La notion d'espace dans la musique électronique populaire (Musicologie)
Mémoire de Master 1 - Musique et Informatique Musicale Université Paris-Est Marne la Vallée - Alexandre PONTE
Avec le développement du matériel d'enregistrement, avec la naissance du Reggae, du Dub, de la Disco et jusqu'a la Techno, on assiste à une nouvelle conception de la production musicale qui donne une importance particulière à la notion d'espace simulé et d'espace physique de diffusion de la musique enregistrée (Soundsystems, Clubs).
La notion d'espace dans la musique electronique populaire - Mémoire Master 1 - PONTE Alexandre
1. PONTE
Alexandre
M1
Musique
et
Informatique
Musicale
La
notion
d’espace
dans
la
musique
électronique
populaire
A
l’attention
de
M
DAHAN
Kévin
2. SOMMAIRE
I.
L’ESPACE,
UNE
NOTION
POLYSÉMIQUE
I.1
Une
considération
de
l’espace
qui
évolue
au
cours
de
l’histoire
P8
I.2
La
notion
d’espace
en
musique
II.
LA
PERCEPTION
DE
L’ESPACE
P19
III.
L’ESPACE
DANS
LA
MUSIQUE
ELECTRONIQUE
POPULAIRE
P42
II.1
Le
processus
cognitif
de
la
perception
II.2
la
localisation
des
sons
dans
l’espace
III.1
Musiques
savantes
et
populaires,
deux
approches
de
l’espace
III.2
L’espace
comme
matériau
dans
la
musique
électronique
populaire
IV.
DUB,
DISCO,
,
ORIGINES
ET
EVOLUTION
D’UNE
APPROCHE
«
PRAGMATIQUE
»
DU
GESTE
COMPOSITIONNEL
P66
IV.1
La
musique
populaire
jamaïcaine
et
la
culture
du
sound-‐system
IV.2
L’adaptation
de
la
structure
musicale
à
la
danse
dans
le
disco.
IV.
CONCLUSION
P80
P85
BIBLIOGRAPHIE
2
3. Avant-‐propos
Pour
mener
à
bien
ce
travail
de
recherche,
il
convient
d’en
définir
le
champ
et
les
termes
qui
seront
utilisés.
S’il
semble
que
la
distinction
entre
musiques
savantes
et
populaires
pourrait
être
aujourd’hui
repensée,
il
est
par
exemple
difficile
de
considérer
le
jazz
comme
une
musique
simpliste,
mais
elle
nous
servira
à
catégoriser
les
différents
styles
étudiés
ou
évoqués.
La
musique
populaire
englobe
en
effet
des
styles
très
différents,
il
ne
faut
donc
pas
la
considérer
en
tant
qu’ensemble,
mais
prendre
en
compte
les
spécificités
de
chaque
style.
Pour
désigner
notre
champ
de
recherche
sans
alourdir
la
lecture,
nous
utiliserons
l’expression
«
musique
électronique
»
pour
sous-‐entendre
«
musique
électronique
populaire
de
danse
».
Nous
utiliserons
des
termes
existants
et
des
néologismes
qu’il
convient
de
définir
au
préalable.
Des
termes
tels
que
«
techno
»
ou
«
électro
»
seront
redéfinis
car
ils
sont
aujourd’hui
employés
de
façon
inappropriée.
Les
créateurs
de
musique
électronique
sont
souvent
autoproduits,
ils
seront
appelés
«
producteurs
»
car
ils
accumulent
un
travail
de
composition
et
de
production
(enregistrement
et
mixage).
Le
terme
«
production
»
désignera
donc
un
morceau
ou
un
«
maxi
»
(ou
«
EP
»
pour
«
extended
play
»,
un
vinyle
qui
contient
un
a
deux
morceaux
par
face).
On
parlera
de
«
scène
»
pour
désigner
un
ensemble
de
producteurs,
localisés
autour
d’un
style
particulier
et
parfois
d’un
lieu
géographique
:
par
exemple
la
«
techno
de
Détroit
»
ou
la
«
house
de
Chicago
»,
bien
que
des
musiciens
d’autre
continents
puissent
être
rattachés
à
ces
scènes
de
par
des
similitudes
dans
leur
travail.
Nous
utiliserons
les
termes,
en
opposition,
de
musique
électronique
«
commerciale
»
:
qui
réutilise
les
codes
de
la
musique
électronique
dans
le
but
de
vendre
le
plus
de
musique
possible,
et
«
underground
»
:
pour
désigner
le
travail
de
producteurs
qui
se
veulent
indépendants
vis
à
vis
des
Majors
du
disque.
Enfin,
nous
utiliserons
le
terme
«
pulsation
»
pour
désigner
le
battement
de
grosse
caisse
sur
chaque
temps,
quasi
systématique
dans
la
musique
Techno,
qui
est
donc
une
musique
«
pulsée
».
3
4. Introduction
La
musique
électronique
tient
une
place
de
plus
en
plus
importante
dans
la
musique
populaire,
tant
dans
son
versant
le
plus
«
commercial
»
que
dans
son
versant
dit
«
underground
».
Pour
mener
ce
travail
de
recherche,
nous
partirons
du
postulat,
que
nous
argumenterons,
que
de
nouveaux
outils
et
référentiels
doivent
être
mis
en
œuvre
pour
étudier
la
musique
électronique
d’un
point
de
vue
musicologique.
Nous
devrons
prendre
en
compte
et
définir
le
processus
de
création
musicale,
mais
aussi
s’intéresser
au
geste
de
l’auditeur
et
à
son
contexte.
Nous
établirons
de
nouveaux
paramètres
d’analyse
liés
à
la
qualité
de
le
«
production
»,
tels
que
la
dynamique
et
la
spatialisation
du
son,
qui
entrerons
dans
notre
définition
de
la
notion
d’espace.
La
littérature
concernant
la
musique
électronique
populaire
est
majoritairement
d’ordre
journalistique
ou
sociologique.
Dans
le
premier
cas,
on
trouve
des
renseignements
intéressants
sur
la
naissance
des
différents
sous
genres,
et
sur
certains
artistes,
notamment
au
travers
d’interviews,
plus
fiables
que
les
critiques
journalistiques
qui
font
parfois
des
erreurs
détectables
si
l’on
est
initié
aux
techniques
du
son1.
Si
les
questions
posées
ne
concernent
pas
systématiquement
le
processus
de
création
des
producteurs,
on
constate
tout
de
même
que
cette
tendance
tend
se
développer,
surtout
sur
les
sites
internet
spécialisés2.
Concernant
les
écris
de
sociologie
de
la
musique,
s’il
peuvent
apporter
des
informations
quand
à
la
réception
de
la
musique
par
le
public,
on
ne
saurait
s’en
servir
de
support
pour
un
questionnement
d’ordre
musicologique.
De
plus,
ceux
ci
on
tendance
à
se
focaliser
sur
le
phénomène
des
Free
Party,
et
donc
sur
le
versant
le
plus
«
extrême
»
des
musiques
électroniques,
dont
la
techno
hardcore
ou
hardtek.
1
En effet, on constate parfois que les journalistes évoquent à tort la « compression » du son, ou des sonorités ou
des synthétiseurs « analogiques »
2
Par exemple, le site http://www.residentadvisor.net/, qui fait référence en matière de musique électronique,
propose une section dédiée à la création musicale, avec interview et photos de home studios à l’appui.
4
5.
Les
travaux
universitaires
portant
sur
la
musique
électronique
populaire
sont
plus
rares.
Ils
nous
servirons
de
base
théorique,
mais
nous
tenterons
de
garder
une
certaine
distance
vis
à
vis
de
ceux-‐ci.
Nous
n’hésiterons
pas
à
critiquer
toute
imprécision
ou
surinterprétation
dont
nous
pourrions
être
témoins.
En
effet,
la
liberté
qu’apporte
l’étude
de
ce
champ
nouveau
incite
parfois
les
chercheurs
à
faire
des
raccourcis
historiques,
voire
des
demi-‐vérités.
Ainsi,
dans
sa
thèse
:
«
Du
minimalisme
dans
la
musique
électronique
populaire
»,
Mathieu
Guillien
évoque
Emmanuel
Grynszpan,
l’un
des
«
premiers
universitaires
francophones
à
avoir
conduit
une
étude
solide
de
la
musique
électronique
populaire
»,
pour
relever
plusieurs
points
contestables
dans
son
ouvrage
Bruyante
Techno3
au
sujet
de
la
naissance
de
ce
genre
musical.
Il
ne
fait
ainsi
pour
l’auteur
«
aucun
doute
que
la
musique
house
a
engendré
la
techno
»,
apparue
«
à
Detroit
en
1988,
[...]
parce
qu’elle
lui
est
antérieure,
et
que
la
frontière
entre
les
deux
styles
reste
floue
».
