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                             SOMMAIRE

Avant propos

I. Pourquoi intervenir ?

II. Qualité du tir

      Comment faire un tir foudroyant ?
      Effets cumulés de l’impact de la balle

III. Qualité de la chasse

      La battue
      L’affût
      L’approche
      La poussée calme de déplacement

IV. Qualité des chevreuils

       Comment l’évaluer ?
       Qu’est-ce qui assure la qualité des chevreuils ?
       Comment vont évoluer les chevreuils ?

V. Comment intervenir ?

      En phase de colonisation d’un paysage
      Au stade de saturation du milieu de vie

VI. Des cas concrets

Bibliographie

      Quelques ouvrages de base
2


                              AVANT PROPOS

Durant des décennies, le plan de chasse au grand gibier a fonctionné selon la
théorie du surplus récoltable établie par le célèbre forestier américain Aldo
Leopold en 1933 (1). Ce dernier transposait sur les populations de Cervidés un
calcul de la possibilité de récolte annuelle qui convenait à l’économie forestière :
volume d’arbres recensés sur une parcelle multiplié par un pourcentage
d’accroissement. Cela n’a pas marché. Les chevreuils bougent et se cachent. Ils
ne se prêtent pas aussi facilement que les arbres aux dénombrements et
l’accroissement annuel « moyen » de leurs effectifs n’existe pas puisqu’il varie
entre quarante et zéro % ou même moins. D’où, à la longue, une abondance mal
contrôlée qui ne fait pas l’affaire de la régénération forestière. Il fallait bien
trouver autre chose.

La méthode ici proposée résulte non pas d’une illumination subite mais d’un
cheminement et de rencontres fructueuses. Chassant dans ma jeunesse sur trois
grands domaines princiers de Souabe, je croyais dur comme fer aux méthodes
germaniques traditionnelles et au tir sélectif. Jusqu’au jour où devenu sociétaire
d’une chasse de huit mille hectares en forêt domaniale de la Grande Chartreuse,
je m’aperçus que les brocards qui pesaient là bas18 kilos en pesaient entre 28 et
30 dans ce massif qu’ils colonisaient depuis peu.

Dans les années soixante-dix j’eus la chance d’entrer et de rester en contact avec
des esprits novateurs :

- en premier lieu l’anglais Richard Prior (2) qui sauva le chevreuil dans le
Royaume Uni. Engagé par les forestiers de la Couronne pour éradiquer
totalement ces « nuisibles » qui ravageaient leurs plantations, il prouva qu’on
pouvait les conserver à condition de les chasser conformément à leur structure
sociale, de maintenir leur nombre au dessous de la capacité d’accueil du milieu
de vie et d’épargner les brocards territoriaux ;

- ensuite les allemands Hermann Ellenberg et Dietlef Eisfeld (3 et 4) qui
préconisèrent de remplacer les douteux comptages de chevreuils par la
mensuration d’indices biologiques tels que la longueur de la mâchoire inférieure
des adultes, reflet de leur croissance ;

- enfin l’américain Dale McCullough (5) qui démontra que la productivité d’une
petite population de chevreuils vigoureux pouvait égaler celle d’une population
surabondante de chevreuils chétifs.

C’est sous l’inspiration de ces auteurs que s’est formée une méthode
d’aménagement des chevreuils plus conforme à leur écologie.
3



Je dois à l’ingénieur général des forêts Jean de Chancel, directeur de la Chasse
au ministère de l’Environnement, d’avoir pu passer outre aux pesanteurs
administratives de notre pays pour mettre en œuvre la présente méthode.
Inaugurée en Alsace en 1982, elle apparut comme révolutionnaire alors qu’elle
n’était que simplement logique.

D’autres m’ont honoré de leur confiance et de leurs conseils comme Paul
Pesson, professeur de zoologie à l’Institut national d’Agronomie de Paris-
Grignon, Jean Dorst, dernier successeur de Buffon au Muséum national
d’Histoire naturelle et Bernard Fischesser (6), directeur de l’unité Ecologie du
Paysage de Montagne au Centre d’études du Génie rural, des Eaux et des Forêts.
Comme on peut le constater, je ne prétends pas avoir inventé la brouette.

Références :

1. Leopold, A. (1933). Game management. New York : Charles Srcribner’s
Sons.

2. Prior, R. (1968). The Roe Deer of Cranborne Chase. An ecological survey.
Oxford University Press, London, 222 p.

3. Ellenberg, H. (1974). Die Körpergrösse des Rehes als bioindicator.
Verhandlungen der Gesellschaft für Ökologie, Erlangen : 141-154.

4. Eisfeld, D. und Ellenberg, H. (1975). Rehwild Abschussplanung ohne
Zählung. Wild und Hund, 77 : 541-543.

5. McCullough, D. R. (1979). The George Reserve Deer Herd. Population
ecology of a K-selected species. University of Michigan Press, Ann Arbor, 270
p.

6. Fischesser, B. et Dupuis-Tate, M. F. (1996). Le Guide illustré de l’Ecologie.
La Martinière, Paris, 319 p.
4


                       I. POURQUOI INTERVENIR ?

Le but d’un aménagement soutenu des populations de chevreuils et de leur
milieu de vie est de répondre à divers besoins de la société en les intégrant. Etant
donnée la fluidité du maillage de la population, pour être efficace, cet
aménagement doit s’étendre à l’échelle du paysage occupé par l’espèce jusqu’à
ses limites naturelles, c'est-à-dire d’un à plusieurs milliers d’hectares. C’est dire
l’importance de la coopération entre voisins et groupes d’intérêts différents.

L’absence de chasse aurait des conséquences néfastes. Outre la dégradation
végétale, la prolifération des chevreuils entraînerait leur chétivité, leur
infécondité, leur vulnérabilité aux infections parasitaires et microbiennes, la
mortalité des faons et le vieillissement des populations. Il n’y a pas de chevreuils
malades dans des populations qui sous-utilisent leur milieu de vie.

Le retour des grands prédateurs a pu être présenté comme « la » solution par les
dévots d’une nature sacralisée. Ces derniers ignorent-ils que c’est le nombre de
proies qui détermine le nombre de prédateurs et non l’inverse ? En Amérique du
Nord, il a été vérifié qu’au-delà d’une densité de sept cerfs de Virginie* aux cent
hectares, les loups sont incapables d’en diminuer les effectifs. Dans les Vosges
alsaciennes, la réapparition du lynx n’a pas empêché la prolifération de
chevreuils de médiocre qualité.

C’est donc à l’homme et en particulier aux chasseurs et aux sylviculteurs
qu’incombe la charge d’un aménagement aboutissant à de beaux et vigoureux
chevreuils dans des boisements variés en régénération naturelle. Un art plus
qu’une rigide technique.

Tout se tient. Pas d’aménagement adapté à la nature du chevreuil, à sa vie
sociale et à son écologie qui ne s’appuie sur une chasse à la fois efficiente et peu
perturbante. C’est ce qui sera traité en premier lieu.


* «Cerf » de Virginie et «cerf » mulet sont en réalité les chevreuils de l’Amérique du Nord.
Appartenant à la même famille que leurs cousins d’Eurasie, celle des Odocoïléinés, ils sont
appelés chevreuils par les Québécois et jadis aussi par Buffon. Ils n’ont rien de commun avec
le wapiti qui lui, est le cerf élaphe du Nouveau monde. Pour ajouter aux confusions de
langage, les anciens pionniers ont dénommé ces cerfs « Elk » - qui veut dire Elan – parce
qu’ils étaient de grande taille… et c’est resté dans la langue américaine moderne !
5


                           1I. QUALITE DU TIR

Si un chasseur se dit satisfait de sa carabine, c’est qu’il en a choisi la marque et
le calibre en connaissance de cause. Il a raison, inutile d’en débattre. La plupart
des armes de chasse disponibles dans le commerce permettent de bons
groupements.

Comme en photographie, le succès dépend de celui qui est derrière l’oculaire.
En la matière, personne n’est parfait. Qui d’entre nous ne garde-t-il pas en
mémoire l’humiliation d’avoir manqué le brocard d’une vie ou le cuisant
remords d’avoir blessé et perdu une chevrette en privant ses deux faons du
soutien maternel ?

Le tir sur du vivant est un acte grave qui ne tolère pas l’à peu près.

Mettons donc les chances de notre côté pour que tout chevreuil tiré s’écroule
avant même d’avoir entendu le coup de feu. Ce qui consiste à devenir aussi bon
que sa carabine et à savoir placer sa balle dans le corps de l’animal avec la
précision d’un bon praticien.

Trois conditions déterminantes :

- de l’entraînement : par économie, avec une carabine 22 ou même à air
comprimé jusqu’à la parfaite coordination des gestes et de l’œil. Ensuite au
stand avec la carabine de chasse jusqu’à ce qu’elle devienne aussi familière à
son propriétaire que sa fourchette de table ;

- de la retenue : ne jamais hésiter à s’abstenir si les conditions rendent le tir
hasardeux (animal en mouvement, trop grande distance ou mauvaise
présentation, visibilité douteuse, essoufflement, stress, « buck fever »). Pas de
regret : une seconde occasion se présentera tôt ou tard ;

- une connaissance de l’anatomie topographique du chevreuil, c'est-à-dire de
la projection des organes internes sur sa silhouette.
C’est simple et c’est indispensable.

Comment faire un tir foudroyant ?

En visant vers l’avant du thorax.

Le tir classique au défaut de l’épaule (à la verticale de la patte) n’abat pas
forcément l’animal sur place. Touché au muscle cardiaque avant l’expansion de
6


la balle, il peut détaler sur 50 mètres et disparaître à couvert. Si l’impact est top
bas, il casse la patte. S’il est trop postérieur, il perce le poumon et permet une
fuite assez longue avant d’être fatal.

Le tir au cou peut soit paralyser l’animal sans le tuer (nécessité d’un coup de
grâce), soit manquer la colonne vertébrale. Le tir à la tête peut fracasser la
mâchoire, interdisant l’alimentation. Heureusement, il y a plus expéditif :

Le tir aux gros vaisseaux de la base du cœur

Leur aire de projection se situe au centre d’un triangle formé par :
- l’épaule (omoplate) oblique vers l’avant,
- le bras (humérus) oblique vers l’arrière
- et la verticale abaissée de la pointe de l’omoplate jusqu’au coude.

C’est le triangle mou que la balle pénètre sans résistance.


          Le tir « au triangle mou » (Roucher , 1978)




           Calque d’une radiographie de chevreuil debout
7


Effets comparés de l’impact de la balle :

(a) La perforation du ventricule, muscle épais, n’empêche pas le sang de se
propulser vers le cerveau tant que la pompe cardiaque n’est pas désamorcée par
la fuite du sang. L’animal peut encore courir.

(b) La blessure de l’aorte prive instantanément le cerveau de l’afflux sanguin.

   La destruction de l’oreillette, mince membrane, désamorce la pompe
   cardiaque.

Ainsi, l’animal tombe sur place sans avoir même entendu le coup de feu.




      Tir au ventricule                   Tir aux gros vaisseaux
8




Faon de cerf tiré à l’approche par l’auteur en hiver dans le massif du Vercors.

On voit l’impact au « triangle mou » dans l’angle omoplate-humérus.

Le ventricule musculaire du cœur est intact tandis que les oreillettes et la crosse
de l’aorte, ici béante, sont détruites
9


                     III. QUALITE DE LA CHASSE

Chasser court et bien consiste à gratifier les chevreuils d’une quiétude quasi
permanente en pratiquant des prélèvements brefs, discrets et efficaces. Du point
de vue du bien être des chevreuils, tous les modes de chasse ne se valent pas.

La battue répétée avec chiens courants et rabatteurs bruyants ayant été traitée
dans l’introduction, nous n’y reviendrons pas. C’est le meilleur moyen d’aboutir
à des chevreuils stressés et donc invisibles de jour, à des populations
déstructurées, à des orphelins et des blessés-perdus. Tout cela au nom de la
convivialité et de l’aléatoire « tir au saut du layon » dont on se vantera au
moment du casse-croûte ! L’élégant chevreuil ne mérite-t- il pas mieux que cette
loterie de foire ambulante ?

L’affût perché, par contre, allie la discrétion, la poésie contemplative et la
commodité d’un tir appuyé, calme et précis. Le mirador souvent situé en lisière
des champs ou d’une clairière doit être accessible par le chemin le plus court et
le plus direct de façon à répandre le moins d’odeur possible. Comme l’affût est
souvent pratiqué le soir, un tir foudroyant évite une recherche de nuit.

L’approche appelée stalking par les britanniques et pirsch par les germaniques
est le plus exaltant des sports. Dans la fraîcheur d’un petit matin, l’esprit tendu,
qui n’a pas tressailli au cri soudain d’un coq faisan ou à l’envol d’un ramier ?

Aujourd’hui, la chasse individuelle n’est pas assez efficace à elle seule pour
maîtriser les effectifs de chevreuils, surtout quand ils sont ajustés à l’exigence
d’une régénération naturelle. Elle exige d’investir de plus en plus de temps pour
réaliser le plan de tir. Son dérangement permanent de juin à février prochain
s’ajoute à celui, croissant, des promeneurs.

