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Quelques observations sur mon
apprentissage de l'allemand par
le Silent Way - Anne-Marie Clair
Rencontre avec l'inconnu : les sons de l'allemand Le tableau des rectangles colorés
Je dois dire que cet inconnu de départ, le tableau des rectangles colorés, ne l'est pas pour moi :
je connais la correspondance couleurs/sons pour les phonèmes du français, de l'anglais, de
l'espagnol et d'autres langues encore, et j'en retrouve beaucoup ici ; d'autre part, je suis
habituée à l'approche pédagogique Caleb Gattegno - comme élève et comme animatrice - et
entraînée, par la discipline qu'elle induit, à mettre ma présence sans effort dans le travail à
faire ici et maintenant. Car j'ai pris conscience que, si j'ai dû faire des efforts pour me libérer
d'abord de mes idées préconçues, de mes préjugés et de mes craintes, et ensuite de mon désir
de vouloir tout savoir tout de suite ou de faire autre chose que ce qui est proposé, je n'ai plus
besoin de me forcer pour travailler ; et, après en avoir douté pendant longtemps, je suis
maintenant d'accord avec ce qui disait le docteur Gattegno : on apprend sans effort quand on
met le Moi aux commandes.
Premier contact - juillet 1989 : Je regarde le tableau des rectangles de l'allemand dont la partie
supérieure porte les voyelles ; je reconnais la plupart des couleurs, déjà rencontrées dans
d'autres langues que j'ai pratiquées. Après avoir sollicité les voix des gens qui connaissent les
couleurs de la première ligne pour produire les voyelles, le professeur, Rosaria Dell'Eva, nous
demande silencieusement mais avec une mimique sans ambiguïté de prolonger les sons de la
deuxième ligne ; pour certaines, c'était déjà évident, pour moi parce que j'avais repéré les
deux "ou" et les deux "i" de l'anglais ; "o" ouvert et "o" fermé, ainsi que "eu" et "eu" ont la
même prononciation qu'en français et il suffit de prolonger celle de la deuxième ligne, d'après
la logique d'organisation du tableau. Je note que "é", "è" et "u" longues ont la même couleur
que la voyelle brève correspondante, avec un point noir dans l'angle inférieur droit du
rectangle. Presque tout de suite, je me demande si ce point noir va se retrouver sur les signes
représentant des voyelles longues dans les tableaux de mots.
Je remarque que "é" et "è" sont placées l'une à côté de l'autre ; à première vue, c'est peut-être
un obstacle à l'intégration ; mais Rosaria nous dit que, selon les régions d'Allemagne, on peut
entendre l'une ou l'autre -ou encore quelque chose qui se situe entre les deux- et que c'est pour
cette raison que les deux couleurs sont placées ainsi.
Dans la moitié inférieure du tableau, je reconnais les couleurs des consonnes car je les ai
presque toutes rencontrées en français, en anglais en ce qui concerne "h" aspiré et le rectangle
gris-vert qui fait dire "ng", et en espagnol pour le "r" rouge (rota). Reste un rectangle sur
lequel je vais beaucoup m'appliquer, le rose qui fait dire la consonne spécifique de l'allemand
que l'on rencontre par exemple à la fin de "ich" ou "zwanzig". Au début, Rosaria nous dit de
penser au rectangle bleu "ch" et de sourire en le prononçant. Je commence à dire "ch" puis,
lentement, j'écarte les lèvres pour sourire, et j'entends ce que je souhaitais entendre. Lorsque
je le produis seul ou au début d'une syllabe, je réussis assez bien mais, dans le corps ou à la
fin d'un mot, et surtout après une consonne comme dans "stäbchen" (réglette), il faut que je
me prépare! J'ai aussi pris conscience que je le prononçais plus correctement lorsque j'avais
l'intérieur de la bouche suffisamment mouillé.
Pendant les deux premiers jours, nous n'aurons que le tableau des rectangles comme système
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de référence pour la prononciation ; quelque part en moi, parfois, je ressens le besoin de
pouvoir voir des mots écrits mais je ne m'y arrête pas ; j'ai décidé de faire ce que demande le
professeur, qui a sûrement ses raisons pour agir ainsi. Par instants, je me fais des images de
mots que nous venons de prononcer : mentalement, je les écris comme je pense mais je ne m'y
attache pas non plus car je sais que je risque d'avoir des surprises et peut-être des difficultés à
effacer l'image d'un mot que j'aurais mal orthographié pour la remplacer par la graphie
correcte.