La
house
se
serait
«
inspirée
de
la
mouvance
électronique
venue
d’Europe
(Kraftwerk,
Front
242,
Tangerine
Dream)
»
et
serait
«
liée
à
un
espace
fermé
et
fixe
(club,
entrepôt)
tandis
que
la
techno
est
aussi
mobile
que
sa
source
4.
Pour
Mathieu
Guillien,
Emmanuel
Grynszpan
adopte
«
un
point
de
vue
très
eurocentré
».
Il
précise
que
:
La
techno,
si
elle
est
effectivement
apparue
à
Detroit,
est
en
germe
depuis
le
début
des
années
1980
et,
si
l’on
devait
lui
attribuer
une
date
d’apparition
précise,
ce
serait
bien
davantage
1985
et
la
création
par
Juan
Atkins
du
premier
label
techno,
Metroplex,
que
1988,
année
de
parution
en
Angleterre
de
la
compilation
Techno!
The
New
Dance
Sound
Of
Detroit,
qui
marque
moins
la
naissance
historique
du
genre
que
sa
reconnaissance
commerciale
».
3
GRYNSZPAN, Emmanuel, Bruyante Techno : réflexion sur le son de la free party, Mélanie Séteun, Nantes,
1999
4
GUILLEN Mathieu, Du minimalisme dans la musique électronique populaire, thèse de doctorat sous la
direction d’ Horacio VAGGIONE, Université Paris 8, 2011
5
6.
De
plus,
il
ajoute
que
la
techno
était
aussi
jouée
dans
les
clubs,
dès
son
apparition,
et
critique
«
l’approche
sociologisante
»
de
Grynszpan
qui
emploie
des
termes
tels
que
«
mouvement
techno
».
C’est
en
effet
parce
qu’elle
soumise,
comme
toute
les
musiques
populaires,
à
l’industrie
culturelle,
que
la
musique
électronique
est
victime
d’une
vision
biaisée
du
public
et
des
musicologues.
Ces
derniers
ont
tendance
à
la
considérer
comme
une
«
musique
de
grande
diffusion
»,
terme
que
la
musicologue
Catherine
Rudent,
définit
comme
étant
«
à
la
recherche
volontaire
et
consciente
d'un
public
aussi
large
que
possible
–
pour
des
raisons
spécifiquement
économiques,
mais
pas
exclusivement»5,
notamment
à
cause
de
sa
popularité
croissante
qui
a
amenée
une
offre
exponentielle
dont
une
grande
partie
est
«
commerciale
».
Mais
c’est
justement
aux
exceptions
que
le
musicologue
doit
s’intéresser,
sachant
que
la
musique
électronique
populaire
est
par
essence
volontairement
«
underground
»
comme
ont
pu
l’être
certains
mouvements
musicaux
des
années
70
comme
le
«
Krautrock
».
De
plus,
les
chercheurs
doivent
faire
face
à
l’absence,
contrairement
à
la
musique
savante,
d’écrits
exposant
la
conception
des
œuvres
par
les
artistes
eux-‐mêmes
(qui
sont
souvent
incapables
d’en
donner
des
concepts
ou
les
cachent
volontairement
pour
laisser
la
«
parole
»
à
la
musique).
Le
choix
d’étudier
la
notion
d’espace,
qui
nous
semble
être
une
composante
majeure
dans
la
musique
électronique,
nous
confronte
à
un
terme
d’autant
plus
polysémique
qu’il
s’applique
à
un
art
qui,
contrairement
au
cinéma
ou
à
la
peinture,
est
impalpable
et
fondamentalement
non
figuratif
:
il
ne
«
montre
»
rien.
Il
peut
à
la
fois
désigner
la
manifestation
de
la
propagation
du
son
dans
un
lieu,
le
silence
qui
est
«
entre
les
sons
»,
ou
le
champ
de
liberté
accordé
à
un
interprète.
Nous
tenterons
dans
un
premier
temps
de
définir
l’espace
et
sa
considération
qui
a
évolué
dans
le
temps,
dans
le
domaine
des
sciences
(dures
et
sociales),
de
la
philosophie
puis
de
la
musique.
Dans
un
deuxième
temps,
nous
étudierons
les
principaux
processus
cognitifs
de
la
perception
du
son
dans
l’espace.
Enfin,
dans
une
troisième
partie,
en
utilisant
les
processus
mis
en
exergue,
nous
tenterons
de
5
5
RUDENT
Catherine,
Avantpropos
in
Musurgia,
IX
2,
Paris,
Eska,
2002,
p.
3
6
7. comprendre
et
de
contextualiser
les
procédés
techniques
qui
créent
l’espace
virtuel,
et
leurs
effets
sur
l’auditeur.
Nous
en
déduirons
leur
place
dans
le
geste
compositionnel,
instrumental
et
de
l’écoute,
lié
aux
musiques
électroniques.
En
partant
de
la
House
et
de
la
Techno,
nous
étudierons
ensuite
les
styles
musicaux
précédents
(Disco
et
Reggae
en
particulier)
en
y
cherchant
les
prémisses
de
la
conception
particulière
de
l’espace
dans
la
musique
électronique.
7
8. I.
L’ESPACE,
UNE
NOTION
POLYSÉMIQUE
Dans
ce
chapitre,
nous
tenterons
de
définir
la
notion
d’espace
afin
d’acquérir
des
concepts
susceptibles
de
nourrir
nos
analyses
musicales,
et
de
nous
apporter
des
éléments
de
réflexion
sur
l’évolution
des
musiques
électroniques.
Ce
mot,
fréquemment
utilisé
tant
dans
la
recherche
que
dans
le
quotidien
de
tout
un
chacun
est
utilisé
dans
des
contextes
très
divers.
Empiriquement,
dans
le
langage
courant,
l’espace
peut
être
à
la
fois
une
étendue,
un
lieu
délimité
ou
non
où
l’on
situe
des
évènements
ou
des
objets,
ou
une
distance
entre
deux
points
ou
objets.
Mais
outre
la
désignation
dans
la
pratique
d’une
réalité
physique,
on
constate
qu’il
existe,
dans
les
champs
du
savoir,
une
multitude
d’attributions,
de
concepts
et
d’idées
autour
du
mot
espace.
Ainsi,
plus
que
d’une
notion,
on
peut
parler
d’une
idée
d’espace.
Dans
sa
définition
lexicale,
il
s’agit
d’une
représentation
élaborée
par
la
pensée,
abstraite
et
générale,
d’un
être,
d’un
objet,
d’un
phénomène
ou
d’une
perception.
Mais,
face
à
la
multitude
d’utilisations
de
cette
idée,
nous
considèreront
cette
notion
d’après
la
définition
qu’en
donne
Gilles
Deleuze
:
Les
Idées
sont
des
multiplicités,
chaque
Idée
est
une
multiplicité,
une
variété.
[...]
la
multiplicité
ne
doit
pas
designer
une
combinaison
de
multiples
et
d’un,
mais
au
contraire
une
organisation
propre
au
multiple
en
tant
que
tel,
qui
n’a
nullement
besoin
de
l’unité
pour
former
un
système6.
En
effet,
on
constate
que
l’idée
d’espace
est
utilisée
dans
des
contextes
très
différents,
on
parle
par
exemple
d’espace
géographique,
social,
économique,
psychologique,
philosophique,
acoustique,
mathématique,
cosmologique…
L’espace
fait
d’ailleurs
partie
des
idées
énigmatiques
et
multiples
dont
parle
Deleuze,
car
elle
est
composée
d’éléments
de
natures
différentes
:
une
même
idée
d’espace
peut
réunir
des
caractères
différents
tels
que
la
durée,
la
distances,
la
surfaces
et
le
volume.
De
plus,
chacun
de
ces
aspects
impliquent
des
référents
distincts
nécessaires
à
leur
perception.
6
DELEUZE, Gilles. Différence et répétition. PUF, 1968, Paris, France. p. 236.
8
9.
Ainsi,
avant
de
nous
focaliser
sur
le
domaine
musical,
qui
englobe
lui
même
des
manifestations
très
disparates
de
cette
idée,
nous
aborderons
la
notion
d’espace
dans
les
sciences
et
la
philosophie.
I.1
Une
considération
de
l’espace
qui
évolue
au
cours
de
l’histoire
Chez
les
penseurs
de
l’antiquité
grecque,
sciences
pures
et
philosophie
étaient
indissociables
pour
tenter
d’expliquer
le
monde,
ses
objets
et
ces
phénomènes.
Cependant,
la
philosophie
avait
une
place
particulière.
