1. l’Action
universitaire ❚ LE JOURNAL DE L’UNION NATIONALE INTER-UNIVERSITAIRE ❚ N°258 ❚ avril 2006 ❚ 2 Euros ❚
❚ CPE : UNE OCCASION PERDUE
par Jacques ROUGEOT, professeur à la Sorbonne
L a crise du CPE restera comme
l’un de ces épisodes dont la vie
les mêmes bases, apporte une preuve par
les faits de l’efficacité du dispositif. Nous
tivement assez limité. Pourtant, c’est sur
ce point que la gauche a fait porter un ef-
politique française a le triste secret et qui avons donc mené le bon combat. fort de mobilisation intense, d’une part en
entraînent des conséquen-ces sans com- Nous nous garderons bien, également, de dé-formant grossièrement et en diaboli-
mune mesure avec le prétexte qui les a jeter après coup la pierre au gouverne- sant le CPE, et d’autre part en utilisant
déclenchées. Cet épisode est terminé mais ment. Les médias aboyeurs, censeurs toutes les res-sources de sa logistique
encore frais. C’est le moment de faire le impitoyables après l’événement, étaient pour rameuter toutes les troupes dont elle
point sur la situation et de tirer quelques bien silencieux lors du lancement de l’o- pouvait disposer, des ga-mins aux ancêt-
le-çons. pération. D’ailleurs, par quels arguments res, sans aucune relation avec l’objet
rationnels peut-on expliquer que le CNE même du CPE. Rappelons en effet que le
LA DEFAITE soit passé sans coup férir et que le CPE CPE était destiné à faciliter l’embauche de
ait connu le sort que l’on connaît ? A y ceux qu’on appelle les «jeunes en difficul-
Dans cette bataille, nous avons subi une re-garder de près, ce que les commenta- té». Les cortèges de manifestants étaient
défaite qu’il serait vain d’essayer de mini- teurs re-prochent au gouvernement après donc composés en majorité de gens qui
miser. Cette défaite frappe le gouverne- la bataille se réduit essentiellement à une n’étaient en rien concernés par le CPE,
ment et toute la majorité. Elle nous atteint question de forme : on n’aurait pas assez que ce soit les sa-lariés pourvus d’un
aussi très directe-ment parce que nous discuté avec les syndicats. Mais, dans la emploi, les étudiants di-plômés ou, à plus
nous sommes engagés sans réserve. Nous pratique, on sait bien que de telles discus- forte raison, les fonctionnai-res, voire les
sommes donc dans le camp des vaincus, sions n’ont généralement pas d’autre effet retraités. Pourquoi donc avoir or-ganisé
mais, pour autant, en reve-nant sur notre que de faire perdre du temps, car les syn- sur ce terrain un déploiement de forces
action avec un regard critique et objectif, dicats français sont trop irresponsa-bles exceptionnel, totalement disproportionné
nous ne pensons pas avoir contribué en pour apporter leur concours à des réfor- au prétexte choisi ?