Cervidés et sangliers ont en commun – en l’absence de dérangements – d’utiliser
le plein jour pour leur phase d’activité. Une chasse individuelle trop étalée dans
le temps leur fait identifier tout promeneur à un chasseur et les pousse à se
dérober et à devenir nocturnes. Il en découle le besoin de faire appel à certaines
méthodes de chasse collectives pour un meilleur ajustement aux conditions qui
se sont modifiées. Alors par nécessité, un mode de chasse plus performant se
répand aujourd’hui en Europe.

La poussée calme de déplacement vers des tireurs perchés
.
Heureux retour de l’Histoire, cette méthode est la plus traditionnelle qui soit.
C’est la chasse des gens de pied codifiée au quatorzième siècle dans Le Livre du
Roi Modus et de la Reine Ratio par Henri de Ferrières pour abonder le château
10


en venaison fraîche. On poussait gentiment le gibier vers des archers comme on
le ferait de vaches nonchalantes.

Cette méthode permet de parachever un plan de tir en peu de temps. Elle
mobilise les animaux sans stress. Elle est efficace à condition d’être exécutée
dans les règles de l’art comme c’est le cas en forêt domaniale de Basse-Saxe.

Elle s’exécute une seule fois par an sur chaque parcelle d’au moins 200 hectares
avec 60 à 80 personnes, tireurs et marcheurs dont une vingtaine de maîtres
chiens, chacun parcourant de façon désordonnée mais lente une dizaine
d’hectares plusieurs fois de suite pendant trois heures. Les tireurs sont postés à
l’aube sur des petites chaises hautes garnies de brande et d’une barre d’appui et
disposées à l’intérieur des peuplements en bordure d’endroits dégagés que les
animaux traversent calmement en marquant l’arrêt de temps en temps.

Les marcheurs doivent avoir une connaissance approfondie de la parcelle
parcourue, des remises et des voies habituelles des animaux. Ils se signalent à
voix normale. Ils doivent intriguer le gibier, le mettre en éveil plutôt qu’en état
d’alarme. Le gros du travail de mise sur pied est fait par le vent. Les marcheurs
progressent avec et non contre le vent. Si le gibier se met à courir, la partie est
irrémédiablement perdue et il vaut mieux rentrer à la maison.

La poussée calme de déplacement se révèle comme un des plus passionnants
exercices de la chasse. Chacun des acteurs - tireurs, marcheurs, maîtres chiens,
gardes, organisateurs - y apporte son expertise et sa satisfaction d’exécuter cet
art en harmonie mutuelle comme dans un orchestre symphonique.

L’éthique de la chasse y trouve son compte puisqu’elle assure la tranquillité du
gibier pour le reste de l’année.

Ndlr. : Pour compléter son information, le lecteur peut consulter le livre de
l’auteur, Chevreuils d’Hier et d’aujourd’hui, au chapitre La Poussée, pp. 205 à
225. Il y trouvera le récit d’une journée de chasse d’hiver en forêt domaniale de
Basse-Saxe et la traduction du Merkblatt n° 26, note d’instruction du Service
forestier du Land de Basse-Saxe intitulée : Méthodes de chasse collectives :
substitut à la chasse individuelle au grand gibier.

Ceux qui voudraient expérimenter cela sur place peuvent s’adresser à :
Dr Hans Werner Streletzki
Niedersächsisches Ministerium für Ernhärung Landwirtschaft
Verbraucherschutz und Landesentwicklung
Calenberger Strasse 2
30169 Hannover
11


                  IV. QUALITE DES CHEVREUILS

1. Comment l’évaluer ?

En tirant du chevreuil abattu des informations chiffrables sur sa corpulence, sa
croissance et s’il s’agit d’une femelle, sur sa fertilité. Cumulées sur au moins
trente sujets de même classe sociale (faon, yearling, adulte, mâle et femelle) on
en extraira des moyennes qui traduisent l’état des chevreuils locaux à un
moment donné. C’est le point de repère à partir duquel sera enregistrée la
tendance des animaux vers la stabilité, le progrès ou la régression de leur
qualité.

1. LA CORPULENCE est traduite par le poids de la bête totalement vidée
depuis la trachée jusqu’ à l’anus. Le poids vidé correspond aux ¾ du poids vif.
Ce correctif est utile à connaître lorsqu’on ne dispose que du poids vif d’une
série.

C’est dans les paysages où la densité est la plus basse par rapport à l’offre du
milieu de vie (densité relative) que l’on trouve les chevreuils les plus lourds,
comme le montre ce tableau comparatif :

      - les colonnes A, B et C correspondent à la moyenne des poids vifs des
chevreuils dans trois régions en voie colonisation : Sussex et Surrey en
Angleterre il y a quarante ans ; Emilie - Romagne en Italie aujourd’hui.

      - la colonne D correspond à une forêt privée de 600 ha en Normandie où
l’abondance mal maîtrisée des chevreuils se traduit déjà par une baisse modérée
des poids et par des dégâts inacceptables à la régénération naturelle du chêne.
12


Dans les régions surpeuplées en chevreuils depuis des décennies comme en
Alsace et en Bavière, les poids vidés moyens descendent aussi bas que 12 à13
kg pour les adultes et à 9 à10 kg pour les faons.

    Influence de la densité relative des chevreuils sur leur prise de poids
                                                                 (Loudon 1979)




- à densité modérée, le poids d’adulte (ici : poids vidé) est pratiquement atteint à
18 mois, ce qui permet à un jeune mâle de partir à la conquête d’un territoire
dès sa deuxième année ;

- à densité trop élevée pour la capacité d’accueil du milieu végétal, un chevreuil
n’atteint pas en trois ans le poids qu’il devrait avoir à 18 mois. Les yearlings
émigrent peu ou pas du tout et contribuent à encombrer leur lieu de naissance.

2. LA CROISSANCE du chevreuil est exprimée par la longueur d’un os.
Certains se contentent de mesurer la patte postérieure. Cependant, il paraît plus
instructif et plus précis de mesurer la longueur de la mâchoire inférieure (lmi) :
       - elle est corrélée à la longueur de la base du crâne ;
       - depuis les années soixante-dix, elle a été utilisée en Allemagne pour
         établir des plans de chasse sans comptages et sert de référence ;
       - chez l’adulte (2 ans révolus) elle montre jusqu’à quel point a pu
         s’élever la croissance d’un individu ;
       - enfin, l’état de la dentition permet de retenir trois classes d’âge :
13


- faon : 0 (présence de la 3ème prémolaire trilobée qui disparaît vers 1 an),

- yearling : 2 - (molaires hautes, acérées, dernière molaire neuve, bordée d’une
rigole osseuse, le tout coïncidant avec, à la coupe horizontale du crâne, une
cloison nasale cartilagineuse ou très peu ossifiée),

- adulte : 2 + sans plus de précision au simple examen visuel, tant les erreurs
d’appréciation sont grandes comparées à l’examen des coupes de cément
dentaire au microscope. La table dentaire des vrais vieux est complètement
abaissée et aplanie.

      Comment doit être mesurée la longueur de la mandibule




Depuis le rebord alvéolaire des incisives jusqu’au bord postérieur de apophyse
articulaire (et non jusqu’à l’angle de la mâchoire dont l’ouverture varie selon les
individus indépendamment de leur croissance).

3. LA FERTILITE de la population s’exprime par la production annuelle de
faons. Comme on ne peut dénombrer ces derniers avec certitude sur le terrain, il
est plus fiable d’examiner l’appareil génital des chevrettes abattues en comptant
le nombre de fœtus qu’il comporte.
14


 Hélas, ce serait trop simple ! Parmi les Cervidés, le chevreuil est la seule espèce
chez laquelle l’accouplement ait lieu en juillet tandis que le ou les embryons ne
commencent à grossir qu’au début du mois de janvier, ce qui permet aux
naissances d’avoir lieu en mai-juin. On appelle cela la diapause embryonnaire.
Les fœtus ne sont visibles et ne peuvent donc être comptés que si la chevrette
est abattue après le début de janvier.

Or il est fréquent que le prélèvement des femelles ait lieu en novembre et
décembre. Il est même autorisé à partir du 23 août dans les départements
alsaciens. C’est donc seulement par l’examen des ovaires que le taux de
fécondation peut être facilement connu. D’où l’intérêt de savoir les trouver en
vidant l’animal. Ce sont deux petites boules de la grosseur d’un poids chiche
situées aux extrémités des trompes utérines.


   L’appareil génital de la chevrette, ovaires et trompes utérines




A la coupe (une lame bien aiguisée suffit) s’observent le ou les corps jaunes
(CJ), glandes sécrétrices d’hormone de gestation. Leur nombre correspond
grosso modo à celui d’embryons présents. Le voile du mystère est ainsi aisément
levé.
15


                          Coupe des deux ovaires




Bien visibles sur ce cliché, un corps jaune de couleur chamois sur chaque ovaire.
Comme les fœtus, on peut en compter zéro, un, deux ou trois par chevrette et
même rarement quatre.

Plus les femelles pèsent lourd, plus elles sont fécondes. A partir d’un certain
poids les yearlings sont aussi fécondes que les adultes et participent donc à
l’accroissement annuel de la population. Les faons femelles de poids élevé (16
kg vif et plus) peuvent avoir été couverts en automne et présenter un corps jaune
sans pour autant mener une grossesse à terme. C’est une des explications du
second rut.

Ne serait-il pas dommage, en vidant une chevrette ou un faon femelle après le
tir, de se passer de la précieuse source d’information que représente son degré de
fécondation ? Faute d’avoir enregistré le poids, la taille et la fécondité moyenne
des chevreuils d’un territoire pris en location, impossible de savoir à partir de
quel état initial leur qualité évolue ou de comparer avec d’autres territoires

2. Qu’est-ce qui assure la qualité des chevreuils ?

L’élimination des déficients ? La structure de la population ? L’affouragement ?
La richesse du biotope ? Pas nécessairement :

a/ Eliminer les brocards mal coiffés, tradition germanique, n’a jamais abouti au
moindre résultat car cela relève d’un contresens. La sélection naturelle agit par
16


la multiplication des mieux adaptés et non par l’élimination de tel ou tel type
arbitraire d’individus.

b/ Intervenir sur la structure sociale d’une population (proportion des sexes et
des classes d’âge) n’a guère d’influence qualitative tant que ses effectifs saturent
le milieu de vie, cas fréquent aujourd’hui.

c/ L’affouragement fausse la sélection naturelle et concentre les dégâts de gibier
autour des points de nourrissage.

d/ Même la qualité apparente du paysage peut ne jouer qu’un rôle secondaire.
Au Danemark les chevreuils sont plus rares mais plus grands et plus lourds dans
les mornes landes à résineux du nord-ouest que dans le verdoyant bocage du
sud-est où ils abondent, du fait d’un goulot d’étranglement hivernal.

Et pour ceux qui s’intéressent aux trophées primés, les deux meilleurs spécimens
français proviennent de biotopes apparemment arides de la Provence comme :
      - Canjuers (Var) : 233 points CIC, 12 pointes, crâne : 810 gr net,
      - Cadarache (Bouches du Rhône) : 206 points, 6 pointes, crâne : 761 gr.
Autre paradoxe, à Wareham Forest (Dorset) sur un site officiellement classé
comme un des plus pauvres d’Europe : 140 points CIC, 8 pointes, 560 gr.

De la Suède à l’Espagne et de la Bretagne à la Sibérie, le chevreuil est expert
dans l’art de s’adapter, au prix de quatre exigences de sa nature. Il est :

1. Territorial pendant sept mois de l’année, ce qui assure la dispersion des
groupes familiaux et une exclusivité pour la nourriture. Il lui faut disposer
d’espace.

2. Sélecteur de pousses, de fleurs et de bourgeons riches et tendres assimilables
à 95 % par digestion directe rapide tandis que les brindilles coriaces
consommées en hiver ne le sont qu’à 15 % après lente fermentation bactérienne.

3. Non-capitalisateur de graisse : contrairement au Cerf, il ne dispose que de
très peu de réserves pour subsister en hiver (# 3% de son poids). Pour
compenser ce handicap, un chevreuil consomme par jour environ 2000 brins
d’arbres ou d’arbustes d’un gramme. En forêt, combien de pousses consommées
par 100 sujets en 120 jours d’hiver ? Faites le calcul et vous comprendrez les
préventions des sylviculteurs !

4. Dépendant d’un fragile bilan énergétique. 75% de l’énergie fournie par sa
nourriture est destinée au maintien de sa température interne, 24 % l’est à ses
dépenses locomotrices, digestives et cardiaques et seulement 1% à la croissance
17


et à la maintenance de ses tissus corporels. Le moindre déficit alimentaire
retentit donc en premier lieu sur la taille des chevreuils et sur la dimension des
bois des mâles. Or la disponibilité des ressources nutritives varie avec la
concurrence entre individus sur un même territoire.

Lorsque les chevreuils se multiplient, leur qualité devient donc très vite
dépendante de leur densité relative par rapport à l’offre alimentaire de leur
milieu de vie. En voici deux illustrations :

      - en 1979 aux USA, Dale McCullough avait fait varier les effectifs des
chevreuils (Odocoïleus virginianus) durant 19 ans sur un territoire clos de 464
hectares dans le Michigan. Il en a tiré la conclusion suivante :

« La taille d’une population est, de loin, la variante la plus importante qui
influence la qualité corporelle des individus et l’accroissement annuel de leur
nombre.
Comparées à cela, les autres variables (biotope, structure sociale, climat,
pluviosité etc…) qu’on tient pour importantes, sont relativement sans
importance.»

