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UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE

CELSA
Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication

MASTER 2ème année
Mention : Information et Communication
Spécialité : Médias et Communication
Parcours : Médias informatisés et stratégies de communication

COMMUNIQUER EN DIRECTION DES COMMUNAUTÉS VIRTUELLES D’AMATEURS
DANS UN MARCHÉ DE NICHE.
LE CAS DES MUSICIENS AMATEURS EN RÉGIME NUMÉRIQUE

Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD

PONTE, Alexandre :
Promotion : 2013-2014
Option : Médias et Communication
Soutenu le :
Note du mémoire :
Mention :
REMERCIEMENTS

Avant toute chose, je tiens à remercier l’ensemble des personnes qui ont contribué
à l’élaboration de ce mémoire, d’une manière ou d’une autre.
M. Henri Danel pour ses conseils et sa patience en tant que rapporteur universitaire.
M. Bertrand Hellio, pour avoir accepté d’être mon rapporteur professionnel et avoir su,
lorsque cela était nécessaire, me mettre sur la bonne piste.
Les communautés des forums Audiofanzine et Anafrog pour m’avoir inspiré le sujet de ce
mémoire.
L’équipe de BETC Music pour son soutien, sa compréhension et ses éclairages.
Et tous ceux qui, proches, ont fait preuve d’écoute et d’encouragement au quotidien.
SOMMAIRE
INTRODUCTION

7

Partie 1: La création musicale en régime numérique, de nouvelles modalités de
création en milieu professionnel et amateur, et de nouvelles attentes

15

1. Une évolution des technologies de création musicale à l’origine de la naissance
d’un nouveau marché ?

15

1.1 De la musique savante à la musique populaire, la naissance de standards
techniques au coeur de la démocratisation des outils et du marché de la création
musicale.

15

1.2 L’ordinateur personnel, un Meta-Instrument à l’origine d’un bouleversement des
mondes de l’art.
2. Le musicien amateur en régime numérique.

22
27

2.1 Qu’est ce qu’un amateur ?

27

2.2 Entre autodidactie et création de nouvelles esthétiques

31

3. Les communautés virtuelles de musiciens.

38

3.1 Des communautés de pratiques très actives dans le partage d’informations et
d’expérience.

39

3.2 Des attentes particulières en terme de matériel, entre quête du son professionnel
et recherche d’authenticité.

42

Partie 2: Les stratégies de communication des développeurs d’instruments, entre
éloge de la modernité et démonstration de l’authenticité.

48

1. La quête de l’ergonomie et du Workflow

49

1.1 Facilitation et inscription d’usages

50

1.2 Engager les communautés virtuelles de musiciens

55

2. De la transparence au storytelling de marque : entre valorisation du progrès
technique et authenticité

59

2.1 La mise en scène de la recherche et du développement au service des
musiciens.

60

2.2 Le paradoxe de l’analogique, ou le combat de l’authenticité

62
Partie 3: Circulation et réception de la communication des marques dans les
communautés virtuelles

66

1. Une communication « crowdsourcée » ?

66

1.1 Des communautés de pratique basées sur un modèle d’échange de type
« tableau noir » : une opportunité à saisir pour le « teasing » des marques

66

1.2 Une « viralité » à double tranchant

70

2. La réception des campagnes au sein des communautés en ligne

70

2.1 Perception et analyses des stratégies de marques au sein des communautés 71
2.2 Typologie des postures récurrentes

69

Conclusion

76

Bibliographie

79

Annexes

84

Résumé

91
INTRODUCTION

En novembre 2010, dans une vidéo 1 diffusée sur internet, le chanteur compositeur
belge Stromae, accompagné de l’humoriste Jamel Debbouze, recréait un de ses
morceaux à l’aide d’un ordinateur portable et d’un clavier miniature. Le ressort
humoristique de cette «re-composition» instantanée reposait sur l’apparente facilité avec
laquelle le musicien semblait créer des sons avec peu de matériel. Cet exemple cristallise
l’image souvent véhiculée dans les médias généralistes et spécialisés du musicien en
chambre, « bedroom producer » en anglais, qui accède à une reconnaissance mondiale et
voit sa musique être diffusée sur les ondes et en discothèque. Loin de la Rock-Star ou de
l’instrumentiste virtuose, cette nouvelle figure du musicien intrigue, notamment car son
outil de création renvoie habituellement à un imaginaire du travail de bureau.
Pourtant l’usage de l’ordinateur personnel s’est généralisé dans toutes les pratiques
artistiques. Il peut être utilisé pour traiter chaque étape du processus créatif, qu’il s’agisse
de la conception, de l’exécution ou de la diffusion. En « digitalisant » des usages et des
outils préexistants dans le domaine analogique, qu’il s’agisse de l’écriture, de la peinture,
de la sculpture ou de la composition musicale, les technologies numériques opèrent une
remédiation de dispositifs au travers d’interfaces informatiques, de la même façon que le
traitement de texte met en scène des outils et des pratiques d’écriture telles que la
fonction copier-coller, et que les logiciels de création graphique proposent des fonctions
pinceau ou pot de peinture.

1 Vidéo extraite du DVD Made in Jamel, de Jamel Debbouze, novembre 2010, Sony Pictures,
[disponible en ligne : http://www.wat.tv/video/jamel-debbouze-stromae-alors-38kzl_2ipxv_.html]
Parmi les domaines artistiques précédemment cités, il en est un qui fait l’objet de
nombreux discours sur la rôle de la machine dans la création : celui de la musique. Par
exemple, l’imaginaire de l’automatisation de la composition est encore très présent: « En
2013, le logiciel est force de proposition, c’est-à-dire qu’il crée des rythmiques, des
harmonies, bref, de la musique, seul... » 2
Cependant, l’impact des technologies numériques et d’internet sur l’industrie
culturelle musicale est plus souvent mis en avant dans les médias, que celui sur les
modalités de création :

La distribution numérique sauvage (le piratage) a obnubilé les esprits et envahi les
discours des médias jusqu’à occulter le fait que la révolution numérique touche aussi,
et peut être avant tout, la production et les conditions de promotion de la musique.3

Néanmoins, cette figure du musicien en chambre, s’auto-produisant à l’aide d’un
ordinateur, et accédant à une certaine notoriété, semble être de plus en plus fréquemment
invoquée par les journalistes, et devient parfois un argument commercial majeur dans la
stratégie de promotion des maisons de disque (la chanteuse Lilly Allen4 par exemple, ou
plus récemment le jeune producteur français Madeon5). Le dispositif informatique est
perçu comme un nouvel instrument qui, associé à du matériel devenu plus accessible,
permet au musiciens amateurs d’obtenir un enregistrement de qualité acceptable sans
faire appel à nombre d’intervenants intermédiaires tels que les studios d’enregistrements
ou les maisons de disque, qui composent ce que Howard Becker appelle un « Monde de
l’art », soit un espace de « coopération entre individus nécessaire à la production d’une
œuvre» 6. Cette numérisation de la pratique musicale permettrait donc à une part plus
importante de la population d’exprimer et de donner à entendre sa sensibilité artistique.

2 FROGET Vincent, « Musique Assistée par Ordinateur : la technologie est-elle devenue
artiste? », Ragemag, [disponible en ligne : http://ragemag.fr/musique-ordinateur-technologieartiste-50096/ publié le 15 novembre 2013, consulté le 17 novembre 2013]
3 BACACHE Maya, BOURREAU Marc, GENSOLLEN Michel, MOREAU François, Les
Musiciens dans la révolution numérique, Inquiétude et enthousiasme, éditions IRMA, Paris,
2009, p 65
4 http://www.theguardian.com/music/2011/jun/11/lilly-allen-myspace
5 http://www.sonymusic.fr/news/madeon-the-city-ep/
6 BECKER, Howard Saul, Propos sur l’art , L’Harmattan, collection Logiques Sociales, 1999
Des possibilités inédites d’enregistrement à coût réduit sont offertes aux
musiciens, l’accessibilité de leur création est quasiment instantanée, les réseaux
sociaux ouvrent la voie à de nouvelles formes de collaboration en ligne, grâce aux
technologies numériques.7

Les possibilités apportées par la Musique Assistée par Ordinateur, champ désigné
par l’acronyme M.A.O, entraineraient donc une « démocratisation » de la création
musicale. Celle-ci se traduirait par une baisse du coût d’accès au matériel, une baisse du
nombre d’intermédiaires, mais aussi par un renouvellement des modalités de création
proposés par les nouveaux dispositifs numériques. Cette évolution des outils entrainerait
une modification des pratiques en milieu professionnel, mais surtout chez les praticiens
amateurs. Cependant il existe une différence fondamentale entre apprendre à jouer d’un
instrument acoustique ou électrique, et apprendre à créer des oeuvres musicales à part
entière, via l’enregistrement audio, la synthèse sonore ou l'échantillonnage8 : l’offre de
formation. En effet, la composition assistée par ordinateur met en oeuvre de nouvelles
compétences en plus de la composition et de l’interprétation, des techniques qui ne
relèvent traditionnellement pas du musicien mais de l’ingénieur du son et/ou du
producteur : l’enregistrement, la synthèse sonore et le mixage.

Le studio d’enregistrement s’implante là où l’on peut enregistrer ou modeler
du son, et le personnel technique est bien souvent réduit à une seule personne qui
effectue elle-même toutes les tâches.9

Ainsi, si l’offre de cours d’instrument est conséquente (écoles municipales et
privées, conservatoire, cours particuliers), il existe peu de formations qui englobent les
7 LE GUERN, Philippe, « Irréversible ? » Musique et technologies en régime numérique,
Réseaux, 2012/2 n° 172, p. 29-64.
8 Ce mot, traduction de « sampling » en anglais, désigne l’art d’utiliser des sons préxistants
découpés à partir de sources diverses (disques, télévision, enregistrement de sons d’ambiance)
pour créer une oeuvre musicale.
9 « Today, the recording studio is any place where sound is captured or manipulated, and it is
often staffed, and all duties performed, by one person. » ZAK Albin, Editorial, Journal of the Art
of Record Production, V1(ii), 2007 (http://arpjournal.com/493/recording-studio-as-spaceplace/ ),
traduit par LE GUERN Philippe.
compétences à mettre en oeuvre dans la M.A.O en plus de l’écriture musicale
traditionnelle, et celles-ci sont concentrées dans quelques conservatoires ou dans des
formations professionnelles de technicien du son. Nous serions donc tentés d’ajouter que
l’ordinateur connecté à internet représente non seulement un outil de promotion pour
l’amateur avancé ou en voie de professionnalisation, mais surtout un moyen d’accès à
l’information crucial pour une pratique souvent autodidacte, surtout pour le débutant qui
peut trouver nombre de ressources éditoriales et de forums spécialisés sur le sujet.
Cette évolution technique de la pratique musicale, englobant des moyens digitalisés
de communication et de création, pousse le grand public et les journalistes à employer
l’expression de « révolution numérique » avec laquelle il convient de prendre de la
distance tant elle est idéologiquement chargée. En effet, elle se place dans la lignée des
imaginaires déterministes d’internet, remis en question par des auteurs comme Breton,
Rebillard ou Flichy. Ces discours sont aussi ceux des fabricants de solutions logicielles et
matérielles dédiées à la création musicale, qui s’adressent à un marché de niche
dynamique, au vu de l’apparition régulière de nouveaux acteurs économiques, et de
l’élargissement des gammes de produits proposés.

En 2001, il y aurait eu entre 60000010 et 1 000 00011 de personnes ayant des
pratiques musicales sur leur ordinateur domestique ou « versées dans la création
musicale ». 12

Plutôt que d’invoquer une certaine « révolution numérique », le chercheur Nick Prior
propose la notion de « régime numérique », qui « est donc à la fois les discours tenus sur

10 Étude sur les pratiques informatiques domestiques menée par le Département des Etudes et
de la Propespective, de juin à septembre 2000.
11 Ce sondage « L’informatique domestique en France » effectué par SVM/GFK pour le
Département des Etudes et de la Propespective signale, entre 2000 et 2001, un doublement de
la proportion des foyers (de 6 % à 12 %) comportant au moins un individu concerné par ces
pratiques représentant environ un million de foyers.
12 POUTS-LAJUS Serge, TIEVANT Sophie, JOY Jérôme, Composer sur son ordinateur : les
pratiques musicales en amateur liées à l'informatique, Ministère de la Culture et de la
Communication, Direction générale de l'administration générale, Département des études et de
la propespective, Paris, 2002.
le numérique et le usages quotidiens de cette technologie » 13

« Régime numérique », car le numérique est en effet bien plus qu’un simple
terme technique désignant des systèmes structurés. Le numérique, c’est une multitude
de discours, d’objets, de techniques, de pratiques qui gravitent autour d’une
dépendance grandissante envers des systèmes informatiques complexes. Le terme «
régime » est utilisé dans le sens de configuration peu structurée d’éléments, moins
rigide que les termes « institution » ou « époque », mais englobant des éléments à la
fois matériels et immatériels ayant suffisamment de caractéristiques communes pour
produire un effet systémique. 14

Cette notion de régime numérique, nous permettra de déconstruire les imaginaires
socialement construits autours de la musique assistée par ordinateur, et de comprendre
comment ils se manifestent dans la relation entre les marques et les amateurs.
Théoriquement, un marché de niche 15 est caractérisé par une concurrence réduite
par rapport à un marché de masse, ce qui peut compenser le volume forcément plus faible
de ventes. Cependant le marché de la M.A.O ne semble pas correspondre à ces
caractéristiques. On peut donc se demander comment les constructeurs parviennent à se
démarquer dans ce contexte pourtant très concurrentiel. De plus, par rapport à un acteur
évoluant dans un marché de masse, les ressources économiques dédiées à la
communication de ce type d’entreprise sont plus réduites et leurs supports de prise de
parole moins nombreux. Ainsi, hormis les médias plus traditionnels tels que les magazines
spécialisés (qui se résument à un seul titre en France : « Keyboards Recording »), internet
semble représenter une opportunité de visibilité incontournable.
Aujourd’hui, le site Audiofanzine.com, créé en 2000 et développé à l’international
depuis 2008, représente la principale source d’information des musiciens français désirant
pratiquer la M.A.O. Il attire en moyenne 1 700 000 visiteurs uniques par mois (source
OJD), et recense plus de 130 000 produits. Au delà du contenu éditorial proposé,
13 PRIOR Nick, « Musiques populaires en régime numérique » Acteurs, équipements, styles et
pratiques, Réseaux, 2012/2 n° 172, p. 66-90.
14 Idem.
15 Définition du dictionnaire Larousse en ligne : Segment d'un marché où il existe peu de
concurrence et qui permet à une entreprise de développer un nouveau créneau commercial.
(La niche est souvent délaissée par les grandes entreprises pour des raisons de rentabilité car
ce micromarché a un potentiel faible de clientèle.) [disponible en ligne : http://www.larousse.fr/
dictionnaires/francais/niche/54520]
Audiofanzine est aussi une plateforme d’échange pour les communautés virtuelles de
musiciens, qui regroupe plus de 66 000 avis de consommateurs et compte près de
500 000 utilisateurs inscrits sur son forum. S’il est difficile de déterminer la part de
professionnels et d’amateurs qui constitue l’audience de ce site, l’engouement qu’il suscite
nous permet de supposer que le marché de l’équipement dédié à la M.A.O (logiciels et
matériel) est relativement important, et que son public cible est très actif au sein des
communautés virtuelles spécialisées.
Dans ce contexte, l’observation des échanges au sein de ces communautés
virtuelles de musiciens nous pousse à nous poser la question de leur rôle dans le marché
de la musique assistée par ordinateur. Elles constituent un public hétéroclite, qui partage
des connaissances techniques poussées et qui, par la nature artistique de son implication,
aspire à mettre en musique sa sensibilité de la façon la plus fluide possible. Ces
communautés sont particulièrement dynamiques et opèrent une diffusion des informations
dévoilées par les constructeurs, mais se veulent aussi très critiques. Elles représentent
donc de réelles opportunités en terme de visibilité pour les marques, qui, de par la nature
de ce marché de niche, disposent de moyens limités.
Les attentes des musiciens amateurs en régime numérique sont particulières car
elles concernent la création, ce qui implique de représentations de soi dans la
consommation tout à fait différentes celles qui s’opèrent avec les produits de grandes
consommation. En procédant à un élargissement de notre questionnement initial sur le
modèle d’Howard Becker, nous pouvons ainsi formuler notre problématique : Comment
les concepteurs d’outils de création numérique communiquent en direction des
communautés virtuelles d’amateurs dans un marché de niche lié à la création
artistique?

La première hypothèse que nous émettrons sera basée sur l’observation des
communautés virtuelles amateur en régime numérique, et les attentes particulières qui les
caractérisent. Nous démontrerons qu’elles représentent une opportunité pour les marques
en termes de visibilité, de part les discours et imaginaires récurrents qui les caractérisent.
Nous poserons ensuite l’hypothèse que les marques produisent un discours
promotionnel qui réponds aux attentes des musiciens tels qu’elles s’expriment dans les
communautés virtuelles. L’observation et la compréhension des attentes de musiciens au
sein de leurs communautés virtuelles et des imaginaires qu’y y circulent permettrait aux
marques d’adapter leur communication et leur stratégie marketing aux différentes
typologies de musiciens amateurs, en mettant en avant la facilité d’utilisation des
nouveaux dispositifs numériques de création musicale.
Enfin, nous nous demanderons si l’on peut designer cette communication comme
« crowdsourcée » et si elle permet de bénéficier de la légitimité des membres. Pour cela
nous nous intéresserons à la circulation et la réception des discours des marques au sein
des communautés virtuelles.

MÉTHODOLOGIE

Pour répondre à cette problématique, nous replacerons ces pratiques dans leur
contexte esthétique et technologique, en revenant sur l’histoire de la musique assistée par
ordinateur, des standards techniques et leur appropriation. Dans ce cadre, nous
proposerons une re-définition du statut d’amateur en régime numérique.
Notre Corpus sera composé d’analyses de discours basées sur l’observation des
interactions au sein du forum Audiofanzine, au travers d’une sélection de fils de
discussions représentatifs des attentes et des imaginaires liés au matériel et aux
représentations du musicien qui circulent au sein des communautés de musiciens
amateurs.
Il sera aussi composé de supports de communication utilisés par les marques
Ableton, Native Instruments, Arturia, Korg, Moog et Dave Smith Instruments, tels que des
communiqués de presse, des publicités publiées dans des magazines, des sites internet
et des vidéos diffusées en ligne. Ces document nous permettront d’étudier leurs stratégies
de communication.
Enfin, la réception et la circulation de ces campagnes au sein des communautés
virtuelles de musiciens amateurs sera également étudiée au travers d’analyses de
discours à partir d’une sélection de discussions et de postures d’énonciation,
Cette étude nous permettra de formuler des recommandations stratégiques et des
réflexions concernant le domaine de la création numérique applicables aux communautés
virtuelles amateurs dédiées aux autres industries créatives et au domaines du high-tech.
Partie 1: La création musicale en régime numérique, de
nouvelles modalités de création en milieu professionnel et
amateur, et de nouvelles attentes

Pour comprendre les attentes des musiciens en régime numérique, amateurs ou
professionnels, et identifier les imaginaires qui se développent au sein des communautés
virtuelles de niche qu’ils forment, nous devons d’abord évoquer les évolutions
technologiques qui précèdent le « régime numérique » actuel. En comprenant comment
celles-ci sont passées du milieu scientifique au milieu professionnel puis amateur, nous
pourrons mieux délimiter ce marché en supposée expansion, et identifier l’origine des
discours de la démocratisation de la création musicale et les imaginaires qui concernent
les instruments numériques. Pour cela nous interrogerons la notion de musicien amateur
et son évolution dans l’histoire, pour comprendre comment elle se redéfinit au sein des
communautés virtuelles de musiciens en régime numérique.

1. Une évolution des technologies de création musicale à l’origine de la naissance
d’un nouveau marché ?
1.1 De la musique savante à la musique populaire, la naissance de standards techniques
au coeur de la démocratisation des outils et du marché de la création musicale.
Si elle s’est extrêmement répandue, l’utilisation de l’informatique, ou de manière
plus générale des « machines » numériques ou analogique, comme outil de création
musicale continue d’intriguer. Elle engendre des discours qui vont de la remise en
question de la considération de ces outils comme instrument de musique, au rejet de
certains genres musicaux comme la techno ou le hip-hop, dont l’équipement numérique
est une composante essentielle. Cette citation du musicien électronique « Kojak » illustre
bien ce type de discours :

J’ai entendu pendant très longtemps cette réflexion au tout début où je faisais de la
techno: « oui, mais ne c’est pas de la vraie musique ». Déjà, j’aimerais bien savoir ce qui est de
la vraie musique et ce qui est de la fausse musique. Pour moi, à partir du moment où il y a des
notes et une mélodie, c’est de la musique.

Si l’objet de notre étude n’est pas d’émettre un jugement esthétique sur ces
mouvements artistiques et les outils qui les caractérisent, il est important de contextualiser
les prises de parole qu’ils entrainent, dans une chronologie technique et stylistique. Ce qui
nous intéresse dans cet entretien avec le musicien « Kojak » c’est qu’il est révélateur du
problème de perception qui caractérise l’équipement électronique et numérique.16

Deuxièmement, il y avait aussi ce réflexe de beaucoup de musiciens acoustiques qui
ne comprenaient pas ce qu’on faisait parce qu’on travaillait avec des machines électroniques, et
ça leur paraissait en fait un truc très flou, une espèce de gros robot mixer dans lequel on mettait
nos sons, et puis il en sortait quelque chose. Un sampler, c’est comme une guitare ou un
violon : c’est un instrument de musique, ce n’est pas un appareil qui joue tout seul, il faut le
nourrir, et il faut bien le nourrir.17

Cet imaginaire de « l’appareil qui joue tout seul » repose sur la difficulté pour le
spectateur de visualiser le processus de création sonore dans sa performance gestuelle,
de comprendre le lien de cause à effet entre l’action du musicien et la réaction de
l’instrument numérique.

