1. IP S E LES CAHIERS DE L’IPSE
Institut Prospective et Sécurité de l’Europe
LES ELECTIONS PROVINCIALES IRAKIENNES
LA REINTEGRATION DE LA FRANCE DANS L’OTAN
ENJEUX GEOPOLITIQUES MONDIAUX : PERSPECTIVES 2009
LES CLEFS D’UNE ANALYSE GEOPOLITIQUE DU SAHEL
L’UNION POUR LA MEDITERRANNEE BLOQUEE PAR LA GUERRE
CONTRE GAZA
SUR LA RECHERCHE, LA SCIENCE ET L’EDUCATION EN ALGERIE :
CONTEXTE POLITIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE
ORGANIZATION IN DISGUISE: THE ROLE OF THE SHANGHAI
COOPERATION ORGANIZATION IN CHINA’S GRAND STRATEGY
NUMERO 93 – PRINTEMPS 2009
2. COLLOQUE « L’UNION POUR LA MEDITERRANEE A UN AN ! »
Mercredi 17 juin 18h-20h, Amphithéâtre Louis, Ecole Militaire (1
place Joffre, 75007 Paris).
Organisateur : Centre d’Etudes et de Recherche de l’Ecole
Militaire.
Inscription obligatoire : oriane.ginies@defense.gouv.fr
COLLOQUE « LE DEVELOPPEMENT POLITIQUE, SOCIAL ET
ECONOMIQUE DU MAROC : REALISATIONS (1999-2009) ET
PERSPECTIVES »
Le 29 juin 2009 au Palais du Luxembourg (15 ter rue de
Vaugirard, 75006 Paris).
Organisateurs : Centre de droit international, européen et
comparé (CEDIEC) de la Faculté de droit Paris Descartes et
Observatoire d’études géopolitiques (OEG).
Inscription obligatoire : etudesgeo.colloques@gmail.com
Revue trimestrielle éditée par l’Institut Prospective et Sécurité de l’Europe
24, rue Jules Guesde
75014 Paris - France
Tél : 33 (0)1 42 79 88 45
E-Mail : ipse2004@hotmail.com
www.ipse-eu.org
Directeur de la publication :
Laurent AMELOT
Rédacteur en chef :
Georges-Henri BRICET DES VALLONS
Rédacteur en chef adjoint :
Mathieu ARMET
Comité de rédaction :
Mathieu Armet, Georges-Henri Bricet des Vallons, Emmanuel Dupuy, Julie Parriot, Luc
Picot
Ont collaboré à ce numéro :
Mathieu Armet, Gérard Begni, Georges-Henri Bricet des Vallons, Khalifa Chater,
Emmanuel Dupuy, Mirko Palmesi, Jérôme Pellistrandi, Stéphane Taillat, Medhi Taje,
Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs.
Tous droits de reproduction, même partielle par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous
pays.
ISSN : 1955/0065
3. Et voilà l’homme… Obama
« Dans la terminologie abrupte des empires du passé, les
trois grands impératifs géostratégiques se résumeraient ainsi
: éviter les collusions entre vassaux et les maintenir dans
l’état de dépendance que justifie leur sécurité ; cultiver la
docilité des sujets protégés ; empêcher lesbarbares de former
des alliances offensives. »
Zbigniew Brzezinski
Monsieur Obama est un admirable produit de « diplomatie
publique ». Après des mois d’ « obamania » aux Etats-Unis et dans « le
reste du monde », son investiture a eu lieu : on savoure « sa » victoire
tout autour du globe… Antithèse de Bush, Obama, le métis auquel,
divers peuples peuvent s’identifier, est une promesse de changement
et rassure quant aux valeurs (la tolérance en tête) et à la raison des
Américains (après la déception de 2004). Si l’on croit au Progrès,
l’élection de B. Obama est indubitablement… un progrès ! Il injectera
sans doute une dose (salutaire) de multilatéralisme dans la politique
étrangère américaine. Il cherchera à obtenir l’appui des alliés
traditionnels notamment européens (en tenant compte de leurs
intérêts) et à améliorer l'ensemble des relations diplomatiques de son
pays. L’objectif de cette élection et de la politique qui suivra est
(évidemment !) de tout changer pour que rien ne change : « Faut bien
sauver l’empire mon p’tit monsieur ! » Un lifting géopolitique bien fait
pour conforter les Européens dans le « choix » de « leur » président
(Guantanamo…).
Naturellement des voix se sont élevées pour nous expliquer que la
nouvelle administration opterait (sans doute) pour un profil bas, un
certain retrait des affaires du monde en vue de se concentrer sur la
gestion de problèmes intérieurs préoccupants – crise économique
oblige. On se croirait revenu plusieurs années en arrière lors de
l’investiture du président précédent, le si isolationniste George «
4. Magog » BUSH, fort contrarié par le « Pearl Harbor spatial » du 11
septembre 2001. Un « retrait » des Etats-Unis ? Le voudrait-il, Obama
ne le pourrait pas ! Du fait, d’une part, d’une forte opposition « néo-
conservatrice » intérieure : celle-ci est particulièrement perceptible
sur le dossier irakien. Elle cherche à faire mentir le candidat OBAMA
en contournant ses promesses/décisions de désengagement. D’autre
part, pour maintenir la primauté américaine, l’impératif
géostratégique est de dominer l’Eurasie via le refoulement de la
Russie et l’endiguement de la Chine (et l’assujettissement de l’Europe
!)…et dans ce domaine, il ne s’agit pas de se reposer !
Qu’en est-il des autres dossiers ? Passons vite sur le Proche-Orient
(Gaza !) puisqu’il est - comme d’habitude - urgent de n’y rien faire
(vivre et laisser mourir). Dans « sa » guerre au terrorisme, M. Obama
souhaite intensifier l’engagement de son pays en Afghanistan et
potentiellement au Pakistan. En ce sens 20 000 à 30 000 soldats
américains devraient être envoyés en renfort d’ici l’été prochain (soit
un doublement des effectifs)… une décision prise unilatéralement en
violation de la mission initiale internationale définie en 2001 et
légitimée par une résolution du Conseil des Nations unies (ça
commence bien…). Cette intensification de la guerre a lieu au moment
où la principale route d’approvisionnement des forces alliées via le
Pakistan est devenue très précaire. La crise guette.
Toutes les autres routes viables passent par l’ancienne Union
soviétique (l’Iran a “naturellement” été écartée), elles traversent la
Caspienne (Caucase et Asie centrale) ou transitent par le territoire
russe. Dans les deux cas, l’influence de Moscou est telle que la
coopération de la Russie est absolument nécessaire. Mais cette
coopération a un prix. Pour le dire crument, les Russes réclament rien
de moins qu’une reconnaissance d’une sphère d’influence dans leur «
étranger proche »… ce qui n’est pas sans poser problème quant à
l’extension de l’OTAN, les bases américaines et le projet de défense
anti-missiles. Le disciple de BRZEZINSKI n’est naturellement pas prêt à
accepter de telles conditions. Il doit pourtant agir vite. Aussi,
l’Afghanistan est à la fois un dilemme et un schibboleth pour le
nouveau président. Résumons-nous : quel que soit son mérite
personnel et nonobstant les aspects hautement bénéfiques de sa
5. future politique, Monsieur Barak OBAMA, le métis souriant, est un
cheval de Troie… une vieille histoire européenne.
Une autre question est autrement plus pressante : cet homme
providentiel le sera-t-il assez pour répondre aux défis du XXIe siècle…
à la convergence des catastrophes ?
Mathieu Armet
6. ARTICLES
Les élections provinciales irakiennes : premier bilan
Stéphane Taillat
La réintégration de la France dans l’OTAN
Yves-Marie Laulan
Enjeux géopolitiques mondiaux : perspectives 2009
Jérôme Pellistrandi
Les clefs d’une analyse géopolitique du Sahel africain
Medhi Taje
L’Union pour la Méditerrannée bloquée par la guerre contre Gaza
Khalifa Chater
Sur la recherche, la science et l’éducation en Algérie : contexte
politique et socio-économique
Gérard Begni
Organization in Disguise: The role of the Shanghai Cooperation
Organization in China’s grand strategy
Mirko Palmesi
NOTES DE LECTURE
* LA GUERRE DU POLE-NORD A COMMENCE par Richard Labévière et
François Thual
*LA DEGENERESCENCE DU LIBAN OU LA REFORME ORPHELINE par Ahmad
Beydoun
* IRAK : LES ARMEES DU CHAOS par Michel Goya
* CYBERGUERRE : LA GUERRE NUMERIQUE A COMMENCE par Nicolas
Arpagian
* CONFLUENCES MEDITERRANEE N°68 « ITALIE, LE GRAND BOND EN
ARRIERE ? »
7. LES ELECTIONS PROVINCIALES IRAKIENNES :
PREMIER BILAN
Stéphane Taillat *
Au soir du 31 janvier 2009, près de 51% des Irakiens s’étaient
exprimés pour désigner les législatures de 14 gouvernorats (sur les 18
provinces que compte le pays). Au-delà des considérations techniques
habituelles dans les démocraties occidentales au lendemain de tels
scrutins, la tenue de ces élections sanctionne pour partie les évolutions
intervenues dans le temps de l’occupation américaine (22 mai 2003-31
décembre 2008). Il importe donc de considérer les enjeux de ces
élections, la signification de leurs résultats et leur portée pour l’action
américaine en Irak en les envisageant dans une analyse multiscalaire
géographique et chronologique.
Des enjeux électoraux parfois anciens et masqués par la
prégnance de la « contre-insurrection » :
La tenue de ce scrutin –le premier depuis 2005- a permis que
s’expriment les rivalités et les enjeux politiques dont beaucoup ont leurs
racines dans l’irruption américaine de 2003. Par ailleurs, les questions
locales que sont censées résoudre les élections s’ancrent dans un cadre
communautaire et national. Il en est ainsi des rivalités locales. Celles-ci
s’expliquent à la fois par les délégations du pouvoir central octroyées dans
la constitution de 2005 et par la culture politique irakienne marquée par
le patronage. Il faut donc comprendre le scrutin de 2009 comme un
affrontement présenté comme inégal entre les tenants du pouvoir et leurs
jeunes compétiteurs. Cette asymétrie des moyens est le corollaire de
l’action des militaires américains qui ont appuyé l’ascension de nombreux
détenteurs locaux du pouvoir. Le cas le plus exemplaire est celui de la
province occidentale d’Anbar. Dans cette dernière, l’abstention prônée
par les insurgés en 2005 a conduit à la mainmise quasi-exclusive du Parti
Islamique Irakien sur les rênes du pouvoir provincial. Le phénomène du
« réveil » tribal a contribué à transférer l’essentiel des prérogatives de
sécurité locale aux mains des cheiks, au détriment des islamistes. Par
ailleurs, les cheiks ont pu représenter une source alternative de patronage
8. dès lors que leurs milices (ou que les forces de sécurité provinciales
recrutées sur une base tribale) étaient payées par les militaires
américains, à raison de 300$ par personne et par mois.
Néanmoins, l’essentiel des compétitions locales doit se
comprendre dans le contexte de la représentativité des communautés
ethnoconfessionnelles, notamment pour des enjeux territoriaux. C’est le
cas notamment aux bordures du monde arabe et du monde kurde (soient
les provinces de Diyala, Saladin et Ninive). Les élections de 2005 ont
abouti à surreprésenter les Kurdes tant à Ninive (75% des sièges pour 25%
de la population environ) qu’à Diyala. Dans les trois provinces frontalières,
les revendications sunnites ont très largement contribué au maintien de
l’insurrection, au-delà même des succès du « sursaut » à Bagdad et ses
« ceintures ». Dans le cas de Mossoul (Ninive) et Khanaqin (Diyala), les
heurts armés entre les deux communautés –voire entre l’armée irakienne
et les peshmergas kurdes- s’expliquent essentiellement par la poussée
kurde entamée en 2003 dans des régions riches en pétrole. Dans le cas de
Kirkouk, les fortes tensions ont du résoudre le Parlement irakien à trouver
un compromis en juillet 2008 par la tenue d’un référendum sur
l’appartenance de la province au Kurdistan Régional Autonome après les
élections provinciales. Quoiqu’il en soit, d’autres minorités apparaissent
comme marginalisées dans les processus pré-électoraux, notamment les
Chrétiens, les Yazides ou les Turkmènes de Ninive.
