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Liberté du Judaïsme
L a l e t tr e d e L. D . J .
N° 98 Janvier-février 2009
Le numéro 2,50
La première association laïque et humaniste
en France et dans la communauté juive
(Le Monde, 4/3/1990)
Siège social 1 rue Pixérécourt 75020 Paris 01 47 97 30 63

Sommaire
Éditorial...................................................p. 1
Les langues du Juif..................................p. 1
Activités...................................................p. 6

ÉDITORIAL
2009
L.D.J vous souhaite une heureuse nouvelle
année. Et au monde, nous souhaitons la Paix.
Doris BENSIMON

LES LANGUES DU JUIF
Il y a une question que l'on pose souvent : quelle est
au fond la "langue des Juifs" ? N'en ont-ils qu'une – ou
plusieurs ? Qu'est-ce qui fait la spécificité de leur
civilisation, si du moins ils en ont une, une seule, alors que
l'opinion la plus générale affirme qu'une vraie civilisation
s'édifie d'abord autour d'une seule langue qui en serait le
pivot, un des signes les plus distinctifs.

L'Antiquité
Aux sources du peuple juif, au deuxième
millénaire avant l'ère chrétienne, l'opinion admise est
que nos ancêtres parlaient tous l'hébreu dit «biblique»,
ou tout au moins des dialectes sémitiques apparentés
entre eux qui finirent par former une seule langue. Nous
savons avec une assez grande certitude que cet hébreu
fut la langue des royaumes d'Israël et de Judée
(Yehouda), entre le 11ème et le 6ème siècles av. J.-C.,
dans les formes qui ont été conservées par le Tanakh, la
Bible juive appelée «Ancien Testament» par les
Chrétiens. Mais dès la fin de l'époque du Premier
Temple (soit avant 586 av. J.-C.), la Bible elle-même
témoigne que les Juifs connaissaient déjà – au moins
parmi les élites – l'araméen, la langue diplomatique et
commerciale déjà dominante au Moyen-Orient. Quand
les Assyriens viennent assiéger Jérusalem, en -701, les
envoyés du roi Ezéchias (Hezkiyahou) s'adressent à
l'officier assyrien venu les menacer des foudres de son
maître, Ravshaké : "Parlez araméen à vos serviteurs,
parce que nous le comprenons, ne nous parlez pas en
judéen" (II Rois, 18, 26).

L'écrasement et la conquête du Royaume de Judée
par les Babyloniens, en -586, sont précédés et suivis,
comme on le sait, par la déportation en Mésopotamie
d'une portion importante des élites dirigeantes, et un
peu plus tard d'autres familles partent s'installer en
Égypte. Pendant toute la période suivante, y compris la
période perse (-538 à -332), l'araméen va effectivement
jouer un rôle considérable, puisqu'il est la "lingua
franca", la langue des rapports internationaux,
politiques et commerciaux, dans toute cette partie du
monde : c'est ainsi que dans la Bible, des passages
importants des livres de Daniel et d'Esdras (Ezra), sont
écrits en cette langue.
Après -332 et la conquête de tout le Moyen-Orient
par Alexandre le Grand, commence la "période
hellénistique", durant laquelle le grec va commencer à
se répandre : il coexistera tout d'abord avec l'araméen
pendant plusieurs siècles, puis finira par le supplanter.
À leur tour, les Juifs vont commencer à l'apprendre,
puis à le pratiquer finalement à un très haut niveau : un
certain nombre d'écrits juifs de l'époque seront rédigés
soit en araméen, soit en grec. Alors vient la traduction
de la Bible en grec dite des Septante, la première à
transcrire le recueil sacré dans une langue vernaculaire
– parce que la grande masse des Juifs qui vivent en
dehors du pays ancestral, dans les royaumes
hellénistiques, ne savent plus l'hébreu et pratiquent
essentiellement le grec dans leur vie quotidienne. On va
voir ainsi les 4 Livres des Maccabées, qui racontent la
révolte des Hasmonéens, rédigés en grec, et on ne sait
même pas s'il y eut un original en hébreu. Le grand
philosophe juif Philon d'Alexandrie (13 av. J.C.- 54 ap.
J.C.) écrit toute son œuvre en grec, et Flavius Josèphe,
l'historien de la Grande Révolte de 67-70 a lui aussi
utilisé le grec dans ses ouvrages, y compris quand il
prend la défense des Juifs et se dit fier d'être un des
leurs.

1
Comme on le sait, de nombreux Juifs étaient
dispersés de la Babylonie à l'Asie mineure et à la
Cyrénaïque dès avant la Grande Révolte, et ce
mouvement d'expansion-dispersion va s'accentuer après
elle, et plus encore après l'échec du soulèvement de Bar
Kokhba en 132-135 ap.J.-C. Comme la Judée se vide
d'un grand nombre de ses habitants juifs – après 135 les
Romains changent son nom de "Judea" en "Palestina",
en quelque sorte pour punir les Juifs et les dissuader de
se révolter encore une fois – la majorité du peuple juif
vit dorénavant dans la Diaspora. À l'est, en
Mésopotamie et en Perse, l'araméen reste prépondérant,
ce que démontre le Talmud de Babylone (le Talmud de
Jérusalem, rédigé en fait en Galilée et moins important,
est en hébreu) où il est largement représenté. Sur le
pourtour de la Méditerranée orientale, le grec va
dominer encore quelques siècles ; on en a des preuves
notamment dans les comptes rendus de Saint Paul (qui
était d'origine juive) sur son activité pour répandre le
christianisme dans cette région du monde. Et dans la
partie occidentale de l'empire romain, les Juifs ont
certainement pratiqué le latin dans la vie quotidienne
des rapports avec les "gentils", mais ils conservent
l'hébreu et même l'araméen comme langues identitaires,
dans la religion et les événements du calendrier.
Le Moyen Âge
Un nouveau bouleversement linguistique, d'une
importance capitale, va se produire après l'apparition de
l'Islam et l'expansion de l'empire arabe, à partir de 636.
En quelques générations, jusque vers 730 – avant la
fameuse "Bataille de Poitiers" (732) si connue des
Français – la majorité des Juifs qui vivaient alors vont
se retrouver dans une aire culturelle où la langue arabe
domine et supplante la majorité des langues antérieures
(sauf en Perse et dans des parties islamisées de l'Asie
centrale situées au nord de cette dernière). Dès le 8ème
siècle, les Juifs de ce vaste empire vont pratiquer
l'arabe, et alors que cette langue s'enrichit et se
complexifie, les Juifs l'adopteront comme langue du
quotidien aussi bien que de la pratique scientifique, en
médecine notamment, ou de la pensée spéculative.
Nous avons une liste très longue de lettrés et savants
juifs qui ont écrit des œuvres en arabe – bien que
l'hébreu ait été préservé malgré tout, mais uniquement
chez les rabbins et une minorité de lettrés, quoique non
des moindres (Yehouda Halévi, Salomon Ibn Gabirol et
d'autres). C'est vrai surtout de l'Âge d'Or de l'Espagne
médiévale : Maïmonide, ou Rambam (Rabbi Moshé ben
Maïmon, 1138-1204), a rédigé toutes ses grandes
œuvres religieuses et philosophiques en arabe – à
l'exception d'une seule, le "Mishné Torah", ou "Yad
Hahazaka", écrit en hébreu. La majorité des Juifs qui
vivaient au 12ème siècle, à condition de savoir lire,
étaient en mesure d'aborder ces textes, sinon de les
comprendre. Mais comme les Ashkénazes, alors
minoritaires au sein du peuple juif, ne lisaient pas
l'arabe, le Rambam accepta la traduction de ses écrits en