Ce que l’anglais qualifie de laptop music a très nettement accentué les inquiétudes
nourries quant aux questions d’authenticité et de compétence, car on reproche à la machine de

16 PETIAU Anne, Pratique du sample, Entretien avec Kojak,
Sociétés, 2001/2 n° 72, p. 103-106.
17 Idem.
se substituer à l’humain et de le singer. Commençons par le contexte de la scène : les signes
extérieurs d’activité corporelle y sont ténus et à peine perceptibles.18

En effet, la question de la performance du musicien en régime numérique suscite
des interrogations, contrairement à celle de l’interprète utilisant un instrument acoustique
ancré dans la culture commune depuis des siècles tel que le violon. Mais ce « reproche »
fait à la machine n’est pas apparu avec l’avènement de l’informatique musicale, mais dès
la moitié du vingtième siècle face à la naissance des mouvements musicaux
électroacoustiques. Ces derniers reposent sur l’exploitation des technologies en
développement à cette époque charnière, qu’on retrouve dans la pratique musicale en
régime numérique, à savoir les outils d’enregistrement et de montage de sons
acoustiques, et les outils permettant de synthétiser le son.

Peut-on parler de révolution technologique dans le domaine de la musique?
Oui : Aucun art traditionnel n’a été autant bouleversé, dans sa nature et dans ses modes de
pratique et de communication, par les technologies d’enregistrement, de retransmission et de
synthèse que ne l’a été la musique.
Mais cette révolution ne date pas de la techno et des années quatre-vingt-dix, elle date des
années cinquante, soixante et surgit notamment avec la musique savante, électronique et
concrète, dont la musique techno apparaît à bien des égards comme un prolongement, voire un
aboutissement.19

La musique concrète, ou acousmatique, théorisée et expérimentée par Pierre
Schaeffer dès 1948, dans le cadre de l’art radiophonique, repose sur une utilisation
particulière du matériel d’enregistrement sonore. Elle propose une nouvelle façon
d’écouter des sons issus d’objets divers, préenregistrés et manipulés sur bande
magnétique, pour leurs caractéristiques sonores propres. Le caractère « acousmatique »20
de l’écoute, c’est à dire le fait qu’on ne voie pas le geste et l’objet à l’origine du son, se
retrouve aujourd’hui dans le montage sonore sur ordinateur. Cette volonté de travailler sur
le timbre du son, soit « la qualité d’un son qui permet de le différencier de tous les autres
sons ayant la même hauteur et la même intensité » 21 se retrouve aussi dans la musique
18 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit.
19 CHION Michel, Musiques,Médias et technologies, Paris, Flammarion,1994, p.7.
20 SCHAEFFER a formulé ce terme à partit du mot grec « Akousma » utilisé par Pythagore
pour désigner l’enseignement qu'il donnait caché de ses disciples par un rideau
21 HONEGGER Marc, Science de la musique, tome 2, Bordas, 1976, Paris
électronique, crée à partir de générateurs de signaux électriques qu’on retrouvera ensuite
dans les synthétiseurs analogiques, et dont la première pièce enregistrée « Studie1 » a
été composée par Karlheinz Stockhausen en 1953. Si les premiers instruments
électroniques comme le Théremine (1920) ou les Ondes Martenot (1920) donnaient à voir
un lien de cause à effet entre le geste et le son obtenu, les évolutions esthétiques de la
musique savante des années 50 produite en studio par superposition de couches ont
engendré de nombreux discours remettant en question le statut d’instruments de ces
outils, et la musique qui était produite avec. Dans le texte « La musique et la machine »
d’Umberto Eco remet en question ces discours mettant en cause tant les procédés de
création que la diffusion de la musique, dans le cadre d’une industrie culturelle naissante.

Il n'est pas rare de trouver de nos jours des moralistes de la culture se plaindre de la
vente et de la consommation de la « musique faite à la machine », ou, pire encore, « de la
musique en conserve » : le disque, la radio, les appareils enregistreurs, les nouveaux systèmes
de production technique du son, comme les Ondes Martenot, les générateurs électroniques de
fréquences, les filtres, etc..
On peut répondre à cela que depuis l'origine des temps, toute la musique — sauf la musique
vocale — a été produite au moyen de machines. Que sont une flûte, une trompette, ou, mieux
encore, un violon, sinon des instruments complexes que seul un « technicien » peut manier ? Il
est vrai qu'il se crée entre l'exécutant et l'instrument un rapport presque organique, au point que
le violoniste « pense » et « sent » à travers son violon, que le violon devient partie de son
corps, chair de sa chair. Mais il n'a jamais été prouvé que ce rapport organique n'existe que
lorsqu'il s'agit d'un instrument dont le caractère manuel est tel que l'identification au corps de
l'exécutant s'opère facilement. 22

S’il faut replacer les questionnements des « moralistes de la culture » qu’Umberto
Eco dénonce dans ce texte dans leur contexte historique, nous constatons que ce type de
discours existe encore aujourd’hui. En effet, les instruments électroniques sont toujours
utilisés de nos jours, sous une forme analogique proche des premier synthétiseurs, ou
bien sous une forme numérisée dans des claviers numériques ou des logiciels
informatiques.
L’ordinateur a rapidement été envisagé comme un outil de création musicale. En
1956, Lejaren A. Hiller et Leonard M. Isaacson présentent les premiers travaux de
composition assistée par ordinateur: Illiac Suite. La partition de cette pièce a été
composée sur l'ordinateur Illiac I (IBM 7094) à l’aide d’un programme informatique
calculant des rapports mathématiques entre les différentes lignes mélodiques, puis

22 ECO, Umberto, La musique et la machine, In: Communications, 6, 1965. pp. 10-19.
interprétée par un quatuor à cordes au sein d'un studio du centre de recherches en
informatique de l'Université d'Illinois. Un an plus tard, Max Matthews créée le programme
MUSIC I, qui lui permet de mettre au point la première pièce musicale produite par un
ordinateur, l’IBM 7040, qui occupe une pièce entière et doit fonctionner vingt minutes pour
générer une seconde de son. Il s’agit de la composition « In the Silver Scale » de Newman
Guttman, choisie car elle ne comporte qu’une seule voix, le programme de Matthews étant
monophonique. En 1959, il développe MUSIC II qui permet de générer quatre voies, puis
continue de faire évoluer son programme jusqu’a MUSIC V qui pose les bases des
logiciels utilisés dans la recherche musicale académique, comme par exemple à l’IRCAM,
l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique crée par Pierre Boulez en
1969.
Si l’informatique musicale reste une pratique réservée au milieu scientifique
jusqu’aux années 90, les années 60 voient l’enregistrement multipiste et la synthèse
analogique être progressivement adoptés par les professionnels. En effet, si le guitariste
Les Paul est reconnu pour avoir expérimenté l’enregistrement multipiste dès 1955, cette
technologie se répand dans les studios dans les années 60, notamment sous l’impulsion
des Beatles qui sont aussi le premier groupe à utiliser un synthétiseur analogique23 sur un
disque de rock, en l'occurrence l’album « Abbey Road » en 1969. Cet instrument, créé par
Robert Moog, se démocratise ensuite chez les musiciens professionnels dans les années
70 avec la commercialisation du Minimoog, qui est plus compact et transportable sur
scène.
Cependant, il faut attendre les années 80 pour assister à la numérisation des
dispositifs d’enregistrement et de création sonore, qui imposera de nouveaux standards
techniques qui seront au coeur de la pratique amateur du home-studio.

Le début des années 1980 a su mettre en place tout un ensemble de changements
culturels et techniques qui ont posé les bases du régime numérique musical 24

23 La synthèse analogique est basée sur des générateurs de fréquences et des circuits
électroniques, contrairement à la synthèse numérique initiée par Max Matthews.
24 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit
L’enregistrement multipiste digital se répand dans les studios 25 dès le début de la
décennie, mais ne devient abordable pour les amateurs qu’a partir de 1987 avec la
commercialisation des cassettes digitales DAT (Digital Audio Tape) crées par Sony. Les
progrès effectués dans la digitalisation du signal audio permettent aussi l’apparition d’un
nouvel instrument, l'échantillonneur (ou sampler en anglais) qui permet de manipuler des
sons issus d’instruments préenregistrés ou de manipuler des sources sonores. Le sampler
permet aux musiciens d’utiliser des sons issus d’instruments qu’ils ne possèdent pas,
comme des violons, des pianos ou des percussions, et seront utilisés pour créer de
nouvelles esthétiques à l’oeuvre dans la musique hip-hop et la musique électronique.
Outre l’évolution des possibilités d’enregistrement, cette décennie voit voit s’opérer une
transmission des technologies de synthèse musicale du domaine scientifique au domaine
professionnel et amateur, et voit apparaitre de nouveaux standards de communication
entre les instruments, dans un contexte de démocratisation de l’ordinateur personnel. Pour
Nick Prior, l’année 1983 est particulièrement importante.

1983 a vu l’avènement de plusieurs équipements et procédés musicaux
fondamentaux dont l’apparition est emblématique de la mondialisation de l’industrie
électronique et notamment de sa migration vers l’Extrême-Orient et l’Asie du Sud-Est26

Premièrement, cette année est marquée par la commercialisation du Yamaha DX7,
le premier synthétiseur numérique, issu des recherches de John Chowning, élève de Max
Matthews, sur la synthèse à modulation de fréquence qui permet d’obtenir des sons
polyphoniques harmoniquement riches en mobilisant moins de puissance de calcul.
Relativement abordable, cet instrument rencontre un important succès commercial, a
marqué la musique des années 80 et a contribué à rendre accessible la synthèse sonore.
Deuxièmement, l’année 1983 est celle de la naissance du langage MIDI (Music
Instruments Digital Interface) qui reste encore aujourd’hui au centre de la musique
assistée par ordinateur. Ce nouveau standard technique est né de la collaboration entre
les principaux acteurs économiques du marché des synthétiseurs, les constructeurs
japonais Yamaha et Roland, et les américains Moog, Oberheim et Sequential Circuits.
25 « Bop ‘til you drop « de Ry Cooder est le premier album de musique pop enregistré
numériquement, en 1979
26 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit
Avant l’adoption de cette technologie, plusieurs standards de communication (électrique et
non numérique) entre les synthétiseurs et boites à rythmes coexistaient. Face à ce
constat, Dave Smith, président de Sequential Circuits propose à ces homologues
d’adopter le protocole MIDI qu’il commence à mettre au point. Lors de la convention
NAMM (National Association of Music Merchants Show), qui réunit encore aujourd’hui tout
les industriels du secteurs pour présenter leurs derniers produits, Dave Smith et le
fondateur de Roland, Ikukaro Kakehashi, font la démonstration de la synchronisation entre
les synthétiseurs de leur marques respectives. Cette stratégie adaptée au marché de la
musique des instruments électroniques s’avère bénéfique tant sur le plan économique que
communicationnel. Les constructeurs évitent ainsi d’entrer dans une guerre des standards
et imposent le protocole MIDI qui remporte très vite un grand succès.27
Outre la possibilité de synchroniser différentes machines autour d’un seul musicien
et de les piloter à partir du même clavier, ce format a modifié les modalités de création
musicale, en ne transmettant pas du son mais des informations de hauteur de note, de
durée, et de modification de paramètres sur 127 pas. C’est pourquoi Théberge le compare
à la notation musicale classique du solfège, dans le sens où le MIDI sépare le « langage »
musical du son généré, l’interface numérique ne fournissant que des données, et les sons
correspondants étant reproduits par un autre dispositif matériel ou logiciel.28

La

performance du musicien (jouée par exemple au clavier) est enregistrée, elle peut ensuite
être modifiée dans le détail, et le générateur de son peut être modifié à l’envie. Le
musicien peut choisir de faire jouer sa prestation par un piano, un synthétiseur ou son de
saxophone échantillonné, mais peut aussi dupliquer certaines notes ou corriger ses
erreurs.

La norme MIDI, comme tout langage universel, a permis d’unifier ce qui aurait pu
devenir un paysage fragmenté d’instruments de musique, en verrouillant les progrès
technologiques qui allaient suivre dans un nouveau cadre paradigmatique d’enregistrement et
d’interprétation.29

27 Notons en comparaison que l’apparition du CD audio, en 1982, résulte d’une collaboration
entre Philips et Sony.
28 THÉBERGE, Paul, Any Sound You Can Imagine: Making Music / Consuming Technology,
Hanovre et Londres: Wesleyan University Press, 1997
29 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit
Le format se retrouvera rapidement au centre des studios (amateurs et
professionnels) car il permet de faire communiquer synthétiseurs, boites à rythmes,
sampleurs et séquenceurs, qui seront ensuite synchronisables avec les premiers
magnétophones numériques et les ordinateurs personnels comme l’Atari ST (disposant
d’une prise MIDI) qui commencent à se démocratiser.

Les micro-ordinateurs comme le Sinclair ZX81, le BBC Micro ou le Sinclair ZX
Spectrum sont mis sur le marché dans ces années-là, et établissent la popularité de l’ordinateur
de bureau avec moniteurs et interfaces graphiques. Ce n’est pas un hasard si les ventes de
Commodore 64, le modèle d’ordinateur le plus vendu au monde toutes époques confondues,
décollent à cette même période. Avec sa célèbre puce sonore SID (Sound Interface Device), le
C64 et son microprocesseur 8 bits généraient des textures sonores grinçantes typiques,
emblématiques d’une industrie des jeux électroniques alors naissante.30

A la fin des années 80, l’ordinateur peut donc devenir le centre névralgique du
studio amateur, en pilotant les autres machines qui génèrent du son, ou l’enregistrent (sur
bande ou sur format digital). Dans les années 90, ces différentes technologies convergent
au sein de l’ordinateur sous une forme virtuelle, et financièrement plus accessible.

1.2 L’ordinateur personnel, un Meta-Instrument à l’origine d’un bouleversement des
mondes de l’art.

En 1990, la société Opcode présente StudioVision lors de la convention Namm. Il
s’agit de la première station audionumérique ( soit DAW pour Digital Audio Workstation en
anglais ), c’est à dire le premier logiciel qui allie édition midi, édition audio et
enregistrement audio, en exploitant les progrès technologiques en terme de stockage qui
permettent désormais l’enregistrement directement sur le disque dur de l’ordinateur ( «
direct to disk » ). Pour Robert Strachan, la station audionumérique couplée à un ordinateur
représente « l’une des avancées les plus marquantes dans l’histoire de la composition
musicale numérique ».31 Il ne s’agit pas ici de verser dans le déterminisme technologique,
mais de démontrer qu’en regroupant des pratiques et des technologies préexistantes et en
30 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit
31 STRACHAN Robert, Affordances, stations audionumériques et créativité musicale, Réseaux,
2012/2 n° 172, p. 120-143.
les présentant différemment, l’ordinateur équipé d’un logiciel DAW les rend plus accessible
et induit de nouvelles modalités de création. Pour Nick Prior, qui s'intéresse plus
particulièrement au rôle de l’ordinateur portable en studio et sur scène, le DAW a permis
de faire de l’ordinateur un « méta-instrument », un dispositif qui émule différents
instruments et outils.

L’ordinateur portable incarne la convergence technologique (Jenkins, 2000)32 .
Effectivement, pour peu qu’on possède le bon logiciel, le portable remplace une foule de
matériels : portastudio multipistes, synthétiseurs, table de mixage, samplers, tranches de
console, compresseurs, ampli de guitares, pédales d’effets et modules de sons.33

Pour Strachan, les logiciels qui ont précédé les DAW, ce qu’il nomme les « proto
DAW », tentaient déjà de reproduire l’équipement du studio, à la fois en terme de
possibilités mais aussi dans leur représentation graphique.

L’introduction par les développeurs de logiciels de musique de ces diverses fonctions
dans le système de l’ordinateur peut signifier qu’ils tentaient de « recopier » sous des versions
virtuelles une technologie matérielle bien connue des musiciens.34

On peut donc penser qu’il existait déjà chez ces développeurs une volonté de
rendre ces technologies accessibles aux ingénieurs du son comme aux musiciens
professionnels et amateurs. La mise en place des bases fonctionnelles du DAW encore
présentes dans les logiciels actuels donne à voir, sur le plan sémiologique, une
représentation graphique du matériel de studio, comme par exemple celle de la console
de mixage: «Plutôt que de déplacer des potentiomètres ou d’appuyer sur des boutons, on
attend des utilisateurs qu’ils utilisent la souris pour sélectionner et modifier les
paramètres».35 Nous pouvons donc nous demander s’il s’agit d’une remédiation. Ce

32 JENKINS, Henry, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, Londres, New
York University Press, 2006
33 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit
34 STRACHAN Robert, Affordances, stations audionumériques et créativité musicale, op. cit.
35 « Rather than tweaking faders and pressing knobs, however, users were expected to use the
computer mouse to select and change parameters. », traduit par nous même, PRIOR Nick, OK
COMPUTER: Mobility, software and the laptop musician, 2008, Information, Communication &
Society.
concept hérite de McLuhan36 pour qui chaque nouveau médium met en scène son
prédécesseur. Il a été théorisé par Bolter et Grusin qui expliquent que les nouveaux
médias empruntent les technologies qui les précèdent, et les re-configurent.37

On

retrouve donc la trace d’un ancien médium dans un nouveau. Si le matériel de studio ne
peut être considéré comme un médium, on constate que le DAW met en scène cet
ensemble de dispositif, d’une manière qui se rapproche de ce que Bolter et Grusin
nomment l’hypermediacy, un type de représentation visuelle qui vise à rappeler à celui qui
regarde la présence du médium.38
A gauche la fenêtre «  mixer  » du logiciel Cubase, et à droite une console de mixage de la marque
Soundcraft. Ces deux interfaces ont pour fonction d’ajuster le niveau sonore de différentes pistes audio.

Cette dynamique d’imitation des machine s’accentue en 1996 lorsque la marque
Steinberg crée le protocole VST (Virtual Studio Technology) pour son logiciel DAW
Cubase Vst. Il permet d’appliquer des effets modifiables en temps réel via une interface
graphique sur chaque piste, puis plus tard des instruments virtuels (Le premier
synthétiseur virtuel, « Neon » est inclu dans Cubase VST en 1999). L’interface de ces
plugins reproduit l’interface des effets en rack (réverbérations, filtres ...) que l’on peut
observer dans les studios professionels. Adoptant une stratégie d’ouverture, Steinberg

36 MCLUAN, Marshall, Pour comprendre les média: les prolongements technologiques de
l’homme, Paris, Mame/Seuil, 1977.
37 BOLTER, Jay, GRUSIN, Richard, Remediation: Understanding New Media, 2000,
Cambridge, MA: MIT.
38 « A style of visual representation whose goal is to remind the viewer of the medium. » in
BOLTER, Jay, GRUSIN, Richard, Remediation: Understanding New Media,op. cit.
permet à d’autres développeurs d’adopter ce format qui devient un standard.39 Depuis,
l’offre de plugins s’est étoffée, et de nouveaux acteurs, des petites structures de
développeurs comparables au modèle des start-up, se sont spécialisés sur ce créneau.
Cependant les logiciels de Musique Assistée par Ordinateur ne se limitent pas a
une représentation graphique du studio, mais mettent en oeuvre de nouvelles modalités
de manipulation et de hiérarchisation des informations comme le copier-coller, issues des
interfaces utilisateurs graphiques (IUG) qui se sont développées dans les années 80 qui
sont elles mêmes issues d’une remédiation par le biais de métaphores issues de la
bureautique (les icônes dès les années 70, puis le bureau et les dossiers avec le
Macintosh en 1984, puis des manipulations telles que le découpage et le collage)

Ainsi, même si les premiers DAW proposaient une réplique virtuelle des équipements
techniques, tels que les tables de mixage ou les séquenceurs pas à pas sous forme de
représentations graphiques affichées à l’écran, ils se sont de facto inspirés d’un langage
métaphorique plus riche qui, lors de la décennie précédente, avait contribué au développement
des interfaces graphiques, notamment comme on le montrera, dans le domaine de la
bureautique. 40

Cette remediation mis en place un certain nombre d’affordances. Ce terme théorisé
par Gibson en 1966, désigne les possibilités d’action d’un objet telles que les perçoit
l’acteur. C’est à dire que l’objet donner à voir des affordances à l’utilisateur, qui lui
signalent l’ensemble des possibilités d’action avec celui-ci. 41 Prenons l’exemple d’une
tasse, la présence d’une anse indique à l’individu la façon dont on attend qu’il manipule
l’objet. Par le biais des affordances, les concepteurs inscrivent donc des usages dans
l’objet technique. Notons que les stratégies d’affordance propres au DAW reposent sur
des signes qui renvoient aux logiciels de bureautique et au matériel de studio, tout en y
ajoutant de nouvelles interfaces de création telles que le piano roll qui est devenu la
norme dans tout les logiciels: il permet de disposer des notes midi sur un espace ou le
39 Face à ce choix rappelant des stratégies d’alliance et de communication à l’oeuvre dans
l’adoption de certains standards technologiques grand public ( l’exemple du Compact Disc par
exemple, bien qu’il s’agisse plus d’une collaboration (entre Phillips et Sony) que d’une ouverture
de la technologie ), on peut émettre l'hypothèse que Steinberg a fait ce choix car il est adapté à
un marché de Niche. Dans ce contexte, une stratégie de forclusion aurait été plus risquée.
40 STRACHAN, Robert, Affordances, stations audionumériques et créativité musicale, op. cit.
L’auteur fait réici référence à BLACKWELL, Alan F., « The Reification of Metaphor as a Design
Tool », ACM Transactions on Computer-Human Interaction, 2006, 13(4), 490-530.
41 GIBSON, James, The senses considered as perceptual systems, 1966, Boston, Houghton
Mifflin.
temps est représenté en abscisse et les notes en ordonnées, symbolisées par des
touches de piano. Les stations audionumériques informatisées ne reposent donc pas
seulement sur l’émulation de dispositifs existants, et « la standardisation de leur
fonctionnement, leur apparence visuelle et leur convivialité a fait émerger de nouveaux
modes de création » 42. L’objet de cette étude n’est pas de se demander comment le
dispositif informatique redéfinit la perception du son et sa manipulation dans le temps
(puisque sa représentation graphique permet de représenter les ondes sonores
enregistrées et de les modifier pendant que le son est joué), mais il est important de
comprendre comment ces nouvelles modalités de création impliquent des attentes
particulières chez les musiciens, auxquelles les développeurs doivent répondre.