L’ensemble des luttes électorales au niveau local s’inscrit dans le
cadre plus large des évolutions politiques en Irak. Chronologiquement, la
centralité de l’enjeu tribal dans l’ensemble des provinces doit se
comprendre sur la longue durée. Tant chez les Sunnites que chez les
Chiites (et à l’exception de la capitale), les tribus ont été courtisées par les
principaux adversaires. Il s’agit là d’une constante des relations de pouvoir
en Irak depuis la présence ottomane : les tribus sont-elles un relai du
pouvoir central ou bien représentent-elles un ancrage spatial du pouvoir
au niveau local ? Dans cette optique, le double ou triple jeu des cheiks
sunnites dans les années 2003-2007 exprime leur volonté de devenir un
acteur central du jeu politique, alors que leurs prérogatives –fortement
diminuées à l’issue de la révolution de 1958- avaient été renforcées par
Saddam Hussein après la première guerre du Golfe, il est vrai dans le
cadre d’une loyauté totale envers le dictateur. Plus récemment, les
compétitions internes aux communautés forment un deuxième ensemble
9. de facteurs politiques à l’œuvre. Masquées partiellement par la
focalisation médiatique sur l’insurrection nationaliste ou jihadiste et les
réponses que lui ont apportées les militaires américains, ces rivalités de
pouvoir ont pourtant été la source principale de la fragmentation
politique de la société irakienne et de l’augmentation concomitante de la
violence. Exercée à l’encontre de la base sociale et communautaire tout
autant que contre les confessions « ennemies », cette dernière a surtout
révélé plusieurs dynamiques. La première est celle de la compétition
interne aux Chiites entre les religieux quiétistes et pro-iraniens, les cheiks
et les populistes (ces derniers incarnés dans le mouvement sadriste
nationaliste dont l’action remonte aux années 1990). La seconde est celle
des luttes entre les cheiks sunnites, les Oulémas et les jihadistes. Les deux
acteurs violents principaux ayant été neutralisés en 2007 (Al Qaïda en Irak
et l’Armée du Mahdi), ces processus s’exercent désormais à travers des
pratiques politiques qui, si elles n’excluent pas les éliminations physiques
et l’instrumentalisation des forces de sécurité, conduisent toutefois à une
recomposition favorable à la sécurité.
Une troisième évolution politique transparaissant dans ces
élections concerne l’avenir politique du pays. Ayant instrumentalisé les
Américains contre ses rivaux, le premier ministre Nouri Al-Maliki apparaît
désormais comme « l’homme fort » du pays. Il s’est affirmé comme
nationaliste et centraliste face au Conseil Suprême Islamique et aux
fédéralistes bassoriens, comme séculier face aux Sadristes et comme
technocrate face aux tribus. Par ailleurs, il a su utiliser les forces armées
formées par les Américains pour défaire les milices de ses rivaux et
émerger comme un facteur d’ordre. Enfin, il n’a pas hésité à débaucher
les tribus par le biais de Conseils de Soutien Tribaux (Tribal Support
Councils) tant dans les provinces majoritairement chiites du sud, que dans
les provinces mixtes (Diyala) ou bien sunnites (Anbar). Son ascension
correspond également à l’enjeu de la répartition des pouvoirs entre le
gouvernement central et les gouvernements provinciaux, notamment
pour ce qui concerne les forces de sécurité. Au cours de l’été et de
l’automne 2008, il n’a pas hésité à intervenir directement dans les
opérations militaires à Ninive, Diyala et Maysan. De nombreux différends
l’ont opposé aux Conseils provinciaux de Bassorah ou encore de Diyala
concernant la nomination des chefs de la Police. La constitution de 2005
ne définissant pas les pouvoirs provinciaux de manière exhaustive,
certains ont pu craindre ou espérer que le premier ministre ne se serve de
10. cette imprécision pour prendre le contrôle effectif de la sécurité locale.
Cependant, cette mainmise directe est intervenue de manière ponctuelle,
et essentiellement pour diminuer les partis rivaux en prévision des
élections provinciales.
Les résultats : les dynamiques en cours au sein de la société irakienne
Les résultats marquent des ruptures et des continuités
manifestes. Au registre des premières, il faut inscrire la persistance du
vote ethnoconfessionnel, notamment chez les Chiites. Certains partis
mixtes ont pu émerger, tel celui de l’ancien premier ministre du
gouvernement provisoire Ayad Allawi (juin 2004-avril 2005), mais force
est de constater que le critère communautaire reste prégnant,
notamment dans les zones de contact entre les ethnies kurdes et arabes
(le parti sunnite Habda rassemblant 48% des voix dans la province de
Ninive). De la même manière, et en dépit de leur sévère défaite dans
certaines provinces, les partis islamiques gardent une influence certaine.
C’est le cas du Conseil Suprême Islamique qui arrive en seconde position
dans l’ensemble des provinces méridionales. Il faut comprendre cette
permanence dans le cadre de l’influence traditionnelle du clergé chez les
Chiites, même si ce dernier sort relativement marginalisée du scrutin
(payant sans doute son quiétisme face à l’activisme de Sadr ou du premier
ministre). En revanche, le Parti Islamique Irakien sunnite est laminé à
Anbar et à Ninive, mais pas à Diyala où il garde près de 21% des voix. Là
encore, on peut supposer que le vote islamique est surtout un vote
communautaire dans des régions mixtes ou disputées. Le cas de Ninive
montre surtout le maintien du vote nationaliste et séculier chez les
Sunnites, un héritage de l’époque baassiste. Enfin, il faut prendre en
compte le cas de Bagdad : dans la capitale, les partis communautaires et
islamistes sont en tête. C’est notamment vrai pour la coalition « Etat de
Droit » du premier ministre qui y recueille 38% des voix. Il faut en effet
souligner que le premier ministre, en dépit de son discours « séculier »,
reste membre d’un parti fondé par un ayatollah chiite au début des
années 1980 !
Les bons résultats des candidats indépendants se réclamant du
mouvement sadriste démontrent que le choix de l’abandon de la lutte
armée, masquée par les scissions croissantes au sein du mouvement au
profit des « groupes spéciaux » formés et financés par les Services
11. Spéciaux de la Garde Révolutionnaire Iranienne, a permis de limiter les
dégâts. La marginalisation politique de Moqtada Sadr se confirme
néanmoins. On peut d’ailleurs légitimement penser que la frange
modérée et nationaliste du mouvement a voté pour le premier ministre.
Au registre des ruptures, les bons résultats de ce dernier semblent
montrer un rejet généralisé des « sortants » dans les provinces chiites ou
à forte présence chiite. Au fond, les élections de 2005 ont surtout fait
émerger un pouvoir milicien et un accaparement partisan du service
public. Les lenteurs de la reconstruction et la prégnance du souci de la
sécurité ont ainsi ouvert une fenêtre d’opportunité pour Nouri Al-Maliki.
Celui-ci, menacé au sein de l’Assemblée Nationale, a accru sa position de
manière significative.
Mais la rupture essentielle concerne l’irruption des pratiques
démocratiques au cœur des rivalités et compétitions politiques. L’exemple
d’Anbar, où les leaders tribaux se sont réconciliés contre la victoire
possible du Parti Islamique Irakien (déclaration qui s’est avérée infondée)
montre comment le jeu électoral n’a pas véritablement pris la place des
registres habituels de ces jeux de pouvoir. La menace d’insurrection ou de
sécession, la corruption ou les menaces verbales demeurent des éléments
centraux. Toutefois, les pratiques démocratiques ont été intégrées au sein
de ces derniers par le biais des alliances. On peut craindre la persistance
d’une privatisation de la sécurité, même si cela sera sans doute partiel, et
inclus au sein du jeu démocratique. Quoiqu’il en soit, le résultat final
s’écarte du modèle démocratique libéral que promeuvent encore les
néoconservateurs.
Un succès pour les Américains ?
Les questions essentielles pour les militaires et les politiques
américains ont tourné autour de la sécurité et de la participation
principalement, de l’acceptation des résultats par les vaincus ensuite. Sur
le premier point, le bilan est positif, en ce sens où le jour des élections n’a
pas été marqué par des évènements significatifs. La participation reste
satisfaisante pour les Américains car elle se rapproche des niveaux
observés lors des élections locales aux Etats-Unis. En revanche, les
problèmes posés par de nombreux irakiens qui n’ont pu voter faute d’être
inscrit sur les listes électorales ont causé quelques inquiétudes. Toutefois,
12. il semble qu’il faille surtout incriminer le fait que près de 2 millions
d’Irakiens (principalement dans la capitale) sont des déplacés : de ce fait,
les listes n’ont pu les prendre en compte. Peu de réclamations fondées
ont été formulées auprès de la Haute Commission Electorale
indépendante. De ce fait, selon les standards occidentaux, ces élections
sont considérées comme valides. Ce qui ne signifie évidemment pas la
résolution magique de tous les problèmes.
L’évènement a donc été interprété favorablement par
l’administration américaine pour un retrait accéléré et « responsable »
des troupes de combat. Dans le cadre de luttes internes complexes à
Washington entre, d’une part, le nouveau Président et les Chefs d’Etat-
major et, d’autre part, les promesses électorales du Président Obama et
les recommandations des généraux Petraeus et Odierno, les élections
irakiennes servent ainsi le jeu complexe de la nouvelle équipe. Or, si dans
le cadre de l’Accord sur le Statut des Forces (SOFA) signé en novembre
2008 les forces américaines doivent avoir quitté les villes irakiennes au 1er
juillet 2009 et l’ensemble du pays au 31 décembre 2011, les modalités
concrètes sont plus complexes. Autrement dit, le nouveau Président
pourrait tomber dans le même défaut que son prédécesseur, à savoir
exagérer le « tournant positif » des élections provinciales (comme en
2005).
* Agrégé d’Histoire et titulaire d'un Master 2 en Relations et Sécurité
Internationales de l’IEP de Toulouse, Stéphane Taillat poursuit
actuellement un doctorat de science politique sur la contre-insurrection
en Irak.
13. LA REINTEGRATION DE LA FRANCE DANS L’OTAN
Yves-Marie Laulan **
Quelques considérations : en tant qu’ « ancien » de cette
organisation, du temps de la Guerre froide, la décision française
imminente devrait plutôt me satisfaire1. Mais cette démarche suscite
néanmoins quelques sérieuses réserves et voici pourquoi.
1) Dans le discours justificatif présidentiel (Le Monde du 11 mars
2009), il faut au passage relever quelques contradictions. Si la France était
déjà de facto dans l’Organisation atlantique, le fait de la rejoindre de jure
ne changerait pas grand-chose. Et si cela devait être le cas, compte tenu
des inconvénients significatifs que cette décision implique, cela en vaut-il
vraiment la peine ?
Par ailleurs, est-il possible sérieusement de se convaincre qu’une
fois cette réintégration effectuée, la France pourra vraiment peser de tout
son poids sur la prise de décision au sein de l’Alliance, comme il est
prétendu. Et cela alors que notre pays, avec un effort de défense réduit à
sa plus simple expression depuis des années avec 1,8% du PNB, ne dispose
désormais que de capacités de défense extrêmement réduites et
d’ailleurs tendues à l’extrême2 ?
