SlideShare uma empresa Scribd logo
1 de 86
Ecole des hautes études en sciences de l'information et de la communication
                 Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)




                      MASTER PROFESSIONNEL
                 Mention : Information et Communication
            Spécialité : Marketing, Publicité et Communication
        Option : Stratégie de Marque et Branding en Apprentissage




"La Timeline Facebook 2012 : chronologie d'une mise en récit de soi"
        Le putsch de l’image sur les mots sur la Timeline Facebook


        préparé sous la direction du professeur Véronique Richard




                                                                          Vaz Vanessa
                                                                 Promotion : 2011-2012
                                                     Soutenance le 10 septembre 2012
                                                                     Note de mémoire :
Je voudrais d'abord adresser mes remerciements à ma tutrice de mémoire,
Pauline Escande-Gaucquié,
Directrice du Master Stratégie de Marque et Branding en apprentissage,
ainsi que mon rapporteur professionnel,
Guillaume Théaudière,
Directeur du Planning Stratégique d'UM Paris,
parce que ce mémoire n'aurait pas pu se construire sans la pertinence de ses conseils au quotidien.




Je souhaiterais également remercier ceux qui m'ont aidée tout au long de ce mémoire,
Julien Levêque, pour ses avis autant que ses boutades,
Antoine Da Silva, qui m'a abreuvée de sa passion pour le cinéma,
Marine Le Metayer, pour son soutien inébranlable, rythmé par le son des touches de son clavier,
Cédrick Mormont pour notre passion commune pour les images et nos échanges de contenus sur et
provenant de Pinterest,
François Moreau, pour qui le mémoire n'a plus de secret,
Antoine Lagadec, qui a eu la patience et l'indulgence de lire et commenter mes écrits,
et enfin l'équipe du Planning Stratégique de Médiabrands, qui a, sans le savoir, orienté mon
mémoire, grâce à sa veille quotidienne et sa culture naturelle du web.




                                                                                                      2
"Right now, there is more people on Facebook than on the planet two centuries ago.
[...] Humanity greatest desire is to belong and connect."
KONY 2012, sacrée la vidéo la plus virale de l’histoire du web 1, plus 92 millions de visiteurs
uniques


"Quoi de plus romantique en effet que de se dévoiler par le biais de préférences et des émotions, de
se laisser voir en contre-jour, de tracer par touches une aquarelle de soi ?"
Monique Dagnaud, auteur de Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion.


«Le monde doit être romantisé. Ainsi on retrouvera le sens originel. […] Quand je donne aux
choses communes un sens auguste, aux réalités habituelles un sens mystérieux, à ce qui est connu la
dignité de l'inconnu, au fini un air, un reflet, un éclat d'infini : je les romantise »

Novalis, de son vrai nom Friedrich Leopold, poète romantique du XIXème siècle




1
 Hourdeaux Jérôme, “Kony 2012”, la video “la plus virale” de l’histoire du web, Le Nouvel
observateur,, 13 mars 2012
                                                                                                  3
SOMMAIRE


INTRODUCTION ............................................................................................................................... 6


I LA NARRATION DE SOI SUR LA TIMELINE FACEBOOK, PORTEE PAR LA
DEMOCRATISATION DU GENIE ................................................................................................. 13


   1. Le sacre des amateurs : le règne de l'individu ordinaire ............................................................ 14
      a.     Lorsque le témoignage prime sur le spectaculaire .............................................................. 15
      b.     La dématérialisation des contenus : des biens culturels à tous, par tous et pour tous ......... 18
      c. Le culte de la chambre ou parler de son cocon à la toile : la complexité des cercles d'amitiés
      et la difficulté d'universalisation du message ............................................................................. 21


   2. L'internet communautaire, l'internet du "chacun se vaut" .......................................................... 25
      a.     L'homophilie, base de construction de cercles d'amis au sein de l'internet communautaire
             26
      b.     Un élément fédérateur : le divertissement porté par l'humour et le gag .............................. 28
      c.     Les codes de langage Internet, entre actualité, remix et mèmes ......................................... 31


   3. La starification de l'individu lambda .......................................................................................... 33
      a. L'avènement d'un individu à la personnalité à la fois éparpillée et expressive, la Timeline
      comme média de sa vie ............................................................................................................... 34
      b. La nécessité de s'ériger en star au sein d'un réseau social ...................................................... 36
      c. La mise en récit de soi, un besoin naturel de l'individu d'aujourd'hui .................................... 39


II L'IMAGE ET LE MOT, SUPPORTS TOUR A TOUR RIVAUX ET COMPLEMENTAIRES DE
LA TIMELINE FACEBOOK ............................................................................................................ 42


   1. La force de l'image sur le texte, éloge de la photographie sur le mot ........................................ 44
      a.     Le texte disparait au profit du mot : impact et puissance de l'image .................................. 45
      b. Le succès des réseaux sociaux d'images : le cas de Pinterest et de Tumblr ........................... 48
      c. Surf sur la tendance passéiste : le cas d’Instagram, au-delà de l’image, l’esthétisation de nos
      souvenirs ..................................................................................................................................... 52


                                                                                                                                                      4
2. La cohabitation de l’image et du mot sur la Timeline Facebook ............................................... 55
        a. La narration imposée de Facebook : archivage du net et narration ........................................ 56
        b. Les rapports entre texte et image : complémentarité, soutien et enrichissement de sens ....... 59
        c. Complexifier son portrait sur la Timeline : bricolage et chronologie du souvenir 2.0. .......... 62


   3.      L’hybricité du support Timeline Facebook ............................................................................. 64
        a. Le rapport entre image et texte sur la nouvelle Timeline, étude de profils Facebook ............ 64
        b. Spreadable média : exister à travers le partage ....................................................................... 66
        c. La Timeline Facebook : média au croisement des genres ...................................................... 68


CONCLUSION .................................................................................................................................. 73


BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................. 78
ANNEXES ......................................................................................................................................... 82
LEXIQUE .......................................................................................................................................... 84
RÉSUMÉ ........................................................................................................................................... 85
Mots-clés ............................................................................................................................................ 86




                                                                                                                                                       5
INTRODUCTION


         L’été 2011, la Timeline Facebook voit le jour, exposée, dans un premier temps, à un petit
nombre de privilégiés, censés servir de « cellule test ». Son ouverture au plus grand nombre ne tarde
pas, en Septembre 2011, et avec elle la possibilité à tous de l'installer de son plein gré, avant qu'elle
soit imposée, un an plus tard, en Août 2012. Certains davidiens, enthousiastes, ont saisi l'occasion
du premier coup. D'autres, au profil plus luddite, ont crié au scandale lorsque la firme l'a imposé,
très récemment. Partagé entre polémique et réel enthousiasme, il était intéressant de se demander en
quoi Facebook offrait une innovation, et à quel besoin de l'utilisateur des réseaux sociaux elle
répondait.


         Différentes questions se sont ainsi imposées à nous. Dans un premier temps, il a fallu se
demander s'il était nécessaire de recentrer le corpus sur cette génération que l'on appelle Y. Certains
s'évertuent à dire que les plus habiles sur la toile en font avant tout partie. Or, un premier frein est
apparu lorsqu'est venu le temps de la définir. Existe-t-il seulement une telle classification de la
population ? Technikart, le Monde 2 et bien d'autres s'interrogent, et soulèvent la possibilité selon
laquelle il s'agirait d'un concept marketing. Jean Pralong, enseignant-chercheur à Rouen Business
School et spécialiste de la Génération Y explique : "Le premier sociologue venu rappellerait que les
représentations et les comportements ont probablement une composante générationnelle, mais
qu’elle est bien faible par rapport à l’influence de la classe sociale, des études, des groupes
d’appartenance ou des territoires. Qu’ont donc en commun, hormis l’âge, des jeunes du nord et de
l’ouest de l’Ile-de-France ? Un apprenti artisan et un étudiant d’une grande école ? Un enfant de
cadres et un enfant de milieux populaires ? Pas grand-chose, évidemment." Benjamin Cheminade,
qui, lui, est un fervent défenseur de l'existence de la Génération Y, va pourtant également dans ce
sens : "Si cette génération est souvent simplifiée et définie par une empreinte démographique sur la
pyramide des âges, elle s’en est affranchie pour devenir une "culture" ou "état d’esprit" que l’on
retrouve chez les membres des autres générations ! On peut donc dire que la Génération Y est
simplement le côté émergé de l’iceberg qui nous montre les mutations de notre société !" Il
semblerait alors qu'en choisissant la Génération Y comme terrain exclusif d'études, le danger de
disparités subsisterait. Devant de telles difficultés, il a fallu se résoudre à étudier la population
Facebook, non pas réduite aux 18-30 ans, mais dans les grandes masses, tout en gardant une oreille
(et ici un œil) sur la Génération Y, qui murmure les mutations à venir.




2
    Rollot Olivier, La Génération Y existe-t-elle vraiment ?, Le Monde, 14 mars 2012
                                                                                                       6
Il fallait ensuite recadrer le sujet et nous demander ce qu’entendaient précisément les termes
reliés naturellement à Facebook, comme par exemple celui de réseau social. Les premières
apparitions de ce terme apparaissent en 1954, dans la bouche de John A.Barnes, qu’il définit comme
« un ensemble d’unités sociales et des relations que ces unités sociales entretiennent les unes avec
les autres, directement, ou indirectement à travers des chaînes de longueurs variables. Ces unités
sociales peuvent être des individus, des groupes informels d’individus ou bien des organisations
plus formelles, comme des associations, des entreprises, voire des pays. Les relations entre les
éléments désignent des formes d’interactions sociales qui peuvent être elles aussi de nature
extrêmement diverses : il peut s’agir de transactions monétaires, de transferts de biens ou
d’échanges de services, de transmissions d’informations, de perceptions ou d’évaluations
interindividuelles, d’ordres, de contacts physiques, et plus généralement de toutes sortes
d’interactions verbales ou gestuelles, ou encore de la participation commune à un même
événement, etc. » 3 Ce qui nous intéresse ici dans notre définition, ce sont les interactions,
expressions et perceptions interindividuelles, et surtout la façon dont les individus se construisent
sur la toile, et s’expriment au sein d’une communauté. Une notion lie ces éléments entre eux, et
montre la confrontation entre la nécessité de partage et le souci du regard des autres : on parle de
l’extimité.


        Un concept qui nous semblait différer selon que l'on se penche sur la définition de Lacan 4,
« processus de sublimation par lequel un objet est érigé en signifiant pour ainsi dire «absolu»,
c'est-à-dire en tant qu'il désigne par sa présence même un au-delà infini susceptible de porter et de
reporter, ou même de rapporter, la jouissance à cet horizon» et celle de Tisseron 5, qui la définit
plutôt comme "le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime,
autant physique que psychique", avant d’ajouter « Cette tendance est longtemps passée inaperçue
bien qu'elle soit essentielle à l'être humain. Elle consiste dans le désir de communiquer à propos de
son monde intérieur. Mais ce mouvement serait incompréhensible s'il ne s'agissait que de
l'«exprimer». Si les gens veulent ainsi extérioriser certains éléments de leur vie, c'est pour mieux se
les approprier, dans un second temps, en les intériorisant sur un autre mode grâce aux réactions
qu'ils suscitent chez leurs proches. Le désir d'extimité est en fait au service de la création d'une
intimité plus riche.» On choisira la perception de l’extémité qui nous parait la plus applicable à la
Timeline Facebook, c’est-à-dire celle où l’internaute communique sa dimension personnalitaire et
son univers, aux autres, et, somme toute, se raconte.

3
  Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.4
4
  Jacques LACAN, Le séminaire, Livre VII, L'éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p.
167.
5
  Serge TISSERON, L'intimité surexposée, Paris, Éditions Ramsay, 2001, p. 52.
                                                                                                     7
Au travers de ces deux éléments, il apparait que le propre des réseaux sociaux est de
s'exprimer, se promouvoir, de partager et répondre à nos besoins d'extimité.


Aussi, il paraissait nécessaire d’avancer la problématique suivante : en quoi la Timeline offre à son
utilisateur, de par ses nouvelles fonctionnalités, de nouvelles possibilités de mise en récit de soi ?


       La différence fondamentale de la Timeline par rapport à l'ancien profil résidant, au-delà de
de l’amélioration de l’ergonomie du site et son utilisation, en une plus grande place faite au visuel,
il fallait se demander de quelles mouvances elle découlait. Aussi, suite à l'apparition de réseaux
sociaux uniquement portés sur l'image, tels que Tumblr, et plus récemment Pinterest, il semblait
utile de se demander en quoi cet élément améliorait l'usage fait par les membres Facebook. Dans
quelle mesure constitue-t-elle une chronologie d'une mise en récit de soi, et, dans ce nouvel
environnement, quelle est la place de l'image par rapport au mot ? L'intérêt de ces recherches repose
sur le fait de déterminer la place, force et fonction de l'image au virtuel, et plus particulièrement sur
le support de l'internet, mais également sa capacité à faire sens à travers le partage et une
chronologie parcellée au sein de l'internet communautaire.


       Le terme chronologie est ici à déterminer, par souci de cohérence tout au long de ce
mémoire. Le mot chronologie a été présenté en 1986 par l’Académie Française, et se pose en entre-
deux des mots grecs kronos, temps et logos discours. Il s’agirait donc de la « science qui a pour
objet la datation des événements historiques », ou « ensemble de faits historiques présentés dans
l’ordre de leur succession ». Plus simplement, la chronologie consisterait à étudier un événement
dans un ensemble, et non en cas isolé : son enveloppement dans des événements survenus avant ou
après permettrait de le mettre en exergue. Il s’agirait donc, pour le membre Facebook, de s’inscrire
plus durablement, et dans un contexte autobiographique, pour mieux se présenter et se faire
comprendre de son réseau social, c’est-à-dire ces contacts. La Timeline Facebook, au travers de ses
nouvelles fonctionnalités, semble améliorer ses possibilités, et, contrairement à l’ancien profil qui
consistait en un déroulé d’événements à un instant T, rafraîchi à coups de scrolls, enrichit la
narration du membre Facebook.


       La notion d’une mise en récit de soi, qui est à distinguer de l’autobiographie. Si
l’autobiographie est définie comme « un récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa
propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa


                                                                                                         8
personnalité »6, l’utilisation des termes mise en récit de soi prendrait de la distance sur ce point, et
montrerait que c’est le format de la Timeline qui pousserait l’individu à se raconter. Même si un
rapport de besoin-réponse s’instaure entre outil 2.0 et utilisateur, il est intéressant de penser que les
fonctionnalités de la Timeline orientent le consommateur, et lui montrent de nouvelles façons de
s’exprimer. Même si le besoin de se raconter, comme le montre l’extimité, existe, et que l’image
grandit sur Internet 7, on peut penser que c’est le format du réseau social, et l’interaction avec les
autres qui mène l’internaute à raconter sa vie. Quoiqu’il en soi, il faut insister sur le fait que
l’internaute paraît, au travers de Facebook, romancer sa vie et la mettre en scène. La Timeline
offrirait alors, à travers l’image, de nouveaux outils pour le faire.


         Il est intéressant de se pencher sur le cas de Facebook, et de sa Timeline, puisque le succès
du réseau social n’est plus à prouver. Si en 2011, 845 millions de personnes avaient un compte
Facebook, aujourd’hui on en compte plus de 900 millions. 26 millions de français en possèdent un,
et 63% le consultent quotidiennement. Le taux de notoriété de Facebook dépasse tous ceux des
autres réseaux sociaux. Il atteint à 95% en 2011, et gagne un point de notoriété en comparaison à
2010 8. Du point de vue de l’usage des internautes, on s’aperçoit qu’un membre Facebook y passe
en moyenne 20 minutes par visite (un Français y passe en moyenne 55 minutes par jour), soit 2,2
jours par mois. 2,7 milliards de posts sont likés par jour, 1 million de vidéos sont téléchargées, 2
millions d’endroits sont « checkés », 103 publications sont apposées sur les murs. Un dernier chiffre
pour parfaire la description du succès Facebook et illustrer l’intérêt de notre étude : 250 millions de
photos sont téléchargées chaque jour. 9


         Avant de s’intéresser à décrypter la Timeline et déterminer si elle soumet l’image aux
internautes afin qu’ils se racontent mieux, il faut d'abord se demander quel rapport à l’image
l’internaute a dans la sphère du web, et comment elle est parvenue à se tracer un chemin dans son
chemin d’expression.


         Notre premier postulat part du principe que cet essor de l’image proviendrait avant tout de la
démocratisation du génie.



6
  Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975, nouv. éd. 1996, coll. « Points », p. 14
7
  « Génération je m’exprime par l’image » - Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les
réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ;
25), 2011, p.14
8
  Observatoire IFOP réseaux sociaux – Octobre 2011
9
    Aerobasnet – Réseaux sociaux et statistiques Avril 2012
                                                                                                       9
L’essor du sacre des amateurs, qui tentent de prendre le pouvoir sur la toile, et s’expriment
librement à travers leurs créations, viendrait illustrer ce propos : les contenus sont créés, repris à
l’internet, pour être manipulés et repartagés de nouveau. Les internautes sont tour-à-tour spectateurs
et créateurs, et auraient un goût naturel pour s’exprimer à travers la création. Ceci serait notamment
aidé par la démocratisation des contenus, que l’Internet a offert à ses usagers : tout appartient à tout
le monde, et donc à personne, sur la toile. Les contenus, librement accessibles, sont remodulables et
repartageables. Enfin, l’extimité des réseaux sociaux a une provenance : le culte de la chambre.
Avec la naissance de l’internet, l’amateur contourne les limites du réel et parle à l’audience digitale
depuis son intimité la plus poussée : la chambre. Il se met en scène en images, ou en vidéo pour
parler de sa vie.


       Une telle liberté serait rendue possible par l’Internet communautaire. Celui-ci est décrit par
Monique Dagnaud 10 comme l’internet du « chacun se vaut ». Il pose tous les individus au même
niveau, les rend libres de s’exprimer et de créer : marques, experts, amateurs et individus lambdas
ont la même « voix ». De la même façon, il rassemble les individus autour d’un univers, basé sur
des règles entendues, une culture du divertissement, porté par l’humour et le gag, qui transforme le
contenu en un nouveau, qui sert à communiquer, être partagé et faire passer des messages en clin
d’œil. Le ciment de ses éléments reste l’homophilie 11, et la volonté de créer une communauté
autour de soi.


       Enfin, ces deux tendances auraient généré l’envie chez l’internaute de se starifier, réseaux
sociaux à l’appui. Il utiliserait la Timeline Facebook comme média de sa vie pour se promouvoir, et
expliciter sa personnalité, qu’il sait aujourd’hui maîtriser, et la rendre à la fois complexe et
compréhensible pour les autres. Le besoin de s’ériger en star au milieu d’un réseau social tiendrait à
la fois de l’utilisation propre de cet outil, et de la volonté de l’amateur de se faire entendre. La
volonté de l’internaute dans le web communautaire est de conquérir une communauté qui le valide,
et la nourrir de ses créations, d’anecdotes. Une façon de s’extérioriser, mais aussi mieux
introspecter et se définir : le récit de soi sert de lien entres les vases communicants « réel » et
« irréel ». Enfin, on s’aperçoit que si sur le net, on parvient à cela par le biais du sacre de l’amateur,
la narration de soi est un besoin naturel de l’individu d’aujourd’hui, qu’il prolonge sur le digital.




10
    Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011
11
   La tendance pour l’amitié, à se former entre personnes possédant des caractéristiques similaires
[Lazarfeld, Merton, 1954]
                                                                                                        10
Toutes ces hypothèses viennent abreuver le deuxième postulat, selon lequel le sacre des
amateurs pousserait les internautes à importer ses pratiques de créations sur les réseaux sociaux, et
justifierait une plus grande place de l’image sur ceux-ci. En effet, puisque la population digitale a
pris l’habitude de s’exprimer par ce biais sur l’internet, à l’extérieur des réseaux sociaux, Facebook
s’assouplit et s’adapte, poussant de côté le mot pour faire de la place à l’image. Une prise de parti
plutôt judicieuse, puisque l’image appuierait le mot, enrichirait la Timeline, et enfin permettrait aux
utilisateurs Facebook de davantage et mieux s’exprimer.


       Pourquoi cela ? Dans un premier temps, on s’appliquerait à prouver la force de l’image sur
le mot : son impact, sa fonction, sa puissance. La photographie a souvent été présentée comme un
support polysémique fort, on verra pourquoi dans un premier temps. Pour illustrer ces cas, viennent
tout naturellement le cas de Pinterest et Tumblr, des réseaux sociaux uniquement basés sur l’image.
Vient ensuite Instagram, un réseau social purement dérivé du sacre des amateurs, qui permet de
modifier des photographies avant de les relayer sur sa plateforme, mais aussi Facebook. Car tous
ces supports sont « pluggés » à Facebook et sont relayés pour faciliter le processus de narration et
permettre à l’internaute de s’exprimer.


       Il apparaît cependant que le mot joue également un rôle fort dans la transmission du
message, notamment pour arrêter le sens de l’image. Si l’image permet un archivage sur Facebook,
et aide ainsi la narration, la chronologie ne serait pas parfaite si le mot ne venait pas l’appuyer, et
canaliser « le bruit » autour du message. On se ferait mieux comprendre des autres. Les deux
supports seraient alors complémentaires, et se soutiendraient mutuellement. On observerait alors un
bricolage, entre texte et image, mais également posts et relais de supports pluggés qui feraient une
mosaïque des émotions de l’individu, et le peindraient de façon plus complexe, mais plus « juste ».


       Enfin, il serait important de rappeler que la place égale que laisse Facebook au mot et à
l’image en ferait un outil hybride, que les internautes parviennent tout de même à maîtriser. Ils
inventent ainsi de nouvelles fonctions à l’image et au mot, jusqu’à créer une prolongation du
langage du web : culture du divertissement, égotrip et esthétisme particulier au web... Si la base de
Facebook est d’effeuiller sa personnalité en posts imagés accolés de mots, la fonction de partage
vient consolider le tout, et permet d’avoir visibilité et communauté. Enfin, on se rendrait compte
que Facebook, de par ces nouveautés, se rapproche des médias traditionnels, et bénéficie alors
naturellement de leurs forces.




                                                                                                    11
Pour appuyer ses raisonnements, nous nous appuierons sur cinq études :


    -       un entretien avec Facebook pour nous expliquer et nous présenter la Timeline,
jusqu’à expliquer ses spécificités,
    -      un entretien avec Julien Levêque, porteur de l’étude Wave 6 (2012), spécialisée dans
les réseaux sociaux et leur audience,
    -      un entretien avec Guillaume Théaudière qui explicitera les archétypes des médias, et
leur représentation mentale dans l’esprit des consommateurs,
    -      une étude sémiologique d’une Timeline type, afin de dresser ses fonctionnalités, la
place qu’elle donne à l’image et les différents profils d’utilisateurs que l’on peut en déduire,
    -      une étude d’un échantillon représentatif de 78 Timelines, afin de déterminer la façon
dont les internautes utilisent le mot et l’image, ainsi que les différents profils d’utilisateurs.




                                                                                                     12
I LA NARRATION DE SOI SUR LA TIMELINE FACEBOOK, PORTEE PAR LA
DEMOCRATISATION DU GENIE


       Andy Warhol, dès 1968, annonçait le quart d'heure de célébrités que chacun de nous réclame
aujourd’hui: "In the future, everyone will be world-famous for 15 minutes.". Cette citation désignait
alors la fugacité du public pour ceux qui font l'objet d'attention des média. Si on réservait alors cette
phrase aux média traditionnels, et notamment le média de masse télévisuel, aujourd'hui on peut
largement appliquer ce phénomène à la sphère digitale. D'aucuns parlent à présent d'une période
qu'ils qualifient de "post-Andy Warhol" 12.