quoi que ce soit à cette défaite. Nous as- mes sérieuses et trop faibles pour faire La réponse est évidente : c’est que la gau-
sumons pleinement les positions que res-pecter les timides accords qu’ils che, dans toutes ses composantes, se ca-
nous avons prises. Nous n’avons rien à auraient pu conclure. ractérise aujourd’hui par un vide sidéral
renier, rien à regretter. Nous avons soute- en matière d’idées, de projets ou de pro-
nu le CPE parce que nous estimions qu’il LA GAUCHE : UN POUVOIR grammes. Malgré tous les tours de passe-
était excellent dans son principe et dans DE NUISANCE passe imagina-bles, ce vide commençait,
ses dispositions pratiques, et nous n’a- si l’on peut dire, à devenir aveuglant. Il
vons pas changé d’avis. Il était de nature fallait donc détourner l’attention de l’es-
On peut assurément comprendre que,
à débloquer le marché du travail et à in- sentiel en mobilisant dans un affronte-
dans la situation permanente d’affronte-
citer les patrons à embaucher en créant ment physique les troupes potentielles
ment droite-gauche qui prévaut dans
de nombreux emplois réels, c’est-à-dire qui risquaient de se décourager. Il n’était
notre pays, il soit de bonne guerre que
répondant à des besoins, et non pas des dès lors plus question d’échanger des
chaque camp s’efforce de porter des
emplois artifi-ciels résultant de subven- arguments. Il fallait remplacer le débat par
coups à l’autre. Mais cette fois-ci, la gau-
tions ruineuses pour la collectivité et le combat en or-ganisant des grandes
che a fait paraître avec éclat qu’elle n’hé-
déversées dans un tonneau sans fond. Le manœuvres dans la rue, exercice dans
sitait pas à sacrifier cyniquement l’intérêt
CPE n’aurait pas eu pour effet de détrui- lequel la droite est traditionnel-lement
national à son propre intérêt. Au fond
re la sécurité de l’emploi et d’instaurer la mal à l’aise.
d’eux-mêmes, en effet, tous ceux qui
précarité, mais de donner une chance de Ajoutons un élément sur lequel nous re-
réfléchis-sent savent bien que le CPE
trouver un travail à ceux qui, autrement, viendrons. Depuis quelques années, l’ex-
aurait été bénéfi-que pour l’emploi et que,
se-raient condamnés au chômage. Le suc- trême gauche, déçue par la mollesse de la
au pire, il n’aurait pu créer aucun dom-
cès in-contestable du CNE, organisé sur gauche institutionnelle, a recommencé à
mage. De toute façon, l’enjeu était objec-
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L’action universitaire - page 1
2. mobiliser les énergies révolutionnaires LA MALFAISANCE DES un mi-roir déformant, ils ont été un
inemployées et dési-reuses d’en découd- MEDIAS acteur essentiel. La plupart des stations de
re. Ces gens-là ont active-ment travaillé le radio et des chaînes de télévision ont sans
terrain et ont joué un rôle de déclen- doute battu leurs records de désinforma-
Depuis le début de l’année plus particu-
cheurs et d’agitateurs qui s’est révélé très tion. Tous les pro-cédés ont été utilisés.
lièrement, les grands médias français
efficace. Une étude faite sur le sujet a montré que,
semblent s’être surpassés pour donner
A gauche, partis politiques et syndicats parmi les informations consacrées au
d’eux-mêmes une image caricaturale.
avaient le même besoin de réaffirmer leur CPE, 92 % étaient réservées aux oppo-
Rappelons-nous com-ment ils ont présen-
existence et leur identité dans une action sants. Les médias audiovisuels ont large-
té l’actualité dans ses pha-ses successives.
spectaculaire. Ils ont joué leur jeu à fond, ment contri-bué à organiser les manifes-
Pendant des semaines, nous avons été
et il faut bien constater que ceux qu’on ta-tions en les an-nonçant de façon lanci-
tenus en haleine, sous pression, par le
appelle gé-néralement les modérés ont été nante et en préjugeant de leur succès. Ils
terrible péril que faisait peser sur nous la
une fois de plus égaux à eux-mêmes, ont accrédité les chiffres donnés par les
grippe aviaire. Tout volatile défunt avait
c’est-à-dire inexis-tants et finalement syndicats pour évaluer l’importance des
les honneurs d’une rubrique nécrologique
complices. Sur le plan poli-tique, ne par- cortèges, alors que, de toute évidence, ces
