existe des
formes qui sont plus informatives
que d’autres comme le documentaire
d’investigation. Mais encore une
fois, ce n’est pas prioritaire.
L’investigation, c’est ce qu’on
a vu au croisement du journalisme
et du cinéma. C’est en gros la
tentative de restituer par le
film et d’organiser un ensemble
d’informations. En général, c’est
plutôt une information à laquelle
on n’a pas d’ordinaire accès.
Ce type de documentaire s’est
développé relativement récemment.
Je pense au film de Marie-Monique
Robin sur Monsanto par exemple, qui,
pour dénoncer le pouvoir mondial
de cette firme, a fait un travail
journalistique approfondi et sous
la forme d’un film documentaire. Il
y a aussi le travail de Jean-Michel
« L’actualité a tué le journalisme »
Retrouvez l’intégralité de l’interview sur
questiondocumentaire.wordpress.com
21. LE PUBLIC ET L’INFORMATION TÉLÉVISÉE
Selon un baromètre publié en janvier 2013
sur la confiance des Français envers les
médias (TNS Sofres pour La Croix), la
télévision est leur média favori et leur
intérêt pour l’actualité est assez élevé
(70%). D’une façon un peu paradoxale,
69 % d’entre eux disent y avoir recours
pour « avoir des nouvelles, connaître ce
qui se passe » ; mais 54 % avouent avoir
plus confiance en la radio pour ce qui
concerne « la restitution de l’information
dans les médias ». – Contre 49 % en
presse écrite, 48 % à la télévision,
et 35 % sur l’internet. D’après les
sondés, la crise en Centrafrique et le
coup d’état au Mali n’auraient pas été
assez couverts par les médias français.
vite dans sa pensée pour intégrer
toute l’information qui lui est
donnée* », il passe également
très rapidement sur chaque fait
en faveur d’une actualité plus
« chaude ». Cette pression génère
des choix mais aussi des absences
de choix de sujets, chose qui
n’a rien d’objectif. En tant
que spectateur, ce système de
consommation rapide, où l’on ne
fait que jeter un coup d’œil sur
ce qui se passe, peut être enrichi
en considérant d’autres formes
« informatives » moins ancrées
dans le présent et l’instant. Pour
le cinéaste Abbas Kiarostami :
« Le cinéma possède l’avantage
de pouvoir aspirer à surmonter
le caractère éphémère* ». En
discernant bien les rôles de
chacun et en s’inspirant des
deux, le spectateur peut aspirer
à s’informer autrement. Grâce aux
nombreux moyens de diffusion,
il peut diversifier ses sources
d’information pour élargir sa
réflexion sur la réalité, avec
toutes les valeurs du cinéma
documentaire et de la presse,
aussi distinctes soient-elles.
À cette différence énorme que
le cinéma ne revendique aucune
objectivité, bien au contraire,
il assume pleinement le point de
vue de son auteur.
actuel, parfois saturé par des images dénuées de sens et très vite consommées, ne laisse plus que peu de
moyens au journaliste pour effectuer son travail dignement. Pour Gérard Leclerc, professeur au Département
d’information et de communication de l’université de Laval au Québec, les mécanismes de l’information en
direct ont chamboulé les normes journalistiques. Ainsi les journalistes resteraient prisonniers de règles
comme l’objectivité ou le principe de séduction : « Pour faire un travail acceptable, les journalistes,
pressés par le temps, sont certes obligés de jouer sur l’approximation, mais également sur les émotions.
On ne peut pas vraiment leur reprocher de devenir partie prenante à l’évènement. Il nous serait
difficile d’effectuer un travail carrément objectif, distant de l’événement*1
». Et si le journaliste « va
21
*1
Gérard Leclerc, Les répercussions de l’information
en direct à la télévision sur les normes journalis-
tiques, Mémoire de maîtrise, 2000. Université Laval,
Québec
22. INTERVIEW
Le documentaire pourrait-il
apporter quelque chose au
journalisme audiovisuel ?
