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La Lecture en Couleurs : une technologie
appropriée - William Bernhardt
La technologie, telle qu’elle apparaît dans la salle de classe traditionnelle partout dans le
monde, est le plus souvent invisible même aux enseignants qui l’utilisent. Et pourtant un
tableau et un pointeur, un affichage de l’alphabet et un dictionnaire (on pourrait étendre la
liste, même pour les classes les plus démunies) sont - tout autant que les systèmes
d’ordinateur multimédias les plus avancés - une preuve que les supports à l’apprentissage de
la lecture et de l’écriture - les technologies, en somme - sont omniprésents et indispensables.
Que ce soit ou non remarqué, il y a une version de la technologie présente dans chaque classe.
En fait, les livres eux-mêmes sont les produits de nombreuses technologies convergentes pour
la fabrication du papier, l’impression et la transmission du texte de l’auteur à l’éditeur
jusqu’au lecteur. C’est en partie à cause des progrès technologiques rapides dans la
fabrication des livres au cours des dix-huitième et dix-neuvième siècles que les coûts de
production des écrits devinrent assez bas pour rendre possible la vaste expansion du savoir
lire et écrire qui continue aujourd’hui. En d’autres termes, le développement de la technologie
au cours des derniers siècles a été un facteur crucial pour amener le monde à croire que savoir
lire et écrire peut et devrait être universel.
Dans les marchés de l’éducation très développés des États-Unis, de l’Europe ou du Japon, de
nouvelles technologies pour l’enseignement et l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ne
cessent d’arriver et de solliciter l’attention et le soutien d’enseignants dont l’expérience
personnelle a été acquise dans des classes traditionnelles dont la base technologique était bien
plus limitée. Et les systèmes éducatifs dans des sociétés moins riches ne sont pas à l’abri des
flatteries des colporteurs qui promettent des solutions technologiques pour former les
professeurs et enseigner aux élèves. Maintenant, les éducateurs de tous les niveaux dans
pratiquement tous les pays demandent des technologies avancées (et des ordinateurs en
particulier). Les professeurs de lecture et d’écriture ne font pas exception.
Il est si facile d’être distrait par des écrans pleins de couleurs et par toutes les cloches et les
sifflets des technologies émergentes que l’on perd de vue à quel point il y a ressemblance
entre le système de l’enseignement traditionnel connu sous le nom de “craie et discours” et la
plupart des nouveaux “média interactifs”. Dans les programmes actuels de lecture et écriture
assistés par ordinateur, l’écran est encore le plus souvent utilisé comme un tableau
électronique sur lequel apparaissent les leçons que l’apprenant doit suivre et auxquelles il doit
réagir de manière minimale. Le programme imitant un professeur traditionnel, un texte ou un
manuel, décrit aux apprenants ce qui est sur l’écran (alors qu’ils peuvent parfaitement voir par
eux-mêmes) et met en évidence les éléments qu’ils doivent alors reproduire et redonner à la
machine. Une multitude de lumières qui clignotent et de personnages de dessins animés et
d’autres dispositifs et conventions empruntés aux technologies d’amusement, familières aux
élèves, remplacent les tentatives des professeurs traditionnels pour les amuser et capter leur
attention. Ainsi, “l’édumusement” devient le véhicule d’une méthodologie basée sur des
exercices répétitifs et d'entraînement pas très différente en essence de celle pratiquée dans la
classe traditionnelle. En fait, beaucoup de classes traditionnelles sont réellement bien plus
“interactives”.
Que le professeur écrive des listes de mots au tableau ou qu’il allume l’ordinateur qui va
présenter le même matériel dans un format bien plus animé et amusant, c’est le même
message qui est transmis à l’apprenant : “Vous devez être “motivé” par des stimuli extérieurs
afin d’y apporter votre attention ; vous venez en classe avec peu ou rien, l’éducation doit tout
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vous fournir ; ce qui se passe en face de vous est bien plus important que ce qui se passe en
vous.”
Beaucoup, et peut-être la plupart des éducateurs d’aujourd’hui s’inscriraient en faux contre de
telles affirmations et pourtant ce sont des croyances comme celles-ci qui sous-tendent
clairement leurs critères pour choisir et mettre en œuvre des technologies dans leur classe.