      - la même année, nous avons eu la curiosité de mesurer des milliers de
longueurs de mâchoires inférieures chevreuils provenant de 23 départements
français et de 6 pays européens en sélectionnant les adultes. Présentée en 1982
en Autriche au Conseil International de la Chasse, cette étude mit en évidence
des différences considérables entre les chevreuils chétifs des régions surpeuplées
(lmi autour 150 mm) et les grands chevreuils (lmi de 160 mm à plus de 170 mm)
des régions en voie de colonisation.

3. Comment vont évoluer les chevreuils ?

Passons de l’individu à la population. Celle-ci se comporte comme un
organisme dont l’activité propre tend à se perpétuer et à se propager dans un
milieu en continuelle évolution. Les chevreuils agissent sur leur milieu et
réciproquement. Ni leur nombre ni leur environnement végétal ne restent jamais
stables. La notion d’équilibre sylvo-cynégétique est une vue de l’esprit.

En s’introduisant dans un paysage vacant, les chevreuils se multiplient d’abord
faiblement parce qu’ils sont peu nombreux. Puis leur multiplication s’accélère,
favorisée par une offre alimentaire sans limite. A partir d’un point critique où
l’abondance des consommateurs provoque une érosion végétale, leur
multiplication se ralentit. Elle continue pourtant jusqu’à ce que le nombre de
morts compense celui des naissances. Il s’établit ce qu’on croit être un équilibre
18


stable entre les effectifs de chevreuils et la capacité d’accueil de leur milieu de
vie. Mais il n’en est rien.

         Population de Chevreuils : variations d’abondance
                                                            (Roucher 1996)




Que se passe-t-il en réalité et sur le long terme ? L’accroissement numérique
outrepasse la capacité d’accueil du milieu ambiant. La dégradation végétale
s’accentue et s’accompagne d’un effondrement de population. Du coup, la
végétation se reconstitue et permet un nouvel accroissement des effectifs de
chevreuils. Mais la végétation se restaurant moins vite que la population, celle-ci
se heurte à un plafond de ressources de plus en plus bas. Il n’y a donc pas un
équilibre stable mais une succession de déséquilibres réajustés.

Cependant (graphique du bas : les jambages montants indiquent l’accroissement
annuel et les descendants, le prélèvement), sous l’effet d’une pression élevée -
prédation ou chasse - les effectifs de population sont maintenus bien en deçà de
l’offre du milieu de vie. Les fluctuations sont amorties, des chevreuils vigoureux
et féconds étant peu sensibles aux aléas climatiques et aux infections.
19


                     V. COMMENT INTERVENIR ?

Chacun a son idée sur la question en fonction des conditions et des coutumes
locales ou nationales. Nous n’exposerons pas des idées mais ce que nous ont
appris la pratique du terrain et les avancées de l’écologie.

Deux cas opposés peuvent se présenter, la colonisation du milieu ou sa
saturation.

1er cas : les chevreuils font irruption dans le paysage.

Il trouvent une végétation illimitée et disposent de tout l’espace voulu pour leur
expansion. Il existe assez de bons territoires vacants pour que des jeunes sujets
se les approprient. La régulation des effectifs de la population se fait par
l’émigration printanière des yearlings.

Dans ces circonstances, la qualité moyenne des animaux atteint en général le
maximum de leurs potentialités, tant en corpulence (28 à 30 kg vifs), qu’en
croissance (lmi entre 160 et 175 mm) et en fertilité (2 à 2,5 corps jaunes par
femelle) et le taux de survie des faons est élevé en été comme en hiver.

Alors est-il indispensable d’intervenir puisque la nature fait si bien son travail ?
Oui car faute d’anticiper l’accroissement de la population, celle-ci va passer du
régime de régulation par émigration des jeunes à celui de la régulation par la
nourriture.

La forte dynamique d’accroissement d’une population la conduit en moins
d’années qu’on ne se l’imagine à l’encombrement du paysage. Les yearlings ne
trouvent plus à occuper que les territoires de moindre qualité que délaissent les
brocards dominants. Les territoires de ces derniers rétrécissent en passant par
exemple de 30 à 10 hectares. Cependant la fécondité des femelles reste encore
élevée. Fatalement, il viendra un moment où la baisse de la qualité et de la
quantité de nourriture se répercutera sur les performances physiques de ces
animaux.

La chasse interviendra donc avec deux objectifs :

1. Maintenir les effectifs en dessous de la limite à partir de laquelle la
concurrence entre consommateurs retentit sur l’offre de nourriture ;

2. Conserver une structure sociale proche de la nature.
20


Le premier objectif est difficile à atteindre en raison de l’incertitude quant au
nombre d’animaux présents sur le terrain. Sans attendre que les chevreuils
deviennent plus petits et moins lourds, on notera la tendance évolutive d’indices
comme les frottis de brocards, le nombre de chevreuils vus par sorties à
différentes saisons, le nombre de brocards adultes venus à l’appeau en juillet et
août (compter 6 à 7 sujets présents pour un brocard territorial), le nombre de
collisions sur la voie publique. On ne manquera pas d’ajouter un généreux
coefficient de sous-estimation à ces conjectures. Il faudra sans doute quelques
années de tâtonnements pour arriver à se situer entre le trop et le trop peu. La
méthode essais-erreurs s’avère ici plus efficace que des calculs théoriques.

Le deuxième objectif est plus facile à réaliser : prélever de 20 à 30 % de
femelles de plus que de mâles et 60% de jeunes (faons et yearlings)
conformément à la structure naturelle d’une population. On épargnera des
brocards mûrs qui sont les meilleurs auxiliaires du garde forestier en repoussant
les rivaux hors leur territoire.

Ces objectifs ne sont pas toujours atteints comme le montre ce qui peut se
produire lorsque l’accroissement des effectifs n’a pas été maîtrisé. La taille des
brocards, exprimée ici par la longueur moyenne de la mandibule, dégringole en
à peine six ans sur ce territoire d’Europe centrale :

         Evolution de la taille de brocards tchécoslovaques
                                                      (comm. personnelle)
21


2ème cas : présents depuis longtemps, les chevreuils saturent le paysage.

La courbe de l’accroissement des effectifs en France depuis les années 80
ressemble à celle d’une population non chassée… Comme si le plan de chasse –
d’abord instauré pour favoriser le repeuplement - n’avait ensuite servi à rien
pour maîtriser cet accroissement ! En 25 ans, l’effectif national est passé de cent
mille à près de deux millions.

Comment expliquer cela sinon par une sous-estimation chronique des effectifs
déclarés à l’autorité administrative pour le calcul des attributions de
prélèvements. Cette dernière n’est pas directement en cause. Les chasseurs et les
gardes qui lui déclarent les chiffres ont longtemps ignoré ou négligé le décalage
important entre l’observabilité des chevreuils et leur densité réelle. Ainsi lorsque
l’on compte un seul chevreuil à l’heure de marche, la densité sur le terrain peut
se situer entre 1 à 20 sujets aux 100 hectares. Et lorsqu’on en dénombre 12, elle
peut être de 60. Marge d’erreur suffisante pour invalider les déclarations
d’effectifs.

           Observabilité des chevreuils en fonction de leur densité




Il s’en est suivi des plans de chasse conservateurs. Soit, par exemple, une densité
réelle de 36 sujets aux cent hectares. Même un prélèvement annuel en apparence
élevé de 10 chevreuils n’aura aucun effet réducteur si le croît annuel est d’un
tiers, c'est-à-dire de 12 sujets. La population continuera à s’accroître. Le
décalage par rapport à la réalité s’avère couramment plus flagrant. Il est
22


aujourd’hui vérifié et admis que la sous-estimation des recensements de
chevreuils peut aller de 100 à 600 %.

En Europe de l’Ouest, on en arrive à des densités insoupçonnées du public et des
chasseurs mais authentifiées par des organismes de recherche :
      - de 50 à 71 aux 100 ha comme au Danemark, en Pologne et en
Angleterre, ce qui correspond à 1,4 à 2 hectares par chevreuil ;
      - et que dire de ce terrain militaire britannique de 364 hectares de dunes,
de buissons et de bosquets où les gardes recensaient un effectif de 35
chevreuils ? Des comptages par hélicoptères répétés six années de suite en
révélèrent de 180 à 200 !

Ce conservatisme arrange bien des chasseurs. Sans se préoccuper des
répercussions sur la régénération de la forêt, ils se satisfont d’avoir assez de
chevreuils à tirer pour occuper la saison de chasse et rentabiliser le prix de
location d’un territoire. Consumérisme à courte vue. Beaucoup de forestiers
qualifient cette insouciance de cynisme cynégétique. Car à la longue, ces
situations peuvent devenir économiquement inacceptables. Alors que faire ?

Rétablir l’harmonie entre forêt et chevreuils : un art et une nécessité

Misérable tableau que cette forêt surpeuplée traitée en futaie régulière, au sol
désertifié, aux plantations et régénérations protégées par des clôtures tandis que
le poids, la taille et la fécondité des chevreuils sont au plus bas. Pour remonter
leur qualité, la première chose à faire, pense–t–on, serait d’améliorer leur habitat
en le modifiant en leur faveur : diversifier le peuplement forestier, l’éclairer par
des trouées, rétablir la strate herbacée et arbustive et la régénération naturelle.
Voeu pieux tant que la pression de ces herbivores sur le milieu n’est pas réduite.

Le seul moyen d’y arriver consiste à intervenir sur l’effectif de population de
façon non pas progressive mais immédiate, massive et soutenue durant des
années. En somme, frapper fort et longtemps. A savoir : augmenter le
prélèvement annuel non pas de 10, 15 ou 20% - ce qui serait aussitôt compensé
par la même proportion de survies des faons – mais de 100, 300, 500% l’an et de
façon prolongée. Cela peut justifier des plans de chasse de 20 chevreuils et plus
aux cent hectares.

Les causes d’échec de l’intervention sont de deux ordres :
- soit le prélèvement a été numériquement insuffisant (en dessous du croît
annuel d’effectifs sous-estimés),
- soit il a été insuffisamment soutenu.
23


            Pour restaurer une forêt dégradée par les chevreuils,
                 commencer par un prélèvement de masse




                    Penser en stratège, agir en primitif



La peur de frapper trop fort est compréhensible surtout quand on ignore la
densité réelle des chevreuils. Cette peur est sans objet. La résilience des effectifs
d’une population de chevreuils est si rapide qu’il est bien plus risqué de ne pas
prélever assez que de le faire trop.

Plutôt que de se baser sur un calcul rationnel mais inexact, le prélèvement se
guidera de façon pragmatique sur le modèle aujourd’hui connu d’évolution de la
productivité d’une population de chevreuils. C’est plus simple qu’il ne le parait
24


A surface constante, variation de l’accroissement annuel en
fonction des effectifs d’une population de chevreuils




Cette courbe des potentialités d’une population en relation avec son milieu de
vie (McCullough, 1979) mérite une explication.

L’accroissement annuel commence par augmenter, culmine puis se réduit sous
l’effet de la pression sur le milieu végétal
On voit clairement que la productivité annuelle d’un effectif de 60 chevreuils
vigoureux et féconds peut égaler celle d’un effectif de 140 animaux chétifs et
peu féconds. Sans viser à la productivité maximale - qui peut s’accompagner de
dégâts à la végétation - le chasseur aménageur fait bouger le curseur sur la
branche gauche de la courbe en recherchant la productivité optimale compatible
avec la régénération naturelle du peuplement forestier local. Les sociétaires y
trouveront leur intérêt car à effectif réduit, des chevreuils devenus plus grands
et mieux coiffés leur procureront autant d’occasions de tir que de chétifs
chevreuils surabondants.

Telle est une des clés de l’aménagement intégré forêt -chevreuils.
25


Le facteur temps

On ne corrige pas des décennies d’incurie en à peine un ou deux ans. Les étages
herbacé et arbustif de la forêt mettent des années à se reconstituer. En sol acide
par exemple, le manteau de bruyère callune et de myrtille, cette provende
d’hiver, ne retrouvera pas de sitôt son épaisseur car ce sont de petits ligneux à
pousse lente. En terrain calcaire, la raréfaction de la ronce et du framboisier,
l’envahissement par de la fougère aigle signent le surpâturage.

Du côté des chevreuils, il y a souvent un décalage de 4 à 5 ans entre le début
d’une majoration significative du plan de chasse et celui de leur réponse
corporelle. En effet, une population de chevreuils se renouvelle de 25 % par an.
Autrement dit, elle met environ 4 ans à se renouveler complètement. La
population étant purgée de ses sujets défectueux, ce n’est qu’au bout de ce délai
que s’amorce l’augmentation du poids moyen des yearlings (quelques centaines
de grammes) et de leur taille (quelques millimètres de longueur de mâchoire).
Par contre, la fécondité des chevrettes adultes (nombre de corps jaunes) réagit
vite à la diminution de la pression sur la végétation ambiante. Voilà pourquoi la
majoration du prélèvement annuel doit être maintenue de façon soutenue.

