OpinionWay pour Medaviz - Les Français et le médecin généraliste / Mai 2018
Le mode le social français : du danger des invocations.
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Le mode le social français : du danger des invocations.
Par Julien Goarant
Un attachement profond
haque responsable politique jure ses grands esprits qu’il ne touchera pas au modèle social français et l’opinion publique est prise à témoin de manière obsessionnelle sur sa sauvegarde. Répété par chaque majorité, quelle que soit sa couleur politique, l’engagement de conserver ce modèle semble faire consensus.
A quoi cet unanimisme fait-il écho en réalité ? S’agit-il de défendre un modèle exemplaire par son efficacité ou plutôt un symbole dont on ne sait plus très bien ce qu’il recouvre ? N’existe-t-il pas un risque à le sanctuariser ? Pour apporter une réponse à ces questions, il est essentiel d’appréhender la manière dont les Français, comme citoyens et comme bénéficiaires, perçoivent ce système.
OpinionWay a mené plusieurs études, qualitatives et quantitatives, sur ce thème. Les résultats de ces enquêtes démontrent que les Français portent un regard très critique sur ce modèle, plaçant au final la problématique dans une toute autre perspective. Ils indiquent aussi globalement que les tabous se situent davantage dans les discours politiques que dans l’approche des citoyens.
Interrogés sur le modèle social français dans le cadre d’Opinion Live1, dispositif qualitatif en ligne conduit chaque semaine auprès d’un échantillon de 100 personnes, les réponses obtenues ne divergent pas fondamentalement des résultats des études quantitatives sur ce thème, si ce n’est par la force des verbatim et surtout leur tonalité.
Invités à réagir sur l’idée selon laquelle le modèle social français renverrait à une mythologie ancrée dans une époque révolue, les répondants soulignent d’abord à quel point il est issu d’une lutte qui revêt encore aujourd’hui du sens : « Les combats ont été longs pour avoir un tout petit peu de retour du capital économique. Aujourd'hui encore la
1 Etude qualitative en ligne du 7 au 10 octobre 2014 auprès de notre communauté Opinion’Live représentative de la population française (100 personnes).
C
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puissance financière ne supporte pas que le plus grand nombre puisse avoir un tout petit peu. Alors chaque jour, il faut se battre pour pouvoir conserver un minimum notre dignité ». Ils insistent aussi sur le contexte historique qui participe naturellement à son esprit comme à ses partis-pris : « le modèle social français est un concept qui s'est développé à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale alors que le pays était à genoux et qu'il fallait le reconstruire ».
Ils mettent enfin en valeur ce qui constitue peut-être désormais une de ses principales faiblesses c’est-à-dire le fait d’être un modèle, et, dès lors, d’avoir du mal à se réformer. Un interviewé considère ainsi: « Aujourd'hui, ce modèle, tant montré en exemple dans les décennies précédentes, en particulier durant les Trente Glorieuses, est décrié, critiqué pour sa lourdeur administrative et son coût pour les finances publiques ». Un autre confirme : « Modèle issu du Conseil de la Résistance reposant sur un modèle de solidarité avec les jeunes payant la retraite des Anciens, les bien-portants pour les malades... Mais un modèle qui parait avoir atteint ses limites et qui ne pourra faire l'économie d'un débat pour être adapté ».
Le modèle français en est-il vraiment un?
L’approche quantitative est sans concessions. Interrogés par OpinionWay2, les Français ne sont que 30% à considérer que le modèle français est performant, et seulement 10% qu’il est bien géré. La performance de notre modèle semble particulièrement critiquée par les femmes (75% répondent « non » contre 60% des hommes), tout comme les catégories populaires (75%). Les sympathies partisanes sont aussi structurantes sur ce point : 76% des sympathisants du Front National dénoncent ce manque de performance, contre 70% des sympathisants de droite et 55% des sympathisants de gauche. Sa gestion, mauvaise pour 88% des interviewés, ne trouve pas non plus grâce auprès des Français, même les proches de la gauche, qui eux-mêmes se montrent critiques à 78%.