Sinon pourquoi choisiraient-ils de tels programmes saturés d’amusement ?
La Lecture en Couleurs, le matériel pour apprendre à lire et à écrire inventé par Caleb
Gattegno (1911-88), fournit une approche alternative, libre d’amusement, basée sur une
épistémologie qu’il a appelée la Science de l’Éducation. Gattegno a élaboré son approche sur
une longue période dans une série étendue de livres et il a présenté ses idées et ses techniques
dans des séminaires pratiques pour enseignants pendant les trente dernières années de sa vie.
En raison du volume et de la diversité des écrits de Gattegno et des domaines nombreux et
différents auxquels il a contribué, il faudrait un temps et un espace considérables pour
parcourir ne seraient-ce que les hypothèses fondamentales de son œuvre. L’histoire et le sort
de La Lecture en Couleurs, qui a ses origines dans un projet en Éthiopie (sous les auspices de
l’UNESCO) dans les années cinquante, sont aussi de vastes sujets. Cependant, de telles
considérations sont en dehors des limites de cet article. Les lecteurs intéressés peuvent
continuer en consultant les ouvrages cités dans la bibliographie jointe.
Comme personne plurilingue et pluriculturelle d’origine juive séfarade née à Alexandrie en
Égypte sous mandat britannique, Gattegno a considéré le défi de la lecture et de l’écriture et la
création d’une technologie adéquate pour leur acquisition avec une perspective très large. Il a
aussi puisé dans ses lectures et dans ses recherches dans des domaines divers incluant les
mathématiques, la psychologie, la linguistique et dans ce qui était alors les sciences naissantes
de la cybernétique et de la théorie de l’information.
Dans l’épistémologie de Gattegno, chaque être humain est un système qui apprend, engagé
dans la connaissance de soi et de tout ce qu’il rencontre, ce qui élimine la nécessité d’une
“motivation” extérieure. Plus spécifiquement, chaque individu, par sa nature, incline à
rejoindre d’abord la communauté de ceux qui parlent puis, celle de ceux qui lisent et écrivent
dans sa propre culture. En relevant les défis qui se présentent, les individus utilisent leurs
pouvoirs très considérables de conscience, d’intuition, de perception, etc. ... et plus
spécialement leur conscience d’eux-mêmes qui leur permet de diriger leur propre
comportement et leur dynamique interne. Enfin la conscience de la conscience leur permet de
redécouvrir et d’intervenir consciemment sur les capacités mentales et somatiques qui sont
devenues si routinières et si automatisées qu’elles passent généralement inaperçues.
En focalisant plus étroitement sur la Lecture en Couleurs, nous pouvons dire que Gattegno
est parti de trois questions qui sont fondamentales pour ceux qui apprennent à lire et à écrire à
tout âge et dans toutes les situations :
• Qu’est ce que chaque apprenant apporte comme savoir faire et comme connaissances
qui sont fondamentaux et essentiels pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ?
• Quelles sont les exigences de la lecture de la langue maternelle qui ne font pas partie
de ce que les apprenants savent déjà ?
• Quelle est la technologie la plus simple et dont le rapport coût-efficacité est le meilleur
pour mobiliser la connaissance et les pouvoirs des apprenants afin que ceux-ci
acquièrent ce qu’ils ne savent pas et ne peuvent pas inventer ?
La réponse simple à la première question de Gattegno est que les apprenants arrivent parlant
avec aisance la ou les langues de leur environnement, dont les textes écrits sont des
transcriptions. Si, comme il l’a dit avec insistance, la lecture et l’écriture sont essentiellement
des processus pour faire des transformations entre le discours réel et le discours virtuel, alors
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les apprenants arrivent très richement dotés pour l’acquisition de la lecture et de l’écriture. Ils
ont déjà maîtrisé le code de sons arbitraires que contient leur langue, un code qui, pour celui
qui sait parler la langue, contient en lui-même une familiarité suffisante avec le vocabulaire,
la phonologie et la grammaire pour permettre l’aisance et la confiance. Bien que des langues
différentes, vues de l’extérieur, présentent des degrés différents de difficulté, ceux qui parlent
leur langue maternelle, quelle que soit la langue, abordent l’acquisition de la lecture et de
l’écriture tous aussi bien préparés sur ce point important.
