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La volonté humaine comme outil pour un
enseignement plus efficace - Cecilia Bartoli
Le besoin de diriger son attention vers les élèves plutôt que vers les enseignants se fait sentir
depuis quelques années. Pourtant, il me semble que de penser en termes "d'élèves" et
"d'enseignants" dans une situation d'apprentissage/enseignement peut être trompeur, parce que
l'attention reste dirigée vers le rôle de l'individu plutôt que vers la totalité de sa
personnalité. Les élèves sont vus seulement en termes de leur rôle en classe : leur
compréhension de la matière, leur participation et leur performance en rapport avec la
quantité de matière qu'ils ont absorbée.
A moins de comprendre clairement que les enseignants comme les élèves sont d'abord des
êtres humains, nous pouvons facilement commettre l'erreur de réfléchir à des questions
réductrices, trompeuses et hors sujet. Discuter le contenu du programme, de la présentation
du matériel, du choix des textes, de l'organisation de la salle de classe et d'autres sujets
constituent des manières de réfléchir qui sont réductrices. La préoccupation majeure devrait
être le processus d'apprentissage pour les enseignants comme pour les élèves. Quand un
enseignant n'apprend plus rien pendant son travail en classe, il arrive à une impasse et s'use.
Dans ma propre expérience, il m'a été long et difficile de relever le défi qui est d'agir sur le
fait que je n'enseigne pas "l'anglais" mais aux "personnes" et que moi aussi je suis une
personne avant d'être un enseignant et que ma tâche est de continuer à évoluer et de devenir
consciente de mon propre processus d'apprentissage. Jour après jour, cela engendre beaucoup
d'erreurs et beaucoup de réussites illusoires mais cela m'a donné aussi le sentiment d'avancer
et de devenir plus compétente.
Comprendre ce concept de manière intellectuelle est facile parce que c'est sensé, mais comme
je l'ai découvert au fil des années, le mettre en pratique dans les rapports humains est un
travail pour toute une vie.
Ce qui m'a le plus aidé à devenir, comme être humain et comme enseignante, "différente" fut
de devenir consciente des fonctionnements humains, lesquels sont toujours présents mais dont
on ne se rend pas compte tellement ils sont familiers.
Pour que l'apprentissage en classe soit plus efficace, nous devons commencer à observer, à
comprendre et à apprendre de l'expérience des apprentissages spontanés : les apprentissages
informels des expériences quotidiennes, les apprentissages dont nous ne tenons pas compte
parce qu'ils vont de soi.
Pourtant, si nous faisons une pause pour réfléchir à ce que nous apprenons "naturellement" -
par exemple se mettre debout, marcher, courir, faire de la bicyclette et plus encore parler sa
langue maternelle - nous découvrons vite que :
▪ Toutes ces activités sont extrêmement complexes et leur maîtrise demande de la précision,
de la détermination, de la sélectivité, de l'intentionnalité. Bref, elles ne s'apprennent
pas par un coup de hasard.
▪ Elles impliquent l'acquisition et l'utilisation délibérées de nombreux pouvoirs mentaux qui
permettent à l'individu d'établir des critères appropriés à chaque pas.
▪ Maîtriser ces activités ne demande pas d'effort particulier, même quand cela demande
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beaucoup de temps. Pensez au fait que vous vous rendez compte de savoir faire
quelque chose bien que vous ne sachiez ni quand ni comment vous l'avez appris.
La première découverte que j'ai faite était qu'il existe des réalités intérieures qui gouvernent
notre vie mais qu'elles ne se voient pas forcément dans nos comportements extérieurs.
Devenir conscient de ce monde "invisible" qui appartient à chacun de nous implique un
processus de connaissance de soi qui ne peut que rendre la vie plus riche et plus
responsable. Et si on agrandit le champ de ce processus pour aider d'autres à devenir
conscients de leurs réalités invisibles, il devient clair que l'éducation prendra un nouveau sens.
C'est dans ce cadre que je me suis engagée dans l'étude de "la volonté". Jusqu'à il y a environ
dix ans, j'utilisais ce mot souvent mais de manière automatique. Je ne m'étais jamais
interrogée sur ce qu'il voulait dire pour moi.
J'ai commencé à examiner le mot plus profondément quand j'ai entendu Gattegno dire que
puisque la volonté est un attribut de l'esprit, il est plus juste de dire que nous sommes une
volonté plutôt que nous avons une volonté.
Dans cette structure syntaxique, le mot "volonté" semblait très bizarre, et son sens
m'échappait. Mais c'était justement cette bizarrerie qui me forçait à réfléchir à ce mot et j'ai
commencé à me demander ce que je voulais réellement en dire. J'ai vite découvert que son
sens pour moi était lié intimement à celui d'autres mots comme "désir" et "vouloir" et que
c'était pratiquement un synonyme de volontarisme : "Je voulais dire quelque chose de mal
poli, mais je ne l'ai pas fait parce que j'ai eu la volonté de me retenir", "Je ne peux pas
m'arrêter de fumer parce que je n'en ai pas la volonté", ou bien "Je suis allée en Angleterre
contre l'avis de tout le monde, j'ai vraiment voulu ce voyage", etc.
Pour le dire autrement, j'étais consciente de ma "volonté" seulement quand il y avait
implication d'un effort quelconque ou d'une grande dépense d'énergie. Ceci m'a menée à
observer moi-même et d'autres avec cet éclairage et je me suis rendu compte que beaucoup de
conflits avaient peu de rapport avec une pomme de discorde évidente, mais que l'explication
était que les "volontés" des personnes concernées se heurtaient. Ceci m'a rendu bien plus
sensible aux heurts qui se produisent même quand aucun conflit n'est apparent.