hébreu par la famille des Ibn Tibon, d'origine espagnole
mais qui vivaient à l'époque en Provence. Au fond, nous
voyons que l'hébreu est quand même à l'époque la seule
langue dans laquelle les Juifs peuvent communiquer
entre eux à travers le monde connu.
Un phénomène nouveau va se produire au 13ème
siècle en Espagne, après l'effondrement de la
prédominance arabe à la bataille de Las Navas de
Tolosa (1212) : la grande majorité de la péninsule
ibérique est sous domination chrétienne, les langues
latines – castillan, catalan, portugais – y reprennent le
dessus et les Juifs vont les pratiquer. Finalement, quand
ils sont expulsés d'Espagne en grand nombre (200.000
?) en 1492, ils emportent avec eux une langue issue du
vieux castillan, le judéo-espagnol. C'est elle,
improprement appelée ladino (laquelle serait selon les
spécialistes une langue différente, savante et artificielle)
aux dires des linguistes, qui va subsister chez les
Sépharades contraints d'essaimer sur le pourtour
méditerranéen, du Maroc jusque dans l'Empire
Ottoman, et aussi sur la façade atlantique de l'Europe et
même dans le Nouveau Monde. Elle va servir à la fois
de langue de la vie familiale et du commerce
international entre les Juifs, jusqu'au 20ème siècle,
conservant à ce jour le nom de spaniolit. Mais de nos
jours, elle est en recul. Même si l'on peut estimer que
quelques centaines de milliers de personnes la
connaissent, le nombre des jeunes qui la pratiquent
diminue, elle est surtout une langue des "anciens"
menacée d'extinction.
En France, on va déceler une influence des parlers
français du Bas Moyen Âge sur les Juifs, de différentes
manières : dans les écrits de Rachi (1040-1105), on a
décelé au moins un millier de gloses qui mentionnent
des termes champenois de l'époque, destinées à rendre
le texte explicite au lecteur juif du Royaume de France.
Un rabbin de Touraine, Florus de Tour, verra son nom
traduit plus tard sous la forme araméenne d' "Ashtorei
haparkhei". Mais tout un pan de l'histoire littéraire des
Juifs de la France médiévale va disparaître avec
l'expulsion "définitive" des Juifs, en 1386. Ce qui
n'empêchera pas qu'ils conservent assez longtemps une
liturgie et des réminiscences françaises dans les lieux de
leur réinstallation, par exemple en Italie du Nord.
Les Temps modernes
Parallèlement à ce qui se passait dans la péninsule
ibérique (et dans le midi de la France), les Juifs vivant
dans la vallée du Rhin et à l'est de ce fleuve vont
apprendre et pratiquer de plus en plus, après l'An Mille,
l'ancien haut allemand, dont va dériver le dialecte
spécifique des Juifs ashkénazes, le yiddish. En fait, il
s'agit d'une vraie famille de dialectes, inspirés à 70 %
des parlers allemands divers, avec près de 20 % de mots
d'origine hébraïque. Comme les Juifs se répandent de
plus en plus vers l'est de l'Europe, essaimant
principalement de l'aire culturelle germanique, c'est la
langue qu'ils vont emporter avec eux dans cette
expansion, elle va s'enrichir et s'étoffer, pour atteindre
son apogée au 19ème siècle et au début du 20ème. C'est à
cette époque que le yiddish va être codifié et organisé,
pour devenir une véritable langue de culture avec sa
littérature, ses journaux, ses chercheurs, ses
intellectuels... Le centre principal de ce travail était
situé en Lituanie, mais il se faisait également en
Pologne, en Ukraine, aux États-Unis et même ailleurs.
En conséquence de l'accroissement démographique
vertigineux des Ashkénazes depuis 1800 – ils vont
passer de 1 million à 12 millions environ en 1939 – les
deux tiers du peuple juif savaient le yiddish dans les
années 1930, même si en majorité, ils pratiquaient
parallèlement la langue principale du pays où ils
vivaient, et parfois deux.
La Shoah de 1939-45, on le sait, a porté un coup
terrible à la langue yiddish : la liquidation de 6 millions
de Juifs d'Europe a entraîné la disparition de 60 % des
locuteurs de cette langue ! À la fin de la Seconde
Guerre Mondiale, il restait trois foyers principaux du
yiddish : les États-Unis – l'Union Soviétique – et Israël.
Aux États-Unis, la deuxième et la troisième génération
de Juifs ashkénazes cessent de pratiquer le yiddish ou
ne le savent plus (excepté chez les ultra-orthodoxes),
passant massivement à l'américain. En URSS, une
persécution violente s'est abattue après 1945 sur les
Juifs et sur les intellectuels yiddishisants, dans le but
d'effacer tout nationalisme juif visible, ce qui a eu pour
conséquence d'imposer aux Juifs une assimilation
forcée à la culture russe dominante – ce dont on voit
bien les effets aujourd'hui. Et en Israël, l'idéologie
sioniste qui dès l'origine dépréciait le yiddish et le
rabaissait au rang de "jargon", a réussi avec le temps à
le faire reculer de manière sensible : aujourd'hui, il n'est
pratiqué de manière vivante, principalement, que dans
les milieux ultra-orthodoxes, qui considèrent l'hébreu
comme une "langue sacrée" impropre à la vie de tous
les jours.
En dépit de cela, il y aurait encore dans le monde
entre 1,5 et 2 millions de locuteurs du yiddish, dispersés
aussi en dehors des grands foyers rappelés ci-dessus.
On constate aussi un certain regain d'intérêt pour lui,
chez une partie de la jeune génération qui veut "renouer
les liens" avec un passé qui n'est pas si lointain que
cela, et renferme d'inestimables richesses. D'ailleurs, on
constate un réveil semblable chez des jeunes dont les
parents ou les grands-parents parlaient le judéoespagnol, le judéo-marocain... Eux aussi manifestent le
désir de renouer avec l'héritage linguistique de leurs
grands-parents et arrière-grands-parents.
Les langues juives "étrangères"
Pour les Juifs, l'Époque contemporaine, surtout
après la Révolution Française, a été à la source d'un
autre phénomène : le passage d'un grand nombre de
Juifs aux langues nationales des pays où ils vivaient.
Cette fois, l’émancipation venant après 1789 crée une
nouvelle donne : les Juifs sont invités à devenir