à la une des journaux écrits, radiopho-
lons même pas de l’UDF, pour qui l’habi- chiffres étaient considé-rable-ment gonflés
niques et télévi-sés, jusqu’à huit fois par
tude de trahir est devenue une seconde et relevaient dans certains cas de la fan-
heure, pourvu qu’il eût succombé au qua-
nature, à moins que, plus probablement, tasmagorie. Au moment où plus de 360
druple signe fatal : H5N1. Certes, aucune
ce ne soit la première. Sur le terrain syn- députés UMP avaient apporté leur sou-
victime humaine n’était encore à déplorer
dical, il ne s’est trouvé personne pour tien au CPE, la parole était presque exclu-
(comme pour la vache folle), mais nous
sauver l’honneur. Le pauvre François sive-ment donnée aux trois seuls qui,
ne perdions rien pour attendre. Bientôt,
Chérèque, écrasé par l’héritage laissé par alors, avaient ex-primé leur opposition :
les victimes se compteraient par centaines
l’homme à poigne qu’était Nicole Notat, Hervé de Charrette, qui veut donner l’im-
de milliers (comme annoncé pour la
peut-être vexé de n’avoir pas été traité pression que lui-même et son commandi-
vache folle) ou même par millions
avec une considération suffisante, en tout taire à la retraite existent en-core, Ni-
(comme pour la grippe espagnole du
cas tétanisé à l’idée d’être traité de colas Dupont-Aignan, qui essaie de se
début du XXe siècle, record de la vache
«jaune» par les camarades plus musclés, distin-guer pour faire croire qu’il a un
folle pulvérisé). Et puis tout d’un coup, la
s’est tout naturellement conduit comme destin na-tional, et Christine Boutin qui,
grippe aviaire et son cortège de cadavres
un mouton en-ragé en étant plus acharné apparemment traumati-sée à l’idée d’être
ont complètement disparu, comme tom-
que personne. Quant aux autres forces classée à droite à la suite de sa lutte cont-
bés dans une trappe. A quoi attribuer ce
d’appoint, elles s’apercevront que leur re le Pacs, ne perd pas une occa-sion
miracle ? Aux oiseaux eux-mêmes, qui
soumission, signe de leur faiblesse, fera d’exposer en public son cœur sensible et
auraient désormais la bonne grâce de
ressortir plus cruellement leur inutilité. sa fibre sociale.
mourir loin des caméras ? Au pouvoir
Décidément, la bonne vieille for-mule de La résultante de tout cela est que les
thaumaturgique des médias qui, comme
Lénine sur les «idiots utiles» semble avoir grands médias audiovisuels ont effective-
les rois de France guérissant les mala-des
encore de beaux jours devant elle. ment créé une dynamique anti-CPE en
de la peau en touchant les écrouelles, au-
Il est de bon ton, dans tous les discours faisant croire que toute la nation était
raient exorcisé la funeste grippe par le
politiques, de souhaiter l’émergence de mobilisée dans un im-mense mouvement
simple pouvoir de leur verbe ? Resterait
syndi-cats forts. On pense que, dès lors, de rejet, alors que le gou-vernement était
une troisième hypothèse, qu’on ose à
ils pour-raient acquérir le sens des crispé dans un incompréhen-sible refus.
peine formuler tant elle est sacrilège :
responsabilités et se montrer plus coopé-
c’est que les grands médias fas-sent preu-
ratifs, plus pragmati-ques, plus soucieux
ve d’une telle futilité et d’un tel esprit QUESTIONS DE FOND
du bien commun à long terme. Il est à
moutonnier qu’ils aient tout simplement
craindre qu’on ne prenne ainsi le problè- A travers les présentations médiatiques,
rem-placé, avec une coïncidence parfaite,
me à l’envers. Il ne servirait à rien de c’est en fait toute l’interprétation de la
l’obsession de la grippe aviaire par le
gonfler artificiellement des syndicats qui question du CPE qui est en cause, ainsi
pilon-nage sur le CPE. Cette focalisation
de-vraient d’abord se remettre en cause que les consé-quences qui peuvent en
sur un sujet et cette dramatisation force-
fonda-mentalement. La mésaventure du découler. L’inter-prétation générale, plus
née ont certaine-ment été utilisées pour
CPE, et maintenant l’offensive contre la ou moins expli-cite, peut à peu près se
jouer en permanence sur l’émotion des
loi tout entière et contre le CNE, ne sont résumer sous forme de syllogisme : la
téléspectateurs.