Ainsi,
dans
le
livre
I
de
la
métaphysique,
Aristote
considéra
que
:
Toutes
les
sciences
sont
plus
nécessaires
que
la
philosophie,
mais
nulle
n’est
plus
excellente.7
Pour
formuler
des
idées
et
énoncer
des
lois
qui
définissent
les
phénomènes
perçus,
la
philosophie
représente
pour
Aristote
:
[...]
[La]
sagesse
par
excellence,
[qui]
est
la
science
de
certains
principes
et
de
certaines
causes8
La
notion
d’espace
à
évolué
au
cours
de
l’histoire,
et
s’est
transformée
en
fonction
de
l‘évolution
des
connaissances,
et
des
conditions
expérimentales
propres
à
chaque
champ
du
savoir.
Chez
les
Grecs
de
l’Antiquité,
l’espace
se
définit
par
les
objets
qu’il
contient.
Démocrite
et
Leucippe
avaient
déjà
émis
l’hypothèse
de
l’existence
du
vide
et
d’atomes
qui
constitueraient
toute
matière,
cette
idée
a
été
vivement
rejetée
par
Aristote,
et
c’est
cette
position
qui
a
marqué
l’époque.
En
effet,
le
maitre
de
Platon
considérait
l’espace
7
ARISTOTE, Métaphysique. Livre I – Chapitre II. Édition eléctronique in : COUSIN, Victor
<http://www.remacle.org/>
8
ibidem. Chapitre I
9
10. comme
un
lieu
absolu
ou
sont
placées
les
choses,
niait
l’existence
du
vide,
et
considérait
que
la
matière
provenait
des
quatre
éléments
:
eau,
feu,
terre,
air.
Le
Cosmos,
espace
du
monde,
est
fermé
et
hiérarchiquement
ordonné
:
les
différents
lieux
ne
se
valent
pas.
De
plus,
l’espace
n’est
pas
neutre,
car
il
y
a
des
directions
privilégiées
imposées
à
la
matière
:
le
feu
monte,
un
corps
lourd
chute.
En
observant
les
vases
peints
de
l’antiquité,
on
constate
que
l’espace
ou
les
lieux
ne
sont
pas
représentés,
seul
les
êtres
et
les
objets
signifiants
pour
la
compréhension
de
l’action
le
sont.
Plus
tard,
Euclide
à
considéré
que
l’espace
est
composé
de
trois
dimensions
:
hauteur,
largeur,
profondeur.
La
géométrie
Euclidienne
permettra
ainsi,
et
aujourd’hui
encore,
de
mesurer
et
tenter
de
maitriser
l’espace,
dans
le
sens
d’un
volume.
Au
XVIème
siècle,
Descartes
a
quand
a
lui
postulé
que
l’espace
serait
une
masse
homogène,
statique
et
continue,
dans
laquelle
les
notions
géométriques
d’Euclide
peuvent
êtres
appliquées.
Au
XVIIème
siècle,
Isaac
Newton
émet
l’hypothèse
que
l’espace
est
absolu
et
infini,
et
que
les
objets
de
l’espace
Euclidien
y
sont
contenus.
Sa
conception
du
vide
est
critiquée
par
Leibniz
au
début
du
XVIIIème
car
se
serait
pour
lui
«
attribuer
à
Dieu
une
production
10
11. très
imparfaite
».9
Il
est
intéressant
de
constater
que
les
peintres
de
la
Renaissance,
par
leur
utilisation
de
lignes
de
fuite
propres
à
la
perspective,
on
proposé
une
représentation
de
l’infini
bien
avant
qu’il
soit
théorisé
par
Newton.
Enfin,
au
XXème
siècle,
Einstein
redéfinît
la
conception
de
l’univers
comme
un
espace
courbe,
qui
s’étend
continuellement.
La
perception
de
l’espace
en
philosophie
Au
XVIIIème
siècle,
Emmanuel
Kant
s’est
quand
a
lui
placé
du
coté
de
la
perception,
considérant
que
l’espace
est
une
forme
à
priori
de
la
sensibilité.
Pour
lui,
les
notions
abstraites
d’espace
et
de
temps
sont
le
résultât
de
processus
cognitifs
de
perception,
de
mémorisation
et
de
raisonnement,
permettant
d’organiser
les
perçus
:
de
se
représenter
intellectuellement
des
phénomènes
et
des
objets
extérieurs
et
les
localiser
dans
l’espace
et
dans
le
temps.
Les
notions
de
passé,
de
présent
et
de
futur,
d’ici
et
de
là-‐bas
seraient
donc
des
constructions
intellectuelles.
Dans
l’Esthétique
Transcendantale,
première
partie
de
son
livre
Critique
de
la
raison
pure,
il
postule
que
ces
notions
seraient
donc
des
intuitions,
produites
par
la
conscience,
qui
permettent
la
«
[...]
représentation
des
objets
comme
extérieurs
à
nous
et
situés
dans
l’espace
[...]
»10
Ces
processus
permettraient
également
«
[...]
la
représentation
d’un
espace
unique,
[puisque]
quand
nous
parlons
de
plusieurs
espaces,
nous
nous
rapportons
à
des
différentes
parties
d’un
seul
et
même
espace
[...]
»11
et
ils
permettent,
selon
Kant,
l’intuition
de
l’espace
comme
forme
a
priori
de
la
sensibilité.
La
Phénoménologie
:
une
autre
manière
d’appréhender
la
perception
du
monde
La
Phénoménologie
est
un
courant
philosophique
qui
est
encore
dominant
aujourd’hui.
Il
a
été
initié
au
début
du
XXème
siècle
par
Edmund
Husserl,
dont
les
9
KOYRÉ Alexandre, Du monde clos à l'univers infini [« From The Closed World to the Infinite Universe »,
traduit par R. TARR], Paris, Gallimard, 2003
10
KANT, Emmanuel, Critique de la raison pure, traduit par A.RENAUT, Paris, Broché, 2006
11
Idibdem
11
12. travaux
ont
ensuite
été
repris
par
Merleau-‐Ponty
qui
a
poussé
plus
loin
la
réflexion
sur
la
perception.
Il
semble
important
de
le
citer
car
il
pourra
nous
apporter
des
concepts
intéressants
en
terme
de
perception
de
l’espace.
La
Phénoménologie
repose
sur
le
choix
d’adopter
une
autre
attitude
dans
la
pensée
de
ce
qu’est
la
perception
du
monde
:
la
réduction
phénoménologique
ou
Épochè.
On
cesse
de
concevoir
le
monde
comme
une
existence,
et
on
se
pose
la
question
de
sa
manifestation.
On
ne
sait
pas
s’il
existe
réellement,
mais
on
sait
que
l’on
pense
réellement
qu’il
existe.
“La
réduction
phénoménologique
est
la
méthode
universelle
et
radicale
par
laquelle
je
me
saisis
comme
moi
pur,
avec
la
vie
de
conscience
pure
qui
m’est
propre,
vie
dans
et
par
laquelle
le
monde
objectif
tout
entier
existe
pour
moi,
tel
justement
qu’il
existe
pour
moi
»12
Husserl
met
l’objet
entre
parenthèses
pour
s’intéresser
au
sujet
de
l’action,
l’individu.
La
Phénoménologie
fait
la
distinction
entre
monde
réel
et
monde
«
pour
soi
»
:
on
ne
perçoit
pas
tout
ce
qui
est
dans
le
monde
réel,
comme
par
exemple
les
ondes
radio.
On
ne
perçoit
pas
un
objet
en
soi,
mais
on
a
conscience
de
l’interaction
dynamique
que
l’on
peut
avoir
avec
celui-‐ci,
on
imagine
ce
qu’on
peut
faire
avec.
On
le
replace
dans
sa
réalité
dynamique
et
dans
la
réalité
dynamique
du
monde
et
on
fait
émerger
une
perception.
“Toute
conscience
est
conscience
de
quelque
chose”13
L’approche
phénoménologique
préconise
donc
la
prise
en
compte
de
l’implication
du
corps
de
celui
qui
perçoit.
Ce
dernier
est
dans
une
posture
que
l’on
nomme
Solipsisme
:
il
est
seul,
comme
dans
une
bulle,
et
essaie
de
fonder
la
réalité
du
monde.
"Le
monde
est
cela
que
nous
percevons."
"Le
monde
est
non
pas
ce
que
je
pense
mais
ce
que
je
vis."
14
12
HUSSERL
Edmund,
Méditations
cartésiennes:
introduction
à
la
phénoménologie,
Vrin,
Paris,
2007
13
idem.
14
MERLEAU-‐PONTY
Maurice,
Phénoménologie
de
la
perception,
Gallimard,
Paris,
1976
12
13. La
conscience
n’est
ni
une
chose,
ni
une
instance
dans
le
sujet
lui
même,
mais
une
activité,
un
évènement,
un
phénomène.
Il
y
a
une
intentionnalité
de
la
conscience
dirigée
vers
le
monde.