publiquement des "citoyens comme les autres", c'est-àdire à s'exprimer dans la même langue que tout le
monde – leur vie religieuse et cultuelle étant désormais
clairement séparée de la vie quotidienne. C'est
l'assimilation, ou du moins son début. Tout va changer :
tous les Juifs français sont appelés à parler français – en
mettant de côté le judéo-alsacien, le ladino ou les autres
"jargons" ! En Allemagne et en Autriche, le Juif doit
parler allemand ; en Pologne, ce sera le polonais. Le
mouvement s'étendra aux Pays-Bas, à la Hongrie, la
Roumanie, la Bulgarie, la Grèce … – sans oublier la
Grande-Bretagne. Être un "patriote" signifie parler la
langue du pays, comme tous ses voisins. Aux ÉtatsUnis, État fédéral fondé sur d'autres bases qu'en Europe,
le Juif n'en est pas moins invité à passer à l’angloaméricain pour être là aussi un citoyen à part entière. Et
comme la Diaspora juive s'étend progressivement au
monde entier, les Juifs vont parler anglais au Canada,
en Afrique du Sud, en Australie, à Gibraltar… Ils
parleront espagnol en Argentine, au Mexique, au Chili,
à Cuba, etc. Et portugais au Brésil. Comme nous l'avons
déjà dit plus haut, les Juifs de l'URSS vont finir par
devenir tous russophones. Et même dans les pays
arabes, on va constater au 20ème siècle l'apparition de
"Juifs patriotes" irakiens ou marocains, notamment, qui
vont pratiquer au premier chef la langue du pays tout en
militant pour des causes "patriotiques", souvent dans un
parti communiste.
Ce nouveau passage des Juifs à d'autres langues,
qui jusqu'à présent leur étaient plutôt "étrangères" parce
que pas assez proches d'eux, va avoir des répercussions
considérables. En premier lieu, il accompagne la
laïcisation de la majorité du peuple juif, ce qui n'est
absolument pas un hasard. Chez les États modernes
nationaux, il y a en effet un fond laïque inhérent qui va
souvent entrer en collision avec les fondements
religieux traditionnels – parce qu'il vient en fait les
transcender (c'est une autre histoire, et nous n'en
traiterons pas ici). Pour les Juifs, cela va se traduire par
leur irruption en masse dans des domaines de créativité
et d'action fréquemment liés à la langue et à la culture
ambiantes : la littérature, la philosophie, les sciences
sociales et humaines, les sciences exactes, la médecine,
le droit, le journalisme, les arts plastiques, le théâtre et
le cinéma, et bien d'autres encore ! Sans oublier
d'ailleurs l'industrie, la banque, la politique et la
diplomatie, ou même la carrière militaire, où ils
pénètrent avec le temps. Dans toutes ces pratiques, les
Juifs ont besoin à un degré ou un autre de manier en
premier lieu la langue du pays où ils vivent.
Mais ce qui nous intéresse ici par-dessus tout,
c'est la langue écrite, celle qui est gravée et laisse des
traces certaines pour la postérité. Dès la seconde moitié
du 18ème siècle, l'allemand va devenir une langue de
prédilection des Juifs d'Allemagne et d'Europe centrale
: cela commence avec le "pionnier" des "lumières
juives", Moses Mendelssohn (1729-1786), à la fois
porte-parole de la religion juive et du peuple juif, et
continue avec de nombreux écrivains et penseurs
comme Heinrich Heine, Ludwig Börne, Sigmund
Freud, Martin Buber, Franz Kafka, Stefan Zweig,
Arnold Zweig, Lion Feuchtwanger, Hermann Cohen,
Franz Rosenzweig, Walter Benjamin, Franz Werfel,
Arthur Schnitzler, Jakob Wassermann, Joseph Roth,
Nelly Sachs, Elias Canetti, Paul Celan – et cette liste est
loin d'être exhaustive. On le voit, tous n'étaient pas
natifs d'Allemagne, certains étaient autrichiens,
tchèques (Kafka), bulgares (Canetti)...
Une autre branche de la littérature juive s'est
développée dans les pays anglophones, au 20ème siècle
principalement. On trouve des auteurs anglais,
américains, sud-africains et autres, comme Arthur
Koestler, Bernard Malamud, Saul Bellow, Philip Roth,
Jerome Charyn, Cynthia Ozick, Harold Pinter, Arthur
Miller, Joseph Heller, Chaïm Potock, Grace Paley,
Israel Zangwill, Nadine Gordimer, Paul Auster, Harlen
Coban, Mordecai Richler, etc. Plusieurs d'entre eux ont
été couronnés du prix Nobel de Littérature. Et même
Benjamin Disraeli, avant de devenir Premier ministre
britannique, était un écrivain talentueux.
La langue française aussi a été illustrée par de
nombreux auteurs juifs, à partir du 19ème siècle, tels :
Catulle-Mendès, Henri Bernstein, Edmond Fleg, JeanRichard Bloch, André Spire, Henri Bergson, Max
Jacob, André Maurois, Joseph Kessel, Elian-Joseph
Finbert, Patrick Modiano, Irène Némirowski, Romain
Gary, Roger Ikor, Albert Cohen, Edmond Jabès,
Nathalie Sarraute, Albert Memmi, Georges Perec,
Benjamin Fondane, Arnold Mandel, André SchwartzBart, Isidore Isou, Tristan Tzara, Ghérasim Luca – et
bien d'autres encore. Certains n'étaient pas forcément
nés en France, loin de là, ils venaient de divers
horizons. Il y a aussi des Canadiens (Naïm Katan), des
Belges, etc. Notre liste n'est absolument pas exhaustive
et ne prétend pas l'être.
Et il y a eu aussi des écrivains juifs de langue
hongroise (Imre Kertész, George Tabori, Karoly Pap,
Andras Komor, etc.), espagnole, italienne – comme
Primo Levi -, polonaise, russe (Iliya Ehrenbourg,
Vassili Grossman, Peretz Markish, ), roumaine (Mihaïl
Sebastian, I. Voronca, Nina Cassian, Andrei Fischof, A.
Mirodan), portugaise (le brésilien Moacyr Scliar), et
quelques autres encore. Mais nous n'aspirons pas ici à
épuiser le sujet.
Du yiddish à l'hébreu moderne
On ne saurait parler des "langues du Juif" sans
souligner la grande prospérité du yiddish aux 19ème et
au 20ème siècles. Il ne s'agit plus seulement d'une langue
parlée, très variable et malléable, telle qu'elle a dominé
du 11ème au 18ème siècles. Cette langue va être codifiée à
l'instar des langues européennes, elle va devenir une
langue écrite "normalisée", grâce notamment aux
travaux du grand centre lituanien dès le 19ème siècle.
Une quantité considérable de journaux, bulletins,

chroniques et autres écrits périodiques seront rédigés en
yiddish. Ce qui frappe par-dessus tout, c'est la
multiplication de la production littéraire – prose et
poésie. La consécration viendra avec l'octroi du prix
Nobel de Littérature à Isaac Bashevis-Singer, en 1978 –
mais le jury ne pouvait le connaître qu'à travers ses
traductions en anglais.
Et dans la foulée du florilège de l'époque
contemporaine, nous avons la renaissance de l'hébreu,
amorcée dès la fin du 18ème et le début du 19ème siècles
avec l'apparition du mouvement de la Haskala – les
"lumières juives". Les promoteurs de cette renaissance
affirment dès le départ que l'accession des Juifs à la
conception "moderne" de peuple, un parmi les autres,
implique nécessairement la résurrection, le renouveau
de sa langue ancestrale. Les autres langues qu'il
pratique sont seulement "empruntées", elles ne peuvent
exprimer sa spécificité, sa différence. Il y a d'abord la
langue des "maskilim", cette élite juive éclairée et
éduquée qui doit montrer la voie au peuple, lui ouvrir la
route. Vient Eliezer-Ben Yehouda à la fin du 19ème
siècle, qui tourne le dos au mouvement des narodniki
russes nationalistes où il a milité quelque temps, pour
prôner l'hébreu comme langue "nationale", en Eretz
Israël par surcroît, que les enfants doivent apprendre
depuis le berceau – donc comme leur première langue.
On sait que mise en pratique avec persévérance, et
parfois avec une pointe de fanatisme, par le Sionisme,
cette idée-phare a abouti à une population de près de 7
millions de locuteurs de l'hébreu, et pas seulement en
Israël. Puis à une abondante littérature, une création
linguistique et langagière énorme, des écrivains et des
poètes traduits aujourd'hui dans beaucoup d'autres
langues à travers le monde – et au Prix Nobel de
Littérature Shmouel Yossef Agnon. Selon tous les
signes, cette aventure nous promet encore une belle
prospérité.
Y a-t-il plusieurs "langues juives" ?
Après ce tour d'horizon, on est en droit de se
demander : combien y a-t-il de "langues juives", et
combien de langues méritent-elles d'être qualifiées ainsi
? Doit-on dire que seules les langues exclusives
pratiquées par les Juifs entrent dans cette catégorie :
l'hébreu biblique, le judéo-espagnol, le yiddish, le
judéo-arabe – avec toute leurs variantes dialectales,
d'ailleurs. Ou bien faut-il inclure également les autres
langues nombreuses dans lesquelles les Juifs ont écrit et
créé, souvent des œuvres spécifiquement juives –
théologiques, morales, philosophiques, historiques ?
Voilà une question qui me semble très importante et
instructive.
On remarque en effet qu'il y a eu un incessant vaet-vient, si ce n'est même une alternance, entre les
langues spécifiquement juives et les langues
véhiculaires, dominantes de l'environnement. En
passant de l'hébreu à l'araméen, puis au grec, et
finalement au latin, en les ajoutant la plupart du temps,
les Juifs sortent de leur cercle étroit et s'ouvrent sur le
monde extérieur – ce qui va leur donner à la longue une
influence qu'ils n'avaient sans doute jamais imaginée ni
recherchée. De leur implication à la fois historique et
linguistique dans le monde des pourtours de la
Méditerranée, à la fin de l'Antiquité, va naître le
christianisme, religion fille du judaïsme, religionmonde qui pousse plus loin les caractères universels
déjà en germe dans celui-ci. On n'en est plus aux
Hébreux à peine connus des peuples voisins vers la fin
du deuxième millénaire av. J.-C. La Bible sous ses deux
"testaments" va devenir un pilier de la culture
universelle, promis à un avenir immense et une grande
postérité.
Un repli des Juifs "vers l'intérieur" s'est produit,
c'est notoire, après la destruction du Second Temple et
les autres révoltes, après la dislocation aussi de l'Empire
romain. Mais en Orient, en Mésopotamie, le Talmud de
Babylone rédigé en hébreu et surtout en araméen (de
400 à 500 ap. J.-C.) est imprégné d'influences
extérieures, à la fois au niveau linguistique et à celui
des contenus. Dès le 6ème siècle av. J.-C., l'hébreu avait
commencé à absorber des mots empruntés à l'araméen,
au persan (dat, paradis!), au grec, après quoi viendra
aussi le latin. N'est-il pas significatif que la plus haute
institution juive de la fin de l'époque du Second
Temple, le sanhédrin, porte un nom d'origine grecque,
sunedrion ? Et ce n'est pas le seul terme d'origine
grecque ou latine, loin de là.
Ce qui est donc frappant dans l'histoire
linguistique du peuple juif, c'est ce constant aller et
retour entre ses langues particulières (particularistes si
vous voulez), qui n'appartiennent qu'à lui seul, et les
langues-monde de large extension, langues de culturesempires qui embrassent de nombreux peuples et
peuplades. À partir de la création de l'Empire arabe,
nous l'avons déjà dit, après 638 et surtout du 8ème au
13ème siècles, la majorité des Juifs vont baigner dans un
environnement arabophone où ils vont s'insérer, le
sommet étant atteint à l'"Age d'or" de l'Espagne
musulmane, du 9ème au 11ème siècles – comme déjà
rapporté plus haut. Les Juifs de ce pays passant ensuite
en majorité sous la domination chrétienne, l'espagnol de
cette époque va devenir leur langue. Plus au nord, c'est
l'allemand qui va être à la source du yiddish. Et aux
Temps modernes, les Juifs qui voudront sortir de
ghettos et des autres enfermements auxquels ils avaient
été contraints pendant quelques siècles vont commencer
à pratiquer toutes les langues européennes que nous
avons déjà énumérées. Au 19ème siècle, ils se tourneront
de plus en plus vers les langues d'un grand poids
international – commercial, politique, impérial, culturel
– comme l'anglais, l'allemand ou le français.
En ce début du 21ème siècle, nous voilà en
présence d'un paysage linguistique sans précédent, où la
moitié du peuple juif est anglophone : les Juifs des
États-Unis, de Grande-Bretagne, d'Australie, du Canada