Plus tard, lorsque j'écrirai cette remarque, je prendrai conscience que cette façon de faire du
professeur m'a amenée à modifier mon fonctionnement habituel face aux mots nouveaux : je
me suis adaptée à les intégrer par l'oreille plutôt que par la vue, et il me semble que c'est un
procédé plus direct, moins intellectuel. Je ne dis plus que je suis incapable de retenir un mot si
je ne l'ai pas vu écrit ou si je ne peux pas m'en faire une image mentale ; j'ai des images
auditives de certains mots que j'entends pour la première fois.
Il me revient que, à la fin de la première journée, Rosaria nous avait demandé de simplement
repérer des couleurs sur les tableaux de mots ; à ce moment-là, j'avais furtivement vu, sans
m'y arrêter, que certaines graphies me réservaient des surprises : des "s" bleus qui se disent
donc "ch", des "z" de deux couleurs, "ts", le "w" qui se dit comme le "v" français, et que je
devais d'abord tenir compte de la couleur. Alors, j'avais pris conscience qu'il m'était plus
facile d'apprendre à prononcer une langue écrite avec d'autres signes que les lettres de notre
alphabet parce que, ainsi, je n'avais aucun risque d'être "contaminée" par la manière française
de prononcer telles lettres.
Lors de la deuxième semaine, deux ans plus tard, au tout début du travail, après nous avoir dit
en allemand mais avec une mimique suffisamment expressive, de bien regarder, bien écouter
et de prononcer, Rosaria pointe une série de cinq rectangles ; je lis "a-oli" ; je ne reconnais
pas le deuxième rectangle, pointé dans la région des consonnes et je m'interdis de prononcer
les quatre cinquièmes du "mot" parce que je ne reconnais là ni un mot français ni un mot
allemand ! Je me juge stupide d'agir ainsi parce que, d'une part, je sais que je puis compter sur
les autres pour m'aider à compléter ce mot et, d'autre part, quand j'enseigne, je demande à mes
élèves d'émettre ce qu'ils savent dire, même si ce n'est pas le total de ce que j'ai montré. Un
peu plus tard dans la matinée, je retrouve le phonème correspondant à cette couleur et je
reconnais alors que le mot pointé au début était "Avoli", le prénom de la plus jeune
participante du groupe, que je n'avais encore jamais entendu.
A part cela, je n'ai aucune difficulté avec la correspondance couleur-phonème mais j'ai du mal
à ne pas prolonger une voyelle courte que l'on me demande d'accentuer. Je prends conscience
que j'ai un travail spécifique à faire pour séparer les consignes "accentuer" et "prolonger" ;
c'est tellement plus facile pour moi de faire les deux en même temps! C'est-à-dire que
j'accentue très souvent une voyelle longue et prolonge une brève qu'on me demande
d'accentuer.
Lorsque, par un point d'interrogation dessiné dans l'espace avec le pointeur, Rosaria nous fait
comprendre que la suite de sons que nous sommes en train de dire est une question, je prends
conscience que j'ai de la difficulté à ne pas mettre là, l'intonation française.
Lorsque Rosaria affiche un tableau de mots, après le travail sur les rectangles, je m'aperçois
que certains enfants et adolescents dans le groupe ne tiennent plus compte du travail antérieur
sur les correspondances couleurs-phonèmes et lisent certains mots comme ils le feraient en
français ; par exemple : "ich" avec le bleu à la fin au lieu du rose ; "sie" en commençant par
un vert clair ; "stäbchen" en commençant avec un vert clair et en énonçant la quatrième lettre
selon son dessin et non selon sa couleur. Je me dis que c'est peut-être prématuré de donner à
lire maintenant, à moins que ce ne soit justement pour forcer dès que possible la prise de
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conscience du rôle de la couleur et que nous aurons à être vigilants parce que l'allemand est
truffé de "faux amis" quant à l'orthographe.