"Comer believes that Warhol's famous 1968 statement – "In the future, everyone will be world-
famous for 15 minutes" – showed an intuitive understanding not just of our appetite for stars, but of
the way the média would become more pervasive. "He understood that the Hollywood studio system
was giving way to something where far more people were going to be on camera and on screen.
Now, on CCTV cameras, we're all filmed and photographed thousands of times a day. Warhol
realised that we were becoming more than bodies – we were becoming images. The way that we all
became part of the média machine is something that he understood very early."


       On parle alors d'une ère où notre appétit pour la star prédomine, et où les médias sont de
plus en plus intrusifs. Un point de vue à nuancer tout de même dans notre étude, puisqu'on se
recentre sur le digital. On ne parle pas ici de médias tentant de capter un moment de réalité pour
attirer une audience. Un tel média serait alors, oui, intrusif. Aujourd'hui, le média internet relève
davantage d'un outil, et d'une aide, dont on dispose pour s'exposer. Il s'agirait ici d'une intrusion
consentie : les lois de protection de l'individu sont là pour encadrer et prévenir certaines dérives, et
les internautes sont de plus en plus avertis lorsqu'il s'agit du monde de l'internet. Une récente étude,
parue en mai 2012, prouve le lien entre Français et Internet 13. 73% affirment ne plus pouvoir s'en
passer dans la vie de tous les jours, 61% s'entendent sur le fait qu'Internet résulte à plus de
transparence et plus de démocratie, même si 77% se sentent surveillés. Surveillés, oui, et pourtant,
plus de 50% sont sur une plateforme de réseautage social. 14 Une preuve que les Français sont
conscients de leur exposition au néant de l'Internet, mais sont prêts à jouer le jeu, jusqu’à se sentir
capable de contourner le danger.

12
   Needham, Alex, Andy Warhol's legacy lives on in the factory of fame, The Guardian, 22 février
2012
13
   Internet dans la vie des Français, Ifop.com, 20 février 2012
14
   Evolution des usages de l'Internet en France, Eduscol.education.fr, 13 mai 2012
                                                                                                      13
La théorie du post-Andy Warhol illustre bien que le temps est venu pour chacun d'entre nous
d'aspirer à s'exposer au Monde (ce qu'il entendait autrefois dans les termes "être une star"). D'abord
par les médias traditionnels, qu'on a vu afficher de plus en plus de programmes de téléréalité ou
encore de témoignages illustrés de "vraies" personnes. Le terme vrai est ici à nuancer, puisqu'on
connaît la mise en scène des médias, prêts à combler "notre appétit de voyeurisme et vacuité" (les
clichés de la téléréalité) par le fantasme du réel, dont parle bien Daniel J.Boorstin 15 : "une
substitution qui tend à recouvrir la réalité pour se substituer à elle". On parle même aujourd'hui de
docu-réalité 16, au croisement de réalité, réalisme et fiction. La téléréalité est décrite comme "une
réalité montée de toute pièces".


       Ici, cette perception nous intéresse. Pourquoi ? Parce qu'elle est implicitement liée à la
narration de soi sur les réseaux sociaux. Une forme d'exhibition, qui ressemble bel et bien au
documentaire dont nous parlons, mais consentie et maîtrisée. Sur l'Internet, notre exposition est plus
facile et plus contrôlée : nous en sommes les maîtres et acteurs. C'est ce qu'évoque Alex Needham
lorsqu'il parle de notions d'images et d'intégration dans la "machine média". Nous maîtrisons notre
image, savons ce que nous voulons mettre en avant ou en retrait, pour enfin manipuler cette vision
qu'ont les autres de nous. Pourquoi une telle volonté et comment en sommes-nous parvenu à oublier
la protection de notre vie privée ?


1. Le sacre des amateurs : le règne de l'individu ordinaire


       Le sacre de l'amateur : un phénomène que Patrice Flichy décrit largement dans son ouvrage
Le sacre de l'amateur, sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique. Il y explique que les
internautes tentent de remplir l'espace entre profane et spécialisation, et redonnent au mot expert
son premier sens : « celui qui apprend à se servir, qui a l'habitude de faire, ou de dire ». Selon lui,
le mot expert a aujourd'hui injustement migré vers le sens de "spécialiste". Si celui-ci se définit
comme « une personne qui a des connaissances théoriques et, ou pratiques poussées dans une ou
plusieurs disciplines précises ». L'amateur, lui, se définit plutôt comme « celui qui a du goût pour,
celui qui aime produire lui-même 17». Une définition plus large, qui correspond à cette mouvance


15
   Daniel J. Boorstin, L'Image, ou ce qu'il advint du Rêve américain [« The Image: A Guide to
Pseudo-Events in America, éd. Vintage Books »], Paris, éditions Julliard, coll. « 10/18 », 1961
16
   Leporcq Clémence, Bastie-Bruguière Mathilde et De Visscher Henriette, Effeuillage-Celsa,
Numéro 1, Juillet 2012
17
   Flichy, Patrice, La montée en puissance des amateurs. La suite dans les idées, animé par Sylvain
Bourmeau, France Culture, 6 novembre 2010
                                                                                                    14
qu'Internet a permise : « donner lieu à davantage de possibilités, élargir les compétences des
individus ordinaires » 18, notamment grâce à la démocratisation des logiciels de retouche, et l'accès
au contenu qu'offre le néant de internet.


          a.   Lorsque le témoignage prime sur le spectaculaire


       En quoi cela nous intéresse ici ? Simplement à travers le fait que l'individu lambda, sur le
net, s'exprime et s'affirme à travers les images, la réinterprétation des œuvres offertes, et ouvertes.
Pour exister, il doit se faire entendre, se montrer, prouver ce qu'il peut produire, et se représenter à
travers des productions. Des productions qui peuvent être du réel contenu, ou bien simplement la
retouche ou le transfert d'images, de mots, de textes, de musique. Ce qu'il fait au travers des
plateformes de contenus (YouTube, Pinterest, Tumblr...), mais également des réseaux sociaux. Le
but ici n'est pas, comme l'explique Flichy au cours du podcast, nécessairement la notoriété, mais
bien de se faire connaître et se situer dans ses cercles de connaissances.


       Quelle est la réelle différence entre la notoriété et cette façon de se faire connaître ? On veut
prouver sa différence, se comparer à d'autres, mais dans le but de rencontrer des proches. Le mot
proches est ici employé non pas comme « parent », « amis », « intimes », mais comme "ses
semblables", comme l'explique Patrice Flichy. Professeur de sociologie, spécialiste de l'innovation
et des techniques de l'information, il explique que le but final recherché par l'amateur est « la
construction de public et de rencontres détachée du succès, de la notoriété. » Les internautes
deviennent des "écrivants ou créateurs [ordinaires]" pour exister sur la toile, et parce que, au
travers de leur production, cela leur est permis.


       Dans son ouvrage, Patrice Flichy tend vers l'analyse sociologique du fan à l'ère du web. Il
décrit trois usages des œuvres culturelles.


       Premièrement, la coproduction par l'interprétation. L'amateur redonne du sens à une image
en la transférant dans un contexte particulier, ou en la modifiant pour lui donner un nouveau sens.
On assiste donc à une réinterprétation de l'image, la vidéo ou autres œuvres par l'internaute, mais
dans le but de s'exposer et s'exprimer à travers l'exposition de l'œuvre.




18
  Flichy, Patrice, La montée en puissance des amateurs. La suite dans les idées, animé par Sylvain
Bourmeau, France Culture, 6 novembre 2010
                                                                                                     15
Françoise Lagache explique bien ce lien entre image et texte, affirmant que les mots "se
glissent dans les interstices de l'illustration". Inversement, l'illustration "se glisse dans l'interstice
du texte" 19, appelant une notion de maillage autour de l'image. L’accès aux œuvres culturelles et
leur appropriation fait qu'elles circulent mieux au sein des réseaux sociaux, mais elles permettent
également aux internautes de s'exprimer visuellement à travers elles. On ne touche pas à l'image, on
la transfère, la partage, en apposant à l'image un texte en lien d'ancrage. Roland Barthes l'explique
comme une façon de "constituer une sorte d’étau qui empêche les sens connotés de proliférer soit
vers des régions trop individuelles… soit vers des valeurs dysphoriques". Parfois, il choisit
d'apposer un lien de relais. 20 On joue de l'image et des mots pour véhiculer du sens.


       De fait, cette culture plus accessible devient un moyen de communiquer, une culture du
web, que Patrice Flichy évoque dans son interview au sein de l'émission La suite dans les idées.
Une sorte d'éducation populaire, qui naît pas du système naturel éducation, mais de celle du partage
entre les uns les autres, à travers l'Internet et l'élargissement des compétences des individus
ordinaires. En bref, le produit amateur détrône celui des autres, celui des marques : c'est une
nouvelle façon de communiquer, en apprendre sur les autres. Selon une récente étude de TNS
Sofres sur le Baromètre 2012 de confiance envers les médias, l'Internet est le seul média continuant
sa progression (+3 pts), tandis que les autres médias perdent encore et toujours en crédibilité21.
Pourquoi ? Alors qu’il était autrefois apparenté au média du mensonge, l'Internet redore aujourd’hui
son blason, en capitalisant sur son aspect collaboratif. Des « vrais gens » existent derrière lui. Une
transparence qui rassure : on joue cartes sur table. Une autre preuve, s'il en faut une. Les Français
sont passés de 68% de confiance à 64% en les marques qu'ils achetaient, entre 1994 et 2010. Ce
critère est autrement plus critique chez les jeunes, pour qui la confiance en une marque n'est plus
essentielle pour passer à l’acte l'achat. Désillusionnés, ils affirment que c'est bien le critère de la
"bonne" image de marque qui prime avant tout. 22 Passer par un média non-collaboratif, et ne pas se
mettre au même niveau que son public constitue plus que jamais une barrière pour les marques, qui
la contourne en utilisant le média Internet, des formats plus interactifs, alliés aux mêmes langages et
codes culturels que les internautes.




19
   Lagache, Françoise, La littérature de la jeunesse, la connaître, la comprendre, l'enseigner. Paris,
Belin, Guides Belin, 2006, p.66
20
   Barthes Roland, Rhétorique de l’image, Communications, 4, 1964, p.5
21
   TNS Sofres, Baromètre 2012 de confiance dans les médias, 19 janvier 2012
22
   Hebel Pascale, Siounandan Nicolas, Mathé Thierry, Pilorin Thomas, avec la collaboration de
Gabriel Tavoularis, Peut-on parler d'un déclin de la confiance dans la grande marque, Cahier de
recherche n°275, Credoc, Décembre 2010
                                                                                                         16
La fermeture pendant 24h de Wikipédia au Printemps 2012 est un exemple concret de la
force et crédibilité des amateurs sur le net. Wikipédia est une encyclopédie collaborative, qui relève
du statut de véritable bible pour les internautes d'aujourd'hui. Le site recense chaque jour 25
millions de visiteurs. L’encyclopédie, pourtant collaborative, donc de source incertaine, constitue
aujourd’hui une référence en termes de culture, et les internautes ont l’habitude d’aller s’y
documenter. A tel point qu'on parle aujourd'hui du Wikipédia Loop 23, ou addiction à Wikipédia,
soit l'impossibilité à décrocher du cercle vicieux des liens apposés aux articles, sur lesquels on
clique frénétiquement pour aller de page en page... jusqu'à se perdre au beau milieu du site. Ce
véritable produit amateur a tout récemment décidé de clore son accès au public américain, pour
militer contre les projets de loi "Stop Online Piracy Act" et Protect IP Act" 24, l'équivalent de notre
Hadopi. Les mouvements de contestations virtuels et insultes n'ont pas tardés à pleuvoir à coups de
tweets. Les internautes sont prêts à faire confiance à la communauté de l’Internet pour créer un
contenu, même relevant d’un domaine aussi documenté et sérieux que la culture, et militent pour
leur cause : les cultures et pratiques de l’Internet.


       La seconde utilisation des œuvres culturelles, toujours selon Flichy, réside dans la
construction d'une communauté de récepteurs, soit le rassemblement de personnes qui nous
ressemblent, adhèrent à nos valeurs. "Les producteurs ne créent plus des œuvres, mais des univers ;
l'auteur devient un world maker" 25. C'est ainsi que le fan devient un "éditeur de la culture populaire
industrielle" : en d'autres termes, il reprend la culture, se l'approprie et transmet un message aux
autres, de façon intelligible. A travers elle, il parvient à relayer certaines de ses valeurs et à faire
adhérer une partie de la communauté du net, qui lui ressemble. C'est là, selon Patrice Flichy, son
but final : rassembler autour de lui, créer sa communauté de fans. Une pratique intéressante : on
prend une image pour parler de soi, de façon à ce que les autres en saisisse rapidement et
perceptiblement le sens.


       La troisième utilisation que l'on voit se dessiner est le prolongement du produit, grâce au
partage. Une nouvelle forme d'interprétation qui est en réalité l'extension de la deuxième. Elle
consiste alors à s'approprier l'œuvre pour en faire un détournement, pour lui donner une tournure
inattendue. Le but, surprendre l'interlocuteur, se promouvoir par la surprise, et créer de l'intérêt.
"L'amateur se tient à mi-chemin de l'homme ordinaire et du professionnel, entre le profane et le


23
   Akshat Rathi, Confessions of a Wikipedia Addict, The Allotrope, 4 août 2011
24
   Reuters, Loi Antipiratage : Wikipédia va fermer pendant 24 heures, Lemonde.fr, 17 janvier 2012
25
   Flichy, Patrice, Le sacre des amateurs, Sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique -
Paris, Le Seuil - 2010 - p.33
                                                                                                     17
virtuose, l'ignorant et le savant, le citoyen et l'homme politique." 26 Les "passions ordinaires"
décrites par Flichy, et relayées à travers ces éléments de culture sont là pour nous caractériser, et
c'est bien cette ouverture à la culture, et son accès plus facile, grâce à, on le répète, l'Internet, et le
hacking. Un produit de ce phénomène : les mèmes 27.


       Toutes ces activités et ces postures d'amateurs n'auraient pas été rendues possible sans un
phénomène antérieur et sous-jacent, qui aujourd'hui est considéré comme banal, et qui a vu, somme
toute, grâce à l'immensité et les problématiques de droit d'auteur qu'il pose, peu d'obstacles se
dresser contre lui : la dématérialisation des contenus.


          b.   La dématérialisation des contenus : des biens culturels à tous, par tous et pour tous


       Erigée depuis peu comme une activité "politique" louable, portée par le Do It Yourself, le
hacking relève d'une activité de peer-production, visant à démocratiser le contenu. Ces surdoués de
l'informatique oeuvrent pour leur communauté, contre les grosses puissances : "La faute revient en
partie aux médias qui parlent de plus en plus de hacking, mais mal, en assimilant hack et pratiques
illégales. Notre conférencier, ingénieur-chercheur en sécurité des systèmes et réseaux
informatiques, a rappelé en quoi le hack est nécessaire pour le bon fonctionnement de la
démocratie à travers une série de mots-clés comme : "apprendre", "innovation", "empowerment 28".
"Nous avons besoin d’apprendre pour nous et nos enfants car les systèmes sont de plus en plus
complexes. On perd ce pouvoir d’apprendre. Innovation. Le hack est une grande source
d’innovation. Empowerment. C’est une question de citoyenneté" 29. Selon Sabine Blanc, le hack est
un moteur. Il serait à nous d'accepter de passer le relais à des mains amatrices, moins expertes, et
ouvrir les vannes au grand public. Une volonté progressiste, qui pousserait la modernité, à
l’évolution. Peer-to-peer, iClouds, crowd founding, du contenu laissé aux mains de tous, pour plus
de création, de partage, de culture. Et l'Internet en est le divin auteur.


       La dématérialisation des contenus, suivie de la démocratisation de logiciels de loisirs
créatifs, tels que Photoshop, In Design et autres logiciels de montage, ont donné la possibilité et la
capacité de produire et se promouvoir, et ce dans un but a priori détaché des fins lucratives. Comme


26
   Flichy, Patrice, Le sacre des amateurs, Sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique -
Paris, Le Seuil - 2010 - p.11
27
   Leloup Damien, Le mème, ou l'art du détournement humoristique sur Internet, Le Monde, 1er
mai 2012
28
   Empowerment : en anglais, prise de pouvoir.
29
   Blanc, Sabine, Dangereux hackers d'intérêts publics, OWNI News, 13 avril 2012
                                                                                                        18
le dit Gunthert dans son article sur le rapport entre Internet et la culture, "la dématérialisation des
contenus apportée par l'informatique et leur diffusion universelle par internet confère aux œuvres
de l’esprit une fluidité qui déborde tous les canaux existants. Alors que la circulation réglée des
productions culturelles permettaient d'en préserver le contrôle, cette faculté nouvelle favorise
l'appropriation et la remixabilité des contenus numériques : elle s'impose également comme le
nouveau paradigme de la culture post-industrielle." 30


       Plus besoin de tergiverser pour accéder au contenu culturel ou industriel : tout est à portée
de main. Mieux, la réglementation est telle qu'elle ne nous empêche plus de remixer, remastériser et
compiler différentes œuvres. Cela prouve aussi la relativité, et l'évolution de la création. Inutile de
créer de A à Z une vidéo, une image, une œuvre pour s'en proclamer auteur. Selon Monique
Dagnaud dans son ouvrage Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion, si la Génération Y s'avoue fervente amatrice de contenus en tout genre, très peu innove.
"Les images tapissent le net adolescent. Interrogés sur leurs habitudes et leurs recherches lorsqu'ils
vont sur les réseaux sociaux, 47% des personnes disent y regarder des photos, 32% des vidéos ;
déposer photos ou vidéos auto produites ou récupérées est pratique courante ; en revanche, les
auteurs de contenus innovants se font plus rares : 14% des internautes, ont 8% sont considérés
accros et producteurs de contenu" 31.


Différents niveaux de création sont donc à prendre en compte : les internautes lambdas qui
repostent simplement les images, ceux qui remasterisent et remixent, les amateurs qui produisent
des contenus innovants pour les lancer sur la toile, et enfin les professionnels, les "stars" que les
autres tentent d'imiter, inconsciemment ou consciemment.


       Oscillant allègrement entre « appropriabilité » et reproductibilité, les internautes aujourd'hui
raffolent de contenus et repostent sur les réseaux sociaux, sur leurs blogs et partagent en masse,
pour se promouvoir, eux, et se raconter. Comment ? Grâce au développement, dès les années 2000,
des plateformes de partage de contenu, et de l'engouement pour la création. L'expression "sacre des
amateurs » que nous venons, en première partie, de détailler, revient de plus en plus. "Appuyée sur
la baisse statistique de la consommation des médias traditionnels et la croissance corollaire de la
consultation des supports en ligne, cette vision d’un nouveau partage de l’attention prédit que la




30
  Gunthert, André, Internet ravit la culture, OWNI News, 19 novembre 2011
31
  Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.41
                                                                                                    19
production désintéressée des amateurs ne tardera pas à concurrencer celle des industries
culturelles." 32


        Le simple slogan de YouTube, qui réside en un "Broadcast yourself" ("Promouvez-vous"),
répond de façon éloquente à la mouvance créative des internautes. Dailymotion tente de prendre le
relais avec son réseau de broadcasters, ou Viméo, qui délivre des vidéos désignées comme plus
créative et qualitative. On accède à des formes d’amateurisme qui copient les codes de l’expertise.
L'accès aux contenus démocratisé, les plateformes de contenus cherchent à présent davantage de
qualité et offrent de plus en plus des formats plus longs, ou encore la possibilité de regarder et
écouter les contenus en HD. Une montée en qualité, donc, pour se rapprocher toujours plus des
contenus professionnels.


        Car, selon Gunthert, si ce sacre des amateurs tient, c’est bien grâce à "la croyance largement
partagée que la production naïve des amateurs est capable de susciter un intérêt comparable ou
supérieur aux productions professionnelles." 33 Les internautes lambdas cherchent en réalité le culte
de star, expliqué par Edgar Morin comme "marchandise totale et modèle culturel, valeur au sens le
                           34
plus équivoque du mot"          . Les frontières de la sociabilité abolies par le net, ils veulent à présent en
tirer le meilleur et se promouvoir à l'échelle... du net. "Dans les domaines où il s'est forgé des
compétences, l'amateur peut exceptionnellement remplacer l'expert, mais il lui importe surtout de
constituer sa propre opinion et de la défendre. Il peut accéder à une masse d'informations qui lui
étaient inconnues auparavant ; grâce à elles, il est capable de tenir un discours critique, d'évaluer
la position de l'expert spécialiste par rapport à son expérience où à ses propres pratiques. Il
acquiert ainsi les ressources et la confiance qui lui permettent de se positionner, par rapport au
professionnel, de l'interroger, de le surveiller, voire de le contacter en lui tenant un discours
argumenté de ses opinions. L'amateur fait descendre l'expert spécialiste de son piédestal, refuse
qu'il monopolise les débats publics, utilise son talent ou sa compétence comme un instrument de
pouvoir." 35 Ce sont des libertés qui sont offertes à l'amateur, une possibilité de s'exprimer, de faire
entendre sa voix et de s'impliquer. L'internet a ouvert la possibilité aux internautes de rentrer
directement en relation avec les marques, certes, mais aussi avec les professionnels, dont ils peuvent
contester la place de tout-puissants. Ils ont à présent la parole et se hissent au même niveau qu'eux.



32
   Gunthert, André, Internet ravit la culture, OWNI News, 19 novembre 2011
33
   Gunthert, André, Internet ravit la culture, OWNI News, 19 novembre 2011
34
   Morin, Edgar, Les Stars. Paris, Ed. du Seuil, 1957, 192 p. (Coll. Le Temps qui court)
35
   Flichy, Patrice, Le sacre des amateurs, Sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique -
Paris, Le Seuil - 2010 - p.89
                                                                                                            20
La démocratisation des logiciels, leurs utilisations, a non seulement permis aux internautes
lambdas de devenir des semi-experts, ou des experts complets dépendant des cas, mais a aussi
permis aux biens culturels d'être plus partagés et manipulés, sinon mieux.


       Mais à quoi bon en parler ici, si la population de l’Internet se contente de matérialiser ses
idées, créer, devenir acteur de l'Internet ? Le but de tout cela est avant tout de relayer et montrer au
web ce dont on est capable. Mais aussi, en créant, on crée un message, on relaie des idées. En bref,
on s’exprime. Pourquoi, comment se raconte-t-on aujourd'hui à travers l'Internet ? C'est ce que nous
allons tenter d'expliquer dans la sous-partie suivante.


       c. Le culte de la chambre ou parler de son cocon à la toile : la complexité des cercles
d'amitiés et la difficulté d'universalisation du message


       On a vu apparaître, avec le web, et plus précisément le web communautaire, un phénomène
appelé le culte de la chambre. Pourtant, contrairement à ce que l'on peut penser, celui-ci ne relève
pas de l'anecdote. En effet, alors que généralement on l'entend au sens d'adolescent confiné à son
statut d'enfant avec des aspirations d'adulte, qui voit en l'internet une porte ouverte sur la vie qu'il ne
peut pas vivre, on voit aujourd'hui s’étendre cette appellation à l'ensemble de la population.