Percevoir
et
décrire
ce
que
l’on
perçoit
c’est
décrire
la
réalité.
La
description
des
choses
permet
de
découvrir
leur
essence
et
c’est
la
conscience
qui
les
pense.
Et
si
l’on
peut
avoir
plusieurs
points
de
vue
sur
un
objet,
on
cherche
un
invariant.
Ainsi,
pour
Merleau-‐Ponty
la
perception
est
le
résultat
«
d’atomes
causaux
de
sensations
»,
elle
a
une
dimension
active
en
tant
qu’ouverture
au
monde
vécu,
et
donc
«
toute
conscience
est
une
conscience
perceptive
»15.
L’espace
:
un
concept
issu
d’une
transduction
métaphorique
Nous
avons
vu
précédemment
que
le
concept
d’espace
a
évolué
au
cours
de
l’histoire,
tant
dans
le
domaine
des
sciences
dures
que
dans
la
philosophie.
Avant
d’aborder
sa
manifestation
dans
le
domaine
musical,
il
convient
de
faire
référence
au
phénomène
de
transduction
métaphorique
dont
il
est
l’objet.
La
transduction
métaphorique
est
une
démarche
intellectuelle
qui
consiste
transférer
des
idées
ou
des
procédés
propres
à
un
champ
du
savoir
vers
un
autre
champ
dans
lesquels
ils
ne
s’appliquent
pas
naturellement.
Ainsi,
s’il
semble
logique
d’utiliser
le
concept
d’espace
pour
décrire
un
tableau
ou
une
réalité
physique,
on
peut
aussi
l’utiliser
dans
un
domaine
différent
comme
la
musique.
On
parle
par
exemple
d’un
mouvement,
alors
que
ce
terme
est
originellement
lié
a
un
déplacement
dans
l’espace.
Ainsi,
en
musique,
on
pourra
parler
d’espace
entre
les
hauteurs,
entre
les
notes
sur
le
plan
temporel
(il
devient
donc
synonyme
de
silence),
d’espace
évoqué
imaginaire,
d’espace
de
la
diffusion,
ou
d’espace
timbral
intrinsèque
à
un
son.
Mais
l’utilisation
de
l’espace
comme
paramètre
compositionnel
s’est
faite
tard
dans
l’histoire
de
la
musique,
au
XXème
siècle,
nous
allons
donc
tenter
de
comprendre
les
conditions
de
son
émergence.
15
idem.
13
14. I.2
La
notion
d’espace
en
musique
La
prise
en
compte
de
l’espace
de
la
performance
musicale
s’est
faite
très
tôt
dans
l’histoire
de
la
musique.
Le
travail
sur
l’acoustique
s’est
par
exemple
déjà
développé
chez
les
Grecs
de
l’antiquité
qui
avaient
compris
l’importance
des
propriétés
acoustiques
de
l’architecture.
En
effet,
les
amphithéâtres
grecs
étaient
conçus
pour
que
tous
les
spectateurs
puissent
entendre
ce
qui
se
passe
sur
la
scène,
ce
qui
était
rendu
possible
par
leur
forme
demi-‐circulaire
et
l’utilisation
d’une
surface
plane
derrière
la
scène,
faisant
office
de
réflecteur.
Cette
prise
en
compte
pratique
de
l’espace
musical
s’est
ensuite
retrouvée
dans
les
cathédrales
au
Moyen-‐Age,
avec
la
encore
l’utilisation
de
l’acoustique
dans
la
volonté
d’augmenter
a
portée
de
la
diffusion
sonore.
De
la
même
manière,
la
mise
au
point
des
ensembles
musicaux
a
très
vite
été
sujette
à
une
prise
en
compte
de
l’espace
performatif
:
les
orchestres
permettent,
en
plus
d’une
richesse
harmonique
augmentée,
d’atteindre
une
intensité
et
une
dynamique
importante
qui
sont
en
faveur
d’une
grande
portée
sonore.
Dans
un
contexte
spatial
plus
réduit,
on
peut
citer
la
musique
de
chambre
qui,
comme
son
nom
l’indique,
était
destinée
à
être
jouée
en
intérieur
pour
les
nobles.
Néanmoins,
on
constate
que
cette
notion
d’espace
reste
absente
dans
la
composition
musicale
jusqu'au
XXème
siècle.
Contrairement
aux
arts
visuels,
qui
font
de
l’espace
une
notion
centrale
tant
dans
leur
tendances
tant
figuratives
qu’abstraites,
la
musique
est
un
art
de
l’invisible.
Selon
le
musicologue
Renaud
Meric,
cette
notion
de
l’invisible
se
manifeste
de
deux
façons
différentes
dans
l’histoire
de
la
musique.
Un
«
au-delà
»
invisible
:
le
musical
est
lié
à
un
aspect
religieux.
La
musique
est
un
moyen
privilégié
d’approcher
cet
au-delà
-
non
humain
-
invisible.
Un
«
en
deçà
»
invisible
:
contrairement
à
la
forme
d’invisible
précédente
métaphysique,
cet
«
en
deçà
»
invisible
est
proprement
humain
et
trouve
son
14
15.
origine
dans
l’humain
même.
C’est
l’âme,
le
subjectif
(dans
une
dichotomie
objectif/subjectif),
l’intérieur
(opposé
à
la
«
réalité
extérieure
»).16
Ces
deux
notions
illustrent
bien
le
fait
que
cette
invisibilité
du
sonore
due
à
son
immatérialité,
relève
très
tôt
dans
l’histoire
(chez
les
philosophes
antiques
par
exemple)
d’un
caractère
mystérieux
car
insaisissable,
«
inatteignable
».17
Jusqu’au
XXème
siècle,
la
musique
reste
donc
essentiellement
un
art
du
temps.
Cette
conception
semble
à
priori
évidente
si
l’on
conçoit
la
musique
comme
un
discours
mélodique
et
harmonique
qui
sous
entend
une
progression
temporelle.
Citons
quelques
exemples
de
sa
formulation
par
Lessing
et
Schopenhauer.
Dans
son
livre
Laocoon
écrit
en
1766,
G.E
Lessing
distingue
arts
du
temps
(poésie,
musique),
et
arts
de
l’espace
(peinture,
architecture),
dont
la
perception
se
fait
dans
l’immédiateté.
Il
n’est
pas
le
premier
à
le
faire
mais
un
des
plus
connus.
Notons
que
cette
distinction
a
été
critiquée
par
les
peintres
contemporains
Kavinsky
et
Paul
Klee
que
nous
citons
ci-‐dessous:
Lessing
insiste
beaucoup
sur
la
distinction
entre
art
spatial
et
art
temporel.
Mais
en
regardant
de
plus
près,
ce
n’est
que
illusion
et
vaine
érudition.
Car
l’espace
est
aussi
une
notion
temporelle.18
Au
XIXème,
le
Philosophe
Schopenhauer
a
lui
aussi
défini
la
musique
comme
un
art
du
temps
:
La
musique
est
perçue
dans
le
temps
et
par
le
temps,
l’espace,
la
causalité,
par
suite
l’entendement,
n’y
ont
aucune
part.
La
musique
n’existe
que
dans
le
temps,
sans
le
moindre
rapport
avec
l’espace19
16
MERIC
Renaud,
Appréhender
l’espace
sonore,
L’écoute
entre
perception
et
imagination,
l’Harmattan,
2012,
Paris
17
idem.
18
KLEE,
Paul,
«
Confession
créatrice
»
dans
Ecrits
sur
l’art/I,
textes
recueillis
et
annotés
par
Jurgspiller,
Paris,
Dessain
et
Tolra,
p78
15
16.
L’
«
exclusion
de
l’espace
»
découle
donc
de
l’évolution
de
la
musique
tonale,
et
d’une
conception
particulière
du
son
qui
s’est
formée
au
fil
du
temps.
Ainsi,
si
la
musique
peut
parfois
évoquer
un
espace
réel
(La
Moldau
de
Smetana
par
exemple)
ou
irréel,
elle
ignore
pendant
plusieurs
siècles
l’espace
spectral
intrinsèque
des
timbres
et
l’espace
physique.
L’espace
timbral
En
1619,
avec
son
Compendium
Musicae,
Descartes
établit
une
distinction
entre
la
«
matérialité
objective
»20
visible
du
son
comme
phénomène
acoustique
et
physique,
et
sa
finalité
subjective,
invisible,
la
passion
propre
à
l’auditeur.
Il
différencie
le
son
non
musical,
les
bruits,
et
le
son
musical
dont
les
hauteurs
et
rythmes
sont
issus
de
proportions
mathématiques
:
Ils
peuvent
être
structurés/déstructurés,
construits/déconstruits
en
un
ensemble
de
paramètres
mesurables
et
perceptibles.21
Cette
conception
exclut
la
prise
en
compte
du
son
en
lui
même
et
ses
caractéristiques
timbrales,
celui-‐ci
renseigne
simplement
sur
le
corps
dont
il
émane.