pas de nature à faire naître l’espoir. Tout jeunesse a rejeté le CPE ; or la jeunesse a
Mais, dans le cas du CPE, il s’y est ajou-
ce qu’on pourrait attendre, c’est que les raison par nature et parce qu’elle détient
té des circonstances aggravantes. A l’occa-
bénéfi-ciaires mordent la main qui les l’avenir ; donc le CPE était mauvais, le
sion de la grippe aviaire, les médias ont
aurait nourris. gouvernement a eu tort et il faut trouver
produit ce qu’on appelle aujourd’hui des
Bien entendu, dans cette affaire, la jeu- une solution qui satisfasse les aspirations
«dé-gâts collatéraux» : psychose entraî-
nesse a été brandie comme une bannière de la jeunesse telles qu’elles ont été expri-
nant une baisse de la consommation des
et a servi en fait de paravent. Le cynisme mées au cours des semaines névralgiques.
poulets, au détriment des éleveurs ;
a été poussé très loin, puisque ce sont En fait, si l’on s’en tient à ce syllogisme,
risque d’accou-tumance de la population
précisément les jeunes qui paieront plus on s’engage dans une impasse et on s’en-
qui, à force d’entendre crier au loup de
tard le prix des blocages imposés égoïste- fonce dans le dé-clin. Il convient donc
façon abusive, aura un petit sourire
ment par les syndi-cats et par la gauche d’en remettre en cause tous les termes.
entendu lorsqu’un véritable loup viendra
en général. La première affirmation repose sur un
croquer les brebis. Dans la ba-taille du
CPE, les médias n’ont pas seulement été amalgame et sur une généralisation inac-
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3. cep-tables. Quand on fait la part des chif- Ce qui est encore plus affligeant, pour ne engrenage : les militants résolus et aguer-
fres déme-surément gonflés, de la compo- pas dire répugnant, c’est que les démago- ris d’extrême gau-che ont allumé des
sition très dispa-rate des cortèges, des gues de gauche, et peut-être aussi foyers de revendication ici et là, puis ont
scrutins truqués et des cas où les locaux quelques bonnes âmes, veuillent faire entraîné les organisations syndi-cales de
étaient bloqués par quelques dizaines ou croire aux mani-festants qu’ils sont les gauche, lesquelles ont entraîné les syndi-
au maximum quelques centaines d’indivi- héros d’une sorte d’épopée sociale et que, cats dits réformateurs et modérés, qui se
dus, on voit bien que la paralysie de l’ac- grâce à leur courage, ils ont sauvé leur trouvent ainsi, de fait, les exécutants
tivité universitaire n’était pas due à la dignité et remporté la victoire contre les d’une stratégie gauchiste. L’extrême gau-
protestation massive des étudiants. Même exploiteurs. On s’attendrit sur l’esprit de che, qui est aujourd’hui l’élément essen-
d’après les chiffres revendiqués, en fait révolte qui est l’un des beaux apanages de tiel de la gauche, est appelée à jouer un
large-ment exagérés, on peut estimer à la jeunesse, mais lorsque la révolte se fait rôle décisif en 2007 et plus tard.
