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L'OMERCHAT
CHAT PITRE I
PHILIPPE
Je suis un génie, je suis plus intelligent que tous les autres
de mon espèce, il faut bien dire... que je suis un peu spécial,
unique en mon genre. Comme je le dis souvent, la vraie
intelligence se reflète dans la paresse. Je suis fainéant, est-ce que
cela veut dire que je suis plus intelligent ? Évidemment ! Je me
lève délicatement du canapé, m'étire, et me gratte énergiquement
une oreille. Je baille en pensant : qu'est-ce que tout ceci peut être
ennuyeux... en tant qu'être supérieur et intouchable, je ne peux
me laisser atteindre par tous les petits tracas du quotidien. Je vois
passer deux hommes, ils poussent la porte avec fracas, ils
retiennent en otage un autre homme et le traînent alors que celui-
ci proteste énergiquement. Ce que je peux m'en foutre... c'est
dingue... et tout le monde devrait faire comme moi. Je passe le
plus clair de mon temps à observer ce qui m'entoure, je vois tout.
Rien n'échappe à mon œil prudent. Je ris de tout également.
Puisque tout n'est qu'absurdité, il n'y a aucune raison de s'en
faire, pour rien au monde il ne faut pleurer. J'ai déjà assisté à des
fins tragiques, toutes plus injustes les unes que les autres, mais je
me contente en tant que demi-divinité que je suis d'uniquement
penser à moi et à mon petit nombril. Égoïste ? Évidemment !
Mais la flatterie ne m'atteint pas et je ne peux pas rougir.
Méchant ? Bien entendu ! Bien que j'emploierais plutôt le
terme : « je m'en foutiste ». Parfois, je me demande ce qui peut
bien pousser les gens à se soucier les uns des autres. L'empathie ?
Connais pas, ça se mange ? Pour exemple, soyons clairs là-
dessus immédiatement, la première fois que j'ai assisté à une
exécution, il s'agissait là d'une nouvelle lubie cruelle de mon
maître, à savoir : remettre en activité la guillotine. Horrible ? Pas
tant que ça ! Nous étions dans le garage, je venais de me poser
droit comme un lion sur le capot de la voiture en attendant le
moment fatidique où la tête allait tomber. Le pauvre Paul est
arrivé, suivi de mon patron, il lui a fait poser la tête sur un billot,
et la, il la lui a coupé froidement à l'aide d'une hache affûtée.
Dégoûtant ? Oui sans doute, mais uniquement si vous avez
mangé de la tartiflette avant. Cependant, j'étais déçu de ne pas
avoir droit au spectacle époustouflant d'une VRAIE guillotine.
Une fois la tête tombée dans le panier, plusieurs réactions
s'offraient à moi devant cette vision pleine d'hémoglobine. Et
vous, quelle aurait été votre réaction ? Je vais vous demander de
bien vouloir cocher avant de continuer. UNE SEULE réponse est
possible.
□ 1) Oh mon dieu, c'est atroce il y a du sang partout, je
vais m'évanouir au secours.
□ 2) Quelle tristesse... tant de cruauté... mes
condoléances à sa famille, à ses amis et à son chien.
□ 3) Et alors ? C'est pas ma tête !
Pour tous ceux qui auraient coché la réponse numéro une,
sachez que vous me dégoûtez, tout ce sang sort de son corps
comme il pourrait sortir du vôtre si on vous décapitait, il n'y a
rien de plus naturel, on ne vous a rien appris à l'école ? Vous êtes
vraiment de petites natures ! Suivez un peu vos cours de
biologie...
Pour tous ceux qui auraient coché la réponse numéro deux,
sachez que vous aussi, vous me dégoûtez, vous ne saviez pas
quelle ordure de la pire espèce il était. Et en plus, il n'avait pas de
famille, ses amis s'en remettrons, et tout le monde se fiche de son
chien ! Vous êtes trop sensibles, faites un effort, vous faites partie
de la SPA ou quoi ?
Pour tous ceux qui auraient coché la réponse numéro trois
sachez qu'encore une fois vous me dégoûtez, mais quoi qu'il en
soit je me dégoûte aussi parfois dans ma manière de penser alors
comment vous en vouloir ? En lisant le récit que je m'apprête à
vous conter, vous devez absolument prendre un recul certain sur
les choses et ne jamais, JAMAIS vous mettre à la place du mort,
mais vous contenter d'être heureux de ne PAS être ce mort. Soyez
satisfaits de ce que vous n'avez pas — en l’occurrence, la tête
coupée — et contentez-vous de ce que vous avez — en
l'occurrence, une tête sur les épaules, c'est pas génial ? C'est dans
cet état d'esprit que vous devez être, votre point de vue doit être
celui d'une personne égoïste qui regarde d'un air amusé les
malheurs des autres n'en déplaise aux bonnes mœurs, ne vous
mettez en aucun cas à la place de la victime, car vous ne le serez
pas. Vous, vous lisez tranquillement un livre et dans la majorité
des cas il est fort peu probable qu'une personne s'introduise chez
vous pour vous décapiter — si vous en doutez, je vous conseille
de déménager au plus vite. Maintenant vous vous demandez
sûrement qui je suis, ou plutôt, ce que je suis pour être aussi
politiquement incorrect, déplacé, grossier et cruel, la réponse est
évidente : un chat. Entrez maintenant si vous le voulez bien dans
mon quotidien, dans ma vie, et dans ma manière de penser, aussi
bouleversant que cela puisse être pour vous, petits humains.
La vie de chat, quelle belle vie, certaines mauvaises langues
peuvent penser que cela consiste uniquement à manger, dormir,
s'accoupler et manger, dormir, s'accoupler, puis aussi manger
dormir et s'accoupler...
Et ces mauvaises langues auraient raisons, mais pourquoi
en parler de manière si négative puisque toutes ces choses sont si
plaisantes ? Vous êtes juste jaloux. Jaloux de nous.
Néanmoins, ma vie est un peu spéciale, je ne suis pas un
chat ordinaire, je suis un peu au-dessus comme... la race des
seigneurs. Je ne suis fils de rien, je ne me souviens pas de mon
passé, et je ne vois pas le futur dans les bols de lait. Alors, je me
contente de mon présent des plus tordants. Mon nom est Fripon,
c'est ridicule n'est-ce pas ? C'est mon maître qui me l'a donné.
Parlons un peu de lui, c'est un mafieux, et de la pire espèce en
plus. Il dirige sa propre société d'import export de cocaïne, ou
plutôt, à l'entendre parler, de « farine ». Mais ne vous fiez pas à
l'habile métaphore de ce finaud, il s'agit bien là de cocaïne, sans
quoi l'entrepôt serait une véritable boulangerie. Il faut savoir qu'il
est très coûteux de faire de petits gâteaux avec ce genre de farine,
mais dans un anniversaire d'enfants cela reste le meilleur moyen
de faire passer une bonne après-midi aux chérubins au détriment
de ce pauvre clown qui risque d'en prendre pour son grade. Mais
revenons un peu à mon maître. Soyons honnêtes, il est idiot. Je
ne sais ni comment, ni pourquoi il est aujourd'hui dans ce trafic
ni comment il a réussi à s'y faire un nom, mais nous voilà devant
le fait accompli, c'est un des chefs de la mafia les plus influents
du monde. En public, il se fait modestement appeler Caïd. Alors
que tout le monde sait qu'à la maison, c'est moi qui commande,
JE suis le chef. Un peu de pâtée ? Je miaule ! Un câlin ? Je me
frotte. Et même après une bêtise abominable — comme pisser sur
le tapis ou déchirer les rideaux — je n'ai qu'à faire mes yeux de
chat battu et ça passe comme une lettre à la poste. Il me prend
dans ses bras, et fait nettoyer sa bonne pendant que je me moque
d'elle avec un petit rictus bien à moi. Un rictus félin et sournois.
En somme, je suis vraiment diabolique, ingrat, moqueur,
méchant, et je l'assume. Je le revendique même ! Mais qui ne
rêverait pas de l'être ? Pendant les pages qui vont suivre vous
allez m'accompagner au travers de mon aventure incongrue à
mener une vie de prince, une vie de chat.
« Insoupçonné, intouchable, orgueilleux, bienvenus dans
ma vie. »
Il me caresse, je frémis en me tortillant, je courbe un peu le
dos. Je pense : oh ce que c'est bon quand il met sa main à cet
endroit. Maintenant il me grattouille, c'est divin. Je ne prête
même plus attention aux élévations de voix autour de moi. Je suis
si bien. Je fonds dans une vague de plaisir intense lorsqu'il passe
sa main sur mon ventre doux. Nous sommes tous deux assis, lui
sur son énorme fauteuil de cuir marron derrière son grand bureau
de bois vernis. Et moi, sur ses genoux moelleux. Je me sens un
tantinet supérieur à cette place. Je balaye du regard les trois
hommes devant moi, ils semblent accablés et mon patron
commence de sa voix douce.