Forêt et chevreuils forment un couple. Or un couple ne peut durer de façon
harmonieuse que si chacun de ses deux composants tient compte du rythme de
vie de l’autre et s’y adapte. Il y a risque de divorce quand la régénération
naturelle se fait mal tandis que les animaux deviennent des crevures.
L’aménageur joue le rôle de l’entremetteur, du coach dirait-on aujourd’hui, qui
va les relancer sur la voie de l’harmonie.

Le pas de temps du cycle évolutif est le siècle pour un peuplement d’arbres et la
décennie pour une population de Cervidés. Divers stades évolutifs de la forêt
peuvent supporter différentes densités de chevreuils. Tout l’art consiste à faire
coïncider l’un et l’autre de ces cycles asynchrones à une époque donnée. C’est la
recherche – non pas d’un illusoire équilibre – mais d’une harmonie évolutive
faune- flore, art d’un aménagement constamment réajusté de l’écosystème dont
le chasseur est un élément actif.

 L’harmonie est prise ici dans son acception musicale qui est l’accord entre deux
notes de longueur d’onde différente. De l’enchaînement de ces accords résulte
une mélodie. Pour qu’il y ait musique, il faut qu’il y ait un instrument et un
musicien. L’instrument, c’est l’écosystème et le musicien, c’est l’aménageur,
tantôt chasseur, tantôt forestier.


                                        .
26


                        VI. DES CAS CONCRETS


1. Régulation naturelle en Sibérie orientale : le chaos

Facteurs limitants du chevreuil de Sibérie Capreolus pygargus :
- un climat contrasté : de + 40° en été à - 40° en hiver,
- une vague de froid # tous les 15 ans, qui tue 80 % des effectifs,
- des épisodes assez rares de neige épaisse pendant lesquels le loup soustrait
environ 30 % de la population et le lynx, jusqu’à 80 %,
- à quoi s’ajoute le braconnage à proximité des agglomérations et des camps
militaires frontaliers avec la Chine.

Moyens de survie :
- plus grand et plus haut sur pattes que le chevreuil d’Europe,
- migrations en foule de printemps et d’automne de # 200 km entre résidences
d’hiver et d’été pour l’alimentation,
- dispersion à très faible densité (1/1000 ha en Russie, 15/1000 ha en Chine et
25/1000 ha en Mongolie) rendant la prédation problématique,
- forte dynamique permettant la résilience rapide des populations raréfiées.
En résumé : des fluctuations d’effectifs irrégulières et de grande amplitude.

2. Quand le cerf élimine le chevreuil en Mongolie

Le Maral Cervus elaphus canadensis a été introduit dans la réserve de Bogdo
Ula (200000 ha). Il a suffi que sa densité atteigne de 8 à 9 individus aux 100 ha
pour que le chevreuil, très abondant en 1920, finisse par disparaître en 1980.

En forêt, le cerf est pour le chevreuil un redoutable concurrent alimentaire :
- son horizon de broutage dépasse de haut celui du chevreuil,
- grégaire et non sélectif, il consomme tout ce qui lui tombe sous la dent (de 15
à 30 kg par individu et par jour),
- les densités de cerf rencontrées en France pèsent lourdement sur la qualité et la
quantité des chevreuils.
Vue sous cet angle, la meilleure densité de cerfs est la densité zéro.

3. Gestion sans comptages en Alsace : une première en France

Forêt des établissements De Dietrich, 4600 ha, Vosges du Nord. (Bas Rhin).
Parce que les propriétaires trouvaient les chevreuils « de plus en plus petits et de
moins en moins nombreux », l’auteur fut sollicité en 1982 pour remédier à une
situation de discordance extrême entre la forêt et les chevreuils. Le forestier
Brice de Turckheim souhaitait engager une sylviculture dite proche de la nature.
27


Etat des lieux :
Blocs de futaie régulière équienne monospécifique de pin, chêne et hêtre.
Traitement en régénération artificielle clôturée. Au sol, absence quasi totale de
végétation d’accompagnement. Une pépinière de 20 ha pour les plantations.

Etat des chevreuils :
- adultes mâles : 14 kg vidés, lmi 153 mm ; femelles : 13 kg, lmi 151mm, 0,8
corps jaunes.
- yearlings femelles : 10 kg et parfois 6 ou 7 ; lmi 142 mm.
- depuis une décennie, prélèvement annuel : 1,3 aux 100 ha et tir sélectif
« améliorateur de la race » basé sur l’aspect des bois des mâles. Affouragement
hivernal et cultures à gibier.

Mesures prises (grâce à un appui ministériel) :
- augmentation immédiate de 500 % d’un prélèvement aléatoire annuel des
chevreuils soutenu pendant 8 ans comprenant l’élimination du premier cerf venu
(converti en unités-chevreuil) quel que soient le sexe et l’âge ;
- suppression des postes d’affouragement et des clôtures des plantations ;
- enregistrement des poids vidés, des lmi et des corps jaunes de trois classe
d’âge : faons, yearlings et adultes, par les quatre gardes forestiers-chasseurs.
En France, une augmentation aussi massive du prélèvement annuel se heurte
souvent à la réticence des commissions départementales de concertation. Hélas !

Résultats sur les chevreuils en 8 ans :
- la proportion de jeunes passe de 20 % à 65 % ;
- celle des corps jaunes passe 0,8 à 1,8 chez les femelles adultes mais ne
progresse pas chez les yearlings ;
- la survie des faons est multipliée par 3 ;
- chez les femelles yearlings les poids augmentent de 2,8 kg et les lmi, de 6 mm
mais ces données ne progressent pas chez les femelles adultes.
Interprétation : chez les adultes à croissance achevée, le supplément d’énergie
alimentaire fourni par la réduction des effectifs a été orienté vers la fécondité.
Chez les yearlings trop légères pour être fertiles, il l’a été vers la croissance.

Résultats sur la forêt :
- gains en frais de culture et d’exploitation (entre ¼ et ½ million d’euros par an);
- réapparition de la végétation d’accompagnement (ronce et framboisier) ;
- régénération spontanée possible hors clôture : la pépinière n’est plus utile ;
- conversion de l’ensemble du domaine en futaie irrégulière mixte avec
régénération naturelle sous ombre et production de gros bois de qualité.

Visites sur le domaine de forestiers et de biologistes du grand gibier allemands,
anglais, danois et suisses.
28


4. Reproduction de la méthode en Suisse, canton du Jura

Ayant pris connaissance de l’opération en cours sur les forêts De Dietrich,
l’Inspecteur de la chasse Bernard Graedel a engagé les services de l’auteur dans
ce petit canton de 800 km².

La forêt : 35000 hectares de feuillus et de résineux traités en futaie irrégulière
mixte et entourés de prairies d’élevage et de bocage. Dégâts de broutage de la
régénération signalés par le Service cantonal des forêts.

Les chevreuils : en baisse de poids de 2,2 kg depuis le début des années 80.

Mesures prises :
- doublement du plan de chasse,
- présentation de chaque animal tiré par les 450 chasseurs aux postes de contrôle
tenus par les cinq gardes cantonaux pour enregistrement des poids, lmi et
numération des corps jaunes. Pour alléger la tâche, seules sont retenues les
données provenant des femelles, sans distinction entre 2 + et 2 -.

          Vingt-trois ans de suivi du poids vidé des femelles




Comme prévisible, le gain de poids de 1 kg ne s’est amorcé qu’avec un décalage
29


de cinq ans après la majoration du plan de chasse. Les femelles devenues plus
lourdes étant aussi plus fécondes, il aurait été indispensable d’augmenter encore
le prélèvement annuel pour mener à bien cette restauration. Mais les chasseurs
s’y opposèrent, craignant de « ne plus voir assez de chevreuils ». Du coup, le
poids est redescendu en dix ans jusqu’à la case de départ. Il a fallu ce retard
inutile pour faire accepter une majoration supplémentaire du plan de chasse.

5. Et en Allemagne

Dix ans après le début de l’expérience Dietrich, même opération de l’autre côté
de la frontière en Rhénanie-Palatinat sur les 7000 hectares de la forêt de
Hatzfeld – Wildenburg.

Jusqu’en 1990, la forêt est traitée en futaie régulière avec des plantations
engrillagées contre les chevreuils. Prélèvement annuel # 8 chevreuils aux 100
ha. Pratiquement pas de cerf.

A partir de 1992, le Dr Straubinger, nouveau forestier en charge, veut introduire
une sylviculture proche de la nature conforme à la doctrine Pro Silva promue
par son collègue alsacien Brice de Turckheim. Cela ne peut se faire qu’au prix
d’un prélèvement accru des chevreuils qui passe à 14/100 ha en moyenne
pendant cinq ans avec une pointe à 20/100 ha.

Pour ne pas y habituer les chevreuils, une fois par an est pratiquée sur chaque
parcelle de 200 hectares une poussée calme en complément du plan de tir : 10 à
15 chevreuils et 10 à 12 sangliers au tableau par enceinte. L’affouragement
hivernal est supprimé ainsi que la traditionnelle exposition annuelle de trophées.

Résultat :
- à faible densité, les chevreuils sont en excellent état et ont un taux de
reproduction élevé ;
- la régénération se produit en continu sur toute la surface et il n’y a plus de
protection des plants ;
- le propriétaire fait pour chaque chevreuil abattu une économie d’environ 2000
euros, soit un total de plus d’un million d’euros par an sur tout le domaine.

6. En Angleterre, des trophées grâce au tir des femelles

Dominic Griffith est chargé de la chasse au chevreuil sur un domaine agricole de
8100 hectares comprenant 607 hectares boisés dans le comté du Hampshire en
Angleterre du Sud. Ses clients viennent aussi bien de Grande-Bretagne que du
Continent.
30


Pour expliquer un succès certain, il ne fait pas état du nombre de chevreuils sur
pied (qu’il ignore vraisemblablement) mais du nombre d’animaux tirés par an et
de la structure sociale des prélèvements.

Pendant dix années consécutives sont prélevés 3,75 chevreuils aux cent hectares
ou plutôt 24 aux cent hectares boisés dans une proportion de 61 % de femelles et
39 % de mâles et d’une part égale d’adultes et de jeunes sans sélection
particulière sur la conformation des bois des mâles. En observateur avisé, il
prend soin de ne pas tirer les bons brocards trop jeunes, c'est-à-dire avant cinq à
six ans. Ainsi pourront-ils exercer leur fonction territoriale. Pour finir de réaliser
le plan de tir des femelles et des jeunes, il organise en hiver une seule fois par
secteur, des poussées calmes de déplacement sans chien avec de bons tireurs.

Résultat : durant les cinq dernières années d’exercice, la part de trophées primés
et de crânes pesant plus de 450 grammes représente de 27 à 47 % des brocards
prélevés en fonction de la sévérité de l’hiver, saison du refait des bois du mâle
dans l’espèce chevreuil.

7. Le terme de « chevrillard », un fâcheux abus de langage

Un faon naît fin mai et reste un faon dépendant de sa mère non seulement après
son sevrage de fin d’automne mais jusqu’à ce que sa mère le pousse hors de son
domaine vital quand elle sent venir sa prochaine mise bas. Allemands et Anglais
ne s’y trompent pas qui n’ont pas d’autre terme, Kitz et kid, pour le désigner
jusqu’à son prochain anniversaire. Après quoi il devient un Järhling ou un
yearling d’un an révolu voué à l’appropriation d’un nouveau domaine de vie.

Le faon ne sait pas que les Nemrods français lui changent son nom au moment
où se pratique le tir automnal ou hivernal des femelles. Devenu chevrillard par
convention, il est censé savoir se tirer d’affaire lorsque un tir lui enlève sa mère.
Alors commence une vie de sans domicile fixe, de paria social. Sa mère le
gardait dans son domaine vital exclusif, l’emmenait vers les poches de meilleure
nourriture d’hiver, lui montrait où se réfugier contre un danger que l’innocent ne
savait pressentir. La perte de l’imprégnation maternelle en fera un adolescent
handicapé et jamais un fort sujet. A chacun d’en tirer les conclusions.
31


                               BILIOGRAPHIE

Quelques ouvrages de base cités en ordre chronologique.

Offert à l’auteur par les autorités à l’occasion d’un séjour en Californie, le livret
de Taber et Dasmann, montre l’avance prise par les Américains depuis les
années cinquante. Il contient déjà l’étude des corps jaunes ovariens et des
longueurs de mâchoire inférieure des chevreuils locaux.

Taber, R. D. and Dasmann, F. R. (1958). The Black-tailed Deer of the
Chaparral. Its life history and management in the North Coast of California.
Game bulletin n° 8. State of California department of Fish and Game, 163 p.

MacArthur, R. A., Connell, J. H. (1966). The Biology of Populations. John
Wiley and Sons. New York, 200 p.

Halls, L. K. (1980). White-tailed Deer in: Big Game of North America. Ecology
and Management. Wildlife Management Institute. Stackpole books. Harrisburg,
PA, pp.43-66

Wallmo, O. C. (1981). Mule and Black-tailed Deer of North-America. Wildlife
Management Institute. University of Nebraska Press. Lincoln, NE, 605 p.