À l'ère analogique, un ingénieur du son « écoutait » au sens propre la musique qu'il
mixait. Avec l'ordinateur et les interfaces graphiques, le son est visualisé autant qu'il est écouté.
Cela favorise l'anticipation par le regard et une perception de la musique en instants sécables,
une série de blocs isolables que l'on peut figer pour les manipuler à volonté. Le « copier-coller »
devient une fonction clé dans le travail de composition. Ce qui différencie aussi les home
studistes, c'est leur faculté à se mouvoir dans des univers totalement virtualisés. Manipuler un
vrai instrument ou sa représentation virtuelle sur un écran n'induit pas les mêmes opérations
mentales, le même rapport au son, à l'instrument...43

En effet, la démocratisation de la création musicale ne découle pas seulement
d’une accessibilité financière du matériel, mais d’une facilitation de la composition, car il
est possible de travailler les timbres sonores, les mélodies et les rythmes sans le recours
à une partition, comme le précise Jacques Demierre :

La possibilité de se passer d’une notation musicale traditionnelle et de maîtriser une
lutherie électronique en un temps bien plus rapide qu’il ne faut pour apprendre un instrument
acoustique a permis à tous, musiciens et non-musiciens, un accès au son et une facilité de
contact avec la matière sonore pour l’instant unique dans l’histoire de la musique.44

En effet, il est possible de s’écarter de l’écriture solfiée traditionnelle en procédant
par essais successifs notamment grâce au protocole MIDI, ou bien d’aborder la
42 STRACHAN Robert, Affordances, stations audionumériques et créativité musicale, op. cit.
43 LE GUERN, Philippe, « Ultramoderne Solitude », interview in Tranzistor, publié le 25 Juin
2012, consulté le 4 Juin 2013, [disponible en ligne : http://www.tranzistor.org/article-musiqueactuelles-laval-mayenne-53-66-a-2012/ ]
44 DEMIERRE, Jacques, Avant-propos, Contrechamps, n° 11, Musiques électroniques,
Genève, Éditions L’Age d’homme, 1990, p. 7.
composition traditionnelle avec de nouvelles modalités d’écriture comme le déplacement
de notes, la transposition et le copier coller.

2. Le musicien amateur en régime numérique.

Nous avons évoqué précédemment comment l’ordinateur, par le biais des DAW, est
devenu un « méta-instrument », faisant converger différentes possibilités de création
sonore dans un même dispositif, en « virtualisant » le matériel de studio, le rendant ainsi
financièrement accessible aux amateurs. Dans le contexte socio-technique contemporain
que représente le « régime numérique », il nous faut définir clairement le statut de
musicien amateur pour comprendre les attentes et les interactions propres aux
communautés virtuelles de musiciens.

2.1 Qu’est ce qu’un amateur ?

Le terme amateur est polysémique, car il recouvre plusieurs définitions apparues au
cours de l’histoire avec l’évolution des pratiques musicales. Etymologiquement, amateur
vient du latin amator, signifiant celui qui aime. Ce terme peut donc désigner un individu
s’investissant avec passion dans la consommation de la culture, Antoine Hennion estime
dans ce cas qu’« il faut considérer l’amateur non pas comme un producteur, mais un
producteur de sa propre relation à l’objet, de l’attachement à ses pratiques. »45 Cette
figure de l’amateur prend sa source aux XVI ème et XVII ème siècles avec les « érudits »
issus de l’aristocratie qui se spécialisent dans certains domaines. Pour Polnian cette
période est celle d’une « culture de la curiosité »46 qui aurait « gouverné par intérim entre
le règne de la théologie et celui de la Science ». L’activité de collectionneur de ces
hommes, plus curieux que savants, se concentre autour du « cabinet de curiosités ».

45 HENNION Antoine, La Passion musicale. Une sociologie de la médiation, Paris, Métailié,
1993 ; nouvelle édition, 2007.
46 POMIAN, K, Collectionneurs, Amateurs et Curieux, Paris, Venise: XVI ème - XVIII ème
siècle, Paris, Galllimard 1987. p. 80.
La deuxième définition de l’amateur, qui nous intéresse dans le cadre de nos
recherches, désigne un individu s’investissant dans une pratique culturelle ou sportive,
mais n’étant pas expert, avec parfois une certaine connotation péjorative visant a désigner
celui qui « fait mal les choses ». Les pratiques amateurs sont définies dans les études
académiques consacrées aux pratiques cultuelles des français comme des activités
« pratiquées pour le plaisir, à des fins personnelles ou pour un cercle restreint à des
proches en opposition à un exercice professionnel » 47. Mais cette opposition est apparue
qu’au XVIIIème siècle, avec le processus de modernisation culturelle qui marque ce que le
sociologue allemand Max Weber appelle l’avènement de la modernité esthétique.48 Cette
période marquée par « l'intellectualisation et la spécialisation »49 dans la science mais
aussi dans la culture.

Cet avènement de la modernisation culturelle opère une rationalisation des images
du monde mettant fin à toute représentation cosmogonique unitaire. Elle conduit ainsi à la
différenciation de trois domaines d'action aux sphères de valeurs propres à partir des
composantes cognitives, normatives et expressives de la culture : la science, la morale et l’art.
Ainsi au cours du XVIII'" siècle, les arts, la littérature et la musique s'institutionnalisent sous la
forme d'un domaine d'action qui rompt avec la vie sacrée et la vie de la cour: une sphère
publique autonome, c'est-à-dire un ensemble d'institutions et d'acteurs spécifiquement
consacrés aux pratiques artistiques (du côté de la production) et esthétiques (du côté de la
réception). 50

Au XXème siècle, la reproductibilité des images avec la photo, du son avec le disque,
puis du jeu d’acteur avec la vidéo, marque l’avènement de l’industrie culturelle et de la
culture de masse. Le musicien professionnel n’est plus seulement un artiste qui joue sa
musique en public, mais qui l’enregistre. Avec la naissance de l’industrie du disque, les
institutions, les acteurs économiques, et les métiers techniques se multiplient, ainsi les
mondes de l’art. Pour Becker, l’amateur est d’ailleurs celui qui n’appartient pas au
« Monde de l’art » correspondant à l’activité à laquelle il s’adonne, et n’a pas accès aux
outils des professionnels.
47 DONNAT Olivier ct COGNEAU, Les Pratiques culturelles des Français,
Découverte-La Documentation française, 1990, p. 127.

Paris., La

48 WEBER, Max, Parenthèse théorique. Le refus religieux du monde ses orientations et ses degrés, Archives des sciences sociales des religions, 1986. n" 61/1. p.
7-:34.
49 WEBER, Max, Le Savant et le Politique, Paris, 1919, lJGE., coll. « 10/18 », p198.
50 ALLARD Laurence, L'amateur: une figure de la modernité esthétique, In: Communications,
68, 1999. Le cinéma en amateur. pp. 9-31.
Laurence Allard fait remarquer que l’ère de la reproductibilité de l’oeuvre d’art
(pointée par Walter Benjamin qui s’inquiète de la disparition de son « Aura ») fait entrer le
grand public dans une « culture des loisirs » (marquée notamment par la fréquentation
des cinémas, mais surtout que les amateurs deviennent les acteurs de cette culture des
loisirs, ce que les fabricants d’appareils photo puis de camescopes ont très rapidement
compris et encouragé.

La photographie de famille s'est, en effet développée avec succès depuis l'apparition
de l'appareil Kodak. Si l'existence de cette pratique sociale de fabrique privée d'icônes
familiales a révolutionné la tradition du portrait de famille, l'usage domestique et profane du
cinéma semble aller de soi: il s'inscrit dans le progrès technique. Ainsi, en plus du
développement public du cinéma en salle, les fabricants ont cherché, dès le début de l'invention
du Cinématographe, à s'attirer une clientèle familiale privée en proposant, avec plus au moins
de succès, des appareils de prise de vues d'utilisation simple. 51

Au même titre qu’il existe aujourd’hui des photographes et des vidéastes amateurs
aux connaissances poussées et ayant accès à un matériel très qualitatif, les musiciens
amateurs ont accès à des technologies proches de celles des professionnels, ce qui peut
nous amener à remettre en question le point de vue de Becker.52

Ces monopoles sont aujourd’hui en pleine mutation ou en plein recul et ce
phénomène est dû en partie aux équipements et à leurs usages : les objets et les outils qui
faisaient autrefois toute la différence entre l’amateur et le professionnel, sont aujourd’hui à la
portée de l’un comme de l’autre. Les équipements sophistiqués qui érigeaient des barrières
financières quasiment infranchissables autour du secteur de la production, ne sont plus une
condition préalable à la qualité.53

Ces « nouveaux » musiciens amateurs auxquels nous nous intéressons ici, ne se
définissent pas seulement par leur matériel, mais par une expertise technique développée.

51 Idem.
52 Il est intéressant de constater la démocratisation du matériel photographique, et vidéo dans
une moindre mesure, amène parfois les professionnels à dénoncer la concurrence déloyale
d’amateurs non déclarés qui acceptent d’être moins payés. Dans le secteur de l’enregistrement
musical, ce type de discours est plus rare, car c’est surtout les effets la crise du disque (et donc
du piratage) qui sont mis en avant: les majors investissent moins dans le développement de
nouveaux artistes, et on par exemple tendance a attendre d’un jeune groupe qu’il propose des
maquettes de morceaux quasi-définitives.
53 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit.
Ces nouveaux amateurs possèdent de réelles compétences technologiques et
prennent les choses très au sérieux ; ce sont des praticiens convaincus recherchant
une qualité professionnelle, mais sans les infrastructures à disposition des
professionnels ni les qualifications classiques de ces derniers.54

On peut donc dire qu’ils s’engagent dans que que Stebbins nomme un « loisirsérieux », qui diffère d’un simple loisir de détente car ils investissent beaucoup de temps
et d’argent dans l’apprentissage et la recherche de matériel, se fixent des objectifs précis
et tirent une certaine satisfaction de la construction de cette identité sociale liée à leur
pratique.55 Ainsi, même s’ils ne se fixent pas forcément un objectif de professionnalisation,
il s’engagent avec sérieux dans ce que Flichy appelle la « réalisation de soi ».56
L’équipement d’enregistrement audionumérique permet donc aux musiciens
amateurs de produire (et de distribuer) leur musique de façon autonome. Cependant, il
faut noter, pour ne pas s’enfermer dans un discours naïvement optimiste, qu’il est difficile
pour les amateurs souhaitant se professionnaliser d’être totalement indépendants des
acteurs économiques du monde de l’art de l’industrie musicale. Premièrement, sur le plan
technique, un groupe (ou un musicien) qui compose enregistre et mixe sa musique lui
même, devra souvent faire appel à un professionnel pour le mastering 57, qui implique la
mise en oeuvre de connaissances particulières et de matériel haut de gamme très
onéreux. Sur le plan de la distribution et de la communication, même si l’ordinateur est
une « unité de production tout-en-un associant composition, diffusion et
consommation » 58, et donc « un véritable méta-dispositif technologique »59. il reste difficile
de rivaliser avec la puissance des majors (ou de certains labels indépendants importants).
S’il existe de nombreux exemples d’artistes « révélés sur internet » qui alimentent certains
54 Ibid.
55 STEBBINS, Robert, Serious Leisure: A Perspective for our Time , Edison, NJ,
2007,Transaction Publishers.
56 FLICHY, Patrice, Le sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’ère
numérique, Seuil, 2010.
57 L’étape du mastering intervient après le mixage des différentes pistes audio d’un titre. Elle
consiste a appliquer divers traitements sonores à la fois dans un but esthétique mais aussi pour
augmenter le niveau sonore conformément au standards de l’industrie du disque. On grave
ensuite un « master » qui servira de base pour la copie sur CD ou Vinyle (cette étape n’est pas
nécessaire dans le cas d’une distribution essentiellement digitale.
58 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit.
59 Idem.
imaginaires idéalistes de l’internet, l’offre de musique est très saturée, et il est donc difficile
de se faire connaitre sans investir beaucoup de temps et d’argent dans la communication
et les relations presse. A l’ère du matériel audionumérique devenu plus accessible de
nombreux artistes adoptent une stratégie consistant à enregistrer soi même la musique
pour proposer un produit quasi fini aux labels. De plus, dans certains rares cas, les labels,
témoins de la popularité d’un artiste amateur sur internet, pourrons choisir de le signer car
la prise de risque financière est moins importante. Dans ces cas là, l’artiste fait souvent
d’un positionnement marketing d’artiste « révélé par internet ». Mais dans d’autres cas,
l’artiste peut se professionnaliser sans collaborer au monde de l’art dominant dans la
musique populaire.

Plusieurs raisons peuvent expliquer qu’un artiste n’ait pas la possibilité de signer avec
une maison de disque. Par exemple, un artiste de musique ayant un public restreint, musique
dite de niche, peut ne pas être assez rentable pour une maison de disque. Ou encore,
l’autoproduction peut être la «norme» dans le genre musical que pratique l’artiste. Ainsi dans
notre enquête, parmi les musiciens qui ont choisi de s’autoproduire, 66% indiquent le fait que ce
soit «la règle» dans leur univers musical a été un facteur assez important ou très important
dans leur décision. Les genres musicaux les plus concernés sont les musiques urbaines (100%)
et les musiques électroniques et la techno (79%). 60

En effet, les évolutions esthétiques de la musique populaire depuis les années 80
remettent en question la distinction entre professionnels et amateurs formulée par Becker,
car certains genres musicaux sont nés d’une approche amateur.

2.2 Entre autodidactie et création de nouvelles esthétiques

Nous avons évoqué précédemment comment la synthèse analogique puis les
technologies numériques de synthèse et d'échantillonnage ont apporté de nouvelles
possibilités esthétiques dans le traitement du son.

La technologie au XXème siècle a en outre permis la maîtrise de paramètres sonores
jusqu'alors secondaires et qui sont passés au premier plan : l'intensité, le timbre et la spatialité

60 BACACHE Maya, BOURREAU Marc, GENSOLLEN Michel, MOREAU François, Les
Musiciens dans la révolution numérique, Inquiétude et enthousiasme, op. cit.
du son. Ces paramètres se sont vus renforcés aussi bien dans la musique populaire que dans
la musique savante. Le partage des technologies a autorisé assez fréquemment des
problématiques communes dans ces musiques.61

Les outils d’enregistrement ont été utilisés à des fins d’expérimentation esthétiques
et parfois détournées de leurs usages inscrits quasiment dès les débuts de
l’enregistrement sonore. Tout d’abord en jouant avec l’espace interne du lieu
d’enregistrement pour obtenir des colorations du son particulière avec la réverbération,
une technique poussée à son paroxysme par Phil Spector et son « Wall of Sound »62 qui
pose sa signature sur les disques des Beatles. L’enregistrement sur bande multipiste a
permis de superposer des couches sonores, de jouer avec la vitesse des bandes, ou de
créer un effet d’écho en chainant deux enregistreurs.63 La musique populaire des années
80 est marquée par l’utilisation de synthétiseurs et par un usage des effets du studio qui
s’écartent encore plus d’une simple volonté de rendre le son des instruments plus naturel,
en usant par exemple de la réverbération numérique de manière appuyée sur les
percussions. A cette époque, le matériel commençant à être plus accessible, les musiciens
amateurs vont se situer dans la continuité de cette dynamique d’expérimentation sonore 64,
tout en ayant la possibilité de travailler seuls sur toute la chaine de création, de la
composition au mixage, une tendance qui s’amplifie avec la démocratisation de
l’ordinateur personnel dans les années 80, et son omniprésence dans les années 90.

On pourrait penser qu'il y a une coupure radicale entre les « digital natives » et les
musiciens prénumériques. Or on voit que de nombreux musiciens de 50-60 ans ont intégré
depuis longtemps ces outils. Cela dit, ils se servent généralement du home studio comme outil
d'enregistrement. Ils branchent leurs guitares sur leur carte son... Avec les technologies home
studio sont nés des courants comme le rap ou les musiques électroniques qui imposent une
61 KOSMICKI Guillaume, Musiques savantes, musiques populaires : une transmission ?
Conférence donnée pour la Cité de la Musique dans le cadre des « Leçons magistrales » le 28
novembre 2006
62 Harvey Phillip Spector est connu pour avoir mis au point la technique du Wall of sound que
l’on peut résumer par l’addition d’un signal enregistrant un groupe dont les différentes parties
instrumentales sont doublés, triplées etc (plusieurs guitares, plusieurs pianos…) et de ce même
signal enregistré dans une chambre de réverbération.
63 Le guitariste Les Paul est considéré comme le pionnier de cette technique qui consiste à
enregistrer le signal d’un magnétophone sur un autre magnétophone et de le faire jouer
simultanément, l’effet d’echo provenant d’un décalage temporel entre les deux signaux. Pour
plus d’information voir DOYLE Peter, Echo and Reverb, fabricating space in popular music
recording 1900-1960, Wesleyan University Press, USA, 2005
64 Nous utilisons ici ce terme comme une expérimentation sur des paramètres sonores autre
que les rythmes et les hauteurs de notes, c’est à dire des paramètres différents de ceux qui
caractérisent la composition musicale au sens traditionnel.
nouvelle façon d'envisager la musique : on travaille seul, et non plus en groupe, configuration
traditionnelle du rock ou de la pop.65

En effet, si le home studio a permis d’une part d’enregistrer des instruments
acoustiques, il est rapidement devenu le lieu de l’expérimentation et du détournement des
outils, dans un contexte ou le musicien peut prendre son temps contrairement aux studios
professionnels payés à l’heure.

Les technologies numériques d’édition musicale ne sont pas « révolutionnaires » à
proprement parler, mais elles sont uniques de par leur potentiel combinatoire, leur capacité à
associer et détourner de leurs fonctions premières de vieux équipements analogiques, mais
aussi à encourager l’apparition de nouveaux styles.66

Ainsi, si les musiciens acoustiques amateurs souhaitent donner à leurs
enregistrements un son le plus proche possible de celui de disques enregistrés en studio,
d’autres amateurs ont trouvé dans le home studio les moyens de mettre au point de
nouvelles esthétiques. Les différents courants de musique électronique (au sens populaire
du terme, et non savant) sont marqués par une utilisation particulière des machines, dont
certaines étaient considérés à l’époque comme obsolètes par les musiciens traditionnels.
On peut donc apparenter ces usages détournés au « braconnage » théorisé par De
Certeau.

Il existe un art d'utiliser les produits imposés, de les faire fonctionner sur un autre
registre. Ce sont des opérations d'appropriation et de réemploi, des pratiques de détournement
économique comme la « perruque ». Cet art de combiner est indissociable d'un art d'utiliser, il
forme un mixte de rite et de bricolage. Une forme de braconnage. 67

Ainsi, des genres apparus à la fin des années comme la Techno (à Detroit, USA) et
la House (à Chicago, sur les bases du Disco) repose sur l’utilisation des boites à rythme
Roland considérées comme obsolètes par les musiciens traditionnels de part leur
incapacité à reproduire fidèlement une batterie acoustique, et de synthétiseurs
65 LE GUERN, Philippe, «Ultramoderne Solitude», op. cit.
66 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit.
67 DE CERTEAU, Michel, L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris : ed. Gallimard, coll.
Folio Essais 146, vol 1, 1990
analogiques plus anciens devenus accessibles car délaissés au profit de leur équivalents
numériques (les synthétiseurs numériques disponibles à l’époque comme le Yamaha DX7
sont aussi récurrents bien que plus onéreux).

Par exemple, le morceau Acid Tracks, composé par le groupe Phuture (composé de
DJ Pierre, Sleezy D et Herb Jr) en 1985 marque les débuts de l’Acid House. DJ Pierre
explique ainsi la genèse de ce morceau composé à l’aide d’une Roland TB 303.

Je voulais faire quelque chose qui sonnait comme ce que j’entendais au Music Box,
ou ce que j’entendais joué par Fairley [Jackmaster Funk] à la radio. Mais quand nous avons
créé « Acid Tracks » c’était un accident. Simplement de l’ignorance. On ne savait pas bien
utiliser la [Boite a rythme Roland] 303. […] J’ai commencé à tourner les boutons et ils m’ont dit
« oui, j’aime bien, continue ce que tu est en train de faire.68

Ce synthétiseur, équipé d’un séquenceur permettant de programmer une boucle
mélodique, a été crée pour imiter un son de guitare basse afin de permettre aux guitaristes
de s’entrainer avec un accompagnement. Son son étant peu fidèle, il rencontra un échec
commercial et sa production fût arrêtée. L’usage quand a fait DJ Pierre, en modulant les
paramètres de réglage de façon continue, n’était pas prévu par les concepteurs.
Aujourd’hui, cette machine, comme nombre de synthétiseurs analogiques dits vintage et
les boites à rythme Roland sont rares car produits à peu d’exemplaires, très recherchés, et
se vendent beaucoup plus cher que leur prix d'origine sur le marché de l’occasion.
D’autres genres comme le Hip-Hop sont basés par essence sur le sampling (ou
échantillonnage), puisque les morceaux instrumentaux sont basés sur le collage de
fragments sonores ou de boucles de batteries issues de disques existants. Le sampleur,
dont le plus connu est l’Akai MPC, permettant de séquencer les sons en pressant des
boutons carrés, est donc semiologiquement indissociable du mouvement Hip-Hop. Le
style Drum and Bass né au Royaume Uni dans les années 80 repose aussi sur
l'échantillonnage de boucles de batterie, mais le tempo est accéléré et les rythmes
déstructurés, pour obtenir un résultat qui est quasiment impossible de faire jouer à un

68 I wanted to make something that sounded like things I’d hear in the Music Box, or I heard
Fairley play on the radio. But when we made « Acid Track », that was an accident. It was just
ignorance, basically. Not knowing how to work the damn 303. […] I started turning the knobs up
and tweaking it, and they were like « Yeah, I like it, keep doing what you’re doing ». (traduction
personnelle). PIERRE JONES Nathaniel (DJ Pierre) in BREWSER, Bill, BROUGHTON, Frank,
op.cité.
batteur. Certains producteurs de ce qui a été appelé l’Intelligent Dance Music par les
journalistes vont encore plus loin dans le détournement des sampleurs et de l’ordinateur,
en provocant volontairement des artefacts numérique et des bugs pour obtenir des sons
stridents appelés glitches.

Ce ne sont pas les principes caractéristiques de la techno 69 (tels que le mixage et
l’échantillonnage) qui sont radicalement nouveaux, puisqu’ils sont globalement disponibles
depuis les années 50, et sont employés dans l’ensemble de la production musicale. Toute la
musique contemporaine (classique, rock, et autres...) est mixée en studio avant d’être
enregistrée et diffusée.

[...]