— Alors, c'est lui qui a voulu me doubler ? Il faut vraiment
qu'il arrête avec ce faux accent italien, il pense sans doute que
parce qu'il traîne dans ce genre de trafic il doit devenir « le
parrain » ? Tout le monde sait bien que son père était picard et
que Caïd a passé sa vie en Franche-Comté. Il s'adresse à une des
personnes devant nous, mais je ne sais pas à laquelle.
Probablement à celui qui est assis sur une chaise entre deux
énormes gaillards qui lui tiennent chacun une épaule. Il veut
répondre, il est paniqué, mais un chiffon bloque sa bouche et tout
ce qu'il tente de prononcer est incompréhensible.
Devant cette pitoyable tentative, l'homme de gauche prend
la parole :
— Oui patron, nous avons trouvé les preuves de la vente
chez lui. À ces mots, le prisonnier se débat et fait de gros yeux de
supplication à mon maître, comme s'il voulait le convaincre de
son innocence seulement par le regard. Je sens que ça va
chauffer. Je me lève doucement, m'étire, puis je me lance dans
l'exploration du monde d'en dessous en sautant directement des
genoux de mon patron. J'atterris avec agilité sur la rainure en bois
qui relie d'un bout à l'autre le bureau. De là, je vois tout,
j’observe avec attention le tic nerveux de l'homme assis, il agite
sa jambe et tape du pied sur le sol. Je n'avais pas remarqué avant
que ses mains sont solidement attachées à la chaise. Ces gens,
chez qui je vis, ne sont pas comme les autres. J'ai eu beau faire
ma petite enquête moi-même, du haut de mes deux ans, je suis
presque sûr qu'ils font partie d'une société secrète un peu à part.
Ils sont toujours habillés avec de magnifiques vêtements qu'ils
payent très cher et qu'ils tâchent de sang constamment. Pour
preuve, mon maître, Caïd, est aujourd'hui vêtu de son plus beau
costume blanc, mais dieu sait combien de fois il a été lavé.
Son pantalon est retroussé en ourlet en bas de sa jambe, il
porte des chaussures noires de cuir aux bouts pointus. Une
ceinture marron s'enroule difficilement autour de sa taille un peu
enrobée sur laquelle tombe sa veste également blanche, assortie à
son pantalon. Aujourd'hui, il a mis une cravate, noire, pour
contraster avec le reste de son accoutrement. Son visage est dur,
ses yeux sont d'un bleu profond. Comme cet océan dans lequel il
envoie certaines personnes « dormir avec les poissons ». Sa
coiffure est comme à son habitude, courte, il visse généralement
un chapeau sur sa petite tête, mais aujourd'hui non, il laisse ses
cheveux respirer. C'est bien, ils tomberont moins vite. La seule
chose pouvant réellement marquer en le voyant, c'est une balafre
au niveau de la joue droite, une énorme cicatrice qui lui mange
littéralement la moitié du visage. Lorsqu'on lui demande d'où elle
vient, naturellement, il prend un air endurci et se teinte de
mystère comme un prestidigitateur. Ce qui n'est pas pour déplaire
aux curieux. Il raconte toujours une version différente des faits,
une fois c'est un loup qui la lui a faite alors qu'il était parti dans
les bois ramasser des châtaignes, une fois c'est en se bagarrant
contre un adversaire de taille qui lui, était armé d'une machette,
mais que Caïd grâce à sa force incroyable a réussi à défaire
malgré tout, et tantôt, c'est sa femme qui la lui a faite au lit.
Autant d'histoires différentes à dormir debout, j'ai entendu des
milliers de rumeurs sur cette cicatrice, mais jamais l'une d'entre
elle ne m'a semblé plausible. Maladroit comme il est, il a dû se
faire ça en coupant du pain...
— Bien, je ne vais te poser qu'une seule question Jules,
pourquoi ? Demande Caïd. Jules se débat et tente de
communiquer, mais sa phrase s’étouffe dans son bâillon comme
un feu sous une cloche. L'air exaspéré, mon maître reprend en
appuyant sa tête contre la paume de sa main en signe de
désespérance :
— Vous êtes idiots ou quoi ? Enlevez-lui le chiffon !
S’énerve-t-il devant l'inertie de ses acolytes. Comment voulez-
vous qu'il me réponde sinon ? L'un de ses gorilles s'excuse
platement en retirant l'entrave de la bouche du jeune homme qui
semblait n'attendre que cela pour plaider non-coupable. Je saute
sur le tapis et passe entre les jambes de l'accusé, j'ai envie de plus
d'attention parfois. Je me frotte quelques secondes la tête contre
un des pieds de la chaise comme si mon geste allait les attendrir.
Ils ne me regardent pas. Très bien, je m'en vais, mais la tête
haute comme un prince.
Je me dirige vers la porte tandis que le ton monte derrière
moi. C'est dommage, je l'aimais bien Jules, il avait une bonne
tête. Nonchalamment, je marche de mes quatre petites pattes vers
la sortie de la pièce et je déchante : merde, la porte est fermée. Je
vais devoir rester, je le sais, c'est triste, je m'éloigne un peu de
derrière le jeune homme. Je n'ai rien contre lui mais je déteste les
effusions de sang. Je grimpe d'un saut bien coordonné sur un des
meubles de marbre à gauche de la porte. Je fais attention à ne pas
faire tomber les objets dessus que j'enjambe délicatement. J'ai été
puni un assez grand nombre de fois pour ne pas recommencer. Je
courbe mon dos et me pose tel le « Sphinx », puis observe la
scène.
— Tu vas me dire où tu as planqué l'argent Jules, hurle
mon patron. Le jeune homme aux cheveux frisés s'indigne, ses
bouclettes sont mouillées de sueur froide. On peut voir qu'il a
peur. C'est indéniable.
— Je te jure que je ne l'ai pas Caïd, tu peux me croire, nous
sommes amis depuis longtemps toi et moi. Mon maître écume de
rage, il tape du poing, et nerveusement, se met à chercher dans un
des tiroirs de son bureau une bouteille de scotch. Il la sort avec
fracas et manque en la posant de la briser.
— Va me chercher un verre, ordonne-t-il sèchement à un
de ses gardes, celui de gauche. Il s'exécute immédiatement et se
dirige vers le meuble sur lequel je suis posé. Il tend sa main vers
moi, je ne réagis pas :
— Bouge de là stupide chat, me dit-il l'air méprisant en me
poussant d'un revers de bras. Il se saisit alors d'un verre derrière
moi tandis que je bondis à nouveau sur le tapis en pestant : j'étais
là avant toi crétin. Je retourne doucement vers le bureau en
passant entre les jambes du gorille de droite qui esquisse un petit
coup de pied pour me faire partir. C'est pas possible ! Pourquoi
tout le monde me pousse ? Je me dirige donc vers les pieds de
mon maître, et commence à m'y frotter chaleureusement. Mais
celui-ci me rejette :
— Fripon, ce n'est pas le moment. Il se lève et passe de
l'autre côté du bureau. Alors Jules ? Pourquoi m'as-tu volé ? Le
jeune mafieux proteste :
— Mais je te jure Caïd, je n'y suis pour rien, ce n'est pas
moi. Je sens que ça va chauffer. Je me dégage du tapis et cours à
petites foulées vers le rebord de la fenêtre pour me placer derrière
mon patron. À cette place, je me sens comme le chef, je lève
fièrement la tête et toise du regard tous les hommes présents dans
la pièce. C'est moi le boss.
— Je veux bien consentir à ne te couper qu'une main, si tu
m'avoues où se trouve le PACTOLE ! Hurle-t-il.
Le jeune homme en proie à mon tyran de maître recule sa
tête tandis que Caïd cherche la confrontation en collant son front
au sien. Cette fois, Jules tente de le raisonner :
— Écoute Caïd, si tu veux, je t'aide à trouver le coupable,
mais je te jure que je ne sais rien, c'est un coup monté. C'est
évident que quelqu'un veut me faire porter le chapeau. Il s'efforce
de rester calme mais d'ici j'entends son cœur battre à tout rompre
contre sa poitrine. Le patron s'énerve, il tourne le dos, et me
regarde droit dans les yeux, je penche la tête sur le côté. Qu'est-
ce qu'il me veut ? La célérité de son geste est surprenante, il se
retourne brutalement et gifle de toutes ses forces le pauvre Jules
dont la tête bascule sur la droite. Trois tours dans ton slip sans
toucher l'élastique Jules. Ensuite, il se saisit de son col et
recommence à vociférer, tandis que le jeune homme balbutie de
façon incompréhensible :
— Non, TOI tu vas m'écouter, je ne suis pas devenu le boss
dans ce métier grâce à mon cœur tendre et affectueux. Tu crois
que tu peux berner le King des Kings ? Parce que c'est MOI ! Je
suis le boss des boss. Il se dresse et brandit ses deux pouces en
direction de son torse préalablement bombé pour appuyer ses
propos. OUI, c'est MOI qui commande ici, c'est clair Jules ? Je
veux que tu arrêtes de me prendre pour un con mon petit Jules. Il
lui tapote doucement la joue. Alors... DIS-MOI OÙ EST LE
POGNON !!