Rameau,
en
1722,
en
fera
le
point
de
départ
de
sa
réflexion
sur
les
fondements
de
l'harmonie.
Cette
idée
du
son
et
ses
fondements
inhérents
au
système
tonal
on
été
remis
en
cause
bien
plus
tard,
à
la
fois
par
Nietzche,
puis
Debussy.
Tous
deux
prônent
un
retour
à
l’écoute
et
à
une
musique
physique,
charnelle
liée
au
son.
Ils
critiquent
l’écriture
au
sens
d
‘un
développement
sémiotique.
Par
exemple,
Nietzsche
rejette
le
romantisme,
qui
conçoit
la
musique
comme
un
langage
trop
apollinien,
considérant
qu’il
devrait
plutôt
19
SCHOPENHAUER,
Le
monde
comme
volonté
et
représentation,
trad.
A.
Burdeau,
revue
par
R.Ross,
Parus,
P.U.F.,
1984,
p.340.
20
Idem.
21
DESCARTES
René
,
Abrégé
de
musique:
Compendium
musicae,
PUF,
Paris,
1987
16
17. tendre
vers
le
coté
dionysien.
Il
critique
ainsi
sévèrement
Wagner
et
son
art
du
développement.
Que
Wagner
ait
déguisé
sous
couleur
de
principe
son
inaptitude
à
former
une
forme
organique,
qu’il
affirme
un
«
style
dramatique
»
la
ou
nous
ne
voyons
qu’une
impuissance
de
style…
Debussy
s’est
quand
à
lui
engagé
dans
une
«
voie
nouvelle
»22,
inspiré
par
la
richesse
des
«
milles
bruits
de
la
nature
»23,
il
a
privilégié
la
recherche
d’une
sensation
provoquée
par
la
richesse
du
son
en
lui
même,
plutôt
que
de
se
limiter
à
une
narration
dans
le
temps.
On
cherche
trop
à
écrire,
on
fait
de
la
musique
pour
nos
yeux
au
alors
qu’elle
est
faite
pour
les
oreilles
!
24
Il
a
donc,
comme
l’a
fait
par
la
suite
Schoenberg
avec
sa
klangfarbenmelodie,
amené
la
considération
du
timbre
sonore,
qui
se
définit
comme
:
La
qualité
d’un
son
qui
permet
de
le
différencier
de
tous
les
autres
sons
ayant
la
même
hauteur
et
la
même
intensité25
Ainsi,
si
au
début
du
XXème
siècle
on
parlait
encore
de
couleur
sonore,
par
besoin
de
rester
dans
une
logique
visuelle,
la
considération
de
l’espace
timbral
est
devenue
de
plus
en
plus
importante
chez
les
compositeurs.
Selon
Renaud
Meric,
le
timbre
:
«
impliquait
la
présence
d’une
voix
fantomatique
qui
s’incarnait
alors
dans
les
instruments
ou
les
personnes
sur
la
scène.
»26
,
il
représentait
donc
un
nouvel
espace
sonore
mystérieux
à
exploiter.
22
idem.
23
Ibidem.
24
DEBUSSY
Clause,
Monsieur
Croche
et
autres
récits,
Gallimard,
1999,
Paris
25
HONEGGER
Marc,
Science
de
la
musique,
tome
2,
Bordas,
1976,
Paris
26
MERIC
Renaud,
Appréhender
l’espace
sonore,
L’écoute
entre
perception
et
imagination,
l’Harmattan,
2012,
Paris
17
18.
Au
XXème
siècle,
la
notion
d’espace
[…]
devient
fondamentale,
mais
par
rapport
à
une
pensée
plus
abstraite.
On
rejoint
alors
les
travaux
de
Schaeffer,
pour
qui
un
objet
est
proche
d’un
autre
en
fonction
de
son
grain,
par
exemple.
On
peut
donc
travailler
sur
une
notion
d’espace
beaucoup
plus
large
que
celle
du
pur
espace
mélodique.27
Cette
notion
a
notamment
été
explorée
par
Schaeffer
(a
travers
l’écoute
réduite
notamment)
et
Stockhausen,
mais
aussi
par
les
pionniers
de
l’informatique
musicale
comme
Jean
Claude
Risset,
avec
la
volonté
de:
Mettre
directement
en
sons
des
structures
ou
des
concepts.
Dépasser
la
note,
faire
jouer
le
temps
dans
le
son
et
pas
seulement
le
son
dans
le
temps.
Composer
les
timbres
comme
des
accords,
prolonger
l'harmonie
dans
le
timbre.28
Ainsi,
on
peut
donc
considérer
que
cette
prise
en
conscience
du
timbre
à
amené
celle
du
paramètre
spatial
dans
la
composition
en
musique
savante.
Si
nous
nous
plaçons
dans
la
logique
d’une
vision
linéaire
de
l’espace
musical,
[…]
nous
serons
enclins
à
conclure
que
cette
émancipation
du
timbre
à
donné
naissance
à
l’espace29
La
prise
en
compte
du
concept
d’espace
a
donc
amené
de
nouvelles
façon
d’influer
sur
les
sens
de
l’auditeur.
C’est
pourquoi,
avant
d’aborder
son
rôle
dans
la
composition
en
musique
savante
et
populaire,
nous
nous
intéresseront
dans
le
deuxième
chapitre
à
perception
de
l’espace
chez
l’Homme.
27
JEANFRENNOU
Pierre-‐Alain
in
CHOUVEL,
SOLOMOS,
L’espace
:
Musique/
Philosophie,
l’Harmattan,
2009,
Paris.
28
RISSET
Jean-Claude, «Synthèse et matériau musical», Les
cahiers
de
l'Ircam
no.
2
29
idem.
18
19. II.
LA
PERCEPTION
DE
L’ESPACE
En
se
référant
au
travail
de
spécialistes
de
la
perception
tels
que
Bregman,
McAdams,
Bigand,
Moraïs,
Jésus
Alegria,
Canévet
et
Demany,
nous
étudierons
dans
ce
chapitre
quelques
caractéristiques
du
phénomène
sonore
et
leur
perception
auditive.
Nous
nous
concentrerons
plus
particulièrement
sur
les
aspects
du
phénomène
s’appliquant
à
la
diffusion
de
musique
enregistrée.
Ceux-‐ci
nous
apporterons
des
éléments
de
compréhension
de
la
perception
des
sons
dans
l’espace
que
nous
appliquerons
plus
tard
à
la
musique
électronique
populaire.
Avant
de
traiter
la
perception
de
l’espace
et
du
son
en
tant
que
phénomène
perceptif,
il
convient
de
définir
le
son
en
tant
que
phénomène
physique.
Le
son
est
un
phénomène
vibratoire
d’origine
mécanique
qui
génère
des
perturbations
dans
un
milieu
élastique
de
propagation.
Ces
perturbations,
produites
par
des
variations
de
pression,
se
propagent
dans
le
milieu
(le
plus
souvent
l’air).
Elles
ne
provoquent
pas
de
déplacement
de
matière
mais
une
transmission
d’énergie
«
de
proche
en
proche
»
:
les
particules
autour
de
la
source
sonore
s’entrechoquent
avec
les
particules
voisines
puis
retournent
à
leur
position
initiale.
Ces
variations
de
pression
sont
des
ondes
sonores
semblables
aux
vibrations
de
la
source
sonore
qui
leur
a
donné
naissance
(instrument,
voix,
membrane
de
haut
parleur
ou
bruit
de
pas
par
exemple).
Ce
mouvement
de
particules
se
propage
en
s’atténuant,
car
une
perte
d’énergie
se
produit
au
fur
et
à
mesure
que
le
champ
sonore
s’étend.
De
plus,
l’amortissement
du
son
par
la
viscosité
de
l’air
croit
avec
la
fréquence
:
à
intensité
égale,
les
sons
aigus
se
propagent
moins
loin
que
les
sons
graves
(et
sont
plus
directifs,
alors
que
les
fréquences
basses
se
propagent
dans
toutes
les
directions.
Pour
bien
appréhender
ce
phénomène
physique
il
faut
considérer
les
contraintes
propres
au
milieu
de
propagation.
En
effet,
le
rayonnement
des
ondes
sonores
engendre
des
évolutions
spatio-‐temporelles
qui
altèrent
l’onde
sonore.
Les
caractéristiques
du
milieu
et
les
obstacles
physiques
provoquent
des
réfractions,
diffractions,
des
filtrages
qui
altèrent
le
son
avant
qu’il
soit
perçu
par
l’auditeur.
19
20.