Alexandre Bonche : Pourquoi
pas, mais les journaux TV ne
sont pas prévus pour ce genre
de diffusion. Précisément,
les JT permettent d’aborder
beaucoup de sujets
différents. Mais combien de
minutes, de secondes y sont
accordées ? Les gens aiment
bien se tenir informés d’un
maximum de choses, alors on
doit vite zapper sur autre
chose. Il y a des cases
réservées au documentaire à
la télévision, heureusement
qu’elles sont là. Avec France
2, France 3, France 5 ou
encore ARTE [ndlr. seulement
chaînes publiques], nous
avons de la chance en France
! France 3 Région offre un
certain nombre d’espaces
aussi et des moyens financiers
pour que l’on puisse réaliser
des films. J’y ai eu recours
pour mon film Profession
Humanitaire. Il a été financé
par France 3, le CNC, et
la région. Et puis il y a
évidemment ARTE qui est la
chaîne qui propose vraiment
beaucoup de documentaires,
ou Infrarouge sur France 2.
Antoine Bonnetier : Pas grand-
chose dans la mesure où il
se place dans le temps long.
Le documentaire ne répond
pas aux mêmes contraintes.
C’est un film que l’on regarde
le soir pour se distraire.
Le reportage, lui, peut se
consommer en petit-déjeunant
le matin, en préparant le
sac de ses enfants, etc.
C’est un produit que l’on
consomme rapidement, parfois
en faisant autre chose. Il
mobilise moins l’attention.
Pour vous, quelle est la
différence entre reportage
et documentaire ?
AB : La différence c’est
exactement la situation
dans laquelle on est
actuellement. On a pris un
rendez-vous, tu viens, tu
enregistres mes paroles,
qui ne sont pas préparées,
très confuses. À partir
de ça, tu vas construire
une réalité qui va être
présentée comme la mienne :
ça c’est le journaliste. Un
documentariste travaille un
peu comme l’ethnologue, il
prend le temps de rester
avec les gens, il va les
rencontrer souvent, discuter
avec eux, pas juste une fois
comme ça lors d’un rendez-
vous. Lorsqu’il va élaborer
son sujet il va être capable
de savoir si la réalité
qu’il va présenter dans son
montage, c’est la réalité
telle qu’elle est vécue par
les gens qu’il a côtoyés
ou bien si c’est juste
un papillon qu’on a pris
comme ça dans un filet, qui
passait par hasard, comme
une idée peut passer. Selon
qu’on est en bonne forme
ou pas, on dit des choses
plus ou moins contrastées.
La grosse différence c’est
cette fréquentation plus
longue, plus assidue et
plus profonde des gens.
Au niveau de la forme, le
reportage consiste le plus
souvent en interviews face
caméra. J’essaye d’éviter
ça. On essaye de lécher un
peu plus les transitions,
l’aspect artistique ressort
dans le documentaire. Les
enchaînements sont plus
lisses. Bien qu’un JT aussi,
les frontières sont très
poreuses si ce travail est
effectué avec un très bon
cameraman et un bon monteur.
Abe : J’ai réalisé un seul
documentaire dans ma vie
lorsque j’étais à l’école de
journalisme. C’est plus
22
Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER
Les journalistes-reporters d’images (JRI) et les
documentaristes ont certains points en communs. L’un
d’entre eux, c’est la télévision, ce petit écran
vers lequel convergent divertissement, information,
documentaire, fiction et autres images. À partir de leur
propre expérience, Alexandre Bonche, documentariste
et anthropologue de formation, basé à Lyon et Antoine
Bonnetier, JRI à BFM TV, témoignent. Synthèse sur les
situations du reportage et du documentaire dans le
paysage audiovisuel français, avec deux acteurs des
médias et du documentaire.
Alexandre Bonche, documentariste français, en plein tournage au Mali
23. CROISÉE
long, plus contemplatif,
alors qu’un reportage
s’attache plus à l’enquête,
la démonstration, la
révélation de vérités, je
dirais. Un documentaire est
plus travaillé en images,
il prend plus le temps de
l’observation. Le temps
investi pour aboutir est ce
qui diffère le plus. Encore
une fois, le distinguo
est parfois ténu entre
les deux. Le documentaire
suppose l’observation,
le reportage l’enquête
et la démonstration. Les
deux sont-ils forcément
incompatibles ? Comment
qualifier le travail de Pierre
Carles ? Ce qui est sûr,
c’est qu’un documentaire
sera forcément long. Un
reportage, en revanche, peut
durer 1 min 30 comme 52 min.