Ahah, le king des kings? C'est sa mère qui lui fait ses
ourlets. Il continue de pester bruyamment. Trop fort le volume...
comment autant de son peut sortir d'un si petit corps ?
— Boss, boss écoutez-moi, je vous jure que je ne sais rien.
Cette fois, il soupire. C'est la goutte d'eau qui fait déborder Caïd.
— Tu me lasses Jules... tu me lasses vraiment... tu connais
la règle. Il fait signe à l'un des deux hommes qui maintiennent
encore le pauvre garçon en otage. Le garde de droite acquiesce
en hochant la tête et quitte la pièce. Je profite de l'occasion pour
me faufiler en dehors également.
De l'autre côté de la porte, j'entends crier à nouveau, puis,
une odeur de fumée monte à mon museau. Ah, il s'est allumé un
cigare. C'est un grand économe ! Il met un peu d'argent de côté
pour payer son cancer, je trouve ça bien. Je me dépêche de me
décaler sur le côté au retour du gorille qui revient armé d'un
sécateur cette fois-ci. Je frissonne de tous mes poils. Il passe la
porte, puis la claque, je sais que le supplice dit « du coupage de
doigt » attend le jeune homme. J'entends Jules hurler :
— Non ! NON ! Patron non. Soudainement, un « couic »
retentit et Jules hurle à nouveau. Je décide de compter les «
couic ». Je bats doucement de la queue en la faisant bouger
derrière moi pour me détendre.
Un.
— Alors Jules, où se trouve-t-il ? Questionne Caïd.
— Je n'en sais rien je vous jure, pleure-t-il.
Deux.
— Jules, tu commences à m'énerver sérieusement mon
garçon. Cette fois, en guise de réponse, Jules baragouine
indistinctement.
Trois.
— Pardon Jules ? Excuse-moi je n'ai pas bien entendu, tu
devrais articuler un peu mieux, ironise le patron. Je suis pour ma
part gentiment posé derrière la porte le regard plongé dans la
poignée à écouter. Quelle belle poignée...
— Je dis, je vous jure... que je... n'en sais rien.
Quatre.
— Tss... Tu me déçois tellement...
— Mais je vous dis que je ne suis pas dans le coup, je ne
sais rien de tout ça, vocifère-t-il. Tu es presque convaincant.
— Qui est-ce que tu cherches à couvrir petit menteur ?
Cinq, j'en connais un qui ne pourra plus tirer à l'arc !
— Cette fois-ci Jules, je vais attaquer l'autre main, allez,
tend tes doigts. Il dit ça comme s'il s'agissait d'un coup de règle
sur les phalanges...
— Non, NON ! Sur la tête de Paul que je suis au courant
de rien.
— Laisse donc Paul en dehors de tout ça, de toute façon il
n'a déjà plus de tête.
Six.
Cette fois, Jules est au comble de la désespérance, il pleure
toutes les larmes de son corps sans même parler. Mais Caïd ne
perd pas de temps.
Sept, huit. Tiens, deux pour le prix d'un, il y a une promo' !
— Arrêtez patron, arrêtez ! Je n'en peux plus, rappelez-
vous, au tout début, j'étais là moi aussi, je vous soutenais, j'étais
un des premiers à...
Neuf. Lui en restera, lui en restera pas ?
— Désolé Jules, le passé, c'est le passé, allez, sauve donc
ton pouce et dis-moi où se trouve le pactole. Le pauvre garçon
continue de supplier pitoyablement sans aucun argument solide
pour l'appuyer.
Et dix ! J'en connais un qui ne pourra plus faire de corde à
sauter.
J'entends pleurer de l'autre côté de la porte. Tu m’étonnes,
si on me coupait les coussinets je crois que je miaulerais aussi.
Je ne perçois que d'une voix lointaine la discussion. Mon
patron reprend :
— Tu m'as réellement déçu sur ce coup-là Jules... je peux
finir sa phrase avec facilité : « Je vais devoir t'envoyer dormir
avec les poissons ».
—... je vais devoir t'envoyer dormir avec les poissons.
Bingo ! Je jubile, ce que je peux être intelligent parfois.
— Non... NON ! Pas les poissons boss, NON ! Adieu
Jules.
Je quitte le pas de la porte et me rend directement dans le
couloir juste derrière moi. Je déteste ce sol en carrelage, il est
froid pour mes petites pattes.
Mon maître, dans sa grande bienveillance, m'a fait installer
des chatières pour que je puisse circuler librement partout dans la
demeure, je pousse de ma tête l'une d'entre elles, la pièce est
plongée dans le noir mais des respirations fortes et soutenues
attirent mon attention. Soudain, des cris retentissent, je jette un
coup d’œil dans la direction d'où proviennent les bruits : le lit.
Qu'est-ce qui peut bien se passer ici ? Je ne comprends pas très
bien la situation, la chambre dans laquelle je me trouve est celle
de Caïd. En entendant la chatière se bousculer, tandis que les
respirations s'arrêtent, une voix masculine demande inquiète :
— C'est quoi ce bruit ? Une femme est en train de gémir,
elle rétorque :
— C'est rien, c'est juste Fripon, le chat, vas-y, continue. Il
y a quelques instants d'hésitation, puis l'homme reprend :
— Non, désolé ça me bloque, je ne peux pas, je sens qu'il
nous observe avec ses grands yeux. Moi ? Je ne fais que manger
dans ma gamelle.
— Oh, allez s'il te plaît ! Supplie-t-elle. Viens, je t'en prie
viens. La petite lumière sur la table basse se rallume et l'homme
s'excuse :
— Désolé, désolé ça me bloque vraiment, je ne peux pas.
Tu crois que je me gène moi ? Fais pas gaffe fiston, amuse-toi.
La femme soupire, elle repose sa tête sur l'oreiller. Quel drôle de
position. Je me déplace dans la pièce et monte sur le lit avant
d'aller me blottir dans les bras de la patronne. Il s'agit de
Véronique, la femme de Caïd. S'il voyait ça ! Philippe et
Véronique ensemble. Si je pouvais rire, je le ferais. En me sentant
contre son bras, celle-ci me rejette violemment :
— Oh toi ça va ! C'est de ta faute tout ça ! Dégage ! C'est
bon j'ai compris, tu as de la chance petite garce que je ne puisse
pas parler, sinon je te jure que toi aussi tu ferais du tricot avec
les orteils.
— Ce n'est que partie remise darling, la rassure Philippe.
Véronique riposte :
— On aurait tout aussi bien pu virer le chat. J'ai un nom.
Soudain, je tends l'oreille, le patron a fini et il revient, je l'entends
vociférer dans le couloir. Je vois le regard de Philippe pâlir et
celui de Véronique blêmir. Ah vous êtes dans de beaux draps
vous, c'est le cas de le dire.
— Cache-toi ! Murmure Véronique à son amant.
Immédiatement, Philippe ramasse ses affaires et se jette sous le
lit comme un goal sur un ballon. Je le rejoins. La porte s'ouvre
brutalement. Véronique fait semblant de dormir sous sa
couverture.
— Ce sale petit merdeux n'a pas avoué ! Hurle Caïd en
entrant. Je vois uniquement ses pieds, mais j'entends la
couverture et je sens le matelas bouger au-dessus de moi,
sûrement que cette garce fait semblant de se réveiller.
— Ce que ça peut puer ici ! Peste le patron en se dirigeant
vers la fenêtre pour l'ouvrir. Normal, ils viennent de forniquer. Je
bouge doucement sous le lit et remarque que Philippe, par
nervosité, agite un de ses pieds. Il les frotte l'un contre l'autre
comme s'ils le grattaient. Qu'est-ce qu'il peut bien avoir celui-
là ? Un moustique ? Je me place juste derrière et les regarde avec
amusement. J'ai très envie de jouer d'un seul coup, il ne faut pas
m'en vouloir, c'est physiologique je pense.
— Tu as fait une sieste ? Reprend le patron.
— Oui, tu ne devrais pas entrer comme ça de manière
tonitruante, tu m'as réveillé ! Menteuse. S'il continue à agiter ses
pieds comme ça lui, je ne vais plus pouvoir me retenir.
— Je suis désolé mon petit sucre, s'excuse mon maître en
se cambrant sur le matelas, Philippe contrôle sa respiration à la
perfection et tente de n’émettre aucun bruit. Un véritable ninja
ce Philippe. Plus le patron avance, plus le matelas s'affaisse sur
nos têtes. Il a pris du poids.
— Ce n’est pas grave mon bel ours. J'entends un « zip ».
— Pour me faire pardonner... han... voilà ce que... han... je
te propose. C'est très direct.