Prior, R. (1995). The Roe Deer. Conservation of a Native Species. Swan Hill
Press. Shrewsbury, 230 p

Danilkin, A. and Hewison, A. J. M. (1996). Behavioural Ecology of Siberian
and European Roe Deer. Chapman and Hall, London, 277 p.

Andersen, R., Duncan, P. and Linnell, J. (1998). The European Roe Deer: The
Biology of Success. Scandinavian University Press, Oslo, 176 p.

Roucher, F. (2008). Chevreuils d’Hier et d’Aujourd’hui. Deuxième édition,
Gerfaut. Paris, 284 p.

Roucher, F. (2010). La grande faune de nos forêts. Gerfaut, Paris, 191 p.
32
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Pour des chevreuils de qualite

  • 1. 1 SOMMAIRE Avant propos I. Pourquoi intervenir ? II. Qualité du tir Comment faire un tir foudroyant ? Effets cumulés de l’impact de la balle III. Qualité de la chasse La battue L’affût L’approche La poussée calme de déplacement IV. Qualité des chevreuils Comment l’évaluer ? Qu’est-ce qui assure la qualité des chevreuils ? Comment vont évoluer les chevreuils ? V. Comment intervenir ? En phase de colonisation d’un paysage Au stade de saturation du milieu de vie VI. Des cas concrets Bibliographie Quelques ouvrages de base
  • 2. 2 AVANT PROPOS Durant des décennies, le plan de chasse au grand gibier a fonctionné selon la théorie du surplus récoltable établie par le célèbre forestier américain Aldo Leopold en 1933 (1). Ce dernier transposait sur les populations de Cervidés un calcul de la possibilité de récolte annuelle qui convenait à l’économie forestière : volume d’arbres recensés sur une parcelle multiplié par un pourcentage d’accroissement. Cela n’a pas marché. Les chevreuils bougent et se cachent. Ils ne se prêtent pas aussi facilement que les arbres aux dénombrements et l’accroissement annuel « moyen » de leurs effectifs n’existe pas puisqu’il varie entre quarante et zéro % ou même moins. D’où, à la longue, une abondance mal contrôlée qui ne fait pas l’affaire de la régénération forestière. Il fallait bien trouver autre chose. La méthode ici proposée résulte non pas d’une illumination subite mais d’un cheminement et de rencontres fructueuses. Chassant dans ma jeunesse sur trois grands domaines princiers de Souabe, je croyais dur comme fer aux méthodes germaniques traditionnelles et au tir sélectif. Jusqu’au jour où devenu sociétaire d’une chasse de huit mille hectares en forêt domaniale de la Grande Chartreuse, je m’aperçus que les brocards qui pesaient là bas18 kilos en pesaient entre 28 et 30 dans ce massif qu’ils colonisaient depuis peu. Dans les années soixante-dix j’eus la chance d’entrer et de rester en contact avec des esprits novateurs : - en premier lieu l’anglais Richard Prior (2) qui sauva le chevreuil dans le Royaume Uni. Engagé par les forestiers de la Couronne pour éradiquer totalement ces « nuisibles » qui ravageaient leurs plantations, il prouva qu’on pouvait les conserver à condition de les chasser conformément à leur structure sociale, de maintenir leur nombre au dessous de la capacité d’accueil du milieu de vie et d’épargner les brocards territoriaux ; - ensuite les allemands Hermann Ellenberg et Dietlef Eisfeld (3 et 4) qui préconisèrent de remplacer les douteux comptages de chevreuils par la mensuration d’indices biologiques tels que la longueur de la mâchoire inférieure des adultes, reflet de leur croissance ; - enfin l’américain Dale McCullough (5) qui démontra que la productivité d’une petite population de chevreuils vigoureux pouvait égaler celle d’une population surabondante de chevreuils chétifs. C’est sous l’inspiration de ces auteurs que s’est formée une méthode d’aménagement des chevreuils plus conforme à leur écologie.
  • 3. 3 Je dois à l’ingénieur général des forêts Jean de Chancel, directeur de la Chasse au ministère de l’Environnement, d’avoir pu passer outre aux pesanteurs administratives de notre pays pour mettre en œuvre la présente méthode. Inaugurée en Alsace en 1982, elle apparut comme révolutionnaire alors qu’elle n’était que simplement logique. D’autres m’ont honoré de leur confiance et de leurs conseils comme Paul Pesson, professeur de zoologie à l’Institut national d’Agronomie de Paris- Grignon, Jean Dorst, dernier successeur de Buffon au Muséum national d’Histoire naturelle et Bernard Fischesser (6), directeur de l’unité Ecologie du Paysage de Montagne au Centre d’études du Génie rural, des Eaux et des Forêts. Comme on peut le constater, je ne prétends pas avoir inventé la brouette. Références : 1. Leopold, A. (1933). Game management. New York : Charles Srcribner’s Sons. 2. Prior, R. (1968). The Roe Deer of Cranborne Chase. An ecological survey. Oxford University Press, London, 222 p. 3. Ellenberg, H. (1974). Die Körpergrösse des Rehes als bioindicator. Verhandlungen der Gesellschaft für Ökologie, Erlangen : 141-154. 4. Eisfeld, D. und Ellenberg, H. (1975). Rehwild Abschussplanung ohne Zählung. Wild und Hund, 77 : 541-543. 5. McCullough, D. R. (1979). The George Reserve Deer Herd. Population ecology of a K-selected species. University of Michigan Press, Ann Arbor, 270 p. 6. Fischesser, B. et Dupuis-Tate, M. F. (1996). Le Guide illustré de l’Ecologie. La Martinière, Paris, 319 p.
  • 4. 4 I. POURQUOI INTERVENIR ? Le but d’un aménagement soutenu des populations de chevreuils et de leur milieu de vie est de répondre à divers besoins de la société en les intégrant. Etant donnée la fluidité du maillage de la population, pour être efficace, cet aménagement doit s’étendre à l’échelle du paysage occupé par l’espèce jusqu’à ses limites naturelles, c'est-à-dire d’un à plusieurs milliers d’hectares. C’est dire l’importance de la coopération entre voisins et groupes d’intérêts différents. L’absence de chasse aurait des conséquences néfastes. Outre la dégradation végétale, la prolifération des chevreuils entraînerait leur chétivité, leur infécondité, leur vulnérabilité aux infections parasitaires et microbiennes, la mortalité des faons et le vieillissement des populations. Il n’y a pas de chevreuils malades dans des populations qui sous-utilisent leur milieu de vie. Le retour des grands prédateurs a pu être présenté comme « la » solution par les dévots d’une nature sacralisée. Ces derniers ignorent-ils que c’est le nombre de proies qui détermine le nombre de prédateurs et non l’inverse ? En Amérique du Nord, il a été vérifié qu’au-delà d’une densité de sept cerfs de Virginie* aux cent hectares, les loups sont incapables d’en diminuer les effectifs. Dans les Vosges alsaciennes, la réapparition du lynx n’a pas empêché la prolifération de chevreuils de médiocre qualité. C’est donc à l’homme et en particulier aux chasseurs et aux sylviculteurs qu’incombe la charge d’un aménagement aboutissant à de beaux et vigoureux chevreuils dans des boisements variés en régénération naturelle. Un art plus qu’une rigide technique. Tout se tient. Pas d’aménagement adapté à la nature du chevreuil, à sa vie sociale et à son écologie qui ne s’appuie sur une chasse à la fois efficiente et peu perturbante. C’est ce qui sera traité en premier lieu. * «Cerf » de Virginie et «cerf » mulet sont en réalité les chevreuils de l’Amérique du Nord. Appartenant à la même famille que leurs cousins d’Eurasie, celle des Odocoïléinés, ils sont appelés chevreuils par les Québécois et jadis aussi par Buffon. Ils n’ont rien de commun avec le wapiti qui lui, est le cerf élaphe du Nouveau monde. Pour ajouter aux confusions de langage, les anciens pionniers ont dénommé ces cerfs « Elk » - qui veut dire Elan – parce qu’ils étaient de grande taille… et c’est resté dans la langue américaine moderne !
  • 5. 5 1I. QUALITE DU TIR Si un chasseur se dit satisfait de sa carabine, c’est qu’il en a choisi la marque et le calibre en connaissance de cause. Il a raison, inutile d’en débattre. La plupart des armes de chasse disponibles dans le commerce permettent de bons groupements. Comme en photographie, le succès dépend de celui qui est derrière l’oculaire. En la matière, personne n’est parfait. Qui d’entre nous ne garde-t-il pas en mémoire l’humiliation d’avoir manqué le brocard d’une vie ou le cuisant remords d’avoir blessé et perdu une chevrette en privant ses deux faons du soutien maternel ? Le tir sur du vivant est un acte grave qui ne tolère pas l’à peu près. Mettons donc les chances de notre côté pour que tout chevreuil tiré s’écroule avant même d’avoir entendu le coup de feu. Ce qui consiste à devenir aussi bon que sa carabine et à savoir placer sa balle dans le corps de l’animal avec la précision d’un bon praticien. Trois conditions déterminantes : - de l’entraînement : par économie, avec une carabine 22 ou même à air comprimé jusqu’à la parfaite coordination des gestes et de l’œil. Ensuite au stand avec la carabine de chasse jusqu’à ce qu’elle devienne aussi familière à son propriétaire que sa fourchette de table ; - de la retenue : ne jamais hésiter à s’abstenir si les conditions rendent le tir hasardeux (animal en mouvement, trop grande distance ou mauvaise présentation, visibilité douteuse, essoufflement, stress, « buck fever »). Pas de regret : une seconde occasion se présentera tôt ou tard ; - une connaissance de l’anatomie topographique du chevreuil, c'est-à-dire de la projection des organes internes sur sa silhouette. C’est simple et c’est indispensable. Comment faire un tir foudroyant ? En visant vers l’avant du thorax. Le tir classique au défaut de l’épaule (à la verticale de la patte) n’abat pas forcément l’animal sur place. Touché au muscle cardiaque avant l’expansion de
  • 6. 6 la balle, il peut détaler sur 50 mètres et disparaître à couvert. Si l’impact est top bas, il casse la patte. S’il est trop postérieur, il perce le poumon et permet une fuite assez longue avant d’être fatal. Le tir au cou peut soit paralyser l’animal sans le tuer (nécessité d’un coup de grâce), soit manquer la colonne vertébrale. Le tir à la tête peut fracasser la mâchoire, interdisant l’alimentation. Heureusement, il y a plus expéditif : Le tir aux gros vaisseaux de la base du cœur Leur aire de projection se situe au centre d’un triangle formé par : - l’épaule (omoplate) oblique vers l’avant, - le bras (humérus) oblique vers l’arrière - et la verticale abaissée de la pointe de l’omoplate jusqu’au coude. C’est le triangle mou que la balle pénètre sans résistance. Le tir « au triangle mou » (Roucher , 1978) Calque d’une radiographie de chevreuil debout
  • 7. 7 Effets comparés de l’impact de la balle : (a) La perforation du ventricule, muscle épais, n’empêche pas le sang de se propulser vers le cerveau tant que la pompe cardiaque n’est pas désamorcée par la fuite du sang. L’animal peut encore courir. (b) La blessure de l’aorte prive instantanément le cerveau de l’afflux sanguin. La destruction de l’oreillette, mince membrane, désamorce la pompe cardiaque. Ainsi, l’animal tombe sur place sans avoir même entendu le coup de feu. Tir au ventricule Tir aux gros vaisseaux
  • 8. 8 Faon de cerf tiré à l’approche par l’auteur en hiver dans le massif du Vercors. On voit l’impact au « triangle mou » dans l’angle omoplate-humérus. Le ventricule musculaire du cœur est intact tandis que les oreillettes et la crosse de l’aorte, ici béante, sont détruites
  • 9. 9 III. QUALITE DE LA CHASSE Chasser court et bien consiste à gratifier les chevreuils d’une quiétude quasi permanente en pratiquant des prélèvements brefs, discrets et efficaces. Du point de vue du bien être des chevreuils, tous les modes de chasse ne se valent pas. La battue répétée avec chiens courants et rabatteurs bruyants ayant été traitée dans l’introduction, nous n’y reviendrons pas. C’est le meilleur moyen d’aboutir à des chevreuils stressés et donc invisibles de jour, à des populations déstructurées, à des orphelins et des blessés-perdus. Tout cela au nom de la convivialité et de l’aléatoire « tir au saut du layon » dont on se vantera au moment du casse-croûte ! L’élégant chevreuil ne mérite-t- il pas mieux que cette loterie de foire ambulante ? L’affût perché, par contre, allie la discrétion, la poésie contemplative et la commodité d’un tir appuyé, calme et précis. Le mirador souvent situé en lisière des champs ou d’une clairière doit être accessible par le chemin le plus court et le plus direct de façon à répandre le moins d’odeur possible. Comme l’affût est souvent pratiqué le soir, un tir foudroyant évite une recherche de nuit. L’approche appelée stalking par les britanniques et pirsch par les germaniques est le plus exaltant des sports. Dans la fraîcheur d’un petit matin, l’esprit tendu, qui n’a pas tressailli au cri soudain d’un coq faisan ou à l’envol d’un ramier ? Aujourd’hui, la chasse individuelle n’est pas assez efficace à elle seule pour maîtriser les effectifs de chevreuils, surtout quand ils sont ajustés à l’exigence d’une régénération naturelle. Elle exige d’investir de plus en plus de temps pour réaliser le plan de tir. Son dérangement permanent de juin à février prochain s’ajoute à celui, croissant, des promeneurs. Cervidés et sangliers ont en commun – en l’absence de dérangements – d’utiliser le plein jour pour leur phase d’activité. Une chasse individuelle trop étalée dans le temps leur fait identifier tout promeneur à un chasseur et les pousse à se dérober et à devenir nocturnes. Il en découle le besoin de faire appel à certaines méthodes de chasse collectives pour un meilleur ajustement aux conditions qui se sont modifiées. Alors par nécessité, un mode de chasse plus performant se répand aujourd’hui en Europe. La poussée calme de déplacement vers des tireurs perchés . Heureux retour de l’Histoire, cette méthode est la plus traditionnelle qui soit. C’est la chasse des gens de pied codifiée au quatorzième siècle dans Le Livre du Roi Modus et de la Reine Ratio par Henri de Ferrières pour abonder le château