Et cela d’autant plus qu’en cas de désaccord majeur, il ne sera
plus question de s’en aller derechef, sauf en se couvrant de ridicule en
jouant les effets de manège. Mais peu importe. Car bien d’autres
considérations beaucoup plus lourdes de conséquences sont associées à
la démarche proposée.
1
L’auteur de cette note a été, dans les années 1970, directeur des Affaires économiques et
président du Comité économique de l’OTAN. Il occupait, à ce titre, le poste le plus élevé
conservé par la France dans la partie administrative de l’Organisation atlantique.
2
L’évaluation de l’effort de défense était une de mes tâches à l’OTAN. Plus tard,
conférencier à l’Ecole supérieure de guerre, je n’ai cessé de soutenir pendant des années
la nécessité de maintenir l’effort de défense au moins à 3% du PNB pour disposer d’un
instrument de défense digne de ce nom. En vain.
14. 2) La France est déjà significativement engagée en Afghanistan,
pour répondre à la demande américaine. Or cette guerre, de l’avis de
beaucoup, a peu de chances de pouvoir être gagnée pour toutes sortes de
raisons bien connues. Il y a, en premier lieu, l’incapacité d’un régime
faible et corrompu (qui rappelle tout à fait le régime de Saïgon sur ses
fins) d’apporter une contribution significative à la conduite de la guerre.
Mais il y a surtout le voisinage du Pakistan voisin qui dispose d’un régime
politique, et même d’une société, en voie de décomposition rapide, mais
aussi, et bien fâcheusement, de l’arme nucléaire et de redoutables
capacités de frappe à longue distance. Un conflit direct de l’OTAN avec le
Pakistan nucléaire aurait sans nul doute des effets régionaux
cataclysmiques que l’on n’ose à peine évoquer3. Or la France est d’ores et
déjà présente en Afghanistan et peut-être un jour au Pakistan. On n’en
voudra pour preuve que la nomination d’un personnage quelque peu
singulier et fort connu, le député de Paris Pierre Lellouche, au passé un
peu lourd, à un poste de « chargé de mission » pour ces deux pays au Quai
d’Orsay4. Le retour programmé de la France dans l’OTAN ne peut que
nous placer plus proches encore du centre d’un conflit potentiellement
dévastateur. De toute façon, même sans aller jusque-là, une défaite peu
glorieuse de l’OTAN, la première de son histoire, sonnerait fort
probablement le glas d’une organisation qui aurait perdu toute crédibilité
aux yeux de ses adversaires. On ne voit guère l’avantage pour notre pays à
réintégrer in extremis l’OTAN dans de telles conditions.
3) A nos portes, ou quasiment, l’éventualité d’un conflit entre
Israël et l’Iran est désormais probable avec l’acquisition, déjà effective ou
proche, de l’arme nucléaire par ce dernier pays. Avec la formation d’un
gouvernement israélien « radical », avec ou sans Netanyahu5 comme
premier ministre, la tentation, déjà envisagée dans les derniers mois de
l’administration Bush, d’une frappe préventive contre les installations
nucléaires de l’Iran deviendra de plus en plus forte6. Le président Obama,
3
Peut-on une seconde imaginer que l’Inde resterait non impliquée et la Chine indifférente
devant un conflit qui aurait des chances de devenir nucléaire à leurs portes ?
4
Où il a promptement marqué son territoire en faisant occuper par ses hommes une
bonne partie du 2e étage du Quai.
5
Qui dispose, est-il besoin de le rappeler, de la double nationalité israélienne et
américaine comme le directeur de cabinet du président Obama, Emmanuel Rahm.
6
Elle avait déjà été envisagée par l’ancien premier ministre Olmert pendant les derniers
mois de l’administration Bush. Ce dernier, avec une tardive sagesse, avait refusé de donner
son aval à une telle opération.
15. englué dans une catastrophique et inextricable crise économique, fera-t-il
preuve de la même fermeté que son prédécesseur pour s’opposer aux
demandes israéliennes ? Et si le besoin s’en faisait sentir, Israël ne sera-t-il
pas tenté de lui forcer la main en déclenchant préventivement les
hostilités ?
Auquel cas la France, redevenue le nouveau membre de l’OTAN,
ne sera-t-elle pas aussi directement impliquée dans le nouveau conflit
ouvert à ses portes ? Pourra-t-elle rester neutre ? Pourra-t-elle refuser
sous la pression américaine, comme elle l’avait fait pour l’Iran, de
consentir une participation à une nouvelle guerre au potentiel nucléaire
manifeste, si les Etats-Unis devaient s’y engager ? D’autant plus que les
déclarations d’amitié éternelle, de bonnes intentions, de solidarité à toute
épreuve entre la France et Israël n’ont guère manqué depuis deux ans.
Au surplus la France a cru devoir ouvrir une base militaire, symbolique
certes mais bien réelle (mais rien n’est symbolique dans ce domaine), au
Moyen-Orient pour bien marquer le grand retour de la France « aux
affaires de la région ». L’ensemble de ces facteurs risque fort de nous
entraîner, peut-être malgré nous, dans un conflit majeur qui, il faut bien le
souligner, ne nous concerne pas.
Ceci est l’occasion de revenir rapidement sur les conséquences
d’une telle conflagration. Elles sont terrifiantes et les enjeux colossaux :
Tous les experts sérieux reconnaissent qu’une destruction complète et
durable des capacités nucléaires de l’Iran est impossible. Dans le meilleur
des cas celles-ci seraient plus ou moins rapidement reconstituées avec,
vraisemblablement, le concours empressé de la Russie redevenue «
l’ennemi héréditaire ». Mais l’épisode suivant autoriserait forcément le
recours de l’un et de l’autre des protagonistes à la bombe.
Le prix du pétrole, malgré la crise, aurait toutes les chances de sauter au
plafond. Avec l’impact que l’on peut aisément imaginer sur les tentatives
de relance en cours qui seraient cassées net. Sans compter sur une
nouvelle flambée de haine dans les pays arabes contre Israël et ses alliés,
dont la France.
Dans le meilleur des cas les communautés juive et musulmane
présentes sur le territoire national seraient fortement incitées à se livrer à
des manifestations d’une rare violence sans doute accompagnées d’une
flambée de terrorisme.
16. Toutes ces interrogations pointent malheureusement dans une
même direction, à savoir les graves incertitudes et les grands risques
attachés à la réintégration de la France au sein de l’OTAN.
* Article reproduit avec l’aimable autorisation de la Fondation Polémia.
* Ancien chef du service des affaires économiques de l’OTAN, fondateur
de l’Institut géopolitique des populations
17. ENJEUX GEOPOLITIQUES MONDIAUX :
PERSPECTIVES 2009
Jérôme Pellistrandi *
À l’automne de cette nouvelle année, l’Europe fêtera le vingtième
anniversaire de la chute du Mur de Berlin qui mit fin à la division du
« vieux continent » mais qui ne mit pas fin à l’Histoire. Bien au contraire,
l’Histoire s’est accélérée avec le retour de la guerre et des nationalismes,
y compris sur le continent européen. Certes, les progrès ont été
considérables et la construction d’une Europe unie, prospère et en paix en
est un exemple qu’il convient de mettre en valeur et de rappeler aux
jeunes générations, malgré la crise des Balkans, dont les cicatrices restent
encore béantes en 2009, notamment au Kosovo. Mais l’Histoire est un
éternel recommencement où les ambitions et les espoirs peuvent se
briser sur des crises aux conséquences inconnues et durables.
L’année 2008 n’a pas échappé à cette règle avec l’émergence
d’une crise financière puis économique sans précédent depuis des
décennies. La question qui se pose, est de savoir si cette dépression
économique aura des impacts stratégiques mettant en cause la sécurité et
la stabilité des relations internationales. Dans tous les cas, ses
répercussions seront profondes et durables au risque de remettre en
cause certains principes de l’économie de marché.
Une inconnue majeure a cependant été levée avec l’élection du
nouveau président américain Barak Obama. Son arrivée à la Maison-
Blanche, à partir du 20 janvier, ouvre une nouvelle ère tant pour les Etats-
Unis, que pour le reste du Monde. Certes, il ne faudra pas s’attendre à
une rupture profonde. Mais plus que le fond, le changement de forme,
après huit ans d’administration républicaine, pourrait contribuer à rétablir
une image plus positive de l’hyper puissance aujourd’hui marquée par des
échecs multiples tant sur la scène internationale que sur le plan intérieur
avec une économie en pleine incertitude et en pleine tourmente. La
composition de la future équipe gouvernementale américaine traduit une
volonté de compétence et d’expérience, mais aussi réaffirme le principe
18. d’« America first ». De toute façon, une nouvelle page s’ouvre, page qui
s’annonce passionnante mais exigeante.
Foyers de crise
Il y a une constante géopolitique bien établie depuis la chute du
Mur: l’incertitude stratégique. Chaque année apporte ses nouvelles
instabilités. En 2008, aux crises ouvertes, il a fallu rajouter la guerre entre
la Georgie et la Russie, dont les conséquences seront encore perceptibles
cette année. L’OTAN a d’ailleurs fait preuve de sagesse en ne cédant pas
aux sirènes de l’élargissement pourtant demandé par Washington au
profit de la Georgie et de l’Ukraine. La question russe restera encore
d’actualité avec le besoin d’une clarification des relations entre l’OTAN,
l’Union européenne, les Etats-Unis et Moscou. Quelle est l’ambition de la
Russie ? Moscou pourrait être ainsi tenté par un rapprochement
d’opportunité avec Pékin. La région du Caucase restera une zone
conflictuelle car elle correspond à la vision russe de son « pré carré ». Le
tournant résolument pro-américain du président géorgien a failli tourner
au désastre cet été et les luttes d’influence au sein même du
gouvernement de Georgie risquent de se poursuivre.
Il y a un an environ, les organisations maritimes se réjouissaient
de la baisse de la piraterie, notamment au large du détroit de Malacca. Or,
c’est désormais une réalité majeure dans l’Océan indien et le Golfe
d’Aden, mais aussi dans le Golfe de Guinée, autour des plateformes
pétrolières off-shore. Les pirates somaliens s’attaquent désormais sans
complexe à des navires de taille importante, naviguant sur les routes
maritimes essentielles à l’économie mondialisée. Le dispositif naval mis en
place récemment par l’Union européenne, va permettre certes de réduire
les risques, mais ne résorbera pas totalement la menace, ne serait-ce
qu’en l’absence d’une autorité légitime et stable capable de contrôler les
côtes de Somalie. L’opération européenne nécessitera de déployer des
frégates dans la durée et sans effet médiatique susceptible d’intéresser
l’opinion publique européenne. Il y a une réelle ingratitude à mener de
telles missions. Pour le moment, cette piraterie semble ressortir d’un
schéma classique de banditisme et de prises de rançons, ce qui d’ailleurs a
toujours été une activité traditionnelle dans la région de la Corne de
l’Afrique avec la contrebande. Il est à craindre cependant une évolution
19. vers une revendication politique islamiste qui, dès lors, sera plus
dangereuse et difficile à maîtriser.
La notion de zone grise réservée jusqu’à présent à ces espaces
terrestres désormais hors du contrôle d’une autorité étatique reconnue,
s’étend désormais en mer, posant d’ailleurs un problème essentiel de
droit maritime puisque la liberté de navigation est reconnue en plein
océan. Sur quelle base juridique, les navires occidentaux pourraient-ils
intercepter une vedette « go fast » avec des pirates mais en l’absence de
preuve d’une attaque ? Au XVIII° siècle, les marines britanniques et
françaises réglaient ce problème de façon plus expéditive et les pirates –
blancs ou barbaresques- savaient à quoi s’en tenir en cas de capture.