Pour franchir ce seuil crucial de la communauté humaine, non seulement les apprenants
viennent avec leur langue, mais ils apportent aussi avec eux les pouvoirs d’apprendre dont ils
ont eu besoin, comme bébés et comme jeunes enfants. Par exemple, ils apportent les pouvoirs
de perception (“entendre” et “écouter”) pour discriminer entre les sons et la capacité d’action
(“parler”) pour combiner et recombiner l’ensemble limité de voyelles et consonnes qui est
caractéristique de leur langue et faire ainsi les milliers de mots et les structures grammaticales
qu’ils connaissent. Qu’ils aient déjà acquis au moins une langue prouve l’existence de telles
capacités de perception et d’action, capacités qui sont également essentielles pour la lecture et
l’écriture.
Ce que les apprenants n’ont pas déjà - et ceci répond à la deuxième question de Gattegno - est
la connaissance du code de signes écrits de leur langue qui sert à transcrire visuellement la
langue parlée. Pour rendre les choses un peu plus compliquées, il faut noter à ce sujet qu’il y a
des différences fondamentales parmi les langues dans l’importance du défi présenté aux
apprenants. Le système des caractères chinois par exemple, demande davantage que le code
écrit de n’importe quelle langue alphabétique. Parmi les langues alphabétiques, l’anglais et le
français présentent des codes qui sont plus élaborés et moins cohérents que celui de
l’espagnol. De toute façon, on pourrait parler sans problème une langue pendant toute une vie
sans jamais avoir accès de manière spontanée à sa forme écrite.
Une complication supplémentaire doit aussi être mentionnée ici. Beaucoup d’apprenants, en
particulier en classe de rattrapage, n’ont pas d’accès conscient aux pouvoirs d’écoute et de
prononciation qui leur ont permis autrefois d’obtenir l’aisance dans la parole. Il s’en suit que
l’on a souvent l’impression de devoir “enseigner” la langue orale comme faisant partie de
l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. La Lecture en Couleurs donne des moyens à
l’apprenant de se reconnecter avec ces capacités et elle est basée sur la reconnaissance que ces
capacités sont là et qu’elles fonctionnent maintenant à un niveau automatique.
La réponse de Gattegno à la troisième question - quelle est la technologie qui pourrait faire se
rencontrer les pouvoirs des apprenants et les exigences de la langue écrite ? - l’a conduit à
inventer les tableaux, d’où la Lecture en Couleurs tire son nom, sur lesquels chaque son de la
langue considérée est codé par une couleur et où l’ensemble des diverses orthographes d’un
son sont imprimées dans cette couleur. Cette convention lui a permis de présenter, dans un
espace mural limité, tous les sons et toutes les orthographes de la langue choisie, à l’intérieur
d’un ensemble de mots représentant un vocabulaire qui constitue un vaste éventail de sens, de
fréquence et de bien d’autres critères. D’autres jeux de tableaux, connus sous le nom de
“Fidels” présentent tous les sons rangés de telle manière que les orthographes de chaque son
de la langue soient listés dans une seule colonne. L’espagnol n’a besoin que d’un seul tableau
pour contenir cette information là où l’anglais en demande huit !
Plutôt que de donner des informations aux apprenants qui découvrent les tableaux pour la
première fois, on les encourage à utiliser leurs pouvoirs de perception et d’action pour
observer et dire ce qu’ils voient. (On pourrait donner aux lecteurs en rattrapage l’ensemble
des tableaux à examiner comme base pour leur travail, alors que les débutants pourraient
limiter leur examen à un seul tableau.)
En regardant les tableaux avec l’aide d’un pointeur pour focaliser leur attention, les
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apprenants peuvent observer que les couleurs des signes dans les mots qu’ils connaissent déjà
(“pup”, “it”) sont les mêmes que les couleurs d’autres signes dans des mots qui leur paraissent
mystérieux (“puppet”). En outre, ils peuvent remarquer que deux mots qu’ils connaissent déjà
(“sick”, “kiss”) contiennent les mêmes couleurs mais pas forcément dans le même ordre.
Avec un seul élément d’information (que beaucoup vont trouver par eux-mêmes, sans aucune
aide du professeur), “la même couleur représente toujours le même son”, les apprenants
peuvent décoder en toute indépendance n’importe quels mots “nouveaux” contenant des
couleurs connues. Ils peuvent aussi transformer un mot pour en créer un autre en additionnant,
en insérant, en substituant ou en inversant les sons.