(en majorité), d'Afrique du Sud et dans quelques autres
communautés plus petites. Comme près de 40 % des
Juifs vivent aujourd'hui en Israël, l'hébreu est redevenu
la langue nationale et particulière des Juifs. La vieille
partition entre le "Juif particulariste" et le "Juif
universel" connaît ainsi un nouvel avatar. D'une
manière étrange et protéiforme, la condition juive
continue d'être ouverte et fermée simultanément: le dieu
romain Janus avait deux faces, l'une tournée vers la
paix, l'autre vers la guerre ; à travers la langue aussi, le
Juif a effectivement deux faces : l'une tournée vers le
particulier, vers la différenciation, vers l'intérieur –
l'autre vers l’universel, le général, vers l'extérieur.
N'est-il pas étrange, ou significatif, que le premier
et plus grand compilateur des histoires et récits
populaires allemands était Berthold Auerbach, un
écrivain juif très connu et populaire au 19ème siècle, en
son temps comparé aux frères Grimm mais presque
oublié de nos jours? N'avons-nous pas le créateur de la
figure combien emblématique, française et "gauloise",
d'Astérix – René Goscinny, aux origines juives
polonaises ? Simples exemples.
Finissons sur des questions
Reste une question non négligeable qui se pose à
nous : est-ce qu'au travers de ce multilinguisme
plurimillénaire, il existe une unité de fond réelle de cet
héritage ? Le Juif a-t-il dit des choses semblables,
conséquentes, apparentées entre elles – dans toutes ces
langues ? Que dirait Arnold Toynbee, qui a parlé de
"civilisation juive" dans A Study of History ? Il avait
mis l'accent sur le contenu religieux et théologique de
cette civilisation, mais beaucoup ont contesté son
analyse, allant jusqu'à l'accuser d'antisémitisme. À notre
avis, ce n'est pas le seul aspect, le seul vecteur de la
continuité juive, mais nous ne contesterons pas que ce
n'est pas l'un des moindres. Or la religion juive a connu
elle-même une longue évolution, et autour d'un noyau
originel constant se sont accumulées des couches
successives ou concurrentes aux origines diverses. Les
Juifs qui ont manié les diverses langues que nous avons
évoquées sont tantôt restés proches du noyau, tantôt s'en
sont éloignés à des degrés plus ou moins grands. Voilà
un champ qui demande à être exploré, documenté,
analysé et discuté. Une tâche immense, un projet à
promouvoir que nous suggérons – mais ce n'est pas ici
le lieu de discussion approprié.
Les langues du Juif sont-elles une aria à plusieurs
voix, qui coule dans un seul lit – ou une cantate à
l'unisson où la pluralité des voix se glisse dans plusieurs
sillons parallèles ? Or le Juif – autrement dit les Juifs –
a tant de choses à dire, il est intarissable !
Et si nous avons parlé ici des "langues du Juif",
c'était précisément pour mettre l'accent sur cette "unité
dans la diversité" qui est propre à l'Histoire juive, sur le
Juif aux multiples facettes qui en est l'acteur. Le débat
est seulement ouvert.
Yaïr BIRAN
ACTIVITÉS DE L.D.J
Mercredi 14 janvier 2009
Conférence-débat
13 rue du Cambodge 75020 Paris
Accueil 19 h 30 – Conférence 20 h

DE L’HÉBREU LANGUE VIVANTE
À LA CRÉATION DE L’ÉTAT D’ISRAËL
par Doris Bensimon, sociologue

Dimanche 18 janvier 2009 - 16h
Vidéo

ISRAËL, REGARDS CROISÉS
présenté par Alain Penso, réalisateur de ce film
Réunion chez Doris Bensimon. Téléphonez-lui au
01.47.97.30.63 une semaine avant la réunion.

Dimanche 25 janvier 2009 - 16h
Cercle de lecture
J.M.G. Le Clézio, Ritournelle de la faim, Paris,
Gallimard, 2008, 205 p.
L’auteur, prix Nobel de Littérature, construit ce
roman autour d’Éthel, née dans une famille
mauricienne, fréquentée par des gens qui détestent
les Juifs. Éthel épousera un Juif anglais et découvrira
la déportation des Juifs.
Réunion chez Maryse Sicsu. Téléphonez-lui au
01.46.55.75.83 une semaine avant la réunion.

Mercredi 11 février 2009
Conférence-débat
13 rue du Cambodge 75020 Paris
Accueil 19 h 30 – Conférence 20 h

DU MONOTHÉISME
AU PEUPLE DU LIVRE
par Mireille Hadas-Lebel, historienne, professeur à
Paris IV

Mercredi 18 mars 2009
Conférence-débat
13 rue du Cambodge 75020 Paris
Accueil 19 h 30 – Conférence 20 h

MARRANES EN ITALIE
ET À AMSTERDAM
par Nicole Abravanel, historienne à l’Université
d’Amiens et Natalia Muchnik, maître de conférences
à l’EHESS
Appel aux cotisations
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la Lettre de L.D.J pour 5769 (septembre 2008 à août
2009). Envoyez-nous des dons. L.D.J. vit seulement de
vos contributions. Envoyez votre chèque à notre trésorière
Noémie Fischer, 119-119 bis rue d’Avron 75020 Paris.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L.D.J.
Doris Bensimon a présenté un bref rapport concernant les
activités de L.D.J. Elles sont bien fréquentées.
Un long débat s’engage après l’exposé du rapport financier
par notre trésorière, Noémie Fischer. Le coût du tirage et
surtout de l’envoi par La Poste a beaucoup augmenté.
Cette année, nous avons un déficit.
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Informez-nous si vous avez changé d’adresse ou si vous ne
voulez pas recevoir La Lettre de L.D.J.
Doris BENSIMON
Bureau de L .D. J.
Doris BENSIMON, présidente
Flora NOVODORSQUI, vice-présidente
Simone SIMON, secrétaire générale
Anna SARFATI, secrétaire générale adjointe
Noémie FISCHER, trésorière
Vous pouvez toujours contacter L. D. J. au 01 47 97 30 63

BERLIN ANNEES VINGT,
CARREFOUR DES IDENTITES JUIVES
La littérature de cette époque témoigne de la diversité des
voies empruntées de la construction de l’identité juive
moderne
Cycle de conférences par Irène Wekstein
mercredi 20 h à 22 h
21 janvier : Moyshé Kulbak, la modernité a un goût amer
4 février : Dovid Bergelson, l’esprit à l’Ouest, le cœur à
l’Est
4 mars :S.Y Agnon, Berlin en attendant Jérusalem
1er avril : Joseph Roth, L’Est comme mythe originel
6 mai : Alfred Doblin, la part de l’ombre de la modernité
Lieu : Maison de la culture yiddish - 18 passage Saint
Pierre Amelot -75011 Paris
Internet