moins de 5 % la proportion des étudiants au nom d’un idéal qui pourrait être sym- En face, le militantisme politique en est
et des lycéens qui ont participé aux mani- bolisé par une paire de charentaises, elle presque arrivé au degré zéro. On peut
festations. Bien mieux, on a assisté à perd quelque peu de son prestige. dire sans exagération que, sur le terrain
maintes opérations anti-blocage, le plus Cela dit, si l’on voulait bien revenir à universi-taire, il n’existe que l’UNI, et
souvent à l’instigation de l’UNI, et c’est ce quelques idées simples, on éviterait peut- ailleurs le MIL. Dans l’affaire du CPE, les
mouvement-là qui, les derniers temps, être de commettre certaines sottises qui jeunes de l’UNI ont déployé une activité
prenait de plus en plus d’ampleur. risquent de nous coûter cher. Tout ce que remarquable. Là où des actions anti-blo-
Mais c’est la deuxième affirmation qui nous avons dit de plus sévère sur l’attitu- cage ont eu lieu, elles ont été montées
pose la véritable question de fond. C’est de d’une partie de la jeunesse (une partie presque partout à leur initiative. Mais il
un fait que les manifestants, censés repré- seulement, répétons-le) n’implique pas est évident que, lorsque la mobilisation
senter l’ensemble de la jeunesse, sont une condamnation définitive. Après tout, de gauche devient une mobilisation de
presque tou-jours présentés sous un jour que de jeunes garçons et filles se trouvant masse, l’UNI ne peut pas, à elle seule,
favorable : ce sont de bons jeunes gens à un âge de leur vie trouble et mal as- faire contre-poids, ne serait-ce que parce
qui ont raison de se révolter parce qu’ils suré, n’ayant aucune expérience des aléas qu’elle ne trouve aucune force de relais.
sont malheureux et an-goissés. Le CPE, de l’existence, déboussolés par l’influence Toutefois le mouve-ment, seul défenseur
attentatoire à leur dignité, constituait une délé-tère de l’enseignement et des médias, du CPE, a gagné en no-toriété, les mili-
sorte d’agression à leur égard. Il faut donc attirés de surcroît par des sollicitations tants ont acquis de l’expérience et ils ont
chercher une solution radicalement diffé- printanières, aillent défiler dans les rues attiré à eux les étudiants les plus luci-des
rente, toute en douceur, qui passe du en criant des slo-gans irréalistes et télé- et les plus courageux. A ce militantisme
baume sur les meurtrissures de ces pau- guidés, voilà qui n’est pas incompréhen- traditionnel sur le terrain, qui est et
vres victimes. sible. Ce qui est stupide, et même coupa- demeure toujours essentiel et indispensa-
Eh bien, il faut dire avec netteté que cette ble, c’est qu’on les prenne quasi-ment ble, s’est ajou-tée une utilisation ingénieu-
image est grossièrement déformée. pour des maîtres à penser, des guides se et inventive de l’Internet, qui s’est
A propos de l’innocence quasi angélique aptes à nous indiquer les bons chemins révélée d’une remarquable efficacité et qui
de ces jeunes gens, il faut rappeler que les vers l’avenir. En vérité, c’est une forme de a permis, en particulier, de tou-cher beau-
lo-caux qu’ils ont occupés ont été souillés démis-sion : il est bien connu que les coup de gens qui se sentaient isolés,
et dé-gradés de façon ignoble, et pas par adultes qui ont démissionné croient presque abandonnés, et qui se sont sentis
les cas-seurs de fins de manifestations, ce s’exonérer lâchement des responsabilités compris et soutenus, qui ont aussi pris
qui en dit long sur l’idée qu’ils se font de qu’ils n’ont pas assumées en flattant les cons-cience de leur nombre et de leur
la culture et de la dignité humaine en enfants qu’ils n’ont pas su ou pas voulu force poten-tielle. Le renforcement de
général. Mais l’essentiel n’est même pas éduquer. l’UNI et du MIL est donc la condition
là. Ce qu’il faut affirmer, à contre-courant nécessaire du renforcement du militantis-
de l’opinion qu’on veut officiali-ser, c’est QUELQUES LEÇONS me de droite, lequel est une condi-tion
que même ceux qui ont manifesté pacifi- nécessaire pour que la rue ne soit pas
quement contre le CPE ont tort. Ils ont Les leçons les plus utiles que nous de- abandonnée en permanence aux grandes
tort intellectuellement, parce qu’ils ne se vions chercher à tirer des derniers événe- manœuvres de la gauche.