Quand des éducateurs pour qui la Lecture en Couleurs est nouvelle, observent une leçon
comme celle décrite ci-dessus, ils ressentent souvent de l’ennui et de l’impatience à cause du
manque d’amusement et d’explication. Ils se demandent comment leurs élèves pourraient
devenir motivés ou comprendre ce qu’il y a à faire s’ils étaient soumis à une leçon semblable
dans leur classe. En même temps, ils peuvent ne pas s'apercevoir que les élèves dans la classe
qu’ils sont en train d’observer partagent peu de leur ennui et de leur impatience. Ils ne
remarquent pas non plus que la plupart de ce qui se dit dans la classe est le fait des apprenants
plutôt que de l’enseignant.
Gattegno a montré son intérêt pour les apprenants en fournissant des défis plutôt qu’en
amusant ou qu’en racontant. Parce que son matériel et son approche de l’enseignement
renvoient les apprenants à leurs propres pouvoirs, qui sont considérables, ils se sentent
encouragés à utiliser tout ce qu’ils ont. L’approche déclenche l’activité de l’apprenant et la
mobilisation de son énergie au lieu de s’en remettre à l’enseignant pour présenter et expliquer.
Le silence et l’utilisation d’un pointeur sont des composantes importantes de la Lecture en
Couleurs en tant que technologie qui mobilise les ressources intérieures des apprenants plutôt
que de les motiver extérieurement. Le silence comme technologie d’enseignement peut être
décrit dans ses opérations par analogie avec un “interrupteur à bascule”. Chaque fois que
l’enseignant se rend compte que les apprenants peuvent saisir ce sur quoi ils travaillent à
l’aide de leurs propres perceptions et intuitions, en remarquant plutôt qu’en écoutant, les
automatismes de l’enseignant concernant les discours sont instantanément mis en position
“fermée”. Si, par exemple, les apprenants en regardant les tableaux voient que deux signes
avec une forme différente ont la même couleur et en concluent qu’ils ont le même son, il n’y a
pas besoin de le leur dire. Cela signifie aussi que l’enseignant n’empêche pas les apprenants
de dire ce qu’ils pourraient dire en anticipant sur eux ou en leur faisant dire à la façon de
l’enseignant plutôt que par leur propre choix de mots. Si par la suite, l’enseignant juge qu’une
indication verbale est nécessaire, le même interrupteur bascule sur “ouvert”. La maîtrise de
cette technologie consiste dans une sensibilité croissante de l’enseignant qui lui permet de
rester sur “fermé” pendant des périodes de temps de plus en plus longues et de passer sur
“ouvert” à des moments très fugitifs.
Comme le gros plan dans un film ou la flèche sur l’écran d’un ordinateur, Gattegno a utilisé la
technique du pointeur pour focaliser les perceptions de l’apprenant sur un point précis, ou sur
un contraste entre un point et un autre, ou sur le chemin qui suit une série de points. Utilisé de
cette façon par les enseignants de la Lecture en Couleurs, le pointeur est l’outil qui exploite
précisément les pouvoirs de l’étudiant - d’imagerie et d’intuition, d’analyse et de synthèse -
d’accentuer et d’ignorer.
La justesse de ces affirmations ne peut être vérifiée ni par la lecture d’un document traitant de
la Lecture en Couleurs ni par l’observation d’une seule leçon-échantillon. Il faut un examen
plus étendu de l’approche, ce qui peut en partie expliquer pourquoi tant d’éducateurs n’ont
pas trouvé un intérêt pour eux dans leur contact avec la Lecture en Couleurs.
Le travail sur les tableaux ne se limite pas au décodage de mots isolés comme certains
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commentateurs du travail de Gattegno l’ont supposé. Par l’utilisation du pointeur, des suites
de mots peuvent être “pointées” (Gattegno appelait cela la “dictée visuelle”) et les apprenants
peuvent restituer le groupement, la mélodie et l’intonation qui joignent les mots ensemble en
accord avec la sonorité authentique de la langue. De cette façon, le décodage apporte la
compréhension puisque les apprenants s’entendent eux-mêmes “donner du sens” à la langue
qu’ils parlent déjà.