Ces deux faiblesses profondes pourraient trouver une compensation autour de dimensions plus qualitatives, témoignant de la capacité du modèle social à être à la fois juste et adapté. Mais ici aussi, la critique est sévère : seuls 31% des Français le trouvent « juste » et 33% « adapté ». La fracture idéologique joue à plein sur ce point. 52% des sympathisants de gauche estiment ce modèle juste et adapté, quand seuls 24% partagent ce constat à droite. Cependant, le soutien de la gauche au modèle social se fait du bout des lèvres. Plus problématique encore, il est sensiblement plus faible dans les catégories populaires que chez les cadres par exemple : 25% le trouvent juste chez les employés et ouvriers contre 47% chez les cadres !
2 Sondage OpinionWay » réalisé les 1et 2 octobre 2014 auprès d’un échantillon de 1011 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
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Une très large majorité de Français se dit prête à envisager une réforme du modèle social
Tiraillés entre la valeur des combats menés et le constat d’une situation de quasi faillite, 72% des Français répondent favorablement à l’idée que le modèle social français perd de l’argent tous les ans et qu’il faut le changer, 28% privilégiant l’idée qu’il faut le maintenir en l’état coûte que coûte. Les sympathisants de gauche montrent sur ce point un conservatisme paradoxal. Ils admettent le manque de performance, la mauvaise gestion et sont une faible minorité à le trouver juste. Mais 53% d’entre eux souhaitent le conserver ainsi coûte que coûte, contre 25% des catégories populaires.
L’idée de réformer le modèle social français n’est cependant pas pour autant fragilisée. Ainsi, 74% des Français souhaitent une remise en cause profonde de ce modèle, dont 55% à gauche et 76% dans les catégories populaires ou 78% chez les femmes et 81% chez les 18-24 ans. Cette réforme pose en partie le rôle de l’Etat dans ce système, 59% souhaitant une diminution de ce rôle, dont 41% chez les sympathisants de gauche et 69% chez ceux de droite.
Moins d’Etat dans le modèle social donc. La réforme souhaitée s’en approche. Loin des caricatures, les Français dressent le portrait d’un système qui appelle une gouvernance responsable au service d’une gestion redressée. Ils adressent aussi une exigence claire : seuls 24% adhérent à l’idée d’une diminution de ce qu’ils peuvent attendre du modèle social français. L’acceptation est un peu plus élevée, mais minoritaire, (38%) chez les cadres et (39%) dans les foyers disposant de revenus
33%
31%
30%
10%
65%
67%
68%
88%
Les appréciations concernant le modèle social Français
Pensez-vous que le modèle social français est... ?
Oui
Non
Bien géré
72%
En octobre 2014,
des Français considéraient que notre modèle social perd de l’argent tous les ans et qu’il faut le changer.
Performant
Juste
Adapté
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supérieurs à 3500 euros par mois, contre 19% dans les catégories populaires ou encore 33% chez les sympathisant de la droite et 25% à gauche.
L’incarnation la plus récente de cette tendance se retrouve dans l’étude que nous avons mené les 8 et 9 octobre pour Tilder et LCI3, et dans laquelle 77% des répondants partageaient l’idée que les allocations familiales devraient être modulées en fonction des revenus. Il s’agit là d’une révolution des mentalités et du modèle qui vient interpeller les défenseurs d’une inviolabilité du modèle social. Dans ce même sondage, 60% des Français se disaient d’accord avec l’idée selon laquelle « réduire la durée des indemnités chômage inciterait les chômeurs à reprendre plus rapidement un emploi. »
Dès lors, trois enseignements s’imposent :
1. Le modèle social français souffre de sa gestion et de son incapacité à incarner l’idée de Justice.
2. Sa réforme apparait comme une nécessité partagée.
3. Un quart des Français, ceux dont les revenus sont les plus élevés principalement, admettent l’idée d’une diminution de ce que le modèle social français peut leur apporter.