sont pas donné la peine de comprendre ments sont celles qui nous permettraient Condition nécessaire mais non suffi-
que le CPE leur apportait des chances d’éviter le retour de mésaventures aussi sante. On voit bien, en effet, qu’on ne
supplémentaires de trouver du travail. Ils dommageables pour l’intérêt de notre peut plus faire l’économie d’un effort de
ont tort moralement parce que, quoi pays. pédagogie per-manent. Cela suppose
qu’on puisse dire, leur refus était un refus Dans le déclenchement et le dévelop- quelques conditions simples mais impé-
des incertitudes inévitables (et, dans ce pement des manifestations du mois d’a- ratives. D’abord, des affir-mations nettes,
cas, peu écrasantes) de la vie. Ils ont tort vril, il est un aspect qui a été peu mis en massives, sans ambiguïté. Par exemple : le
glo-balement parce qu’ils s’imaginent valeur, c’est le rôle joué par la mobilisa- CPE est bon, les manifestants anti-CPE
qu’on peut échapper aux contraintes de la tion militante à gau-che. En fait, comme ont totalement tort. Ensuite, un ar-
réalité, en refu-sant l’effort, en défilant nous l’avons déjà signalé, ce militantisme gumentaire ciblé simple : le CPE est créa-
dans les rues et en di-sant non. Tout le s’est fortement durci depuis quelques teur d’emplois et n’apporte que des avan-
monde ne vit pas en France dans les déli- années et est aujourd’hui carrément passé tages sup-plémentaires par rapport à la
ces de Capoue, mais combien de jeunes à l’extrême gauche, que ce soit au sein du situation pré-sente. Troisièmement, et
dans le monde, et pas seulement dans le syndicat Sud ou dans d’autres structures c’est essentiel, des argumentaires dévelop-
tiers monde, seraient très heureux de moins organisées. Pendant la campagne pés sur toutes sortes de sujets et qui
béné-ficier des conditions offertes par le anti-CPE, on a donc vu fonctionner cet aboutissent toujours à la même démons-
CPE ! tration pratique : l’illusion conduit tou-
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4. jours à la catastrophe, alors que l’accepta- dégon-flement brutal de leur portefeuille Cette évolution des esprits est une ques-
tion de la réalité, bien loin de reposer sur les conduirait sur les voies de la sagesse. tion de temps, mais il ne faut pas comp-
la rési-gnation à une fatalité étouffante, Malheureusement, il y a tout lieu de pen- ter sur une simple évolution mécanique
offre au contraire de multiples chances à ser que ces messieurs et dames regagne- pour que la situation s’améliore. Il faut
ceux qui font les efforts nécessaires pour ront leurs foyers dans l’impunité, donc forcer le destin, ou au moins l’orienter.
les saisir. Qua-trièmement enfin : répéter, avec une propension accrue à l’irrespon- Pour trouver une ligne d’action efficace, la
marteler, rabâcher les quelques recettes sabilité. droite au pouvoir ne doit pas sous-esti-
simples. La droite, au contraire, est Un autre acquis de ces semaines carna- mer la désorientation, voire le dé-sarroi
presque toujours portée à finas-ser, à lais- valesques, c’est que l’image de la France de la France de droite, que nous avons
ser entendre que, sans être parfaite, elle en sort gravement écornée. «L’exception signalé plus haut. Si la défaite de la droi-
n’est pas aussi méchante qu’on la dépeint, fran-çaise» a certes acquis un degré sup- te s’était produite «à la régulière», par
que ses adversaires n’ont pas foncière- plémen-taire de notoriété. Ce qui est exemple à l’occasion d’un scrutin natio-
ment tort, mais qu’ils prennent de mau- fâcheux, c’est que ce ne soit pas à la gloi- nal, la déception serait forte, mais la més-
vais moyens pour atteindre leurs si loua- re du «modèle fran-çais» que le monde aventure ferait partie du jeu politique nor-
bles fins. Résultat : les slogans grossiers, entier est censé nous en-vier, mais pour mal. Ce qui, dans la situa-tion présente,