A un niveau plus avancé, beaucoup d’activités de lecture et d’écriture peuvent aussi se faire à
l’aide des tableaux telles que la compilation d’ensembles de mots avec des sens similaires ou
divergents, l’utilisation de la dictée visuelle pour créer des phrases qui doivent être retenues
assez longtemps pour être transcrites correctement, l’écriture créative qui utilise les mots d’un
tableau en particulier ou d’un ensemble de tableaux, la recherche d’exemples de toutes les
orthographes possibles pour un son particulier ou la recherche de tous les sons qui peuvent
être produits par une lettre particulière, etc. ... En fait, les tableaux devraient être vus comme
une exposition de la totalité de la langue que les étudiants apprennent à lire et à écrire, que ce
soit l’anglais, le français, l’espagnol, le japonais, le lakota ou n’importe quelle autre langue
pour laquelle le matériel de la Lecture en Couleurs a été élaboré. Ces instruments souples
peuvent s’appliquer à un flot sans fin d’exercices et d’activités limités uniquement par la
créativité et l'ingéniosité du professeur.
Dans chacune de ces activités, il y a toujours une focalisation sur la primauté des perceptions
et des actions de l’apprenant, que ce soit lui ou l’enseignant qui tienne le pointeur. La
“technologie” fonctionne pour déclencher l’activité et l’engagement mental de l’apprenant,
non pour attirer l’attention sur elle-même, pour fournir des réponses ou pour amuser.
En ce moment, la technologie pour équiper une classe avec le matériel de la Lecture en
Couleurs coûte approximativement cent cinquante dollars US. Dans l’avenir peut-être, les
mêmes ressources seront fournies sur un simple disque pour ordinateur ou CD ROM, capable
de les afficher sur un écran ou de les imprimer, pour une somme bien moindre. Pour le
moment en tout cas, les tableaux imprimés sur feuilles cartonnées et les pointeurs
télescopiques en métal constituent les formes sous lesquelles il est possible de se procurer les
matériels pour un rapport qualité-prix abordable. De plus, les mêmes tableaux peuvent être
utilisés avec des élèves de tous les niveaux, ils peuvent être déplacés facilement d’un endroit à
un autre et utilisés en combinaison avec n’importe quel autre matériel de lecture et d’écriture
déjà en place.
Comme je l’ai dit plus haut, les étudiants et les enseignants viennent souvent à la Lecture en
Couleurs avec, pour une bonne part, les mêmes préconceptions qu’ont les promoteurs de
logiciels éducatifs. Eux aussi supposent que les apprenants doivent être amusés et que de
vastes explications sont nécessaires avant de s’engager dans une activité. (Assez
curieusement, les producteurs de logiciels de jeux - y compris les jeux Nintendo couronnés de
succès et qui ont balayé le monde durant les années quatre-vingt et le début des années quatre-
vingt-dix - ont essayé de rendre leurs activités aussi auto-explicatives que possible pour que
les joueurs puissent commencer à jouer spontanément sans préparation préalable.) Pour cette
raison, ils expriment souvent de la résistance quand ils voient la Lecture en Couleurs pour la
première fois. De plus, beaucoup d’élèves s’attendent à des louanges de la part de leurs
professeurs quand ils trouvent “la bonne réponse” au lieu de développer leurs propres critères
intérieurs de succès au jeu ou à l’activité. Les professeurs qui veulent travailler dans l’esprit
de la Lecture en Couleurs doivent se préparer à résister à la tentation de donner la réponse et
de proposer un modèle, de louer et de blâmer.