       Les internautes, et pas seulement les adolescents, mettent aujourd'hui une version de leur vie
romancée, une sorte de récit, sur le net. Monique Dagnaud, parle de ce phénomène, le culte de la
chambre 36. "La toile, associée aux smartphones, offre aux préadolescents, via les webcams et les
réseaux sociaux, la possibilité de franchir un cap dans la prise autonomie. Ce que l'on nomme
fréquemment le culte de la chambre, qui consiste à communiquer avec des amis grâce aux
nouveaux outils technologiques, marque en effet les premier pas de l'individuation en dehors du
cocon familial. [...] En réalité, et contrairement à la télévision qui se regarde encore volontiers en
famille, le Net fait souvent l'obéit d'une appropriation individuelle dans l'espace privé des jeunes ;
d'ailleurs beaucoup de parents , pour la plupart moins experts et intimidés par cette
cybersocialisation ne cherchent pas à s'y immiscer." 37 Or, il serait faux de dire qu'aujourd'hui ce
culte de la chambre ne se limite qu'aux préadolescents ou adolescents. On voit aussi apparaître, sur
YouTube ou encore Tumblr, des amateurs qui parlent à la cybersphère depuis leur chambre ou leur
appartement, montrant leur vie et racontant des anecdotes de la vie quotidienne. Ils sont pourtant

36
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.18
37
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.28
                                                                                                        21
plus âgés, même s'il appartiennent encore à cette génération appelée Y. On les voit apparaître en
France, avec les récents succès de Norman fait des vidéos ou Cyprien, qui se promeuvent à travers
différentes vidéos dont le nombre de vues explose régulièrement : Norman n'a pas moins d'un
million de fans Facebook à date, tout comme Cyprien. Ce n’est pas un cas limité à la France. Il
existe également de l'autre côté de l'Atlantique, à travers l'exemple de Jenna Marbles, dont la vidéo
"How to avoid talking to people you don't want to talk to" ("Comment éviter de parler aux gens
auxquels vous ne voulez pas parler") additionne, à date, plus de 22 millions de vues.


       Qu'ont ces protagonistes du digital en commun ? En quoi cela correspond-il bien à notre
tendance du culte de la chambre, quittant les carcans adolescents pour s'élargir à la sphère du web ?
Ils ont tous trois plus de dix-huit ans et se filment de leur chambre, leur appartement : en bref, leur
environnement. Ils parlent de ce quotidien qui rassemble et parle à toute la sphère de l'internet. Une
tendance que montre également du doigt Monique Dagnaud lorsqu'elle affirme que chez cette
génération, le témoignage prime sur le caractère spectaculaire et la sublimation. La volonté de
parler de son quotidien est donc là. Mais cette volonté va également au-delà de cela.


       Les internautes ont la volonté d'exister sur le web, de se construire une identité, au-delà de
se vendre professionnellement, comme le veut l'appellation « personnal branding ». Monique
Dagnaud l'explique bien dans son ouvrage, en désignant la culture adolescente, qu'elle caractérise
comme le berceau concentré du net.


       "Comment caractériser la culture des internautes sur le web 2.0. ? La cybercommunication
diffère profondément de celle de la graphosphère. Blogs et réseaux sont éloignés de l'exploration
intérieure conduite dans les journaux intimes ; on y travaille davantage une projection de soi
qu'une recherche d'explication de soi ; plus précisément, la réflexivité demeure mais l'internaute ne
perd jamais à l'esprit que sa subjectivité va être publicisée et qu'elle doit être affinée sous un angle
original." 38 Le premier genre de blogs, en tête desquels le Skyblog, a explosé dans les années 2000,
et a d'abord séduit le public par sa simple capacité à se montrer au Monde. Simplement poster et
gagner en visibilité. C'était les prémices de ce qu'on a baptisé plus tard l'extimité. L'extimité,
néologisme au croisement de l'extériorisation et l'intimité consiste à montrer sa vie, son
environnement personnel au monde de l'internet. Il est défini par le psychiatre Serge Tisseron
comme « le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant
physique que psychique », ici sur la toile. L'environnement parfait pour ce genre d'expérience réside

38
  Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.29
                                                                                                     22
dans les réseaux sociaux, qui sont apparus ensuite, avec l'explosion de Facebook l'été 2010 (même
s’il vivotait depuis 2004) avec ses 500 millions de membres 39. La différence réside dans la
possibilité de contrôler, grâce aux fonctionnalités, plus ou moins ce qu'on montre, et à qui on le
montre, grâce aux cercles d'amis que l'on construit sur Facebook, et la gestion de ses cercles. Grâce
à un procédé utilisé par Facebook, les données personnelles sont triées par genre, photos (postées ou
non l'utilisateur et celle postées par ses amis), statuts Facebook, partages... pour décider à qui l'on
veut délivrer du contenu posté sur le profil. Tout est mis en place pour que nous puissions devenir
de véritables maîtres de notre "journal" et filtrer nos informations personnelles. On passe donc de la
diffusion massive et l'exposition de soi au contrôle, jusqu'à la construction d'une identité. A chaque
nouvelle version du journal Facebook, davantage de possibilités de contrôle sont données. La
Timeline Facebook donne notamment la possibilité d’aménager da façon créative son profil, et de
modifier, mettre en avant, supprimer.


         C'est bien ce à quoi fait allusion Pierre Mercklé dans son ouvrage Sociologie des réseaux
sociaux. "Un réseau social, dans cette perspective, peut être ici défini provisoirement comme
constitué d'un ensemble de d'unités sociales et des relations que ces unités sociales entretiennent
les unes avec les autres, directement , ou indirectement à travers des chaînes de longueurs
variables. Ces unités variables peuvent être des individus, des groupes informels d'individus ou des
organisations plus formelles, comme des associations, des entreprises, voire des pays. Les relations
entre les éléments peuvent être elles aussi de natures extrêmement diverses : il peut s'agir de
transactions monétaires, de transferts de biens ou d'échanges de services, de transmission
d'informations, de perceptions ou d'évaluations interindividuelles, d'ordres, de contacts physiques
(de la poignée de main à la relation sexuelle) et plus généralement de toutes sortes d'interactions
verbales ou gestuelles, ou encore de la participation commune à un même événement, etc." 40 En
définitive, on s'exprime sur les réseaux sociaux comme dans la vie réelle, et cela, nous le savons
très bien. Ce qui est intéressant, c'est que nous délivrons également de la même façon les
informations. A nos amis les plus proches, nous délivrons les secrets les plus intimes, à d'autres on
raconte plutôt ce qui est véritablement acceptable. On contrôle donc ce qu'on veut montrer ou non,
et à qui le montrer.


         Ce qui nous intéresse ici, et qui est évoqué par Pierre Mercklé plus haut, c'est la dimension
que prend le contenu que nous postons, en fonction de l'information donné à celui qui le consulte. Il
parle alors de réseaux personnels. Ces réseaux, articulés autour d'un atome social, définis par

39
     Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011
40
     Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.4
                                                                                                    23
Moreno par « un ensemble formé d'un individu , des individus qui sont en relation directe avec lui,
et des relations que ces individu entretiennent les uns avec les autres » 41. "Si l'on ne se laisse pas
distraire par les apparences grossières des faits sociaux, il nous sera possible de découvrir la plus
petite unité sociale vivante, elle-même indivisible : l'atome social [...] De même que pour l'atome
physique, les contours de l'atome social ne sont pas visibles à l'œil nu. Il faut les découvrir. Le test
sociométrique nous fournit les moyens. Un atome social se présente comme suit : l'individu A est
attiré par 6 personnes : B, C, D, D, F et G ; B, C et D rejettent A; F est différent ; G est attiré par
A, mais A de son côté rejette M, N et O, P, et Q lui sont indifférents. Cette constellation de forces
d'attraction et de répulsion [...] constitue l'atome social de A [...] Ces atomes sociaux ne sont pas
de simples constructions de l'esprit : ce sont des réseaux authentiques, douées de vies et d'énergie
réelle, qui circulent autour de chaque individu, s'entrecroisent, qui épousent des milliers de formes
différentes, en étendue, en composition, en durée." 42


       En bref, il s'agit de relations entremêlées et de partages réels, virtuels, ou uniquement réels,
uniquement virtuels. Ici, cela montre bien la complexité de ces relations, et le codage et décodage
qu'implique les posts de contenu sur l'internet. En effet, une même photographie, un même statut
seront interprétés d'une façon par un interlocuteur, et d'une façon totalement différente par un autre,
en fonction du niveau d'information transmise, et de la perception du dit interlocuteur. Une
subjectivité qui rend une Timeline Facebook beaucoup vivante, beaucoup moins contrôlable, et qui
est expliqué par Barnes en 1972 : on distingue l'étoile, qui réside en l'ensemble des relations entre
ego et ses contacts directs, et la zone, qui désigne l'ensemble des relations entre ses contacts (pour
ainsi dire, l'étoile). Les interactions sont différentes entre ses contacts directs, et les amis de nos
amis, dont on a au final, peu d’information. Il sera alors difficile de décrypter leurs posts.


        S'exposer et parler d'extimité devient alors doublement intéressant. On peut montrer ce que
l'on veut de soi, mais les interactions font que l'impact produit n'est pas toujours celui que l'on
voulait produire à la base. Se construire devient alors complexe. C'est ce qui est expliqué dans les
théories de Shannon et Weaver 43, qui montre que le moindre bruit (toute source d'interférence
susceptible de détériorer le signal est donc d'affecter la communication) brouille un message, le
dénature, et le fait parvenir biaisé à destination. Lorsqu'on cherche à se construire sur sa Timeline,
on diffuse des messages censés générer une cohérence, tissée minutieusement, à la complexité

41
   Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011,
p.32
42
   Moreno, L'atome social, 1934, p. 202-203
43
   HEINDERYCKX, François. Une introduction aux fondements théoriques de l'étude des médias,
Liège, Cefal-Sup, 2002 ; cybernétique, la science des systèmes.
                                                                                                     24
étudiée. Or, à travers le prisme des
                                                               connaissances de chacun de ses cercles,
                                                               de ses amis, de ses connaissances et
                                                               vagues     contacts     elle   prend   une
                                                               dimension différente. Le bruit en est la
                                                               cause.


                                                                                 On a donc vu l'impact du
sacre des amateurs et leur volonté de s'exprimer à travers la dématérialisation de la culture, ainsi
que l'archivage du net qui permet aux internautes d'accéder à des contenus qui leurs permettent de
faire passer un message, et enfin la complexité de garder la teneur du message au travers des
sphères relationnelles du net.


       Puisque c'est en fonction des autres, pour les autres, mais aussi par les autres que l'on se
construit, il faudra d'étudier l'internet communautaire et ses particularités.


     2. L'internet communautaire, l'internet du "chacun se vaut"


       La sphère de l'internet est basée sur l'échange, le partage, et par la même la création de
relation interpersonnelles. C'est ce qu'expliquait Patrice Flichy dans son ouvrage sur Le sacre des
amateurs, c'est également ce qu'explique Monique Dagnaud dans Génération Y, Les jeunes et les
réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, et ce qu'entend Pierre Mecklé dans sa Sociologie
des réseaux sociaux. Tant et si bien qu'il parle de sociabilité (des réseaux sociaux) en la désignant
comme une "forme pure de l'action réciproque" 44. Un sens simmelien (1917, p.129), qui la désigne
comme "une forme ludique de la socialisation, ressemblant à un jeu sans contraintes au cours
duquel" les individus font "comme si tous étaient égaux". Tocqueville aborde également cette idée,
en le désignant comme "un processus selon lequel des individus occupant des positions
différenciées, inégalitaires, s'imposent une relation égalitaire, ce qui les contraint au jeu de la
stylisation des relations interpersonnelles" 45 Mercklé montre que "la sociabilité suscite une forme
pure de réseau parce qu'elle correspond à ce qu'il y a dans la relation sociale à la fois informel, au
sens de non organisé, et de formel, au sens cette fois où elle est de la forme dont le contenu n'est


44
   Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011,
p.37
45
   Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011,
p.37
                                                                                                       25
qu'un prétexte." On note ici l'importance du contenu, et à quel point la communauté existe à travers
lui. C'est cela qui permet à un individu de se situer et de trouver des semblables.


         Nous verrons dans cette sous-partie comment s'organise une communauté sur la sphère
d'internet.


           a.   L'homophilie, base de construction de cercles d'amis au sein de l'internet
     communautaire


         A la définition que nous venons de faire de la sociabilité et la construction de cercles sur les
réseaux sociaux, un élément doit être ajouté, selon la définition de Nian Lin. Le contenu
s'articulerait autour de contenu, certes, mais aussi d' "échanges matériels et symboliques ou
d'actions expressives, comme l'affinité et l'amitié". Une sociabilité qui est redéfinie par Monique
Dagnaud, qui explique que "ami est un terme revisité, qui va du fusionnel le plus poussé à
l'indifférence abyssale". Si un tel écart existe, comment se construit-il et qu'est-ce qui fait qu'il se
construit ?


         Comme nous l'expliquions plus haut, l'amitié sur les réseaux sociaux se base sur une idée de
partage, de ressemblance. On sert les attentes d'autrui en fournissant du contenu qui nous définit, en
en recevant de lui, et en se créant une communauté avec des intérêts communs. Ainsi, lorsqu'un
individu alimente sa Timeline, c'est en fonction de ce qu'il veut transparaître de lui, mais également
à travers le prisme de ce qu’il pense que les autres attendent, espèrent en termes de contenu. Le post
n'est pas égoïste, et ne relève pas de la simple "bouteille à la mer". Pour exister, il faut nourrir sa
communauté, parler son langage (comme nous le verrons plus loin) et l'intéresser.


         Aussi, Mercklé revient sur un élément, à notre sens, essentiel : l'homophilie 46. Premièrement
il avance que "malgré l'infinie variabilité des définitions que les individus donnent de l'amitié et des
raisons qu'ils invoquent pour aimer leurs amis, il n'en reste pas moins que, dans ce domaine comme
dans celui de leur conjoint, le constat sociologique est le même : "Qui se ressemble s'assemble"
(comme l'explique Bidart, en 1997). Cette homophilie, définie comme la tendance, pour l'amitié, à
se former entre personnes possédant des caractéristiques similaires est systématiquement avérée
dans les études empiriques : les amis sont, bien plus fréquemment que s'ils se choisissaient au



46
  La tendance, pour l’amitié, à se former entre personnes possédant des caractéristiques similaires
[Lazarfeld, Merton, 1954]
                                                                                                      26
hasard, d'âge, de sexe, et de classe sociale identiques." 47 On pourrait alors croire que les
communautés qui se forment sur le web sont reliées à celle du réel, que la rigidité des communautés
sociales se retrouveraient sur la sphère internet. La barrière virtuelle ne servirait pas à davantage de
diversités. Mais Pierre Mercklé va plus loin et ajoute : "Il existe différentes explications possibles
de cette tendance à l'homophilie : George Homans [1950] avait fait l'hypothèse que "plus des
personnes interagissent l'une avec l'autre, plus il est possible qu'elles aient l'une pour l'autre un
sentiment d'amitié." Et c'est là qu'intervient le contenu. Si l'on "sert" à ses cercles d'amis, ou
l'internet en général, du contenu qu'ils aiment, on a davantage de possibilités d'interagir, intéresser,
partager du contenu régulier, et développer des sentiment d'amitié. Par l'intérêt commun de trouver
un contenu spécifique, du divertissement (comme nous le verrons plus tard), le partage allié au
réciproque, on développe une communauté d'amis aux centres d'intérêts communs, détachée des
critères d'âge, de sexe, de catégories socio-professionnelles, qui sont primordiales "In Real Life".
"In Real Life" désignant la vie au réel, cette en dehors de la vie virtuelle de l'Internet.


       Pour compléter ses idées, Pierre Mercklé avance une troisième idée. Celle de l'Internet du
"chacun se vaut". On avait parlé plus haut de la dématérialisation du contenu, son accès à tous, et
les possibilités d'offrait l'Internet. Ici, il explique que l’avantage qu'offre également l'Internet, c'est
l'égalité pour tous. "Dans le même registre, on peut penser que les individus se représentant l'amitié
se représentent l'amitié comme une relation entre égaux, celle-ci à plus de chance de s'établir , puis
de se maintenir, entre des personnes qui le sont effectivement." 48 En bref, par l'intérêt de chacun de
se retrouver, participer et trouver du divertissement sur la sphère Internet, des relations se créent.
L'internet, en proposant un contenu égalitaire à tous, permet plus d'interactions, de partages,
indépendamment de l'identité IRL de l'individu qui nous fait face. Nous devenons des constructions
de nous-mêmes à travers un contenu, nous existons au travers de ce contenu et constituons des
vecteurs de celui-ci. C'est le contenu qui cimente les relations sur Internet, indépendamment des
relations que nous tenons au-dehors de la sphère du web. Les relations que nous développons dans
le réel, puis continuons sur la toile doit répondre à ces critères. Une relation peut exister sur
Internet, mais pas dans le réel, et vice-versa ; une amitié qui combine les deux doit répondre aux
critères sus-dits : des intérêts communs, des comportements similaires, un intérêt pour un contenu et
du divertissement similaire.




47
   Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011,
p.40
48
   Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011,
p.41
                                                                                                        27
Pierre Mercklé, encore une fois, définit l'amitié comme un bien collectif : "c'est donc en
déplaçant le regard échanges de ressources de choix affinitaires vers les ressources dont ces choix
sont les supports, que l'on peut saisir les formes particulières de solidarité et d'entraide démontrent
en général une séparation des réseaux familiaux et non familiaux de soutien et une forte
différenciation des ressources qu'ils apportent." L'Internet serait donc le terrain d'entraide et de
solidarité entre internautes.


       Si ici la sociabilité est définie comme un bien collectif, un principe de cohésion sociale,
cette idée toutefois à nuancer : si l'on reprend l'idée de capital social, établie par James Coleman en
1990, on détermine la sociabilité comme un bien public, "un bien social, une ressource, un "capital
social" dont le contrôle est complexe, et suscite donc des stratégies individuelles". On définit alors
ici l'amitié des réseaux sociaux comme une entreprise, des stratégies à construire pour tisser un
réseau de relations, bien loin de l'altruisme des échanges. Ici, on comprend bien pourquoi : pour
avoir un public, de la visibilité et faire voir la construction du "soi" des réseaux sociaux. Exister sur
la toile, en somme.


       Nous avons donc décrit ici la façon dont se construit les relations entre membres de réseaux
sociaux, à travers un contenu commun, et la nécessite de le construire pour exister. Il faut à présent
se pencher sur la teneur de ces contenus, ce que nous allons faire dans la prochaine sous-partie, le
divertissement autour du gag, de l'actualité, et l'humour.


          b.   Un élément fédérateur : le divertissement porté par l'humour et le gag


       Dans un premier temps, on a longtemps pensé que ce qui liait les individus entre eux, selon
Rivière (2004), résidait en les points communs, des loisirs communs. Le contenu et la construction
d'amitié à travers le "loisir relationnel" 49, qui mettent en relation avec autrui. Il cite alors comme
exemple, des endroits, comme la fréquentation de cafés, la pratique du sport et les loisirs à
domicile. Or, ici, on parlerait davantage d'un goût commun pour le gag, que décrit très bien
Monique Dagnaud 50, tout comme nous l'avons expliqué précédemment.


       Pourquoi les internautes partagent du contenu, au-délà des notions d'amitié que nous venons
d'évoquer ? Simplement, comme le dit Henry Jenkins dans son ouvrage Média, viruses and memes

49
   Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011,
p.38
50
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.57
                                                                                                      28
parce que "we want to suggest that these materials travel through the net because they are
meaningful to the people who spread them", "nous voulons admettre que ce contenu voyage à
travers l'internet parce qu'elles ont du sens pour les gens qui le partagent". En bref, nous voulons
faire écho en les autres internautes, pour les besoins de communautés que nous venons d'évoquer,
mais aussi mettre une pierre à l'édifice du divertissement d'Internet. Proposer un contenu qui soit
possiblement vu par le plus nombreux. Et ce, même, comme nous l'exposions dans notre étude du
sacre de l'amateur, le droit à l'image se perd dès lors que notre composition est exposée au web. Une
action pour la communauté, pour participer, qui relève du domaine du jeu. Connaître les codes, les
manipuler, les utiliser, les transmettre, échanger. Mais autour d'une même idée, fixe, renouvelée, et
depuis longtemps. Le lol.


       "La navigation sur les blogs et les réseaux sociaux fait découvrir un horizon, celui de
l'émergence d'un espace mental fondé sur le rire, les jeux de sens, la délectation de l'absurde. Le lol
et le lulz, acronymes nés dans la sémantique du Net depuis une dizaine d'années, apparaissent
comme des marqueurs culturels de notre époque, un produit des interactions de la jeunesse avec les
médias et une floraison de contenus d'images - films cultes, cartoons, mangas, jeux vidéos, séries,
infotainment, programmes humoristiques." On voit bien ici que la communauté du web a su
déployer toutes une mécaniques et un champ culturel à part, basé, comme nous l'évoquions plus
haut, sur le divertissement. Le lol, qui vient de l'anglais Laughing out loud, est à distinguer du lulz.
Il signifie "rire à gorge déployée". Lulz, lui, en est un dérivé, et est né au fil des interactions
virtuelles. Il signifie simplement "rire au dépend d'autrui". "Loin de se cantonner à quelques sites
adolescents en mal de vivre, elles irriguent le net et influencent les esprits bien au-delà de la classe
d'âge des teen-agers." Une culture et un phénomène auquel toute la population du web aspire, et
participe, donc. Elle définit également un état d'esprit, hors du temps, que la toile permet par son
format, qui consiste à ne rien prendre au sérieux, et souvent à tourner en dérision les institutions et
les personnes qui façonnent la vie publique.


       En réalité, le lol définit une approche du monde par le rire, et permet de tourner en dérision
la vie "In Real Life", et trouver ainsi une échappatoire. Le web relève d'un terrain du
divertissement, une sorte d'aire de jeu, avec des règles, des conduites à tenir, des rôles à tenir, des
ennemis (les membres victimes du lulz), des alliés (les adhérents de notre communauté, qui rient
des mêmes thèmes que nous). Si le lulz peut paraître cruel de premier abord, il cherche d'abord à
lier les membres entre eux et trouver de nouveaux sujets de discussions, des sujets d'actualité
trouvés sur le net. il faut donc être à même de l'actualité, et collecter les informations en se rendant
régulièrement sur la toile, pour enfin parvenir à décrypter les contenus proposés et connaître les

                                                                                                     29
tenants et aboutissements du message. On remarque donc, en plus du bruit que peut générer le
manque d'informations d'un contact, le manque d'information dû à la « mésinformation » sur
Internet. Ainsi, en Juillet 2010, une adolescente nommée Jessi Slaughter 51, à l'insupportable
discours mégalomane, qui avait pour habitude de se promouvoir sur sa chaîne YouTube est devenue
la cible de la communauté Internet, et a été attaquée dans un flot d'insultes vidéos, images, et autres
contenus sans fin. Son calvaire est dû au non-respect des règles, qui consiste à se fondre dans la
communauté, adopter les codes et servir ce qu'elle attend, c'est-à-dire du divertissement, en ne se
promouvoir surtout pas soi-même au-dessus de la sphère d'Internet. Il a pris fin lorsque l'intérêt s'est
porté sur une autre cible, ou qu'un élément de l'actualité est survenu. Un internaute qui n'aurait pas
été à même de l'événement, ou n'ayant pas suivi l'affaire, des premières vidéos de la jeune fille à
celle des attaques, n'aurait pas pu percevoir de bon en bout ce phénomène de lulz.