Les mots de la langue et leur signification
Comme presque toujours dans un apprentissage de langue selon le Silent Way, la numération
nous est présentée. C'est pour chaque élève une opportunité de s'exercer à prononcer de
longues suites de sons dans deux sortes de situations :
▪ lorsqu'il est invité à énoncer un nombre de plusieurs chiffres écrit au tableau, offrant à ses
pairs l'occasion de contrôler son émission et de pouvoir lui montrer, à la fin, s'il a fait
une erreur, l'endroit exact où elle a eu lieu en montrant un point précis du nombre écrit
;
▪ quand il énonce lui-même un nombre auquel il pense afin de le faire écrire par quelqu'un
d'autre ; dans ce cas, selon ce qu'écrit le partenaire, il est à même de constater si ce
qu'il dit correspond à l'image mentale du nombre qu'il veut faire écrire, à moins que
son partenaire ne soit en difficulté ; alors les autres apprenants servent d'arbitres, et
toute la classe est mobilisée parce que chacun sait de quoi il est question.
Après l'apprentissage des dix premiers nombres, Rosaria introduit les noms des dizaines et
nous montre les changements que nous devons faire, sur le tableau des noms des nombres,
quand nous ajoutons le suffixe "zig".
Par exemple : "sieben", "siebzig" au lieu de "siebenzig".
Ou : "sechs", "sechssig" - on ôte le dernier signe du premier mot et le premier du suffixe et on
les remplace par la graphie de "s" très particulière à l'allemand, peut-être parce qu'il est très
difficile de faire entendre à la suite les quatre phonèmes "ksts" (prononciation française).
Regardant alors les mots écrits, je prends conscience que le problème que présente la
prononciation des consonnes est encore plus complexe que je le pensais. J'ai observé cela à
plusieurs reprises et je peux dire maintenant que, pour moi, il y a quatre catégories de
consonnes :
▪ celles qui se prononcent en allemand comme en français ;
▪ celles dont je dois me méfier parce qu'elles ne se prononcent pas comme en français ;
exemples : la lettre "s" devient "ch" ou "z" ; "v" se dit comme "f" ; "b" peut se dire
comme "p". Alors, je dois être attentive à leur couleur.
▪ celles qui portent deux couleurs, comme "z" qui se dit souvent "ts".
▪ celles qui sont groupées par deux ou trois et qui portent une seule couleur, comme "ch" qui
peut se dire, suivant la couleur : "ch", "k", la rota ou le "ch" que l'on dit en souriant.
Certains de ces changements ressemblent à ceux du français et donc ne me surprennent pas.
Pour certains autres, je dois me préparer à avoir des problèmes quand je lirai de l'allemand
sans les couleurs.
A ce moment de ma réflexion, je prends conscience que je préfère avoir à lire du japonais
avec les couleurs que des mots d'une langue écrite avec notre alphabet, car alors je ne suis pas
"contaminée" par la prononciation de ma langue !
Plus tard, observant le Fidel allemand - le tableau de toutes les graphies - avec mon regard
focalisé sur la dernière catégorie de consonnes, je note qu'il n'y a qu'une association de trois
lettres qui donne un seul phonème ; c'est "sch" qui se dit "ch". Cette constatation change mon
point de vue sur la prononciation correcte de mots comme "Schwarzenberg" : pour les quatre
premiers signes, je dois prononcer seulement deux consonnes -"ch" pour "sch" et "v" pour
"w"- mais il faut en dire trois : "rts" pour les deux signes qui suivent le "a" parce que "z" est
bicolore!