Sans être révolutionnaires, ces constats ne semblent pas évidents au point d’avoir fait évoluer les discours des acteurs politiques, dont l’immobilité compromet une évolution sereine du système en donnant le sentiment qu’il n’est pas réformable et que les dysfonctionnements sont le fait de quelques-uns.
3 Sondage Tilder-LCI-OpinionWay » réalisé les 8 et 9 octobre 2014 auprès d’un échantillon de 989 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus
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Une inaction qui laisse les Français désabusés face aux abus et surtout favorise la stigmatisation
Face au constat de l’incapacité à équilibrer les comptes du modèle social, c’est le plus souvent « l’autre » qui est montré du doigt, celui qui abuse, mais aussi l’administration qui est spontanément associée à ses dysfonctionnements.
Les membres de la communauté Opinion’Live considèrent qu’il existe « malheureusement trop d'abus de la part d'une minorité. Pas assez de contrôle et des ajustements qui rendent les différents points totalement illisibles et inapplicables ! » ou encore qu’« il y a quelques failles qui permettent aux plus malhonnêtes d'en profiter à tort. Exemples : le chômage, certains travaillent le minimum de temps pour obtenir le chômage, s'arrêtent de travailler pour toucher leur chômage jusqu'au bout avant de recommencer à travailler ».
Et si des solutions sont proposées, comme un redéploiement des « fonctionnaires », elles sont aussi l’occasion de pointer les fraudes et d’insister sur la nécessité de contrôles : « Les abus du système sont toujours un point négatif. Tant que des individus abuseront des arcanes de celui-ci, rien ne fonctionnera correctement », « on peut déjà commencer par rationaliser le fonctionnement de toutes les administrations qui gèrent ces prestations en centralisant les données. Informatiser davantage et redéployer les fonctionnaires sur le contrôle des dossiers pour limiter les fraudes ».
Au final, la classe moyenne, celle à laquelle s’identifie à tort ou à raison une très large majorité de Français, semble faire les frais de ces dysfonctionnements. Le modèle social dans ce contexte, marqué par des fraudes, semble échapper à tout contrôle et dès lors ses soutiens disparaissent : « Il part d'un bon sentiment. Malheureusement, la classe moyenne se sent lésée par ces dispositifs. On a l'impression qu'il y a une tranche de la population qui profite à plein des aides pendant que les autres raclent leurs derniers deniers durement gagnés au travail ! »
Au final les répondants laissent la place à des solutions qui s’orientent avant tout vers le contrôle, la lutte contre les abus, mais aussi qui ouvrent la porte à l’idée de modulation :
« C'est malheureusement tout notre système qui est en déficit et encore une fois trop de fraudes et bien trop d'abus. »
« Augmenter les contrôles, réduire les prestations sociales, s'adapter aux évolutions démographiques : de moins en moins d'actifs (hausse du chômage, papy-boom) il faudrait reculer le départ à la retraite, et relancer le marché du travail, etc. »
« Réformer le système en étant plus strict sur les bénéficiaires et que les conditions de revenus soit instaurées pour les prestations familiales. »
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Dès lors, peut-on encore parler du modèle social français ?
Totem français, le modèle social est encore aujourd’hui un sanctuaire dans la vie politique. Mais, même si dans l’esprit des Français il reste soutenu dans son objectif et ses valeurs, il fait l’objet de critiques profondes. Dès lors, perçu comme mal géré, inadapté aux réalités actuelles, finalement peu juste, il a très largement perdu le privilège d’être appelé « modèle ». Plus grave certainement, l’incapacité à lui redonner une place centrale dans le récit national participe très largement au sentiment qu’il y aurait une France qui ne joue par le jeu.
Fragilisé dans son efficacité, le « modèle » social français apparait plus modestement comme un « système », terminologie peut être plus adaptée au développement d’une analyse critique et à l’acceptation d’une réforme jugée nécessaire.
Julien Goarant
Directeur de clientèle
Département Opinion
jgoarant@opinion-way.com