Voir un professeur expérimenté en Lecture en Couleurs en action et comprendre ce qu’il fait
est difficile si l’on vient avec certaines préconceptions et des partis-pris. Par exemple, un
professeur de Lecture en Couleurs pourra passer jusqu’à une demi-heure avec un seul élève
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si celui-ci lutte avec un son dans un mot. Il pourrait sembler que non seulement le professeur
expose l’élève au ridicule devant ses camarades mais aussi qu’il le fait souffrir inutilement
pour arriver à “ce que veut le professeur”. Mais la réalité de la situation peut être différente de
l’apparence. L’instructeur peut savoir parfaitement bien que l’élève utilise ce mot assez
souvent dans son parler de tous les jours de sorte que sa capacité de prononcer le son
approprié à la bonne place n’a jamais été mise en doute. Le but est de le faire s’entendre lui-
même et qu’il sache avec certitude quel son il produit et quel mot il prononce au moment où il
le dit. Le problème de l’élève n’est pas en réalité avec le mot lui-même, mais vient de son
éloignement des pouvoirs d’écouter qu’il a utilisés dans son acquisition initiale de sa langue
maternelle et qu’il s’efforce maintenant de regagner. L’instructeur peut aussi soupçonner
qu’une fois que l’étudiant est devenu plus connecté avec son propre fonctionnement dans la
parole et l’écoute par cette sorte de travail centré sur un mot, son progrès va s’accélérer. Il ne
sera pas nécessaire pour lui de travailler chaque mot de cette façon. Mais si le professeur
n’avait fait que lui donner la réponse pour relâcher la tension et “avancer avec la leçon”, une
importante occasion de faire franchir un seuil important à cet élève aurait été perdue.
La technologie de la Lecture en Couleurs - des lettres imprimées sur feuilles cartonnées - est
faussement simple. Les contenus de chacun des vingt tableaux de mots (pour l’anglais) ont été
soigneusement choisis pour éclairer certains aspects particuliers de la langue. Sur le premier
tableau, par exemple, les complexités de la forme écrite de chaque langue cible ont été
réduites à un strict minimum pour que les apprenants puissent se focaliser sur les conventions
fondamentales de la forme écrite de leur propre langue, à savoir : qu’il y a relation
isomorphique entre l’oral et l’écrit dans laquelle la “ligne du temps” des sons est représentée
par la “ligne droite” de l’écrit ; que chaque son est représenté par un signe arbitraire ; que les
mêmes sons et les mêmes signes peuvent être réarrangés sans fin pour créer des mots
supplémentaires ; que certains sons ont plus d’un signe possible et que certains signes peuvent
être utilisés pour représenter plus qu’un seul son.
Dans le cas de l’anglais, le premier tableau présente à l’apprenant un modèle très restreint de
la langue écrite dans lequel figurent seulement les cinq voyelles pures et quatre sons
consonnes et dans lequel des orthographes diverses n’apparaissent que pour les consonnes et
une des voyelles. De plus, seules une consonne et une voyelle sont présentées de deux
couleurs différentes pour suggérer qu’un simple signe visuel peut servir à déclencher plus
d’un son. Au premier abord, le contenu de ce tableau apparaît à de nombreux enseignants et
apprenants comme étant trop limité pour être digne d’une attention sérieuse. Cependant, ceux
d’entre nous qui travaillent avec des apprenants adolescents et adultes trouvent souvent que
leurs élèves deviennent confus quand ils essayent de prononcer isolément ces cinq voyelles ou
quand on leur demande d’inverser une suite de signes (“pot” > “top”) ou d’insérer un signe
dans un mot pour le transformer en un autre (“pat” > “past”). Ce n’est pas qu’ils ne
“connaissent pas ces mots simples (en fait, ils s’en servent quotidiennement). Mais ils n’ont
pas conscience à l’intérieur d’eux-mêmes de la manière dont ils produisent les sons ni des
mouvements internes nécessaires pour que ces sons soient ajoutés, insérés, substitués et
inversés par ce que Gattegno appelait “le jeu des transformations”. Un travail patient sur
l’activité de sentir les sons de l’intérieur et sur l’écoute de soi-même (et non sur la répétition
comme un perroquet du modèle du professeur) est nécessaire pour que les élèves regagnent la
flexibilité mentale et somatique qu’ils ont possédée en tant qu’apprenant d’une langue (leur
langue maternelle) et pour qu’ils l’appliquent au décodage de mots.
On pourrait décrire de nombreuses autres particularités de ces tableaux, comme par exemple
la façon dont certaines caractéristiques de chaque langue - qui mènent souvent à des
confusions - ont été placées côte à côte pour rendre perceptibles aux apprenants des
distinctions fines. Mais ce qui est encore plus important à noter, c’est un autre aspect de la
technologie qui justifie la revendication de Gattegno qu’une “langue entière” est contenue
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dans chaque ensemble de tableaux. Bien que ce qui est imprimé sur les tableaux soit
nécessairement statique, cela devient dynamique par l’utilisation du pointeur et de gestes de
mains par les élèves comme par le professeur. Par ces moyens chaque signe et chaque mot
isolés de l’un quelconque des tableaux peut être “bougé” et “connecté” à n’importe quel autre.