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La Lettre de L.D.J./ Janvier-février 2009
Rédaction et administration
1 rue Pixérécourt 75020 Paris Tel.: 01 47 97 30 63
Directeur de la publication: Doris Bensimon
Comité de lecture: Doris Bensimon, Mireille Florent-Saül, Flora
Novodorsqui, Simone Simon
Dépôt légal à la parution ISSN 1145-084

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  • 1. Liberté du Judaïsme L a l e t tr e d e L. D . J . N° 98 Janvier-février 2009 Le numéro 2,50 La première association laïque et humaniste en France et dans la communauté juive (Le Monde, 4/3/1990) Siège social 1 rue Pixérécourt 75020 Paris 01 47 97 30 63 Sommaire Éditorial...................................................p. 1 Les langues du Juif..................................p. 1 Activités...................................................p. 6 ÉDITORIAL 2009 L.D.J vous souhaite une heureuse nouvelle année. Et au monde, nous souhaitons la Paix. Doris BENSIMON LES LANGUES DU JUIF Il y a une question que l'on pose souvent : quelle est au fond la "langue des Juifs" ? N'en ont-ils qu'une – ou plusieurs ? Qu'est-ce qui fait la spécificité de leur civilisation, si du moins ils en ont une, une seule, alors que l'opinion la plus générale affirme qu'une vraie civilisation s'édifie d'abord autour d'une seule langue qui en serait le pivot, un des signes les plus distinctifs. L'Antiquité Aux sources du peuple juif, au deuxième millénaire avant l'ère chrétienne, l'opinion admise est que nos ancêtres parlaient tous l'hébreu dit «biblique», ou tout au moins des dialectes sémitiques apparentés entre eux qui finirent par former une seule langue. Nous savons avec une assez grande certitude que cet hébreu fut la langue des royaumes d'Israël et de Judée (Yehouda), entre le 11ème et le 6ème siècles av. J.-C., dans les formes qui ont été conservées par le Tanakh, la Bible juive appelée «Ancien Testament» par les Chrétiens. Mais dès la fin de l'époque du Premier Temple (soit avant 586 av. J.-C.), la Bible elle-même témoigne que les Juifs connaissaient déjà – au moins parmi les élites – l'araméen, la langue diplomatique et commerciale déjà dominante au Moyen-Orient. Quand les Assyriens viennent assiéger Jérusalem, en -701, les envoyés du roi Ezéchias (Hezkiyahou) s'adressent à l'officier assyrien venu les menacer des foudres de son maître, Ravshaké : "Parlez araméen à vos serviteurs, parce que nous le comprenons, ne nous parlez pas en judéen" (II Rois, 18, 26). L'écrasement et la conquête du Royaume de Judée par les Babyloniens, en -586, sont précédés et suivis, comme on le sait, par la déportation en Mésopotamie d'une portion importante des élites dirigeantes, et un peu plus tard d'autres familles partent s'installer en Égypte. Pendant toute la période suivante, y compris la période perse (-538 à -332), l'araméen va effectivement jouer un rôle considérable, puisqu'il est la "lingua franca", la langue des rapports internationaux, politiques et commerciaux, dans toute cette partie du monde : c'est ainsi que dans la Bible, des passages importants des livres de Daniel et d'Esdras (Ezra), sont écrits en cette langue. Après -332 et la conquête de tout le Moyen-Orient par Alexandre le Grand, commence la "période hellénistique", durant laquelle le grec va commencer à se répandre : il coexistera tout d'abord avec l'araméen pendant plusieurs siècles, puis finira par le supplanter. À leur tour, les Juifs vont commencer à l'apprendre, puis à le pratiquer finalement à un très haut niveau : un certain nombre d'écrits juifs de l'époque seront rédigés soit en araméen, soit en grec. Alors vient la traduction de la Bible en grec dite des Septante, la première à transcrire le recueil sacré dans une langue vernaculaire – parce que la grande masse des Juifs qui vivent en dehors du pays ancestral, dans les royaumes hellénistiques, ne savent plus l'hébreu et pratiquent essentiellement le grec dans leur vie quotidienne. On va voir ainsi les 4 Livres des Maccabées, qui racontent la révolte des Hasmonéens, rédigés en grec, et on ne sait même pas s'il y eut un original en hébreu. Le grand philosophe juif Philon d'Alexandrie (13 av. J.C.- 54 ap. J.C.) écrit toute son œuvre en grec, et Flavius Josèphe, l'historien de la Grande Révolte de 67-70 a lui aussi utilisé le grec dans ses ouvrages, y compris quand il prend la défense des Juifs et se dit fier d'être un des leurs. 1
  • 2. Comme on le sait, de nombreux Juifs étaient dispersés de la Babylonie à l'Asie mineure et à la Cyrénaïque dès avant la Grande Révolte, et ce mouvement d'expansion-dispersion va s'accentuer après elle, et plus encore après l'échec du soulèvement de Bar Kokhba en 132-135 ap.J.-C. Comme la Judée se vide d'un grand nombre de ses habitants juifs – après 135 les Romains changent son nom de "Judea" en "Palestina", en quelque sorte pour punir les Juifs et les dissuader de se révolter encore une fois – la majorité du peuple juif vit dorénavant dans la Diaspora. À l'est, en Mésopotamie et en Perse, l'araméen reste prépondérant, ce que démontre le Talmud de Babylone (le Talmud de Jérusalem, rédigé en fait en Galilée et moins important, est en hébreu) où il est largement représenté. Sur le pourtour de la Méditerranée orientale, le grec va dominer encore quelques siècles ; on en a des preuves notamment dans les comptes rendus de Saint Paul (qui était d'origine juive) sur son activité pour répandre le christianisme dans cette région du monde. Et dans la partie occidentale de l'empire romain, les Juifs ont certainement pratiqué le latin dans la vie quotidienne des rapports avec les "gentils", mais ils conservent l'hébreu et même l'araméen comme langues identitaires, dans la religion et les événements du calendrier. Le Moyen Âge Un nouveau bouleversement linguistique, d'une importance capitale, va se produire après l'apparition de l'Islam et l'expansion de l'empire arabe, à partir de 636. En quelques générations, jusque vers 730 – avant la fameuse "Bataille de Poitiers" (732) si connue des Français – la majorité des Juifs qui vivaient alors vont se retrouver dans une aire culturelle où la langue arabe domine et supplante la majorité des langues antérieures (sauf en Perse et dans des parties islamisées de l'Asie centrale situées au nord de cette dernière). Dès le 8ème siècle, les Juifs de ce vaste empire vont pratiquer l'arabe, et alors que cette langue s'enrichit et se complexifie, les Juifs l'adopteront comme langue du quotidien aussi bien que de la pratique scientifique, en médecine notamment, ou de la pensée spéculative. Nous avons une liste très longue de lettrés et savants juifs qui ont écrit des œuvres en arabe – bien que l'hébreu ait été préservé malgré tout, mais uniquement chez les rabbins et une minorité de lettrés, quoique non des moindres (Yehouda Halévi, Salomon Ibn Gabirol et d'autres). C'est vrai surtout de l'Âge d'Or de l'Espagne médiévale : Maïmonide, ou Rambam (Rabbi Moshé ben Maïmon, 1138-1204), a rédigé toutes ses grandes œuvres religieuses et philosophiques en arabe – à l'exception d'une seule, le "Mishné Torah", ou "Yad Hahazaka", écrit en hébreu. La majorité des Juifs qui vivaient au 12ème siècle, à condition de savoir lire, étaient en mesure d'aborder ces textes, sinon de les comprendre. Mais comme les Ashkénazes, alors minoritaires au sein du peuple juif, ne lisaient pas l'arabe, le Rambam accepta la traduction de ses écrits en hébreu par la famille des Ibn Tibon, d'origine espagnole mais qui vivaient à l'époque en Provence. Au fond, nous voyons que l'hébreu est quand même à l'époque la seule langue dans laquelle les Juifs peuvent communiquer entre eux à travers le monde connu. Un phénomène nouveau va se produire au 13ème siècle en Espagne, après l'effondrement de la prédominance arabe à la bataille de Las Navas de Tolosa (1212) : la grande majorité de la péninsule ibérique est sous domination chrétienne, les langues latines – castillan, catalan, portugais – y reprennent le dessus et les Juifs vont les pratiquer. Finalement, quand ils sont expulsés d'Espagne en grand nombre (200.000 ?) en 1492, ils emportent avec eux une langue issue du vieux castillan, le judéo-espagnol. C'est elle, improprement appelée ladino (laquelle serait selon les spécialistes une langue différente, savante et artificielle) aux dires des linguistes, qui va subsister chez les Sépharades contraints d'essaimer sur le pourtour méditerranéen, du Maroc jusque dans l'Empire Ottoman, et aussi sur la façade atlantique de l'Europe et même dans le Nouveau Monde. Elle va servir à la fois de langue de la vie familiale et du commerce international entre les Juifs, jusqu'au 20ème siècle, conservant à ce jour le nom de spaniolit. Mais de nos jours, elle est en recul. Même si l'on peut estimer que quelques centaines de milliers de personnes la connaissent, le nombre des jeunes qui la pratiquent diminue, elle est surtout une langue des "anciens" menacée d'extinction. En France, on va déceler une influence des parlers français du Bas Moyen Âge sur les Juifs, de différentes manières : dans les écrits de Rachi (1040-1105), on a décelé au moins un millier de gloses qui mentionnent des termes champenois de l'époque, destinées à rendre le texte explicite au lecteur juif du Royaume de France. Un rabbin de Touraine, Florus de Tour, verra son nom traduit plus tard sous la forme araméenne d' "Ashtorei haparkhei". Mais tout un pan de l'histoire littéraire des Juifs de la France médiévale va disparaître avec l'expulsion "définitive" des Juifs, en 1386. Ce qui n'empêchera pas qu'ils conservent assez longtemps une liturgie et des réminiscences françaises dans les lieux de leur réinstallation, par exemple en Italie du Nord. Les Temps modernes Parallèlement à ce qui se passait dans la péninsule ibérique (et dans le midi de la France), les Juifs vivant dans la vallée du Rhin et à l'est de ce fleuve vont apprendre et pratiquer de plus en plus, après l'An Mille, l'ancien haut allemand, dont va dériver le dialecte spécifique des Juifs ashkénazes, le yiddish. En fait, il s'agit d'une vraie famille de dialectes, inspirés à 70 % des parlers allemands divers, avec près de 20 % de mots d'origine hébraïque. Comme les Juifs se répandent de plus en plus vers l'est de l'Europe, essaimant principalement de l'aire culturelle germanique, c'est la langue qu'ils vont emporter avec eux dans cette
  • 3. expansion, elle va s'enrichir et s'étoffer, pour atteindre son apogée au 19ème siècle et au début du 20ème. C'est à cette époque que le yiddish va être codifié et organisé, pour devenir une véritable langue de culture avec sa littérature, ses journaux, ses chercheurs, ses intellectuels... Le centre principal de ce travail était situé en Lituanie, mais il se faisait également en Pologne, en Ukraine, aux États-Unis et même ailleurs. En conséquence de l'accroissement démographique vertigineux des Ashkénazes depuis 1800 – ils vont passer de 1 million à 12 millions environ en 1939 – les deux tiers du peuple juif savaient le yiddish dans les années 1930, même si en majorité, ils pratiquaient parallèlement la langue principale du pays où ils vivaient, et parfois deux. La Shoah de 1939-45, on le sait, a porté un coup terrible à la langue yiddish : la liquidation de 6 millions de Juifs d'Europe a entraîné la disparition de 60 % des locuteurs de cette langue ! À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il restait trois foyers principaux du yiddish : les États-Unis – l'Union Soviétique – et Israël. Aux États-Unis, la deuxième et la troisième génération de Juifs ashkénazes cessent de pratiquer le yiddish ou ne le savent plus (excepté chez les ultra-orthodoxes), passant massivement à l'américain. En URSS, une persécution violente s'est abattue après 1945 sur les Juifs et sur les intellectuels yiddishisants, dans le but d'effacer tout nationalisme juif visible, ce qui a eu pour conséquence d'imposer aux Juifs une assimilation forcée à la culture russe dominante – ce dont on voit bien les effets aujourd'hui. Et en Israël, l'idéologie sioniste qui dès l'origine dépréciait le yiddish et le rabaissait au rang de "jargon", a réussi avec le temps à le faire reculer de manière sensible : aujourd'hui, il n'est pratiqué de manière vivante, principalement, que dans les milieux ultra-orthodoxes, qui considèrent l'hébreu comme une "langue sacrée" impropre à la vie de tous les jours. En dépit de cela, il y aurait encore dans le monde entre 1,5 et 2 millions de locuteurs du yiddish, dispersés aussi en dehors des grands foyers rappelés ci-dessus. On constate aussi un certain regain d'intérêt pour lui, chez une partie de la jeune génération qui veut "renouer les liens" avec un passé qui n'est pas si lointain que cela, et renferme d'inestimables richesses. D'ailleurs, on constate un réveil semblable chez des jeunes dont les parents ou les grands-parents parlaient le judéoespagnol, le judéo-marocain... Eux aussi manifestent le désir de renouer avec l'héritage linguistique de leurs grands-parents et arrière-grands-parents. Les langues juives "étrangères" Pour les Juifs, l'Époque contemporaine, surtout après la Révolution Française, a été à la source d'un autre phénomène : le passage d'un grand nombre de Juifs aux langues nationales des pays où ils vivaient. Cette fois, l’émancipation venant après 1789 crée une nouvelle donne : les Juifs sont invités à devenir publiquement des "citoyens comme les autres", c'est-àdire à s'exprimer dans la même langue que tout le monde – leur vie religieuse et cultuelle étant désormais clairement séparée de la vie quotidienne. C'est l'assimilation, ou du moins son début. Tout va changer : tous les Juifs français sont appelés à parler français – en mettant de côté le judéo-alsacien, le ladino ou les autres "jargons" ! En Allemagne et en Autriche, le Juif doit parler allemand ; en Pologne, ce sera le polonais. Le mouvement s'étendra aux Pays-Bas, à la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce … – sans oublier la Grande-Bretagne. Être un "patriote" signifie parler la langue du pays, comme tous ses voisins. Aux ÉtatsUnis, État fédéral fondé sur d'autres bases qu'en Europe, le Juif n'en est pas moins invité à passer à l’angloaméricain pour être là aussi un citoyen à part entière. Et comme la Diaspora juive s'étend progressivement au monde entier, les Juifs vont parler anglais au Canada, en Afrique du Sud, en Australie, à Gibraltar… Ils parleront espagnol en Argentine, au Mexique, au Chili, à Cuba, etc. Et portugais au Brésil. Comme nous l'avons déjà dit plus haut, les Juifs de l'URSS vont finir par devenir tous russophones. Et même dans les pays arabes, on va constater au 20ème siècle l'apparition de "Juifs patriotes" irakiens ou marocains, notamment, qui vont pratiquer au premier chef la langue du pays tout en militant pour des causes "patriotiques", souvent dans un parti communiste. Ce nouveau passage des Juifs à d'autres langues, qui jusqu'à présent leur étaient plutôt "étrangères" parce que pas assez proches d'eux, va avoir des répercussions considérables. En premier lieu, il accompagne la laïcisation de la majorité du peuple juif, ce qui n'est absolument pas un hasard. Chez les États modernes nationaux, il y a en effet un fond laïque inhérent qui va souvent entrer en collision avec les fondements religieux traditionnels – parce qu'il vient en fait les transcender (c'est une autre histoire, et nous n'en traiterons pas ici). Pour les Juifs, cela va se traduire par leur irruption en masse dans des domaines de créativité et d'action fréquemment liés à la langue et à la culture ambiantes : la littérature, la philosophie, les sciences sociales et humaines, les sciences exactes, la médecine, le droit, le journalisme, les arts plastiques, le théâtre et le cinéma, et bien d'autres encore ! Sans oublier d'ailleurs l'industrie, la banque, la politique et la diplomatie, ou même la carrière militaire, où ils pénètrent avec le temps. Dans toutes ces pratiques, les Juifs ont besoin à un degré ou un autre de manier en premier lieu la langue du pays où ils vivent. Mais ce qui nous intéresse ici par-dessus tout, c'est la langue écrite, celle qui est gravée et laisse des traces certaines pour la postérité. Dès la seconde moitié du 18ème siècle, l'allemand va devenir une langue de prédilection des Juifs d'Allemagne et d'Europe centrale : cela commence avec le "pionnier" des "lumières juives", Moses Mendelssohn (1729-1786), à la fois