        Une double contrainte que l'on pallie par l'exposition forte à la sphère du web. Selon une
étude Ipsos réalisée en 2010, 77% des 18-24 ans, les plus grands consommateurs de l'internet,
détiennent un compte Facebook, et 62% sont sur quatre réseaux sociaux ou plus. Et si l'on se
penche sur leur intensité d'utilisation, 63% les consultent tous les jours.


        Monique Dagnaud parle d'un arc-en-ciel du rire de la culture web. A cela, elle appose trois
niveaux :
-l'impertinence, le culte du pas sérieux ; le clin d'œil de ce qu'on appelle le mème, et que l'on
expliquera plus loin
-l'hilarité systématique et l'esprit de la dérision ; le lol
-
le ricanement malveillant et sa cohorte de débordements ; le lulz 52


        Un art de se moquer de tout, et surtout de soi, que les analystes retrouvent dans tous les
médias, et qui est notamment présent sur la Timeline Facebook. Pourquoi ? Pour se définir soi. On
se sert du contenu image, statut, et vidéos pour s'illustrer, et des codes du rire Internet pour se
définir. On rit avec les autres des sujets qui nous touchent à travers le lol, on relaie des thèmes qui
correspondent à nos loisirs, nos centres d'intérêt ou d'actualité, et on rit des gens auxquels on ne
veut pas ressembler à travers le lulz. Sur le net, l'on peut être qui on veut, ce qui correspond, comme
l'explique le sociologue Alain Ehrenger dans La Fatigue d'être soi. Il la décrit comme la thérapie


51
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.15
52
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.70
                                                                                                     30
des sociétés d'abondance, le contrepoids d'un sentiment flottant de dépression. Le but est de
répondre aux attentes des autres, se créer une identité, tout en ne se fourvoyant pas.


       Comme l'explique Henri Bergson, dans son ouvrage Le rire, cette activité, dénué de toute
mauvaise intention, bon enfant, est "un sentiment humain à composante sociale - il agit dans
l'interaction avec ses semblables, présents ou imaginés -, et à composante culturelle - ici et là, on
ne rit pas des mêmes choses." 53 Et c’est bien là ce que nous avons tenté de démontrer ici, avec
l'Internet. Le langage, la façon de rire, les choses dont on rit sont différentes sur le net que dans la
vie réelle ou d'autres lieux. L'Internet traverse les frontières, les cultures, les langages, mais réside
en un fondement universel : le rire. Il "offr[e] une arme pour fonctionner face à la rigidité des
codes sociaux". 54 Encore une fois l'Internet contourne les codes sociaux établis dans la vraie vie et
s'offre comme terrain de récréation. Tout appartient à tous sur le web, chacun est libre de détenir ce
qu'il veut, s'adonner au lulz, être anonyme, se créer une tout autre personnalité et les codes sociaux
et le langage est déplacé. C'est bien ce que nous allons aborder dans la partie suivante, et tenter de
démontrer qu'existe une langue, un langage commun à la cybersphère.


          c.   Les codes de langage Internet, entre actualité, remix et mèmes


       Terrain parfait pour ce genre d'expérience : 4chan. Crée en 2003 aux Etats-Unis, par un
adolescent de 13 ans, qui l'a copié du modèle japonais 2chan, une image board site créé en 1999, il
met en ligne toutes sortes d'images, de la plus nue à la plus commentée. Si pour certains 4chan
relève du pire de l'Internet (une sorte d'abattoir et terrain suprême du lulz), le site affiche tout de
même 9,5 millions de participants réguliers, principalement anonymes, et a une renommée
mondiale.


       C'est sur 4chan qu'est né le principe du mème, blason du cyberespace, qui répond totalement
aux règles du lol, et constitue un véritable nouveau langage de la sphère Internet. Qu'est-ce
exactement qu'un mème ? Il s'agit, selon l'Oxford English Dictionary, « un élément d'une culture ou
d'un ensemble de comportement qui se transmet d'un individu à l'autre par imitation ou par un
quelconque moyen non-génétique » ("an element of a culture or system of behaviour passed from
one inidividual to another by imitation or other non-genetic means."). 55 Monique Dagnaud va un

53
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.71
54
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.72
55
   Oxford Dictionaries, 2011 Edition, Mème definition
                                                                                                      31
peu plus loin et explique comment créer un mème "Comment créer un mème ? D'abord capter une
image inattendue ou décalée, donc chargée d'un potentiel de signifiants ; la transformer, l'associer
éventuellement avec d'autres images, puis la lancer sur la Toile dans l'espoir de déclencher une
tempête virale et de faire surgir un symbole culte qui attirera une communauté de rieurs et de
commentateurs" 56 Il est défini par l'OWNI News magazine comme un vecteur de sens, et aussi
comme un jeu. Un outil qui rejoint le divertissement, et le rire, que nous évoquions juste avant. "Le
mème est l’exemple-type d’un contenu qui comporte tous les ingrédients de sa remixabilité, et qui
se propose non seulement comme un document à rediffuser, mais comme une offre à participer au
jeu [...] développant des formes conversationnelles autour des productions grand public." 57 On
note ici l'importance de l'image, et à quel point elle peut être vecteur de sens pour la communauté.
Lorsqu'une image est relayée sur l'Internet, 4chan, Twitter ou encore Facebook, elle est relayée dans
le but de communiquer en utilisant les codes de l'Internet, et véhiculer du sens, sans les mots.


       Le cas du mème est pourtant complexe, comme expliqué par Vincent Glad 58 : "Savoir ce
qu'est un mème n'a pas de sens, toute la définition est mouvante en fonction des acteurs qui
l'utilisent." Selon beaucoup, il ne se limite pas expressément à l'image. Le Nyan Cat serait alors un
mème, tout comme le phénomène qui a poussé des milliers de jeunes filles à poser en guise de statut
une couleur, de façon tout à fait énigmatique, pour en réalité désigner leur soutien-gorge.


       Ce qui nous intéresse ici, c'est le détournement du mème, qui, entre les mains du membre du
réseau social, peut prendre un tout autre sens, à décoder. Il dépend du contenu qui y est apposé,
mais également, comme on l'a vu plus haut, des cercles d'amis à laquelle il le diffuse, et leur niveau
d'information sur l'actualité, mais aussi sur son extimité. Le plus complexe réside dans le fait de
savoir décrypter un mème : "Le mème met en oeuvre tous les modes possibles de détournement d'un
contenu : transformation de l'image et/ou du texte (la parodie) par substitution ou adjonction
d'éléments ; la fabrication d'une nouvelle image en imitant le code de l'ancienne (le pastiche) ;
détournement du référencement d'un site pour renvoyer, en clin d'oeil, vers un sujet non prévu
(Google Bombing) ; [...] mise en relation improbable de différents objets ou situations."59
Beaucoup de mèmes ont été générés ces deux dernières années, comme Keanu Reeves tourné en
Sad Keanu, la starlette Justin Bieber, l'animateur Bernard Montiel (à qui on a inventé une fausse

56
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.60
57
   Gunthert, André, Internet ravit la culture, OWNI News, 19 novembre 2011
58
   Vincent Glad, "Pourquoi les mèmes ne sont pas des mèmes", 20 mai 2011,
http://culturevisuelle.org/lesinternets/archives/586
59
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.63
                                                                                                   32
mort), le nom de l'ancienne émission télévisée Bonjour Madame, tourné en blog érotique ; sans
oublier Jessi Slaughter.


       4chan, et ses mèmes ont développé un phénomène et une culture, très peu perceptibles pour
ceux qui ne sont pas initiés, ou peu initiés à la sphère Internet. Il s'agit d'une nouvelle construction
intellectuelle : le tournoiement sémantique et le détournement. "Une jubilation existe à détruire et
symboliquement l'hyper-organisation et l'intellectualisation des sociétés développées, suivant par-
là la piste tracée par des sociologues comme Jean Duvignaud ou Michel Maffesoli lorsqu'ils
analysent les exubérances (transes, fêtes, conduites irrationnelles ou anomiues) de l'individu
moderne - orientation qu'exacerbe le domaine de l'image. Comme l'écrit Michel Maffesoli : "Alors
que le rationalisme, c'est-à-dire la raison érigée en système, explique, l'image implique." Le mème
est "un bricolage sans fin sur le sens des choses, une création et une récréation collectives où tout
est permis, où tout s'échange et où tout change tout le temps puisqu'à chaque rencontre d'un texte,
d'une image, avec son lecteur, la dynamique de réaction/création va être relancée, renouvelée,
étendue, réappropriée. "" 60 Cette notion d'image qui suggère, impose, et construit plus subtilement
la personnalité de l'internaute est à prendre en compte, et nous éclairera sans doute dans notre
analyse de la Timeline Facebook.


       Le mème est avant tout considéré comme un "spreadable média", et est utilisé avant tout par
sa capacité à faire sens. Une activité esthétique fondée sur la création de biens à la culture ancrée
dans la notion et création de liens : c'est un acte esthétique et expressif, coexistant avec celui d'acte
"pirate" et de récupération, qu'un individu reprend à travers les réseaux sociaux pour se promouvoir.
Le mème laisse tout de même entrevoir un phénomène plausible sur les réseaux sociaux. Sa
capacité à faire sens, en résidant dans une image capable de porter tout un ensemble de culture
partagée par le web, est une force pour l'internaute qui veut faire parler de lui, et s'exprimer
subtilement, loin des débuts des blogs, aux majuscules imposantes et aux statuts premier degré. Le
mème, tout comme la tendance lol et lulz, relève d'un second degré qui a su se dessiner au fil du
temps, alors que les internautes tissaient, se comprenaient et comprenaient l'Internet. Ils ne
s'adressent plus de but en blanc, mais de façon détournée, pour créer un individu plus complexe,
plus romancé. C'est ce que nous allons aborder dans une troisième sous-partie.


3. La starification de l'individu lambda



60
  Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.79
                                                                                                      33
Nous parlions plus tôt d'extimité et du besoin des individus de s'exprimer et se montrer sur
l'Internet. Mêlées au sacre de l'amateur, ces tendances montrent bien le besoin de l'individu de se
starifier, et se raconter à travers les réseaux sociaux, ce que les internautes font aujourd'hui
naturellement sur Facebook. Pourquoi un tel phénomène ? Pour exister auprès des autres. En effet,
aujourd'hui, un membre Facebook possédant environ 150 amis, garde contact avec seulement 20
d’entre eux, a des échanges uniques avec 10, et a une communication réciproque avec 5-6. 61 Il reste
également très enclins aux échanges avec des semi-inconnus, tels que des membres Facebook
appartenant au réseau des amis d'amis, et cherche à rentrer en relation avec eux. Facebook a une
place si importante dans leur vie que pour 52% d'entre eux, un dialogue Facebook chat équivaut à
du temps passé ensemble : le réseau social est un moyen d'interagir plus fréquemment que dans la
vraie vie. Car sur l'Internet, l'amitié est une valeur primordiale, sinon vitale. "L'amitié figure au plus
haut des valeurs encensées par la communauté des réseaux sociaux. Ceux-ci savent bien distinguer
les différents niveaux concentriques qui vont de l'attachement intime et durable au contact en
pointillé avec les membres du réseau. [...] La technologie intensifie et renouvelle les formes
d'échanges au sein de ces noyaux amicaux." 62 On veut donc cultiver, entretenir et s'inventer au sein
de ces cercles d'amis, et le format Facebook, basé sur des instants de vie, permet cette narration, au
travers de statuts, de photos, de vidéos, d'événements, de checkings. Jean-Claude Kauffman va dans
ce sens et argumente que développer son identité permet à l'individu de recueillir "la
reconnaissance, le consentement et l'amour des autres dont il a besoin pour se sentir exister en tant
qu'individu à part entière." Il ajoute que le mode narratif est le meilleur moyen de construire
l'identité individuelle, et l'identité collective. 63 Nous allons donc voir comment les individus se
racontent sur les réseaux sociaux, et étudier la contradiction de leur volonté de s'ériger en star
lambda des réseaux sociaux.


           a.   L'avènement d'un individu à la personnalité à la fois éparpillée et expressive, la
     Timeline comme média de sa vie


         Ce phénomène, largement explicable à travers les liens d'amitié sur les réseaux sociaux, a
donné vie à un individu dit "extro-déterminé", sensible aux objets et aux images qui l'entourent et
porté à penser et à fixer ses choix en fonction des modèles qui se présentent à lui. L'individu des
réseaux est, selon Monique Dagnaud, un "narcisse/hédoniste", "doté d'outils pour cultiver son

61
   Entretien Facebook, 6 mars 2012, Etude n°2
62
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.59
63
   Kauffman, Jean-Claude, L'invention de soi - Une théorie de l'identité, Séminaire de sociologie
des migrations et des relations interethniques
                                                                                                       34
particularisme. [...] [Qu'il puisse se débarrasser de ses attachées sociales est une] donnée
fondamentale des pays avancés : à l'abri des droits de l'individu, l'être moderne peut ne pas
s'embarrasser d'une quelconque projection sur la collectivité et "se polariser sur le culte du soi". 64
On l'explique par une contradiction de la société, et l'éducation qu'elle propose : "L'éducation se
consacre à canaliser cet avènement d'un hyper-individualisme dans des rives humanistes. Ainsi,
elle propose à l'enfant la conquête progressive des atouts culturels - un emboitement de valeurs, de
normes et de rôles intériorisés - et scolaires pour qu'il s'insère dans la société. Simultanément, elle
prône la mobilisation vers la réalisation des aspirations intimes, la construction du projet réflectif
du soi. Une interrogation plus ou moins ininterrompue de son passé, de son présent et de son futur
propre." "A cet individu, qui est à la fois extro-déterminé et réflexif [(des autres membres de la
communauté)], l'univers des réseaux ouvre de nouvelles libertés. Ce mode de communication, qui
favorise le virtuel, incite à travailler et à orienter l'image de soi". 65 Le membre d'un réseau social
est donc tout naturellement mené à travailler son image entre son soi actuel et son soi possible, pour
une troisième, glorifiée, à laquelle il aspire.


       "On passe alors de l'individu réflexif, qui construit et mature sa subjectivité en s'appuyant
sur les multiples ressources de son environnement, à un individu soucieux d'abord de s'exprimer, de
placer ses sentiments et ses opinions dans l'orbite du monde - et plus modestement de ses proches.
Il se met en scène à travers des photos de lui-même et/ou des images, des vidéos, des musiques, des
films ou séquences de films qui sont révélateurs de sa vision du monde : de fait, il s'approprie
l'imaginaire des industries de l'image et du son pour projeter et parler de lui. [...] Il élabore
souvent des productions culturelles, comme autant de traces de son vécu et de sensibilité." 66 Le
membre Facebook compose sa Timeline de morceaux de vie, de ses humeurs, de sa personnalité,
sous le regard d'autrui, de ses amis : "Cet individu évoque sa vie, ses goûts, sa joie et ses peines, ses
rencontres et ses activités en fil quasi-continu avec ses amis du Net, et éventuellement sous le
regard d'autrui." Il a besoin d'exister sous les yeux/écrans de ses cercles et d'apposer sa trace à
l'édifice Facebook. C'est bien lui qui construit de toutes pièces la narration de sa vie, entre réalité et
sublimation. Le contenu du net lui sert de ciment et est manipulé, repris, reposté, pour se définir : la
Timeline devient un média de sa vie.




64
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.162
65
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.163
66
   Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.163
                                                                                                       35
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi
Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi

Mais conteúdo relacionado

Mais procurados

Réseaux sociaux et entreprise : Risque ou opportunité ?
Réseaux sociaux et entreprise : Risque ou opportunité ?Réseaux sociaux et entreprise : Risque ou opportunité ?
Réseaux sociaux et entreprise : Risque ou opportunité ?Karim Bouras
 
Le web 2.0 : des opportunités pour les entreprises
Le web 2.0 : des opportunités pour les entreprisesLe web 2.0 : des opportunités pour les entreprises
Le web 2.0 : des opportunités pour les entreprisesMael Le Hir
 
Utiliser les reseaux sociaux pour son entreprise
Utiliser les reseaux sociaux pour son entrepriseUtiliser les reseaux sociaux pour son entreprise
Utiliser les reseaux sociaux pour son entrepriseEditoile
 
Tendances Social Media 2014
Tendances Social Media 2014 Tendances Social Media 2014
Tendances Social Media 2014 Vanksen
 
Formation stratégie de présence reseaux sociaux
Formation stratégie de présence reseaux sociauxFormation stratégie de présence reseaux sociaux
Formation stratégie de présence reseaux sociauxAurelie GASTINEAU
 
Comprendre, developper et analyser son influence sur les reseaux sociaux
Comprendre, developper et analyser son influence sur les reseaux sociauxComprendre, developper et analyser son influence sur les reseaux sociaux
Comprendre, developper et analyser son influence sur les reseaux sociauxLaurie Martin
 
Dossier : quels réseaux sociaux pour quels usages ?
Dossier : quels réseaux sociaux pour quels usages ? Dossier : quels réseaux sociaux pour quels usages ?
Dossier : quels réseaux sociaux pour quels usages ? Agoralink
 
Stratégie de réseaux sociaux pour les entrepreneurs
Stratégie de réseaux sociaux pour les entrepreneursStratégie de réseaux sociaux pour les entrepreneurs
Stratégie de réseaux sociaux pour les entrepreneursPierre Tran
 
Les 7 bons reflexes pour bien commencer sur facebook
Les 7 bons reflexes pour bien commencer sur facebookLes 7 bons reflexes pour bien commencer sur facebook
Les 7 bons reflexes pour bien commencer sur facebookTom Maccario
 
Bénéfices des blogs dans votre communication sur les médias sociaux
Bénéfices des blogs dans votre communication sur les médias sociauxBénéfices des blogs dans votre communication sur les médias sociaux
Bénéfices des blogs dans votre communication sur les médias sociauxUp 2 Social
 
Les outils du community management
Les outils du community managementLes outils du community management
Les outils du community managementLes Propulseurs
 
Comprendre, developper et analyser son influence sur les réseaux sociaux
Comprendre, developper et analyser son influence sur les réseaux sociauxComprendre, developper et analyser son influence sur les réseaux sociaux
Comprendre, developper et analyser son influence sur les réseaux sociauxLaurie Martin
 
Gagnez du temps sur les réseaux sociaux
Gagnez du temps sur les réseaux sociauxGagnez du temps sur les réseaux sociaux
Gagnez du temps sur les réseaux sociauxNeocamino
 
Dépassez la relation de prospection avec les Comités IT France
Dépassez la relation de prospection avec les Comités IT FranceDépassez la relation de prospection avec les Comités IT France
Dépassez la relation de prospection avec les Comités IT FranceLinkedIn
 
Contenus, Résonance digitale et Business développement en Marketing B2B
Contenus, Résonance digitale et Business développement en Marketing B2BContenus, Résonance digitale et Business développement en Marketing B2B
Contenus, Résonance digitale et Business développement en Marketing B2BJulien Carlier
 
Préparez des contenus parfaits pour les réseaux sociaux
Préparez des contenus parfaits pour les réseaux sociauxPréparez des contenus parfaits pour les réseaux sociaux
Préparez des contenus parfaits pour les réseaux sociauxNeocamino
 
NGUY Karen - Partiel
NGUY Karen - PartielNGUY Karen - Partiel
NGUY Karen - PartielKarenNGUY
 
Animer votre première communauté en ligne (1/7)
Animer votre première communauté en ligne (1/7)Animer votre première communauté en ligne (1/7)
Animer votre première communauté en ligne (1/7)Mehdi Reghai
 
Présentation digital break 9 février 2016
Présentation digital break 9 février 2016Présentation digital break 9 février 2016
Présentation digital break 9 février 2016Tom Maccario
 

Mais procurados (20)

Réseaux sociaux et entreprise : Risque ou opportunité ?
Réseaux sociaux et entreprise : Risque ou opportunité ?Réseaux sociaux et entreprise : Risque ou opportunité ?
Réseaux sociaux et entreprise : Risque ou opportunité ?
 
Le web 2.0 : des opportunités pour les entreprises
Le web 2.0 : des opportunités pour les entreprisesLe web 2.0 : des opportunités pour les entreprises
Le web 2.0 : des opportunités pour les entreprises
 
Utiliser les reseaux sociaux pour son entreprise
Utiliser les reseaux sociaux pour son entrepriseUtiliser les reseaux sociaux pour son entreprise
Utiliser les reseaux sociaux pour son entreprise
 
Tendances Social Media 2014
Tendances Social Media 2014 Tendances Social Media 2014
Tendances Social Media 2014
 
Formation stratégie de présence reseaux sociaux
Formation stratégie de présence reseaux sociauxFormation stratégie de présence reseaux sociaux
Formation stratégie de présence reseaux sociaux
 
Formation réseaux sociaux
Formation réseaux sociauxFormation réseaux sociaux
Formation réseaux sociaux
 
Comprendre, developper et analyser son influence sur les reseaux sociaux
Comprendre, developper et analyser son influence sur les reseaux sociauxComprendre, developper et analyser son influence sur les reseaux sociaux
Comprendre, developper et analyser son influence sur les reseaux sociaux
 
Dossier : quels réseaux sociaux pour quels usages ?
Dossier : quels réseaux sociaux pour quels usages ? Dossier : quels réseaux sociaux pour quels usages ?
Dossier : quels réseaux sociaux pour quels usages ?
 