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Toute la journée, nous travaillons à améliorer notre prononciation de l'allemand que nous
nous approprions ; nous utilisons les mots que nous venons d'apprendre dans des phrases dont
le sens nous est évident. Rosaria nous fait comprendre qu'elle place chacun des mots d'une
phrase sur un des doigts de ses mains, puis elle nous les fait "lire", séparément d'abord puis en
les liant comme elle groupe ses doigts. Aussi souvent qu'il est nécessaire, nous revenons au
tableau des rectangles pour savoir ce que nous devons dire à tel moment de tel mot indiqué
par Rosaria sur un de ses doigts. Très souvent, nous sommes mis en garde contre notre
tendance à aller vite et à escamoter une consonne dans une suite de deux ou trois. Rosaria
nous répète que nous devons impérativement prendre le temps de tout prononcer, que des
arrêts très brefs sont indispensables si on veut pouvoir tout dire comme il le faut et tout faire
entendre. Suivant ses indications, je me rends compte que des suites de consonnes qui me
paraissaient impossibles à émettre sortent de ma bouche avec une aisance acceptable après un
certain nombre d'exercices. Je m'entraîne à les répéter à mi-voix, pour moi-même, en écoutant
ma production afin de la corriger si nécessaire. A plusieurs reprises, j'ai pu constater que, dans
le cas d'une suite de sons assez longue et comportant une difficulté nouvelle, si je réussis
enfin à énoncer ce qui me paraît difficile, ma vigilance fait défaut pour ce qui est devenu
facile, et je m'entends dire "ou" à la place de "a" -par exemple- alors que ces sons ne me
posent plus aucun problème.
+++++
A la fin de la première journée, nous avons à choisir de continuer à travailler tous ensemble
ou de former deux groupes : débutants et non-débutants. Je décide de me mettre dans le
groupe de non-débutants, pensant que j'ai déjà souvent observé comment des professeurs
travaillent avec des débutants et que j'ai envie d'avancer dans l'étude de la langue plutôt que
de la pédagogie. Le lendemain matin, Rosaria annonce que le critère pour être dans le groupe
de débutants est de ne jamais avoir fait d'allemand. Il est donc clair que je serai dans le groupe
de non-débutants et que cela comble mon vœu. Mais, très vite, je me rends compte que je suis
avec plusieurs personnes ayant déjà pas mal d'allemand à disposition, qui vont peut-être aller
trop vite pour moi, et j'ai un peu peur d'être laissée "sur la touche" si je ne sais pas prendre ma
place en demandant qu'on m'aide quand j'en éprouverai le besoin. Il va falloir que je
m'accommode de cette situation délicate pour moi car je suis mal à l'aise lorsque je me sens "à
la traîne" !
D'emblée, quelqu'un dit en allemand une phrase dont je ne reconnais aucun des mots ! Ma
main se dirige vers le bras de mon voisin pour l'appeler au secours. Je me retiens de demander
ce que cela veut dire et je décide de patienter ; nous aurons sûrement à redire cette phrase
plusieurs fois, pour la prononciation, l'accentuation, la mélodie et cela me donnera très
probablement le temps de comprendre. Je remets donc à plus tard de demander qu'on m'aide
si je n'ai toujours pas encore compris à la fin de ce travail, mais je redoute d'entendre une
traduction française de la phrase en question parce que je ne voudrais pas travailler ainsi,
même si c'est plus pratique dans l'immédiat. Je prends conscience que je viens de choisir entre
mon intérêt immédiat et mon meilleur intérêt. Et puis, je me rends compte que, au début, il
n'est pas nécessaire que je comprenne tout mais que cela ne doit pas m'empêcher de
m'appliquer à m'entraîner à dire de mon mieux ce qui est proposé, en tenant compte des
indications du professeur : pointage des rectangles, mise au net des phonèmes, assemblage
des sons d'une syllabe puis de deux ou trois avant de les mettre toutes ensemble dans le cas
des mots longs, puis lecture des mots mis sur les doigts, accentuation sur une ou plusieurs
voyelles, liaison de deux ou trois mots tout en prenant le temps de faire entendre toutes les
consonnes.
Les deuxième et troisième jours de la semaine, quand j'ai été en difficulté parce que, pour
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moi, trop de mots nouveaux étaient mis en circulation, je ne me suis pas laissée aller à la
panique ni à imaginer une signification pour certains ; j'ai suspendu mon jugement tout en
travaillant sur le reste, attendant que le sens vienne et sachant qu'il me serait plus aisé
d'enregistrer le sens sans avoir à changer ce que j'avais pensé au sujet de ce mot. Là, je dois
dire que la mimique du professeur m'a été d'un grand secours, ainsi que de courtes phrases
qu'elle disait elle-même, faisant allusion à des moments de notre expérience commune ou à
des vérités intangibles, qui m'aidaient pour la compréhension. Pourtant, à plusieurs reprises,
j'ai pris conscience que j'aurais pu prendre ma place, c'est-à-dire demander qu'on travaille un
peu plus longuement sur tel élément pour me permettre de l'intégrer, au moins
provisoirement. Mais j'ai aussi pris conscience que je travaille mieux dans l'ombre, à ma
place, à mi-voix, que lorsqu'on me met "sur la sellette", qu'on m'invite à faire quelque chose,
toute seule. Alors je sens qu'il faut faire bien, je suis gênée par ma crainte de ne pas réussir et
c'est là que je ne réussis pas !