La nouveauté réside moins dans les procédés techniques utilisés que dans l’usage exclusif,
systématique et généralisé; alors qu’auparavant cet aspect technique de la production était tout
à fait secondaire, voire camouflé, selon une vieille conception romantique de la musique, il est à
présent mis en avant et revendiqué comme tel.70

Le travail de production étant central dans ces genres musicaux marqués par la
recherche d’un son percutant et riche en basses fréquences adapté à la diffusion en
discothèques, le matériel d’enregistrement (effets de spacialisation, égalisation des
fréquences ...) occupe une place aussi importante que les synthétiseurs ou les sampleurs.
C’est aussi par la qualité de la production que les musiciens électroniques se démarquent,
et c’est pourquoi ils sont souvent à la recherche de nouveau matériel ou logiciels. Alors
que l’ordinateur s’est rapidement trouvé au centre du Home Studio, permettant de
synchroniser puis d’émuler les machines, le détournement des machines des années 80
et 90 à engendré de nombreux imaginaires et mythes qui circulent entre les musiciens, et
donc dans les communautés virtuelles de musiciens amateurs. C’est pourquoi ce matériel
est très recherché, d’ou les plaintes de nombreux musiciens concernant la « cote » de
certains instruments sur le marché de l’occasion. Notons que ces imaginaires n’existent
pas que chez les musiciens électroniques. Les synthétiseurs et boites à rythmes sont
utilisés dans d’autres genres musicaux, et la recherche du son analogique « chaud » et
authentique existe chez les musiciens pop, jazz ou rock, tant dans l’enregistrement lui
même que dans les instruments (orgues, guitares, amplis de guitare à lampes ...).

69 Ici Michel Chion désigne par le mot Techno l’ensemble des musiques électroniques
populaires.
70 CHION, Michel, Musiques, Médias et technologies, Paris, Flammarion,1994, p.67.
Face à ces constats, des concepteurs de logiciels se sont spécialisés dans
l’imitation (visuelle et sonore) de ces machines recherchées et chargées d’imaginaires. En
1997, avec Rebirth, l’entreprise Suédoise Propellerhead propose pour la première fois des
reproductions virtuelles des machines Roland utilisées par les musiciens House et Techno.
En 2000, Propellerheads va encore plus loin dans la représentation graphique des
machines de studio avec le studio virtuel Reason qui permet de disposer et connecter
table de mixage, effets et synthétiseurs virtuels via des câbles eux aussi virtuels
manipulés à la souris. Cette volonté de modélisation du matériel analogique va être
rapidement adoptée par les développeurs d’instruments VST. Témoignant de la tendance
du retour au son analogique dans la musique « pop » (enregistrement sur
préamplificateurs à lampes et magnétophones à bandes) et dans la musique électronique
(les synthétiseurs analogiques et les boites à rythmes d’époque étant de plus en plus
recherchés sur le marché de l’occasion), la firme Allemande Native Instruments crée le
Pro 5 en 2000, une émulation du synthétiseur Prophet 5 de Dave Smith, et l’entreprise
Grenobloise Arturia présente en 2003 le MOOG Modular V, une modélisation virtuelle du
premier synthétiseur modulaire Moog dont les câbles sont aussi manipulables à la souris.
L’entreprise se spécialise sur le créneau des instruments « vintages » virtuels en
reproduisant par la suite d’autres synthétiseurs analogiques rares, avec la promesse d’en
reproduire les imperfections et la «chaleur» sonore qui attire les musiciens, notamment
grâce à une technologie développé dans ce but, la TAE ( True Analog Emulation ).

Le TAE par exemple, est une brique logicielle dont le rôle est d’introduire des
paramètres qui à l’oreille font penser que l’on est en présence d’un instrument analogique. Les
sons analogiques ne sont pas réguliers, ils varient dans le temps, et peuvent même sonner de
manière différente entre deux instruments d’une même série. Il y a énormément de variations
qui proviennent des composants eux-mêmes, comme des résistances identiques qui n’auront
pourtant pas le même comportement. Notre brique TAE introduit une part de cette variabilité. 71

Le marché des plug-in devient de plus en plus important et concurrentiel dans les
années 2000, des émulations d’orgue (Native Instruments B4), de piano acoustique et

71 PHAN, Richard Phan, Directeur Technique d’Arturia, interviewé par Cyril Colom,
makingsound.fr, [disponible en ligne : http://makingsound.free.fr/index.php/interviews/en-visitechez-arturia/ , publié le 20 mars 2010, consulté le 8 octobre 2013.
d’orchestres complets 72 (à base d’échantillons sonores) se développent, ainsi que des
contrôleurs dédiés. Mais s’il devient plus facile d’imiter des instruments et de s’approcher
du son des machines émulées, musiciens électroniques et acoustiques doivent acquérir
de nombreux savoir annexes à la composition au sens premier (l’écriture harmonique et
mélodique) pour exercer la musique assistée par ordinateur de façon autonome. C’est
pourquoi les sites spécialisés et les plateformes participatives occupent une place
importante dans le régime numérique.

Les frontières de l’expertise technologique sont beaucoup plus perméables
grâce à la diffusion du « savoir-faire » par l’intermédiaire de sites, officiels ou non,
proposant des forums de discussion et des bases de données.73

De plus, à partir de l’étude de la transmission des technologies de création
musicale du cercle académique aux mains des professionnels puis des amateurs, nous
pouvons constater d’une part que leur appropriation par les musiciens amateurs est à
l’origine de nouvelles esthétiques, mais aussi qu’aux travers de cette appropriation les
outils numériques deviennent des signifiants qui renvoient à des mythes en s’inscrivant
dans certaines traditions musicales.

Pour comprendre comment le savoir et les imaginaires se forment et circulent, il
nous faut donc d’abord se pencher plus en détail sur les communautés virtuelles de
musiciens.

72 Pour Pauline Adenot, ce type de logiciel à considérablement impacté le monde de l’art de la
«Musique à l’image». Les compositeurs ayant la possibilité de produire des maquettes très
réalistes en amont du montage, les réalisateurs et producteurs tendent à vouloir contrôler le
rendu sonore et n’apprécient pas les versions finales interprétées par un véritable orchestre à
leur juste valeur (à moins qu’il soit décidé de ne pas y avoir recours par économie),
voir ADENOT Pauline, « De l'orchestre au logiciel » L'impact des technologies numériques sur
l'activité des compositeurs de musique à l'image, Réseaux, 2012/2 n° 172, p. 146-172.
73 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit.
3. Les communautés virtuelles de musiciens.

Avant d’étudier en détail les communautés de musiciens, revenons sur la définition
de communauté virtuelle. Howard Rheingold, qui a fait partie de l’une des premières
communautés virtuelles dans les années 80, le WELL, définit ainsi ce type de
communauté, avec l’enthousiasme quelque peu idéaliste qui a marqué les premiers écrits
consacrés aux interactions sociales en ligne.

Les communautés virtuelles sont des regroupements socioculturels qui émergent du
réseau lorsque qu’un nombre suffisant d’individus participent à ces discussions publiques
pendant assez de temps en y mettant suffisamment de cœur pour que des réseaux de relations
humaines se tissent au sein du cyberespace. 74

La caractéristique principale ce type de communauté est une non soumission à la
co-présence géographique qui est nécessaire dans l’interaction au sein d’une
communauté hors ligne.

« Dans cette conception de la communauté le lieu de résidence a seulement une
importante marginale dans la construction de l’amitié et des groupes sociaux. Nous choisissons
de passer plus de temps avec des personnes identifiées comme partageant nos centres
d'intérêt plutôt qu’avec d’autres partageant un espace géographique commun.»75

Les relations interpersonnelles en ligne ont fait l’objet de nombreux
questionnements chez les chercheurs. Aujourd’hui il existe un quasi consensus à ce sujet
qui vise à considérer les communautés virtuelles comme des communautés à part entière.

« Rien ne permet a priori de considérer que parce qu‟elles reposent largement sur la
médiation de la technique, les dynamiques sociales en ligne sont irréelles ou sans

74 RHEINGOLD Howard, Les communautés virtuelles, Paris, ed Addison Wesley France, 1995
75 « In this conception of community residence is only marginally important in the construction
of friendship and social groups. We elect instead to spend more time with people whom we
have identified as sharing common interests rather than merely the accident of common
spaces. »
EVANS Karen, « Rethinking Community in the Digital Age? », in ORTON-JOHNSON Kate,
PRIOR Nick, Digital Sociology, Critical Perspectives
conséquences. (...) Etzioni et Etzioni (1999, p.242)76 notent que «l‟on ne devrait pas conclure
que parce que les agrégats en ligne n‟ont pas tous les attributs des communautés hors ligne,
les communautés virtuelles ne sont pas [...] “réelles”, autrement dit qu‟elles ne répondent pas
aux critères nécessaires pour former des communautés à part entière. » 77

3.1 Des communautés de pratiques très actives dans le partage d’informations et
d’expérience.

Nous avons choisi comme terrain d’observation le site Audiofanzine car il domine
clairement le domaine de la M.A.O. étant le premier site français à avoir traité le sujet en
proposant un contenu éditorial régulièrement mis à jour. En effet, il a été créé par Philippe
Raynaud, un musicien qui, s’apercevant d’un réel manque d’informations disponibles en
ligne et en français sur l’enregistrement et l’autoproduction, a décidé de créer son propre
site en 2000, un magazine en ligne proposant des dossiers pédagogiques et des tests. En
2002, Audiofanzine devient une base de données (gérée par l’équipe éditoriale mais
pouvant être complétée par les visiteurs) consacrée au matériel (instruments, logiciels ou
matériel d’enregistrement), accompagnée de services (petites annonces, comparateur de
prix,) et d’outils « communautaires » (forums, avis d'utilisateurs, et astuces). Notons que le
site est dans une situation de monopole en France, c’est pourquoi nous avons comparé
nos observations sur d’autres sites anglo-saxons dédiés à cette thématique, sachant que
l’offre est plus vaste et plus spécialisée dans ces pays.
Audiofanzine est donc un lieu d’échange pour les musiciens qui englobe un nombre
important de communautés spécifiques définies par leur activité artistique et leurs outils.
Le matériel y tient une place centrale car l’architecture du site est organisé autour de
fiches produits et de sections dédiés à des thématiques plus générales sur la pratique
musicale 78. Les forums traitant du matériel sont les plus fréquentés, suivis des forums
« Technique du son » et « Les mains dans le cambouis » (un sujet dédié aux réparations
et modifications du matériel). Les forums dédiés au partage de compositions et à la
76 ETZIONI, Amitai et Oren, Face-to-Face and Computer-Mediated Communities, A
Comparative Analysis, in The Information Society, vol. 15, no 4, 1999, p. 241-248.
77 PROULX, Serge et LATZKO-TOTH, Guillaume, La virtualité comme catégorie pour penser le
social : l’usage de la notion de communauté virtuelle, in Sociologie et sociétés, vol. 32, n° 2,
2000, p. 99-122. [disponible en ligne http://www.erudit.org/revue/socsoc/2000/v32/
n2/001598ar.pdf]
78 Voir annexe n°1
collaboration artistique sont beaucoup moins fréquentés. Les utilisateurs forment une
communauté de pratique, autour de la création musicale, et sont plus actifs dans le
partage d’informations que dans la collaboration artistique. Michel Gensollen définit ainsi
ce type de communauté partageant des pratiques communes :

Le lien d'appartenance qui se constitue parmi les membres d'un ensemble donné
d'usagers d'un espace de clavardage, d'une liste ou d'un forum de discussion, ces participants
partageant des goûts, des valeurs, des intérêts ou des objectifs communs, voire dans le
meilleur des cas, un authentique projet collectif. »79

Les utilisateurs du site partagent une certaine identité collective, ils ont des
références culturelles communes, utilisent des sociolectes particuliers (expressions
familières, langage technique, abréviations) et partagent des contraintes communes ( un
positionnement face à la musique « mainstream », principalement la « variété » populaire,
et les contraintes de l’intermittence pour une partie d’entre eux). Le site est un terrain de
rencontre entre amateurs et professionnels (ingénieurs du son, musiciens, intermittents du
spectacle). Il ne s’y transmet pas seulement un savoir technique sur le fonctionnement des
machines, mais aussi des savoirs issus du monde professionnel (des techniques utilisées
dans les studios d’enregistrement par exemple), et des pratiques non issues de ce monde
de l’art, mais du détournement des outils propres a certains mouvements musicaux,
électroniques ou non (on y partage des vidéos, des interviews, ou des observations faites
en concert. Par exemple, un des sujets les plus fréquentés s’intitule « Je les ai vus et ils
jouent avec, matos utilisé par des groupes électro en live » 80). La plupart des sujets se
développent donc sur le modèle du « Tableau Noir » (hormis certains sujets de discussion
plus « esthétiques » sur certains genres musicaux) :

Le modèle d'échange d'informations est de type "tableau noir" (blackboard), pour
reprendre l'expression forgée en intelligence artificielle afin de caractériser un mode de
coordination entre agents au travers d'un dépôt de données qui leur est commun. De la même
façon, les participants d'une communauté en ligne partagent un ensemble de données et ils ne

79 GENSOLLEN Michel in ... Serge PROULX, Louise POISSANT et Michel SÉNÉCAL (dir.)
(2006), Communautés virtuelles : penser et agir en réseau, Québec, Presses de l’Université
Laval.
80 [disponible en ligne : http://fr.audiofanzine.com/on-stage-backstage/forums/t.136762,je-lesai-vus-et-ils-jouent-avec-matos-utilise-par-des-groupes-electro-en-live.html Discussion débutée
le 23 octobre 2005, consulté le 20 novembre 2013]
partagent que cela. Cet ensemble est structuré et les données sont régulièrement mises à jour.
Il ne s’agit pas d’échanger des gouts, mais des savoir-faire et des représentations du produit.81

La question des « représentations du produit » à laquelle fait référence Michel
Gensollen est centrale dans l’étude des communautés virtuelles amateur car elle
s‘applique dès l’annonce de la sortie d’un produit. En effet, qu’ils le possèdent ou non, les
utilisateurs s’expriment sur leur perception des produits, ils y associent des styles
musicaux, des typologies d’utilisateurs associées à des jugements de valeur82, par
exemple un membre d’Audiofanzine réagit ainsi à l’annonce d’une nouvelle interface
destinée au DJing sur ordinateur (Traktor S4 de Native Instruments) :

pfff moi ça m'donne la gerbe ce genre de produit... n'importe qui peut s'improviser
DJ... c'est tellement évident et facile avec ce genre de trucs... parmi vous qui sait réellement
mixer ?83

Mais il existe aussi des discours concernant les marques : par exemple, la marque
Berhinger, qui produit du matériel d’entrée de gamme, a mauvaise réputation et est
souvent évoquée en exemple.

Ben je préfère que les débutants achètent du A&H que du behr [Beringer]i !
Et puis bon, les prix augmentent, c'est pas bien grave, on en est pas encore au rapport q/p de
pioneer !

Comme dans de nombreux forums, l’avatar, le profil et la signature permettent à
l’utilisateur de se mettre en scène. Sur ce site, le musicien se définit par son style ou par
son matériel, aidé par l’organisation du forum. Dans la signature, on peut souvent voir une
citation, des liens vers un site d'hébergement de musique, et surtout une liste de matériel
81 GENSOLLEN Michel in ... Serge PROULX, Louise POISSANT et Michel SÉNÉCAL (dir.)
(2006), Communautés virtuelles : penser et agir en réseau, op. cit.
82 Message de l’utilisateur Husson sur Audiofanzine,
[disponible en ligne : http://
fr.audiofanzine.com/surface-de-controle-dj/native-instruments/traktor-series-traktor-kontrol-s4/
forums/t.418784,commentaires-sur-la-news-native-instruments-traktor-kontrol-s4.html, publié le
18 novembre 2010, consulté le 11 novembre 2013]
83 Message de l’utilisateur Copeland65 sur Audiofanzine, [disponible en ligne : http://
fr.audiofanzine.com/console-dj/allen-heath/xone-22/forums/t.429819,augmentation-du-prix.html,
publié le 11 novembre 2010, consulté le 10 novembre 2013]
qui se retrouve aussi sur le profil, ainsi que l’avatar. Ces outils permettent aux utilisateurs
de contrôler la «face» qu’ils donnent à voir sur le site. On constate que le matériel y a une
place prépondérante et qu’il suscite plus le débat que d’autres thématiques.

3.2 Des attentes particulières en terme de matériel, entre quête du son professionnel et
recherche d’authenticité.

Pour comprendre les attentes des musiciens sur Audiofanzine, il nous faut d’abord
établir une typologie de profils. Pour cela nous avons consulté les forums destiné à
différents produits afin de relever les discussions et les postures récurrentes. L’objectif de
cette méthodologie de recherche et de comprendre quels imaginaires et mythes se
propagent.
Le profil le plus facilement identifiable est celui du débutant dont certains types de
questions sont récurrents. Il demande principalement aux autres utilisateurs des conseils
d’achat de matériel ou logiciels pour débuter, des informations concernant la configuration
de son ordinateur, de sa carte son ou de ses instruments. En effet, si l’ordinateur rend
financièrement accessible l’enregistrement sonore, il implique de nombreuses
connaissances techniques concernant la numérisation du signal audio, le langage midi et
la configuration du matériel. Constatant les lacunes des débutants (qui, par exemple,
confondent souvent le MIDI et l’audio), les utilisateurs plus expérimentés apportent parfois
des explications détaillées, mais on souvent tendance à conseiller au débutant de se
renseigner sur l’aspect purement technique de la MAO via les ressources pédagogique du
site.
De plus, les débutants s’engagent généralement dans la M.A.O avec une idée de style
musical dans lequel s’inscrire, et vont donc demander aux autres membres de les aiguiller
sur l’équipement à acquérir pour obtenir le même son que tel artiste. Ils se voient
généralement répondre qu’il n’y a pas de matériel type pour chaque son (de synthétiseur
par exemple) mais qu’il est préférable d’étudier les techniques du son à l’oeuvre. D’une
manière générale, s’il existe une réelle dynamique pédagogique entre les débutants et les
utilisateurs plus expérimentés, on constate une certaine sévérité envers les nouveaux
inscrits qui ne fourniraient pas des efforts suffisants pour apprendre les bases de la M.A.O
et lire les manuels d’utilisations de leurs équipements.

Les utilisateurs amateurs plus expérimentés sont aussi très actifs sur le site. Ils
émettent des avis, posent des questions sur le fonctionnement et la compatibilité du
matériel. Comme les débutants, ils s’interrogent régulièrement d’acquisition de nouveau
matériel. C’est pourquoi ils demandent des avis de comparaison entre plusieurs
équipements similaires, on donc remarque de nombreux titres de sujets de conversation
du type « produit X vs produit Y » :

Je suis en train d'étudier un changement de monitoring. J'ai des Truth 2031A
(beuark..), et j'ai fait pas mal d'écoutes comparatives.
Mon choix se portait au début entre les Genelec 8040 ou les BM6A, et il se trouve que les 8040
descendent plus bas, et montent plus haut dans le spectre, mais le medium est absolument
brouillon. Du coup, elles "flattent" les mixs parce qu'il est plus difficile d'y détecter les erreurs.
Donc mon choix se portait définitivement sur les BM6A, mais elles sont très chères. Je voulais
donc savoir si les Genelec 1031A avaient un medium aussi propre que celui des BM6A. Au
niveau taille ma pièce fait 30m² et je suis à 1.5m de mes enceintes. Je n'ai pas encore pu faire
d'écoutes comparatives BM6A/1031A, donc ceux qui ont eu cette chance sont les bienvenus
pour s'exprimer....84

Débutants ou confirmés, ces musiciens amateurs sont à la recherche d’une qualité
sonore proche des disques qu’ils écoutent, c’est pourquoi ils envisagent quasi
systématiquement d’acquérir plus de matériel. Bien qu’ils se présentent comme des
amateurs, ils semblent ne pas exclure de se professionnaliser, en se produisant en
concert ou en vendant leur musique.