L’Afrique ne connaît guère de répit avec le Darfour dont le retour
à la normale reste très fragile. L’opération Eufor Tchad, conduite par
l’Union européenne est censée s’achever au printemps, mais le besoin de
sécurité demeurera et il n’est pas sûr que le transfert à l’ONU ou à
l’Organisation de l’Unité Africaine soit la solution. Là encore, l’Union
européenne doit inscrire son action dans la durée, tout en évitant un
enlisement et une passivité face aux luttes de pouvoir entre les factions
tchadiennes. Il en est de même pour l’Est de la République démocratique
du Congo où les forces de l’ONU ne semblent guère capables d’enrayer la
déstabilisation permanente de cette région centrale de l’Afrique. L’envoi
évoqué cet automne d’un « battle group » européen s’est avéré
impossible car l’Union européenne n’est pas parvenu à se mettre d’accord
sur ce sujet. Cela ne peut que rendre perplexe sur l’utilité de la structure
du «battle group ».
La ceinture sahélienne constitue également un foyer de
préoccupation avec le développement de groupes islamistes se réclamant
d’Al Qaeda et mettant en cause la sécurité des zones occupées par des
tribus touaregs.
La question de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire reste
toujours posée avec toutefois des progrès constatés dans la normalisation
de la situation.
L’Afghanistan est désormais le foyer majeur d’instabilité où
l’OTAN joue son avenir mais aussi son existence. L’échec n’est plus à
20. exclure. Certes, l’hiver actuel va calmer temporairement les ardeurs des
talibans, mais le printemps leur permettra de relancer leurs attaques
contre les troupes de la coalition, dont les pertes en 2008 ont été
malheureusement très supérieures aux pertes des années précédentes.
Tous les experts militaires insistent sur le fait que la solution n’est pas
militaire, mais l’engrenage infernal est en marche. Alors, comment
construire un état fiable dans un environnement aussi insécuritaire ?
Comment réformer une société encore médiévale qui reste régie par la
force et la soumission aux « seigneurs de la guerre » ? Comment
éradiquer une corruption endémique et profondément ancrée dans un
pays sans Etat ? Comment construire une société de droit et d’égalité
entre l’Homme et la Femme ? Ces questions risquent encore de rester
sans réponse.
Le Pakistan, pris en tenaille entre les fondamentalistes islamistes,
les pressions de Washington et les menaces de représailles de l’Inde,
constitue l’autre foyer de crise. Son instabilité chronique et l’ambiguïté du
rôle de son armée ne peuvent qu’inquiéter non seulement New Delhi
mais toute la communauté internationale. En effet, les attaques islamistes
à Bombay en novembre, ont atteint une dimension nouvelle
particulièrement inquiétante et qui risquent de se renouveler. Or, le
déchaînement de violences reste récurrent dans le sous-continent indien.
Islamabad a intérêt à la prudence d’autant plus que l’emploi de l’arme
nucléaire n’est pas à exclure.
À l’inverse, la situation en Irak semble se normaliser peu à peu,
même si la violence perdure avec des attentats suicides et une forme de
partition communautariste de ce pays. Le retrait annoncé d’une partie des
troupes américaines devrait faire baisser la tension mais le retour à la
normalité va réclamer encore de gros efforts. La nouvelle administration
Obama devra par ailleurs clarifier les liens établis entre les entreprises
américaines et le secteur pétrolier pour donner plus de crédibilité au
gouvernement irakien. 2009 pourrait être le début d’une sortie de crise
pour Bagdad.
Nouvelles incertitudes stratégiques
La crise financière, puis économique ne peut que déstabiliser les
équilibres fragiles entre les grands espaces économiques. Ainsi,
21. l’effondrement du cours du pétrole, s’il peut paraître une aubaine
temporaire pour l’automobiliste occidental, va fragiliser toute l’économie
mondiale. Certains pays producteurs comme le Venezuela ou l’Algérie ont
impérativement besoin des ressources du pétrole pour éviter des troubles
internes déstabilisants. De plus, l’effondrement des cours des bourses
mondiales affaiblira les capacités financières des pays du Golfe, gros
clients des industries occidentales, dont l’aéronautique et le secteur du
luxe.
Il en est de même pour la Chine, dont la stabilité nécessite la
prospérité économique. Or, le ralentissement de son économie a
désormais un impact majeur pour l’ensemble de la planète avec un effet
« domino » imprévisible. L’effet « jeux olympiques » s’est vite dissipé et le
raidissement de Pékin autour du Dalaï Lama et du Tibet montre que les
enjeux de pouvoir subsistent entre les réalistes et les « faucons ». La
nature du projet chinois reste inconnue. S’agit-il d’un projet de type « soft
power » ou plutôt d’une volonté de créer un espace « impérial » ? Il sera
significatif de suivre de près les évolutions de la politique étrangère du
Japon pour comprendre les enjeux en cours en Asie. Il en sera de même
pour l’Australie qui s’inquiète des ambitions navales chinoises et qui
devrait publier son Livre blanc mettant l’accent sur le besoin de crédibilité
de la défense australienne aujourd’hui sous-dimensionnée.
Les élections présidentielles en Iran, en juin, constituent
également une source d’inquiétude avec le risque de surenchères
politiques internes aux implications extérieures. Les provocations à l’égard
de l’Occident mais aussi envers Israël ne sont pas à exclure, de la part d’un
régime confronté à une contestation interne croissante. Là encore, la
baisse brutale du cours du pétrole n’est pas synonyme de calme et de
sécurité. Bien au contraire, il ne faut pas se réjouir d’un baril trop faible,
vecteur de déstabilisation.
Les crises sanitaires seront encore malheureusement une réalité
cette année. L’épidémie de choléra au Zimbabwe n’est qu’un malheur
supplémentaire pour ce pays à la dérive avec un président autocrate qui
ne constitue pas une exception sur le continent africain. L’urbanisation
sauvage dans des mégapoles au développement incontrôlé risque
également de mener à de nouvelles violences. Là encore, ces mégapoles
22. se concentrent dans les régions les plus pauvres de la planète, en Afrique
et en Asie, principalement.
Indirectement, la crise est également une menace majeure dans la
lutte contre le réchauffement climatique. Pourquoi prendre des mesures
contraignantes et impopulaires pour essayer de traiter un problème dont
les conséquences ne seront pas immédiatement visibles ? L’égoïsme des
nations va prendre le pas sur la sagesse exigée par un tel enjeu. La priorité
des gouvernements n’est pas dans le long terme mais dans le très court
terme. Une des conséquences du réchauffement sera le transfert de
population vers les zones urbaines et vers les zones de prospérité.
L’Europe, plus que jamais, sera un eldorado convoité par des immigrés en
quête d’une vie meilleure. Or, seul le co-développement des pays africains
est en mesure de répondre aux besoins des populations plutôt qu’une
immigration non contrôlée et non maîtrisée vers le Nord plus prospère.
Cet enjeu nécessite d’ailleurs une réponse européenne.
La sécurité alimentaire est également un enjeu essentiel non
seulement pour les pays en voie de développement, dont pudiquement
on oublie combien cette question est essentielle pour la simple survie de
leur population, mais aussi pour les pays développés. La hausse des
matières premières comme le blé au cours du premier semestre 2008
avait entraîné des tensions sociales, y compris en Europe. La crise du
pouvoir d’achat, et maintenant l’augmentation du chômage dans les pays
de la zone euro créent des conditions d’instabilité sociale devenant dès
lors des priorités absolues pour les gouvernements. La pauvreté est par
nature un facteur de crise stratégique. Les succès de politique étrangère
deviennent alors secondaires pour les opinions publiques alors même que
le retour à la prospérité et à la croissance passe par la stabilité
internationale.
Les progrès à venir
L’Union européenne prend cependant conscience peu à peu de
ses responsabilités internationales. Certes, les progrès de l’Europe de la
défense restent encore limités, malgré les efforts de la présidence
française, tandis que l’OTAN s’apprête à fêter son soixantième
anniversaire lors du sommet qui se tiendra en avril entre Strasbourg, Kehl
et Baden-Baden. Cette année sera décisive pour Paris avec l’expression de
23. son souhait de réintégrer la structure militaire de l’Alliance. Pour cela, il
faudra en déterminer les conditions et accorder à la France des
responsabilités à la hauteur de sa puissance militaire. Les négociations ne
seront pas aisées car elles imposent également de revoir l’ensemble de
l’architecture de l’OTAN et la répartition des commandements.
En effet, même si nos armées sont engagées dans un processus
majeur de restructuration, la feuille de route est désormais connue et
cette année va permettre la mise en œuvre des décisions élaborées en
2008 autour du Livre Blanc publié en juin et de la Loi de programmation
militaire 2009-2014 présentée cet automne. Désormais, les objectifs sont
établis et la volonté de réussir est forte. Certes, il y aura des difficultés dès
cet été avec les premières dissolutions de certaines unités et les
déplacements d’autres entités. La dimension « accompagnement du
personnel » sera d’ailleurs essentielle et dimensionnante pour la réussite
finale. Des frustrations dans ce domaine auraient un impact très négatif et
durable sur le moral des armées déjà fragile.
Pour l’armée de terre, la plus concernée des trois armées, 2009
verra le déploiement opérationnel de ses nouveaux matériels,
concrétisant ainsi des années d’effort et d’attente. Ainsi est évoqué
l’envoi au printemps, sur le théâtre afghan, de trois hélicoptères de
combat Tigre. Cette perspective ne concerne pas que l’ALAT mais bien
toute l’armée de terre. L’emploi en opération du Tigre permettra de
montrer la pertinence de ce programme lancé, il y a plus de vingt ans. De
la même façon, l’envoi de canons d’artillerie Caesar –déjà déployés au
Liban et dont 8 exemplaires ont déjà été livrés - apportera une puissance
de feu indispensable à nos troupes. En métropole, l’engin blindé à roues
VBCI va devenir, après les premières livraisons en 2008, une réalité dans
les régiments d’infanterie en remplaçant les vénérables AMX 10P en
service depuis plus de trente ans.
Après plus de15 mois d’indisponibilité suite à son chantier de
modernisation, le porte-avions Charles De Gaulle, va redonner une
capacité indispensable à la politique étrangère française dans ce contexte
trouble. La question du deuxième porte-avions ne sera pas tranchée cette
année, mais les débats vont se poursuivre tant sur le plan technique que
politique pour une décision en 2011-2012. Par contre, la mise en service
des frégates de défense anti-aérienne du type Horizon, retardée pour des
24. raisons techniques, va offrir de nouvelles capacités à la marine nationale
et améliorer la sûreté du groupe aéronaval.
La montée en puissance de la base récemment implantée aux
Emirats arabes unis devrait se poursuivre et contribuer à la stabilité du
Golfe persique.
Le lancement du deuxième satellite Hélios 2B confortera notre
défense en renforçant l’outil spatial d’acquisition du renseignement,
indispensable dans la prévention et la gestion des crises. Le renforcement
de l’espace militaire devrait ainsi permettre à Paris d’accroître sa
crédibilité dans un domaine aussi stratégique.
La dissuasion nucléaire devrait franchir une nouvelle étape avec la
mise en route du laser méga-joule implanté près de Bordeaux. Cet outil de
simulation est indispensable pour garantir la crédibilité et la sûreté de nos
têtes nucléaires. Ce chantier majeur a été lancé depuis plus d’une
décennie. Le maintien de nos compétences scientifiques et
technologiques dans ce domaine stratégique a d’ailleurs été réaffirmé
dans la Loi de programmation militaire. Dans ce domaine, cette année
verra le premier tir de synthèse du nouveau missile M 51 destiné à
équiper le SNLE Terrible dont l’admission au service actif est toujours
prévue en 2010.