— Oh... tu... es pardonné... han... pauvre Philippe. Je vois
son regard se décomposer, à sa place, je ne me sentirais pas à
mon aise non plus. Il profite du bruit émanant du coït présent
dans la pièce pour se frotter les pieds un peu plus fort.
— Tu aimes comme ça ? Gémit mon maître. Et toi
Philippe, tu aimes ? Je m’esclaffe intérieurement.
— Oh oui ! Oui ! OUI ! Cette fois c'est trop, c'est
l'agitation qui fait déborder mon envie de jouer. Je suis des yeux
le mouvement de son pied et d'un habile coup de patte transperce
sa peau de mes griffes. Il plaque sa main contre sa bouche et
agite son pied de plus belle comme pour me faire partir. Il pense
quoi ? J'ai d'autant plus envie de jouer moi !
— Vas-y, oui, comme ça ! Gémit Véronique. Mais quelle
pouffiasse, elle n'en a donc jamais assez ?
J'entends le lit grincer et faire des va et vient de haut en
bas. J'ai peur de recevoir une latte sur le coin de la caboche... la
respiration du patron est haletante et celle de sa femme encore
plus. Je crois qu'elle fait une crise d'asthme, il faut l'emmener
aux urgences. Philippe continue d'agiter son pied pour que je le
lâche. Il n'a pas l'air de comprendre que ce n'est pas comme ça
que je vais arrêter.
Il a l'air vraiment gêné le pauvre garçon. Si le boss savait
ce qui est passé par le même endroit que lui. Et puis arrête
d'agiter ton pied !! Cette fois c'est trop. Après de multiples coups
de pattes, je m'aperçois que lui aussi a envie de jouer. Je mords
donc dans son pied à pleines dents. Cette fois il ne peut retenir un
cri :
— Aie !!! Douleur ou surprise ? Aucune idée ! Caïd
s'arrête.
— C'était quoi ça ? Demande-t-il suspicieux. Je m'échappe
de sous le lit pour ne pas recevoir une balle perdue et je
m'allonge nonchalamment sur le rebord de la fenêtre.
J'adore me percher pour regarder ce genre de choses, on
dirait des scènes de Tarantino.
Véronique lui saisit les poignets d'amour et l'attire à elle.
— Ce n'est rien, c'est sûrement le chat, dit-elle aguicheuse
et sexy pour le faire revenir sur son corps et lui faire oublier
qu'un de ses hommes de main est terré comme un rat sous son lit.
— Un chat qui crie « aie » ? Sûrement pas ! S'exclame-t-il
en se retirant de sa femme.
— C'est le chat je te dis, insiste-t-elle inquiète en lui
touchant le torse. Il se lève, sort du lit, regarde autour de lui dans
la pièce et s'écrie :
— Je sais qu'il y a quelqu'un ici, crie-t-il. Oh cette sale
manie de hurler à tort et à travers... je m'imagine la tête actuelle
de Philippe, il doit sacrément me maudire... en même temps c'est
un peu de sa faute aussi... il n'avait qu'à pas me donner envie de
jouer avec son pied. Caïd cherche son pantalon dans lequel est
caché son revolver. Il se baisse pour le ramasser et son regard se
bloque sous le lit. Il entre dans une colère noire à la vue de
Philippe nu sous son propre matelas et dans sa propre chambre.
Leurs regards se croisent, ils sont tous deux nus... je crois que je
vais commencer une petite histoire et cela en sera la première
phrase.
— Philippe ? Mais qu'est-ce que...
Il regarde Véronique fixement, elle esquisse un signe
d'incompréhension des yeux et hausse les épaules, stressée. Il se
saisit du bras de l'amant de sa femme et le tire de sous le lit nu
comme un ver.
— Tu te tapes ma femme Philippe ??? Hurle-t-il.
Véronique cache la moitié de son visage sous la couverture et se
recroqueville dans les draps, adossée au mur, pétrifiée par la
fureur de son mari.
— C'est pas du tout ce que tu crois Caïd, se défend
Philippe en reculant, posé sur ses fesses. Le patron tape
violemment du pied dans le lit en criant :
— Merde ! Quelle journée pourrie ! GONTRAND ! Hurle-
t-il. APPORTE-MOI LE SÉCATEUR ! Aie aie aie... cette fois-ci
ce ne sont pas les doigts qui vont tomber...
— Non... boss... pardon, je veux dire, c'est un
malentendu... c'est pas ce que vous...
— LA FERME ! Il trépigne dans la pièce en le montrant
du doigt, ne sachant quoi dire. PUTAIN, IL VIENT CE
SÉCATEUR ?? Des pas se font entendre dans le couloir d'à côté,
sans remettre son pantalon et toujours en fixant Philippe du
regard, Caïd garde son bras tendu à proximité de la porte pour
attraper directement l'outil quand Gontrand daignera lui apporter.
— La porte s'ouvre, le patron la retient d'une main :
— Je suis à POIL Gontrand ! Contente toi de me le passer
— Vous savez qu'on venait juste de le ranger et que...
— Je m'en contrefous ! Rétorque Caïd, passe moi juste ce
putain de sécateur Gontrand ! L'homme s'exécute et donne l’outil
par l’entrebâillement. Le Caïd fend l'air un instant avec son
nouveau jouet, puis il se dirige vers Philippe.
— Alors, c'est à nous mon petit gars...
Je profite de la porte entrouverte pour me faufiler à
l'extérieur, je déteste la vue du sang. Mais comme à mon
habitude, curieux, je me poste juste devant pour écouter. Il y a du
mouvement dans la pièce, j'entends des cris, des hurlements
même ! Ah, un vase de brisé. Véronique hurle. Visiblement c'est
Philippe qui l'a reçu sur le coin de la tête.
— Ne fais pas ça ! Crie Véronique.
— Toi tu ne payes rien pour attendre, rétorque Caïd.
— Je vous en prie boss, supplie Philippe.
— Couic, dit le sécateur.
— ça t'apprendra à t'en servir et à la fourrer n'importe où
espèce de petit traître !
Philippe hurle de douleur, je l'entends même pleurer. J'en
connais un qui ne prendra plus sa douche dans les vestiaires
après le match de foot.
— Et puis par plaisir je vais te couper ça aussi ! Des fois
que tu arrives encore à te reproduire, là, on est sûrs au moins.
Véronique hurle à nouveau et... « Couic ». Philippe est en larmes,
il doit probablement y avoir du sang partout dans la pièce. J'en
connais un qui va pouvoir chanter sur dix octaves maintenant.
— ET TOI ARRÊTE UN PEU DE HURLER ESPECE DE
PÉTASSE !! Crie à nouveau le patron. Il sort en trombe avec son
pantalon cette fois, en rageant :
— Il va falloir qu'on change la moquette maintenant.
GONTRAND ! Viens ramasser le matos de Philippe, il traîne par
terre ! Aboie-t-il. Même par curiosité, je n'entre pas dans la
chambre. Véronique poursuit Caïd en courant à moitié nue en
m'écrasant la queue au passage. Je feule en sa direction. Pétasse !
— Attends Caïd, C'est pas ce que tu crois ! Ils s'éloignent
tous deux dans une pièce à part. Gontrand entre à nouveau en
scène armé d'un ramasse poussière et d'un balais.
— Arg... Gontrand... aide-moi... supplie Philippe. J'entends
le bruit d'un revolver qu'on charge puis, le bruit significatif d'une
arme silencieuse avec laquelle on tire, à trois reprises. Au moins
on ne l'entendra plus gémir celui-là, dommage, on ne l'entendra
pas chanter non plus. Après quelques coups de balayette, cette
fois-ci, Gontrand revient équipé d'une serpillière. Dépêche-toi de
nettoyer larbin, ma gamelle est dans la chambre et comme tout le
monde devrait le savoir je déteste la vue du sang.
Cela me fait tout de même doucement sourire de voir un
homme comme Gontrand réduit à l'état de ménagère. Lui qui est
d'un naturel calme, peu loquace, obéissant, le genre crâne rasé et
costume cravate vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il est ce
qu'on peut appeler un type froid, voire flippant, une personne
normale ne reste pas en sa compagnie par pur plaisir. Il est un
peu l'homme à tout faire de Caïd. Il sort avec le ramasse
poussière et se dirige vers l'escalier menant à la cuisine. Il
n'esquisse même pas un regard de dégoût. Ce qu'il fait lui semble
parfaitement normal. Taré va ! Je m'assois doucement sur le côté
du couloir pour ne pas le gêner dans son passage. Il remonte et
entre à nouveau dans la chambre toujours avec son air grave et
imperturbable. Cette fois-ci il en sort accompagné de Philippe
qu'il traîne par les jambes. Je le vois passer allongé sur le dos les
bras ballants, je croise au passage son regard ahuri. Ce qu'il avait
l'air idiot. Cet imbécile de Gontrand laisse du sang partout sur le
carrelage en le traînant, ça me répugne. Celui-ci exécute son
dernier aller-retour et cette fois, il quitte la pièce en passant la
serpillière derrière lui à chaque pas pour que le sol soit
impeccable. Alors ça c'est un bon employé ! Je vais le
surnommer... monsieur propre ! Parce qu'il est chauve, mais
aussi parce qu'il fait bien le ménage !