Voila j'aimerais me lancer dans la production musicale et pouvoir faire mes propres
sons et ma propre musique et pour cela il me faut du matos mais je sais pas quoi choisir et ce
que je dois choisir, je m'en sors plus j'ai vraiment besoin d'aide j'aime bcp la musique
électronique plus spécialement la techno et j'aimerais vraiment faire de la bonne techno avec
mon style qui m'est propre et pouvoir créer tout de A à Z les sons etc..... jusqu'a avoir de la très

84 Discussion lancée par l’utilisateur « Jacky. » dans le forum consacré aux enceintes
dynaudio, [disponible en ligne : http://fr.audiofanzine.com/enceinte-active/dynaudioprofessional/bm-series-bm6a/forums/t.85932,bm6a-vs-genelec-1031.html publié le 17
décembre 2004, consulté le 14 octobre 2013
bonne musique qui me permettrais de me faire connaitre j'espère que vous pouvez m'aider pour
trouver le bon matériel et ce qui faut choisir exactement je vous remercie d'avance.85

Le forum est aussi fréquenté par des professionnels (techniciens du son et
musiciens) à la recherche d’informations précises sur du matériel haut de gamme. Ces
derniers sont parfois sollicités par les amateurs pour faire part de leurs expériences, pour
raconter leur parcours 86

professionnel et conseiller les membres souhaitant se

professionnaliser (Les discussions concernant le choix de formations universitaires ou
privées aux techniques du son sont nombreuses 87)
Cette transmission de savoir en direction des amateurs se fait aussi autour d’un
discours très récurrent, qui consiste à expliquer que la qualité de la production musicale
dépend avant tout de la maitrise des techniques de mixage qui sont un ensemble de
compétences particulières, et non pas exclusivement du matériel. Ils tentent ainsi de
contrer certains discours et certains imaginaires qui circulent dans les forums, qui
émanent des deux attentes principales des musiciens en régime numérique, le son et
l’ergonomie.
En effet, bien que les instruments et effets virtuels soient massivement adoptés et
que la puissance des ordinateurs actuels permette d’atteindre une qualité sonore
considérable, le débat sur une prétendue supériorité du hardware ( le matériel sous forme
physique) face au software est extrêmement récurrent dans le forum, ce que nous
pouvons confirmer via l’analyse de contenu suivante 88 : dans la dynamique d’imitation qui
caractérise les amateurs, ces derniers se plaignent souvent du son de leurs productions
numériques, caractérisé comme «froid», «clinique», «trop propre» et aux rythmes « trop