2009 pourrait voir enfin un premier succès à l’exportation de
l’avion Rafale, dont l’engagement opérationnel est une réalité depuis
deux ans. Le Rafale a été engagé en Afghanistan où il a régulièrement
effectué des attaques au sol. La Suisse a mené une campagne d’essais à
l’automne 2008 entre différents avions concurrents afin de sélectionner
son futur avion de combat. Le Rafale fait partie des trois candidats et le
résultat est attendu cet été.
Sur le plan industriel, le constructeur aéronautique EADS devrait
être enfin en mesure d’effectuer les premiers vols de l’avion de transport
stratégique A 400M, prévus initialement en mars 2008. 2008 a été à cet
égard, une année de déceptions et de difficultés majeures pour ce
programme emblématique pour l’Europe. Les soucis industriels ne sont
pas sans rappeler ceux que connaît le gros-porteur A 380. Le premier vol
n’est pas attendu avant la mi-2009. EADS a montré ici une certaine
25. incapacité à résoudre ses problèmes liés à sa structure multinationale. Par
ailleurs, le retard accumulé ne sera pas sans poser des problèmes
notamment pour notre armée de l’air qui doit poursuivre le retrait du
service, à raison de 4 appareils par an, des avions Transall atteints par leur
obsolescence. Des solutions palliatives devront être trouvées très vite
avant le premier semestre 2011 avec la livraison des premiers A 400M.
Initialement, EADS, en 2000, avait prévu la mise en service de l’avion en
2007.
Il y aura cependant quelques satisfactions en 2009 avec la
poursuite du développement de la capacité spatiale européenne. En effet,
Arianespace devrait mettre en œuvre, outre sa fusée « best seller » Ariane
V, deux nouveaux lanceurs à partir de la base de Kourou en Guyane. Il y
aura le petit lanceur Vega et la fusée de conception russe Soyouz.
Indéniablement, cet effort, constant depuis des décennies, garantit à
l’Europe son indépendance dans ce secteur hautement stratégique, mais
la vigilance doit rester de mise à travers le maintien des investissements
de recherche et de développement. Les ambitions chinoises et indiennes
sont en effet ambitieuses et crédibles car s’appuyant sur de beaux
résultats obtenus en 2008 comme le troisième vol habité chinois et la
sonde lunaire indienne.
Le dialogue interreligieux peut constituer également une des
satisfactions de cette année. Ainsi, le roi d’Arabie saoudite a, en 2008, fait
preuve d’une volonté d’ouverture sans précédent envers les autres
religions du Livre. De même, les relations entre le Vatican et l’Eglise
orthodoxe ont commencé à s’améliorer, augurant de lendemains moins
tendus et donc porteurs d’espoir pour les années à venir, car récusant la
théorie du choc des civilisations.
De la même façon, l’amélioration progressive des rapports entre
Cuba et Washington semble bien engagée et devrait s’accélérer avec la
future administration Obama. Une transition en douceur reste préférable
pour éviter une crise régionale aux conséquences dramatiques pour la
population de l’île.
La crise économique profonde qui touche l’ensemble de la
planète, constitue en cette année 2009, une source majeure d’instabilité
alors même que les tensions ne cessent de croître dans l’arc de crise
26. défini dans le Livre blanc. Après un semestre de présidence française très
dense et porteuse de projets concrets, l’Union européenne risque de
retomber dans ses travers habituels avec une présidence tchèque à venir
qui suscite des interrogations en raison de l’euroscepticisme en cours à
Prague et la non-résolution de la crise ouverte avec le non irlandais au
traité de Lisbonne. Or, la poursuite de la construction européenne est
indispensable en cette période de grande incertitude économique et
stratégique. Il faut souhaiter également que la campagne électorale qui va
démarrer en Allemagne pour les élections de septembre ne paralyse pas
l’Europe.
Pour la France, 2009 sera une année décisive pour la mise en
œuvre des décisions stratégiques prises en 2008. La difficulté sera accrue
par le contexte économique difficile, mais il sera indispensable que la
Défense conserve sa cohérence non seulement sur le plan de son
organisation mais surtout dans sa dimension humaine. A condition aussi
de se sentir soutenue tant par les autorités politiques que par l’opinion
publique française.
L’Afghanistan restera le principal foyer de crise pour lequel les
perspectives restent sombres. Rester ou partir, dans les deux cas, la
violence sera au rendez-vous. Et la France sera en première ligne.
2009 s’ouvre avec l’espoir de la nouvelle présidence américaine. Il
reste à souhaiter que celle-ci connaisse le succès tant attendu et espéré.
* Ancien chef de corps du 28° RT (2005-2007), le colonel Jérôme
Pellistrandi commande la Brigade Multinationale d'appui au
commandement du Corps Européen à Strasbourg.
27. LES CLEFS D’UNE ANALYSE GEOPOLITIQUE DU SAHEL
Medhi Taje *
Avec 8,5 millions de km2, le Sahara est le plus grand désert au
monde. En effet, il s’étend sur 6000 km de l’Atlantique à la mer Rouge et
sur 2000 km des côtes méditerranéennes aux steppes arides du sahel
africain. Vu d’Europe, le Sahara fut longtemps considéré comme une
frontière ultime, un espace vide, isolé et générateur de mythes : au
moyen-âge, « on le croit peuplé d’animaux fantastiques », de créatures
mi-humaines, mi-animales. Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, nous le
croyons vide, sec, simplement parcouru par des nomades touaregs, les
hommes bleus du désert. La réalité est bien plus complexe ! Le Sahara,
espace vivant et en profonde mutation sur les plans économiques,
politiques, démographiques, etc. est parcouru par de nombreuses routes
commerciales et par des oasis, espaces de vie et véritables carrefours
permettant le commerce et les échanges.
Le Sahara, « pays aux teintes fauves »7, est souvent appréhendé
en tant que zone de séparation, espace « tampon », entre deux champs
géopolitiques distincts, l’Afrique du Nord ou Afrique « Blanche » et
l’Afrique Noire. Dans les textes arabes médiévaux, le sahel désigne
l’espace compris entre le Maghreb et le « bilad as sudan », pays des noirs.
Espace de jonction entre deux plaques tectoniques aux particularités
affirmées et ancrées dans le temps long, ce théâtre se situe à la croisée de
multiples facteurs antagonistes. Barrière entre Méditerranée et Afrique
subsaharienne, le sahel est une voie de commerce traditionnel mais aussi
une zone grise qui échappe au contrôle régulier des Etats riverains et une
voie de passage des flux migratoires entre l’Afrique et l’Europe.
Pourquoi s’intéresser, en tant que géopoliticien maghrébin, à cet
espace qui nous semble si lointain et dans une certaine mesure si
étranger ? Cet espace, flanc sud des pays du Maghreb, concentre une
large part d’opportunités mais également de menaces susceptibles
7
DORBEC Prosper, Eugène Fromentin: biographie critique, Paris : H. Laurens, 1926, 127 p.,
p.94.
28. d’affecter les pays de l’Union Européenne. Nul doute qu’il pèsera
significativement sur l’avenir de notre région !
Les dangers potentiels peuvent se matérialiser sous plusieurs
formes, isolées ou combinées :
* Explosion conflictuelle engendrant une réaction en chaîne déstabilisant
l’ensemble de l’arc sahélien, notre heartland (ceinture de sécurité du sud)
;
* Constituer un terreau et un sanctuaire pour le terrorisme international :
une pépinière où un groupe terroriste pourrait trouver refuge ou des
facilités d’entraînement et de recrutement (attentats, enlèvements,
piraterie, camps d’entraînement etc.) ;
* Constituer une zone grise propice à la multiplication des trafics illégaux :
armes, stupéfiants, véhicules, matières premières, enfouissement de
déchets nucléaires, etc. ;
* Constitution d’un réseau de diffusion et d’infiltration d’un islamisme
radical ;
* La source d’une émigration de masse utilisant l’Afrique du Nord comme
tremplin (lieu de transit) vers les rivages européens : l’écart économique
grandissant et la poussée démographique risquent de provoquer un
courant de migration difficilement maîtrisable ;
* Le blanchiment d’argent ;
* Détournement des ressources stratégiques (pétrole, gaz, uranium…etc.),
objets d’une vive concurrence internationale. USA, France, Chine etc.
convoitent les ressources pétrolières de la zone : la récente tentative de
déstabilisation du régime tchadien, via le Soudan, transcende de toute
évidence les capacités soudanaises et rejoint la stratégie plus imposante à
dominante asiatique et vraisemblablement chinoise (jeu de bascule
autour de l’enjeu pétrolier).
Les pays de l’Union européenne et du Maghreb ne peuvent sous-
estimer ces dangers qui se sont déjà matérialisés de façon disparate dans
29. diverses situations. Ne pas sous-estimer, c’est analyser, c’est anticiper les
mutations pouvant affecter et recomposer la géopolitique de ce théâtre
aux particularismes si prononcés. Ne pas sous-estimer dicte de clarifier et
d’identifier les variables motrices endogènes et exogènes, les dynamiques
politiques, économiques, ethniques, culturelles et historiques qui
caractérisent cet espace et conditionnent son évolution. Il s’agit, en
appliquant la méthode géopolitique, de mettre en relief la personnalité
stratégique de cet espace peu exploré afin d’accroître sa lisibilité, de
dégager ses modalités et sa logique de fonctionnement et d’évolution.
Dans ce contexte, je vous livre quelques pistes de réflexion
identifiant deux catégories d’éléments qui me semblent indispensables à
l’analyse géopolitique de cet espace : les facteurs constitutifs du champ
sahélien, c’est-à-dire les facteurs participant à sa définition et les grandes
lignes de fracture qui nourrissent la conflictualité sahélienne.
LES FACTEURS CONSTITUTIFS
Un champ caractérisé par la géopolitique du désert
Des frontières poreuses et fragiles
L’espace saharo-sahélien favorise une remise en question des
frontières établies par les Etats, l’étatisation postcoloniale de l’espace
ayant bouleversé les frontières ethniques et les modes de vie
traditionnels, notamment la libre mobilité des hommes et des biens
(caravanes, commerce, transhumance et nomadisme). En effet, les
régions arides sahéliennes sont historiquement parcourues par des tribus
nomades rivalisant pour le contrôle des oasis et des routes caravanières.
Pour ces tribus, dont la mobilité est une tradition et une question de
survie, les contraintes liées aux frontières et aux procédures entre Etats
(passeports, visas, etc.) n’ont aucune signification. Logiquement, les Etats
sahéliens ont œuvré depuis les indépendances au renforcement de leurs
appareils administratifs et militaires afin de matérialiser leur contrôle sur
leur territoire. Dans ce cadre, les tentatives de sédentarisation des
nomades ou des pasteurs sont devenues peu à peu une priorité en termes
de modernisation, de souveraineté et sécurité nationale ainsi que de
maîtrise de la contrebande ou de mouvements subversifs. Cette
dynamique de sédentarisation plus ou moins forcée s’est traduite par une
30. radicalisation des tribus nomades qui y ont perdu leurs troupeaux,
souvent seul moyen de subsistance.
C’est dans le cadre de ce télescopage entre l’autorité étatique et
l’autorité traditionnelle des populations nomades que doivent être
analysés de nombreux conflits sahéliens. En effet, les populations
nomades sont des acteurs majeurs de ces conflits, souvent frontaliers.
C’est dans cette optique que s’inscrivent les mouvements touaregs au
Mali et au Niger ou les mouvements Toubous dans le nord du Tchad.
Comme le souligne Yves Lacoste dans son dictionnaire de géopolitique :
« menacés de la ruine matérielle par la perte de leurs troupeaux et de
leurs montures, comme par la perte de prestige que représente la
sédentarisation, les nomades trouvent dans leur participation à des
opérations financées par des intérêts occultes, parfois fort lointains,
l’occasion de prouesses guerrières et de revenus pour eux
considérables »8.