Je retourne dans la chambre comme si rien ne s'y était
passé, j'aperçois ma gamelle, ah, au moins ils ne l'ont pas
touchée pendant leurs échauffourées. C'est ce qui compte. Je
continue de manger tranquillement, ces croquettes n'ont jamais
été aussi délicieuses.

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L'omerchat chapitre 1

  • 3. Je suis un génie, je suis plus intelligent que tous les autres de mon espèce, il faut bien dire... que je suis un peu spécial, unique en mon genre. Comme je le dis souvent, la vraie intelligence se reflète dans la paresse. Je suis fainéant, est-ce que cela veut dire que je suis plus intelligent ? Évidemment ! Je me lève délicatement du canapé, m'étire, et me gratte énergiquement une oreille. Je baille en pensant : qu'est-ce que tout ceci peut être ennuyeux... en tant qu'être supérieur et intouchable, je ne peux me laisser atteindre par tous les petits tracas du quotidien. Je vois
  • 4. passer deux hommes, ils poussent la porte avec fracas, ils retiennent en otage un autre homme et le traînent alors que celui- ci proteste énergiquement. Ce que je peux m'en foutre... c'est dingue... et tout le monde devrait faire comme moi. Je passe le plus clair de mon temps à observer ce qui m'entoure, je vois tout. Rien n'échappe à mon œil prudent. Je ris de tout également. Puisque tout n'est qu'absurdité, il n'y a aucune raison de s'en faire, pour rien au monde il ne faut pleurer. J'ai déjà assisté à des fins tragiques, toutes plus injustes les unes que les autres, mais je me contente en tant que demi-divinité que je suis d'uniquement penser à moi et à mon petit nombril. Égoïste ? Évidemment ! Mais la flatterie ne m'atteint pas et je ne peux pas rougir. Méchant ? Bien entendu ! Bien que j'emploierais plutôt le terme : « je m'en foutiste ». Parfois, je me demande ce qui peut bien pousser les gens à se soucier les uns des autres. L'empathie ? Connais pas, ça se mange ? Pour exemple, soyons clairs là- dessus immédiatement, la première fois que j'ai assisté à une exécution, il s'agissait là d'une nouvelle lubie cruelle de mon maître, à savoir : remettre en activité la guillotine. Horrible ? Pas tant que ça ! Nous étions dans le garage, je venais de me poser
  • 5. droit comme un lion sur le capot de la voiture en attendant le moment fatidique où la tête allait tomber. Le pauvre Paul est arrivé, suivi de mon patron, il lui a fait poser la tête sur un billot, et la, il la lui a coupé froidement à l'aide d'une hache affûtée. Dégoûtant ? Oui sans doute, mais uniquement si vous avez mangé de la tartiflette avant. Cependant, j'étais déçu de ne pas avoir droit au spectacle époustouflant d'une VRAIE guillotine. Une fois la tête tombée dans le panier, plusieurs réactions s'offraient à moi devant cette vision pleine d'hémoglobine. Et vous, quelle aurait été votre réaction ? Je vais vous demander de bien vouloir cocher avant de continuer. UNE SEULE réponse est possible. □ 1) Oh mon dieu, c'est atroce il y a du sang partout, je vais m'évanouir au secours. □ 2) Quelle tristesse... tant de cruauté... mes condoléances à sa famille, à ses amis et à son chien. □ 3) Et alors ? C'est pas ma tête !
  • 6. Pour tous ceux qui auraient coché la réponse numéro une, sachez que vous me dégoûtez, tout ce sang sort de son corps comme il pourrait sortir du vôtre si on vous décapitait, il n'y a rien de plus naturel, on ne vous a rien appris à l'école ? Vous êtes vraiment de petites natures ! Suivez un peu vos cours de biologie... Pour tous ceux qui auraient coché la réponse numéro deux, sachez que vous aussi, vous me dégoûtez, vous ne saviez pas quelle ordure de la pire espèce il était. Et en plus, il n'avait pas de famille, ses amis s'en remettrons, et tout le monde se fiche de son chien ! Vous êtes trop sensibles, faites un effort, vous faites partie de la SPA ou quoi ? Pour tous ceux qui auraient coché la réponse numéro trois sachez qu'encore une fois vous me dégoûtez, mais quoi qu'il en soit je me dégoûte aussi parfois dans ma manière de penser alors comment vous en vouloir ? En lisant le récit que je m'apprête à vous conter, vous devez absolument prendre un recul certain sur les choses et ne jamais, JAMAIS vous mettre à la place du mort,
  • 7. mais vous contenter d'être heureux de ne PAS être ce mort. Soyez satisfaits de ce que vous n'avez pas — en l’occurrence, la tête coupée — et contentez-vous de ce que vous avez — en l'occurrence, une tête sur les épaules, c'est pas génial ? C'est dans cet état d'esprit que vous devez être, votre point de vue doit être celui d'une personne égoïste qui regarde d'un air amusé les malheurs des autres n'en déplaise aux bonnes mœurs, ne vous mettez en aucun cas à la place de la victime, car vous ne le serez pas. Vous, vous lisez tranquillement un livre et dans la majorité des cas il est fort peu probable qu'une personne s'introduise chez vous pour vous décapiter — si vous en doutez, je vous conseille de déménager au plus vite. Maintenant vous vous demandez sûrement qui je suis, ou plutôt, ce que je suis pour être aussi politiquement incorrect, déplacé, grossier et cruel, la réponse est évidente : un chat. Entrez maintenant si vous le voulez bien dans mon quotidien, dans ma vie, et dans ma manière de penser, aussi bouleversant que cela puisse être pour vous, petits humains. La vie de chat, quelle belle vie, certaines mauvaises langues peuvent penser que cela consiste uniquement à manger, dormir, s'accoupler et manger, dormir, s'accoupler, puis aussi manger
  • 8. dormir et s'accoupler... Et ces mauvaises langues auraient raisons, mais pourquoi en parler de manière si négative puisque toutes ces choses sont si plaisantes ? Vous êtes juste jaloux. Jaloux de nous. Néanmoins, ma vie est un peu spéciale, je ne suis pas un chat ordinaire, je suis un peu au-dessus comme... la race des seigneurs. Je ne suis fils de rien, je ne me souviens pas de mon passé, et je ne vois pas le futur dans les bols de lait. Alors, je me contente de mon présent des plus tordants. Mon nom est Fripon, c'est ridicule n'est-ce pas ? C'est mon maître qui me l'a donné. Parlons un peu de lui, c'est un mafieux, et de la pire espèce en plus. Il dirige sa propre société d'import export de cocaïne, ou plutôt, à l'entendre parler, de « farine ». Mais ne vous fiez pas à l'habile métaphore de ce finaud, il s'agit bien là de cocaïne, sans quoi l'entrepôt serait une véritable boulangerie. Il faut savoir qu'il est très coûteux de faire de petits gâteaux avec ce genre de farine, mais dans un anniversaire d'enfants cela reste le meilleur moyen
  • 9. de faire passer une bonne après-midi aux chérubins au détriment de ce pauvre clown qui risque d'en prendre pour son grade. Mais revenons un peu à mon maître. Soyons honnêtes, il est idiot. Je ne sais ni comment, ni pourquoi il est aujourd'hui dans ce trafic ni comment il a réussi à s'y faire un nom, mais nous voilà devant le fait accompli, c'est un des chefs de la mafia les plus influents du monde. En public, il se fait modestement appeler Caïd. Alors que tout le monde sait qu'à la maison, c'est moi qui commande, JE suis le chef. Un peu de pâtée ? Je miaule ! Un câlin ? Je me frotte. Et même après une bêtise abominable — comme pisser sur le tapis ou déchirer les rideaux — je n'ai qu'à faire mes yeux de chat battu et ça passe comme une lettre à la poste. Il me prend dans ses bras, et fait nettoyer sa bonne pendant que je me moque d'elle avec un petit rictus bien à moi. Un rictus félin et sournois. En somme, je suis vraiment diabolique, ingrat, moqueur, méchant, et je l'assume. Je le revendique même ! Mais qui ne rêverait pas de l'être ? Pendant les pages qui vont suivre vous allez m'accompagner au travers de mon aventure incongrue à mener une vie de prince, une vie de chat.