Stratégie de réseaux sociaux pour les entrepreneurs
Stratégie de réseaux sociaux pour les entrepreneursStratégie de réseaux sociaux pour les entrepreneurs
Stratégie de réseaux sociaux pour les entrepreneurs
 
Les 7 bons reflexes pour bien commencer sur facebook
Les 7 bons reflexes pour bien commencer sur facebookLes 7 bons reflexes pour bien commencer sur facebook
Les 7 bons reflexes pour bien commencer sur facebook
 
Bénéfices des blogs dans votre communication sur les médias sociaux
Bénéfices des blogs dans votre communication sur les médias sociauxBénéfices des blogs dans votre communication sur les médias sociaux
Bénéfices des blogs dans votre communication sur les médias sociaux
 
Les outils du community management
Les outils du community managementLes outils du community management
Les outils du community management
 
Comprendre, developper et analyser son influence sur les réseaux sociaux
Comprendre, developper et analyser son influence sur les réseaux sociauxComprendre, developper et analyser son influence sur les réseaux sociaux
Comprendre, developper et analyser son influence sur les réseaux sociaux
 
Gagnez du temps sur les réseaux sociaux
Gagnez du temps sur les réseaux sociauxGagnez du temps sur les réseaux sociaux
Gagnez du temps sur les réseaux sociaux
 
Dépassez la relation de prospection avec les Comités IT France
Dépassez la relation de prospection avec les Comités IT FranceDépassez la relation de prospection avec les Comités IT France
Dépassez la relation de prospection avec les Comités IT France
 
Contenus, Résonance digitale et Business développement en Marketing B2B
Contenus, Résonance digitale et Business développement en Marketing B2BContenus, Résonance digitale et Business développement en Marketing B2B
Contenus, Résonance digitale et Business développement en Marketing B2B
 
Préparez des contenus parfaits pour les réseaux sociaux
Préparez des contenus parfaits pour les réseaux sociauxPréparez des contenus parfaits pour les réseaux sociaux
Préparez des contenus parfaits pour les réseaux sociaux
 
NGUY Karen - Partiel
NGUY Karen - PartielNGUY Karen - Partiel
NGUY Karen - Partiel
 
Animer votre première communauté en ligne (1/7)
Animer votre première communauté en ligne (1/7)Animer votre première communauté en ligne (1/7)
Animer votre première communauté en ligne (1/7)
 
Présentation digital break 9 février 2016
Présentation digital break 9 février 2016Présentation digital break 9 février 2016
Présentation digital break 9 février 2016
 

Semelhante a Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi

Memoire M2 MISC Nicolas Moreau
Memoire M2 MISC Nicolas MoreauMemoire M2 MISC Nicolas Moreau
Memoire M2 MISC Nicolas Moreaunico_dude
 
Evenement 2.0 - Comment integrer les reseaux sociaux dans un evenement
Evenement 2.0 - Comment integrer les reseaux sociaux dans un evenementEvenement 2.0 - Comment integrer les reseaux sociaux dans un evenement
Evenement 2.0 - Comment integrer les reseaux sociaux dans un evenementEvenementor
 
[MÉMOIRE] Améliorer l'image de marque d'une entreprise sur les médias sociaux...
[MÉMOIRE] Améliorer l'image de marque d'une entreprise sur les médias sociaux...[MÉMOIRE] Améliorer l'image de marque d'une entreprise sur les médias sociaux...
[MÉMOIRE] Améliorer l'image de marque d'une entreprise sur les médias sociaux...Adrien Bourzat
 
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quete commune, communio...
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ?  Entre quete commune, communio...Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ?  Entre quete commune, communio...
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quete commune, communio...Elodie Vitalis
 
Les reseaux sociaux par social-media-club-france
Les reseaux sociaux par social-media-club-franceLes reseaux sociaux par social-media-club-france
Les reseaux sociaux par social-media-club-franceAkimELSIKAMEYA
 
Livre blanc 2010 Social Media Club France
Livre blanc 2010 Social Media Club FranceLivre blanc 2010 Social Media Club France
Livre blanc 2010 Social Media Club FranceSMCFrance
 
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quête commune, communion...
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quête commune, communion...Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quête commune, communion...
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quête commune, communion...Elodie Vitalis
 
Communiquer sur les réseaux sociaux auprès de la génération Y
Communiquer sur les réseaux sociaux auprès de la génération Y Communiquer sur les réseaux sociaux auprès de la génération Y
Communiquer sur les réseaux sociaux auprès de la génération Y Julia Marras
 
"Social TV : en attendant la révolution - Attentes, réalités et enjeux d'un p...
"Social TV : en attendant la révolution - Attentes, réalités et enjeux d'un p..."Social TV : en attendant la révolution - Attentes, réalités et enjeux d'un p...
"Social TV : en attendant la révolution - Attentes, réalités et enjeux d'un p...Clément Picard
 
[Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les straté...
[Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les straté...[Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les straté...
[Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les straté...Aurore Hondarrague
 
Livre blanc 2010 social media club france
Livre blanc 2010 social media club france Livre blanc 2010 social media club france
Livre blanc 2010 social media club france Alban Martin
 
LIVRE BLANC 2010 du Social Media Club France
LIVRE BLANC 2010 du Social Media Club FranceLIVRE BLANC 2010 du Social Media Club France
LIVRE BLANC 2010 du Social Media Club France Nicolas Marronnier
 
Le paradoxe des banques coopératives
Le paradoxe des banques coopérativesLe paradoxe des banques coopératives
Le paradoxe des banques coopérativesDelphine Pennec
 
Transmédia storytelling et relations entre les marques et leurs publics.
Transmédia storytelling et relations entre les marques et leurs publics. Transmédia storytelling et relations entre les marques et leurs publics.
Transmédia storytelling et relations entre les marques et leurs publics. Forestier Mégane
 
Portails, blogs et wikis, des outils pour la médiathèque - CNFPT Corse - sept...
Portails, blogs et wikis, des outils pour la médiathèque - CNFPT Corse - sept...Portails, blogs et wikis, des outils pour la médiathèque - CNFPT Corse - sept...
Portails, blogs et wikis, des outils pour la médiathèque - CNFPT Corse - sept...Anne-Gaëlle Gaudion
 
Livre Blanc Social Media Club France Creative Commons
Livre Blanc Social Media Club France Creative CommonsLivre Blanc Social Media Club France Creative Commons
Livre Blanc Social Media Club France Creative CommonsAlban Martin
 
L'usage des blogs de voyage et ses potentialités d'influence sur le choix de ...
L'usage des blogs de voyage et ses potentialités d'influence sur le choix de ...L'usage des blogs de voyage et ses potentialités d'influence sur le choix de ...
L'usage des blogs de voyage et ses potentialités d'influence sur le choix de ...Thomas Bilesimo
 
My Little Pony - Mémoire MISC M2
My Little Pony - Mémoire MISC M2My Little Pony - Mémoire MISC M2
My Little Pony - Mémoire MISC M2MNollet
 
Essai medias sociaux, julie garon
Essai medias sociaux, julie garonEssai medias sociaux, julie garon
Essai medias sociaux, julie garonjuliegaron
 
Extraits du guide facebook
Extraits du guide facebookExtraits du guide facebook
Extraits du guide facebookREALIZ
 

Semelhante a Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi (20)

Memoire M2 MISC Nicolas Moreau
Memoire M2 MISC Nicolas MoreauMemoire M2 MISC Nicolas Moreau
Memoire M2 MISC Nicolas Moreau
 
Evenement 2.0 - Comment integrer les reseaux sociaux dans un evenement
Evenement 2.0 - Comment integrer les reseaux sociaux dans un evenementEvenement 2.0 - Comment integrer les reseaux sociaux dans un evenement
Evenement 2.0 - Comment integrer les reseaux sociaux dans un evenement
 
[MÉMOIRE] Améliorer l'image de marque d'une entreprise sur les médias sociaux...
[MÉMOIRE] Améliorer l'image de marque d'une entreprise sur les médias sociaux...[MÉMOIRE] Améliorer l'image de marque d'une entreprise sur les médias sociaux...
[MÉMOIRE] Améliorer l'image de marque d'une entreprise sur les médias sociaux...
 
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quete commune, communio...
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ?  Entre quete commune, communio...Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ?  Entre quete commune, communio...
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quete commune, communio...
 
Les reseaux sociaux par social-media-club-france
Les reseaux sociaux par social-media-club-franceLes reseaux sociaux par social-media-club-france
Les reseaux sociaux par social-media-club-france
 
Livre blanc 2010 Social Media Club France
Livre blanc 2010 Social Media Club FranceLivre blanc 2010 Social Media Club France
Livre blanc 2010 Social Media Club France
 
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quête commune, communion...
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quête commune, communion...Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quête commune, communion...
Vitalis Elodie - Mémoire: « Track id, anyone ? Entre quête commune, communion...
 
Communiquer sur les réseaux sociaux auprès de la génération Y
Communiquer sur les réseaux sociaux auprès de la génération Y Communiquer sur les réseaux sociaux auprès de la génération Y
Communiquer sur les réseaux sociaux auprès de la génération Y
 
"Social TV : en attendant la révolution - Attentes, réalités et enjeux d'un p...
"Social TV : en attendant la révolution - Attentes, réalités et enjeux d'un p..."Social TV : en attendant la révolution - Attentes, réalités et enjeux d'un p...
"Social TV : en attendant la révolution - Attentes, réalités et enjeux d'un p...
 
[Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les straté...
[Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les straté...[Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les straté...
[Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les straté...
 
Livre blanc 2010 social media club france
Livre blanc 2010 social media club france Livre blanc 2010 social media club france
Livre blanc 2010 social media club france
 
LIVRE BLANC 2010 du Social Media Club France
LIVRE BLANC 2010 du Social Media Club FranceLIVRE BLANC 2010 du Social Media Club France
LIVRE BLANC 2010 du Social Media Club France
 
Le paradoxe des banques coopératives
Le paradoxe des banques coopérativesLe paradoxe des banques coopératives
Le paradoxe des banques coopératives
 
Transmédia storytelling et relations entre les marques et leurs publics.
Transmédia storytelling et relations entre les marques et leurs publics. Transmédia storytelling et relations entre les marques et leurs publics.
Transmédia storytelling et relations entre les marques et leurs publics.
 
Portails, blogs et wikis, des outils pour la médiathèque - CNFPT Corse - sept...
Portails, blogs et wikis, des outils pour la médiathèque - CNFPT Corse - sept...Portails, blogs et wikis, des outils pour la médiathèque - CNFPT Corse - sept...
Portails, blogs et wikis, des outils pour la médiathèque - CNFPT Corse - sept...
 
Livre Blanc Social Media Club France Creative Commons
Livre Blanc Social Media Club France Creative CommonsLivre Blanc Social Media Club France Creative Commons
Livre Blanc Social Media Club France Creative Commons
 
L'usage des blogs de voyage et ses potentialités d'influence sur le choix de ...
L'usage des blogs de voyage et ses potentialités d'influence sur le choix de ...L'usage des blogs de voyage et ses potentialités d'influence sur le choix de ...
L'usage des blogs de voyage et ses potentialités d'influence sur le choix de ...
 
My Little Pony - Mémoire MISC M2
My Little Pony - Mémoire MISC M2My Little Pony - Mémoire MISC M2
My Little Pony - Mémoire MISC M2
 
Essai medias sociaux, julie garon
Essai medias sociaux, julie garonEssai medias sociaux, julie garon
Essai medias sociaux, julie garon
 
Extraits du guide facebook
Extraits du guide facebookExtraits du guide facebook
Extraits du guide facebook
 

Mais de VanessaVazVV

Présentation Mémoire Vanessa Vaz
Présentation Mémoire Vanessa VazPrésentation Mémoire Vanessa Vaz
Présentation Mémoire Vanessa VazVanessaVazVV
 
E trends/ Juillet 2012
E trends/ Juillet 2012E trends/ Juillet 2012
E trends/ Juillet 2012VanessaVazVV
 
Burberry/ Juillet 2012
Burberry/ Juillet 2012Burberry/ Juillet 2012
Burberry/ Juillet 2012VanessaVazVV
 
Tendances septembre 2012
Tendances septembre 2012Tendances septembre 2012
Tendances septembre 2012VanessaVazVV
 
French trends 2012 2013/ Through regional and local newspapers
French trends 2012 2013/ Through regional and local newspapersFrench trends 2012 2013/ Through regional and local newspapers
French trends 2012 2013/ Through regional and local newspapersVanessaVazVV
 

Mais de VanessaVazVV (7)

C.V. V.V.
C.V. V.V.C.V. V.V.
C.V. V.V.
 
Présentation Mémoire Vanessa Vaz
Présentation Mémoire Vanessa VazPrésentation Mémoire Vanessa Vaz
Présentation Mémoire Vanessa Vaz
 
E trends/ Juillet 2012
E trends/ Juillet 2012E trends/ Juillet 2012
E trends/ Juillet 2012
 
Burberry/ Juillet 2012
Burberry/ Juillet 2012Burberry/ Juillet 2012
Burberry/ Juillet 2012
 
Tendances septembre 2012
Tendances septembre 2012Tendances septembre 2012
Tendances septembre 2012
 
La marque servile
La marque servileLa marque servile
La marque servile
 
French trends 2012 2013/ Through regional and local newspapers
French trends 2012 2013/ Through regional and local newspapersFrench trends 2012 2013/ Through regional and local newspapers
French trends 2012 2013/ Through regional and local newspapers
 