Un champ vecteur de menaces diffuses
Le désert, « vide topologique » difficilement contrôlable et
difficilement défendable, devient susceptible d’attirer de multiples
fonctions : trafics illicites (personnes, armes légères, armes prohibées,
dépôt de déchets nucléaires, etc.) propices à une diversification et à une
prolifération des facteurs de tension ; abri pour des commandos
dormants ; zone grise offrant des angles de pénétration pour des
terroristes ; zone discrète favorable pour des tests sensibles (armes
chimiques, armes balistiques, entraînements aériens, etc.). Pour diverses
raisons, les Etats risquent de se laisser entraîner dans de telles activités
licites ou illicites ou s’en faire directement complices. En fait, le Sahara,
zone de transit, zone refuge et zone d’activités secrètes, s’avère vecteur
de menaces sérieuses.
Une démographie singulière
Le désert favorise des dynamiques de transfert de populations. La
nature ayant horreur du vide, de nombreux espaces désertiques « sont
8
LACOSTE Yves, Dictionnaire de géopolitique, Paris : Flammarion, 1993, 1679 p.
31. sujets au déversement de trop-pleins démographiques »9. Le
surpeuplement de l’Egypte nilotique, côtoyant un Est libyen sous-peuplé,
est enclin à favoriser une migration des populations égyptiennes vers ces
espaces vides. Ainsi, « historiquement clos par le désert libyque, le
territoire égyptien tend à déborder peu à peu vers celui-ci, poussé par sa
démographie »10.
Par ailleurs, le sahel constitue un espace de transit pour les
migrants d’Afrique sub-saharienne se rendant vers les pays de l’Union
européenne. En renforçant le contrôle des flux migratoires, l’espace
Schengen a déplacé la problématique migratoire en amont, c’est-à-dire le
long du littoral du Maghreb et au sein des villes du Sahara. Dans ce cadre,
les routes transsahariennes sont devenues les nouvelles routes de
l’immigration d’Afrique sub-saharienne vers l’Europe. En reportant ainsi la
pression migratoire en amont, l’UE contribue à l’augmentation
significative du nombre de migrants au sein du Sahara, à l’émergence de
villes de plus en plus peuplées, souvent caractérisées par une économie
de transit fragilisant le tissu social (villes, véritables plaques tournantes de
l’immigration : Tamanrasset, Agadez, etc.) et à l’exposition des pays du
Maghreb à de multiples pressions migratoires déstabilisatrices à long
terme.
Des Etats enclavés
Le désert est propice à l’enclavement des Etats. Un Etat enclavé
est un Etat qui ne dispose pas de façade maritime et donc d’un accès
direct à la mer. Les communications et les échanges économiques
dépendent étroitement de sa relation avec ses voisins. Cette dépendance
est la source d’un profond handicap, souvent vécu comme un « complexe
d’infériorité géopolitique » conduisant les Etats à développer de multiples
stratégies de désenclavement. Comme le souligne Aymeric Chauprade,
« si un Etat est enclavé, alors l’enclavement est sa donnée géopolitique
majeure, supérieure à toute les autres. L’ambition première d’un tel Etat
est de sortir de l’enclavement »11. Cette nécessité est qualifiée
9
CHAUPRADE Aymeric, Introduction à l’analyse géopolitique, Paris : Ellipses, 1999, 320 p.,
p. 94 ; voir aussi, DUSSOUY Gérard, Quelle géopolitique au XXIe siècle?, cf. l’espace démo
politique mondiale, Paris : Editions Complexe, 2001, 500 p., pp. 129-137.
10
Ibid., p.94.
11
Op.cit., CHAUPRADE Aymeric, Introduction à l’analyse géopolitique, p.63.
32. d’ « invariant géopolitique »12 : accéder à l’élément liquide, vecteur de
richesse et de puissance, devient une véritable obsession. Au sein de l’arc
sahélien, le Tchad, le Niger et le Mali souffrent d’une situation
d’enclavement qui handicape leur développement économique et
conditionne, voire fragilise, leur posture géopolitique.
L’importance des oasis
Comme l’évoque Yves Lacoste dans son dictionnaire de
géopolitique : « des camions et automobiles desservent aujourd’hui ces
oasis créées au Moyen-âge et qui sont devenues des lieux très limités en
superficie mais où le peuplement est de plus en plus dense en raison de la
croissance démographique des dernières années »13. La valeur stratégique
des oasis s’en trouve accrue en raison du fort contraste entre ces points
de concentration de peuplement et des immensités où les hommes sont
de plus en plus rares. En quelque sorte, ces oasis acquièrent une fonction
géopolitique semblable à l’insularité : qui les tient contrôle en fait un
point d’appui et par voie de conséquence une partie du Sahara.
Un champ aux multiples richesses
L’arc sahélien est riche en ressources : pétrole et gaz, fer,
phosphate, cuivre, étain et uranium sont autant de richesses nourrissant
les convoitises de puissances désirant s’en assurer le contrôle. Dans ce
contexte, des stratégies de positionnement, de prise de contrôle,
d’encerclement et de contre-encerclement participent à la définition des
enjeux géopolitiques et géoéconomiques structurant le théâtre sahélien.
Par ailleurs, l’exploitation de ces ressources a fortement modifié le
paysage sahélien, transformant le Sahara d’un espace d’oasis faiblement
peuplées en un espace de villes dépassant souvent les 100.000 habitants.
Un espace à dominante islamique
La fulgurante poussée de l’islam au cours des siècles passés a
significativement contribué à dessiner les contours de la géopolitique
contemporaine des pays sahéliens. Pourtant, ce facteur religieux est
12
Ibid, p.62.
13
Op.cit., LACOSTE Yves, Dictionnaire de géopolitique, 1679 p.
33. rarement à la base de la conflictualité sahélienne : la religion intervient
mais en quelque sorte mobilisée par les dynamiques ethniques.
Néanmoins, le théâtre sahélien fait l’objet d’une nouvelle poussée
de l’islam politique, voire intégriste, risquant de fragiliser les équilibres
précaires et d’offrir des angles de pénétration au terrorisme islamiste. En
effet, au sein du monde sunnite, une poussée réformiste de tendance
sunnite hanbalite, souvent néo-wahhabite, stigmatise le sunnisme
malékite des confréries de l’islam noir traditionnel. Dans ce cadre, toutes
les grandes sources de l’islam radical se positionnent peu à peu au sein
des pays sahéliens. Par ailleurs, ces nouvelles forces, de nature
transétatique, tout en étant pilotées par les Etats moteurs de l’islamisme
radical (Arabie Saoudite, Pakistan, Iran et Soudan), interagissent avec les
forces islamiques autochtones, les confréries, et ceci de manière propre à
chaque pays. Ces forces, en apparence nouvelles, ne sont que la
traduction contemporaine du combat que se livrent depuis des siècles les
puissances occidentales et « les aires civilisationnelles arabe, perse et
indienne »14. De nos jours, l’Iran, le Pakistan, l’Arabie Saoudite, la Libye,
etc. « tentent d’évincer ce qui demeure de l’Occident en Afrique noire
pour y reconquérir le terrain économique et politique qu’ils occupaient
avant le début de la colonisation européenne »15.
Un espace répondant globalement aux tensions centre-périphérie
La géopolitique interne des Etats sahéliens est dans une grande
mesure régie par le raisonnement géopolitique centre-périphérie. Le
concept de centre est fondamental afin de comprendre la géopolitique
interne et externe d’un Etat. « François Thual développe le concept de
colonisation interne, pour illustrer l’idée selon laquelle une région
l’emporte sur les autres dans le processus d’édification d’une nation »16.
La notion de centre est définie comme étant « la zone
géographique à partir de laquelle l’Etat exerce sa puissance sur l’ensemble
du territoire et en direction des voisins. Le centre politique est
généralement la capitale de l’Etat, tandis que le centre économique est
14
CHAUPRADE Aymeric, Géopolitique : constantes et changements dans l’histoire, Paris :
ème
Ellipses, 3 éd, 2007, 1050 p., p.321.
15
Ibid., p.321.
16
Op.cit., CHAUPRADE Aymeric, Introduction à l’analyse géopolitique, p.59.
34. souvent une région. La périphérie est définie, par opposition au centre,
comme la zone extérieure au centre, qui reçoit ou subit l’effort de
puissance exercé par le centre »17. Clausewitz a défini le centre de gravité
comme étant « un centre de puissance et de mouvement dont tout
dépend ».
Tout le long de l’arc sahélien, la géopolitique interne des Etats
semble obéir à ce raisonnement opposant un centre contrôlant le pouvoir
politique ainsi que les richesses du pays et des périphéries marginalisées
aspirant à rompre le statu quo découlant souvent des effets de la
colonisation ayant inversé les rapports de force traditionnels.
A titre illustratif, le conflit du Darfour est étroitement lié à des
considérations économiques et politiques. Survenant alors que le Nord et
le Sud s’accordent sur un partage du pouvoir et des ressources, il n’est
qu’un moyen destiné à légitimer les revendications des populations du
Darfour marginalisées et aspirant à un partage plus équitable des
ressources et à une participation au pouvoir. La périphérie se rebelle
contre le centre. Ce raisonnement est transposable à la conflictualité
tchadienne et touareg.
LES LIGNES DE FRACTURE
La ligne de contact entre « Blancs et Noirs » d’une part et Nord et Sud
d’autre part
Depuis longtemps, une partie du Sahara et des marges sahéliennes le
bordant ont constitué une ligne de contact et d’opposition entre « Blancs
et Noirs ». S’agit-il, à l’instar des « indiens » d’Amérique, de deux entités
distinctes ou d’une même communauté aux apparences simplement
différentes ? Les implications philosophiques de la question sont lourdes
de conséquences. De fait, les Blancs ont longuement exercé une
domination matérialisée d’abord par les « razzias » de biens et la « traite
des noirs ». Ce facteur, souvent négligé dans l’analyse de conflits
ravageant le sahel, est pourtant d’une importance majeure. En effet,
l’esclavagisme, par son atrocité, par ses modes d’organisation, ses réseaux
de soutien, etc. constitue un facteur déstructurant à forte charge
17
Ibid., p.59.
35. émotionnelle inscrit dans la mémoire collective des peuples et transmis
de génération en génération.
Ainsi, de nombreux conflits sahéliens trouvent leur origine dans
cette fracture Afrique Blanche-Afrique Noire matérialisée par la traite
d’abord islamo arabe puis européo coloniale, souvent renforcée par
l’instrumentalisation, voire la complicité, de populations noires (ethnies
différentes et rivales). Lors de la décolonisation, de nombreux Etats
regroupant administrativement des populations caractérisées par de
lourds contentieux historiques, notamment les ethnies victimes de la
traite, doivent assurer la cohabitation de tribus ayant participé activement
au sein de l’ancien appareil négrier : « ce sont en effet des royaumes
guerriers africains qui allaient capturer des esclaves chez d’autres peuples
pour les vendre à des commerçants arabes ou à des négriers européens,
mais aussi à d’autres africains »18. Il convient de garder à l’esprit que
l’esclavage a été aboli tardivement en Mauritanie (5 juillet 1980)19. Entre
les peuples victimes de la traite et ceux qui la pratiquaient ou en étaient
complices, se sont dressés de véritables murs d’incompréhension, voire
de haine, paralysant toute initiative de construction d’un véritable
sentiment national, indispensable à l’émergence d’un Etat nation.
Second aspect de cette ligne de contact, la plupart des Etats situés
entre les latitudes 10° Nord et 20° Nord sont caractérisés, dans leur
architecture interne, par une fracture Nord-Sud qui traduit in fine, une
opposition avant tout ethnique entre populations blanches, souvent
arabisées, et populations noires. Ainsi, au Mali, l’opposition fondamentale
est celle des Blancs, Maures et Touaregs et des ethnies africaines noires.