  • 10. « Insoupçonné, intouchable, orgueilleux, bienvenus dans ma vie. » Il me caresse, je frémis en me tortillant, je courbe un peu le dos. Je pense : oh ce que c'est bon quand il met sa main à cet endroit. Maintenant il me grattouille, c'est divin. Je ne prête même plus attention aux élévations de voix autour de moi. Je suis si bien. Je fonds dans une vague de plaisir intense lorsqu'il passe sa main sur mon ventre doux. Nous sommes tous deux assis, lui sur son énorme fauteuil de cuir marron derrière son grand bureau de bois vernis. Et moi, sur ses genoux moelleux. Je me sens un tantinet supérieur à cette place. Je balaye du regard les trois hommes devant moi, ils semblent accablés et mon patron commence de sa voix douce. — Alors, c'est lui qui a voulu me doubler ? Il faut vraiment qu'il arrête avec ce faux accent italien, il pense sans doute que parce qu'il traîne dans ce genre de trafic il doit devenir « le parrain » ? Tout le monde sait bien que son père était picard et que Caïd a passé sa vie en Franche-Comté. Il s'adresse à une des
  • 11. personnes devant nous, mais je ne sais pas à laquelle. Probablement à celui qui est assis sur une chaise entre deux énormes gaillards qui lui tiennent chacun une épaule. Il veut répondre, il est paniqué, mais un chiffon bloque sa bouche et tout ce qu'il tente de prononcer est incompréhensible. Devant cette pitoyable tentative, l'homme de gauche prend la parole : — Oui patron, nous avons trouvé les preuves de la vente chez lui. À ces mots, le prisonnier se débat et fait de gros yeux de supplication à mon maître, comme s'il voulait le convaincre de son innocence seulement par le regard. Je sens que ça va chauffer. Je me lève doucement, m'étire, puis je me lance dans l'exploration du monde d'en dessous en sautant directement des genoux de mon patron. J'atterris avec agilité sur la rainure en bois qui relie d'un bout à l'autre le bureau. De là, je vois tout, j’observe avec attention le tic nerveux de l'homme assis, il agite sa jambe et tape du pied sur le sol. Je n'avais pas remarqué avant que ses mains sont solidement attachées à la chaise. Ces gens, chez qui je vis, ne sont pas comme les autres. J'ai eu beau faire ma petite enquête moi-même, du haut de mes deux ans, je suis
  • 12. presque sûr qu'ils font partie d'une société secrète un peu à part. Ils sont toujours habillés avec de magnifiques vêtements qu'ils payent très cher et qu'ils tâchent de sang constamment. Pour preuve, mon maître, Caïd, est aujourd'hui vêtu de son plus beau costume blanc, mais dieu sait combien de fois il a été lavé. Son pantalon est retroussé en ourlet en bas de sa jambe, il porte des chaussures noires de cuir aux bouts pointus. Une ceinture marron s'enroule difficilement autour de sa taille un peu enrobée sur laquelle tombe sa veste également blanche, assortie à son pantalon. Aujourd'hui, il a mis une cravate, noire, pour contraster avec le reste de son accoutrement. Son visage est dur, ses yeux sont d'un bleu profond. Comme cet océan dans lequel il envoie certaines personnes « dormir avec les poissons ». Sa coiffure est comme à son habitude, courte, il visse généralement un chapeau sur sa petite tête, mais aujourd'hui non, il laisse ses cheveux respirer. C'est bien, ils tomberont moins vite. La seule chose pouvant réellement marquer en le voyant, c'est une balafre au niveau de la joue droite, une énorme cicatrice qui lui mange littéralement la moitié du visage. Lorsqu'on lui demande d'où elle
  • 13. vient, naturellement, il prend un air endurci et se teinte de mystère comme un prestidigitateur. Ce qui n'est pas pour déplaire aux curieux. Il raconte toujours une version différente des faits, une fois c'est un loup qui la lui a faite alors qu'il était parti dans les bois ramasser des châtaignes, une fois c'est en se bagarrant contre un adversaire de taille qui lui, était armé d'une machette, mais que Caïd grâce à sa force incroyable a réussi à défaire malgré tout, et tantôt, c'est sa femme qui la lui a faite au lit. Autant d'histoires différentes à dormir debout, j'ai entendu des milliers de rumeurs sur cette cicatrice, mais jamais l'une d'entre elle ne m'a semblé plausible. Maladroit comme il est, il a dû se faire ça en coupant du pain... — Bien, je ne vais te poser qu'une seule question Jules, pourquoi ? Demande Caïd. Jules se débat et tente de communiquer, mais sa phrase s’étouffe dans son bâillon comme un feu sous une cloche. L'air exaspéré, mon maître reprend en appuyant sa tête contre la paume de sa main en signe de désespérance : — Vous êtes idiots ou quoi ? Enlevez-lui le chiffon ! S’énerve-t-il devant l'inertie de ses acolytes. Comment voulez-
  • 14. vous qu'il me réponde sinon ? L'un de ses gorilles s'excuse platement en retirant l'entrave de la bouche du jeune homme qui semblait n'attendre que cela pour plaider non-coupable. Je saute sur le tapis et passe entre les jambes de l'accusé, j'ai envie de plus d'attention parfois. Je me frotte quelques secondes la tête contre un des pieds de la chaise comme si mon geste allait les attendrir. Ils ne me regardent pas. Très bien, je m'en vais, mais la tête haute comme un prince. Je me dirige vers la porte tandis que le ton monte derrière moi. C'est dommage, je l'aimais bien Jules, il avait une bonne tête. Nonchalamment, je marche de mes quatre petites pattes vers la sortie de la pièce et je déchante : merde, la porte est fermée. Je vais devoir rester, je le sais, c'est triste, je m'éloigne un peu de derrière le jeune homme. Je n'ai rien contre lui mais je déteste les effusions de sang. Je grimpe d'un saut bien coordonné sur un des meubles de marbre à gauche de la porte. Je fais attention à ne pas faire tomber les objets dessus que j'enjambe délicatement. J'ai été puni un assez grand nombre de fois pour ne pas recommencer. Je courbe mon dos et me pose tel le « Sphinx », puis observe la scène.
  • 15. — Tu vas me dire où tu as planqué l'argent Jules, hurle mon patron. Le jeune homme aux cheveux frisés s'indigne, ses bouclettes sont mouillées de sueur froide. On peut voir qu'il a peur. C'est indéniable. — Je te jure que je ne l'ai pas Caïd, tu peux me croire, nous sommes amis depuis longtemps toi et moi. Mon maître écume de rage, il tape du poing, et nerveusement, se met à chercher dans un des tiroirs de son bureau une bouteille de scotch. Il la sort avec fracas et manque en la posant de la briser. — Va me chercher un verre, ordonne-t-il sèchement à un de ses gardes, celui de gauche. Il s'exécute immédiatement et se dirige vers le meuble sur lequel je suis posé. Il tend sa main vers moi, je ne réagis pas : — Bouge de là stupide chat, me dit-il l'air méprisant en me poussant d'un revers de bras. Il se saisit alors d'un verre derrière moi tandis que je bondis à nouveau sur le tapis en pestant : j'étais là avant toi crétin. Je retourne doucement vers le bureau en passant entre les jambes du gorille de droite qui esquisse un petit coup de pied pour me faire partir. C'est pas possible ! Pourquoi
  • 16. tout le monde me pousse ? Je me dirige donc vers les pieds de mon maître, et commence à m'y frotter chaleureusement. Mais celui-ci me rejette : — Fripon, ce n'est pas le moment. Il se lève et passe de l'autre côté du bureau. Alors Jules ? Pourquoi m'as-tu volé ? Le jeune mafieux proteste : — Mais je te jure Caïd, je n'y suis pour rien, ce n'est pas moi. Je sens que ça va chauffer. Je me dégage du tapis et cours à petites foulées vers le rebord de la fenêtre pour me placer derrière mon patron. À cette place, je me sens comme le chef, je lève fièrement la tête et toise du regard tous les hommes présents dans la pièce. C'est moi le boss. — Je veux bien consentir à ne te couper qu'une main, si tu m'avoues où se trouve le PACTOLE ! Hurle-t-il. Le jeune homme en proie à mon tyran de maître recule sa tête tandis que Caïd cherche la confrontation en collant son front au sien. Cette fois, Jules tente de le raisonner : — Écoute Caïd, si tu veux, je t'aide à trouver le coupable, mais je te jure que je ne sais rien, c'est un coup monté. C'est évident que quelqu'un veut me faire porter le chapeau. Il s'efforce
  • 17. de rester calme mais d'ici j'entends son cœur battre à tout rompre contre sa poitrine. Le patron s'énerve, il tourne le dos, et me regarde droit dans les yeux, je penche la tête sur le côté. Qu'est- ce qu'il me veut ? La célérité de son geste est surprenante, il se retourne brutalement et gifle de toutes ses forces le pauvre Jules dont la tête bascule sur la droite. Trois tours dans ton slip sans toucher l'élastique Jules. Ensuite, il se saisit de son col et recommence à vociférer, tandis que le jeune homme balbutie de façon incompréhensible : — Non, TOI tu vas m'écouter, je ne suis pas devenu le boss dans ce métier grâce à mon cœur tendre et affectueux. Tu crois que tu peux berner le King des Kings ? Parce que c'est MOI ! Je suis le boss des boss. Il se dresse et brandit ses deux pouces en direction de son torse préalablement bombé pour appuyer ses propos. OUI, c'est MOI qui commande ici, c'est clair Jules ? Je veux que tu arrêtes de me prendre pour un con mon petit Jules. Il lui tapote doucement la joue. Alors... DIS-MOI OÙ EST LE POGNON !! Ahah, le king des kings? C'est sa mère qui lui fait ses ourlets. Il continue de pester bruyamment. Trop fort le volume...