85 Discussion lancée par l’utilisateur « Chrishendrix » intitulée « Quel matériel choisir pour faire
de la techno ou de la house », [disponible en ligne : http://fr.audiofanzine.com/homestudio/
forums/t.92887,quel-materiel-choisir-pour-faire-de-la-techno-ou-de-la-house.html
86 Dans ce fil de discussion, un utilisateur amateur incite les professionnels à raconter leur
parcours, disponible en ligne : http://fr.audiofanzine.com/forums-thematiques/forums/t.
516240,ingenieurs-du-son-vos-parcours,post.7172016.html, publié le 10 décemmbre 2012,
consulté le 12 novembre 2013]
87 De nombreux amateurs souhaitant devenir ingénieur du son sollicitent les utilisateurs
professionels pour les orienter dans leur choix de formation, [disponible en ligne : http://
fr.audiofanzine.com/ecoles-et-formation-professionnelle/forums/t.505291,besoin-d-aide-pourtravailler-dans-le-milieu.html, publié le 21 aout 2012, consulté le 12 novembre 2013]
88 Notons que ce débat est si présent que les utilisateurs y font régulièrement référence,
anticipant parfois le moment ou le sujet risque d'être lancé et demandant aux autres membres
de ne pas en parler.
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  • 1. UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE CELSA Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication MASTER 2ème année Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication Parcours : Médias informatisés et stratégies de communication COMMUNIQUER EN DIRECTION DES COMMUNAUTÉS VIRTUELLES D’AMATEURS DANS UN MARCHÉ DE NICHE. LE CAS DES MUSICIENS AMATEURS EN RÉGIME NUMÉRIQUE Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD PONTE, Alexandre : Promotion : 2013-2014 Option : Médias et Communication Soutenu le : Note du mémoire : Mention :
  • 2.
  • 3. REMERCIEMENTS Avant toute chose, je tiens à remercier l’ensemble des personnes qui ont contribué à l’élaboration de ce mémoire, d’une manière ou d’une autre. M. Henri Danel pour ses conseils et sa patience en tant que rapporteur universitaire. M. Bertrand Hellio, pour avoir accepté d’être mon rapporteur professionnel et avoir su, lorsque cela était nécessaire, me mettre sur la bonne piste. Les communautés des forums Audiofanzine et Anafrog pour m’avoir inspiré le sujet de ce mémoire. L’équipe de BETC Music pour son soutien, sa compréhension et ses éclairages. Et tous ceux qui, proches, ont fait preuve d’écoute et d’encouragement au quotidien.
  • 4. SOMMAIRE INTRODUCTION 7 Partie 1: La création musicale en régime numérique, de nouvelles modalités de création en milieu professionnel et amateur, et de nouvelles attentes 15 1. Une évolution des technologies de création musicale à l’origine de la naissance d’un nouveau marché ? 15 1.1 De la musique savante à la musique populaire, la naissance de standards techniques au coeur de la démocratisation des outils et du marché de la création musicale. 15 1.2 L’ordinateur personnel, un Meta-Instrument à l’origine d’un bouleversement des mondes de l’art. 2. Le musicien amateur en régime numérique. 22 27 2.1 Qu’est ce qu’un amateur ? 27 2.2 Entre autodidactie et création de nouvelles esthétiques 31 3. Les communautés virtuelles de musiciens. 38 3.1 Des communautés de pratiques très actives dans le partage d’informations et d’expérience. 39 3.2 Des attentes particulières en terme de matériel, entre quête du son professionnel et recherche d’authenticité. 42 Partie 2: Les stratégies de communication des développeurs d’instruments, entre éloge de la modernité et démonstration de l’authenticité. 48 1. La quête de l’ergonomie et du Workflow 49 1.1 Facilitation et inscription d’usages 50 1.2 Engager les communautés virtuelles de musiciens 55 2. De la transparence au storytelling de marque : entre valorisation du progrès technique et authenticité 59 2.1 La mise en scène de la recherche et du développement au service des musiciens. 60 2.2 Le paradoxe de l’analogique, ou le combat de l’authenticité 62
  • 5. Partie 3: Circulation et réception de la communication des marques dans les communautés virtuelles 66 1. Une communication « crowdsourcée » ? 66 1.1 Des communautés de pratique basées sur un modèle d’échange de type « tableau noir » : une opportunité à saisir pour le « teasing » des marques 66 1.2 Une « viralité » à double tranchant 70 2. La réception des campagnes au sein des communautés en ligne 70 2.1 Perception et analyses des stratégies de marques au sein des communautés 71 2.2 Typologie des postures récurrentes 69 Conclusion 76 Bibliographie 79 Annexes 84 Résumé 91
  • 6.
  • 7. INTRODUCTION En novembre 2010, dans une vidéo 1 diffusée sur internet, le chanteur compositeur belge Stromae, accompagné de l’humoriste Jamel Debbouze, recréait un de ses morceaux à l’aide d’un ordinateur portable et d’un clavier miniature. Le ressort humoristique de cette «re-composition» instantanée reposait sur l’apparente facilité avec laquelle le musicien semblait créer des sons avec peu de matériel. Cet exemple cristallise l’image souvent véhiculée dans les médias généralistes et spécialisés du musicien en chambre, « bedroom producer » en anglais, qui accède à une reconnaissance mondiale et voit sa musique être diffusée sur les ondes et en discothèque. Loin de la Rock-Star ou de l’instrumentiste virtuose, cette nouvelle figure du musicien intrigue, notamment car son outil de création renvoie habituellement à un imaginaire du travail de bureau. Pourtant l’usage de l’ordinateur personnel s’est généralisé dans toutes les pratiques artistiques. Il peut être utilisé pour traiter chaque étape du processus créatif, qu’il s’agisse de la conception, de l’exécution ou de la diffusion. En « digitalisant » des usages et des outils préexistants dans le domaine analogique, qu’il s’agisse de l’écriture, de la peinture, de la sculpture ou de la composition musicale, les technologies numériques opèrent une remédiation de dispositifs au travers d’interfaces informatiques, de la même façon que le traitement de texte met en scène des outils et des pratiques d’écriture telles que la fonction copier-coller, et que les logiciels de création graphique proposent des fonctions pinceau ou pot de peinture. 1 Vidéo extraite du DVD Made in Jamel, de Jamel Debbouze, novembre 2010, Sony Pictures, [disponible en ligne : http://www.wat.tv/video/jamel-debbouze-stromae-alors-38kzl_2ipxv_.html]
  • 8. Parmi les domaines artistiques précédemment cités, il en est un qui fait l’objet de nombreux discours sur la rôle de la machine dans la création : celui de la musique. Par exemple, l’imaginaire de l’automatisation de la composition est encore très présent: « En 2013, le logiciel est force de proposition, c’est-à-dire qu’il crée des rythmiques, des harmonies, bref, de la musique, seul... » 2 Cependant, l’impact des technologies numériques et d’internet sur l’industrie culturelle musicale est plus souvent mis en avant dans les médias, que celui sur les modalités de création : La distribution numérique sauvage (le piratage) a obnubilé les esprits et envahi les discours des médias jusqu’à occulter le fait que la révolution numérique touche aussi, et peut être avant tout, la production et les conditions de promotion de la musique.3 Néanmoins, cette figure du musicien en chambre, s’auto-produisant à l’aide d’un ordinateur, et accédant à une certaine notoriété, semble être de plus en plus fréquemment invoquée par les journalistes, et devient parfois un argument commercial majeur dans la stratégie de promotion des maisons de disque (la chanteuse Lilly Allen4 par exemple, ou plus récemment le jeune producteur français Madeon5). Le dispositif informatique est perçu comme un nouvel instrument qui, associé à du matériel devenu plus accessible, permet au musiciens amateurs d’obtenir un enregistrement de qualité acceptable sans faire appel à nombre d’intervenants intermédiaires tels que les studios d’enregistrements ou les maisons de disque, qui composent ce que Howard Becker appelle un « Monde de l’art », soit un espace de « coopération entre individus nécessaire à la production d’une œuvre» 6. Cette numérisation de la pratique musicale permettrait donc à une part plus importante de la population d’exprimer et de donner à entendre sa sensibilité artistique. 2 FROGET Vincent, « Musique Assistée par Ordinateur : la technologie est-elle devenue artiste? », Ragemag, [disponible en ligne : http://ragemag.fr/musique-ordinateur-technologieartiste-50096/ publié le 15 novembre 2013, consulté le 17 novembre 2013] 3 BACACHE Maya, BOURREAU Marc, GENSOLLEN Michel, MOREAU François, Les Musiciens dans la révolution numérique, Inquiétude et enthousiasme, éditions IRMA, Paris, 2009, p 65 4 http://www.theguardian.com/music/2011/jun/11/lilly-allen-myspace 5 http://www.sonymusic.fr/news/madeon-the-city-ep/ 6 BECKER, Howard Saul, Propos sur l’art , L’Harmattan, collection Logiques Sociales, 1999
  • 9. Des possibilités inédites d’enregistrement à coût réduit sont offertes aux musiciens, l’accessibilité de leur création est quasiment instantanée, les réseaux sociaux ouvrent la voie à de nouvelles formes de collaboration en ligne, grâce aux technologies numériques.7 Les possibilités apportées par la Musique Assistée par Ordinateur, champ désigné par l’acronyme M.A.O, entraineraient donc une « démocratisation » de la création musicale. Celle-ci se traduirait par une baisse du coût d’accès au matériel, une baisse du nombre d’intermédiaires, mais aussi par un renouvellement des modalités de création proposés par les nouveaux dispositifs numériques. Cette évolution des outils entrainerait une modification des pratiques en milieu professionnel, mais surtout chez les praticiens amateurs. Cependant il existe une différence fondamentale entre apprendre à jouer d’un instrument acoustique ou électrique, et apprendre à créer des oeuvres musicales à part entière, via l’enregistrement audio, la synthèse sonore ou l'échantillonnage8 : l’offre de formation. En effet, la composition assistée par ordinateur met en oeuvre de nouvelles compétences en plus de la composition et de l’interprétation, des techniques qui ne relèvent traditionnellement pas du musicien mais de l’ingénieur du son et/ou du producteur : l’enregistrement, la synthèse sonore et le mixage. Le studio d’enregistrement s’implante là où l’on peut enregistrer ou modeler du son, et le personnel technique est bien souvent réduit à une seule personne qui effectue elle-même toutes les tâches.9 Ainsi, si l’offre de cours d’instrument est conséquente (écoles municipales et privées, conservatoire, cours particuliers), il existe peu de formations qui englobent les 7 LE GUERN, Philippe, « Irréversible ? » Musique et technologies en régime numérique, Réseaux, 2012/2 n° 172, p. 29-64. 8 Ce mot, traduction de « sampling » en anglais, désigne l’art d’utiliser des sons préxistants découpés à partir de sources diverses (disques, télévision, enregistrement de sons d’ambiance) pour créer une oeuvre musicale. 9 « Today, the recording studio is any place where sound is captured or manipulated, and it is often staffed, and all duties performed, by one person. » ZAK Albin, Editorial, Journal of the Art of Record Production, V1(ii), 2007 (http://arpjournal.com/493/recording-studio-as-spaceplace/ ), traduit par LE GUERN Philippe.
  • 10. compétences à mettre en oeuvre dans la M.A.O en plus de l’écriture musicale traditionnelle, et celles-ci sont concentrées dans quelques conservatoires ou dans des formations professionnelles de technicien du son. Nous serions donc tentés d’ajouter que l’ordinateur connecté à internet représente non seulement un outil de promotion pour l’amateur avancé ou en voie de professionnalisation, mais surtout un moyen d’accès à l’information crucial pour une pratique souvent autodidacte, surtout pour le débutant qui peut trouver nombre de ressources éditoriales et de forums spécialisés sur le sujet. Cette évolution technique de la pratique musicale, englobant des moyens digitalisés de communication et de création, pousse le grand public et les journalistes à employer l’expression de « révolution numérique » avec laquelle il convient de prendre de la distance tant elle est idéologiquement chargée. En effet, elle se place dans la lignée des imaginaires déterministes d’internet, remis en question par des auteurs comme Breton, Rebillard ou Flichy. Ces discours sont aussi ceux des fabricants de solutions logicielles et matérielles dédiées à la création musicale, qui s’adressent à un marché de niche dynamique, au vu de l’apparition régulière de nouveaux acteurs économiques, et de l’élargissement des gammes de produits proposés. En 2001, il y aurait eu entre 60000010 et 1 000 00011 de personnes ayant des pratiques musicales sur leur ordinateur domestique ou « versées dans la création musicale ». 12 Plutôt que d’invoquer une certaine « révolution numérique », le chercheur Nick Prior propose la notion de « régime numérique », qui « est donc à la fois les discours tenus sur 10 Étude sur les pratiques informatiques domestiques menée par le Département des Etudes et de la Propespective, de juin à septembre 2000. 11 Ce sondage « L’informatique domestique en France » effectué par SVM/GFK pour le Département des Etudes et de la Propespective signale, entre 2000 et 2001, un doublement de la proportion des foyers (de 6 % à 12 %) comportant au moins un individu concerné par ces pratiques représentant environ un million de foyers. 12 POUTS-LAJUS Serge, TIEVANT Sophie, JOY Jérôme, Composer sur son ordinateur : les pratiques musicales en amateur liées à l'informatique, Ministère de la Culture et de la Communication, Direction générale de l'administration générale, Département des études et de la propespective, Paris, 2002.
  • 11. le numérique et le usages quotidiens de cette technologie » 13 « Régime numérique », car le numérique est en effet bien plus qu’un simple terme technique désignant des systèmes structurés. Le numérique, c’est une multitude de discours, d’objets, de techniques, de pratiques qui gravitent autour d’une dépendance grandissante envers des systèmes informatiques complexes. Le terme « régime » est utilisé dans le sens de configuration peu structurée d’éléments, moins rigide que les termes « institution » ou « époque », mais englobant des éléments à la fois matériels et immatériels ayant suffisamment de caractéristiques communes pour produire un effet systémique. 14 Cette notion de régime numérique, nous permettra de déconstruire les imaginaires socialement construits autours de la musique assistée par ordinateur, et de comprendre comment ils se manifestent dans la relation entre les marques et les amateurs. Théoriquement, un marché de niche 15 est caractérisé par une concurrence réduite par rapport à un marché de masse, ce qui peut compenser le volume forcément plus faible de ventes. Cependant le marché de la M.A.O ne semble pas correspondre à ces caractéristiques. On peut donc se demander comment les constructeurs parviennent à se démarquer dans ce contexte pourtant très concurrentiel. De plus, par rapport à un acteur évoluant dans un marché de masse, les ressources économiques dédiées à la communication de ce type d’entreprise sont plus réduites et leurs supports de prise de parole moins nombreux. Ainsi, hormis les médias plus traditionnels tels que les magazines spécialisés (qui se résument à un seul titre en France : « Keyboards Recording »), internet semble représenter une opportunité de visibilité incontournable. Aujourd’hui, le site Audiofanzine.com, créé en 2000 et développé à l’international depuis 2008, représente la principale source d’information des musiciens français désirant pratiquer la M.A.O. Il attire en moyenne 1 700 000 visiteurs uniques par mois (source OJD), et recense plus de 130 000 produits. Au delà du contenu éditorial proposé, 13 PRIOR Nick, « Musiques populaires en régime numérique » Acteurs, équipements, styles et pratiques, Réseaux, 2012/2 n° 172, p. 66-90. 14 Idem. 15 Définition du dictionnaire Larousse en ligne : Segment d'un marché où il existe peu de concurrence et qui permet à une entreprise de développer un nouveau créneau commercial. (La niche est souvent délaissée par les grandes entreprises pour des raisons de rentabilité car ce micromarché a un potentiel faible de clientèle.) [disponible en ligne : http://www.larousse.fr/ dictionnaires/francais/niche/54520]
  • 12. Audiofanzine est aussi une plateforme d’échange pour les communautés virtuelles de musiciens, qui regroupe plus de 66 000 avis de consommateurs et compte près de 500 000 utilisateurs inscrits sur son forum. S’il est difficile de déterminer la part de professionnels et d’amateurs qui constitue l’audience de ce site, l’engouement qu’il suscite nous permet de supposer que le marché de l’équipement dédié à la M.A.O (logiciels et matériel) est relativement important, et que son public cible est très actif au sein des communautés virtuelles spécialisées. Dans ce contexte, l’observation des échanges au sein de ces communautés virtuelles de musiciens nous pousse à nous poser la question de leur rôle dans le marché de la musique assistée par ordinateur. Elles constituent un public hétéroclite, qui partage des connaissances techniques poussées et qui, par la nature artistique de son implication, aspire à mettre en musique sa sensibilité de la façon la plus fluide possible. Ces communautés sont particulièrement dynamiques et opèrent une diffusion des informations dévoilées par les constructeurs, mais se veulent aussi très critiques. Elles représentent donc de réelles opportunités en terme de visibilité pour les marques, qui, de par la nature de ce marché de niche, disposent de moyens limités. Les attentes des musiciens amateurs en régime numérique sont particulières car elles concernent la création, ce qui implique de représentations de soi dans la consommation tout à fait différentes celles qui s’opèrent avec les produits de grandes consommation. En procédant à un élargissement de notre questionnement initial sur le modèle d’Howard Becker, nous pouvons ainsi formuler notre problématique : Comment les concepteurs d’outils de création numérique communiquent en direction des communautés virtuelles d’amateurs dans un marché de niche lié à la création artistique? La première hypothèse que nous émettrons sera basée sur l’observation des communautés virtuelles amateur en régime numérique, et les attentes particulières qui les caractérisent. Nous démontrerons qu’elles représentent une opportunité pour les marques en termes de visibilité, de part les discours et imaginaires récurrents qui les caractérisent. Nous poserons ensuite l’hypothèse que les marques produisent un discours promotionnel qui réponds aux attentes des musiciens tels qu’elles s’expriment dans les
  • 13. communautés virtuelles. L’observation et la compréhension des attentes de musiciens au sein de leurs communautés virtuelles et des imaginaires qu’y y circulent permettrait aux marques d’adapter leur communication et leur stratégie marketing aux différentes typologies de musiciens amateurs, en mettant en avant la facilité d’utilisation des nouveaux dispositifs numériques de création musicale. Enfin, nous nous demanderons si l’on peut designer cette communication comme « crowdsourcée » et si elle permet de bénéficier de la légitimité des membres. Pour cela nous nous intéresserons à la circulation et la réception des discours des marques au sein des communautés virtuelles. MÉTHODOLOGIE Pour répondre à cette problématique, nous replacerons ces pratiques dans leur contexte esthétique et technologique, en revenant sur l’histoire de la musique assistée par ordinateur, des standards techniques et leur appropriation. Dans ce cadre, nous proposerons une re-définition du statut d’amateur en régime numérique. Notre Corpus sera composé d’analyses de discours basées sur l’observation des interactions au sein du forum Audiofanzine, au travers d’une sélection de fils de discussions représentatifs des attentes et des imaginaires liés au matériel et aux représentations du musicien qui circulent au sein des communautés de musiciens amateurs. Il sera aussi composé de supports de communication utilisés par les marques Ableton, Native Instruments, Arturia, Korg, Moog et Dave Smith Instruments, tels que des communiqués de presse, des publicités publiées dans des magazines, des sites internet et des vidéos diffusées en ligne. Ces document nous permettront d’étudier leurs stratégies de communication. Enfin, la réception et la circulation de ces campagnes au sein des communautés virtuelles de musiciens amateurs sera également étudiée au travers d’analyses de
  • 14. discours à partir d’une sélection de discussions et de postures d’énonciation, Cette étude nous permettra de formuler des recommandations stratégiques et des réflexions concernant le domaine de la création numérique applicables aux communautés virtuelles amateurs dédiées aux autres industries créatives et au domaines du high-tech.
  • 15. Partie 1: La création musicale en régime numérique, de nouvelles modalités de création en milieu professionnel et amateur, et de nouvelles attentes Pour comprendre les attentes des musiciens en régime numérique, amateurs ou professionnels, et identifier les imaginaires qui se développent au sein des communautés virtuelles de niche qu’ils forment, nous devons d’abord évoquer les évolutions technologiques qui précèdent le « régime numérique » actuel. En comprenant comment celles-ci sont passées du milieu scientifique au milieu professionnel puis amateur, nous pourrons mieux délimiter ce marché en supposée expansion, et identifier l’origine des discours de la démocratisation de la création musicale et les imaginaires qui concernent les instruments numériques. Pour cela nous interrogerons la notion de musicien amateur et son évolution dans l’histoire, pour comprendre comment elle se redéfinit au sein des communautés virtuelles de musiciens en régime numérique. 1. Une évolution des technologies de création musicale à l’origine de la naissance d’un nouveau marché ? 1.1 De la musique savante à la musique populaire, la naissance de standards techniques au coeur de la démocratisation des outils et du marché de la création musicale.
  • 16. Si elle s’est extrêmement répandue, l’utilisation de l’informatique, ou de manière plus générale des « machines » numériques ou analogique, comme outil de création musicale continue d’intriguer. Elle engendre des discours qui vont de la remise en question de la considération de ces outils comme instrument de musique, au rejet de certains genres musicaux comme la techno ou le hip-hop, dont l’équipement numérique est une composante essentielle. Cette citation du musicien électronique « Kojak » illustre bien ce type de discours : J’ai entendu pendant très longtemps cette réflexion au tout début où je faisais de la techno: « oui, mais ne c’est pas de la vraie musique ». Déjà, j’aimerais bien savoir ce qui est de la vraie musique et ce qui est de la fausse musique. Pour moi, à partir du moment où il y a des notes et une mélodie, c’est de la musique. Si l’objet de notre étude n’est pas d’émettre un jugement esthétique sur ces mouvements artistiques et les outils qui les caractérisent, il est important de contextualiser les prises de parole qu’ils entrainent, dans une chronologie technique et stylistique. Ce qui nous intéresse dans cet entretien avec le musicien « Kojak » c’est qu’il est révélateur du problème de perception qui caractérise l’équipement électronique et numérique.16 Deuxièmement, il y avait aussi ce réflexe de beaucoup de musiciens acoustiques qui ne comprenaient pas ce qu’on faisait parce qu’on travaillait avec des machines électroniques, et ça leur paraissait en fait un truc très flou, une espèce de gros robot mixer dans lequel on mettait nos sons, et puis il en sortait quelque chose. Un sampler, c’est comme une guitare ou un violon : c’est un instrument de musique, ce n’est pas un appareil qui joue tout seul, il faut le nourrir, et il faut bien le nourrir.17 Cet imaginaire de « l’appareil qui joue tout seul » repose sur la difficulté pour le spectateur de visualiser le processus de création sonore dans sa performance gestuelle, de comprendre le lien de cause à effet entre l’action du musicien et la réaction de l’instrument numérique. Ce que l’anglais qualifie de laptop music a très nettement accentué les inquiétudes nourries quant aux questions d’authenticité et de compétence, car on reproche à la machine de 16 PETIAU Anne, Pratique du sample, Entretien avec Kojak, Sociétés, 2001/2 n° 72, p. 103-106. 17 Idem.
  • 17. se substituer à l’humain et de le singer. Commençons par le contexte de la scène : les signes extérieurs d’activité corporelle y sont ténus et à peine perceptibles.18 En effet, la question de la performance du musicien en régime numérique suscite des interrogations, contrairement à celle de l’interprète utilisant un instrument acoustique ancré dans la culture commune depuis des siècles tel que le violon. Mais ce « reproche » fait à la machine n’est pas apparu avec l’avènement de l’informatique musicale, mais dès la moitié du vingtième siècle face à la naissance des mouvements musicaux électroacoustiques. Ces derniers reposent sur l’exploitation des technologies en développement à cette époque charnière, qu’on retrouve dans la pratique musicale en régime numérique, à savoir les outils d’enregistrement et de montage de sons acoustiques, et les outils permettant de synthétiser le son. Peut-on parler de révolution technologique dans le domaine de la musique? Oui : Aucun art traditionnel n’a été autant bouleversé, dans sa nature et dans ses modes de pratique et de communication, par les technologies d’enregistrement, de retransmission et de synthèse que ne l’a été la musique. Mais cette révolution ne date pas de la techno et des années quatre-vingt-dix, elle date des années cinquante, soixante et surgit notamment avec la musique savante, électronique et concrète, dont la musique techno apparaît à bien des égards comme un prolongement, voire un aboutissement.19 La musique concrète, ou acousmatique, théorisée et expérimentée par Pierre Schaeffer dès 1948, dans le cadre de l’art radiophonique, repose sur une utilisation particulière du matériel d’enregistrement sonore. Elle propose une nouvelle façon d’écouter des sons issus d’objets divers, préenregistrés et manipulés sur bande magnétique, pour leurs caractéristiques sonores propres. Le caractère « acousmatique »20 de l’écoute, c’est à dire le fait qu’on ne voie pas le geste et l’objet à l’origine du son, se retrouve aujourd’hui dans le montage sonore sur ordinateur. Cette volonté de travailler sur le timbre du son, soit « la qualité d’un son qui permet de le différencier de tous les autres sons ayant la même hauteur et la même intensité » 21 se retrouve aussi dans la musique 18 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit. 19 CHION Michel, Musiques,Médias et technologies, Paris, Flammarion,1994, p.7. 20 SCHAEFFER a formulé ce terme à partit du mot grec « Akousma » utilisé par Pythagore pour désigner l’enseignement qu'il donnait caché de ses disciples par un rideau 21 HONEGGER Marc, Science de la musique, tome 2, Bordas, 1976, Paris
  • 18. électronique, crée à partir de générateurs de signaux électriques qu’on retrouvera ensuite dans les synthétiseurs analogiques, et dont la première pièce enregistrée « Studie1 » a été composée par Karlheinz Stockhausen en 1953. Si les premiers instruments électroniques comme le Théremine (1920) ou les Ondes Martenot (1920) donnaient à voir un lien de cause à effet entre le geste et le son obtenu, les évolutions esthétiques de la musique savante des années 50 produite en studio par superposition de couches ont engendré de nombreux discours remettant en question le statut d’instruments de ces outils, et la musique qui était produite avec. Dans le texte « La musique et la machine » d’Umberto Eco remet en question ces discours mettant en cause tant les procédés de création que la diffusion de la musique, dans le cadre d’une industrie culturelle naissante. Il n'est pas rare de trouver de nos jours des moralistes de la culture se plaindre de la vente et de la consommation de la « musique faite à la machine », ou, pire encore, « de la musique en conserve » : le disque, la radio, les appareils enregistreurs, les nouveaux systèmes de production technique du son, comme les Ondes Martenot, les générateurs électroniques de fréquences, les filtres, etc.. On peut répondre à cela que depuis l'origine des temps, toute la musique — sauf la musique vocale — a été produite au moyen de machines. Que sont une flûte, une trompette, ou, mieux encore, un violon, sinon des instruments complexes que seul un « technicien » peut manier ? Il est vrai qu'il se crée entre l'exécutant et l'instrument un rapport presque organique, au point que le violoniste « pense » et « sent » à travers son violon, que le violon devient partie de son corps, chair de sa chair. Mais il n'a jamais été prouvé que ce rapport organique n'existe que lorsqu'il s'agit d'un instrument dont le caractère manuel est tel que l'identification au corps de l'exécutant s'opère facilement. 22 S’il faut replacer les questionnements des « moralistes de la culture » qu’Umberto Eco dénonce dans ce texte dans leur contexte historique, nous constatons que ce type de discours existe encore aujourd’hui. En effet, les instruments électroniques sont toujours utilisés de nos jours, sous une forme analogique proche des premier synthétiseurs, ou bien sous une forme numérisée dans des claviers numériques ou des logiciels informatiques. L’ordinateur a rapidement été envisagé comme un outil de création musicale. En 1956, Lejaren A. Hiller et Leonard M. Isaacson présentent les premiers travaux de composition assistée par ordinateur: Illiac Suite. La partition de cette pièce a été composée sur l'ordinateur Illiac I (IBM 7094) à l’aide d’un programme informatique calculant des rapports mathématiques entre les différentes lignes mélodiques, puis 22 ECO, Umberto, La musique et la machine, In: Communications, 6, 1965. pp. 10-19.
  • 19. interprétée par un quatuor à cordes au sein d'un studio du centre de recherches en informatique de l'Université d'Illinois. Un an plus tard, Max Matthews créée le programme MUSIC I, qui lui permet de mettre au point la première pièce musicale produite par un ordinateur, l’IBM 7040, qui occupe une pièce entière et doit fonctionner vingt minutes pour générer une seconde de son. Il s’agit de la composition « In the Silver Scale » de Newman Guttman, choisie car elle ne comporte qu’une seule voix, le programme de Matthews étant monophonique. En 1959, il développe MUSIC II qui permet de générer quatre voies, puis continue de faire évoluer son programme jusqu’a MUSIC V qui pose les bases des logiciels utilisés dans la recherche musicale académique, comme par exemple à l’IRCAM, l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique crée par Pierre Boulez en 1969. Si l’informatique musicale reste une pratique réservée au milieu scientifique jusqu’aux années 90, les années 60 voient l’enregistrement multipiste et la synthèse analogique être progressivement adoptés par les professionnels. En effet, si le guitariste Les Paul est reconnu pour avoir expérimenté l’enregistrement multipiste dès 1955, cette technologie se répand dans les studios dans les années 60, notamment sous l’impulsion des Beatles qui sont aussi le premier groupe à utiliser un synthétiseur analogique23 sur un disque de rock, en l'occurrence l’album « Abbey Road » en 1969. Cet instrument, créé par Robert Moog, se démocratise ensuite chez les musiciens professionnels dans les années 70 avec la commercialisation du Minimoog, qui est plus compact et transportable sur scène. Cependant, il faut attendre les années 80 pour assister à la numérisation des dispositifs d’enregistrement et de création sonore, qui imposera de nouveaux standards techniques qui seront au coeur de la pratique amateur du home-studio. Le début des années 1980 a su mettre en place tout un ensemble de changements culturels et techniques qui ont posé les bases du régime numérique musical 24 23 La synthèse analogique est basée sur des générateurs de fréquences et des circuits électroniques, contrairement à la synthèse numérique initiée par Max Matthews. 24 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit
  • 20. L’enregistrement multipiste digital se répand dans les studios 25 dès le début de la décennie, mais ne devient abordable pour les amateurs qu’a partir de 1987 avec la commercialisation des cassettes digitales DAT (Digital Audio Tape) crées par Sony. Les progrès effectués dans la digitalisation du signal audio permettent aussi l’apparition d’un nouvel instrument, l'échantillonneur (ou sampler en anglais) qui permet de manipuler des sons issus d’instruments préenregistrés ou de manipuler des sources sonores. Le sampler permet aux musiciens d’utiliser des sons issus d’instruments qu’ils ne possèdent pas, comme des violons, des pianos ou des percussions, et seront utilisés pour créer de nouvelles esthétiques à l’oeuvre dans la musique hip-hop et la musique électronique. Outre l’évolution des possibilités d’enregistrement, cette décennie voit voit s’opérer une transmission des technologies de synthèse musicale du domaine scientifique au domaine professionnel et amateur, et voit apparaitre de nouveaux standards de communication entre les instruments, dans un contexte de démocratisation de l’ordinateur personnel. Pour Nick Prior, l’année 1983 est particulièrement importante. 1983 a vu l’avènement de plusieurs équipements et procédés musicaux fondamentaux dont l’apparition est emblématique de la mondialisation de l’industrie électronique et notamment de sa migration vers l’Extrême-Orient et l’Asie du Sud-Est26 Premièrement, cette année est marquée par la commercialisation du Yamaha DX7, le premier synthétiseur numérique, issu des recherches de John Chowning, élève de Max Matthews, sur la synthèse à modulation de fréquence qui permet d’obtenir des sons polyphoniques harmoniquement riches en mobilisant moins de puissance de calcul. Relativement abordable, cet instrument rencontre un important succès commercial, a marqué la musique des années 80 et a contribué à rendre accessible la synthèse sonore. Deuxièmement, l’année 1983 est celle de la naissance du langage MIDI (Music Instruments Digital Interface) qui reste encore aujourd’hui au centre de la musique assistée par ordinateur. Ce nouveau standard technique est né de la collaboration entre les principaux acteurs économiques du marché des synthétiseurs, les constructeurs japonais Yamaha et Roland, et les américains Moog, Oberheim et Sequential Circuits. 25 « Bop ‘til you drop « de Ry Cooder est le premier album de musique pop enregistré numériquement, en 1979 26 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit
  • 21. Avant l’adoption de cette technologie, plusieurs standards de communication (électrique et non numérique) entre les synthétiseurs et boites à rythmes coexistaient. Face à ce constat, Dave Smith, président de Sequential Circuits propose à ces homologues d’adopter le protocole MIDI qu’il commence à mettre au point. Lors de la convention NAMM (National Association of Music Merchants Show), qui réunit encore aujourd’hui tout les industriels du secteurs pour présenter leurs derniers produits, Dave Smith et le fondateur de Roland, Ikukaro Kakehashi, font la démonstration de la synchronisation entre les synthétiseurs de leur marques respectives. Cette stratégie adaptée au marché de la musique des instruments électroniques s’avère bénéfique tant sur le plan économique que communicationnel. Les constructeurs évitent ainsi d’entrer dans une guerre des standards et imposent le protocole MIDI qui remporte très vite un grand succès.27 Outre la possibilité de synchroniser différentes machines autour d’un seul musicien et de les piloter à partir du même clavier, ce format a modifié les modalités de création musicale, en ne transmettant pas du son mais des informations de hauteur de note, de durée, et de modification de paramètres sur 127 pas. C’est pourquoi Théberge le compare à la notation musicale classique du solfège, dans le sens où le MIDI sépare le « langage » musical du son généré, l’interface numérique ne fournissant que des données, et les sons correspondants étant reproduits par un autre dispositif matériel ou logiciel.28 La performance du musicien (jouée par exemple au clavier) est enregistrée, elle peut ensuite être modifiée dans le détail, et le générateur de son peut être modifié à l’envie. Le musicien peut choisir de faire jouer sa prestation par un piano, un synthétiseur ou son de saxophone échantillonné, mais peut aussi dupliquer certaines notes ou corriger ses erreurs. La norme MIDI, comme tout langage universel, a permis d’unifier ce qui aurait pu devenir un paysage fragmenté d’instruments de musique, en verrouillant les progrès technologiques qui allaient suivre dans un nouveau cadre paradigmatique d’enregistrement et d’interprétation.29 27 Notons en comparaison que l’apparition du CD audio, en 1982, résulte d’une collaboration entre Philips et Sony. 28 THÉBERGE, Paul, Any Sound You Can Imagine: Making Music / Consuming Technology, Hanovre et Londres: Wesleyan University Press, 1997 29 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit
  • 22. Le format se retrouvera rapidement au centre des studios (amateurs et professionnels) car il permet de faire communiquer synthétiseurs, boites à rythmes, sampleurs et séquenceurs, qui seront ensuite synchronisables avec les premiers magnétophones numériques et les ordinateurs personnels comme l’Atari ST (disposant d’une prise MIDI) qui commencent à se démocratiser. Les micro-ordinateurs comme le Sinclair ZX81, le BBC Micro ou le Sinclair ZX Spectrum sont mis sur le marché dans ces années-là, et établissent la popularité de l’ordinateur de bureau avec moniteurs et interfaces graphiques. Ce n’est pas un hasard si les ventes de Commodore 64, le modèle d’ordinateur le plus vendu au monde toutes époques confondues, décollent à cette même période. Avec sa célèbre puce sonore SID (Sound Interface Device), le C64 et son microprocesseur 8 bits généraient des textures sonores grinçantes typiques, emblématiques d’une industrie des jeux électroniques alors naissante.30 A la fin des années 80, l’ordinateur peut donc devenir le centre névralgique du studio amateur, en pilotant les autres machines qui génèrent du son, ou l’enregistrent (sur bande ou sur format digital). Dans les années 90, ces différentes technologies convergent au sein de l’ordinateur sous une forme virtuelle, et financièrement plus accessible. 1.2 L’ordinateur personnel, un Meta-Instrument à l’origine d’un bouleversement des mondes de l’art. En 1990, la société Opcode présente StudioVision lors de la convention Namm. Il s’agit de la première station audionumérique ( soit DAW pour Digital Audio Workstation en anglais ), c’est à dire le premier logiciel qui allie édition midi, édition audio et enregistrement audio, en exploitant les progrès technologiques en terme de stockage qui permettent désormais l’enregistrement directement sur le disque dur de l’ordinateur ( « direct to disk » ). Pour Robert Strachan, la station audionumérique couplée à un ordinateur représente « l’une des avancées les plus marquantes dans l’histoire de la composition musicale numérique ».31 Il ne s’agit pas ici de verser dans le déterminisme technologique, mais de démontrer qu’en regroupant des pratiques et des technologies préexistantes et en 30 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit 31 STRACHAN Robert, Affordances, stations audionumériques et créativité musicale, Réseaux, 2012/2 n° 172, p. 120-143.
  • 23. les présentant différemment, l’ordinateur équipé d’un logiciel DAW les rend plus accessible et induit de nouvelles modalités de création. Pour Nick Prior, qui s'intéresse plus particulièrement au rôle de l’ordinateur portable en studio et sur scène, le DAW a permis de faire de l’ordinateur un « méta-instrument », un dispositif qui émule différents instruments et outils. L’ordinateur portable incarne la convergence technologique (Jenkins, 2000)32 . Effectivement, pour peu qu’on possède le bon logiciel, le portable remplace une foule de matériels : portastudio multipistes, synthétiseurs, table de mixage, samplers, tranches de console, compresseurs, ampli de guitares, pédales d’effets et modules de sons.33 Pour Strachan, les logiciels qui ont précédé les DAW, ce qu’il nomme les « proto DAW », tentaient déjà de reproduire l’équipement du studio, à la fois en terme de possibilités mais aussi dans leur représentation graphique. L’introduction par les développeurs de logiciels de musique de ces diverses fonctions dans le système de l’ordinateur peut signifier qu’ils tentaient de « recopier » sous des versions virtuelles une technologie matérielle bien connue des musiciens.34 On peut donc penser qu’il existait déjà chez ces développeurs une volonté de rendre ces technologies accessibles aux ingénieurs du son comme aux musiciens professionnels et amateurs. La mise en place des bases fonctionnelles du DAW encore présentes dans les logiciels actuels donne à voir, sur le plan sémiologique, une représentation graphique du matériel de studio, comme par exemple celle de la console de mixage: «Plutôt que de déplacer des potentiomètres ou d’appuyer sur des boutons, on attend des utilisateurs qu’ils utilisent la souris pour sélectionner et modifier les paramètres».35 Nous pouvons donc nous demander s’il s’agit d’une remédiation. Ce 32 JENKINS, Henry, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, Londres, New York University Press, 2006 33 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit 34 STRACHAN Robert, Affordances, stations audionumériques et créativité musicale, op. cit. 35 « Rather than tweaking faders and pressing knobs, however, users were expected to use the computer mouse to select and change parameters. », traduit par nous même, PRIOR Nick, OK COMPUTER: Mobility, software and the laptop musician, 2008, Information, Communication & Society.
  • 24. concept hérite de McLuhan36 pour qui chaque nouveau médium met en scène son prédécesseur. Il a été théorisé par Bolter et Grusin qui expliquent que les nouveaux médias empruntent les technologies qui les précèdent, et les re-configurent.37 On retrouve donc la trace d’un ancien médium dans un nouveau. Si le matériel de studio ne peut être considéré comme un médium, on constate que le DAW met en scène cet ensemble de dispositif, d’une manière qui se rapproche de ce que Bolter et Grusin nomment l’hypermediacy, un type de représentation visuelle qui vise à rappeler à celui qui regarde la présence du médium.38 A gauche la fenêtre «  mixer  » du logiciel Cubase, et à droite une console de mixage de la marque Soundcraft. Ces deux interfaces ont pour fonction d’ajuster le niveau sonore de différentes pistes audio. Cette dynamique d’imitation des machine s’accentue en 1996 lorsque la marque Steinberg crée le protocole VST (Virtual Studio Technology) pour son logiciel DAW Cubase Vst. Il permet d’appliquer des effets modifiables en temps réel via une interface graphique sur chaque piste, puis plus tard des instruments virtuels (Le premier synthétiseur virtuel, « Neon » est inclu dans Cubase VST en 1999). L’interface de ces plugins reproduit l’interface des effets en rack (réverbérations, filtres ...) que l’on peut observer dans les studios professionels. Adoptant une stratégie d’ouverture, Steinberg 36 MCLUAN, Marshall, Pour comprendre les média: les prolongements technologiques de l’homme, Paris, Mame/Seuil, 1977. 37 BOLTER, Jay, GRUSIN, Richard, Remediation: Understanding New Media, 2000, Cambridge, MA: MIT. 38 « A style of visual representation whose goal is to remind the viewer of the medium. » in BOLTER, Jay, GRUSIN, Richard, Remediation: Understanding New Media,op. cit.
  • 25. permet à d’autres développeurs d’adopter ce format qui devient un standard.39 Depuis, l’offre de plugins s’est étoffée, et de nouveaux acteurs, des petites structures de développeurs comparables au modèle des start-up, se sont spécialisés sur ce créneau. Cependant les logiciels de Musique Assistée par Ordinateur ne se limitent pas a une représentation graphique du studio, mais mettent en oeuvre de nouvelles modalités de manipulation et de hiérarchisation des informations comme le copier-coller, issues des interfaces utilisateurs graphiques (IUG) qui se sont développées dans les années 80 qui sont elles mêmes issues d’une remédiation par le biais de métaphores issues de la bureautique (les icônes dès les années 70, puis le bureau et les dossiers avec le Macintosh en 1984, puis des manipulations telles que le découpage et le collage) Ainsi, même si les premiers DAW proposaient une réplique virtuelle des équipements techniques, tels que les tables de mixage ou les séquenceurs pas à pas sous forme de représentations graphiques affichées à l’écran, ils se sont de facto inspirés d’un langage métaphorique plus riche qui, lors de la décennie précédente, avait contribué au développement des interfaces graphiques, notamment comme on le montrera, dans le domaine de la bureautique. 40 Cette remediation mis en place un certain nombre d’affordances. Ce terme théorisé par Gibson en 1966, désigne les possibilités d’action d’un objet telles que les perçoit l’acteur. C’est à dire que l’objet donner à voir des affordances à l’utilisateur, qui lui signalent l’ensemble des possibilités d’action avec celui-ci. 41 Prenons l’exemple d’une tasse, la présence d’une anse indique à l’individu la façon dont on attend qu’il manipule l’objet. Par le biais des affordances, les concepteurs inscrivent donc des usages dans l’objet technique. Notons que les stratégies d’affordance propres au DAW reposent sur des signes qui renvoient aux logiciels de bureautique et au matériel de studio, tout en y ajoutant de nouvelles interfaces de création telles que le piano roll qui est devenu la norme dans tout les logiciels: il permet de disposer des notes midi sur un espace ou le 39 Face à ce choix rappelant des stratégies d’alliance et de communication à l’oeuvre dans l’adoption de certains standards technologiques grand public ( l’exemple du Compact Disc par exemple, bien qu’il s’agisse plus d’une collaboration (entre Phillips et Sony) que d’une ouverture de la technologie ), on peut émettre l'hypothèse que Steinberg a fait ce choix car il est adapté à un marché de Niche. Dans ce contexte, une stratégie de forclusion aurait été plus risquée. 40 STRACHAN, Robert, Affordances, stations audionumériques et créativité musicale, op. cit. L’auteur fait réici référence à BLACKWELL, Alan F., « The Reification of Metaphor as a Design Tool », ACM Transactions on Computer-Human Interaction, 2006, 13(4), 490-530. 41 GIBSON, James, The senses considered as perceptual systems, 1966, Boston, Houghton Mifflin.
  • 26. temps est représenté en abscisse et les notes en ordonnées, symbolisées par des touches de piano. Les stations audionumériques informatisées ne reposent donc pas seulement sur l’émulation de dispositifs existants, et « la standardisation de leur fonctionnement, leur apparence visuelle et leur convivialité a fait émerger de nouveaux modes de création » 42. L’objet de cette étude n’est pas de se demander comment le dispositif informatique redéfinit la perception du son et sa manipulation dans le temps (puisque sa représentation graphique permet de représenter les ondes sonores enregistrées et de les modifier pendant que le son est joué), mais il est important de comprendre comment ces nouvelles modalités de création impliquent des attentes particulières chez les musiciens, auxquelles les développeurs doivent répondre. À l'ère analogique, un ingénieur du son « écoutait » au sens propre la musique qu'il mixait. Avec l'ordinateur et les interfaces graphiques, le son est visualisé autant qu'il est écouté. Cela favorise l'anticipation par le regard et une perception de la musique en instants sécables, une série de blocs isolables que l'on peut figer pour les manipuler à volonté. Le « copier-coller » devient une fonction clé dans le travail de composition. Ce qui différencie aussi les home studistes, c'est leur faculté à se mouvoir dans des univers totalement virtualisés. Manipuler un vrai instrument ou sa représentation virtuelle sur un écran n'induit pas les mêmes opérations mentales, le même rapport au son, à l'instrument...43 En effet, la démocratisation de la création musicale ne découle pas seulement d’une accessibilité financière du matériel, mais d’une facilitation de la composition, car il est possible de travailler les timbres sonores, les mélodies et les rythmes sans le recours à une partition, comme le précise Jacques Demierre : La possibilité de se passer d’une notation musicale traditionnelle et de maîtriser une lutherie électronique en un temps bien plus rapide qu’il ne faut pour apprendre un instrument acoustique a permis à tous, musiciens et non-musiciens, un accès au son et une facilité de contact avec la matière sonore pour l’instant unique dans l’histoire de la musique.44 En effet, il est possible de s’écarter de l’écriture solfiée traditionnelle en procédant par essais successifs notamment grâce au protocole MIDI, ou bien d’aborder la 42 STRACHAN Robert, Affordances, stations audionumériques et créativité musicale, op. cit. 43 LE GUERN, Philippe, « Ultramoderne Solitude », interview in Tranzistor, publié le 25 Juin 2012, consulté le 4 Juin 2013, [disponible en ligne : http://www.tranzistor.org/article-musiqueactuelles-laval-mayenne-53-66-a-2012/ ] 44 DEMIERRE, Jacques, Avant-propos, Contrechamps, n° 11, Musiques électroniques, Genève, Éditions L’Age d’homme, 1990, p. 7.
  • 27. composition traditionnelle avec de nouvelles modalités d’écriture comme le déplacement de notes, la transposition et le copier coller. 2. Le musicien amateur en régime numérique. Nous avons évoqué précédemment comment l’ordinateur, par le biais des DAW, est devenu un « méta-instrument », faisant converger différentes possibilités de création sonore dans un même dispositif, en « virtualisant » le matériel de studio, le rendant ainsi financièrement accessible aux amateurs. Dans le contexte socio-technique contemporain que représente le « régime numérique », il nous faut définir clairement le statut de musicien amateur pour comprendre les attentes et les interactions propres aux communautés virtuelles de musiciens. 2.1 Qu’est ce qu’un amateur ? Le terme amateur est polysémique, car il recouvre plusieurs définitions apparues au cours de l’histoire avec l’évolution des pratiques musicales. Etymologiquement, amateur vient du latin amator, signifiant celui qui aime. Ce terme peut donc désigner un individu s’investissant avec passion dans la consommation de la culture, Antoine Hennion estime dans ce cas qu’« il faut considérer l’amateur non pas comme un producteur, mais un producteur de sa propre relation à l’objet, de l’attachement à ses pratiques. »45 Cette figure de l’amateur prend sa source aux XVI ème et XVII ème siècles avec les « érudits » issus de l’aristocratie qui se spécialisent dans certains domaines. Pour Polnian cette période est celle d’une « culture de la curiosité »46 qui aurait « gouverné par intérim entre le règne de la théologie et celui de la Science ». L’activité de collectionneur de ces hommes, plus curieux que savants, se concentre autour du « cabinet de curiosités ». 45 HENNION Antoine, La Passion musicale. Une sociologie de la médiation, Paris, Métailié, 1993 ; nouvelle édition, 2007. 46 POMIAN, K, Collectionneurs, Amateurs et Curieux, Paris, Venise: XVI ème - XVIII ème siècle, Paris, Galllimard 1987. p. 80.
  • 28. La deuxième définition de l’amateur, qui nous intéresse dans le cadre de nos recherches, désigne un individu s’investissant dans une pratique culturelle ou sportive, mais n’étant pas expert, avec parfois une certaine connotation péjorative visant a désigner celui qui « fait mal les choses ». Les pratiques amateurs sont définies dans les études académiques consacrées aux pratiques cultuelles des français comme des activités « pratiquées pour le plaisir, à des fins personnelles ou pour un cercle restreint à des proches en opposition à un exercice professionnel » 47. Mais cette opposition est apparue qu’au XVIIIème siècle, avec le processus de modernisation culturelle qui marque ce que le sociologue allemand Max Weber appelle l’avènement de la modernité esthétique.48 Cette période marquée par « l'intellectualisation et la spécialisation »49 dans la science mais aussi dans la culture. Cet avènement de la modernisation culturelle opère une rationalisation des images du monde mettant fin à toute représentation cosmogonique unitaire. Elle conduit ainsi à la différenciation de trois domaines d'action aux sphères de valeurs propres à partir des composantes cognitives, normatives et expressives de la culture : la science, la morale et l’art. Ainsi au cours du XVIII'" siècle, les arts, la littérature et la musique s'institutionnalisent sous la forme d'un domaine d'action qui rompt avec la vie sacrée et la vie de la cour: une sphère publique autonome, c'est-à-dire un ensemble d'institutions et d'acteurs spécifiquement consacrés aux pratiques artistiques (du côté de la production) et esthétiques (du côté de la réception). 50 Au XXème siècle, la reproductibilité des images avec la photo, du son avec le disque, puis du jeu d’acteur avec la vidéo, marque l’avènement de l’industrie culturelle et de la culture de masse. Le musicien professionnel n’est plus seulement un artiste qui joue sa musique en public, mais qui l’enregistre. Avec la naissance de l’industrie du disque, les institutions, les acteurs économiques, et les métiers techniques se multiplient, ainsi les mondes de l’art. Pour Becker, l’amateur est d’ailleurs celui qui n’appartient pas au « Monde de l’art » correspondant à l’activité à laquelle il s’adonne, et n’a pas accès aux outils des professionnels. 47 DONNAT Olivier ct COGNEAU, Les Pratiques culturelles des Français, Découverte-La Documentation française, 1990, p. 127. Paris., La 48 WEBER, Max, Parenthèse théorique. Le refus religieux du monde ses orientations et ses degrés, Archives des sciences sociales des religions, 1986. n" 61/1. p. 7-:34. 49 WEBER, Max, Le Savant et le Politique, Paris, 1919, lJGE., coll. « 10/18 », p198. 50 ALLARD Laurence, L'amateur: une figure de la modernité esthétique, In: Communications, 68, 1999. Le cinéma en amateur. pp. 9-31.
  • 29. Laurence Allard fait remarquer que l’ère de la reproductibilité de l’oeuvre d’art (pointée par Walter Benjamin qui s’inquiète de la disparition de son « Aura ») fait entrer le grand public dans une « culture des loisirs » (marquée notamment par la fréquentation des cinémas, mais surtout que les amateurs deviennent les acteurs de cette culture des loisirs, ce que les fabricants d’appareils photo puis de camescopes ont très rapidement compris et encouragé. La photographie de famille s'est, en effet développée avec succès depuis l'apparition de l'appareil Kodak. Si l'existence de cette pratique sociale de fabrique privée d'icônes familiales a révolutionné la tradition du portrait de famille, l'usage domestique et profane du cinéma semble aller de soi: il s'inscrit dans le progrès technique. Ainsi, en plus du développement public du cinéma en salle, les fabricants ont cherché, dès le début de l'invention du Cinématographe, à s'attirer une clientèle familiale privée en proposant, avec plus au moins de succès, des appareils de prise de vues d'utilisation simple. 51 Au même titre qu’il existe aujourd’hui des photographes et des vidéastes amateurs aux connaissances poussées et ayant accès à un matériel très qualitatif, les musiciens amateurs ont accès à des technologies proches de celles des professionnels, ce qui peut nous amener à remettre en question le point de vue de Becker.52 Ces monopoles sont aujourd’hui en pleine mutation ou en plein recul et ce phénomène est dû en partie aux équipements et à leurs usages : les objets et les outils qui faisaient autrefois toute la différence entre l’amateur et le professionnel, sont aujourd’hui à la portée de l’un comme de l’autre. Les équipements sophistiqués qui érigeaient des barrières financières quasiment infranchissables autour du secteur de la production, ne sont plus une condition préalable à la qualité.53 Ces « nouveaux » musiciens amateurs auxquels nous nous intéressons ici, ne se définissent pas seulement par leur matériel, mais par une expertise technique développée. 51 Idem. 52 Il est intéressant de constater la démocratisation du matériel photographique, et vidéo dans une moindre mesure, amène parfois les professionnels à dénoncer la concurrence déloyale d’amateurs non déclarés qui acceptent d’être moins payés. Dans le secteur de l’enregistrement musical, ce type de discours est plus rare, car c’est surtout les effets la crise du disque (et donc du piratage) qui sont mis en avant: les majors investissent moins dans le développement de nouveaux artistes, et on par exemple tendance a attendre d’un jeune groupe qu’il propose des maquettes de morceaux quasi-définitives. 53 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit.
  • 30. Ces nouveaux amateurs possèdent de réelles compétences technologiques et prennent les choses très au sérieux ; ce sont des praticiens convaincus recherchant une qualité professionnelle, mais sans les infrastructures à disposition des professionnels ni les qualifications classiques de ces derniers.54 On peut donc dire qu’ils s’engagent dans que que Stebbins nomme un « loisirsérieux », qui diffère d’un simple loisir de détente car ils investissent beaucoup de temps et d’argent dans l’apprentissage et la recherche de matériel, se fixent des objectifs précis et tirent une certaine satisfaction de la construction de cette identité sociale liée à leur pratique.55 Ainsi, même s’ils ne se fixent pas forcément un objectif de professionnalisation, il s’engagent avec sérieux dans ce que Flichy appelle la « réalisation de soi ».56 L’équipement d’enregistrement audionumérique permet donc aux musiciens amateurs de produire (et de distribuer) leur musique de façon autonome. Cependant, il faut noter, pour ne pas s’enfermer dans un discours naïvement optimiste, qu’il est difficile pour les amateurs souhaitant se professionnaliser d’être totalement indépendants des acteurs économiques du monde de l’art de l’industrie musicale. Premièrement, sur le plan technique, un groupe (ou un musicien) qui compose enregistre et mixe sa musique lui même, devra souvent faire appel à un professionnel pour le mastering 57, qui implique la mise en oeuvre de connaissances particulières et de matériel haut de gamme très onéreux. Sur le plan de la distribution et de la communication, même si l’ordinateur est une « unité de production tout-en-un associant composition, diffusion et consommation » 58, et donc « un véritable méta-dispositif technologique »59. il reste difficile de rivaliser avec la puissance des majors (ou de certains labels indépendants importants). S’il existe de nombreux exemples d’artistes « révélés sur internet » qui alimentent certains 54 Ibid. 55 STEBBINS, Robert, Serious Leisure: A Perspective for our Time , Edison, NJ, 2007,Transaction Publishers. 56 FLICHY, Patrice, Le sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique, Seuil, 2010. 57 L’étape du mastering intervient après le mixage des différentes pistes audio d’un titre. Elle consiste a appliquer divers traitements sonores à la fois dans un but esthétique mais aussi pour augmenter le niveau sonore conformément au standards de l’industrie du disque. On grave ensuite un « master » qui servira de base pour la copie sur CD ou Vinyle (cette étape n’est pas nécessaire dans le cas d’une distribution essentiellement digitale. 58 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit. 59 Idem.
  • 31. imaginaires idéalistes de l’internet, l’offre de musique est très saturée, et il est donc difficile de se faire connaitre sans investir beaucoup de temps et d’argent dans la communication et les relations presse. A l’ère du matériel audionumérique devenu plus accessible de nombreux artistes adoptent une stratégie consistant à enregistrer soi même la musique pour proposer un produit quasi fini aux labels. De plus, dans certains rares cas, les labels, témoins de la popularité d’un artiste amateur sur internet, pourrons choisir de le signer car la prise de risque financière est moins importante. Dans ces cas là, l’artiste fait souvent d’un positionnement marketing d’artiste « révélé par internet ». Mais dans d’autres cas, l’artiste peut se professionnaliser sans collaborer au monde de l’art dominant dans la musique populaire. Plusieurs raisons peuvent expliquer qu’un artiste n’ait pas la possibilité de signer avec une maison de disque. Par exemple, un artiste de musique ayant un public restreint, musique dite de niche, peut ne pas être assez rentable pour une maison de disque. Ou encore, l’autoproduction peut être la «norme» dans le genre musical que pratique l’artiste. Ainsi dans notre enquête, parmi les musiciens qui ont choisi de s’autoproduire, 66% indiquent le fait que ce soit «la règle» dans leur univers musical a été un facteur assez important ou très important dans leur décision. Les genres musicaux les plus concernés sont les musiques urbaines (100%) et les musiques électroniques et la techno (79%). 60 En effet, les évolutions esthétiques de la musique populaire depuis les années 80 remettent en question la distinction entre professionnels et amateurs formulée par Becker, car certains genres musicaux sont nés d’une approche amateur. 2.2 Entre autodidactie et création de nouvelles esthétiques Nous avons évoqué précédemment comment la synthèse analogique puis les technologies numériques de synthèse et d'échantillonnage ont apporté de nouvelles possibilités esthétiques dans le traitement du son. La technologie au XXème siècle a en outre permis la maîtrise de paramètres sonores jusqu'alors secondaires et qui sont passés au premier plan : l'intensité, le timbre et la spatialité 60 BACACHE Maya, BOURREAU Marc, GENSOLLEN Michel, MOREAU François, Les Musiciens dans la révolution numérique, Inquiétude et enthousiasme, op. cit.