Le spectre est large.
Un des points communs pour
les documentaristes et les
journalistes, c’est la
télévision. C’est elle qui
finance votre travail. Est-ce
un atout ?
AB : Si on veut gagner notre vie
en faisant du documentaire,
on doit obligatoirement
passer par la TV. Sauf peut-
être au cinéma, mais ça
ne finance pas énormément
parce qu’il y a très peu
de producteurs qui prennent
ce qu’ils considèrent comme
un risque. Avec la TV, ils
ont l’assurance d’avoir un
apport de la chaîne et du
CNC. Le problème pour nous
concerne le salaire, qui
n’est jamais très élevé.
En tant que réalisateur,
notre seul revenu minimum,
c’est le SMIC, contrairement
aux autres techniciens de
la chaîne audiovisuelle.
Heureusement, à la
différence des journalistes,
nous bénéficions du statut
d’intermittent du spectacle,
qui permet de vivre plus au
moins dignement.
ABe : La télévision, en tant
que diffuseur principal,
paie des sociétés de
production ou « boites de
prod », qui fabriquent les
documentaires et reportages
longs. Mais c’est comme
acheter une baguette : le
boulanger les fabrique parce
qu’il sait que tu vas venir
lui acheter. La télévision
achète des reportages ou
des documentaires pour les
diffuser. Après, on peut
aussi trouver des productions
associatives, hors du
circuit traditionnel, qui
peuvent avoir pour cibles
les cinémas d’art et d’essai
ou des lieux alternatifs.
L’exemple, c’est Pierre
Carles, que j’aime beaucoup.
Avez-vous envie de diffuser
votre travail sur internet ?
AB : Je n’ai pas le sentiment
pour l’instant que cela
permette de toucher autant de
spectateurs qu’à la TV avec
la TNT. Ça s’adresse à mon
avis à des petites niches.
Ce qui existe déjà, c’est
du documentaire TV diffusé
sur internet. Après, je
trouve l’idée intéressante,
pourquoi pas plus tard
quand je connaîtrai un peu
plus. C’est bien de mettre
des images à disposition
du public, mais c’est bien
de penser à la rémunération
des gens aussi. On a la
chance en France d’avoir
des droits d’auteur. Sur
internet… Je ne pense pas
que ce soit possible. Je
mets mes films sur internet
parce que j’ai envie que les
gens les regardent, parce
que c’est de la culture que
je leur apporte. Mais pour
l’instant internet n’est pas
une bonne solution. Pour les
reportages c’est pareil, à
moins de faire des sites
payants, et là tu restreins
ton nombre de spectateurs.
De mon côté, j’ai mis des
films dont j’ai les droits
sur internet [Tchoumpa, les
enfants du tourisme], mais
c’est très récent, il y a
un mois [janvier 2013]. Je
ne pourrai pas le faire
systématiquement parce que
la question financière est
cruciale.
ABe : Notre travail est déjà
diffusé sur le site BFMTV.
fr. Toutes les chaînes de
télévision essaient de
mettre au moins une partie
des contenus disponibles
sur le net. La toile est
incontournable. Elle offre
une notoriété par-delà
les frontières et offre
une seconde vie à notre
travail, que les internautes
peuvent trouver indexé
thématiquement dans Google,
etc.
23
Antoine Bonnetier est journaliste-reporter-d’images pour BFM TV
27. 27
Pensez-vous qu’internet va remplacer la
télévision ?
Non, la télévision a encore des décennies
de tranquillité devant elle. Ce qui va la
renforcer c’est la télévision connectée,
c’est-à-dire regarder sur votre téléviseur
aussi bien des programmes d’internet que
des programmes classiques, comme des
broadcasts. Actuellement en France, les
téléviseurs sont tous vendus en système
de TV connectées. Cela va renforcer son
attrait et surtout ramener les spectateurs
vers le petit écran alors qu’ils l’avaient
abandonné pour les ordinateurs.