La rébellion est nordiste et touareg. En Mauritanie, les populations
blanches arabo-berbères, en partie métissées de Noirs, sont confrontées
aux populations négro-africaines, ethnies Toucouleurs, Sarakolés, Wolofs
et Peuls. Cette fracture raciale Nord-Sud, ancrée dans l’histoire, est à la
base d’une profonde conscience ethnico-tribale structurant les sociétés
18
Op.cit., CHAUPRADE Aymeric, Géopolitique : constantes et changements dans l’histoire,
p.239.
19
L’esclavage a été aboli une première fois par l’administration coloniale au début du
siècle, puis par l’Etat mauritanien indépendant en 1960 (affirmation de l’égalité des
Mauritaniens devant la Constitution), et par un communiqué du Comité Militaire de Salut
National (CMSN), le 5 juillet 1980 (confirmé par l’ordonnance n° 81-234 du 9 novembre
1981).
36. du sahel africain et brouillant la pertinence du concept occidental d’Etat
Nation.
L’opposition sédentaires/nomades
A l’opposition populations blanches/populations noires s’ajoute
l’opposition Sédentaires/Nomades, les pasteurs nomades (Toubou,
Touareg ou Maures) se considérant comme des blancs, en dépit de la
couleur de leur peau moins foncée, par opposition aux Noirs, habitants
des oasis, descendants d’anciens esclaves et paysans des régions
méridionales.
L’opposition sédentaires-nomades est une constante dans
l’ensemble de l’arc sahélien : elle est à la base de nombreux
antagonismes, sources d’une conflictualité croissante. Du Sénégal au
Soudan, des altercations surviennent régulièrement entre pasteurs
nomades en quête d’eau et de pâturage pour leurs troupeaux, et
cultivateurs sédentaires cherchant à protéger leurs cultures et leurs
champs. La prolifération des armes, l’explosion démographique, la
désertification (poussant les nomades à rechercher des terres plus au sud)
et les sécheresses de plus en plus fréquentes rendent la compétition pour
l’eau et les terres de plus en plus vive. Cette dynamique risque d’être
amplifiée à l’avenir par les conséquences de plus en plus prévisibles du
réchauffement climatique.
La fracture religieuse
La prépondérance du facteur ethnique ayant été soulignée, il
convient, à ce stade, de mentionner la part de la fracture religieuse qui
sacralise les antagonismes ethniques. En effet, la religion à son tour fut
instrumentalisée à des fins identitaires, intervenant souvent en tant que
facteur de division aggravant les oppositions ethniques. Dans de
nombreux Etats du sahel africain, la polarisation Nord-Sud est amplifiée
lorsque la fracture religieuse épouse la fracture raciale. Le Tchad et le
Soudan sont des exemples significatifs d’Etats confrontés à cette double
fracture à la base d’une conflictualité chronique hypothéquant la stabilité
de ces sociétés. En effet, le Soudan est confronté depuis son
indépendance à une incessante guerre civile opposant le nord arabo-
musulman au sud peuplé d’ethnies bantoues, chrétiennes et animistes.
37. L’impact du colonialisme
L’Homme Blanc a soumis par la force l’Homme Noir, lui imposant,
au nom d’une action à vocation civilisatrice, ses modèles, ses catégories
politiques, ses institutions et ses propres concepts. Se superposant à
l’opposition raciale Blancs-Noirs, le colonialisme est entré en
confrontation directe avec la dynamique esclavagiste en désorganisant les
systèmes négriers suite à l’abolition de l’esclavage décidée lors de la
Conférence de Bruxelles (18 novembre 1889 - 2 juillet 1890) : « dans
certains cas, le colonisateur s’est appuyé sur les appareils existants, dans
d’autres, ce sont les groupes victimes qui s’y sont alliés pour se libérer des
premiers »20.
En effet, confronté à un véritable choc des races et à une
puissante poussée de l’islam (venant essentiellement du Nord), le
colonialisme sut jouer habilement des rivalités des différents acteurs en
s’opposant à cette poussée musulmane dominatrice et esclavagiste par un
soutien tactique aux populations noires les plus vulnérables.
Parallèlement, l’évangélisation chrétienne véhiculée par les colonisateurs
joua le rôle de « contrepoids significatif aux forces d’attraction qui
s’exerçaient à partir du Maghreb musulman sur les pays d’Afrique
Noire »21. Cette seconde pénétration religieuse s’avéra une arme efficace
de colonisation et aboutit, en se heurtant aux populations musulmanes, à
la « définition d’une ligne de contact » qui deviendra, par la suite, une
véritable fracture d’ordre religieux.
« Pour s’imposer, le colonisateur choisit soit de confirmer une
suprématie politique lorsqu’il constatait un avantage clair en matière de
développement politique d’une ethnie sur les autres, soit de renverser le
rapport de force ou de l’annuler en fonction des propres alliances
ethniques qu’il avait contractées »22. Dans ce cadre, « La colonisation
européenne fut un frein apporté à l’excès de puissance des populations
nordistes et à leurs trafics d’esclaves noirs. Au Haut Sénégal et au Niger
par exemple, la France se heurta à des chefs esclavagistes Maures,
20
Op.cit., CHAUPRADE Aymeric, Géopolitique : constantes et changements dans l’histoire,
p.240.
21
Ibid., p.238.
22
Ibid., p.238.
38. Touaregs, Peuls, Arabes tels Samory et Mahmadou-Lamine qui, sous le
prétexte de guerre sainte, cherchaient à préserver leurs trafics »23.
Par une présence militaire combinée à une habile diplomatie, le
colonialisme, en se posant en arbitre, a contribué à stabiliser les tensions
raciales et ethniques. En ce sens la colonisation fut en quelque sorte une
ère de glaciation des rivalités : « la pénétration des Européens éteignit le
feu des conflits esclavagistes, lutta contre le cannibalisme et accorda sa
protection à nombre de populations dominées ; en cela, elle contribua à
instaurer une paix durable sur le continent africain et au sahel. Arbitre, le
colonisateur avait intérêt au calme des zones administrées ; il savait ce
calme précaire et les divisions latentes toujours promptes à
réapparaître »24.
En fait, la colonisation n’a fait qu’instrumentaliser les rivalités
entre les différentes ethnies et les peurs des plus vulnérables qui
cherchaient à échapper à la pratique de la traite musulmane, afin d’ancrer
et de consolider son emprise.
C’est ainsi que lors de la décolonisation, les antagonismes, les
rivalités et les haines « en sommeil » émergèrent à nouveau plongeant le
théâtre sahélien dans le chaos des guerres civiles ou des conflits dits
internes. La fracture raciale et ethnique Nord-Sud réapparaissait,
déstructurant, déstabilisant et fragilisant la géopolitique interne des
nouveaux Etats de l’arc sahélien en redonnant toute leur virulence à des
antagonismes passés difficilement maîtrisables.
La projection des stratégies extérieures
Le Sahara, zone de transit et zone refuge, est au croisement de
multiples initiatives mises en place par les grandes puissances. Au
lendemain du 11 Septembre 2001, il s’inscrit dans la démarche globale de
lutte contre le terrorisme dans la logique de responsabilisation des Etats,
en les dotant au besoin des moyens technologiques et de l’encadrement
militaire susceptibles d’amplifier leur contrôle sur leur territoire. Il s’agit
en définitive de lutter contre la formation de zones grises offrant des
23
Op.cit., CHAUPRADE Aymeric, Géopolitique : constantes et changements dans l’histoire,
p.238.
24
Ibid., p.239.
39. angles de pénétration au terrorisme islamiste. En outre, ce théâtre
abritant de nombreuses richesses pétrolières et minières, attise les
convoitises et risque de se retrouver confronté à une puissante lutte
d’influence entre les anciennes puissances coloniales et de nouveaux
acteurs mus par des ambitions et des dispositifs géopolitiques concurrents
dont les USA, la Chine, la Russie et dans une moindre mesure l’Inde, Israël,
l’Iran, etc.
Dans ce cadre, les lignes de fracture évoquées précédemment
sont instrumentalisées, voire amplifiées, par les tensions et les rivalités
inhérentes à la lutte opposant les puissances extérieures quant à la
sécurisation de leurs sources d’approvisionnement en pétrole et en
matières premières (bauxite et uranium). A titre illustratif, par ses
réserves, dévoilées et potentielles (1,5 Milliard de barils et possibilité pour
3 à 4 Milliards), le Soudan et la région du Darfour (partie méridionale au
sud de Nyala), constituent un point névralgique matérialisant la lutte
entre les Etats-Unis et la Chine pour le contrôle du pétrole africain.
En effet, un véritable « grand jeu » se profile en opposant les
Etats-Unis à la fulgurante poussée chinoise sur le continent africain. Avec
la Chine progressant d’est en ouest et les Etats-Unis très implantés dans le
Golfe de Guinée, la lutte d’influence des deux géants se joue d’ores et
déjà dans les pays centraux, à l’image du Tchad. A long terme, l’objectif
des stratèges chinois semble viser à établir une connexion par oléoducs
entre les champs pétroliers du Tchad, du Niger, du Nigéria et du Soudan
afin d’évacuer le pétrole par Port-Soudan sur la mer Rouge. Ce projet
géopolitique s’oppose frontalement aux intérêts stratégiques américains.
Conclusion
Dans ce contexte global, le Sahel, inscrit dans la dynamique
complexe et incertaine d’un monde non stabilisé, tendu par la recherche
de nouveaux paradigmes, cristallise un faisceau de facteurs
potentiellement crisogènes pouvant, par combinaison, déboucher sur des
conflits fortement déstabilisateurs, à l’image du conflit du Darfour au
Soudan.
Parallèlement, le risque de contagion ou d’effet tache d’huile est amplifié
par la porosité des frontières, inhérente aux caractéristiques propres à cet
espace.
40. Cet arc développe une conflictualité singulière s’enracinant dans
le temps long de l’histoire. Espace tampon mais surtout espace de
jonction et d’échanges, difficilement contrôlable, l’arc sahélien développe
une conflictualité endémique sur laquelle les différents acteurs ont peu de
prise. Le champ sahélien n’obéit pas à un système de forces homogène. Il
reste incapable de s’auto réguler, de parvenir à une certaine stabilité
autour d’un point d’équilibre : l’exacerbation des antagonismes menace la
carte politique régionale.
Compte tenu du fort degré d’imbrication, il est possible d’évoquer
une conflictualité en réseau ou « en chaîne » car toute action s’exerçant
sur un maillon de la chaîne se traduit par des répercussions sur
l’ensemble. La trêve entre le Nord et le Sud du Soudan, soutenue par les
puissances extérieures, s’est répercutée sur le Darfour débouchant sur un
conflit meurtrier menaçant directement les équilibres précaires du champ
soudano tchadien. Par ailleurs, cette conflictualité, rebelle à toute forme
de régulation, rend aléatoire toute tentative d’ingérence qui, en éteignant
un foyer, risque d’en allumer un autre.
Dans ce cadre, l’ordre international présent ne peut demeurer
indifférent face à ce champ, véritable polygone de crises, générateur de
conflits « ulcéreux » pouvant se déclarer à tout instant. Dans un monde en
interconnexion et à la recherche d’un nouvel équilibre, aucune zone ne
peut plus être ignorée ni marginalisée. Le sahel ne devrait pas demain
devenir un deuxième Afghanistan.
* Professeur de Géopolitique, Medhi Taje est consultant en prospective
et stratégie d’entreprise.
41. SUR LA RECHERCHE, LA SCIENCE ET L’EDUCATION EN
ALGERIE : CONTEXTE POLITIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE
Gérard Begni *
Au moment de l'indépendance, l'Algérie nouvelle n’a guère
d’autre modèle d’organisation et de gestion que celui du système
français. Comment celui-ci fonctionne-t-il alors ?
Le contexte politique après l’indépendance
La France vit alors la période dite des 'trente glorieuses'.