Timeline facebook, chronologie d'une mise en récit de soi

  • 1. Ecole des hautes études en sciences de l'information et de la communication Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) MASTER PROFESSIONNEL Mention : Information et Communication Spécialité : Marketing, Publicité et Communication Option : Stratégie de Marque et Branding en Apprentissage "La Timeline Facebook 2012 : chronologie d'une mise en récit de soi" Le putsch de l’image sur les mots sur la Timeline Facebook préparé sous la direction du professeur Véronique Richard Vaz Vanessa Promotion : 2011-2012 Soutenance le 10 septembre 2012 Note de mémoire :
  • 2. Je voudrais d'abord adresser mes remerciements à ma tutrice de mémoire, Pauline Escande-Gaucquié, Directrice du Master Stratégie de Marque et Branding en apprentissage, ainsi que mon rapporteur professionnel, Guillaume Théaudière, Directeur du Planning Stratégique d'UM Paris, parce que ce mémoire n'aurait pas pu se construire sans la pertinence de ses conseils au quotidien. Je souhaiterais également remercier ceux qui m'ont aidée tout au long de ce mémoire, Julien Levêque, pour ses avis autant que ses boutades, Antoine Da Silva, qui m'a abreuvée de sa passion pour le cinéma, Marine Le Metayer, pour son soutien inébranlable, rythmé par le son des touches de son clavier, Cédrick Mormont pour notre passion commune pour les images et nos échanges de contenus sur et provenant de Pinterest, François Moreau, pour qui le mémoire n'a plus de secret, Antoine Lagadec, qui a eu la patience et l'indulgence de lire et commenter mes écrits, et enfin l'équipe du Planning Stratégique de Médiabrands, qui a, sans le savoir, orienté mon mémoire, grâce à sa veille quotidienne et sa culture naturelle du web. 2
  • 3. "Right now, there is more people on Facebook than on the planet two centuries ago. [...] Humanity greatest desire is to belong and connect." KONY 2012, sacrée la vidéo la plus virale de l’histoire du web 1, plus 92 millions de visiteurs uniques "Quoi de plus romantique en effet que de se dévoiler par le biais de préférences et des émotions, de se laisser voir en contre-jour, de tracer par touches une aquarelle de soi ?" Monique Dagnaud, auteur de Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. «Le monde doit être romantisé. Ainsi on retrouvera le sens originel. […] Quand je donne aux choses communes un sens auguste, aux réalités habituelles un sens mystérieux, à ce qui est connu la dignité de l'inconnu, au fini un air, un reflet, un éclat d'infini : je les romantise » Novalis, de son vrai nom Friedrich Leopold, poète romantique du XIXème siècle 1 Hourdeaux Jérôme, “Kony 2012”, la video “la plus virale” de l’histoire du web, Le Nouvel observateur,, 13 mars 2012 3
  • 4. SOMMAIRE INTRODUCTION ............................................................................................................................... 6 I LA NARRATION DE SOI SUR LA TIMELINE FACEBOOK, PORTEE PAR LA DEMOCRATISATION DU GENIE ................................................................................................. 13 1. Le sacre des amateurs : le règne de l'individu ordinaire ............................................................ 14 a. Lorsque le témoignage prime sur le spectaculaire .............................................................. 15 b. La dématérialisation des contenus : des biens culturels à tous, par tous et pour tous ......... 18 c. Le culte de la chambre ou parler de son cocon à la toile : la complexité des cercles d'amitiés et la difficulté d'universalisation du message ............................................................................. 21 2. L'internet communautaire, l'internet du "chacun se vaut" .......................................................... 25 a. L'homophilie, base de construction de cercles d'amis au sein de l'internet communautaire 26 b. Un élément fédérateur : le divertissement porté par l'humour et le gag .............................. 28 c. Les codes de langage Internet, entre actualité, remix et mèmes ......................................... 31 3. La starification de l'individu lambda .......................................................................................... 33 a. L'avènement d'un individu à la personnalité à la fois éparpillée et expressive, la Timeline comme média de sa vie ............................................................................................................... 34 b. La nécessité de s'ériger en star au sein d'un réseau social ...................................................... 36 c. La mise en récit de soi, un besoin naturel de l'individu d'aujourd'hui .................................... 39 II L'IMAGE ET LE MOT, SUPPORTS TOUR A TOUR RIVAUX ET COMPLEMENTAIRES DE LA TIMELINE FACEBOOK ............................................................................................................ 42 1. La force de l'image sur le texte, éloge de la photographie sur le mot ........................................ 44 a. Le texte disparait au profit du mot : impact et puissance de l'image .................................. 45 b. Le succès des réseaux sociaux d'images : le cas de Pinterest et de Tumblr ........................... 48 c. Surf sur la tendance passéiste : le cas d’Instagram, au-delà de l’image, l’esthétisation de nos souvenirs ..................................................................................................................................... 52 4
  • 5. 2. La cohabitation de l’image et du mot sur la Timeline Facebook ............................................... 55 a. La narration imposée de Facebook : archivage du net et narration ........................................ 56 b. Les rapports entre texte et image : complémentarité, soutien et enrichissement de sens ....... 59 c. Complexifier son portrait sur la Timeline : bricolage et chronologie du souvenir 2.0. .......... 62 3. L’hybricité du support Timeline Facebook ............................................................................. 64 a. Le rapport entre image et texte sur la nouvelle Timeline, étude de profils Facebook ............ 64 b. Spreadable média : exister à travers le partage ....................................................................... 66 c. La Timeline Facebook : média au croisement des genres ...................................................... 68 CONCLUSION .................................................................................................................................. 73 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................. 78 ANNEXES ......................................................................................................................................... 82 LEXIQUE .......................................................................................................................................... 84 RÉSUMÉ ........................................................................................................................................... 85 Mots-clés ............................................................................................................................................ 86 5
  • 6. INTRODUCTION L’été 2011, la Timeline Facebook voit le jour, exposée, dans un premier temps, à un petit nombre de privilégiés, censés servir de « cellule test ». Son ouverture au plus grand nombre ne tarde pas, en Septembre 2011, et avec elle la possibilité à tous de l'installer de son plein gré, avant qu'elle soit imposée, un an plus tard, en Août 2012. Certains davidiens, enthousiastes, ont saisi l'occasion du premier coup. D'autres, au profil plus luddite, ont crié au scandale lorsque la firme l'a imposé, très récemment. Partagé entre polémique et réel enthousiasme, il était intéressant de se demander en quoi Facebook offrait une innovation, et à quel besoin de l'utilisateur des réseaux sociaux elle répondait. Différentes questions se sont ainsi imposées à nous. Dans un premier temps, il a fallu se demander s'il était nécessaire de recentrer le corpus sur cette génération que l'on appelle Y. Certains s'évertuent à dire que les plus habiles sur la toile en font avant tout partie. Or, un premier frein est apparu lorsqu'est venu le temps de la définir. Existe-t-il seulement une telle classification de la population ? Technikart, le Monde 2 et bien d'autres s'interrogent, et soulèvent la possibilité selon laquelle il s'agirait d'un concept marketing. Jean Pralong, enseignant-chercheur à Rouen Business School et spécialiste de la Génération Y explique : "Le premier sociologue venu rappellerait que les représentations et les comportements ont probablement une composante générationnelle, mais qu’elle est bien faible par rapport à l’influence de la classe sociale, des études, des groupes d’appartenance ou des territoires. Qu’ont donc en commun, hormis l’âge, des jeunes du nord et de l’ouest de l’Ile-de-France ? Un apprenti artisan et un étudiant d’une grande école ? Un enfant de cadres et un enfant de milieux populaires ? Pas grand-chose, évidemment." Benjamin Cheminade, qui, lui, est un fervent défenseur de l'existence de la Génération Y, va pourtant également dans ce sens : "Si cette génération est souvent simplifiée et définie par une empreinte démographique sur la pyramide des âges, elle s’en est affranchie pour devenir une "culture" ou "état d’esprit" que l’on retrouve chez les membres des autres générations ! On peut donc dire que la Génération Y est simplement le côté émergé de l’iceberg qui nous montre les mutations de notre société !" Il semblerait alors qu'en choisissant la Génération Y comme terrain exclusif d'études, le danger de disparités subsisterait. Devant de telles difficultés, il a fallu se résoudre à étudier la population Facebook, non pas réduite aux 18-30 ans, mais dans les grandes masses, tout en gardant une oreille (et ici un œil) sur la Génération Y, qui murmure les mutations à venir. 2 Rollot Olivier, La Génération Y existe-t-elle vraiment ?, Le Monde, 14 mars 2012 6
  • 7. Il fallait ensuite recadrer le sujet et nous demander ce qu’entendaient précisément les termes reliés naturellement à Facebook, comme par exemple celui de réseau social. Les premières apparitions de ce terme apparaissent en 1954, dans la bouche de John A.Barnes, qu’il définit comme « un ensemble d’unités sociales et des relations que ces unités sociales entretiennent les unes avec les autres, directement, ou indirectement à travers des chaînes de longueurs variables. Ces unités sociales peuvent être des individus, des groupes informels d’individus ou bien des organisations plus formelles, comme des associations, des entreprises, voire des pays. Les relations entre les éléments désignent des formes d’interactions sociales qui peuvent être elles aussi de nature extrêmement diverses : il peut s’agir de transactions monétaires, de transferts de biens ou d’échanges de services, de transmissions d’informations, de perceptions ou d’évaluations interindividuelles, d’ordres, de contacts physiques, et plus généralement de toutes sortes d’interactions verbales ou gestuelles, ou encore de la participation commune à un même événement, etc. » 3 Ce qui nous intéresse ici dans notre définition, ce sont les interactions, expressions et perceptions interindividuelles, et surtout la façon dont les individus se construisent sur la toile, et s’expriment au sein d’une communauté. Une notion lie ces éléments entre eux, et montre la confrontation entre la nécessité de partage et le souci du regard des autres : on parle de l’extimité. Un concept qui nous semblait différer selon que l'on se penche sur la définition de Lacan 4, « processus de sublimation par lequel un objet est érigé en signifiant pour ainsi dire «absolu», c'est-à-dire en tant qu'il désigne par sa présence même un au-delà infini susceptible de porter et de reporter, ou même de rapporter, la jouissance à cet horizon» et celle de Tisseron 5, qui la définit plutôt comme "le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant physique que psychique", avant d’ajouter « Cette tendance est longtemps passée inaperçue bien qu'elle soit essentielle à l'être humain. Elle consiste dans le désir de communiquer à propos de son monde intérieur. Mais ce mouvement serait incompréhensible s'il ne s'agissait que de l'«exprimer». Si les gens veulent ainsi extérioriser certains éléments de leur vie, c'est pour mieux se les approprier, dans un second temps, en les intériorisant sur un autre mode grâce aux réactions qu'ils suscitent chez leurs proches. Le désir d'extimité est en fait au service de la création d'une intimité plus riche.» On choisira la perception de l’extémité qui nous parait la plus applicable à la Timeline Facebook, c’est-à-dire celle où l’internaute communique sa dimension personnalitaire et son univers, aux autres, et, somme toute, se raconte. 3 Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.4 4 Jacques LACAN, Le séminaire, Livre VII, L'éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 167. 5 Serge TISSERON, L'intimité surexposée, Paris, Éditions Ramsay, 2001, p. 52. 7
  • 8. Au travers de ces deux éléments, il apparait que le propre des réseaux sociaux est de s'exprimer, se promouvoir, de partager et répondre à nos besoins d'extimité. Aussi, il paraissait nécessaire d’avancer la problématique suivante : en quoi la Timeline offre à son utilisateur, de par ses nouvelles fonctionnalités, de nouvelles possibilités de mise en récit de soi ? La différence fondamentale de la Timeline par rapport à l'ancien profil résidant, au-delà de de l’amélioration de l’ergonomie du site et son utilisation, en une plus grande place faite au visuel, il fallait se demander de quelles mouvances elle découlait. Aussi, suite à l'apparition de réseaux sociaux uniquement portés sur l'image, tels que Tumblr, et plus récemment Pinterest, il semblait utile de se demander en quoi cet élément améliorait l'usage fait par les membres Facebook. Dans quelle mesure constitue-t-elle une chronologie d'une mise en récit de soi, et, dans ce nouvel environnement, quelle est la place de l'image par rapport au mot ? L'intérêt de ces recherches repose sur le fait de déterminer la place, force et fonction de l'image au virtuel, et plus particulièrement sur le support de l'internet, mais également sa capacité à faire sens à travers le partage et une chronologie parcellée au sein de l'internet communautaire. Le terme chronologie est ici à déterminer, par souci de cohérence tout au long de ce mémoire. Le mot chronologie a été présenté en 1986 par l’Académie Française, et se pose en entre- deux des mots grecs kronos, temps et logos discours. Il s’agirait donc de la « science qui a pour objet la datation des événements historiques », ou « ensemble de faits historiques présentés dans l’ordre de leur succession ». Plus simplement, la chronologie consisterait à étudier un événement dans un ensemble, et non en cas isolé : son enveloppement dans des événements survenus avant ou après permettrait de le mettre en exergue. Il s’agirait donc, pour le membre Facebook, de s’inscrire plus durablement, et dans un contexte autobiographique, pour mieux se présenter et se faire comprendre de son réseau social, c’est-à-dire ces contacts. La Timeline Facebook, au travers de ses nouvelles fonctionnalités, semble améliorer ses possibilités, et, contrairement à l’ancien profil qui consistait en un déroulé d’événements à un instant T, rafraîchi à coups de scrolls, enrichit la narration du membre Facebook. La notion d’une mise en récit de soi, qui est à distinguer de l’autobiographie. Si l’autobiographie est définie comme « un récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa 8
  • 9. personnalité »6, l’utilisation des termes mise en récit de soi prendrait de la distance sur ce point, et montrerait que c’est le format de la Timeline qui pousserait l’individu à se raconter. Même si un rapport de besoin-réponse s’instaure entre outil 2.0 et utilisateur, il est intéressant de penser que les fonctionnalités de la Timeline orientent le consommateur, et lui montrent de nouvelles façons de s’exprimer. Même si le besoin de se raconter, comme le montre l’extimité, existe, et que l’image grandit sur Internet 7, on peut penser que c’est le format du réseau social, et l’interaction avec les autres qui mène l’internaute à raconter sa vie. Quoiqu’il en soi, il faut insister sur le fait que l’internaute paraît, au travers de Facebook, romancer sa vie et la mettre en scène. La Timeline offrirait alors, à travers l’image, de nouveaux outils pour le faire. Il est intéressant de se pencher sur le cas de Facebook, et de sa Timeline, puisque le succès du réseau social n’est plus à prouver. Si en 2011, 845 millions de personnes avaient un compte Facebook, aujourd’hui on en compte plus de 900 millions. 26 millions de français en possèdent un, et 63% le consultent quotidiennement. Le taux de notoriété de Facebook dépasse tous ceux des autres réseaux sociaux. Il atteint à 95% en 2011, et gagne un point de notoriété en comparaison à 2010 8. Du point de vue de l’usage des internautes, on s’aperçoit qu’un membre Facebook y passe en moyenne 20 minutes par visite (un Français y passe en moyenne 55 minutes par jour), soit 2,2 jours par mois. 2,7 milliards de posts sont likés par jour, 1 million de vidéos sont téléchargées, 2 millions d’endroits sont « checkés », 103 publications sont apposées sur les murs. Un dernier chiffre pour parfaire la description du succès Facebook et illustrer l’intérêt de notre étude : 250 millions de photos sont téléchargées chaque jour. 9 Avant de s’intéresser à décrypter la Timeline et déterminer si elle soumet l’image aux internautes afin qu’ils se racontent mieux, il faut d'abord se demander quel rapport à l’image l’internaute a dans la sphère du web, et comment elle est parvenue à se tracer un chemin dans son chemin d’expression. Notre premier postulat part du principe que cet essor de l’image proviendrait avant tout de la démocratisation du génie. 6 Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975, nouv. éd. 1996, coll. « Points », p. 14 7 « Génération je m’exprime par l’image » - Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.14 8 Observatoire IFOP réseaux sociaux – Octobre 2011 9 Aerobasnet – Réseaux sociaux et statistiques Avril 2012 9
  • 10. L’essor du sacre des amateurs, qui tentent de prendre le pouvoir sur la toile, et s’expriment librement à travers leurs créations, viendrait illustrer ce propos : les contenus sont créés, repris à l’internet, pour être manipulés et repartagés de nouveau. Les internautes sont tour-à-tour spectateurs et créateurs, et auraient un goût naturel pour s’exprimer à travers la création. Ceci serait notamment aidé par la démocratisation des contenus, que l’Internet a offert à ses usagers : tout appartient à tout le monde, et donc à personne, sur la toile. Les contenus, librement accessibles, sont remodulables et repartageables. Enfin, l’extimité des réseaux sociaux a une provenance : le culte de la chambre. Avec la naissance de l’internet, l’amateur contourne les limites du réel et parle à l’audience digitale depuis son intimité la plus poussée : la chambre. Il se met en scène en images, ou en vidéo pour parler de sa vie. Une telle liberté serait rendue possible par l’Internet communautaire. Celui-ci est décrit par Monique Dagnaud 10 comme l’internet du « chacun se vaut ». Il pose tous les individus au même niveau, les rend libres de s’exprimer et de créer : marques, experts, amateurs et individus lambdas ont la même « voix ». De la même façon, il rassemble les individus autour d’un univers, basé sur des règles entendues, une culture du divertissement, porté par l’humour et le gag, qui transforme le contenu en un nouveau, qui sert à communiquer, être partagé et faire passer des messages en clin d’œil. Le ciment de ses éléments reste l’homophilie 11, et la volonté de créer une communauté autour de soi. Enfin, ces deux tendances auraient généré l’envie chez l’internaute de se starifier, réseaux sociaux à l’appui. Il utiliserait la Timeline Facebook comme média de sa vie pour se promouvoir, et expliciter sa personnalité, qu’il sait aujourd’hui maîtriser, et la rendre à la fois complexe et compréhensible pour les autres. Le besoin de s’ériger en star au milieu d’un réseau social tiendrait à la fois de l’utilisation propre de cet outil, et de la volonté de l’amateur de se faire entendre. La volonté de l’internaute dans le web communautaire est de conquérir une communauté qui le valide, et la nourrir de ses créations, d’anecdotes. Une façon de s’extérioriser, mais aussi mieux introspecter et se définir : le récit de soi sert de lien entres les vases communicants « réel » et « irréel ». Enfin, on s’aperçoit que si sur le net, on parvient à cela par le biais du sacre de l’amateur, la narration de soi est un besoin naturel de l’individu d’aujourd’hui, qu’il prolonge sur le digital. 10 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011 11 La tendance pour l’amitié, à se former entre personnes possédant des caractéristiques similaires [Lazarfeld, Merton, 1954] 10
  • 11. Toutes ces hypothèses viennent abreuver le deuxième postulat, selon lequel le sacre des amateurs pousserait les internautes à importer ses pratiques de créations sur les réseaux sociaux, et justifierait une plus grande place de l’image sur ceux-ci. En effet, puisque la population digitale a pris l’habitude de s’exprimer par ce biais sur l’internet, à l’extérieur des réseaux sociaux, Facebook s’assouplit et s’adapte, poussant de côté le mot pour faire de la place à l’image. Une prise de parti plutôt judicieuse, puisque l’image appuierait le mot, enrichirait la Timeline, et enfin permettrait aux utilisateurs Facebook de davantage et mieux s’exprimer. Pourquoi cela ? Dans un premier temps, on s’appliquerait à prouver la force de l’image sur le mot : son impact, sa fonction, sa puissance. La photographie a souvent été présentée comme un support polysémique fort, on verra pourquoi dans un premier temps. Pour illustrer ces cas, viennent tout naturellement le cas de Pinterest et Tumblr, des réseaux sociaux uniquement basés sur l’image. Vient ensuite Instagram, un réseau social purement dérivé du sacre des amateurs, qui permet de modifier des photographies avant de les relayer sur sa plateforme, mais aussi Facebook. Car tous ces supports sont « pluggés » à Facebook et sont relayés pour faciliter le processus de narration et permettre à l’internaute de s’exprimer. Il apparaît cependant que le mot joue également un rôle fort dans la transmission du message, notamment pour arrêter le sens de l’image. Si l’image permet un archivage sur Facebook, et aide ainsi la narration, la chronologie ne serait pas parfaite si le mot ne venait pas l’appuyer, et canaliser « le bruit » autour du message. On se ferait mieux comprendre des autres. Les deux supports seraient alors complémentaires, et se soutiendraient mutuellement. On observerait alors un bricolage, entre texte et image, mais également posts et relais de supports pluggés qui feraient une mosaïque des émotions de l’individu, et le peindraient de façon plus complexe, mais plus « juste ». Enfin, il serait important de rappeler que la place égale que laisse Facebook au mot et à l’image en ferait un outil hybride, que les internautes parviennent tout de même à maîtriser. Ils inventent ainsi de nouvelles fonctions à l’image et au mot, jusqu’à créer une prolongation du langage du web : culture du divertissement, égotrip et esthétisme particulier au web... Si la base de Facebook est d’effeuiller sa personnalité en posts imagés accolés de mots, la fonction de partage vient consolider le tout, et permet d’avoir visibilité et communauté. Enfin, on se rendrait compte que Facebook, de par ces nouveautés, se rapproche des médias traditionnels, et bénéficie alors naturellement de leurs forces. 11
  • 12. Pour appuyer ses raisonnements, nous nous appuierons sur cinq études : - un entretien avec Facebook pour nous expliquer et nous présenter la Timeline, jusqu’à expliquer ses spécificités, - un entretien avec Julien Levêque, porteur de l’étude Wave 6 (2012), spécialisée dans les réseaux sociaux et leur audience, - un entretien avec Guillaume Théaudière qui explicitera les archétypes des médias, et leur représentation mentale dans l’esprit des consommateurs, - une étude sémiologique d’une Timeline type, afin de dresser ses fonctionnalités, la place qu’elle donne à l’image et les différents profils d’utilisateurs que l’on peut en déduire, - une étude d’un échantillon représentatif de 78 Timelines, afin de déterminer la façon dont les internautes utilisent le mot et l’image, ainsi que les différents profils d’utilisateurs. 12
  • 13. I LA NARRATION DE SOI SUR LA TIMELINE FACEBOOK, PORTEE PAR LA DEMOCRATISATION DU GENIE Andy Warhol, dès 1968, annonçait le quart d'heure de célébrités que chacun de nous réclame aujourd’hui: "In the future, everyone will be world-famous for 15 minutes.". Cette citation désignait alors la fugacité du public pour ceux qui font l'objet d'attention des média. Si on réservait alors cette phrase aux média traditionnels, et notamment le média de masse télévisuel, aujourd'hui on peut largement appliquer ce phénomène à la sphère digitale. D'aucuns parlent à présent d'une période qu'ils qualifient de "post-Andy Warhol" 12. "Comer believes that Warhol's famous 1968 statement – "In the future, everyone will be world- famous for 15 minutes" – showed an intuitive understanding not just of our appetite for stars, but of the way the média would become more pervasive. "He understood that the Hollywood studio system was giving way to something where far more people were going to be on camera and on screen. Now, on CCTV cameras, we're all filmed and photographed thousands of times a day. Warhol realised that we were becoming more than bodies – we were becoming images. The way that we all became part of the média machine is something that he understood very early." On parle alors d'une ère où notre appétit pour la star prédomine, et où les médias sont de plus en plus intrusifs. Un point de vue à nuancer tout de même dans notre étude, puisqu'on se recentre sur le digital. On ne parle pas ici de médias tentant de capter un moment de réalité pour attirer une audience. Un tel média serait alors, oui, intrusif. Aujourd'hui, le média internet relève davantage d'un outil, et d'une aide, dont on dispose pour s'exposer. Il s'agirait ici d'une intrusion consentie : les lois de protection de l'individu sont là pour encadrer et prévenir certaines dérives, et les internautes sont de plus en plus avertis lorsqu'il s'agit du monde de l'internet. Une récente étude, parue en mai 2012, prouve le lien entre Français et Internet 13. 73% affirment ne plus pouvoir s'en passer dans la vie de tous les jours, 61% s'entendent sur le fait qu'Internet résulte à plus de transparence et plus de démocratie, même si 77% se sentent surveillés. Surveillés, oui, et pourtant, plus de 50% sont sur une plateforme de réseautage social. 14 Une preuve que les Français sont conscients de leur exposition au néant de l'Internet, mais sont prêts à jouer le jeu, jusqu’à se sentir capable de contourner le danger. 12 Needham, Alex, Andy Warhol's legacy lives on in the factory of fame, The Guardian, 22 février 2012 13 Internet dans la vie des Français, Ifop.com, 20 février 2012 14 Evolution des usages de l'Internet en France, Eduscol.education.fr, 13 mai 2012 13
  • 14. La théorie du post-Andy Warhol illustre bien que le temps est venu pour chacun d'entre nous d'aspirer à s'exposer au Monde (ce qu'il entendait autrefois dans les termes "être une star"). D'abord par les médias traditionnels, qu'on a vu afficher de plus en plus de programmes de téléréalité ou encore de témoignages illustrés de "vraies" personnes. Le terme vrai est ici à nuancer, puisqu'on connaît la mise en scène des médias, prêts à combler "notre appétit de voyeurisme et vacuité" (les clichés de la téléréalité) par le fantasme du réel, dont parle bien Daniel J.Boorstin 15 : "une substitution qui tend à recouvrir la réalité pour se substituer à elle". On parle même aujourd'hui de docu-réalité 16, au croisement de réalité, réalisme et fiction. La téléréalité est décrite comme "une réalité montée de toute pièces". Ici, cette perception nous intéresse. Pourquoi ? Parce qu'elle est implicitement liée à la narration de soi sur les réseaux sociaux. Une forme d'exhibition, qui ressemble bel et bien au documentaire dont nous parlons, mais consentie et maîtrisée. Sur l'Internet, notre exposition est plus facile et plus contrôlée : nous en sommes les maîtres et acteurs. C'est ce qu'évoque Alex Needham lorsqu'il parle de notions d'images et d'intégration dans la "machine média". Nous maîtrisons notre image, savons ce que nous voulons mettre en avant ou en retrait, pour enfin manipuler cette vision qu'ont les autres de nous. Pourquoi une telle volonté et comment en sommes-nous parvenu à oublier la protection de notre vie privée ? 1. Le sacre des amateurs : le règne de l'individu ordinaire Le sacre de l'amateur : un phénomène que Patrice Flichy décrit largement dans son ouvrage Le sacre de l'amateur, sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique. Il y explique que les internautes tentent de remplir l'espace entre profane et spécialisation, et redonnent au mot expert son premier sens : « celui qui apprend à se servir, qui a l'habitude de faire, ou de dire ». Selon lui, le mot expert a aujourd'hui injustement migré vers le sens de "spécialiste". Si celui-ci se définit comme « une personne qui a des connaissances théoriques et, ou pratiques poussées dans une ou plusieurs disciplines précises ». L'amateur, lui, se définit plutôt comme « celui qui a du goût pour, celui qui aime produire lui-même 17». Une définition plus large, qui correspond à cette mouvance 15 Daniel J. Boorstin, L'Image, ou ce qu'il advint du Rêve américain [« The Image: A Guide to Pseudo-Events in America, éd. Vintage Books »], Paris, éditions Julliard, coll. « 10/18 », 1961 16 Leporcq Clémence, Bastie-Bruguière Mathilde et De Visscher Henriette, Effeuillage-Celsa, Numéro 1, Juillet 2012 17 Flichy, Patrice, La montée en puissance des amateurs. La suite dans les idées, animé par Sylvain Bourmeau, France Culture, 6 novembre 2010 14