Le web semble être un passage obligé,
même pour les médias. La chute d’audience
devant les JT est-elle une répercussion
du désintérêt public pour l’information
télévisuelle ?
Les médias ont déjà une énorme place et
à terme, même les journaux papiers vont
faire des versions numériques où vous
aurez des reportages image qui seront
annexés au texte des journaux. Pour
les JT, les chiffres ne sont pas aussi
évidents que cela. Si on cumule toutes les
émissions d’information, que ce soit les
journaux ou les magazines d’information,
la télévision est encore aujourd’hui
très importante parce qu’on cumule !
Évidemment il n’y a plus le phénomène
du journal à 20h, mais il y a toute la
journée des chaînes d’info en continu. Si
on additionne tout le temps des chaînes
qui parlent d’information ou d’actualité,
c’est considérable... L’audience reste
très forte !
Avez-vous senti la montée d’un nouveau
public pour les créations du web ?
Complètement, en quatre ans, on a vu une
évolution importante sur la qualité,
le nombre de productions et surtout
les financements des productions qui
arrivent. Maintenant, on trouve un
début de financement par le CNC, les
diffuseurs, les éditeurs de programmes,
les marques et des partenaires des web-
programmes. Quant au public, il y a une
sorte de progression tous les ans par
rapport aux nombres de visionnages et de
Pour cette 4e
édition, 165 programmes
étaient en compétition, 214 636 pages vues
(+16% par rapport à 2012), 10 7397 programmes
visionnés (+41%) par 48 687 visiteurs uniques
sur le site (+9%). Le Prix du public dans
la catégorie Web-documentaire est remporté
par le projet Iranorama, réalisé par Yann
Buxeda et Ulysse Gry. L’idée est simple :
le spectateur se retrouve plongé dans le
corps d’un journaliste envoyé en Iran. Cinq
jours pour appréhender la culture de Téhéran
et rendre un reportage sur les élections
présidentielles à venir.
Jean Cressant est président du Web Program Festival International, un
festival dédié à la télévision sur internet. Il est également président
et fondateur du groupe Mativi, chaîne de TV sur Internet basée à
La Rochelle. Le Web Program festival a pour but de récompenser les
différents acteurs du web. Internet devient un nouveau terrain de jeu
où journalistes et documentaristes transgressent leurs règles établies.
Pour autant, la télévision n’est pas encore morte d’après Jean Cressant.
participants. L’intérêt pour toutes ces
nouvelles plateformes de diffusion est
clairement visible. Elles voient leur
nombre de vidéos regardées augmenter à
une vitesse incroyable. Mais sur internet,
les gens zappent très rapidement, bien
plus qu’à la télévision, c’est évident.
C’est un phénomène très intéressant ! Il
faut faire très attention au nombre de
visionnages qu’on observe et le temps où
les gens sont restés sur le programme.
Il y a un effet buzz qui existe, c’est
donc grâce aux réseaux sociaux qu’il faut
mettre en valeur les nouveaux programmes.
Quelle place est apportée au
webdocumentaire dans votre festival ?
Il fait partie des dix catégories que nous
présentons. C’est une des plus importantes
en termes de propositions de films,
de visionnage et de demande du public,
avec la fiction. Le webdocumentaire est
quelque chose d’intégré aujourd’hui et
puis il s’enrichit tous les ans avec la
technologie, et l’interactivité. Demain,
avec la télévision connectée qui arrive,
les webdocumentaires vont pouvoir se
décliner différemment. Ce qu’on a vu
cette année, ce sont de nouveaux concepts
qui sont en fin de compte des programmes
beaucoup plus courts. Il y a quatre ans on
avait beaucoup de programmes qui étaient
de trois à cinq minutes en unitaire et puis
cette année on a fait des présentations
de films qui font trente secondes, qui
ont une cible et une construction très
spécifique. Mais attention, on distingue
complètement l’actualité et le reportage
du documentaire. On ne mettra jamais en
compétition un webdocumentaire qui est
fait comme un webreportage, jamais.
JEAN CRESSANT :
Pour une TV connectée