L’indépendance de l’Algérie mettra fin à une guerre interminable et
impopulaire (aux plans national et international), la dégageant de la
charge militaire, morale, politique et financière associée. La France
redéployera ses moyens financiers et humains vers une croissance
industrielle sans précédent et une indépendance militaire obtenue par la
volonté inflexible du Général de Gaulle à travers la modernisation
technologique de son armée, qui culminera avec la ‘force de frappe'.
Politiquement, elle permettra à la France de parachever son
indépendance militaire en quittant la structure militaire intégrée de
l’OTAN en 1966. Cette modernisation contribuera significativement à
l’essor de l’industrie et de la recherche, ainsi qu’à l’apprentissage de
nouvelles relations entre l’une et l’autre, comme en témoigne par
exemple l’essor du CEA (créé dès octobre 1945 par le Général de Gaulle
alors au pouvoir), de l’ONERA (créé dès mai 1946) et de la recherche
privée, partiellement sous subvention publique, comme entre autres
exemples l’avionique chez Marcel Dassault. Les liens entre recherche
fondamentale (physique nucléaire), recherche appliquée et ingénierie de
pointe ont certainement existé en ce domaine, mais n’ont évidemment
pas été étalés sur la place publique. Dans un domaine civil tel que
l’agriculture par exemple, encore essentiel à cette époque, le modèle
français est celui d’un grand corps de l’Etat, l'IGREF, déployant sur le
terrain une administration efficace, le Génie Rural, fonctionnant sur le
mode ‘administrateur vers administrés’ adossé a une école de formation
appliquée, l’ENGREF, et à quelques laboratoires en étroite dépendance.
Les anciennes structures de recherche qui épousaient sur le plan
42. scientifique la logique du pouvoir colonial tel que l’ORSTOM (Créé en 1943
sous le sigle ORSC), auront à s’adapter à la nouvelle donne créée par la
décolonisation. Cet organisme gardera sa dénomination désormais
surannée jusqu’à l’orée du nouveau millénaire avant de devenir l’IRD.
Avec d’autres, il permettra une continuité certaine des relations
scientifiques entre la France et ses anciennes colonies. A côté de ces
structures étatiques, les Universités dont l’excellence n’est pas
contestable joueront leur rôle de manière découplée de ce monde
administratif et industriel. Généralement sensibles à diverses écoles de
pensée d’inspiration néo-marxiste, massivement engagés aux côtés des
partisans de l’indépendance algérienne, les universitaires positionneront
souvent cette autonomie de pensée sur un terrain idéologique, refusant
généralement tout ce qui peut servir de près ou de loin le 'capitalisme' et
l' 'impérialisme' et s'attirant en retour la méfiance du monde
institutionnel, industriel et militaire – voire politique, y compris l’école
marxiste traditionnelle.
Mais ce que la France, grande puissance millénaire, peut faire, le
jeune Etat indépendant ne le peut pas. Le monde arabe a été
intellectuellement très brillant, mais les siècles sont passés par là, et la
colonisation a changé le paysage éducatif et scientifique traditionnel.
L’Algérie nouvelle dispose d’élites intellectuelles, formées le plus souvent
par la France ou sous son influence directe. Elles reflètent donc en grande
partie son mode de pensée - ou ses modes de pensées, ses traditions
administratives. Les clivages décrits plus haut se répercuteront chez elles
selon que ces élites ont été formées dans le moule universitaire ou dans
celui du système de la gestion publique. Ils seront à l’origine de bien des
divergences de vision au sein des élites dirigeantes du jeune Etat.
Ben Bella fut élu président de la République algérienne
démocratique et populaire. Sa présidence sera une période de
construction enthousiaste et foisonnante, marquée par des décisions
structurantes, parfois hésitante et subissant des évolutions en apparence
peu lisibles. Ainsi, en octobre 1963, il suspendit la Constitution du pays et
l'Islam fut décrété religion d'État., Celui-ci étant légitimant dans les
sociétés musulmanes, le pouvoir politique algérien se devait donc de
reconnaître une place de choix à l’Islam et à la langue arabe. Point majeur,
le chapitre suivant traite du mode algérien d’arabisation et de ses
conséquences éducatives et scientifiques.
43. Les élites scientifiques permettront de mettre sur pied un système
éducatif de valeur (mais que l’arabisation forcée contribuera à dégrader,
voir paragraphe suivant) et des universités dont les meilleures seront
réellement de haut niveau. Mais la priorité sera de structurer le nouvel
Etat sous l’impulsion du FLN. Celui-ci, formé essentiellement de
combattants clandestins aguerris, a acquis une valeur militaire
incontestable mais a une compétence médiocre en termes de
structuration et gestion proactive d’une société civile en temps de paix. La
formation de cadres durant l’époque coloniale a certes formé des
personnalités parfaitement capables de mettre sur pied un certain
nombre de structures administratives dans l’esprit de l’ancien
colonisateur, mais peinant davantage à assurer une solide cohérence au
plus haut niveau du jeune Etat.
Cette difficulté de la jeune nation à s’organiser sera de plus
freinée par divers handicaps. Le FLN entend asseoir avant tout son
autorité politique. Sa priorité de fait sera de faire du système naissant un
instrument de contrôle plutôt que de déployer tous ses efforts pour
assurer son efficacité administrative et sociétale. Dans un tel contexte, les
enjeux de pouvoir sont très forts, et font que les personnalités au pouvoir
ou les idéologies qu’ils véhiculent marquent plus que de raison les
systèmes d’administration et de gestion mis en place, lesquelles
deviennent à leur tour des instruments de pouvoir. Quant aux Universités,
elles resteront de fait à l’écart de la construction de la nouvelle société
pour au moins deux raisons. D’une part, la naissance hésitante et
politiquement contrôlée des structures d’Etat ne permet guère une
réflexion entre science et structures publiques émergentes. D’autre part,
comme en France mais dans un contexte très différent, la structure
étatique civile et militaire et l’amorce de société industrielle qui se
constitue autour d’elle tend à se méfier de l’indépendance de pensée
intrinsèque au système universitaire. Le consensus né de l’indépendance
pourrait se décliner en multiples ramifications idéologiques de nature à
saper l’autorité du FLN, chose évidemment hors de question. Les
différents courants de pensée qui traversent le mouvement au pouvoir ne
peuvent coexister que si celui-ci détient les clés de leur équilibre et ne
pourraient résister face à des mouvements de pensée alternatifs et
incontrôlés qui pourraient traverser la société civile. Or, le rêve de
l’indépendance, longuement caressé, chèrement conquis, semble laisser
44. grande ouverte la porte a toutes les utopies. La fraternité des armes dans
la clandestinité pousse la société vers un mode de pensée ‘collectiviste’.
Encore faut-il interpréter ceci comme une solidarité de fond dans la
création du jeune Etat, et probablement aussi à travers le mode de
pensée de l’Islam (reconnu religion d’Etat) qui attache une grande valeur
à la solidarité familiale, avec les personnes âgées et les pauvres ainsi qu’à
travers des traditions de solidarité à l’échelle de petits groupes plutôt que
par analogie avec l’idéologie social-démocrate ou marxisante de la gauche
occidentale. L'ennemi juré israélien (‘sioniste’) n’a-t-il pas suivi un chemin
quelque peu similaire mais infiniment plus ‘occidentalisé’ (car construit
par des émigrants) ? Le triomphe du sionisme n'est-il pas a ce moment
celui des Kibboutz et l’élite politique israélienne n’est-elle pas influente
dans l’Internationale Socialiste? Des mouvements idéologiques radicaux
ne traversent-ils pas les universités françaises et une large partie de
l’intelligentsia qui a défendu l’idée de l’Algérie indépendante? Cet état
d’esprit collectiviste, qu’il serait erroné de confondre avec une vision
marxisante ou même social-démocrate à l’occidentale sinon par quelques
influences superficielles, n’est donc pas fait pour déplaire aux dirigeants
du jeune Etat, mais il nécessite d’être étroitement contrôlé pour ne pas le
déborder. Les responsables les plus conscients des contraintes de
développement du jeune Etat favoriseront plutôt ce que l’on appelle les
Sciences de l'Ingénieur plutôt que la naissance d’une recherche
scientifique indépendante, multidisciplinaire, et qui peut se montrer
dérangeante25. Il est à noter que l Algérie ne dispose toujours pas à ce
jour d’une Académie des Sciences.
Il faut ajouter qu’au niveau sous-régional au sein du Maghreb, les
échanges tant scientifiques qu’économiques sont notoirement
insuffisants. Ceci est principalement lié à des raisons politiques, telles que
la tension entre l’Algérie et le Maroc, lié à l’absence d’accord sur le tracé
frontalier de certaines régions ainsi que plus tard à la question sahraouie.
La frontière terrestre entre Algérie et Maroc est fermée. La Tunisie, qui a
soutenu à fond le FLN lors de la guerre d’indépendance, trace très
soigneusement ses frontières avec l’Algérie et installe des avant-postes
militaires à cette frontière.
25
On notera par exemple que Medhi Ben Barka a été formé en partie a l’Université d’Alger
et que sa condamnation à mort par le régime marocain sera due à son refus de prendre
positon dans le conflit frontalier algéro-marocain issu de subtilités de l’administration
coloniale française.
45. De part et d’autre de la Méditerranée, les blessures issues de la
guerre d’indépendance rendent très difficile une coopération étroite
entre l’ancienne puissance coloniale et le jeune Etat. De plus – et ceci
déborde les limites de la France pour s’étendre à l’Europe, y compris plus
tard sous la forme politique de l’ ‘Union Européenne’- la coopération
euro-méditerranéenne dans le sens nord-sud a été marquée par une
approche non égalitaire, l’Europe obligeant souvent les pays du Sud à
passer par les fourches caudines de son programme et son administration,
souvent pour des raisons de politique intérieure voire administratives.
Incontestablement, ceci a contribué à créer un état d’esprit pernicieux d’
‘assistanat’, et peut, dans la perspective idéologique de la décolonisation,
être interprété comme ‘néo-colonialiste’ – double handicap qui reste
encore partiellement à surmonter sur les deux rives de la Méditerranée.
L’échec quasi-total de l’esprit de fond du Processus de Barcelone - et
donc la nécessité de le repenser - a été souligné par le président
Bouteflika en 2005 et implicitement reconnu par un homme d’Etat tel que
Tony Blair. Il est significatif de voir que l’Algérie était favorable à
l’initiative ‘Union pour la Méditerranée’ telle qu’initialement formulée par
le Président Sarkozy, puis plus que réticente face à l’entrée (en force) de
l’Union européenne dans le Processus. Il a fallu déployer des trésors de
diplomatie pour que l’Algérie soit présente au Sommet des Chefs d’Etat et
de Gouvernement du 13 juillet 2008.
L’arabısatıon et ses conséquences
Pour être reconnu comme légitime, le pouvoir politique algérien
se devait de reconnaître à l’islam et à la langue arabe une place de choix.
Ben Bella avait affirmé à Tunis le 14 avril 1962 ‘L'Algérie est un pays arabe
et musulman. On ne le dissociera pas du reste du monde arab.’ en accord
avec le colonel Houari Boumediene dont l’armée était le soutien essentiel
du régime. L’article 3 de la Constitution de 1962 déclarait: ‘L'arabe est la
langue nationale et officielle. Il s'agit là de l'arabe classique issu du Coran.
Comme mentionné plus haut, Ben Bella suspendit la Constitution du pays
en octobre 1963 et l'islam fut décrété religion d'État. Le nouveau régime
refusa tout statut à l'arabe algérien et au berbère, langues jugées
‘impures’. Il commença aussitôt une longue répression contre le berbère.
Le Président Boumediene confisquera en 1976 le fichier berbère qui
contenait un ensemble de publications sur des recherches écrites en