  • 10. 10 en venaison fraîche. On poussait gentiment le gibier vers des archers comme on le ferait de vaches nonchalantes. Cette méthode permet de parachever un plan de tir en peu de temps. Elle mobilise les animaux sans stress. Elle est efficace à condition d’être exécutée dans les règles de l’art comme c’est le cas en forêt domaniale de Basse-Saxe. Elle s’exécute une seule fois par an sur chaque parcelle d’au moins 200 hectares avec 60 à 80 personnes, tireurs et marcheurs dont une vingtaine de maîtres chiens, chacun parcourant de façon désordonnée mais lente une dizaine d’hectares plusieurs fois de suite pendant trois heures. Les tireurs sont postés à l’aube sur des petites chaises hautes garnies de brande et d’une barre d’appui et disposées à l’intérieur des peuplements en bordure d’endroits dégagés que les animaux traversent calmement en marquant l’arrêt de temps en temps. Les marcheurs doivent avoir une connaissance approfondie de la parcelle parcourue, des remises et des voies habituelles des animaux. Ils se signalent à voix normale. Ils doivent intriguer le gibier, le mettre en éveil plutôt qu’en état d’alarme. Le gros du travail de mise sur pied est fait par le vent. Les marcheurs progressent avec et non contre le vent. Si le gibier se met à courir, la partie est irrémédiablement perdue et il vaut mieux rentrer à la maison. La poussée calme de déplacement se révèle comme un des plus passionnants exercices de la chasse. Chacun des acteurs - tireurs, marcheurs, maîtres chiens, gardes, organisateurs - y apporte son expertise et sa satisfaction d’exécuter cet art en harmonie mutuelle comme dans un orchestre symphonique. L’éthique de la chasse y trouve son compte puisqu’elle assure la tranquillité du gibier pour le reste de l’année. Ndlr. : Pour compléter son information, le lecteur peut consulter le livre de l’auteur, Chevreuils d’Hier et d’aujourd’hui, au chapitre La Poussée, pp. 205 à 225. Il y trouvera le récit d’une journée de chasse d’hiver en forêt domaniale de Basse-Saxe et la traduction du Merkblatt n° 26, note d’instruction du Service forestier du Land de Basse-Saxe intitulée : Méthodes de chasse collectives : substitut à la chasse individuelle au grand gibier. Ceux qui voudraient expérimenter cela sur place peuvent s’adresser à : Dr Hans Werner Streletzki Niedersächsisches Ministerium für Ernhärung Landwirtschaft Verbraucherschutz und Landesentwicklung Calenberger Strasse 2 30169 Hannover
  • 11. 11 IV. QUALITE DES CHEVREUILS 1. Comment l’évaluer ? En tirant du chevreuil abattu des informations chiffrables sur sa corpulence, sa croissance et s’il s’agit d’une femelle, sur sa fertilité. Cumulées sur au moins trente sujets de même classe sociale (faon, yearling, adulte, mâle et femelle) on en extraira des moyennes qui traduisent l’état des chevreuils locaux à un moment donné. C’est le point de repère à partir duquel sera enregistrée la tendance des animaux vers la stabilité, le progrès ou la régression de leur qualité. 1. LA CORPULENCE est traduite par le poids de la bête totalement vidée depuis la trachée jusqu’ à l’anus. Le poids vidé correspond aux ¾ du poids vif. Ce correctif est utile à connaître lorsqu’on ne dispose que du poids vif d’une série. C’est dans les paysages où la densité est la plus basse par rapport à l’offre du milieu de vie (densité relative) que l’on trouve les chevreuils les plus lourds, comme le montre ce tableau comparatif : - les colonnes A, B et C correspondent à la moyenne des poids vifs des chevreuils dans trois régions en voie colonisation : Sussex et Surrey en Angleterre il y a quarante ans ; Emilie - Romagne en Italie aujourd’hui. - la colonne D correspond à une forêt privée de 600 ha en Normandie où l’abondance mal maîtrisée des chevreuils se traduit déjà par une baisse modérée des poids et par des dégâts inacceptables à la régénération naturelle du chêne.
  • 12. 12 Dans les régions surpeuplées en chevreuils depuis des décennies comme en Alsace et en Bavière, les poids vidés moyens descendent aussi bas que 12 à13 kg pour les adultes et à 9 à10 kg pour les faons. Influence de la densité relative des chevreuils sur leur prise de poids (Loudon 1979) - à densité modérée, le poids d’adulte (ici : poids vidé) est pratiquement atteint à 18 mois, ce qui permet à un jeune mâle de partir à la conquête d’un territoire dès sa deuxième année ; - à densité trop élevée pour la capacité d’accueil du milieu végétal, un chevreuil n’atteint pas en trois ans le poids qu’il devrait avoir à 18 mois. Les yearlings émigrent peu ou pas du tout et contribuent à encombrer leur lieu de naissance. 2. LA CROISSANCE du chevreuil est exprimée par la longueur d’un os. Certains se contentent de mesurer la patte postérieure. Cependant, il paraît plus instructif et plus précis de mesurer la longueur de la mâchoire inférieure (lmi) : - elle est corrélée à la longueur de la base du crâne ; - depuis les années soixante-dix, elle a été utilisée en Allemagne pour établir des plans de chasse sans comptages et sert de référence ; - chez l’adulte (2 ans révolus) elle montre jusqu’à quel point a pu s’élever la croissance d’un individu ; - enfin, l’état de la dentition permet de retenir trois classes d’âge :
  • 13. 13 - faon : 0 (présence de la 3ème prémolaire trilobée qui disparaît vers 1 an), - yearling : 2 - (molaires hautes, acérées, dernière molaire neuve, bordée d’une rigole osseuse, le tout coïncidant avec, à la coupe horizontale du crâne, une cloison nasale cartilagineuse ou très peu ossifiée), - adulte : 2 + sans plus de précision au simple examen visuel, tant les erreurs d’appréciation sont grandes comparées à l’examen des coupes de cément dentaire au microscope. La table dentaire des vrais vieux est complètement abaissée et aplanie. Comment doit être mesurée la longueur de la mandibule Depuis le rebord alvéolaire des incisives jusqu’au bord postérieur de apophyse articulaire (et non jusqu’à l’angle de la mâchoire dont l’ouverture varie selon les individus indépendamment de leur croissance). 3. LA FERTILITE de la population s’exprime par la production annuelle de faons. Comme on ne peut dénombrer ces derniers avec certitude sur le terrain, il est plus fiable d’examiner l’appareil génital des chevrettes abattues en comptant le nombre de fœtus qu’il comporte.
  • 14. 14 Hélas, ce serait trop simple ! Parmi les Cervidés, le chevreuil est la seule espèce chez laquelle l’accouplement ait lieu en juillet tandis que le ou les embryons ne commencent à grossir qu’au début du mois de janvier, ce qui permet aux naissances d’avoir lieu en mai-juin. On appelle cela la diapause embryonnaire. Les fœtus ne sont visibles et ne peuvent donc être comptés que si la chevrette est abattue après le début de janvier. Or il est fréquent que le prélèvement des femelles ait lieu en novembre et décembre. Il est même autorisé à partir du 23 août dans les départements alsaciens. C’est donc seulement par l’examen des ovaires que le taux de fécondation peut être facilement connu. D’où l’intérêt de savoir les trouver en vidant l’animal. Ce sont deux petites boules de la grosseur d’un poids chiche situées aux extrémités des trompes utérines. L’appareil génital de la chevrette, ovaires et trompes utérines A la coupe (une lame bien aiguisée suffit) s’observent le ou les corps jaunes (CJ), glandes sécrétrices d’hormone de gestation. Leur nombre correspond grosso modo à celui d’embryons présents. Le voile du mystère est ainsi aisément levé.
  • 15. 15 Coupe des deux ovaires Bien visibles sur ce cliché, un corps jaune de couleur chamois sur chaque ovaire. Comme les fœtus, on peut en compter zéro, un, deux ou trois par chevrette et même rarement quatre. Plus les femelles pèsent lourd, plus elles sont fécondes. A partir d’un certain poids les yearlings sont aussi fécondes que les adultes et participent donc à l’accroissement annuel de la population. Les faons femelles de poids élevé (16 kg vif et plus) peuvent avoir été couverts en automne et présenter un corps jaune sans pour autant mener une grossesse à terme. C’est une des explications du second rut. Ne serait-il pas dommage, en vidant une chevrette ou un faon femelle après le tir, de se passer de la précieuse source d’information que représente son degré de fécondation ? Faute d’avoir enregistré le poids, la taille et la fécondité moyenne des chevreuils d’un territoire pris en location, impossible de savoir à partir de quel état initial leur qualité évolue ou de comparer avec d’autres territoires 2. Qu’est-ce qui assure la qualité des chevreuils ? L’élimination des déficients ? La structure de la population ? L’affouragement ? La richesse du biotope ? Pas nécessairement : a/ Eliminer les brocards mal coiffés, tradition germanique, n’a jamais abouti au moindre résultat car cela relève d’un contresens. La sélection naturelle agit par
  • 16. 16 la multiplication des mieux adaptés et non par l’élimination de tel ou tel type arbitraire d’individus. b/ Intervenir sur la structure sociale d’une population (proportion des sexes et des classes d’âge) n’a guère d’influence qualitative tant que ses effectifs saturent le milieu de vie, cas fréquent aujourd’hui. c/ L’affouragement fausse la sélection naturelle et concentre les dégâts de gibier autour des points de nourrissage. d/ Même la qualité apparente du paysage peut ne jouer qu’un rôle secondaire. Au Danemark les chevreuils sont plus rares mais plus grands et plus lourds dans les mornes landes à résineux du nord-ouest que dans le verdoyant bocage du sud-est où ils abondent, du fait d’un goulot d’étranglement hivernal. Et pour ceux qui s’intéressent aux trophées primés, les deux meilleurs spécimens français proviennent de biotopes apparemment arides de la Provence comme : - Canjuers (Var) : 233 points CIC, 12 pointes, crâne : 810 gr net, - Cadarache (Bouches du Rhône) : 206 points, 6 pointes, crâne : 761 gr. Autre paradoxe, à Wareham Forest (Dorset) sur un site officiellement classé comme un des plus pauvres d’Europe : 140 points CIC, 8 pointes, 560 gr. De la Suède à l’Espagne et de la Bretagne à la Sibérie, le chevreuil est expert dans l’art de s’adapter, au prix de quatre exigences de sa nature. Il est : 1. Territorial pendant sept mois de l’année, ce qui assure la dispersion des groupes familiaux et une exclusivité pour la nourriture. Il lui faut disposer d’espace. 2. Sélecteur de pousses, de fleurs et de bourgeons riches et tendres assimilables à 95 % par digestion directe rapide tandis que les brindilles coriaces consommées en hiver ne le sont qu’à 15 % après lente fermentation bactérienne. 3. Non-capitalisateur de graisse : contrairement au Cerf, il ne dispose que de très peu de réserves pour subsister en hiver (# 3% de son poids). Pour compenser ce handicap, un chevreuil consomme par jour environ 2000 brins d’arbres ou d’arbustes d’un gramme. En forêt, combien de pousses consommées par 100 sujets en 120 jours d’hiver ? Faites le calcul et vous comprendrez les préventions des sylviculteurs ! 4. Dépendant d’un fragile bilan énergétique. 75% de l’énergie fournie par sa nourriture est destinée au maintien de sa température interne, 24 % l’est à ses dépenses locomotrices, digestives et cardiaques et seulement 1% à la croissance