souvent malhonnêtes, de la gauche écra- faire de notre pays le symbole de la futi- laisse un fort goût d’amertume, c’est
sent sans peine les tergiver-sations défen- lité et de l’irresponsabilité. qu’on a l’impression que, implicitement,
sives de la droite. Aujourd’hui, les Quant aux conséquences politiques qui il est plus ou moins admis dans la cons-
Français de droite, surtout dans les peuvent s’ensuivre, elles ne semblent pas, cience commune que le CPE était une
milieux po-pulaires, sont désorientés et à première vue, incliner à l’optimisme. La mesure mora-lement douteuse que le
en viennent à se demander si le combat victoire de la rue contre la légalité porte gouvernement aurait voulu faire passer
qu’ils avaient d’abord mené de bon cœur atteinte aux principes qui doivent régir la presque clandestinement. Tout se passe
avait été engagé pour une juste cause. vie en société. L’avortement d’une réfor- comme si les manifestants étaient les
Le refus de la réalité, inhérent à la gau- me salutaire risque d’insinuer, et d’abord représentants du bon parti qui se-raient
che, est toujours présent. Malgré les très dans l’esprit du gouver-nement, l’idée que parvenus à faire prévaloir un principe de
gran-des différences entre les deux la France est impossible à réformer et que moralité politique, les Français de droite
époques, il est un point commun entre la voie de la sagesse est celle d’une morne se trouvant rejetés, une fois de plus, dans
mai 68 et avril 2006, mis en forme et résignation. Toutes ces conditions sem- le mau-vais camp. Il est grand temps que
claironné en 68, rétréci et sous-jacent en blant ouvrir un boulevard débouchant di- toute la droite consciente de ses respon-
2006. Cet état d’esprit est pré-sent en rectement sur le pouvoir de la gauche. sabilités, dé-tenteurs du pouvoir po-
permanence à doses plus ou moins fortes. En réalité, la France est aujourd’hui en litique et simples ci-toyens, rétablisse la
Nos efforts pour le combattre ne doivent état d’instabilité et de perturbation vérité et revendique ses principes. Malgré
pas se relâcher. psychologi-que et politique. Nous en les appa-rences et les dis-cours convenus,
avons vu les effets funestes à propos de la le redresse-ment nécessaire relève plus de
ET MAINTENANT ? crise du CPE. Il n’est pas impossible que l’électrochoc que des gémisse-ments com-
la situation se retourne dans les mois qui passionnels. Les esprits y sont plus prêts
Il n’y a rien de plus difficile que de faire viennent. Ces quelques se-maines ont que beaucoup ne le croient. Encore faut-
des prévisions, surtout, ajoutait un humo- plongé la France dans un état irra-tionnel, il qu’ils soient réveillés par une parole
riste, si elles portent sur l’avenir. proche de la folie, dont nous semblons forte.
Pour commencer, nous pouvons déjà faire avoir le triste privilège. Mais ces périodes Pour notre part, nous persévérerons dans
le bilan présent. Il est désolant. On sem- de lévitation mentale n’ont qu’un temps. notre être en nous en tenant sans fai-bles-
ble toujours considérer, en France, que le Un jour viendra le dégrisement et le se aux vérités de fond, fermement
coût des dégâts matériels provoqués par retour à la réalité. Alors on s’apercevra convaincus qu’elles seront de nouveau
ces petits divertissements est négligeable. que les faits sont têtus, que le chômage recon-nues comme telles. Le tournant est
En fait, il n’en est rien. Il se chiffrera au des jeunes est toujours là et que le CPE, peut-être plus proche qu’on ne le croit.
moins en dizaines et probablement en sous un nom ou sous un autre, apporte C’est pour ce moment-là que nous
centaines de millions d’euros. Si encore une solution pratique et efficace, sur-tout devons être prêts. En tout cas, le renon-
les pollueurs et les casseurs étaient les si le CNE continue à donner de bons ré- cement ne passera pas par nous.
payeurs, on pourrait espérer que le sultats.
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