  • 4. porte-parole de la religion juive et du peuple juif, et continue avec de nombreux écrivains et penseurs comme Heinrich Heine, Ludwig Börne, Sigmund Freud, Martin Buber, Franz Kafka, Stefan Zweig, Arnold Zweig, Lion Feuchtwanger, Hermann Cohen, Franz Rosenzweig, Walter Benjamin, Franz Werfel, Arthur Schnitzler, Jakob Wassermann, Joseph Roth, Nelly Sachs, Elias Canetti, Paul Celan – et cette liste est loin d'être exhaustive. On le voit, tous n'étaient pas natifs d'Allemagne, certains étaient autrichiens, tchèques (Kafka), bulgares (Canetti)... Une autre branche de la littérature juive s'est développée dans les pays anglophones, au 20ème siècle principalement. On trouve des auteurs anglais, américains, sud-africains et autres, comme Arthur Koestler, Bernard Malamud, Saul Bellow, Philip Roth, Jerome Charyn, Cynthia Ozick, Harold Pinter, Arthur Miller, Joseph Heller, Chaïm Potock, Grace Paley, Israel Zangwill, Nadine Gordimer, Paul Auster, Harlen Coban, Mordecai Richler, etc. Plusieurs d'entre eux ont été couronnés du prix Nobel de Littérature. Et même Benjamin Disraeli, avant de devenir Premier ministre britannique, était un écrivain talentueux. La langue française aussi a été illustrée par de nombreux auteurs juifs, à partir du 19ème siècle, tels : Catulle-Mendès, Henri Bernstein, Edmond Fleg, JeanRichard Bloch, André Spire, Henri Bergson, Max Jacob, André Maurois, Joseph Kessel, Elian-Joseph Finbert, Patrick Modiano, Irène Némirowski, Romain Gary, Roger Ikor, Albert Cohen, Edmond Jabès, Nathalie Sarraute, Albert Memmi, Georges Perec, Benjamin Fondane, Arnold Mandel, André SchwartzBart, Isidore Isou, Tristan Tzara, Ghérasim Luca – et bien d'autres encore. Certains n'étaient pas forcément nés en France, loin de là, ils venaient de divers horizons. Il y a aussi des Canadiens (Naïm Katan), des Belges, etc. Notre liste n'est absolument pas exhaustive et ne prétend pas l'être. Et il y a eu aussi des écrivains juifs de langue hongroise (Imre Kertész, George Tabori, Karoly Pap, Andras Komor, etc.), espagnole, italienne – comme Primo Levi -, polonaise, russe (Iliya Ehrenbourg, Vassili Grossman, Peretz Markish, ), roumaine (Mihaïl Sebastian, I. Voronca, Nina Cassian, Andrei Fischof, A. Mirodan), portugaise (le brésilien Moacyr Scliar), et quelques autres encore. Mais nous n'aspirons pas ici à épuiser le sujet. Du yiddish à l'hébreu moderne On ne saurait parler des "langues du Juif" sans souligner la grande prospérité du yiddish aux 19ème et au 20ème siècles. Il ne s'agit plus seulement d'une langue parlée, très variable et malléable, telle qu'elle a dominé du 11ème au 18ème siècles. Cette langue va être codifiée à l'instar des langues européennes, elle va devenir une langue écrite "normalisée", grâce notamment aux travaux du grand centre lituanien dès le 19ème siècle. Une quantité considérable de journaux, bulletins, chroniques et autres écrits périodiques seront rédigés en yiddish. Ce qui frappe par-dessus tout, c'est la multiplication de la production littéraire – prose et poésie. La consécration viendra avec l'octroi du prix Nobel de Littérature à Isaac Bashevis-Singer, en 1978 – mais le jury ne pouvait le connaître qu'à travers ses traductions en anglais. Et dans la foulée du florilège de l'époque contemporaine, nous avons la renaissance de l'hébreu, amorcée dès la fin du 18ème et le début du 19ème siècles avec l'apparition du mouvement de la Haskala – les "lumières juives". Les promoteurs de cette renaissance affirment dès le départ que l'accession des Juifs à la conception "moderne" de peuple, un parmi les autres, implique nécessairement la résurrection, le renouveau de sa langue ancestrale. Les autres langues qu'il pratique sont seulement "empruntées", elles ne peuvent exprimer sa spécificité, sa différence. Il y a d'abord la langue des "maskilim", cette élite juive éclairée et éduquée qui doit montrer la voie au peuple, lui ouvrir la route. Vient Eliezer-Ben Yehouda à la fin du 19ème siècle, qui tourne le dos au mouvement des narodniki russes nationalistes où il a milité quelque temps, pour prôner l'hébreu comme langue "nationale", en Eretz Israël par surcroît, que les enfants doivent apprendre depuis le berceau – donc comme leur première langue. On sait que mise en pratique avec persévérance, et parfois avec une pointe de fanatisme, par le Sionisme, cette idée-phare a abouti à une population de près de 7 millions de locuteurs de l'hébreu, et pas seulement en Israël. Puis à une abondante littérature, une création linguistique et langagière énorme, des écrivains et des poètes traduits aujourd'hui dans beaucoup d'autres langues à travers le monde – et au Prix Nobel de Littérature Shmouel Yossef Agnon. Selon tous les signes, cette aventure nous promet encore une belle prospérité. Y a-t-il plusieurs "langues juives" ? Après ce tour d'horizon, on est en droit de se demander : combien y a-t-il de "langues juives", et combien de langues méritent-elles d'être qualifiées ainsi ? Doit-on dire que seules les langues exclusives pratiquées par les Juifs entrent dans cette catégorie : l'hébreu biblique, le judéo-espagnol, le yiddish, le judéo-arabe – avec toute leurs variantes dialectales, d'ailleurs. Ou bien faut-il inclure également les autres langues nombreuses dans lesquelles les Juifs ont écrit et créé, souvent des œuvres spécifiquement juives – théologiques, morales, philosophiques, historiques ? Voilà une question qui me semble très importante et instructive. On remarque en effet qu'il y a eu un incessant vaet-vient, si ce n'est même une alternance, entre les langues spécifiquement juives et les langues véhiculaires, dominantes de l'environnement. En passant de l'hébreu à l'araméen, puis au grec, et finalement au latin, en les ajoutant la plupart du temps,
  • 5. les Juifs sortent de leur cercle étroit et s'ouvrent sur le monde extérieur – ce qui va leur donner à la longue une influence qu'ils n'avaient sans doute jamais imaginée ni recherchée. De leur implication à la fois historique et linguistique dans le monde des pourtours de la Méditerranée, à la fin de l'Antiquité, va naître le christianisme, religion fille du judaïsme, religionmonde qui pousse plus loin les caractères universels déjà en germe dans celui-ci. On n'en est plus aux Hébreux à peine connus des peuples voisins vers la fin du deuxième millénaire av. J.-C. La Bible sous ses deux "testaments" va devenir un pilier de la culture universelle, promis à un avenir immense et une grande postérité. Un repli des Juifs "vers l'intérieur" s'est produit, c'est notoire, après la destruction du Second Temple et les autres révoltes, après la dislocation aussi de l'Empire romain. Mais en Orient, en Mésopotamie, le Talmud de Babylone rédigé en hébreu et surtout en araméen (de 400 à 500 ap. J.-C.) est imprégné d'influences extérieures, à la fois au niveau linguistique et à celui des contenus. Dès le 6ème siècle av. J.