J'ai vu que certaines personnes écrivent des phrases que nous disons. Je me dis que ce serait
bien si j'en faisais autant parce que je pourrais travailler en dehors des séances : les relire, les
transformer et peut-être déduire des connaissances grammaticales dont j'ai besoin ; mais je ne
veux rien perdre de ce qu'il y a à voir dans la classe : les couleurs, les mots sur les doigts du
professeur, le mouvement du pointeur, et je renonce à écrire.
A un certain moment, je prends conscience que j'ai quelque chose à faire pour savoir dire à
bon escient "dem", "den", "des" ou "einem", "einen", "eines", etc... mais je me rends compte
que je retarde le moment de faire ce travail précis. Lorsque, en réponse à une élève qui
demande qu'on travaille là-dessus et sur le pluriel, le professeur répond : "Mais nous avons
fait tout cela !", je prends conscience que je n'étais pas présente là où il fallait quand nous
l'avons fait ; je continuais à jouer avec les sons, les mots et la façon de les grouper sans
prendre le recul nécessaire pour repérer dans quelle situation telle terminaison était requise.
Autrement dit, je travaillais sur ce que je commençais à bien savoir faire au lieu de me
focaliser sur le nouveau que j'avais préjugé plus difficile. De plus, je ne savais pas exactement
à quoi se référaient les termes "datif" et "accusatif" ; je n'ai pas demandé que l'on fasse
quelque chose de spécial pour que je sois en mesure de le préciser, et il me manquait des
éléments fondamentaux pour pouvoir travailler. Enfin, je ne parvenais pas à "accrocher" le
déterminant masculin, féminin ou neutre aux mots que nous manipulions. A ce moment
précis, j'ai pris conscience de la nécessité d'apprendre un nom toujours précédé du
déterminant qui précise son genre, afin que l'on n'ait à "payer" qu'une fois pour retenir les
deux, et je me suis sentie encore plus indulgente pour les non francophones qui font des
erreurs de genre des noms, et encore plus admirative pour ceux qui ont intégré les noms
français avec leur genre si fantaisiste parfois ! "Dans la foulée", j'ai pris conscience que je
rencontre encore souvent des noms français pour lesquels j'ai encore un doute au sujet du
genre, les noms des fleurs par exemple.
Lorsque Rosaria me demande de pointer un mot au tableau des rectangles et que je fais une
erreur, je suis très contente de m'apercevoir que je peux l'accepter sans me sentir humiliée.
C'est seulement le quatrième jour que j'ai pris conscience que je n'avais pas encore vu les
vraies couleurs des voyelles "i" et "é" dans les mots courts comme "mich" et "mir" d'une part,
et "er", "der", "den", "dem", "des" d'autre part ; je les disais au hasard et il a fallu que Rosaria
garde sa main sur celui de ses doigts qui portait "mir" et me fasse comprendre que je devais
allonger la voyelle pour que je regarde mieux les mots écrits en couleurs et compare les
couleurs des "i" -rose ou rouge- et des "e" -bleu ciel ou turquoise.
Je suis invitée à aller pointer un mot au tableau des rectangles puis à mettre sur mes doigts
tous les mots de la phrase que nous sommes en train d'apprendre à dire. Comme complément
du travail sur les doigts, je voudrais dire que j'apprécie beaucoup le fait d'écrire les phrases au
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tableau en symbolisant chaque mot par un trait horizontal plus ou moins long, ce qui nous
permet de dire la suite des mots, de savoir si telle émission correspond à un ou deux mots, de
les grouper pour les dire ensemble lorsqu'on a placé les pauses et, ensuite, de transformer ces
phrases de différentes façons selon nos possibilités.