  • 15. qu'Internet a permise : « donner lieu à davantage de possibilités, élargir les compétences des individus ordinaires » 18, notamment grâce à la démocratisation des logiciels de retouche, et l'accès au contenu qu'offre le néant de internet. a. Lorsque le témoignage prime sur le spectaculaire En quoi cela nous intéresse ici ? Simplement à travers le fait que l'individu lambda, sur le net, s'exprime et s'affirme à travers les images, la réinterprétation des œuvres offertes, et ouvertes. Pour exister, il doit se faire entendre, se montrer, prouver ce qu'il peut produire, et se représenter à travers des productions. Des productions qui peuvent être du réel contenu, ou bien simplement la retouche ou le transfert d'images, de mots, de textes, de musique. Ce qu'il fait au travers des plateformes de contenus (YouTube, Pinterest, Tumblr...), mais également des réseaux sociaux. Le but ici n'est pas, comme l'explique Flichy au cours du podcast, nécessairement la notoriété, mais bien de se faire connaître et se situer dans ses cercles de connaissances. Quelle est la réelle différence entre la notoriété et cette façon de se faire connaître ? On veut prouver sa différence, se comparer à d'autres, mais dans le but de rencontrer des proches. Le mot proches est ici employé non pas comme « parent », « amis », « intimes », mais comme "ses semblables", comme l'explique Patrice Flichy. Professeur de sociologie, spécialiste de l'innovation et des techniques de l'information, il explique que le but final recherché par l'amateur est « la construction de public et de rencontres détachée du succès, de la notoriété. » Les internautes deviennent des "écrivants ou créateurs [ordinaires]" pour exister sur la toile, et parce que, au travers de leur production, cela leur est permis. Dans son ouvrage, Patrice Flichy tend vers l'analyse sociologique du fan à l'ère du web. Il décrit trois usages des œuvres culturelles. Premièrement, la coproduction par l'interprétation. L'amateur redonne du sens à une image en la transférant dans un contexte particulier, ou en la modifiant pour lui donner un nouveau sens. On assiste donc à une réinterprétation de l'image, la vidéo ou autres œuvres par l'internaute, mais dans le but de s'exposer et s'exprimer à travers l'exposition de l'œuvre. 18 Flichy, Patrice, La montée en puissance des amateurs. La suite dans les idées, animé par Sylvain Bourmeau, France Culture, 6 novembre 2010 15
  • 16. Françoise Lagache explique bien ce lien entre image et texte, affirmant que les mots "se glissent dans les interstices de l'illustration". Inversement, l'illustration "se glisse dans l'interstice du texte" 19, appelant une notion de maillage autour de l'image. L’accès aux œuvres culturelles et leur appropriation fait qu'elles circulent mieux au sein des réseaux sociaux, mais elles permettent également aux internautes de s'exprimer visuellement à travers elles. On ne touche pas à l'image, on la transfère, la partage, en apposant à l'image un texte en lien d'ancrage. Roland Barthes l'explique comme une façon de "constituer une sorte d’étau qui empêche les sens connotés de proliférer soit vers des régions trop individuelles… soit vers des valeurs dysphoriques". Parfois, il choisit d'apposer un lien de relais. 20 On joue de l'image et des mots pour véhiculer du sens. De fait, cette culture plus accessible devient un moyen de communiquer, une culture du web, que Patrice Flichy évoque dans son interview au sein de l'émission La suite dans les idées. Une sorte d'éducation populaire, qui naît pas du système naturel éducation, mais de celle du partage entre les uns les autres, à travers l'Internet et l'élargissement des compétences des individus ordinaires. En bref, le produit amateur détrône celui des autres, celui des marques : c'est une nouvelle façon de communiquer, en apprendre sur les autres. Selon une récente étude de TNS Sofres sur le Baromètre 2012 de confiance envers les médias, l'Internet est le seul média continuant sa progression (+3 pts), tandis que les autres médias perdent encore et toujours en crédibilité21. Pourquoi ? Alors qu’il était autrefois apparenté au média du mensonge, l'Internet redore aujourd’hui son blason, en capitalisant sur son aspect collaboratif. Des « vrais gens » existent derrière lui. Une transparence qui rassure : on joue cartes sur table. Une autre preuve, s'il en faut une. Les Français sont passés de 68% de confiance à 64% en les marques qu'ils achetaient, entre 1994 et 2010. Ce critère est autrement plus critique chez les jeunes, pour qui la confiance en une marque n'est plus essentielle pour passer à l’acte l'achat. Désillusionnés, ils affirment que c'est bien le critère de la "bonne" image de marque qui prime avant tout. 22 Passer par un média non-collaboratif, et ne pas se mettre au même niveau que son public constitue plus que jamais une barrière pour les marques, qui la contourne en utilisant le média Internet, des formats plus interactifs, alliés aux mêmes langages et codes culturels que les internautes. 19 Lagache, Françoise, La littérature de la jeunesse, la connaître, la comprendre, l'enseigner. Paris, Belin, Guides Belin, 2006, p.66 20 Barthes Roland, Rhétorique de l’image, Communications, 4, 1964, p.5 21 TNS Sofres, Baromètre 2012 de confiance dans les médias, 19 janvier 2012 22 Hebel Pascale, Siounandan Nicolas, Mathé Thierry, Pilorin Thomas, avec la collaboration de Gabriel Tavoularis, Peut-on parler d'un déclin de la confiance dans la grande marque, Cahier de recherche n°275, Credoc, Décembre 2010 16
  • 17. La fermeture pendant 24h de Wikipédia au Printemps 2012 est un exemple concret de la force et crédibilité des amateurs sur le net. Wikipédia est une encyclopédie collaborative, qui relève du statut de véritable bible pour les internautes d'aujourd'hui. Le site recense chaque jour 25 millions de visiteurs. L’encyclopédie, pourtant collaborative, donc de source incertaine, constitue aujourd’hui une référence en termes de culture, et les internautes ont l’habitude d’aller s’y documenter. A tel point qu'on parle aujourd'hui du Wikipédia Loop 23, ou addiction à Wikipédia, soit l'impossibilité à décrocher du cercle vicieux des liens apposés aux articles, sur lesquels on clique frénétiquement pour aller de page en page... jusqu'à se perdre au beau milieu du site. Ce véritable produit amateur a tout récemment décidé de clore son accès au public américain, pour militer contre les projets de loi "Stop Online Piracy Act" et Protect IP Act" 24, l'équivalent de notre Hadopi. Les mouvements de contestations virtuels et insultes n'ont pas tardés à pleuvoir à coups de tweets. Les internautes sont prêts à faire confiance à la communauté de l’Internet pour créer un contenu, même relevant d’un domaine aussi documenté et sérieux que la culture, et militent pour leur cause : les cultures et pratiques de l’Internet. La seconde utilisation des œuvres culturelles, toujours selon Flichy, réside dans la construction d'une communauté de récepteurs, soit le rassemblement de personnes qui nous ressemblent, adhèrent à nos valeurs. "Les producteurs ne créent plus des œuvres, mais des univers ; l'auteur devient un world maker" 25. C'est ainsi que le fan devient un "éditeur de la culture populaire industrielle" : en d'autres termes, il reprend la culture, se l'approprie et transmet un message aux autres, de façon intelligible. A travers elle, il parvient à relayer certaines de ses valeurs et à faire adhérer une partie de la communauté du net, qui lui ressemble. C'est là, selon Patrice Flichy, son but final : rassembler autour de lui, créer sa communauté de fans. Une pratique intéressante : on prend une image pour parler de soi, de façon à ce que les autres en saisisse rapidement et perceptiblement le sens. La troisième utilisation que l'on voit se dessiner est le prolongement du produit, grâce au partage. Une nouvelle forme d'interprétation qui est en réalité l'extension de la deuxième. Elle consiste alors à s'approprier l'œuvre pour en faire un détournement, pour lui donner une tournure inattendue. Le but, surprendre l'interlocuteur, se promouvoir par la surprise, et créer de l'intérêt. "L'amateur se tient à mi-chemin de l'homme ordinaire et du professionnel, entre le profane et le 23 Akshat Rathi, Confessions of a Wikipedia Addict, The Allotrope, 4 août 2011 24 Reuters, Loi Antipiratage : Wikipédia va fermer pendant 24 heures, Lemonde.fr, 17 janvier 2012 25 Flichy, Patrice, Le sacre des amateurs, Sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique - Paris, Le Seuil - 2010 - p.33 17
  • 18. virtuose, l'ignorant et le savant, le citoyen et l'homme politique." 26 Les "passions ordinaires" décrites par Flichy, et relayées à travers ces éléments de culture sont là pour nous caractériser, et c'est bien cette ouverture à la culture, et son accès plus facile, grâce à, on le répète, l'Internet, et le hacking. Un produit de ce phénomène : les mèmes 27. Toutes ces activités et ces postures d'amateurs n'auraient pas été rendues possible sans un phénomène antérieur et sous-jacent, qui aujourd'hui est considéré comme banal, et qui a vu, somme toute, grâce à l'immensité et les problématiques de droit d'auteur qu'il pose, peu d'obstacles se dresser contre lui : la dématérialisation des contenus. b. La dématérialisation des contenus : des biens culturels à tous, par tous et pour tous Erigée depuis peu comme une activité "politique" louable, portée par le Do It Yourself, le hacking relève d'une activité de peer-production, visant à démocratiser le contenu. Ces surdoués de l'informatique oeuvrent pour leur communauté, contre les grosses puissances : "La faute revient en partie aux médias qui parlent de plus en plus de hacking, mais mal, en assimilant hack et pratiques illégales. Notre conférencier, ingénieur-chercheur en sécurité des systèmes et réseaux informatiques, a rappelé en quoi le hack est nécessaire pour le bon fonctionnement de la démocratie à travers une série de mots-clés comme : "apprendre", "innovation", "empowerment 28". "Nous avons besoin d’apprendre pour nous et nos enfants car les systèmes sont de plus en plus complexes. On perd ce pouvoir d’apprendre. Innovation. Le hack est une grande source d’innovation. Empowerment. C’est une question de citoyenneté" 29. Selon Sabine Blanc, le hack est un moteur. Il serait à nous d'accepter de passer le relais à des mains amatrices, moins expertes, et ouvrir les vannes au grand public. Une volonté progressiste, qui pousserait la modernité, à l’évolution. Peer-to-peer, iClouds, crowd founding, du contenu laissé aux mains de tous, pour plus de création, de partage, de culture. Et l'Internet en est le divin auteur. La dématérialisation des contenus, suivie de la démocratisation de logiciels de loisirs créatifs, tels que Photoshop, In Design et autres logiciels de montage, ont donné la possibilité et la capacité de produire et se promouvoir, et ce dans un but a priori détaché des fins lucratives. Comme 26 Flichy, Patrice, Le sacre des amateurs, Sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique - Paris, Le Seuil - 2010 - p.11 27 Leloup Damien, Le mème, ou l'art du détournement humoristique sur Internet, Le Monde, 1er mai 2012 28 Empowerment : en anglais, prise de pouvoir. 29 Blanc, Sabine, Dangereux hackers d'intérêts publics, OWNI News, 13 avril 2012 18
  • 19. le dit Gunthert dans son article sur le rapport entre Internet et la culture, "la dématérialisation des contenus apportée par l'informatique et leur diffusion universelle par internet confère aux œuvres de l’esprit une fluidité qui déborde tous les canaux existants. Alors que la circulation réglée des productions culturelles permettaient d'en préserver le contrôle, cette faculté nouvelle favorise l'appropriation et la remixabilité des contenus numériques : elle s'impose également comme le nouveau paradigme de la culture post-industrielle." 30 Plus besoin de tergiverser pour accéder au contenu culturel ou industriel : tout est à portée de main. Mieux, la réglementation est telle qu'elle ne nous empêche plus de remixer, remastériser et compiler différentes œuvres. Cela prouve aussi la relativité, et l'évolution de la création. Inutile de créer de A à Z une vidéo, une image, une œuvre pour s'en proclamer auteur. Selon Monique Dagnaud dans son ouvrage Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, si la Génération Y s'avoue fervente amatrice de contenus en tout genre, très peu innove. "Les images tapissent le net adolescent. Interrogés sur leurs habitudes et leurs recherches lorsqu'ils vont sur les réseaux sociaux, 47% des personnes disent y regarder des photos, 32% des vidéos ; déposer photos ou vidéos auto produites ou récupérées est pratique courante ; en revanche, les auteurs de contenus innovants se font plus rares : 14% des internautes, ont 8% sont considérés accros et producteurs de contenu" 31. Différents niveaux de création sont donc à prendre en compte : les internautes lambdas qui repostent simplement les images, ceux qui remasterisent et remixent, les amateurs qui produisent des contenus innovants pour les lancer sur la toile, et enfin les professionnels, les "stars" que les autres tentent d'imiter, inconsciemment ou consciemment. Oscillant allègrement entre « appropriabilité » et reproductibilité, les internautes aujourd'hui raffolent de contenus et repostent sur les réseaux sociaux, sur leurs blogs et partagent en masse, pour se promouvoir, eux, et se raconter. Comment ? Grâce au développement, dès les années 2000, des plateformes de partage de contenu, et de l'engouement pour la création. L'expression "sacre des amateurs » que nous venons, en première partie, de détailler, revient de plus en plus. "Appuyée sur la baisse statistique de la consommation des médias traditionnels et la croissance corollaire de la consultation des supports en ligne, cette vision d’un nouveau partage de l’attention prédit que la 30 Gunthert, André, Internet ravit la culture, OWNI News, 19 novembre 2011 31 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.41 19
  • 20. production désintéressée des amateurs ne tardera pas à concurrencer celle des industries culturelles." 32 Le simple slogan de YouTube, qui réside en un "Broadcast yourself" ("Promouvez-vous"), répond de façon éloquente à la mouvance créative des internautes. Dailymotion tente de prendre le relais avec son réseau de broadcasters, ou Viméo, qui délivre des vidéos désignées comme plus créative et qualitative. On accède à des formes d’amateurisme qui copient les codes de l’expertise. L'accès aux contenus démocratisé, les plateformes de contenus cherchent à présent davantage de qualité et offrent de plus en plus des formats plus longs, ou encore la possibilité de regarder et écouter les contenus en HD. Une montée en qualité, donc, pour se rapprocher toujours plus des contenus professionnels. Car, selon Gunthert, si ce sacre des amateurs tient, c’est bien grâce à "la croyance largement partagée que la production naïve des amateurs est capable de susciter un intérêt comparable ou supérieur aux productions professionnelles." 33 Les internautes lambdas cherchent en réalité le culte de star, expliqué par Edgar Morin comme "marchandise totale et modèle culturel, valeur au sens le 34 plus équivoque du mot" . Les frontières de la sociabilité abolies par le net, ils veulent à présent en tirer le meilleur et se promouvoir à l'échelle... du net. "Dans les domaines où il s'est forgé des compétences, l'amateur peut exceptionnellement remplacer l'expert, mais il lui importe surtout de constituer sa propre opinion et de la défendre. Il peut accéder à une masse d'informations qui lui étaient inconnues auparavant ; grâce à elles, il est capable de tenir un discours critique, d'évaluer la position de l'expert spécialiste par rapport à son expérience où à ses propres pratiques. Il acquiert ainsi les ressources et la confiance qui lui permettent de se positionner, par rapport au professionnel, de l'interroger, de le surveiller, voire de le contacter en lui tenant un discours argumenté de ses opinions. L'amateur fait descendre l'expert spécialiste de son piédestal, refuse qu'il monopolise les débats publics, utilise son talent ou sa compétence comme un instrument de pouvoir." 35 Ce sont des libertés qui sont offertes à l'amateur, une possibilité de s'exprimer, de faire entendre sa voix et de s'impliquer. L'internet a ouvert la possibilité aux internautes de rentrer directement en relation avec les marques, certes, mais aussi avec les professionnels, dont ils peuvent contester la place de tout-puissants. Ils ont à présent la parole et se hissent au même niveau qu'eux. 32 Gunthert, André, Internet ravit la culture, OWNI News, 19 novembre 2011 33 Gunthert, André, Internet ravit la culture, OWNI News, 19 novembre 2011 34 Morin, Edgar, Les Stars. Paris, Ed. du Seuil, 1957, 192 p. (Coll. Le Temps qui court) 35 Flichy, Patrice, Le sacre des amateurs, Sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique - Paris, Le Seuil - 2010 - p.89 20
  • 21. La démocratisation des logiciels, leurs utilisations, a non seulement permis aux internautes lambdas de devenir des semi-experts, ou des experts complets dépendant des cas, mais a aussi permis aux biens culturels d'être plus partagés et manipulés, sinon mieux. Mais à quoi bon en parler ici, si la population de l’Internet se contente de matérialiser ses idées, créer, devenir acteur de l'Internet ? Le but de tout cela est avant tout de relayer et montrer au web ce dont on est capable. Mais aussi, en créant, on crée un message, on relaie des idées. En bref, on s’exprime. Pourquoi, comment se raconte-t-on aujourd'hui à travers l'Internet ? C'est ce que nous allons tenter d'expliquer dans la sous-partie suivante. c. Le culte de la chambre ou parler de son cocon à la toile : la complexité des cercles d'amitiés et la difficulté d'universalisation du message On a vu apparaître, avec le web, et plus précisément le web communautaire, un phénomène appelé le culte de la chambre. Pourtant, contrairement à ce que l'on peut penser, celui-ci ne relève pas de l'anecdote. En effet, alors que généralement on l'entend au sens d'adolescent confiné à son statut d'enfant avec des aspirations d'adulte, qui voit en l'internet une porte ouverte sur la vie qu'il ne peut pas vivre, on voit aujourd'hui s’étendre cette appellation à l'ensemble de la population. Les internautes, et pas seulement les adolescents, mettent aujourd'hui une version de leur vie romancée, une sorte de récit, sur le net. Monique Dagnaud, parle de ce phénomène, le culte de la chambre 36. "La toile, associée aux smartphones, offre aux préadolescents, via les webcams et les réseaux sociaux, la possibilité de franchir un cap dans la prise autonomie. Ce que l'on nomme fréquemment le culte de la chambre, qui consiste à communiquer avec des amis grâce aux nouveaux outils technologiques, marque en effet les premier pas de l'individuation en dehors du cocon familial. [...] En réalité, et contrairement à la télévision qui se regarde encore volontiers en famille, le Net fait souvent l'obéit d'une appropriation individuelle dans l'espace privé des jeunes ; d'ailleurs beaucoup de parents , pour la plupart moins experts et intimidés par cette cybersocialisation ne cherchent pas à s'y immiscer." 37 Or, il serait faux de dire qu'aujourd'hui ce culte de la chambre ne se limite qu'aux préadolescents ou adolescents. On voit aussi apparaître, sur YouTube ou encore Tumblr, des amateurs qui parlent à la cybersphère depuis leur chambre ou leur appartement, montrant leur vie et racontant des anecdotes de la vie quotidienne. Ils sont pourtant 36 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.18 37 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.28 21
  • 22. plus âgés, même s'il appartiennent encore à cette génération appelée Y. On les voit apparaître en France, avec les récents succès de Norman fait des vidéos ou Cyprien, qui se promeuvent à travers différentes vidéos dont le nombre de vues explose régulièrement : Norman n'a pas moins d'un million de fans Facebook à date, tout comme Cyprien. Ce n’est pas un cas limité à la France. Il existe également de l'autre côté de l'Atlantique, à travers l'exemple de Jenna Marbles, dont la vidéo "How to avoid talking to people you don't want to talk to" ("Comment éviter de parler aux gens auxquels vous ne voulez pas parler") additionne, à date, plus de 22 millions de vues. Qu'ont ces protagonistes du digital en commun ? En quoi cela correspond-il bien à notre tendance du culte de la chambre, quittant les carcans adolescents pour s'élargir à la sphère du web ? Ils ont tous trois plus de dix-huit ans et se filment de leur chambre, leur appartement : en bref, leur environnement. Ils parlent de ce quotidien qui rassemble et parle à toute la sphère de l'internet. Une tendance que montre également du doigt Monique Dagnaud lorsqu'elle affirme que chez cette génération, le témoignage prime sur le caractère spectaculaire et la sublimation. La volonté de parler de son quotidien est donc là. Mais cette volonté va également au-delà de cela. Les internautes ont la volonté d'exister sur le web, de se construire une identité, au-delà de se vendre professionnellement, comme le veut l'appellation « personnal branding ». Monique Dagnaud l'explique bien dans son ouvrage, en désignant la culture adolescente, qu'elle caractérise comme le berceau concentré du net. "Comment caractériser la culture des internautes sur le web 2.0. ? La cybercommunication diffère profondément de celle de la graphosphère. Blogs et réseaux sont éloignés de l'exploration intérieure conduite dans les journaux intimes ; on y travaille davantage une projection de soi qu'une recherche d'explication de soi ; plus précisément, la réflexivité demeure mais l'internaute ne perd jamais à l'esprit que sa subjectivité va être publicisée et qu'elle doit être affinée sous un angle original." 38 Le premier genre de blogs, en tête desquels le Skyblog, a explosé dans les années 2000, et a d'abord séduit le public par sa simple capacité à se montrer au Monde. Simplement poster et gagner en visibilité. C'était les prémices de ce qu'on a baptisé plus tard l'extimité. L'extimité, néologisme au croisement de l'extériorisation et l'intimité consiste à montrer sa vie, son environnement personnel au monde de l'internet. Il est défini par le psychiatre Serge Tisseron comme « le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant physique que psychique », ici sur la toile. L'environnement parfait pour ce genre d'expérience réside 38 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.29 22
  • 23. dans les réseaux sociaux, qui sont apparus ensuite, avec l'explosion de Facebook l'été 2010 (même s’il vivotait depuis 2004) avec ses 500 millions de membres 39. La différence réside dans la possibilité de contrôler, grâce aux fonctionnalités, plus ou moins ce qu'on montre, et à qui on le montre, grâce aux cercles d'amis que l'on construit sur Facebook, et la gestion de ses cercles. Grâce à un procédé utilisé par Facebook, les données personnelles sont triées par genre, photos (postées ou non l'utilisateur et celle postées par ses amis), statuts Facebook, partages... pour décider à qui l'on veut délivrer du contenu posté sur le profil. Tout est mis en place pour que nous puissions devenir de véritables maîtres de notre "journal" et filtrer nos informations personnelles. On passe donc de la diffusion massive et l'exposition de soi au contrôle, jusqu'à la construction d'une identité. A chaque nouvelle version du journal Facebook, davantage de possibilités de contrôle sont données. La Timeline Facebook donne notamment la possibilité d’aménager da façon créative son profil, et de modifier, mettre en avant, supprimer. C'est bien ce à quoi fait allusion Pierre Mercklé dans son ouvrage Sociologie des réseaux sociaux. "Un réseau social, dans cette perspective, peut être ici défini provisoirement comme constitué d'un ensemble de d'unités sociales et des relations que ces unités sociales entretiennent les unes avec les autres, directement , ou indirectement à travers des chaînes de longueurs variables. Ces unités variables peuvent être des individus, des groupes informels d'individus ou des organisations plus formelles, comme des associations, des entreprises, voire des pays. Les relations entre les éléments peuvent être elles aussi de natures extrêmement diverses : il peut s'agir de transactions monétaires, de transferts de biens ou d'échanges de services, de transmission d'informations, de perceptions ou d'évaluations interindividuelles, d'ordres, de contacts physiques (de la poignée de main à la relation sexuelle) et plus généralement de toutes sortes d'interactions verbales ou gestuelles, ou encore de la participation commune à un même événement, etc." 40 En définitive, on s'exprime sur les réseaux sociaux comme dans la vie réelle, et cela, nous le savons très bien. Ce qui est intéressant, c'est que nous délivrons également de la même façon les informations. A nos amis les plus proches, nous délivrons les secrets les plus intimes, à d'autres on raconte plutôt ce qui est véritablement acceptable. On contrôle donc ce qu'on veut montrer ou non, et à qui le montrer. Ce qui nous intéresse ici, et qui est évoqué par Pierre Mercklé plus haut, c'est la dimension que prend le contenu que nous postons, en fonction de l'information donné à celui qui le consulte. Il parle alors de réseaux personnels. Ces réseaux, articulés autour d'un atome social, définis par 39 Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011 40 Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.4 23
  • 24. Moreno par « un ensemble formé d'un individu , des individus qui sont en relation directe avec lui, et des relations que ces individu entretiennent les uns avec les autres » 41. "Si l'on ne se laisse pas distraire par les apparences grossières des faits sociaux, il nous sera possible de découvrir la plus petite unité sociale vivante, elle-même indivisible : l'atome social [...] De même que pour l'atome physique, les contours de l'atome social ne sont pas visibles à l'œil nu. Il faut les découvrir. Le test sociométrique nous fournit les moyens. Un atome social se présente comme suit : l'individu A est attiré par 6 personnes : B, C, D, D, F et G ; B, C et D rejettent A; F est différent ; G est attiré par A, mais A de son côté rejette M, N et O, P, et Q lui sont indifférents. Cette constellation de forces d'attraction et de répulsion [...] constitue l'atome social de A [...] Ces atomes sociaux ne sont pas de simples constructions de l'esprit : ce sont des réseaux authentiques, douées de vies et d'énergie réelle, qui circulent autour de chaque individu, s'entrecroisent, qui épousent des milliers de formes différentes, en étendue, en composition, en durée." 42 En bref, il s'agit de relations entremêlées et de partages réels, virtuels, ou uniquement réels, uniquement virtuels. Ici, cela montre bien la complexité de ces relations, et le codage et décodage qu'implique les posts de contenu sur l'internet. En effet, une même photographie, un même statut seront interprétés d'une façon par un interlocuteur, et d'une façon totalement différente par un autre, en fonction du niveau d'information transmise, et de la perception du dit interlocuteur. Une subjectivité qui rend une Timeline Facebook beaucoup vivante, beaucoup moins contrôlable, et qui est expliqué par Barnes en 1972 : on distingue l'étoile, qui réside en l'ensemble des relations entre ego et ses contacts directs, et la zone, qui désigne l'ensemble des relations entre ses contacts (pour ainsi dire, l'étoile). Les interactions sont différentes entre ses contacts directs, et les amis de nos amis, dont on a au final, peu d’information. Il sera alors difficile de décrypter leurs posts. S'exposer et parler d'extimité devient alors doublement intéressant. On peut montrer ce que l'on veut de soi, mais les interactions font que l'impact produit n'est pas toujours celui que l'on voulait produire à la base. Se construire devient alors complexe. C'est ce qui est expliqué dans les théories de Shannon et Weaver 43, qui montre que le moindre bruit (toute source d'interférence susceptible de détériorer le signal est donc d'affecter la communication) brouille un message, le dénature, et le fait parvenir biaisé à destination. Lorsqu'on cherche à se construire sur sa Timeline, on diffuse des messages censés générer une cohérence, tissée minutieusement, à la complexité 41 Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.32 42 Moreno, L'atome social, 1934, p. 202-203 43 HEINDERYCKX, François. Une introduction aux fondements théoriques de l'étude des médias, Liège, Cefal-Sup, 2002 ; cybernétique, la science des systèmes. 24