Lorsque
les
vibrations
précédemment
citées
atteignent
et
stimulent
le
tympan,
les
structures
physiologiques
du
système
cognitif
entrent
en
action.
Il
ne
s’agit
pas
d’un
processus
conscient,
mais
d’un
processus
cognitif
complexe
qui
renseigne
l’auditeur
sur
son
environnement.
Il
est
à
la
fois
naturellement
issu
de
la
programmation
génétique
de
l’individu,
et
d’un
long
processus
d’apprentissage
commencé
des
le
développement
de
son
appareil
auditif.
Selon
Isabel
Maria
Antunes
Pires,
dont
la
thèse
porte
sur
la
notion
d’espace
dans
la
création
musicale,
la
compréhension
par
les
compositeurs
du
processus
cognitif
de
perception
est
importante
car
elle
leur
permet
de
«
produire
intentionnellement
des
ambiances
sonores
susceptibles
d’être
perçues
de
telle
ou
telle
façon,
parfois
comme
ambigües
ou
au
contraire
comme
très
identifiables
à
des
situations
réelles
».30
Cette
thèse
s’inscrivant
dans
le
domaine
de
la
musique
électroacoustique
savante,
on
peut
se
demander
si
cette
prise
en
compte
du
processus
cognitif
de
perception
s’applique
aux
compositeurs
de
musique
électronique
populaire.
Bien
qu’il
semble
évident
qu’il
s’agisse
d’approches
créatives
et
de
finalités
différentes
dans
la
diffusion,
l’étude
des
phénomènes
perceptifs
et
de
leur
considération
par
les
compositeurs
électroacoustiques
pourra
former
une
base
solide
de
réflexion
sur
le
champ
de
la
musique
populaire.
C’est
pourquoi
nous
aborderons
certains
de
ces
phénomènes
dans
ce
chapitre,
avant
de
les
mettre
en
œuvre
dans
le
suivant
qui
sera
consacré
à
la
musique
électronique
populaire.
II.1
Le
processus
cognitif
de
la
perception
Avant
d’aborder
plus
spécifiquement
la
perception
du
son
dans
l’espace,
il
est
important
de
définir
le
processus
cognitif
de
la
perception
en
lui
même,
qu’elle
soit
visuelle,
auditive
ou
physiologique.
30
ANTUNES PIRES Isabel Maria, La notion d’Espace dans la création musicale : idées, concepts et
attributions, thèse de doctorat sous la direction d’ Horacio VAGGIONE, Université Paris 8, 2007
20
21.
Le
travail
de
la
perception,
donc,
c’est
de
saisir
l’entrée
sensorielle
et
d’en
déduire
une
représentation
utile
de
la
réalité.31
Comme
nous
l’avons
vu
dans
la
première
partie,
toute
connaissance
intellectuelle
est
d’abord
venue
à
l’homme
par
la
perception,
par
le
biais
de
ses
sens.
Ses
capacités
rationnelles
se
sont
développées
à
partir
de
stimuli
provoqués
par
des
situations
vécues.
L’intelligence,
la
sensibilité
et
la
capacité
de
problématisation
de
l’Homme
lui
permettent
de
répondre
à
ces
stimuli
provenant
du
milieu
extérieur
qu’il
perçoit,
et
de
se
construire
des
concepts
abstraits.
Il
convient
donc
de
déterminer
ce
qu’est
un
processus
cognitif
pour
comprendre
en
quoi
la
perception
en
est
un.
Le
terme
cognition
désigne
l’ensemble
des
activités
et
des
processus
qui
élaborent,
organisent,
utilisent
et
modifient
les
représentations
mentales.
[...]
L’adjectif
cognitif
est
utilisé
pour
qualifier
l’outil
qui
nous
permet
de
construire
des
connaissances
sur
le
monde
mais
également
le
processus
de
construction
de
ces
dernières.
[...]
la
cognition
se
définît
donc
comme
l’ensemble
des
activités
intellectuelles
et
des
processus
qui
se
rapportent
à
la
connaissance.
L’adjectif
cognitif
désigne
par
conséquent
à
la
fois
la
faculté
de
connaître
et
les
processus
par
lesquels
nous
traitons
les
diverses
informations
de
notre
environnement.32
La
cognition
englobe
un
ensemble
de
processus
mentaux
qui
permettent,
par
la
perception
sensorielle
et
la
rétention
mémorielle,
de
prendre
conscience
des
phénomènes
vécus
et
d’engendrer
de
nouvelles
connaissances
et
de
nouveaux
raisonnements.
Une
sélection
et
un
stockage
d’information
s’opèrent,
de
façon
31
« The job of perception, then, is to take the sensory input and to derive a useful representation of reality from
it. » (Traduction faite par nous-mêmes.) ; in : BREGMAN, Albert. Auditory scene Analysis - The Perceptual
Organization of Sound, Cambridge : MIT Press, 1991. p. 3.
32
BERTRAND, Annie. GARNIER, Pierre-Henri. Psychologie cognitive, Levallois-Perret : Studyrama, 2005.
Collection Principes. p. 57.
21
22. consciente
ou
non,
en
fonction
des
intérêts
personnels
de
l’individu
et
de
l’ensemble
des
informations
déjà
acquises
auparavant.
Percevoir
est
à
la
fois
une
activité
psychologique
de
sélection,
d’organisation
de
l’information
et
de
construction
de
significations
à
partir
d’informations
sensorielles
cognitives.
Lorsque
l’individu
repère
un
stimuli,
il
tente
en
le
percevant
de
l’identifier,
en
le
plaçant
dans
une
de
ses
matrices
intellectuelles.
Celles-‐ci
comprennent
des
composants
d’organisation
spatio-‐temporelle
qui
permettent,
par
captation
de
relations
de
succession,
de
simultanéités,
d’antériorités
et
de
distances,
de
comprendre
ce
qui
se
produit
et
de
s’adapter
à
la
situation.
La
perception
serait
donc
le
résultat
de
l’interaction
entre
le
réel
et
la
conscience,
par
le
biais
des
sens.
Cependant,
Isabel
Maria
Antunes
Pires
nous
fait
remarquer
dans
sa
thèse
le
fait
que:
L’espace
(et
le
temps)
est
un
concept,
et
donc
une
construction
de
la
conscience.33
Ce
constat
est
lié
à
la
conception
Kantienne
d’une
considération
de
l’espace
comme
forme
à
priori
de
la
sensibilité,
comme
notion
produite
par
l’homme
pour
se
représenter
des
phénomènes
et
les
localiser
dans
l’espace
et
le
temps.
Et
cette
conception
de
la
conscience
implique
des
différences
dans
la
perception
selon
les
individus,
les
points
de
vue/d’écoute,
et
la
configuration
de
l’espace
environnant.
Les
trois
niveaux
de
la
perception
:
Les
spécialistes
du
processus
cognitif
de
perception
considèrent
qu’il
se
déroule
sur
trois
niveaux
:
le
niveau
sensoriel,
le
niveau
perceptif
ou
de
traitement,
et
le
niveau
représentatif
cognitif
ou
de
représentation.
Le
niveau
sensoriel
concerne
les
processus
de
sélection
et
de
traduction
d’informations
dans
les
stimuli
reçus.
Il
comporte
des
mécanismes
élémentaires
de
33
Antunes Pires Isabel Maria, La notion d’Espace dans la création musicale : idées, concepts et attributions,
thèse de doctorat sous la direction d’ Horacio VAGGIONE, Université Paris 8, 2007
22
23. codage.
Mais
il
n’y
a
pas
encore
dans
cette
étape
de
processus
d’organisation
et
d’interprétation
des
informations
reçues.
Cependant,
ces
«
[...]
premiers
traitements
neuro-‐sensoriels
aboutissent
à
une
décomposition
de
la
stimulation
[...]
»34.
En
effet
c’est
dans
ce
«
[...]
premier
niveau
de
représentation
[...]
[que]
sont
codées
séparément
certaines
caractéristiques
locales
de
la
stimulation
[...]
»35.
Cette
réaction
neurophysiologique
produite
dans
le
niveau
sensoriel
de
la
perception
comporte,
d’après
la
plupart
des
spécialistes,
quatre
étapes
:
la
stimulation
sensorielle,
la
transduction,
la
conduction
et
la
traduction.
C’est
le
stimulus
que
nous
avons
évoqué
précédemment,
soit
«
[...]
une
cause
interne
ou
externe
capable
de
provoquer
la
réaction
d’un
organisme.
»36,
qui
provoque
une
stimulation
sensorielle
en
se
produisant
dans
l’environnement
où
se
trouve
le
sujet
(l’individu
qui
perçoit).
Cette
réaction
engendre
une
stimulation
des
récepteurs
sensoriels
de
l’individu
qui
vont
transformer
les
informations
reçues
en
signaux
nerveux.