  • 17. 17 et à la maintenance de ses tissus corporels. Le moindre déficit alimentaire retentit donc en premier lieu sur la taille des chevreuils et sur la dimension des bois des mâles. Or la disponibilité des ressources nutritives varie avec la concurrence entre individus sur un même territoire. Lorsque les chevreuils se multiplient, leur qualité devient donc très vite dépendante de leur densité relative par rapport à l’offre alimentaire de leur milieu de vie. En voici deux illustrations : - en 1979 aux USA, Dale McCullough avait fait varier les effectifs des chevreuils (Odocoïleus virginianus) durant 19 ans sur un territoire clos de 464 hectares dans le Michigan. Il en a tiré la conclusion suivante : « La taille d’une population est, de loin, la variante la plus importante qui influence la qualité corporelle des individus et l’accroissement annuel de leur nombre. Comparées à cela, les autres variables (biotope, structure sociale, climat, pluviosité etc…) qu’on tient pour importantes, sont relativement sans importance.» - la même année, nous avons eu la curiosité de mesurer des milliers de longueurs de mâchoires inférieures chevreuils provenant de 23 départements français et de 6 pays européens en sélectionnant les adultes. Présentée en 1982 en Autriche au Conseil International de la Chasse, cette étude mit en évidence des différences considérables entre les chevreuils chétifs des régions surpeuplées (lmi autour 150 mm) et les grands chevreuils (lmi de 160 mm à plus de 170 mm) des régions en voie de colonisation. 3. Comment vont évoluer les chevreuils ? Passons de l’individu à la population. Celle-ci se comporte comme un organisme dont l’activité propre tend à se perpétuer et à se propager dans un milieu en continuelle évolution. Les chevreuils agissent sur leur milieu et réciproquement. Ni leur nombre ni leur environnement végétal ne restent jamais stables. La notion d’équilibre sylvo-cynégétique est une vue de l’esprit. En s’introduisant dans un paysage vacant, les chevreuils se multiplient d’abord faiblement parce qu’ils sont peu nombreux. Puis leur multiplication s’accélère, favorisée par une offre alimentaire sans limite. A partir d’un point critique où l’abondance des consommateurs provoque une érosion végétale, leur multiplication se ralentit. Elle continue pourtant jusqu’à ce que le nombre de morts compense celui des naissances. Il s’établit ce qu’on croit être un équilibre
  • 18. 18 stable entre les effectifs de chevreuils et la capacité d’accueil de leur milieu de vie. Mais il n’en est rien. Population de Chevreuils : variations d’abondance (Roucher 1996) Que se passe-t-il en réalité et sur le long terme ? L’accroissement numérique outrepasse la capacité d’accueil du milieu ambiant. La dégradation végétale s’accentue et s’accompagne d’un effondrement de population. Du coup, la végétation se reconstitue et permet un nouvel accroissement des effectifs de chevreuils. Mais la végétation se restaurant moins vite que la population, celle-ci se heurte à un plafond de ressources de plus en plus bas. Il n’y a donc pas un équilibre stable mais une succession de déséquilibres réajustés. Cependant (graphique du bas : les jambages montants indiquent l’accroissement annuel et les descendants, le prélèvement), sous l’effet d’une pression élevée - prédation ou chasse - les effectifs de population sont maintenus bien en deçà de l’offre du milieu de vie. Les fluctuations sont amorties, des chevreuils vigoureux et féconds étant peu sensibles aux aléas climatiques et aux infections.
  • 19. 19 V. COMMENT INTERVENIR ? Chacun a son idée sur la question en fonction des conditions et des coutumes locales ou nationales. Nous n’exposerons pas des idées mais ce que nous ont appris la pratique du terrain et les avancées de l’écologie. Deux cas opposés peuvent se présenter, la colonisation du milieu ou sa saturation. 1er cas : les chevreuils font irruption dans le paysage. Il trouvent une végétation illimitée et disposent de tout l’espace voulu pour leur expansion. Il existe assez de bons territoires vacants pour que des jeunes sujets se les approprient. La régulation des effectifs de la population se fait par l’émigration printanière des yearlings. Dans ces circonstances, la qualité moyenne des animaux atteint en général le maximum de leurs potentialités, tant en corpulence (28 à 30 kg vifs), qu’en croissance (lmi entre 160 et 175 mm) et en fertilité (2 à 2,5 corps jaunes par femelle) et le taux de survie des faons est élevé en été comme en hiver. Alors est-il indispensable d’intervenir puisque la nature fait si bien son travail ? Oui car faute d’anticiper l’accroissement de la population, celle-ci va passer du régime de régulation par émigration des jeunes à celui de la régulation par la nourriture. La forte dynamique d’accroissement d’une population la conduit en moins d’années qu’on ne se l’imagine à l’encombrement du paysage. Les yearlings ne trouvent plus à occuper que les territoires de moindre qualité que délaissent les brocards dominants. Les territoires de ces derniers rétrécissent en passant par exemple de 30 à 10 hectares. Cependant la fécondité des femelles reste encore élevée. Fatalement, il viendra un moment où la baisse de la qualité et de la quantité de nourriture se répercutera sur les performances physiques de ces animaux. La chasse interviendra donc avec deux objectifs : 1. Maintenir les effectifs en dessous de la limite à partir de laquelle la concurrence entre consommateurs retentit sur l’offre de nourriture ; 2. Conserver une structure sociale proche de la nature.
  • 20. 20 Le premier objectif est difficile à atteindre en raison de l’incertitude quant au nombre d’animaux présents sur le terrain. Sans attendre que les chevreuils deviennent plus petits et moins lourds, on notera la tendance évolutive d’indices comme les frottis de brocards, le nombre de chevreuils vus par sorties à différentes saisons, le nombre de brocards adultes venus à l’appeau en juillet et août (compter 6 à 7 sujets présents pour un brocard territorial), le nombre de collisions sur la voie publique. On ne manquera pas d’ajouter un généreux coefficient de sous-estimation à ces conjectures. Il faudra sans doute quelques années de tâtonnements pour arriver à se situer entre le trop et le trop peu. La méthode essais-erreurs s’avère ici plus efficace que des calculs théoriques. Le deuxième objectif est plus facile à réaliser : prélever de 20 à 30 % de femelles de plus que de mâles et 60% de jeunes (faons et yearlings) conformément à la structure naturelle d’une population. On épargnera des brocards mûrs qui sont les meilleurs auxiliaires du garde forestier en repoussant les rivaux hors leur territoire. Ces objectifs ne sont pas toujours atteints comme le montre ce qui peut se produire lorsque l’accroissement des effectifs n’a pas été maîtrisé. La taille des brocards, exprimée ici par la longueur moyenne de la mandibule, dégringole en à peine six ans sur ce territoire d’Europe centrale : Evolution de la taille de brocards tchécoslovaques (comm. personnelle)
  • 21. 21 2ème cas : présents depuis longtemps, les chevreuils saturent le paysage. La courbe de l’accroissement des effectifs en France depuis les années 80 ressemble à celle d’une population non chassée… Comme si le plan de chasse – d’abord instauré pour favoriser le repeuplement - n’avait ensuite servi à rien pour maîtriser cet accroissement ! En 25 ans, l’effectif national est passé de cent mille à près de deux millions. Comment expliquer cela sinon par une sous-estimation chronique des effectifs déclarés à l’autorité administrative pour le calcul des attributions de prélèvements. Cette dernière n’est pas directement en cause. Les chasseurs et les gardes qui lui déclarent les chiffres ont longtemps ignoré ou négligé le décalage important entre l’observabilité des chevreuils et leur densité réelle. Ainsi lorsque l’on compte un seul chevreuil à l’heure de marche, la densité sur le terrain peut se situer entre 1 à 20 sujets aux 100 hectares. Et lorsqu’on en dénombre 12, elle peut être de 60. Marge d’erreur suffisante pour invalider les déclarations d’effectifs. Observabilité des chevreuils en fonction de leur densité Il s’en est suivi des plans de chasse conservateurs. Soit, par exemple, une densité réelle de 36 sujets aux cent hectares. Même un prélèvement annuel en apparence élevé de 10 chevreuils n’aura aucun effet réducteur si le croît annuel est d’un tiers, c'est-à-dire de 12 sujets. La population continuera à s’accroître. Le décalage par rapport à la réalité s’avère couramment plus flagrant. Il est
  • 22. 22 aujourd’hui vérifié et admis que la sous-estimation des recensements de chevreuils peut aller de 100 à 600 %. En Europe de l’Ouest, on en arrive à des densités insoupçonnées du public et des chasseurs mais authentifiées par des organismes de recherche : - de 50 à 71 aux 100 ha comme au Danemark, en Pologne et en Angleterre, ce qui correspond à 1,4 à 2 hectares par chevreuil ; - et que dire de ce terrain militaire britannique de 364 hectares de dunes, de buissons et de bosquets où les gardes recensaient un effectif de 35 chevreuils ? Des comptages par hélicoptères répétés six années de suite en révélèrent de 180 à 200 ! Ce conservatisme arrange bien des chasseurs. Sans se préoccuper des répercussions sur la régénération de la forêt, ils se satisfont d’avoir assez de chevreuils à tirer pour occuper la saison de chasse et rentabiliser le prix de location d’un territoire. Consumérisme à courte vue. Beaucoup de forestiers qualifient cette insouciance de cynisme cynégétique. Car à la longue, ces situations peuvent devenir économiquement inacceptables. Alors que faire ? Rétablir l’harmonie entre forêt et chevreuils : un art et une nécessité Misérable tableau que cette forêt surpeuplée traitée en futaie régulière, au sol désertifié, aux plantations et régénérations protégées par des clôtures tandis que le poids, la taille et la fécondité des chevreuils sont au plus bas. Pour remonter leur qualité, la première chose à faire, pense–t–on, serait d’améliorer leur habitat en le modifiant en leur faveur : diversifier le peuplement forestier, l’éclairer par des trouées, rétablir la strate herbacée et arbustive et la régénération naturelle. Voeu pieux tant que la pression de ces herbivores sur le milieu n’est pas réduite. Le seul moyen d’y arriver consiste à intervenir sur l’effectif de population de façon non pas progressive mais immédiate, massive et soutenue durant des années. En somme, frapper fort et longtemps. A savoir : augmenter le prélèvement annuel non pas de 10, 15 ou 20% - ce qui serait aussitôt compensé par la même proportion de survies des faons – mais de 100, 300, 500% l’an et de façon prolongée. Cela peut justifier des plans de chasse de 20 chevreuils et plus aux cent hectares. Les causes d’échec de l’intervention sont de deux ordres : - soit le prélèvement a été numériquement insuffisant (en dessous du croît annuel d’effectifs sous-estimés), - soit il a été insuffisamment soutenu.
  • 23. 23 Pour restaurer une forêt dégradée par les chevreuils, commencer par un prélèvement de masse Penser en stratège, agir en primitif La peur de frapper trop fort est compréhensible surtout quand on ignore la densité réelle des chevreuils. Cette peur est sans objet. La résilience des effectifs d’une population de chevreuils est si rapide qu’il est bien plus risqué de ne pas prélever assez que de le faire trop. Plutôt que de se baser sur un calcul rationnel mais inexact, le prélèvement se guidera de façon pragmatique sur le modèle aujourd’hui connu d’évolution de la productivité d’une population de chevreuils. C’est plus simple qu’il ne le parait
  • 24. 24 A surface constante, variation de l’accroissement annuel en fonction des effectifs d’une population de chevreuils Cette courbe des potentialités d’une population en relation avec son milieu de vie (McCullough, 1979) mérite une explication. L’accroissement annuel commence par augmenter, culmine puis se réduit sous l’effet de la pression sur le milieu végétal On voit clairement que la productivité annuelle d’un effectif de 60 chevreuils vigoureux et féconds peut égaler celle d’un effectif de 140 animaux chétifs et peu féconds. Sans viser à la productivité maximale - qui peut s’accompagner de dégâts à la végétation - le chasseur aménageur fait bouger le curseur sur la branche gauche de la courbe en recherchant la productivité optimale compatible avec la régénération naturelle du peuplement forestier local. Les sociétaires y trouveront leur intérêt car à effectif réduit, des chevreuils devenus plus grands et mieux coiffés leur procureront autant d’occasions de tir que de chétifs chevreuils surabondants. Telle est une des clés de l’aménagement intégré forêt -chevreuils.
  • 25. 25 Le facteur temps On ne corrige pas des décennies d’incurie en à peine un ou deux ans. Les étages herbacé et arbustif de la forêt mettent des années à se reconstituer. En sol acide par exemple, le manteau de bruyère callune et de myrtille, cette provende d’hiver, ne retrouvera pas de sitôt son épaisseur car ce sont de petits ligneux à pousse lente. En terrain calcaire, la raréfaction de la ronce et du framboisier, l’envahissement par de la fougère aigle signent le surpâturage. Du côté des chevreuils, il y a souvent un décalage de 4 à 5 ans entre le début d’une majoration significative du plan de chasse et celui de leur réponse corporelle. En effet, une population de chevreuils se renouvelle de 25 % par an. Autrement dit, elle met environ 4 ans à se renouveler complètement. La population étant purgée de ses sujets défectueux, ce n’est qu’au bout de ce délai que s’amorce l’augmentation du poids moyen des yearlings (quelques centaines de grammes) et de leur taille (quelques millimètres de longueur de mâchoire). Par contre, la fécondité des chevrettes adultes (nombre de corps jaunes) réagit vite à la diminution de la pression sur la végétation ambiante. Voilà pourquoi la majoration du prélèvement annuel doit être maintenue de façon soutenue. Forêt et chevreuils forment un couple. Or un couple ne peut durer de façon harmonieuse que si chacun de ses deux composants tient compte du rythme de vie de l’autre et s’y adapte. Il y a risque de divorce quand la régénération naturelle se fait mal tandis que les animaux deviennent des crevures. L’aménageur joue le rôle de l’entremetteur, du coach dirait-on aujourd’hui, qui va les relancer sur la voie de l’harmonie. Le pas de temps du cycle évolutif est le siècle pour un peuplement d’arbres et la décennie pour une population de Cervidés. Divers stades évolutifs de la forêt peuvent supporter différentes densités de chevreuils. Tout l’art consiste à faire coïncider l’un et l’autre de ces cycles asynchrones à une époque donnée. C’est la recherche – non pas d’un illusoire équilibre – mais d’une harmonie évolutive faune- flore, art d’un aménagement constamment réajusté de l’écosystème dont le chasseur est un élément actif. L’harmonie est prise ici dans son acception musicale qui est l’accord entre deux notes de longueur d’onde différente. De l’enchaînement de ces accords résulte une mélodie. Pour qu’il y ait musique, il faut qu’il y ait un instrument et un musicien. L’instrument, c’est l’écosystème et le musicien, c’est l’aménageur, tantôt chasseur, tantôt forestier. .