-C., l'hébreu avait commencé à absorber des mots empruntés à l'araméen, au persan (dat, paradis!), au grec, après quoi viendra aussi le latin. N'est-il pas significatif que la plus haute institution juive de la fin de l'époque du Second Temple, le sanhédrin, porte un nom d'origine grecque, sunedrion ? Et ce n'est pas le seul terme d'origine grecque ou latine, loin de là. Ce qui est donc frappant dans l'histoire linguistique du peuple juif, c'est ce constant aller et retour entre ses langues particulières (particularistes si vous voulez), qui n'appartiennent qu'à lui seul, et les langues-monde de large extension, langues de culturesempires qui embrassent de nombreux peuples et peuplades. À partir de la création de l'Empire arabe, nous l'avons déjà dit, après 638 et surtout du 8ème au 13ème siècles, la majorité des Juifs vont baigner dans un environnement arabophone où ils vont s'insérer, le sommet étant atteint à l'"Age d'or" de l'Espagne musulmane, du 9ème au 11ème siècles – comme déjà rapporté plus haut. Les Juifs de ce pays passant ensuite en majorité sous la domination chrétienne, l'espagnol de cette époque va devenir leur langue. Plus au nord, c'est l'allemand qui va être à la source du yiddish. Et aux Temps modernes, les Juifs qui voudront sortir de ghettos et des autres enfermements auxquels ils avaient été contraints pendant quelques siècles vont commencer à pratiquer toutes les langues européennes que nous avons déjà énumérées. Au 19ème siècle, ils se tourneront de plus en plus vers les langues d'un grand poids international – commercial, politique, impérial, culturel – comme l'anglais, l'allemand ou le français. En ce début du 21ème siècle, nous voilà en présence d'un paysage linguistique sans précédent, où la moitié du peuple juif est anglophone : les Juifs des États-Unis, de Grande-Bretagne, d'Australie, du Canada (en majorité), d'Afrique du Sud et dans quelques autres communautés plus petites. Comme près de 40 % des Juifs vivent aujourd'hui en Israël, l'hébreu est redevenu la langue nationale et particulière des Juifs. La vieille partition entre le "Juif particulariste" et le "Juif universel" connaît ainsi un nouvel avatar. D'une manière étrange et protéiforme, la condition juive continue d'être ouverte et fermée simultanément: le dieu romain Janus avait deux faces, l'une tournée vers la paix, l'autre vers la guerre ; à travers la langue aussi, le Juif a effectivement deux faces : l'une tournée vers le particulier, vers la différenciation, vers l'intérieur – l'autre vers l’universel, le général, vers l'extérieur. N'est-il pas étrange, ou significatif, que le premier et plus grand compilateur des histoires et récits populaires allemands était Berthold Auerbach, un écrivain juif très connu et populaire au 19ème siècle, en son temps comparé aux frères Grimm mais presque oublié de nos jours? N'avons-nous pas le créateur de la figure combien emblématique, française et "gauloise", d'Astérix – René Goscinny, aux origines juives polonaises ? Simples exemples. Finissons sur des questions Reste une question non négligeable qui se pose à nous : est-ce qu'au travers de ce multilinguisme plurimillénaire, il existe une unité de fond réelle de cet héritage ? Le Juif a-t-il dit des choses semblables, conséquentes, apparentées entre elles – dans toutes ces langues ? Que dirait Arnold Toynbee, qui a parlé de "civilisation juive" dans A Study of History ? Il avait mis l'accent sur le contenu religieux et théologique de cette civilisation, mais beaucoup ont contesté son analyse, allant jusqu'à l'accuser d'antisémitisme. À notre avis, ce n'est pas le seul aspect, le seul vecteur de la continuité juive, mais nous ne contesterons pas que ce n'est pas l'un des moindres. Or la religion juive a connu elle-même une longue évolution, et autour d'un noyau originel constant se sont accumulées des couches successives ou concurrentes aux origines diverses. Les Juifs qui ont manié les diverses langues que nous avons évoquées sont tantôt restés proches du noyau, tantôt s'en sont éloignés à des degrés plus ou moins grands. Voilà un champ qui demande à être exploré, documenté, analysé et discuté. Une tâche immense, un projet à promouvoir que nous suggérons – mais ce n'est pas ici le lieu de discussion approprié. Les langues du Juif sont-elles une aria à plusieurs voix, qui coule dans un seul lit – ou une cantate à l'unisson où la pluralité des voix se glisse dans plusieurs sillons parallèles ? Or le Juif – autrement dit les Juifs – a tant de choses à dire, il est intarissable ! Et si nous avons parlé ici des "langues du Juif", c'était précisément pour mettre l'accent sur cette "unité dans la diversité" qui est propre à l'Histoire juive, sur le Juif aux multiples facettes qui en est l'acteur. Le débat est seulement ouvert. Yaïr BIRAN
  • 6. ACTIVITÉS DE L.D.J Mercredi 14 janvier 2009 Conférence-débat 13 rue du Cambodge 75020 Paris Accueil 19 h 30 – Conférence 20 h DE L’HÉBREU LANGUE VIVANTE À LA CRÉATION DE L’ÉTAT D’ISRAËL par Doris Bensimon, sociologue Dimanche 18 janvier 2009 - 16h Vidéo ISRAËL, REGARDS CROISÉS présenté par Alain Penso, réalisateur de ce film Réunion chez Doris Bensimon. Téléphonez-lui au 01.47.97.30.63 une semaine avant la réunion. Dimanche 25 janvier 2009 - 16h Cercle de lecture J.M.G. Le Clézio, Ritournelle de la faim, Paris, Gallimard, 2008, 205 p. L’auteur, prix Nobel de Littérature, construit ce roman autour d’Éthel, née dans une famille mauricienne, fréquentée par des gens qui détestent les Juifs. Éthel épousera un Juif anglais et découvrira la déportation des Juifs. Réunion chez Maryse Sicsu. Téléphonez-lui au 01.46.55.75.83 une semaine avant la réunion. Mercredi 11 février 2009 Conférence-débat 13 rue du Cambodge 75020 Paris Accueil 19 h 30 – Conférence 20 h DU MONOTHÉISME AU PEUPLE DU LIVRE par Mireille Hadas-Lebel, historienne, professeur à Paris IV Mercredi 18 mars 2009 Conférence-débat 13 rue du Cambodge 75020 Paris Accueil 19 h 30 – Conférence 20 h MARRANES EN ITALIE ET À AMSTERDAM par Nicole Abravanel, historienne à l’Université d’Amiens et Natalia Muchnik, maître de conférences à l’EHESS Appel aux cotisations Réglez rapidement votre cotisation ou votre abonnement à la Lettre de L.D.J pour 5769 (septembre 2008 à août 2009). Envoyez-nous des dons. L.D.J. vit seulement de vos contributions. Envoyez votre chèque à notre trésorière Noémie Fischer, 119-119 bis rue d’Avron 75020 Paris. ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L.D.J. Doris Bensimon a présenté un bref rapport concernant les activités de L.D.J. Elles sont bien fréquentées. Un long débat s’engage après l’exposé du rapport financier par notre trésorière, Noémie Fischer. Le coût du tirage et surtout de l’envoi par La Poste a beaucoup augmenté. Cette année, nous avons un déficit. Aussi nous vous demandons de payer votre cotisation ou votre abonnement. Vos dons peuvent nous aider. Informez-nous si vous avez changé d’adresse ou si vous ne voulez pas recevoir La Lettre de L.D.J. Doris BENSIMON Bureau de L .D. J. Doris BENSIMON, présidente Flora NOVODORSQUI, vice-présidente Simone SIMON, secrétaire générale Anna SARFATI, secrétaire générale adjointe Noémie FISCHER, trésorière Vous pouvez toujours contacter L. D. J. au 01 47 97 30 63 BERLIN ANNEES VINGT, CARREFOUR DES IDENTITES JUIVES La littérature de cette époque témoigne de la diversité des voies empruntées de la construction de l’identité juive moderne Cycle de conférences par Irène Wekstein mercredi 20 h à 22 h 21 janvier : Moyshé Kulbak, la modernité a un goût amer 4 février : Dovid Bergelson, l’esprit à l’Ouest, le cœur à l’Est 4 mars :S.Y Agnon, Berlin en attendant Jérusalem 1er avril : Joseph Roth, L’Est comme mythe originel 6 mai : Alfred Doblin, la part de l’ombre de la modernité Lieu : Maison de la culture yiddish - 18 passage Saint Pierre Amelot -75011 Paris Internet Internautes rejoignez-nous www.col.fr/ldj/ E-mail ldj@col.f Participez aux débats - lançez vos idées UNE QUESTION - Voulez-vous recevoir LA LETTRE DE L.D.J. par Internet ? Si oui, envoyez un mail à ldj@col.fr La Lettre de L.D.J./ Janvier-février 2009 Rédaction et administration 1 rue Pixérécourt 75020 Paris Tel.: 01 47 97 30 63 Directeur de la publication: Doris Bensimon Comité de lecture: Doris Bensimon, Mireille Florent-Saül, Flora Novodorsqui, Simone Simon Dépôt légal à la parution ISSN 1145-084