Ils
peuvent
ainsi
être
transmis
aux
centres
nerveux
de
traitement
qui
leur
correspondent.
On
nomme
transduction
cette
transformation
des
informations
reçues
en
signaux
nerveux.
Par
exemple,
l’onde
sonore
est
provoquée
par
une
perturbation
physique
du
milieu
[...].
Il
y
a
contraction
de
l’air
que
se
propage
sous
la
forme
d’une
onde
sonore
jusqu’au
tympan.
La
vibration
de
la
membrane
va
se
propager
jusqu’au
liquide
contenu
dans
la
cochlée
[...].
L’excitation,
liée
aux
déformations
mécaniques,
va
être
convertie
en
activité
électrique
(transduction).37
Le
mécanisme
qui
permet
de
transporter
les
influx
nerveux
produits
pendant
l’étape
de
transduction
jusqu’au
système
nerveux
central
est
appelé
conduction.
La
34
BONNET, Claude. Chapitre 1 : « La perception visuelle des Formes». in : Traité de psychologie cognitive :
Perception, action, langage. Sous la direction de Claude BONNET, Rodolphe GHIGLIONE et Jean – François
RICHARD. Paris : Dunod, 2003. p. 28.
35
Idem.
36
BERTRAND, Annie. GARNIER, Pierre-Henri. Psychologie cognitive, Levallois-Perret : Studyrama,
2005. p. 74.
37
Ibidem p.75
23
24. traduction
(ou
codage)
est
une
étape
importante
du
niveau
sensoriel
de
perception
car
les
informations
reçues
sont
décodées
et
transformées
véritables
en
informations
sensorielles
utiles
à
la
perception,
comme
l’expliquent.
Bertrand
et
Garnier
:
La
majorité
des
sensations
ou
perceptions
conscientes
se
produisent
dans
le
cortex
cérébral.
Le
cortex
a
pour
fonction
de
traduire
les
influx
nerveux
en
informations
sensorielles.
L’organisation
et
l’interprétation
de
l’ensemble
de
ces
informations
constitueront
l’activité
perceptive.38
Le
niveau
perceptif
(ou
de
traitement)
consiste
en
des
processus
d’interprétation
et
d’organisation
des
informations
sensorielles
reçues,
il
relève
l’identification
intentionnelle
du
stimulus.
Ce
niveau
de
traitement
du
stimulus,
où
le
sujet
se
focalise
intentionnellement
sur
les
évènements,
repose
à
la
fois
sur
la
réception
d
‘
informations
provenant
de
sensations,
mais
met
aussi
en
œuvre
les
connaissances
préalablement
acquises
par
le
sujet
et
dépend
de
sa
réceptivité,
de
ses
attentes,
et
du
contexte
dans
lequel
le
stimulus
se
produit.
Les
premières
représentations
liées
directement
aux
caractéristiques
propres
au
stimulus
se
produisent
dans
ce
niveau,
il
ne
s’agit
pas
encore
de
significations,
mais
d’une
première
unification
des
caractéristiques
perçues
de
l’objet
ou
phénomène
producteur
du
stimulus
qui
permettront
de
l’identifier.
On
n’assiste
pas
encore
à
une
association
sémantique
entre
le
perçu
et
le
signe
qui
le
représente
dans
la
mémoire.
:
Par
exemple,
en
regardant
un
carré
nous
percevons
ses
caractéristiques
(quatre
cotés
de
la
même
longueur,
perpendiculaires
les
uns
aux
autres
et
parallèles
deux
à
deux,
d’une
certaine
couleur,
localisés
à
un
certain
endroit
de
l’espace)
mais
c’est
seulement
en
arrivant
à
un
autre
niveau
du
processus
cognitif
de
perception
-
celui
des
représentations
mentales
-
que
l’association
entre
l’ensemble
des
informations
reçues
et
l’idée
sémantique
de
carré
s’effectuera.
C’est-à-dire
que
la
correspondance
entre
l’ensemble
des
informations
reçues
et
l’image
mentale
38
idem.
24
25.
archivée
dans
le
mémoire
accordé
au
mot
carré
se
fera
au
niveau
cognitif
ou
des
représentations.39
Bonnet
prend
aussi
l’exemple
de
la
perception
visuelle
et
affirme
:
Il
faut
concevoir
que
les
formes
dont
nous
parlons
à
ce
niveau
[perceptif
ou
de
traitement]
ne
sont
définies
que
par
leurs
propriétés
structurelles
et
non
pas
des
propriétés
sémantiques.
Bien
que
pouvant
correspondre
à
une
apparence
momentanée
d’un
objet,
elles
ne
permettent
pas
encore
son
identification.40
Enfin,
le
niveau
cognitif
ou
de
représentation,
est
considéré
comme
le
plus
complexe
du
processus
cognitif
de
perception.
Il
«
[...]
est
lié
aux
processus
d’interprétation,
de
construction
de
significations
à
partir
des
données
issues
de
l’organisation
perceptive
[...]
».41
Dans
ce
niveau,
le
sujet
fait
intentionnellement
appel
à
des
schémas
mentaux
déjà
stockés
dans
sa
mémoire
pour
analyser
des
nouveaux
évènements
et
construire
d’autres
schémas
mentaux,
qui
deviennent
des
connaissances
nouvelles.
Reprenons
l’exemple
de
Maria
Antunes
Pires
:
En
revenant
à
l’exemple
de
la
perception
du
carré,
c’est
à
ce
niveau
du
processus
perceptif
que
se
produit
la
correspondance
entre
l’ensemble
des
informations
perçues
des
caractéristiques
d’un
carré
et
l’idée
de
carré
–
son
image
mentale
et
son
correspondant
sémantique
:
le
carré.42
Si
l’ensemble
des
informations
reçues
par
le
sujet
ne
correspond
pas
à
un
schéma
mental
déjà
stocké
dans
sa
mémoire,
celui-‐ci
va
confronter
les
informations
reçues
avec
celles
déjà
stockées.
Il
va
comparer
des
caractéristiques
perçues
des
objets
ou
phénomènes,
avec
des
schémas
préexistants
dans
la
mémoire
qui
ont
des
propriétés
39
Antunes Pires Isabel Maria, La notion d’Espace dans la création musicale : idées, concepts et attributions,
thèse de doctorat sous la direction d’ Horacio VAGGIONE, Université Paris 8, 2007
40
BONNET, Claude. Chapitre 1 : « La perception visuelle des Formes » in : Traité de psychologie cognitive :
Perception, action, langage. p. 6.
41
BERTRAND, Annie. GARNIER, Pierre-Henri. Psychologie cognitive, Levallois-Perret : Studyrama,
2005. p. 72.
42
Antunes Pires Isabel Maria, op cité.
25
26. semblables.
Cette
procédure
permettra
ainsi
de
classer
ces
nouveaux
perçus
dans
des
catégories
déjà
existantes
dans
la
mémoire,
par
exemple
:
Les
quadrilatères
–
carrés,
losanges,
trapèzes,
etc.,
seront
tours
rangés
dans
une
même
famille.
Dans
le
cas
d’une
perception
complètement
originale,
une
nouvelle
catégorie
de
perçus
peut
également
être
engendrée.43
L’interprétation
réalisée
dans
le
niveau
cognitif
ou
de
représentation
relève
d’une
activité
intellectuelle
d’explication
qui
permet
la
génération
de
systèmes
de
connaissances.
L’interaction
entre
le
niveau
sensoriel,
celui
du
traitement
et
celui
de
la
représentation
mentale
permet
la
représentation
intellectuelle
signifiante
du
stimulus
perçu
et
son
intégration
dans
le
réseau
des
connaissances
du
sujet.
Prendre
conscience
d’une
information,
c’est
lui
donner
un
sens
dans
une
représentation
du
monde
et
de
soi,
dans
un
système
d’interprétation,
de
symbolisation
du
monde.
Il
s’agit
d’une
activité
cognitive
qui
se
traduit
plus
souvent
par
des
actions
que
par
des
discours.44
Si
l’on
se
focalise
maintenant
sur
la
perception
auditive,
on
constate
que
des
psychologues
de
l’audition,
comme
Albert
Bregman,
optent
pour
le
même
type
de
tripartition
dans
le
processus
perceptif
d’analyse
d’environnements
sonores.
Bregman
appelle
ce
processus
«
l’analyse
des
scènes
auditives
»45,
et
le
définît
comme
étant
«
[...]
le
processus
réunissant
en
une
unité
perceptive
l’ensemble
de
signaux
provenant,
dans
une
période
de
temps
donnée,
d’une
seule
source
sonore
de
l’environnement.
»46
43
Antunes Pires Isabel Maria, op cité.