  • 26. 26 VI. DES CAS CONCRETS 1. Régulation naturelle en Sibérie orientale : le chaos Facteurs limitants du chevreuil de Sibérie Capreolus pygargus : - un climat contrasté : de + 40° en été à - 40° en hiver, - une vague de froid # tous les 15 ans, qui tue 80 % des effectifs, - des épisodes assez rares de neige épaisse pendant lesquels le loup soustrait environ 30 % de la population et le lynx, jusqu’à 80 %, - à quoi s’ajoute le braconnage à proximité des agglomérations et des camps militaires frontaliers avec la Chine. Moyens de survie : - plus grand et plus haut sur pattes que le chevreuil d’Europe, - migrations en foule de printemps et d’automne de # 200 km entre résidences d’hiver et d’été pour l’alimentation, - dispersion à très faible densité (1/1000 ha en Russie, 15/1000 ha en Chine et 25/1000 ha en Mongolie) rendant la prédation problématique, - forte dynamique permettant la résilience rapide des populations raréfiées. En résumé : des fluctuations d’effectifs irrégulières et de grande amplitude. 2. Quand le cerf élimine le chevreuil en Mongolie Le Maral Cervus elaphus canadensis a été introduit dans la réserve de Bogdo Ula (200000 ha). Il a suffi que sa densité atteigne de 8 à 9 individus aux 100 ha pour que le chevreuil, très abondant en 1920, finisse par disparaître en 1980. En forêt, le cerf est pour le chevreuil un redoutable concurrent alimentaire : - son horizon de broutage dépasse de haut celui du chevreuil, - grégaire et non sélectif, il consomme tout ce qui lui tombe sous la dent (de 15 à 30 kg par individu et par jour), - les densités de cerf rencontrées en France pèsent lourdement sur la qualité et la quantité des chevreuils. Vue sous cet angle, la meilleure densité de cerfs est la densité zéro. 3. Gestion sans comptages en Alsace : une première en France Forêt des établissements De Dietrich, 4600 ha, Vosges du Nord. (Bas Rhin). Parce que les propriétaires trouvaient les chevreuils « de plus en plus petits et de moins en moins nombreux », l’auteur fut sollicité en 1982 pour remédier à une situation de discordance extrême entre la forêt et les chevreuils. Le forestier Brice de Turckheim souhaitait engager une sylviculture dite proche de la nature.
  • 27. 27 Etat des lieux : Blocs de futaie régulière équienne monospécifique de pin, chêne et hêtre. Traitement en régénération artificielle clôturée. Au sol, absence quasi totale de végétation d’accompagnement. Une pépinière de 20 ha pour les plantations. Etat des chevreuils : - adultes mâles : 14 kg vidés, lmi 153 mm ; femelles : 13 kg, lmi 151mm, 0,8 corps jaunes. - yearlings femelles : 10 kg et parfois 6 ou 7 ; lmi 142 mm. - depuis une décennie, prélèvement annuel : 1,3 aux 100 ha et tir sélectif « améliorateur de la race » basé sur l’aspect des bois des mâles. Affouragement hivernal et cultures à gibier. Mesures prises (grâce à un appui ministériel) : - augmentation immédiate de 500 % d’un prélèvement aléatoire annuel des chevreuils soutenu pendant 8 ans comprenant l’élimination du premier cerf venu (converti en unités-chevreuil) quel que soient le sexe et l’âge ; - suppression des postes d’affouragement et des clôtures des plantations ; - enregistrement des poids vidés, des lmi et des corps jaunes de trois classe d’âge : faons, yearlings et adultes, par les quatre gardes forestiers-chasseurs. En France, une augmentation aussi massive du prélèvement annuel se heurte souvent à la réticence des commissions départementales de concertation. Hélas ! Résultats sur les chevreuils en 8 ans : - la proportion de jeunes passe de 20 % à 65 % ; - celle des corps jaunes passe 0,8 à 1,8 chez les femelles adultes mais ne progresse pas chez les yearlings ; - la survie des faons est multipliée par 3 ; - chez les femelles yearlings les poids augmentent de 2,8 kg et les lmi, de 6 mm mais ces données ne progressent pas chez les femelles adultes. Interprétation : chez les adultes à croissance achevée, le supplément d’énergie alimentaire fourni par la réduction des effectifs a été orienté vers la fécondité. Chez les yearlings trop légères pour être fertiles, il l’a été vers la croissance. Résultats sur la forêt : - gains en frais de culture et d’exploitation (entre ¼ et ½ million d’euros par an); - réapparition de la végétation d’accompagnement (ronce et framboisier) ; - régénération spontanée possible hors clôture : la pépinière n’est plus utile ; - conversion de l’ensemble du domaine en futaie irrégulière mixte avec régénération naturelle sous ombre et production de gros bois de qualité. Visites sur le domaine de forestiers et de biologistes du grand gibier allemands, anglais, danois et suisses.
  • 28. 28 4. Reproduction de la méthode en Suisse, canton du Jura Ayant pris connaissance de l’opération en cours sur les forêts De Dietrich, l’Inspecteur de la chasse Bernard Graedel a engagé les services de l’auteur dans ce petit canton de 800 km². La forêt : 35000 hectares de feuillus et de résineux traités en futaie irrégulière mixte et entourés de prairies d’élevage et de bocage. Dégâts de broutage de la régénération signalés par le Service cantonal des forêts. Les chevreuils : en baisse de poids de 2,2 kg depuis le début des années 80. Mesures prises : - doublement du plan de chasse, - présentation de chaque animal tiré par les 450 chasseurs aux postes de contrôle tenus par les cinq gardes cantonaux pour enregistrement des poids, lmi et numération des corps jaunes. Pour alléger la tâche, seules sont retenues les données provenant des femelles, sans distinction entre 2 + et 2 -. Vingt-trois ans de suivi du poids vidé des femelles Comme prévisible, le gain de poids de 1 kg ne s’est amorcé qu’avec un décalage
  • 29. 29 de cinq ans après la majoration du plan de chasse. Les femelles devenues plus lourdes étant aussi plus fécondes, il aurait été indispensable d’augmenter encore le prélèvement annuel pour mener à bien cette restauration. Mais les chasseurs s’y opposèrent, craignant de « ne plus voir assez de chevreuils ». Du coup, le poids est redescendu en dix ans jusqu’à la case de départ. Il a fallu ce retard inutile pour faire accepter une majoration supplémentaire du plan de chasse. 5. Et en Allemagne Dix ans après le début de l’expérience Dietrich, même opération de l’autre côté de la frontière en Rhénanie-Palatinat sur les 7000 hectares de la forêt de Hatzfeld – Wildenburg. Jusqu’en 1990, la forêt est traitée en futaie régulière avec des plantations engrillagées contre les chevreuils. Prélèvement annuel # 8 chevreuils aux 100 ha. Pratiquement pas de cerf. A partir de 1992, le Dr Straubinger, nouveau forestier en charge, veut introduire une sylviculture proche de la nature conforme à la doctrine Pro Silva promue par son collègue alsacien Brice de Turckheim. Cela ne peut se faire qu’au prix d’un prélèvement accru des chevreuils qui passe à 14/100 ha en moyenne pendant cinq ans avec une pointe à 20/100 ha. Pour ne pas y habituer les chevreuils, une fois par an est pratiquée sur chaque parcelle de 200 hectares une poussée calme en complément du plan de tir : 10 à 15 chevreuils et 10 à 12 sangliers au tableau par enceinte. L’affouragement hivernal est supprimé ainsi que la traditionnelle exposition annuelle de trophées. Résultat : - à faible densité, les chevreuils sont en excellent état et ont un taux de reproduction élevé ; - la régénération se produit en continu sur toute la surface et il n’y a plus de protection des plants ; - le propriétaire fait pour chaque chevreuil abattu une économie d’environ 2000 euros, soit un total de plus d’un million d’euros par an sur tout le domaine. 6. En Angleterre, des trophées grâce au tir des femelles Dominic Griffith est chargé de la chasse au chevreuil sur un domaine agricole de 8100 hectares comprenant 607 hectares boisés dans le comté du Hampshire en Angleterre du Sud. Ses clients viennent aussi bien de Grande-Bretagne que du Continent.
  • 30. 30 Pour expliquer un succès certain, il ne fait pas état du nombre de chevreuils sur pied (qu’il ignore vraisemblablement) mais du nombre d’animaux tirés par an et de la structure sociale des prélèvements. Pendant dix années consécutives sont prélevés 3,75 chevreuils aux cent hectares ou plutôt 24 aux cent hectares boisés dans une proportion de 61 % de femelles et 39 % de mâles et d’une part égale d’adultes et de jeunes sans sélection particulière sur la conformation des bois des mâles. En observateur avisé, il prend soin de ne pas tirer les bons brocards trop jeunes, c'est-à-dire avant cinq à six ans. Ainsi pourront-ils exercer leur fonction territoriale. Pour finir de réaliser le plan de tir des femelles et des jeunes, il organise en hiver une seule fois par secteur, des poussées calmes de déplacement sans chien avec de bons tireurs. Résultat : durant les cinq dernières années d’exercice, la part de trophées primés et de crânes pesant plus de 450 grammes représente de 27 à 47 % des brocards prélevés en fonction de la sévérité de l’hiver, saison du refait des bois du mâle dans l’espèce chevreuil. 7. Le terme de « chevrillard », un fâcheux abus de langage Un faon naît fin mai et reste un faon dépendant de sa mère non seulement après son sevrage de fin d’automne mais jusqu’à ce que sa mère le pousse hors de son domaine vital quand elle sent venir sa prochaine mise bas. Allemands et Anglais ne s’y trompent pas qui n’ont pas d’autre terme, Kitz et kid, pour le désigner jusqu’à son prochain anniversaire. Après quoi il devient un Järhling ou un yearling d’un an révolu voué à l’appropriation d’un nouveau domaine de vie. Le faon ne sait pas que les Nemrods français lui changent son nom au moment où se pratique le tir automnal ou hivernal des femelles. Devenu chevrillard par convention, il est censé savoir se tirer d’affaire lorsque un tir lui enlève sa mère. Alors commence une vie de sans domicile fixe, de paria social. Sa mère le gardait dans son domaine vital exclusif, l’emmenait vers les poches de meilleure nourriture d’hiver, lui montrait où se réfugier contre un danger que l’innocent ne savait pressentir. La perte de l’imprégnation maternelle en fera un adolescent handicapé et jamais un fort sujet. A chacun d’en tirer les conclusions.
  • 31. 31 BILIOGRAPHIE Quelques ouvrages de base cités en ordre chronologique. Offert à l’auteur par les autorités à l’occasion d’un séjour en Californie, le livret de Taber et Dasmann, montre l’avance prise par les Américains depuis les années cinquante. Il contient déjà l’étude des corps jaunes ovariens et des longueurs de mâchoire inférieure des chevreuils locaux. Taber, R. D. and Dasmann, F. R. (1958). The Black-tailed Deer of the Chaparral. Its life history and management in the North Coast of California. Game bulletin n° 8. State of California department of Fish and Game, 163 p. MacArthur, R. A., Connell, J. H. (1966). The Biology of Populations. John Wiley and Sons. New York, 200 p. Halls, L. K. (1980). White-tailed Deer in: Big Game of North America. Ecology and Management. Wildlife Management Institute. Stackpole books. Harrisburg, PA, pp.43-66 Wallmo, O. C. (1981). Mule and Black-tailed Deer of North-America. Wildlife Management Institute. University of Nebraska Press. Lincoln, NE, 605 p. Prior, R. (1995). The Roe Deer. Conservation of a Native Species. Swan Hill Press. Shrewsbury, 230 p Danilkin, A. and Hewison, A. J. M. (1996). Behavioural Ecology of Siberian and European Roe Deer. Chapman and Hall, London, 277 p. Andersen, R., Duncan, P. and Linnell, J. (1998). The European Roe Deer: The Biology of Success. Scandinavian University Press, Oslo, 176 p. Roucher, F. (2008). Chevreuils d’Hier et d’Aujourd’hui. Deuxième édition, Gerfaut. Paris, 284 p. Roucher, F. (2010). La grande faune de nos forêts. Gerfaut, Paris, 191 p.
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