  • 25. étudiée. Or, à travers le prisme des connaissances de chacun de ses cercles, de ses amis, de ses connaissances et vagues contacts elle prend une dimension différente. Le bruit en est la cause. On a donc vu l'impact du sacre des amateurs et leur volonté de s'exprimer à travers la dématérialisation de la culture, ainsi que l'archivage du net qui permet aux internautes d'accéder à des contenus qui leurs permettent de faire passer un message, et enfin la complexité de garder la teneur du message au travers des sphères relationnelles du net. Puisque c'est en fonction des autres, pour les autres, mais aussi par les autres que l'on se construit, il faudra d'étudier l'internet communautaire et ses particularités. 2. L'internet communautaire, l'internet du "chacun se vaut" La sphère de l'internet est basée sur l'échange, le partage, et par la même la création de relation interpersonnelles. C'est ce qu'expliquait Patrice Flichy dans son ouvrage sur Le sacre des amateurs, c'est également ce qu'explique Monique Dagnaud dans Génération Y, Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, et ce qu'entend Pierre Mecklé dans sa Sociologie des réseaux sociaux. Tant et si bien qu'il parle de sociabilité (des réseaux sociaux) en la désignant comme une "forme pure de l'action réciproque" 44. Un sens simmelien (1917, p.129), qui la désigne comme "une forme ludique de la socialisation, ressemblant à un jeu sans contraintes au cours duquel" les individus font "comme si tous étaient égaux". Tocqueville aborde également cette idée, en le désignant comme "un processus selon lequel des individus occupant des positions différenciées, inégalitaires, s'imposent une relation égalitaire, ce qui les contraint au jeu de la stylisation des relations interpersonnelles" 45 Mercklé montre que "la sociabilité suscite une forme pure de réseau parce qu'elle correspond à ce qu'il y a dans la relation sociale à la fois informel, au sens de non organisé, et de formel, au sens cette fois où elle est de la forme dont le contenu n'est 44 Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.37 45 Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.37 25
  • 26. qu'un prétexte." On note ici l'importance du contenu, et à quel point la communauté existe à travers lui. C'est cela qui permet à un individu de se situer et de trouver des semblables. Nous verrons dans cette sous-partie comment s'organise une communauté sur la sphère d'internet. a. L'homophilie, base de construction de cercles d'amis au sein de l'internet communautaire A la définition que nous venons de faire de la sociabilité et la construction de cercles sur les réseaux sociaux, un élément doit être ajouté, selon la définition de Nian Lin. Le contenu s'articulerait autour de contenu, certes, mais aussi d' "échanges matériels et symboliques ou d'actions expressives, comme l'affinité et l'amitié". Une sociabilité qui est redéfinie par Monique Dagnaud, qui explique que "ami est un terme revisité, qui va du fusionnel le plus poussé à l'indifférence abyssale". Si un tel écart existe, comment se construit-il et qu'est-ce qui fait qu'il se construit ? Comme nous l'expliquions plus haut, l'amitié sur les réseaux sociaux se base sur une idée de partage, de ressemblance. On sert les attentes d'autrui en fournissant du contenu qui nous définit, en en recevant de lui, et en se créant une communauté avec des intérêts communs. Ainsi, lorsqu'un individu alimente sa Timeline, c'est en fonction de ce qu'il veut transparaître de lui, mais également à travers le prisme de ce qu’il pense que les autres attendent, espèrent en termes de contenu. Le post n'est pas égoïste, et ne relève pas de la simple "bouteille à la mer". Pour exister, il faut nourrir sa communauté, parler son langage (comme nous le verrons plus loin) et l'intéresser. Aussi, Mercklé revient sur un élément, à notre sens, essentiel : l'homophilie 46. Premièrement il avance que "malgré l'infinie variabilité des définitions que les individus donnent de l'amitié et des raisons qu'ils invoquent pour aimer leurs amis, il n'en reste pas moins que, dans ce domaine comme dans celui de leur conjoint, le constat sociologique est le même : "Qui se ressemble s'assemble" (comme l'explique Bidart, en 1997). Cette homophilie, définie comme la tendance, pour l'amitié, à se former entre personnes possédant des caractéristiques similaires est systématiquement avérée dans les études empiriques : les amis sont, bien plus fréquemment que s'ils se choisissaient au 46 La tendance, pour l’amitié, à se former entre personnes possédant des caractéristiques similaires [Lazarfeld, Merton, 1954] 26
  • 27. hasard, d'âge, de sexe, et de classe sociale identiques." 47 On pourrait alors croire que les communautés qui se forment sur le web sont reliées à celle du réel, que la rigidité des communautés sociales se retrouveraient sur la sphère internet. La barrière virtuelle ne servirait pas à davantage de diversités. Mais Pierre Mercklé va plus loin et ajoute : "Il existe différentes explications possibles de cette tendance à l'homophilie : George Homans [1950] avait fait l'hypothèse que "plus des personnes interagissent l'une avec l'autre, plus il est possible qu'elles aient l'une pour l'autre un sentiment d'amitié." Et c'est là qu'intervient le contenu. Si l'on "sert" à ses cercles d'amis, ou l'internet en général, du contenu qu'ils aiment, on a davantage de possibilités d'interagir, intéresser, partager du contenu régulier, et développer des sentiment d'amitié. Par l'intérêt commun de trouver un contenu spécifique, du divertissement (comme nous le verrons plus tard), le partage allié au réciproque, on développe une communauté d'amis aux centres d'intérêts communs, détachée des critères d'âge, de sexe, de catégories socio-professionnelles, qui sont primordiales "In Real Life". "In Real Life" désignant la vie au réel, cette en dehors de la vie virtuelle de l'Internet. Pour compléter ses idées, Pierre Mercklé avance une troisième idée. Celle de l'Internet du "chacun se vaut". On avait parlé plus haut de la dématérialisation du contenu, son accès à tous, et les possibilités d'offrait l'Internet. Ici, il explique que l’avantage qu'offre également l'Internet, c'est l'égalité pour tous. "Dans le même registre, on peut penser que les individus se représentant l'amitié se représentent l'amitié comme une relation entre égaux, celle-ci à plus de chance de s'établir , puis de se maintenir, entre des personnes qui le sont effectivement." 48 En bref, par l'intérêt de chacun de se retrouver, participer et trouver du divertissement sur la sphère Internet, des relations se créent. L'internet, en proposant un contenu égalitaire à tous, permet plus d'interactions, de partages, indépendamment de l'identité IRL de l'individu qui nous fait face. Nous devenons des constructions de nous-mêmes à travers un contenu, nous existons au travers de ce contenu et constituons des vecteurs de celui-ci. C'est le contenu qui cimente les relations sur Internet, indépendamment des relations que nous tenons au-dehors de la sphère du web. Les relations que nous développons dans le réel, puis continuons sur la toile doit répondre à ces critères. Une relation peut exister sur Internet, mais pas dans le réel, et vice-versa ; une amitié qui combine les deux doit répondre aux critères sus-dits : des intérêts communs, des comportements similaires, un intérêt pour un contenu et du divertissement similaire. 47 Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.40 48 Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.41 27
  • 28. Pierre Mercklé, encore une fois, définit l'amitié comme un bien collectif : "c'est donc en déplaçant le regard échanges de ressources de choix affinitaires vers les ressources dont ces choix sont les supports, que l'on peut saisir les formes particulières de solidarité et d'entraide démontrent en général une séparation des réseaux familiaux et non familiaux de soutien et une forte différenciation des ressources qu'ils apportent." L'Internet serait donc le terrain d'entraide et de solidarité entre internautes. Si ici la sociabilité est définie comme un bien collectif, un principe de cohésion sociale, cette idée toutefois à nuancer : si l'on reprend l'idée de capital social, établie par James Coleman en 1990, on détermine la sociabilité comme un bien public, "un bien social, une ressource, un "capital social" dont le contrôle est complexe, et suscite donc des stratégies individuelles". On définit alors ici l'amitié des réseaux sociaux comme une entreprise, des stratégies à construire pour tisser un réseau de relations, bien loin de l'altruisme des échanges. Ici, on comprend bien pourquoi : pour avoir un public, de la visibilité et faire voir la construction du "soi" des réseaux sociaux. Exister sur la toile, en somme. Nous avons donc décrit ici la façon dont se construit les relations entre membres de réseaux sociaux, à travers un contenu commun, et la nécessite de le construire pour exister. Il faut à présent se pencher sur la teneur de ces contenus, ce que nous allons faire dans la prochaine sous-partie, le divertissement autour du gag, de l'actualité, et l'humour. b. Un élément fédérateur : le divertissement porté par l'humour et le gag Dans un premier temps, on a longtemps pensé que ce qui liait les individus entre eux, selon Rivière (2004), résidait en les points communs, des loisirs communs. Le contenu et la construction d'amitié à travers le "loisir relationnel" 49, qui mettent en relation avec autrui. Il cite alors comme exemple, des endroits, comme la fréquentation de cafés, la pratique du sport et les loisirs à domicile. Or, ici, on parlerait davantage d'un goût commun pour le gag, que décrit très bien Monique Dagnaud 50, tout comme nous l'avons expliqué précédemment. Pourquoi les internautes partagent du contenu, au-délà des notions d'amitié que nous venons d'évoquer ? Simplement, comme le dit Henry Jenkins dans son ouvrage Média, viruses and memes 49 Mercklé, Pierre, Sociologie des réseaux sociaux, Edition Repères La Découverte, Paris, 2011, p.38 50 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.57 28
  • 29. parce que "we want to suggest that these materials travel through the net because they are meaningful to the people who spread them", "nous voulons admettre que ce contenu voyage à travers l'internet parce qu'elles ont du sens pour les gens qui le partagent". En bref, nous voulons faire écho en les autres internautes, pour les besoins de communautés que nous venons d'évoquer, mais aussi mettre une pierre à l'édifice du divertissement d'Internet. Proposer un contenu qui soit possiblement vu par le plus nombreux. Et ce, même, comme nous l'exposions dans notre étude du sacre de l'amateur, le droit à l'image se perd dès lors que notre composition est exposée au web. Une action pour la communauté, pour participer, qui relève du domaine du jeu. Connaître les codes, les manipuler, les utiliser, les transmettre, échanger. Mais autour d'une même idée, fixe, renouvelée, et depuis longtemps. Le lol. "La navigation sur les blogs et les réseaux sociaux fait découvrir un horizon, celui de l'émergence d'un espace mental fondé sur le rire, les jeux de sens, la délectation de l'absurde. Le lol et le lulz, acronymes nés dans la sémantique du Net depuis une dizaine d'années, apparaissent comme des marqueurs culturels de notre époque, un produit des interactions de la jeunesse avec les médias et une floraison de contenus d'images - films cultes, cartoons, mangas, jeux vidéos, séries, infotainment, programmes humoristiques." On voit bien ici que la communauté du web a su déployer toutes une mécaniques et un champ culturel à part, basé, comme nous l'évoquions plus haut, sur le divertissement. Le lol, qui vient de l'anglais Laughing out loud, est à distinguer du lulz. Il signifie "rire à gorge déployée". Lulz, lui, en est un dérivé, et est né au fil des interactions virtuelles. Il signifie simplement "rire au dépend d'autrui". "Loin de se cantonner à quelques sites adolescents en mal de vivre, elles irriguent le net et influencent les esprits bien au-delà de la classe d'âge des teen-agers." Une culture et un phénomène auquel toute la population du web aspire, et participe, donc. Elle définit également un état d'esprit, hors du temps, que la toile permet par son format, qui consiste à ne rien prendre au sérieux, et souvent à tourner en dérision les institutions et les personnes qui façonnent la vie publique. En réalité, le lol définit une approche du monde par le rire, et permet de tourner en dérision la vie "In Real Life", et trouver ainsi une échappatoire. Le web relève d'un terrain du divertissement, une sorte d'aire de jeu, avec des règles, des conduites à tenir, des rôles à tenir, des ennemis (les membres victimes du lulz), des alliés (les adhérents de notre communauté, qui rient des mêmes thèmes que nous). Si le lulz peut paraître cruel de premier abord, il cherche d'abord à lier les membres entre eux et trouver de nouveaux sujets de discussions, des sujets d'actualité trouvés sur le net. il faut donc être à même de l'actualité, et collecter les informations en se rendant régulièrement sur la toile, pour enfin parvenir à décrypter les contenus proposés et connaître les 29
  • 30. tenants et aboutissements du message. On remarque donc, en plus du bruit que peut générer le manque d'informations d'un contact, le manque d'information dû à la « mésinformation » sur Internet. Ainsi, en Juillet 2010, une adolescente nommée Jessi Slaughter 51, à l'insupportable discours mégalomane, qui avait pour habitude de se promouvoir sur sa chaîne YouTube est devenue la cible de la communauté Internet, et a été attaquée dans un flot d'insultes vidéos, images, et autres contenus sans fin. Son calvaire est dû au non-respect des règles, qui consiste à se fondre dans la communauté, adopter les codes et servir ce qu'elle attend, c'est-à-dire du divertissement, en ne se promouvoir surtout pas soi-même au-dessus de la sphère d'Internet. Il a pris fin lorsque l'intérêt s'est porté sur une autre cible, ou qu'un élément de l'actualité est survenu. Un internaute qui n'aurait pas été à même de l'événement, ou n'ayant pas suivi l'affaire, des premières vidéos de la jeune fille à celle des attaques, n'aurait pas pu percevoir de bon en bout ce phénomène de lulz. Une double contrainte que l'on pallie par l'exposition forte à la sphère du web. Selon une étude Ipsos réalisée en 2010, 77% des 18-24 ans, les plus grands consommateurs de l'internet, détiennent un compte Facebook, et 62% sont sur quatre réseaux sociaux ou plus. Et si l'on se penche sur leur intensité d'utilisation, 63% les consultent tous les jours. Monique Dagnaud parle d'un arc-en-ciel du rire de la culture web. A cela, elle appose trois niveaux : -l'impertinence, le culte du pas sérieux ; le clin d'œil de ce qu'on appelle le mème, et que l'on expliquera plus loin -l'hilarité systématique et l'esprit de la dérision ; le lol - le ricanement malveillant et sa cohorte de débordements ; le lulz 52 Un art de se moquer de tout, et surtout de soi, que les analystes retrouvent dans tous les médias, et qui est notamment présent sur la Timeline Facebook. Pourquoi ? Pour se définir soi. On se sert du contenu image, statut, et vidéos pour s'illustrer, et des codes du rire Internet pour se définir. On rit avec les autres des sujets qui nous touchent à travers le lol, on relaie des thèmes qui correspondent à nos loisirs, nos centres d'intérêt ou d'actualité, et on rit des gens auxquels on ne veut pas ressembler à travers le lulz. Sur le net, l'on peut être qui on veut, ce qui correspond, comme l'explique le sociologue Alain Ehrenger dans La Fatigue d'être soi. Il la décrit comme la thérapie 51 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.15 52 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.70 30
  • 31. des sociétés d'abondance, le contrepoids d'un sentiment flottant de dépression. Le but est de répondre aux attentes des autres, se créer une identité, tout en ne se fourvoyant pas. Comme l'explique Henri Bergson, dans son ouvrage Le rire, cette activité, dénué de toute mauvaise intention, bon enfant, est "un sentiment humain à composante sociale - il agit dans l'interaction avec ses semblables, présents ou imaginés -, et à composante culturelle - ici et là, on ne rit pas des mêmes choses." 53 Et c’est bien là ce que nous avons tenté de démontrer ici, avec l'Internet. Le langage, la façon de rire, les choses dont on rit sont différentes sur le net que dans la vie réelle ou d'autres lieux. L'Internet traverse les frontières, les cultures, les langages, mais réside en un fondement universel : le rire. Il "offr[e] une arme pour fonctionner face à la rigidité des codes sociaux". 54 Encore une fois l'Internet contourne les codes sociaux établis dans la vraie vie et s'offre comme terrain de récréation. Tout appartient à tous sur le web, chacun est libre de détenir ce qu'il veut, s'adonner au lulz, être anonyme, se créer une tout autre personnalité et les codes sociaux et le langage est déplacé. C'est bien ce que nous allons aborder dans la partie suivante, et tenter de démontrer qu'existe une langue, un langage commun à la cybersphère. c. Les codes de langage Internet, entre actualité, remix et mèmes Terrain parfait pour ce genre d'expérience : 4chan. Crée en 2003 aux Etats-Unis, par un adolescent de 13 ans, qui l'a copié du modèle japonais 2chan, une image board site créé en 1999, il met en ligne toutes sortes d'images, de la plus nue à la plus commentée. Si pour certains 4chan relève du pire de l'Internet (une sorte d'abattoir et terrain suprême du lulz), le site affiche tout de même 9,5 millions de participants réguliers, principalement anonymes, et a une renommée mondiale. C'est sur 4chan qu'est né le principe du mème, blason du cyberespace, qui répond totalement aux règles du lol, et constitue un véritable nouveau langage de la sphère Internet. Qu'est-ce exactement qu'un mème ? Il s'agit, selon l'Oxford English Dictionary, « un élément d'une culture ou d'un ensemble de comportement qui se transmet d'un individu à l'autre par imitation ou par un quelconque moyen non-génétique » ("an element of a culture or system of behaviour passed from one inidividual to another by imitation or other non-genetic means."). 55 Monique Dagnaud va un 53 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.71 54 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.72 55 Oxford Dictionaries, 2011 Edition, Mème definition 31
  • 32. peu plus loin et explique comment créer un mème "Comment créer un mème ? D'abord capter une image inattendue ou décalée, donc chargée d'un potentiel de signifiants ; la transformer, l'associer éventuellement avec d'autres images, puis la lancer sur la Toile dans l'espoir de déclencher une tempête virale et de faire surgir un symbole culte qui attirera une communauté de rieurs et de commentateurs" 56 Il est défini par l'OWNI News magazine comme un vecteur de sens, et aussi comme un jeu. Un outil qui rejoint le divertissement, et le rire, que nous évoquions juste avant. "Le mème est l’exemple-type d’un contenu qui comporte tous les ingrédients de sa remixabilité, et qui se propose non seulement comme un document à rediffuser, mais comme une offre à participer au jeu [...] développant des formes conversationnelles autour des productions grand public." 57 On note ici l'importance de l'image, et à quel point elle peut être vecteur de sens pour la communauté. Lorsqu'une image est relayée sur l'Internet, 4chan, Twitter ou encore Facebook, elle est relayée dans le but de communiquer en utilisant les codes de l'Internet, et véhiculer du sens, sans les mots. Le cas du mème est pourtant complexe, comme expliqué par Vincent Glad 58 : "Savoir ce qu'est un mème n'a pas de sens, toute la définition est mouvante en fonction des acteurs qui l'utilisent." Selon beaucoup, il ne se limite pas expressément à l'image. Le Nyan Cat serait alors un mème, tout comme le phénomène qui a poussé des milliers de jeunes filles à poser en guise de statut une couleur, de façon tout à fait énigmatique, pour en réalité désigner leur soutien-gorge. Ce qui nous intéresse ici, c'est le détournement du mème, qui, entre les mains du membre du réseau social, peut prendre un tout autre sens, à décoder. Il dépend du contenu qui y est apposé, mais également, comme on l'a vu plus haut, des cercles d'amis à laquelle il le diffuse, et leur niveau d'information sur l'actualité, mais aussi sur son extimité. Le plus complexe réside dans le fait de savoir décrypter un mème : "Le mème met en oeuvre tous les modes possibles de détournement d'un contenu : transformation de l'image et/ou du texte (la parodie) par substitution ou adjonction d'éléments ; la fabrication d'une nouvelle image en imitant le code de l'ancienne (le pastiche) ; détournement du référencement d'un site pour renvoyer, en clin d'oeil, vers un sujet non prévu (Google Bombing) ; [...] mise en relation improbable de différents objets ou situations."59 Beaucoup de mèmes ont été générés ces deux dernières années, comme Keanu Reeves tourné en Sad Keanu, la starlette Justin Bieber, l'animateur Bernard Montiel (à qui on a inventé une fausse 56 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.60 57 Gunthert, André, Internet ravit la culture, OWNI News, 19 novembre 2011 58 Vincent Glad, "Pourquoi les mèmes ne sont pas des mèmes", 20 mai 2011, http://culturevisuelle.org/lesinternets/archives/586 59 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.63 32
  • 33. mort), le nom de l'ancienne émission télévisée Bonjour Madame, tourné en blog érotique ; sans oublier Jessi Slaughter. 4chan, et ses mèmes ont développé un phénomène et une culture, très peu perceptibles pour ceux qui ne sont pas initiés, ou peu initiés à la sphère Internet. Il s'agit d'une nouvelle construction intellectuelle : le tournoiement sémantique et le détournement. "Une jubilation existe à détruire et symboliquement l'hyper-organisation et l'intellectualisation des sociétés développées, suivant par- là la piste tracée par des sociologues comme Jean Duvignaud ou Michel Maffesoli lorsqu'ils analysent les exubérances (transes, fêtes, conduites irrationnelles ou anomiues) de l'individu moderne - orientation qu'exacerbe le domaine de l'image. Comme l'écrit Michel Maffesoli : "Alors que le rationalisme, c'est-à-dire la raison érigée en système, explique, l'image implique." Le mème est "un bricolage sans fin sur le sens des choses, une création et une récréation collectives où tout est permis, où tout s'échange et où tout change tout le temps puisqu'à chaque rencontre d'un texte, d'une image, avec son lecteur, la dynamique de réaction/création va être relancée, renouvelée, étendue, réappropriée. "" 60 Cette notion d'image qui suggère, impose, et construit plus subtilement la personnalité de l'internaute est à prendre en compte, et nous éclairera sans doute dans notre analyse de la Timeline Facebook. Le mème est avant tout considéré comme un "spreadable média", et est utilisé avant tout par sa capacité à faire sens. Une activité esthétique fondée sur la création de biens à la culture ancrée dans la notion et création de liens : c'est un acte esthétique et expressif, coexistant avec celui d'acte "pirate" et de récupération, qu'un individu reprend à travers les réseaux sociaux pour se promouvoir. Le mème laisse tout de même entrevoir un phénomène plausible sur les réseaux sociaux. Sa capacité à faire sens, en résidant dans une image capable de porter tout un ensemble de culture partagée par le web, est une force pour l'internaute qui veut faire parler de lui, et s'exprimer subtilement, loin des débuts des blogs, aux majuscules imposantes et aux statuts premier degré. Le mème, tout comme la tendance lol et lulz, relève d'un second degré qui a su se dessiner au fil du temps, alors que les internautes tissaient, se comprenaient et comprenaient l'Internet. Ils ne s'adressent plus de but en blanc, mais de façon détournée, pour créer un individu plus complexe, plus romancé. C'est ce que nous allons aborder dans une troisième sous-partie. 3. La starification de l'individu lambda 60 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.79 33
  • 34. Nous parlions plus tôt d'extimité et du besoin des individus de s'exprimer et se montrer sur l'Internet. Mêlées au sacre de l'amateur, ces tendances montrent bien le besoin de l'individu de se starifier, et se raconter à travers les réseaux sociaux, ce que les internautes font aujourd'hui naturellement sur Facebook. Pourquoi un tel phénomène ? Pour exister auprès des autres. En effet, aujourd'hui, un membre Facebook possédant environ 150 amis, garde contact avec seulement 20 d’entre eux, a des échanges uniques avec 10, et a une communication réciproque avec 5-6. 61 Il reste également très enclins aux échanges avec des semi-inconnus, tels que des membres Facebook appartenant au réseau des amis d'amis, et cherche à rentrer en relation avec eux. Facebook a une place si importante dans leur vie que pour 52% d'entre eux, un dialogue Facebook chat équivaut à du temps passé ensemble : le réseau social est un moyen d'interagir plus fréquemment que dans la vraie vie. Car sur l'Internet, l'amitié est une valeur primordiale, sinon vitale. "L'amitié figure au plus haut des valeurs encensées par la communauté des réseaux sociaux. Ceux-ci savent bien distinguer les différents niveaux concentriques qui vont de l'attachement intime et durable au contact en pointillé avec les membres du réseau. [...] La technologie intensifie et renouvelle les formes d'échanges au sein de ces noyaux amicaux." 62 On veut donc cultiver, entretenir et s'inventer au sein de ces cercles d'amis, et le format Facebook, basé sur des instants de vie, permet cette narration, au travers de statuts, de photos, de vidéos, d'événements, de checkings. Jean-Claude Kauffman va dans ce sens et argumente que développer son identité permet à l'individu de recueillir "la reconnaissance, le consentement et l'amour des autres dont il a besoin pour se sentir exister en tant qu'individu à part entière." Il ajoute que le mode narratif est le meilleur moyen de construire l'identité individuelle, et l'identité collective. 63 Nous allons donc voir comment les individus se racontent sur les réseaux sociaux, et étudier la contradiction de leur volonté de s'ériger en star lambda des réseaux sociaux. a. L'avènement d'un individu à la personnalité à la fois éparpillée et expressive, la Timeline comme média de sa vie Ce phénomène, largement explicable à travers les liens d'amitié sur les réseaux sociaux, a donné vie à un individu dit "extro-déterminé", sensible aux objets et aux images qui l'entourent et porté à penser et à fixer ses choix en fonction des modèles qui se présentent à lui. L'individu des réseaux est, selon Monique Dagnaud, un "narcisse/hédoniste", "doté d'outils pour cultiver son 61 Entretien Facebook, 6 mars 2012, Etude n°2 62 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.59 63 Kauffman, Jean-Claude, L'invention de soi - Une théorie de l'identité, Séminaire de sociologie des migrations et des relations interethniques 34
  • 35. particularisme. [...] [Qu'il puisse se débarrasser de ses attachées sociales est une] donnée fondamentale des pays avancés : à l'abri des droits de l'individu, l'être moderne peut ne pas s'embarrasser d'une quelconque projection sur la collectivité et "se polariser sur le culte du soi". 64 On l'explique par une contradiction de la société, et l'éducation qu'elle propose : "L'éducation se consacre à canaliser cet avènement d'un hyper-individualisme dans des rives humanistes. Ainsi, elle propose à l'enfant la conquête progressive des atouts culturels - un emboitement de valeurs, de normes et de rôles intériorisés - et scolaires pour qu'il s'insère dans la société. Simultanément, elle prône la mobilisation vers la réalisation des aspirations intimes, la construction du projet réflectif du soi. Une interrogation plus ou moins ininterrompue de son passé, de son présent et de son futur propre." "A cet individu, qui est à la fois extro-déterminé et réflexif [(des autres membres de la communauté)], l'univers des réseaux ouvre de nouvelles libertés. Ce mode de communication, qui favorise le virtuel, incite à travailler et à orienter l'image de soi". 65 Le membre d'un réseau social est donc tout naturellement mené à travailler son image entre son soi actuel et son soi possible, pour une troisième, glorifiée, à laquelle il aspire. "On passe alors de l'individu réflexif, qui construit et mature sa subjectivité en s'appuyant sur les multiples ressources de son environnement, à un individu soucieux d'abord de s'exprimer, de placer ses sentiments et ses opinions dans l'orbite du monde - et plus modestement de ses proches. Il se met en scène à travers des photos de lui-même et/ou des images, des vidéos, des musiques, des films ou séquences de films qui sont révélateurs de sa vision du monde : de fait, il s'approprie l'imaginaire des industries de l'image et du son pour projeter et parler de lui. [...] Il élabore souvent des productions culturelles, comme autant de traces de son vécu et de sensibilité." 66 Le membre Facebook compose sa Timeline de morceaux de vie, de ses humeurs, de sa personnalité, sous le regard d'autrui, de ses amis : "Cet individu évoque sa vie, ses goûts, sa joie et ses peines, ses rencontres et ses activités en fil quasi-continu avec ses amis du Net, et éventuellement sous le regard d'autrui." Il a besoin d'exister sous les yeux/écrans de ses cercles et d'apposer sa trace à l'édifice Facebook. C'est bien lui qui construit de toutes pièces la narration de sa vie, entre réalité et sublimation. Le contenu du net lui sert de ciment et est manipulé, repris, reposté, pour se définir : la Timeline devient un média de sa vie. 64 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.162 65 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.163 66 Dagnaud, Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po (Nouveaux débats ; 25), 2011, p.163 35