  • 18. comment autant de son peut sortir d'un si petit corps ? — Boss, boss écoutez-moi, je vous jure que je ne sais rien. Cette fois, il soupire. C'est la goutte d'eau qui fait déborder Caïd. — Tu me lasses Jules... tu me lasses vraiment... tu connais la règle. Il fait signe à l'un des deux hommes qui maintiennent encore le pauvre garçon en otage. Le garde de droite acquiesce en hochant la tête et quitte la pièce. Je profite de l'occasion pour me faufiler en dehors également. De l'autre côté de la porte, j'entends crier à nouveau, puis, une odeur de fumée monte à mon museau. Ah, il s'est allumé un cigare. C'est un grand économe ! Il met un peu d'argent de côté pour payer son cancer, je trouve ça bien. Je me dépêche de me décaler sur le côté au retour du gorille qui revient armé d'un sécateur cette fois-ci. Je frissonne de tous mes poils. Il passe la porte, puis la claque, je sais que le supplice dit « du coupage de doigt » attend le jeune homme. J'entends Jules hurler : — Non ! NON ! Patron non. Soudainement, un « couic » retentit et Jules hurle à nouveau. Je décide de compter les « couic ». Je bats doucement de la queue en la faisant bouger derrière moi pour me détendre.
  • 19. Un. — Alors Jules, où se trouve-t-il ? Questionne Caïd. — Je n'en sais rien je vous jure, pleure-t-il. Deux. — Jules, tu commences à m'énerver sérieusement mon garçon. Cette fois, en guise de réponse, Jules baragouine indistinctement. Trois. — Pardon Jules ? Excuse-moi je n'ai pas bien entendu, tu devrais articuler un peu mieux, ironise le patron. Je suis pour ma part gentiment posé derrière la porte le regard plongé dans la poignée à écouter. Quelle belle poignée... — Je dis, je vous jure... que je... n'en sais rien. Quatre. — Tss... Tu me déçois tellement... — Mais je vous dis que je ne suis pas dans le coup, je ne sais rien de tout ça, vocifère-t-il. Tu es presque convaincant. — Qui est-ce que tu cherches à couvrir petit menteur ? Cinq, j'en connais un qui ne pourra plus tirer à l'arc ! — Cette fois-ci Jules, je vais attaquer l'autre main, allez,
  • 20. tend tes doigts. Il dit ça comme s'il s'agissait d'un coup de règle sur les phalanges... — Non, NON ! Sur la tête de Paul que je suis au courant de rien. — Laisse donc Paul en dehors de tout ça, de toute façon il n'a déjà plus de tête. Six. Cette fois, Jules est au comble de la désespérance, il pleure toutes les larmes de son corps sans même parler. Mais Caïd ne perd pas de temps. Sept, huit. Tiens, deux pour le prix d'un, il y a une promo' ! — Arrêtez patron, arrêtez ! Je n'en peux plus, rappelez- vous, au tout début, j'étais là moi aussi, je vous soutenais, j'étais un des premiers à... Neuf. Lui en restera, lui en restera pas ? — Désolé Jules, le passé, c'est le passé, allez, sauve donc ton pouce et dis-moi où se trouve le pactole. Le pauvre garçon continue de supplier pitoyablement sans aucun argument solide pour l'appuyer. Et dix ! J'en connais un qui ne pourra plus faire de corde à
  • 21. sauter. J'entends pleurer de l'autre côté de la porte. Tu m’étonnes, si on me coupait les coussinets je crois que je miaulerais aussi. Je ne perçois que d'une voix lointaine la discussion. Mon patron reprend : — Tu m'as réellement déçu sur ce coup-là Jules... je peux finir sa phrase avec facilité : « Je vais devoir t'envoyer dormir avec les poissons ». —... je vais devoir t'envoyer dormir avec les poissons. Bingo ! Je jubile, ce que je peux être intelligent parfois. — Non... NON ! Pas les poissons boss, NON ! Adieu Jules. Je quitte le pas de la porte et me rend directement dans le couloir juste derrière moi. Je déteste ce sol en carrelage, il est froid pour mes petites pattes. Mon maître, dans sa grande bienveillance, m'a fait installer des chatières pour que je puisse circuler librement partout dans la demeure, je pousse de ma tête l'une d'entre elles, la pièce est plongée dans le noir mais des respirations fortes et soutenues
  • 22. attirent mon attention. Soudain, des cris retentissent, je jette un coup d’œil dans la direction d'où proviennent les bruits : le lit. Qu'est-ce qui peut bien se passer ici ? Je ne comprends pas très bien la situation, la chambre dans laquelle je me trouve est celle de Caïd. En entendant la chatière se bousculer, tandis que les respirations s'arrêtent, une voix masculine demande inquiète : — C'est quoi ce bruit ? Une femme est en train de gémir, elle rétorque : — C'est rien, c'est juste Fripon, le chat, vas-y, continue. Il y a quelques instants d'hésitation, puis l'homme reprend : — Non, désolé ça me bloque, je ne peux pas, je sens qu'il nous observe avec ses grands yeux. Moi ? Je ne fais que manger dans ma gamelle. — Oh, allez s'il te plaît ! Supplie-t-elle. Viens, je t'en prie viens. La petite lumière sur la table basse se rallume et l'homme s'excuse : — Désolé, désolé ça me bloque vraiment, je ne peux pas. Tu crois que je me gène moi ? Fais pas gaffe fiston, amuse-toi. La femme soupire, elle repose sa tête sur l'oreiller. Quel drôle de
  • 23. position. Je me déplace dans la pièce et monte sur le lit avant d'aller me blottir dans les bras de la patronne. Il s'agit de Véronique, la femme de Caïd. S'il voyait ça ! Philippe et Véronique ensemble. Si je pouvais rire, je le ferais. En me sentant contre son bras, celle-ci me rejette violemment : — Oh toi ça va ! C'est de ta faute tout ça ! Dégage ! C'est bon j'ai compris, tu as de la chance petite garce que je ne puisse pas parler, sinon je te jure que toi aussi tu ferais du tricot avec les orteils. — Ce n'est que partie remise darling, la rassure Philippe. Véronique riposte : — On aurait tout aussi bien pu virer le chat. J'ai un nom. Soudain, je tends l'oreille, le patron a fini et il revient, je l'entends vociférer dans le couloir. Je vois le regard de Philippe pâlir et celui de Véronique blêmir. Ah vous êtes dans de beaux draps vous, c'est le cas de le dire. — Cache-toi ! Murmure Véronique à son amant. Immédiatement, Philippe ramasse ses affaires et se jette sous le lit comme un goal sur un ballon. Je le rejoins. La porte s'ouvre brutalement. Véronique fait semblant de dormir sous sa
  • 24. couverture. — Ce sale petit merdeux n'a pas avoué ! Hurle Caïd en entrant. Je vois uniquement ses pieds, mais j'entends la couverture et je sens le matelas bouger au-dessus de moi, sûrement que cette garce fait semblant de se réveiller. — Ce que ça peut puer ici ! Peste le patron en se dirigeant vers la fenêtre pour l'ouvrir. Normal, ils viennent de forniquer. Je bouge doucement sous le lit et remarque que Philippe, par nervosité, agite un de ses pieds. Il les frotte l'un contre l'autre comme s'ils le grattaient. Qu'est-ce qu'il peut bien avoir celui- là ? Un moustique ? Je me place juste derrière et les regarde avec amusement. J'ai très envie de jouer d'un seul coup, il ne faut pas m'en vouloir, c'est physiologique je pense. — Tu as fait une sieste ? Reprend le patron. — Oui, tu ne devrais pas entrer comme ça de manière tonitruante, tu m'as réveillé ! Menteuse. S'il continue à agiter ses pieds comme ça lui, je ne vais plus pouvoir me retenir. — Je suis désolé mon petit sucre, s'excuse mon maître en se cambrant sur le matelas, Philippe contrôle sa respiration à la perfection et tente de n’émettre aucun bruit. Un véritable ninja
  • 25. ce Philippe. Plus le patron avance, plus le matelas s'affaisse sur nos têtes. Il a pris du poids. — Ce n’est pas grave mon bel ours. J'entends un « zip ». — Pour me faire pardonner... han... voilà ce que... han... je te propose. C'est très direct. — Oh... tu... es pardonné... han... pauvre Philippe. Je vois son regard se décomposer, à sa place, je ne me sentirais pas à mon aise non plus. Il profite du bruit émanant du coït présent dans la pièce pour se frotter les pieds un peu plus fort. — Tu aimes comme ça ? Gémit mon maître. Et toi Philippe, tu aimes ? Je m’esclaffe intérieurement. — Oh oui ! Oui ! OUI ! Cette fois c'est trop, c'est l'agitation qui fait déborder mon envie de jouer. Je suis des yeux le mouvement de son pied et d'un habile coup de patte transperce sa peau de mes griffes. Il plaque sa main contre sa bouche et agite son pied de plus belle comme pour me faire partir. Il pense quoi ? J'ai d'autant plus envie de jouer moi ! — Vas-y, oui, comme ça ! Gémit Véronique. Mais quelle pouffiasse, elle n'en a donc jamais assez ? J'entends le lit grincer et faire des va et vient de haut en
  • 26. bas. J'ai peur de recevoir une latte sur le coin de la caboche... la respiration du patron est haletante et celle de sa femme encore plus. Je crois qu'elle fait une crise d'asthme, il faut l'emmener aux urgences. Philippe continue d'agiter son pied pour que je le lâche. Il n'a pas l'air de comprendre que ce n'est pas comme ça que je vais arrêter. Il a l'air vraiment gêné le pauvre garçon. Si le boss savait ce qui est passé par le même endroit que lui. Et puis arrête d'agiter ton pied !! Cette fois c'est trop. Après de multiples coups de pattes, je m'aperçois que lui aussi a envie de jouer. Je mords donc dans son pied à pleines dents. Cette fois il ne peut retenir un cri : — Aie !!! Douleur ou surprise ? Aucune idée ! Caïd s'arrête. — C'était quoi ça ? Demande-t-il suspicieux. Je m'échappe de sous le lit pour ne pas recevoir une balle perdue et je m'allonge nonchalamment sur le rebord de la fenêtre. J'adore me percher pour regarder ce genre de choses, on dirait des scènes de Tarantino. Véronique lui saisit les poignets d'amour et l'attire à elle.