Vers la maîtrise et le transfert
Ces différents exercices nous conduisent lentement mais sûrement à la maîtrise d'un peu plus
d'allemand à chaque pas, et je puis transférer ce nouveau savoir-faire - de prononciation, de
structuration de phrases où l'on doit inverser l'ordre du sujet et du verbe, par exemple - et
l'utiliser comme outil de travail pour appréhender le nouveau qui arrive. Je prends conscience
que je puis faire ceci parce que, pour cet apprentissage précis, j'utilise des outils acquis lors
d'apprentissages précédents ayant nécessité eux aussi de nombreux exercices. Je sais que je
suis très loin de connaître la langue allemande mais que, sans ces petits points que je maîtrise
maintenant, je serais tout à fait incapable d'avancer, et je me sens très enthousiaste pour
l'humain qui se construit constamment.
Je voudrais aussi relater ce qui m'est arrivé l'avant-dernier jour, au milieu de l'après-midi ;
pour un peu, cela n'aurait pas eu lieu !
Depuis le début du cours, après nous avoir fait étudier en détail tous les éléments d'une
phrase, Rosaria disait quelque chose en l'accompagnant d'un geste qui signifiait : "Tous
ensemble !" et nous disions la phrase ; puis elle ajoutait quelque chose que j'entendais ainsi :
"Normals" et nous répétions la phrase. Pour moi qui avais entendu un mot auquel j'avais
donné son sens en français, nous devions faire une différence entre nos deux émissions, la
seconde peut-être un peu plus fluide que la première puisque Rosaria souhaitait qu'elle soit
"normale" ! Mais j'avais beau être attentive à nos productions, je ne trouvais pas de différence
notable ; pourtant, souvent, le professeur se contentait de ce que nous lui offrions, et je ne
comprenais pas ! Jeudi après-midi, pour la première fois, j'ai entendu la "rota" en troisième
position dans ce que disait le professeur, et j'ai enfin compris qu'elle nous demandait
simplement de dire encore une fois la phrase en question, sans changement notoire : "Noch
mals" ! Cette confusion m'a donné le fou-rire et j'ai pris conscience que je dois me méfier des
émissions qui ressemblent à ma langue parce que ce sont des pièges.
A la fin de la quatrième journée de travail, Rosaria nous demande de dire où nous en sommes,
comment nous vivons cette expérience. Je suis très euphorique ; je sais que j'ai encore
beaucoup à apprendre, en particulier sur les déclinaisons et le pluriel mais il me semble qu'il
suffit que je m'y mette. Je me vois comme une fusée prête à décoller sur une aire d'envol.
Cecilia dit que, lorsque tout va bien, elle n'éprouve pas le besoin de faire un feed-back. Je me
rappelle alors que, au milieu de la deuxième journée, j'avais dit à deux ou trois personnes de
mon entourage mon besoin de feed-back au cours du travail, pour savoir comment chacun de
nous vivait cette expérience et aussi pour créer des "respirations" qui permettraient d'intégrer
le travail antérieur. Par la suite, je n'avais plus ressenti ce besoin.
Le soir, j'ai beaucoup de mal à m'endormir. Je cherche à faire un tableau des fameuses
déclinaisons et je ne tarde pas à me rendre compte qu'il me manque pas mal d'éléments. Je
prends conscience que le "e" jaune n'est pas la marque du féminin, comme souvent en
français. Elaborant le tableau pour les noms féminin singulier - parce que j'ai retenu qu'il n'y a
que deux possibilités, "die" et "der", je prends conscience que "der" n'est pas exclusivement
un déterminant masculin puisqu'il intervient avec les noms féminins au datif et au génitif.
J'entends alors la voix de Rosaria nous disant : "Der Stuhl ; die Stüle" lorsque nous
travaillions avec une chaise, au début du cours ; et je me rends compte que je n'avais pas
repéré à ce moment-là que "die" pouvait aussi se rencontrer au pluriel, ainsi que le "e" ajouté
au nom singulier "stuhl". Je dois reconnaître que, bien qu'ayant été attentive pendant tout le