  • 32. du son. Ces paramètres se sont vus renforcés aussi bien dans la musique populaire que dans la musique savante. Le partage des technologies a autorisé assez fréquemment des problématiques communes dans ces musiques.61 Les outils d’enregistrement ont été utilisés à des fins d’expérimentation esthétiques et parfois détournées de leurs usages inscrits quasiment dès les débuts de l’enregistrement sonore. Tout d’abord en jouant avec l’espace interne du lieu d’enregistrement pour obtenir des colorations du son particulière avec la réverbération, une technique poussée à son paroxysme par Phil Spector et son « Wall of Sound »62 qui pose sa signature sur les disques des Beatles. L’enregistrement sur bande multipiste a permis de superposer des couches sonores, de jouer avec la vitesse des bandes, ou de créer un effet d’écho en chainant deux enregistreurs.63 La musique populaire des années 80 est marquée par l’utilisation de synthétiseurs et par un usage des effets du studio qui s’écartent encore plus d’une simple volonté de rendre le son des instruments plus naturel, en usant par exemple de la réverbération numérique de manière appuyée sur les percussions. A cette époque, le matériel commençant à être plus accessible, les musiciens amateurs vont se situer dans la continuité de cette dynamique d’expérimentation sonore 64, tout en ayant la possibilité de travailler seuls sur toute la chaine de création, de la composition au mixage, une tendance qui s’amplifie avec la démocratisation de l’ordinateur personnel dans les années 80, et son omniprésence dans les années 90. On pourrait penser qu'il y a une coupure radicale entre les « digital natives » et les musiciens prénumériques. Or on voit que de nombreux musiciens de 50-60 ans ont intégré depuis longtemps ces outils. Cela dit, ils se servent généralement du home studio comme outil d'enregistrement. Ils branchent leurs guitares sur leur carte son... Avec les technologies home studio sont nés des courants comme le rap ou les musiques électroniques qui imposent une 61 KOSMICKI Guillaume, Musiques savantes, musiques populaires : une transmission ? Conférence donnée pour la Cité de la Musique dans le cadre des « Leçons magistrales » le 28 novembre 2006 62 Harvey Phillip Spector est connu pour avoir mis au point la technique du Wall of sound que l’on peut résumer par l’addition d’un signal enregistrant un groupe dont les différentes parties instrumentales sont doublés, triplées etc (plusieurs guitares, plusieurs pianos…) et de ce même signal enregistré dans une chambre de réverbération. 63 Le guitariste Les Paul est considéré comme le pionnier de cette technique qui consiste à enregistrer le signal d’un magnétophone sur un autre magnétophone et de le faire jouer simultanément, l’effet d’echo provenant d’un décalage temporel entre les deux signaux. Pour plus d’information voir DOYLE Peter, Echo and Reverb, fabricating space in popular music recording 1900-1960, Wesleyan University Press, USA, 2005 64 Nous utilisons ici ce terme comme une expérimentation sur des paramètres sonores autre que les rythmes et les hauteurs de notes, c’est à dire des paramètres différents de ceux qui caractérisent la composition musicale au sens traditionnel.
  • 33. nouvelle façon d'envisager la musique : on travaille seul, et non plus en groupe, configuration traditionnelle du rock ou de la pop.65 En effet, si le home studio a permis d’une part d’enregistrer des instruments acoustiques, il est rapidement devenu le lieu de l’expérimentation et du détournement des outils, dans un contexte ou le musicien peut prendre son temps contrairement aux studios professionnels payés à l’heure. Les technologies numériques d’édition musicale ne sont pas « révolutionnaires » à proprement parler, mais elles sont uniques de par leur potentiel combinatoire, leur capacité à associer et détourner de leurs fonctions premières de vieux équipements analogiques, mais aussi à encourager l’apparition de nouveaux styles.66 Ainsi, si les musiciens acoustiques amateurs souhaitent donner à leurs enregistrements un son le plus proche possible de celui de disques enregistrés en studio, d’autres amateurs ont trouvé dans le home studio les moyens de mettre au point de nouvelles esthétiques. Les différents courants de musique électronique (au sens populaire du terme, et non savant) sont marqués par une utilisation particulière des machines, dont certaines étaient considérés à l’époque comme obsolètes par les musiciens traditionnels. On peut donc apparenter ces usages détournés au « braconnage » théorisé par De Certeau. Il existe un art d'utiliser les produits imposés, de les faire fonctionner sur un autre registre. Ce sont des opérations d'appropriation et de réemploi, des pratiques de détournement économique comme la « perruque ». Cet art de combiner est indissociable d'un art d'utiliser, il forme un mixte de rite et de bricolage. Une forme de braconnage. 67 Ainsi, des genres apparus à la fin des années comme la Techno (à Detroit, USA) et la House (à Chicago, sur les bases du Disco) repose sur l’utilisation des boites à rythme Roland considérées comme obsolètes par les musiciens traditionnels de part leur incapacité à reproduire fidèlement une batterie acoustique, et de synthétiseurs 65 LE GUERN, Philippe, «Ultramoderne Solitude», op. cit. 66 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit. 67 DE CERTEAU, Michel, L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris : ed. Gallimard, coll. Folio Essais 146, vol 1, 1990
  • 34. analogiques plus anciens devenus accessibles car délaissés au profit de leur équivalents numériques (les synthétiseurs numériques disponibles à l’époque comme le Yamaha DX7 sont aussi récurrents bien que plus onéreux). Par exemple, le morceau Acid Tracks, composé par le groupe Phuture (composé de DJ Pierre, Sleezy D et Herb Jr) en 1985 marque les débuts de l’Acid House. DJ Pierre explique ainsi la genèse de ce morceau composé à l’aide d’une Roland TB 303. Je voulais faire quelque chose qui sonnait comme ce que j’entendais au Music Box, ou ce que j’entendais joué par Fairley [Jackmaster Funk] à la radio. Mais quand nous avons créé « Acid Tracks » c’était un accident. Simplement de l’ignorance. On ne savait pas bien utiliser la [Boite a rythme Roland] 303. […] J’ai commencé à tourner les boutons et ils m’ont dit « oui, j’aime bien, continue ce que tu est en train de faire.68 Ce synthétiseur, équipé d’un séquenceur permettant de programmer une boucle mélodique, a été crée pour imiter un son de guitare basse afin de permettre aux guitaristes de s’entrainer avec un accompagnement. Son son étant peu fidèle, il rencontra un échec commercial et sa production fût arrêtée. L’usage quand a fait DJ Pierre, en modulant les paramètres de réglage de façon continue, n’était pas prévu par les concepteurs. Aujourd’hui, cette machine, comme nombre de synthétiseurs analogiques dits vintage et les boites à rythme Roland sont rares car produits à peu d’exemplaires, très recherchés, et se vendent beaucoup plus cher que leur prix d'origine sur le marché de l’occasion. D’autres genres comme le Hip-Hop sont basés par essence sur le sampling (ou échantillonnage), puisque les morceaux instrumentaux sont basés sur le collage de fragments sonores ou de boucles de batteries issues de disques existants. Le sampleur, dont le plus connu est l’Akai MPC, permettant de séquencer les sons en pressant des boutons carrés, est donc semiologiquement indissociable du mouvement Hip-Hop. Le style Drum and Bass né au Royaume Uni dans les années 80 repose aussi sur l'échantillonnage de boucles de batterie, mais le tempo est accéléré et les rythmes déstructurés, pour obtenir un résultat qui est quasiment impossible de faire jouer à un 68 I wanted to make something that sounded like things I’d hear in the Music Box, or I heard Fairley play on the radio. But when we made « Acid Track », that was an accident. It was just ignorance, basically. Not knowing how to work the damn 303. […] I started turning the knobs up and tweaking it, and they were like « Yeah, I like it, keep doing what you’re doing ». (traduction personnelle). PIERRE JONES Nathaniel (DJ Pierre) in BREWSER, Bill, BROUGHTON, Frank, op.cité.
  • 35. batteur. Certains producteurs de ce qui a été appelé l’Intelligent Dance Music par les journalistes vont encore plus loin dans le détournement des sampleurs et de l’ordinateur, en provocant volontairement des artefacts numérique et des bugs pour obtenir des sons stridents appelés glitches. Ce ne sont pas les principes caractéristiques de la techno 69 (tels que le mixage et l’échantillonnage) qui sont radicalement nouveaux, puisqu’ils sont globalement disponibles depuis les années 50, et sont employés dans l’ensemble de la production musicale. Toute la musique contemporaine (classique, rock, et autres...) est mixée en studio avant d’être enregistrée et diffusée. [...] La nouveauté réside moins dans les procédés techniques utilisés que dans l’usage exclusif, systématique et généralisé; alors qu’auparavant cet aspect technique de la production était tout à fait secondaire, voire camouflé, selon une vieille conception romantique de la musique, il est à présent mis en avant et revendiqué comme tel.70 Le travail de production étant central dans ces genres musicaux marqués par la recherche d’un son percutant et riche en basses fréquences adapté à la diffusion en discothèques, le matériel d’enregistrement (effets de spacialisation, égalisation des fréquences ...) occupe une place aussi importante que les synthétiseurs ou les sampleurs. C’est aussi par la qualité de la production que les musiciens électroniques se démarquent, et c’est pourquoi ils sont souvent à la recherche de nouveau matériel ou logiciels. Alors que l’ordinateur s’est rapidement trouvé au centre du Home Studio, permettant de synchroniser puis d’émuler les machines, le détournement des machines des années 80 et 90 à engendré de nombreux imaginaires et mythes qui circulent entre les musiciens, et donc dans les communautés virtuelles de musiciens amateurs. C’est pourquoi ce matériel est très recherché, d’ou les plaintes de nombreux musiciens concernant la « cote » de certains instruments sur le marché de l’occasion. Notons que ces imaginaires n’existent pas que chez les musiciens électroniques. Les synthétiseurs et boites à rythmes sont utilisés dans d’autres genres musicaux, et la recherche du son analogique « chaud » et authentique existe chez les musiciens pop, jazz ou rock, tant dans l’enregistrement lui même que dans les instruments (orgues, guitares, amplis de guitare à lampes ...). 69 Ici Michel Chion désigne par le mot Techno l’ensemble des musiques électroniques populaires. 70 CHION, Michel, Musiques, Médias et technologies, Paris, Flammarion,1994, p.67.
  • 36. Face à ces constats, des concepteurs de logiciels se sont spécialisés dans l’imitation (visuelle et sonore) de ces machines recherchées et chargées d’imaginaires. En 1997, avec Rebirth, l’entreprise Suédoise Propellerhead propose pour la première fois des reproductions virtuelles des machines Roland utilisées par les musiciens House et Techno. En 2000, Propellerheads va encore plus loin dans la représentation graphique des machines de studio avec le studio virtuel Reason qui permet de disposer et connecter table de mixage, effets et synthétiseurs virtuels via des câbles eux aussi virtuels manipulés à la souris. Cette volonté de modélisation du matériel analogique va être rapidement adoptée par les développeurs d’instruments VST. Témoignant de la tendance du retour au son analogique dans la musique « pop » (enregistrement sur préamplificateurs à lampes et magnétophones à bandes) et dans la musique électronique (les synthétiseurs analogiques et les boites à rythmes d’époque étant de plus en plus recherchés sur le marché de l’occasion), la firme Allemande Native Instruments crée le Pro 5 en 2000, une émulation du synthétiseur Prophet 5 de Dave Smith, et l’entreprise Grenobloise Arturia présente en 2003 le MOOG Modular V, une modélisation virtuelle du premier synthétiseur modulaire Moog dont les câbles sont aussi manipulables à la souris. L’entreprise se spécialise sur le créneau des instruments « vintages » virtuels en reproduisant par la suite d’autres synthétiseurs analogiques rares, avec la promesse d’en reproduire les imperfections et la «chaleur» sonore qui attire les musiciens, notamment grâce à une technologie développé dans ce but, la TAE ( True Analog Emulation ). Le TAE par exemple, est une brique logicielle dont le rôle est d’introduire des paramètres qui à l’oreille font penser que l’on est en présence d’un instrument analogique. Les sons analogiques ne sont pas réguliers, ils varient dans le temps, et peuvent même sonner de manière différente entre deux instruments d’une même série. Il y a énormément de variations qui proviennent des composants eux-mêmes, comme des résistances identiques qui n’auront pourtant pas le même comportement. Notre brique TAE introduit une part de cette variabilité. 71 Le marché des plug-in devient de plus en plus important et concurrentiel dans les années 2000, des émulations d’orgue (Native Instruments B4), de piano acoustique et 71 PHAN, Richard Phan, Directeur Technique d’Arturia, interviewé par Cyril Colom, makingsound.fr, [disponible en ligne : http://makingsound.free.fr/index.php/interviews/en-visitechez-arturia/ , publié le 20 mars 2010, consulté le 8 octobre 2013.
  • 37. d’orchestres complets 72 (à base d’échantillons sonores) se développent, ainsi que des contrôleurs dédiés. Mais s’il devient plus facile d’imiter des instruments et de s’approcher du son des machines émulées, musiciens électroniques et acoustiques doivent acquérir de nombreux savoir annexes à la composition au sens premier (l’écriture harmonique et mélodique) pour exercer la musique assistée par ordinateur de façon autonome. C’est pourquoi les sites spécialisés et les plateformes participatives occupent une place importante dans le régime numérique. Les frontières de l’expertise technologique sont beaucoup plus perméables grâce à la diffusion du « savoir-faire » par l’intermédiaire de sites, officiels ou non, proposant des forums de discussion et des bases de données.73 De plus, à partir de l’étude de la transmission des technologies de création musicale du cercle académique aux mains des professionnels puis des amateurs, nous pouvons constater d’une part que leur appropriation par les musiciens amateurs est à l’origine de nouvelles esthétiques, mais aussi qu’aux travers de cette appropriation les outils numériques deviennent des signifiants qui renvoient à des mythes en s’inscrivant dans certaines traditions musicales. Pour comprendre comment le savoir et les imaginaires se forment et circulent, il nous faut donc d’abord se pencher plus en détail sur les communautés virtuelles de musiciens. 72 Pour Pauline Adenot, ce type de logiciel à considérablement impacté le monde de l’art de la «Musique à l’image». Les compositeurs ayant la possibilité de produire des maquettes très réalistes en amont du montage, les réalisateurs et producteurs tendent à vouloir contrôler le rendu sonore et n’apprécient pas les versions finales interprétées par un véritable orchestre à leur juste valeur (à moins qu’il soit décidé de ne pas y avoir recours par économie), voir ADENOT Pauline, « De l'orchestre au logiciel » L'impact des technologies numériques sur l'activité des compositeurs de musique à l'image, Réseaux, 2012/2 n° 172, p. 146-172. 73 PRIOR Nick, Musiques populaires en régime numérique, op. cit.
  • 38. 3. Les communautés virtuelles de musiciens. Avant d’étudier en détail les communautés de musiciens, revenons sur la définition de communauté virtuelle. Howard Rheingold, qui a fait partie de l’une des premières communautés virtuelles dans les années 80, le WELL, définit ainsi ce type de communauté, avec l’enthousiasme quelque peu idéaliste qui a marqué les premiers écrits consacrés aux interactions sociales en ligne. Les communautés virtuelles sont des regroupements socioculturels qui émergent du réseau lorsque qu’un nombre suffisant d’individus participent à ces discussions publiques pendant assez de temps en y mettant suffisamment de cœur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace. 74 La caractéristique principale ce type de communauté est une non soumission à la co-présence géographique qui est nécessaire dans l’interaction au sein d’une communauté hors ligne. « Dans cette conception de la communauté le lieu de résidence a seulement une importante marginale dans la construction de l’amitié et des groupes sociaux. Nous choisissons de passer plus de temps avec des personnes identifiées comme partageant nos centres d'intérêt plutôt qu’avec d’autres partageant un espace géographique commun.»75 Les relations interpersonnelles en ligne ont fait l’objet de nombreux questionnements chez les chercheurs. Aujourd’hui il existe un quasi consensus à ce sujet qui vise à considérer les communautés virtuelles comme des communautés à part entière. « Rien ne permet a priori de considérer que parce qu‟elles reposent largement sur la médiation de la technique, les dynamiques sociales en ligne sont irréelles ou sans 74 RHEINGOLD Howard, Les communautés virtuelles, Paris, ed Addison Wesley France, 1995 75 « In this conception of community residence is only marginally important in the construction of friendship and social groups. We elect instead to spend more time with people whom we have identified as sharing common interests rather than merely the accident of common spaces. » EVANS Karen, « Rethinking Community in the Digital Age? », in ORTON-JOHNSON Kate, PRIOR Nick, Digital Sociology, Critical Perspectives
  • 39. conséquences. (...) Etzioni et Etzioni (1999, p.242)76 notent que «l‟on ne devrait pas conclure que parce que les agrégats en ligne n‟ont pas tous les attributs des communautés hors ligne, les communautés virtuelles ne sont pas [...] “réelles”, autrement dit qu‟elles ne répondent pas aux critères nécessaires pour former des communautés à part entière. » 77 3.1 Des communautés de pratiques très actives dans le partage d’informations et d’expérience. Nous avons choisi comme terrain d’observation le site Audiofanzine car il domine clairement le domaine de la M.A.O. étant le premier site français à avoir traité le sujet en proposant un contenu éditorial régulièrement mis à jour. En effet, il a été créé par Philippe Raynaud, un musicien qui, s’apercevant d’un réel manque d’informations disponibles en ligne et en français sur l’enregistrement et l’autoproduction, a décidé de créer son propre site en 2000, un magazine en ligne proposant des dossiers pédagogiques et des tests. En 2002, Audiofanzine devient une base de données (gérée par l’équipe éditoriale mais pouvant être complétée par les visiteurs) consacrée au matériel (instruments, logiciels ou matériel d’enregistrement), accompagnée de services (petites annonces, comparateur de prix,) et d’outils « communautaires » (forums, avis d'utilisateurs, et astuces). Notons que le site est dans une situation de monopole en France, c’est pourquoi nous avons comparé nos observations sur d’autres sites anglo-saxons dédiés à cette thématique, sachant que l’offre est plus vaste et plus spécialisée dans ces pays. Audiofanzine est donc un lieu d’échange pour les musiciens qui englobe un nombre important de communautés spécifiques définies par leur activité artistique et leurs outils. Le matériel y tient une place centrale car l’architecture du site est organisé autour de fiches produits et de sections dédiés à des thématiques plus générales sur la pratique musicale 78. Les forums traitant du matériel sont les plus fréquentés, suivis des forums « Technique du son » et « Les mains dans le cambouis » (un sujet dédié aux réparations et modifications du matériel). Les forums dédiés au partage de compositions et à la 76 ETZIONI, Amitai et Oren, Face-to-Face and Computer-Mediated Communities, A Comparative Analysis, in The Information Society, vol. 15, no 4, 1999, p. 241-248. 77 PROULX, Serge et LATZKO-TOTH, Guillaume, La virtualité comme catégorie pour penser le social : l’usage de la notion de communauté virtuelle, in Sociologie et sociétés, vol. 32, n° 2, 2000, p. 99-122. [disponible en ligne http://www.erudit.org/revue/socsoc/2000/v32/ n2/001598ar.pdf] 78 Voir annexe n°1
  • 40. collaboration artistique sont beaucoup moins fréquentés. Les utilisateurs forment une communauté de pratique, autour de la création musicale, et sont plus actifs dans le partage d’informations que dans la collaboration artistique. Michel Gensollen définit ainsi ce type de communauté partageant des pratiques communes : Le lien d'appartenance qui se constitue parmi les membres d'un ensemble donné d'usagers d'un espace de clavardage, d'une liste ou d'un forum de discussion, ces participants partageant des goûts, des valeurs, des intérêts ou des objectifs communs, voire dans le meilleur des cas, un authentique projet collectif. »79 Les utilisateurs du site partagent une certaine identité collective, ils ont des références culturelles communes, utilisent des sociolectes particuliers (expressions familières, langage technique, abréviations) et partagent des contraintes communes ( un positionnement face à la musique « mainstream », principalement la « variété » populaire, et les contraintes de l’intermittence pour une partie d’entre eux). Le site est un terrain de rencontre entre amateurs et professionnels (ingénieurs du son, musiciens, intermittents du spectacle). Il ne s’y transmet pas seulement un savoir technique sur le fonctionnement des machines, mais aussi des savoirs issus du monde professionnel (des techniques utilisées dans les studios d’enregistrement par exemple), et des pratiques non issues de ce monde de l’art, mais du détournement des outils propres a certains mouvements musicaux, électroniques ou non (on y partage des vidéos, des interviews, ou des observations faites en concert. Par exemple, un des sujets les plus fréquentés s’intitule « Je les ai vus et ils jouent avec, matos utilisé par des groupes électro en live » 80). La plupart des sujets se développent donc sur le modèle du « Tableau Noir » (hormis certains sujets de discussion plus « esthétiques » sur certains genres musicaux) : Le modèle d'échange d'informations est de type "tableau noir" (blackboard), pour reprendre l'expression forgée en intelligence artificielle afin de caractériser un mode de coordination entre agents au travers d'un dépôt de données qui leur est commun. De la même façon, les participants d'une communauté en ligne partagent un ensemble de données et ils ne 79 GENSOLLEN Michel in ... Serge PROULX, Louise POISSANT et Michel SÉNÉCAL (dir.) (2006), Communautés virtuelles : penser et agir en réseau, Québec, Presses de l’Université Laval. 80 [disponible en ligne : http://fr.audiofanzine.com/on-stage-backstage/forums/t.136762,je-lesai-vus-et-ils-jouent-avec-matos-utilise-par-des-groupes-electro-en-live.html Discussion débutée le 23 octobre 2005, consulté le 20 novembre 2013]
  • 41. partagent que cela. Cet ensemble est structuré et les données sont régulièrement mises à jour. Il ne s’agit pas d’échanger des gouts, mais des savoir-faire et des représentations du produit.81 La question des « représentations du produit » à laquelle fait référence Michel Gensollen est centrale dans l’étude des communautés virtuelles amateur car elle s‘applique dès l’annonce de la sortie d’un produit. En effet, qu’ils le possèdent ou non, les utilisateurs s’expriment sur leur perception des produits, ils y associent des styles musicaux, des typologies d’utilisateurs associées à des jugements de valeur82, par exemple un membre d’Audiofanzine réagit ainsi à l’annonce d’une nouvelle interface destinée au DJing sur ordinateur (Traktor S4 de Native Instruments) : pfff moi ça m'donne la gerbe ce genre de produit... n'importe qui peut s'improviser DJ... c'est tellement évident et facile avec ce genre de trucs... parmi vous qui sait réellement mixer ?83 Mais il existe aussi des discours concernant les marques : par exemple, la marque Berhinger, qui produit du matériel d’entrée de gamme, a mauvaise réputation et est souvent évoquée en exemple. Ben je préfère que les débutants achètent du A&H que du behr [Beringer]i ! Et puis bon, les prix augmentent, c'est pas bien grave, on en est pas encore au rapport q/p de pioneer ! Comme dans de nombreux forums, l’avatar, le profil et la signature permettent à l’utilisateur de se mettre en scène. Sur ce site, le musicien se définit par son style ou par son matériel, aidé par l’organisation du forum. Dans la signature, on peut souvent voir une citation, des liens vers un site d'hébergement de musique, et surtout une liste de matériel 81 GENSOLLEN Michel in ... Serge PROULX, Louise POISSANT et Michel SÉNÉCAL (dir.) (2006), Communautés virtuelles : penser et agir en réseau, op. cit. 82 Message de l’utilisateur Husson sur Audiofanzine, [disponible en ligne : http:// fr.audiofanzine.com/surface-de-controle-dj/native-instruments/traktor-series-traktor-kontrol-s4/ forums/t.418784,commentaires-sur-la-news-native-instruments-traktor-kontrol-s4.html, publié le 18 novembre 2010, consulté le 11 novembre 2013] 83 Message de l’utilisateur Copeland65 sur Audiofanzine, [disponible en ligne : http:// fr.audiofanzine.com/console-dj/allen-heath/xone-22/forums/t.429819,augmentation-du-prix.html, publié le 11 novembre 2010, consulté le 10 novembre 2013]
  • 42. qui se retrouve aussi sur le profil, ainsi que l’avatar. Ces outils permettent aux utilisateurs de contrôler la «face» qu’ils donnent à voir sur le site. On constate que le matériel y a une place prépondérante et qu’il suscite plus le débat que d’autres thématiques. 3.2 Des attentes particulières en terme de matériel, entre quête du son professionnel et recherche d’authenticité. Pour comprendre les attentes des musiciens sur Audiofanzine, il nous faut d’abord établir une typologie de profils. Pour cela nous avons consulté les forums destiné à différents produits afin de relever les discussions et les postures récurrentes. L’objectif de cette méthodologie de recherche et de comprendre quels imaginaires et mythes se propagent. Le profil le plus facilement identifiable est celui du débutant dont certains types de questions sont récurrents. Il demande principalement aux autres utilisateurs des conseils d’achat de matériel ou logiciels pour débuter, des informations concernant la configuration de son ordinateur, de sa carte son ou de ses instruments. En effet, si l’ordinateur rend financièrement accessible l’enregistrement sonore, il implique de nombreuses connaissances techniques concernant la numérisation du signal audio, le langage midi et la configuration du matériel. Constatant les lacunes des débutants (qui, par exemple, confondent souvent le MIDI et l’audio), les utilisateurs plus expérimentés apportent parfois des explications détaillées, mais on souvent tendance à conseiller au débutant de se renseigner sur l’aspect purement technique de la MAO via les ressources pédagogique du site. De plus, les débutants s’engagent généralement dans la M.A.O avec une idée de style musical dans lequel s’inscrire, et vont donc demander aux autres membres de les aiguiller sur l’équipement à acquérir pour obtenir le même son que tel artiste. Ils se voient généralement répondre qu’il n’y a pas de matériel type pour chaque son (de synthétiseur par exemple) mais qu’il est préférable d’étudier les techniques du son à l’oeuvre. D’une manière générale, s’il existe une réelle dynamique pédagogique entre les débutants et les utilisateurs plus expérimentés, on constate une certaine sévérité envers les nouveaux
  • 43. inscrits qui ne fourniraient pas des efforts suffisants pour apprendre les bases de la M.A.O et lire les manuels d’utilisations de leurs équipements. Les utilisateurs amateurs plus expérimentés sont aussi très actifs sur le site. Ils émettent des avis, posent des questions sur le fonctionnement et la compatibilité du matériel. Comme les débutants, ils s’interrogent régulièrement d’acquisition de nouveau matériel. C’est pourquoi ils demandent des avis de comparaison entre plusieurs équipements similaires, on donc remarque de nombreux titres de sujets de conversation du type « produit X vs produit Y » : Je suis en train d'étudier un changement de monitoring. J'ai des Truth 2031A (beuark..), et j'ai fait pas mal d'écoutes comparatives. Mon choix se portait au début entre les Genelec 8040 ou les BM6A, et il se trouve que les 8040 descendent plus bas, et montent plus haut dans le spectre, mais le medium est absolument brouillon. Du coup, elles "flattent" les mixs parce qu'il est plus difficile d'y détecter les erreurs. Donc mon choix se portait définitivement sur les BM6A, mais elles sont très chères. Je voulais donc savoir si les Genelec 1031A avaient un medium aussi propre que celui des BM6A. Au niveau taille ma pièce fait 30m² et je suis à 1.5m de mes enceintes. Je n'ai pas encore pu faire d'écoutes comparatives BM6A/1031A, donc ceux qui ont eu cette chance sont les bienvenus pour s'exprimer....84 Débutants ou confirmés, ces musiciens amateurs sont à la recherche d’une qualité sonore proche des disques qu’ils écoutent, c’est pourquoi ils envisagent quasi systématiquement d’acquérir plus de matériel. Bien qu’ils se présentent comme des amateurs, ils semblent ne pas exclure de se professionnaliser, en se produisant en concert ou en vendant leur musique. Voila j'aimerais me lancer dans la production musicale et pouvoir faire mes propres sons et ma propre musique et pour cela il me faut du matos mais je sais pas quoi choisir et ce que je dois choisir, je m'en sors plus j'ai vraiment besoin d'aide j'aime bcp la musique électronique plus spécialement la techno et j'aimerais vraiment faire de la bonne techno avec mon style qui m'est propre et pouvoir créer tout de A à Z les sons etc..... jusqu'a avoir de la très 84 Discussion lancée par l’utilisateur « Jacky. » dans le forum consacré aux enceintes dynaudio, [disponible en ligne : http://fr.audiofanzine.com/enceinte-active/dynaudioprofessional/bm-series-bm6a/forums/t.85932,bm6a-vs-genelec-1031.html publié le 17 décembre 2004, consulté le 14 octobre 2013
  • 44. bonne musique qui me permettrais de me faire connaitre j'espère que vous pouvez m'aider pour trouver le bon matériel et ce qui faut choisir exactement je vous remercie d'avance.85 Le forum est aussi fréquenté par des professionnels (techniciens du son et musiciens) à la recherche d’informations précises sur du matériel haut de gamme. Ces derniers sont parfois sollicités par les amateurs pour faire part de leurs expériences, pour raconter leur parcours 86 professionnel et conseiller les membres souhaitant se professionnaliser (Les discussions concernant le choix de formations universitaires ou privées aux techniques du son sont nombreuses 87) Cette transmission de savoir en direction des amateurs se fait aussi autour d’un discours très récurrent, qui consiste à expliquer que la qualité de la production musicale dépend avant tout de la maitrise des techniques de mixage qui sont un ensemble de compétences particulières, et non pas exclusivement du matériel. Ils tentent ainsi de contrer certains discours et certains imaginaires qui circulent dans les forums, qui émanent des deux attentes principales des musiciens en régime numérique, le son et l’ergonomie. En effet, bien que les instruments et effets virtuels soient massivement adoptés et que la puissance des ordinateurs actuels permette d’atteindre une qualité sonore considérable, le débat sur une prétendue supériorité du hardware ( le matériel sous forme physique) face au software est extrêmement récurrent dans le forum, ce que nous pouvons confirmer via l’analyse de contenu suivante 88 : dans la dynamique d’imitation qui caractérise les amateurs, ces derniers se plaignent souvent du son de leurs productions numériques, caractérisé comme «froid», «clinique», «trop propre» et aux rythmes « trop 85 Discussion lancée par l’utilisateur « Chrishendrix » intitulée « Quel matériel choisir pour faire de la techno ou de la house », [disponible en ligne : http://fr.audiofanzine.com/homestudio/ forums/t.92887,quel-materiel-choisir-pour-faire-de-la-techno-ou-de-la-house.html 86 Dans ce fil de discussion, un utilisateur amateur incite les professionnels à raconter leur parcours, disponible en ligne : http://fr.audiofanzine.com/forums-thematiques/forums/t. 516240,ingenieurs-du-son-vos-parcours,post.7172016.html, publié le 10 décemmbre 2012, consulté le 12 novembre 2013] 87 De nombreux amateurs souhaitant devenir ingénieur du son sollicitent les utilisateurs professionels pour les orienter dans leur choix de formation, [disponible en ligne : http:// fr.audiofanzine.com/ecoles-et-formation-professionnelle/forums/t.505291,besoin-d-aide-pourtravailler-dans-le-milieu.html, publié le 21 aout 2012, consulté le 12 novembre 2013] 88 Notons que ce débat est si présent que les utilisateurs y font régulièrement référence, anticipant parfois le moment ou le sujet risque d'être lancé et demandant aux autres membres de ne pas en parler.