44
BONNET, Claude. op. cit. p.6
45
« Auditory Scene Analysis », expression utilisée par Bregman in : BREGMAN, Albert S. Auditory Scene
Analysis: The Perceptual organization of sound.
46
BREGMAN, Albert S. Chapitre II – « L’analyse des scènes auditives: l’audition dans des environnements
complexes ». in : McADAMS, Stephen. BIGAND, Emmanuel. Penser les sons, psychologie cognitive de
l’audition, Paris : PUF, 1994, Psychologie et Sciences de la Pensée. p. 12.
26
27. De
cette
façon,
il
étudie
le
processus
par
lequel
le
système
auditif
analyse
l’environnement
et
construit
des
représentations
mentales
des
évènements
sonores
qui
s’y
présentent.
Bregman
considère
les
trois
niveaux
du
processus
cognitif
de
perception
auditive
en
les
classant
en
deux
types
différents
dans
la
construction
de
représentations
mentales
de
sensations
auditives.
Il
les
appelle
ségrégation
primitive
et
ségrégation
de
flots
basée
sur
un
schéma47,
le
deuxième
type
étant
sous-‐divisé
en
un
processus
activation
simple
des
schémas
(quasiment
involontaire)
et
une
utilisation
volontaire
des
schémas
mentaux.
Le
processus
cognitif
de
perception
auditive
que
Bregman
appelle
ségrégation
primitive
correspond
au
niveau
sensoriel
de
la
perception
que
nous
avons
exposé
auparavant.
Pour
lui
la
ségrégation
primitive
est
responsable
de
la
construction
des
représentations
mentales
primaires
des
stimuli
reçus,
sans
intention
de
comprendre
chez
le
sujet
qui
perçoit.
En
effet,
en
analysant
l’environnement
sonore
perçu,
le
système
auditif
en
produit
une
première
représentation
mentale
basée
sur
ses
caractéristiques
:
«
L’analyse
primitive
de
scènes
auditives
[...]
dépend
de
propriétés
acoustiques
générales
utilisables
dans
la
décomposition
de
n’importe
quel
type
de
mélange
sonore.
»48
Dans
ce
processus
d’analyse
primitive,
le
sujet
n’a
pas
besoin
d’être
volontairement
attentif
et
ne
fait
pas
appel
à
son
savoir
déjà
acquis
par
le
passé.
47
BREGMAN, Albert S. Auditory Scene Analysis : The Perceptual organization of sound. Cambridge : MIT
Press, 1991.
Pour l’approfondissement de la différence entre ces deux types de processus voir : BREGMAN, A. S., Auditory
Scene Analysis : The Perceptual organization of sound. 1991 chapitre 1, p. 38-43 ; chapitre 4, p. 397-411 ;
chapitre 8, p. 641-649 et aussi p. 665-669.
48
BREGMAN, Albert S. Chapitre II – « L’analyse des scènes auditives: l’audition dans des environnements
complexes », in : McADAMS, Stephen, BIGAND, Emmanuel, Penser les sons, psychologie cognitive de
l’audition, 1994, p. 15.
27
28. François
Bayle
appelle
ce
type
d’écoute
sensorielle,
en
quelque
sorte
involontaire,
niveau
«
sensori-‐moteur
(ouïr)
»49.
Il
affirme
que
«
c’est
l’audition
intuitive
».50
Quant
à
la
«
ségrégation
de
flots
basée
sur
un
schéma
»,
elle
est
selon
Bregman
divisée
en
deux
sous-‐types
:
«
Le
premier
est
l’activation
purement
automatique
de
schémas
appris.
»
Tandis
que
le
«
[...]
deuxième
processus
est
l’utilisation
volontaire
de
schémas».51
Ces
deux
types
de
processus
font
appel
aux
schémas
mentaux
déjà
stockés
dans
la
mémoire.
Par
des
mécanismes
de
comparaison,
ils
permettent
d’intégrer
plus
facilement
les
informations
reçues.
Ces
deux
plans
du
processus
cognitif
de
perception
auditive
correspondent
au
niveaux
perceptif
(ou
de
traitement)
et
cognitif
(ou
de
représentation)
déjà
mentionnés.
Pour
François
Bayle,
le
premier
cas
correspond
à
une
«
activation
automatique
des
schémas
»,
de
l’étape
de
«
l’identification
».
Il
s’agit
d’un
stade
où
«
[...]
l’attention
[est]
localisée
sur
des
pertinences
(écouter)
»52,
c’est
«
[...]
l’oreille
sélective
et
associative
qui
apprend
à
écouter,
à
extraire
du
signal
[...]
»53
conduisant
à
«
[...]
l’émergence
des
formes
et
des
schémas
causatifs
»54,
soit
un
traitement
des
informations
reçues
au
niveau
sensoriel.
Quant
au
deuxième
processus
d’utilisation
volontaire
de
schémas,
Bayle
considère
qu’il
s’agit
d’une
«
[...]
expérience
des
correspondants,
qui
met
en
œuvre
la
musicalisassions
[...]
»55,
c’est
«
[...]
la
correspondance
(entendre)
»56,
il
s’agit
de
l’interprétation
du
perçu
et
la
construction
de
nouveaux
schémas
mentaux
ou
la
confirmation
de
ceux
qui
existent
déjà.
49
BAYLE, François. Musique acousmatique — propositions... ...positions. p. 94, et aussi p. 104.
50
ibidem. P104. Pour l’approfondissement de la pensée de François Bayle à ce sujet voir les chapitres 8 et
9 de cet ouvrage. (pp. 93 – 109.)
51
BREGMAN, Albert S. op. cit. pp. 14 – 15. Voir aussi BREGMAN, Albert S. Auditory Scene Analysis : The
Perceptual organization of sound. pp. 397 - 411.
52
BAYLE, François. op. cit. p. 94.
53
ibidem. p. 105.
54
ibidem. p. 104.
55
ibidem. p. 106.
56
ibidem. p. 94.
28
29. II.2
la
localisation
des
sons
dans
l’espace
Apres
avoir
défini
le
processus
cognitif
de
perception,
nous
allons
maintenant
étudier
différents
phénomènes
sonores,
et
les
sensations
de
localisation
auditive
de
ces
derniers
dans
un
espace
physique.
Le
champ
de
la
psychoacoustique
englobe
divers
aspects
de
la
perception
sonore,
mais
nous
nous
intéresserons
tout
particulièrement
à
ceux
qui
s’appliquent
dans
la
diffusion
de
musique
enregistrée.
Nous
aborderons
brièvement
l’audibilité
sonore
dans
un
premier
temps,
car
elle
est
cruciale
dans
la
perception
des
sons
et
peut
être
modifiée
par
le
milieu
de
propagation.
Nous
nous
concentrerons
ensuite
sur
la
localisation
des
sons
dans
l’espace,
et
sur
la
perception
de
la
réverbération.
Le
but
ce
cette
approche
étant
de
mettre
en
pratique
les
concepts
étudiés
dans
l’analyse
musicale
d’œuvres
électroniques
populaires
dans
le
chapitre
suivant.
La
capacité
de
l’oreille
humaine
à
percevoir
un
son
dépend
des
caractéristiques
de
ce
dernier,
des
propriétés
du
milieu
dans
lequel
il
se
propage,
et
des
capacités
auditives
de
l’individu
qui
y
est
exposé.
Ce
dernier
perçoit
dans
le
phénomène
physique
sonore
des
rapports
de
niveau
d’intensité
et
de
fréquences
qui
constituent
son
spectre.
En
premier
lieu,
[...]
le
système
auditif
est
sensible
à
des
déplacements
du
tympan
parfois
inférieurs
au
diamètre
d’une
molécule
d’hydrogène.
En
outre,
il
est
discrimination
de
différences
très
faibles
d’intensité
entre
deux
sons.
[..]
Enfin,
il
est
capable
d’analyser
la
façon
dont
l’énergie
est
répartie
parmi
les
différentes
composantes
fréquentielles
d’un
son
complexe.57
sensible
à
une
marge
d’intensités
très
étendue
et
il
permet
la
Le
champ
d’audibilité,
qui
correspond
à
l’ensemble
des
sons
audibles
par
l’oreille
humaine,
et
donc
fonction
de
leur
intensité
et
de
leur
fréquence.
Ainsi,
l’oreille
perçoit
des
fréquences
qui
vont
d’environ
16
Hz
dans
le
grave,
à
20
000
Hz
dans
l’aigu,
et
une
intensité
qui
va
de
0db
à
120db.
Notons
que
la
perception
de
la
fréquence
dépend
de
57
BOTTE, Marie-Claire. « Perception de l’intensité sonore » in : BOTTE, Marie-Claire. CANÉVET, Georges.
DEMANY, Laurent. SORIN, Christel. Psychoacoustique et perception auditive. p. 13.
29