Je me souviens très bien d'un élève qui était incapable d'apprendre une structure grammaticale
italienne, malgré tous mes efforts. J'ai tout essayé pour sortir de l'impasse. Et enfin il m'est
venu à l'esprit de déplacer mon attention du contenu de la leçon à l'état de mon esprit. Mon
climat intérieur était celui de "vouloir" qu'il apprenne, et je me suis rendu compte que j'avais
investi beaucoup d'énergie dans ce vouloir. Avec cet éclairage, ma compréhension de la
situation a changé de manière dramatique : il était clair que, malgré le comportement "gentil"
et coopératif de l'élève et sa bonne "volonté" apparente, en fait il résistait à mon vouloir. Son
énergie était tellement absorbée à défendre l'intégrité de sa volonté que son esprit n'était pas
libre pour se concentrer sur le problème de la langue.
Pour tester mon hypothèse, j'ai retiré mon énergie. Quand j'ai cessé de "vouloir", les énergies
coagulées dans le conflit se sont dissoutes et la solution fut immédiate. Bien qu'un
mécanisme de "cause-à-effet" puisse sembler trop simpliste pour décrire la réalité du
mouvement dans la situation, le changement abrupt m'a impressionnée profondément.
Dès ce moment-là, j'ai essayé d'être attentive à mes propres résistances et à mes difficultés et
de découvrir les dynamiques et les mécanismes qui les gouvernaient. Derrière chacun d'eux,
j'ai découvert une défense très forte ou bien un besoin d'affirmer ma "volonté", que
j'identifiais avec tout mon être. Chaque fois que je percevais que l'on faisait pression sur moi
pour que j'aie un comportement particulier, je rassemblais toutes mes énergies pour me libérer
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de l'interférence de cette "autre volonté", d'où mes résistances et mes difficultés.
Bien que je ne sois pas consciente des causes réelles, mon comportement montrait un besoin
profond de préserver quelque chose que je considérais comme vital pour ma propre intégrité,
pour mon essence même. Ceci était vrai même quand il a pu être démontré objectivement que
la "résistance" ou les "difficultés" étaient contre mes propres intérêts.
Je me suis rendu compte petit à petit que cette "défense" acharnée de ma volonté, chaque fois
qu'on l'attaquait ou que l'on empiétait sur elle, ne pouvait s'expliquer que par le fait qu'elle
faisait intégralement partie de mon Moi, qu'elle était en effet un de ses attributs.
Appeler la volonté un attribut de l'esprit suggère qu'aucun être humain ne peut exister sans
elle, tout comme un objet ne peut exister sans une forme, une couleur, etc. Alors, il est plus
logique de dire "être une volonté" que "avoir une volonté".
Ce simple changement de syntaxe m'a aidée à localiser d'une manière bien plus précise la
réalité de la volonté. Pour commencer, je me suis rendu compte que puisque la volonté est
omniprésente, son fonctionnement peut être saisi à tout moment de la vie. Et quand j'ai
commencé à la chercher, je la trouvais partout. Qu'est-ce qui me fait bouger le bon doigt pour
taper sur la bonne touche du clavier en écrivant cet article ? Comment suis-je capable de
parler sans mobiliser ma volonté ? Comment pourrais-je arrêter un mouvement ou une pensée
sans m'en servir ?
Donc, la "volonté" ne s'associe pas seulement avec de grandes quantités d'énergie, comme je
l'avais cru. Plutôt, on peut la comprendre comme ce qui "libère" de l'énergie qui est ensuite
objectivée d'une manière ou d'une autre, y compris l'absence d'objectivation.
Avec cette conscience, j'ai essayé d'observer ma volonté au travail pour la connaître plus
intimement dans ma manière quotidienne de vivre. Et il m'est venu qu'une des raisons pour
laquelle la "volonté" (comme attribut de l'esprit) passe inaperçue, c'est qu'un de nos
mécanismes principaux pour économiser de l'énergie et libérer l'esprit pour d'autres tâches,
c'est de prendre ce que nous avons appris et de le rendre automatique.
Des actions automatiques, pourtant, se caractérisent par deux choses : elles deviennent si
familières qu'elles passent inaperçues ; et la quantité d'énergie nécessaire pour les réaliser est
si petite que l'on manque facilement de remarquer le moment exact où elle est libérée. Donc,
on n'est pas conscient qu'il y a un agent mobilisateur (la volonté) derrière chaque libération.
C'est pourquoi je n'étais en contact avec ma volonté que dans des cas où il s'agissait de
mobiliser beaucoup d'énergie : comme dans des conflits ou en arrêtant une action ou une
pensée.
Au fur et à mesure que mes réflexions progressaient et que je connaissais mieux ma volonté,
j'ai vu que d'identifier la totalité de moi-même avec ma volonté était une opération
réductrice. Je pouvais la faire sortir de l'oubli de l'automatisme et l'utiliser de façon délibérée
dans beaucoup d'occasions différentes, et donc acquérir un pouvoir et un contrôle sur ma vie.
J'ai appris à retirer de l'énergie dans les moments de tension, à prendre du recul, à avoir une
vision plus claire de ce qui se passe, à apprécier plus pleinement une expérience esthétique et
à supporter une situation peu claire ou frustrante.
Je me suis rendu compte également que je pouvais me laisser emporter par mes désirs, mes
efforts, mes vouloirs, qui absorbaient beaucoup d'énergie et donc réduisaient mon efficacité
au lieu de l'accroître, dans les tâches que je me donnais. En reprenant le contrôle de ma
volonté par la conscience, je pouvais redresser la situation et faire ce qu'il fallait. J'ai