  • 27. — Ce n'est rien, c'est sûrement le chat, dit-elle aguicheuse et sexy pour le faire revenir sur son corps et lui faire oublier qu'un de ses hommes de main est terré comme un rat sous son lit. — Un chat qui crie « aie » ? Sûrement pas ! S'exclame-t-il en se retirant de sa femme. — C'est le chat je te dis, insiste-t-elle inquiète en lui touchant le torse. Il se lève, sort du lit, regarde autour de lui dans la pièce et s'écrie : — Je sais qu'il y a quelqu'un ici, crie-t-il. Oh cette sale manie de hurler à tort et à travers... je m'imagine la tête actuelle de Philippe, il doit sacrément me maudire... en même temps c'est un peu de sa faute aussi... il n'avait qu'à pas me donner envie de jouer avec son pied. Caïd cherche son pantalon dans lequel est caché son revolver. Il se baisse pour le ramasser et son regard se bloque sous le lit. Il entre dans une colère noire à la vue de Philippe nu sous son propre matelas et dans sa propre chambre. Leurs regards se croisent, ils sont tous deux nus... je crois que je vais commencer une petite histoire et cela en sera la première phrase. — Philippe ? Mais qu'est-ce que...
  • 28. Il regarde Véronique fixement, elle esquisse un signe d'incompréhension des yeux et hausse les épaules, stressée. Il se saisit du bras de l'amant de sa femme et le tire de sous le lit nu comme un ver. — Tu te tapes ma femme Philippe ??? Hurle-t-il. Véronique cache la moitié de son visage sous la couverture et se recroqueville dans les draps, adossée au mur, pétrifiée par la fureur de son mari. — C'est pas du tout ce que tu crois Caïd, se défend Philippe en reculant, posé sur ses fesses. Le patron tape violemment du pied dans le lit en criant : — Merde ! Quelle journée pourrie ! GONTRAND ! Hurle- t-il. APPORTE-MOI LE SÉCATEUR ! Aie aie aie... cette fois-ci ce ne sont pas les doigts qui vont tomber... — Non... boss... pardon, je veux dire, c'est un malentendu... c'est pas ce que vous... — LA FERME ! Il trépigne dans la pièce en le montrant du doigt, ne sachant quoi dire. PUTAIN, IL VIENT CE SÉCATEUR ?? Des pas se font entendre dans le couloir d'à côté, sans remettre son pantalon et toujours en fixant Philippe du
  • 29. regard, Caïd garde son bras tendu à proximité de la porte pour attraper directement l'outil quand Gontrand daignera lui apporter. — La porte s'ouvre, le patron la retient d'une main : — Je suis à POIL Gontrand ! Contente toi de me le passer — Vous savez qu'on venait juste de le ranger et que... — Je m'en contrefous ! Rétorque Caïd, passe moi juste ce putain de sécateur Gontrand ! L'homme s'exécute et donne l’outil par l’entrebâillement. Le Caïd fend l'air un instant avec son nouveau jouet, puis il se dirige vers Philippe. — Alors, c'est à nous mon petit gars... Je profite de la porte entrouverte pour me faufiler à l'extérieur, je déteste la vue du sang. Mais comme à mon habitude, curieux, je me poste juste devant pour écouter. Il y a du mouvement dans la pièce, j'entends des cris, des hurlements même ! Ah, un vase de brisé. Véronique hurle. Visiblement c'est Philippe qui l'a reçu sur le coin de la tête. — Ne fais pas ça ! Crie Véronique. — Toi tu ne payes rien pour attendre, rétorque Caïd. — Je vous en prie boss, supplie Philippe. — Couic, dit le sécateur.
  • 30. — ça t'apprendra à t'en servir et à la fourrer n'importe où espèce de petit traître ! Philippe hurle de douleur, je l'entends même pleurer. J'en connais un qui ne prendra plus sa douche dans les vestiaires après le match de foot. — Et puis par plaisir je vais te couper ça aussi ! Des fois que tu arrives encore à te reproduire, là, on est sûrs au moins. Véronique hurle à nouveau et... « Couic ». Philippe est en larmes, il doit probablement y avoir du sang partout dans la pièce. J'en connais un qui va pouvoir chanter sur dix octaves maintenant. — ET TOI ARRÊTE UN PEU DE HURLER ESPECE DE PÉTASSE !! Crie à nouveau le patron. Il sort en trombe avec son pantalon cette fois, en rageant : — Il va falloir qu'on change la moquette maintenant. GONTRAND ! Viens ramasser le matos de Philippe, il traîne par terre ! Aboie-t-il. Même par curiosité, je n'entre pas dans la chambre. Véronique poursuit Caïd en courant à moitié nue en m'écrasant la queue au passage. Je feule en sa direction. Pétasse ! — Attends Caïd, C'est pas ce que tu crois ! Ils s'éloignent tous deux dans une pièce à part. Gontrand entre à nouveau en
  • 31. scène armé d'un ramasse poussière et d'un balais. — Arg... Gontrand... aide-moi... supplie Philippe. J'entends le bruit d'un revolver qu'on charge puis, le bruit significatif d'une arme silencieuse avec laquelle on tire, à trois reprises. Au moins on ne l'entendra plus gémir celui-là, dommage, on ne l'entendra pas chanter non plus. Après quelques coups de balayette, cette fois-ci, Gontrand revient équipé d'une serpillière. Dépêche-toi de nettoyer larbin, ma gamelle est dans la chambre et comme tout le monde devrait le savoir je déteste la vue du sang. Cela me fait tout de même doucement sourire de voir un homme comme Gontrand réduit à l'état de ménagère. Lui qui est d'un naturel calme, peu loquace, obéissant, le genre crâne rasé et costume cravate vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il est ce qu'on peut appeler un type froid, voire flippant, une personne normale ne reste pas en sa compagnie par pur plaisir. Il est un peu l'homme à tout faire de Caïd. Il sort avec le ramasse poussière et se dirige vers l'escalier menant à la cuisine. Il n'esquisse même pas un regard de dégoût. Ce qu'il fait lui semble parfaitement normal. Taré va ! Je m'assois doucement sur le côté du couloir pour ne pas le gêner dans son passage. Il remonte et
  • 32. entre à nouveau dans la chambre toujours avec son air grave et imperturbable. Cette fois-ci il en sort accompagné de Philippe qu'il traîne par les jambes. Je le vois passer allongé sur le dos les bras ballants, je croise au passage son regard ahuri. Ce qu'il avait l'air idiot. Cet imbécile de Gontrand laisse du sang partout sur le carrelage en le traînant, ça me répugne. Celui-ci exécute son dernier aller-retour et cette fois, il quitte la pièce en passant la serpillière derrière lui à chaque pas pour que le sol soit impeccable. Alors ça c'est un bon employé ! Je vais le surnommer... monsieur propre ! Parce qu'il est chauve, mais aussi parce qu'il fait bien le ménage ! Je retourne dans la chambre comme si rien ne s'y était passé, j'aperçois ma gamelle, ah, au moins ils ne l'ont pas touchée pendant leurs échauffourées. C'est ce qui compte. Je continue de manger tranquillement, ces croquettes n'ont jamais été aussi délicieuses.