En vérité toute affirmation verbale qui peut être faite dans la langue cible peut donc être
“pointée” sur les tableaux.
Les écrits de Gattegno sur la lecture et l’écriture couvrent une richesse de sujets qui vont au
delà de la portée de cet article. Ils incluent, à travers ses nombreux seuils, les extensions de la
lecture et de l’écriture qui vont au delà du décodage et de l’encodage à l’intérieur des limites
de la langue parlée d’un apprenant. En plus des tableaux, la Lecture en Couleurs utilise la
technologie de l’impression en noir et blanc (livres, cahiers de travail, livrets, etc.) pour que
les apprenants puissent utiliser la lecture et l’écriture comme instruments pour
l’enrichissement du vocabulaire, pour l’expression créative et l’acquisition et la transmission
du savoir par des textes. Les professeurs qui sont engagés dans cette approche non seulement
travaillent avec leurs élèves pour qu’ils prennent conscience de leurs propres pouvoirs
linguistiques mais ils travaillent aussi pour découvrir et exploiter un large éventail de
fonctionnements mentaux et somatiques qui sont des soutiens essentiels pour l’acquisition de
la lecture et de l’écriture comme par exemple : le pouvoir d’accentuer et d’ignorer à
l’intérieur de ses perceptions ; la voix intérieure et l’imagerie ; l’imagerie du corps ; le
questionnement ; l’auto-observation. Tout cela est approché par des exercices pratiques qui ne
nécessitent ni explication ni consignes.
La Lecture en Couleurs a été adoptée par des enseignants de lecture et d’écriture dans de
nombreuses langues différentes et dans plusieurs pays, sur tous les continents sauf
l’Antarctique. Elle est utilisée avec des enfants, des adolescents ou des adultes, par des
professeurs qui enseignent à des lecteurs débutants aussi bien que par ceux qui sont
responsables de classes de rattrapage ou de littérature, ou par d’autres encore qui ont en
charge des classes dont l’objectif est l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans un but
professionnel. Les professeurs qui sont restés engagés dans cette approche durant de
nombreuses années la trouvent très efficace sur le plus large spectre d’apprenants. Mais la
Lecture en Couleurs ne peut pas prétendre être devenue populaire dans aucun pays ni aucune
langue. Cet état de chose est probablement dû à plusieurs facteurs : sa différence avec les
autres approches ; les exigences de changement qu'elle demande aux professeurs pour se
préparer ; l’absence presque totale de la Lecture en Couleurs des programmes de formation
des enseignants durant les trente dernières années ; et des comptes rendus trompeurs et
défavorables du travail de Gattegno dans la littérature professionnelle durant son existence.
La Lecture en Couleurs est pratiquement inconnue de la plupart des savants, des innovateurs
et des praticiens alors même qu’ils recherchent activement des solutions à la lecture et à
l’écriture basées sur la technologie. Ceci est regrettable puisque Gattegno a développé une
approche à la lecture et à l’écriture qui utilise une technologie abordable que chaque système
éducatif du monde est capable d’acquérir et de mettre en œuvre. De plus, elle construit sur les
pouvoirs universels des apprenants et les met au centre plutôt que d’y mettre la technologie. Il
n’est que trop facile, spécialement pour les écoles et les systèmes éducatifs insuffisamment
financés, de mettre l’accent sur les ressources qui leur manquent particulièrement dans le
domaine de la technologie éducative et d'ignorer ce qu’ils ont : des élèves qui sont prêts à et
capables d’apprendre si ce qui se fait dans la classe les respecte vraiment.
Pour finir, il faut faire une brève mention de l’utilisation par Gattegno de “haute et
intermédiaire technologie” pour l’utilisation avec la Lecture en Couleurs. Utilisant d’abord la
vidéo puis l’ordinateur, Gattegno, vers la fin de sa vie, développa de nouveaux matériaux
pour compléter les tableaux et le pointeur. A cause de leur rareté et de leur coût relativement
plus élevé, ces bandes vidéo et disquettes d’ordinateur n’ont pas été largement utilisées par les