1. FUTURE REFORME PRUDENTIELLE DU RISQUE SOUVERAIN :
LA PATIENCE SERA-T-ELLE MERE DE TOUTES LES VERTUS ?
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« Nous affirmons qu’il est impératif de briser le cercle vicieux
qui existe entre les banques et les États. », telle fut la
déclaration prononcée lors du Sommet de la zone Euro
du 29 juin 2012 tandis que l’Union Européenne était aux
prémices de la création de son UnionBancaire sur fond de
crise bancaire et souveraine. Mais si le risque souverain
constitue l’une des dernières réformes attendues pour
finaliser Bâle III,c’est bien que la problématique n’est pas
simple à résoudre…
Depuis 2014, des actions conséquentes ont déjà été
entreprises comme l’augmentation de la qualité et
de la quantité des fonds propres bancaires ou l’instauration du principe de bail-in au travers de la Directive BRRD mais
l’omniprésence du lien entre banques et souverains, à l’image du programme de Quantitative Easing mené par la BCE avec
1.000 milliards d’euros de rachat de dettes souveraines pour l’essentiel en 18 mois1
, prouve que le cercle vicieux n’est pas
totalement rompu.
Plus spécifiquement, sur le plan prudentiel, la dette souveraine, émise ou garantie par un Etat, est considérée comme
présentant un risque faible, voire nul. Ces expositions n’appellent ainsi à ce jour peu voire aucune exigence en fonds propres.
Au regard de la crise de la dette souveraine dans la zone Euro,ce traitement préférentiel est discutable.La nécessité de revoir
le traitement prudentiel des expositions souveraines au niveau international, soulignée par Danièle Nouy dès 20122
, a été
mise en exergue dans le rapport du Conseil Européen du Risque Systémique3
(ESRB) publié en mars 2015.
Après un bref rappel contextuel, nous dresserons un état des lieux des traitements prudentiels en vigueur au sein de l’Union
Européenne au niveau du risque souverain, puis nous envisagerons les différentes options possibles en termes de réformes
en mettant en évidence les conséquences associées.
CONTEXTE
À ce jour, la dette souveraine représente plus de 2.000 milliards d’euros dans les bilans bancaires4
avec une prépondérance de la
dette souveraine domestique. Pour rappel, en termes de périmètre, les expositions au risque souverain sont constituées de titres
(AFS,JVO,HTM),de prêts/créances ou d’instruments dérivés (dont les CDS).Il existe,en outre,des entités juridiques distinctes
de l’administration centrale qui peuvent néanmoins être assimilées en ce qui concerne leur traitement prudentiel.
Pour avoir une idée plus précise des pays auxquels les banques européennes sont particulièrement exposées, nous avons mené une
étude basée sur les documents de référence 2015 des banques dont le total bilan dépasse 500 milliards d’euros. On constate alors
que la dette souveraine française fait figure de favorite,mais surtout que l’Espagne et l’Italie occupent respectivement la seconde et
la troisième place, alors que ces mêmes pays connaissent des difficultés économiques et sociales majeures depuis plusieurs années
sur fond de récession et de PIB en chute.
AUDREY CAUCHET,
RESPONSABLE DE LA
VEILLE RÉGLEMENTAIRE
PRUDENTIELLE
LAURENCE KARAGULIAN,
SENIOR MANAGER AUDIT
BANQUE
SIMON SHOHET,AUDITEUR
FINANCIER JUNIOR
1 : The Economist - 10 au 16 septembre 2016
2 : Banque de France, Revue de la stabilité financière - N° 16 - Avril 2012
3 : ESRB report on the regulatory treatment of sovereign exposures March 2015
4 : Revue Banque - avril 2016
LA LETTRE RÉGLEMENTAIRE _ SEPTEMBRE 2016 #15 20
2. Exposition des banques européennes (total bilan > 500 G€) au risque souverain
Source : documents de référence 2015 (lorsque l’information est disponible)
L’exposition cumulée au risque souverain des banques du panel représente un total d’environ 740 milliards d’euros, démontrant
encore l’importance de la dette souveraine dans les bilans bancaires, presque 2 ans après la mise en place du MSU, premier pilier de
l’Union Bancaire.
PRINCIPES ACTUELS DU TRAITEMENT PRUDENTIEL DE LA DETTE SOUVERAINE
Solvabilité
Pour rappel, et conformément à l’article 92 du règlement n°575/2013 (CRR) concernant les exigences prudentielles applicables
aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement, le ratio de solvabilité global est égal au rapport entre les fonds
propres globaux et la somme du montant des expositions pondérées au titre du risque de crédit et de contrepartie, du risque
d’ajustement de la valeur de crédit, des risques de marché et du risque opérationnel multipliées par 12,5.
Le traitement prudentiel de la dette souveraine dans le calcul du ratio de solvabilité diffère selon la méthodologie utilisée par les
banques : approche standard ou approche basée sur les modèles internes (IRB).
• La pondération des expositions souveraines selon l’approche standard, révisée sous Bâle II, repose sur la monnaie dans
laquelle la dette est libellée. Alors que les pondérations en risque des dettes libellées en monnaie étrangère reposent sur les
notations externes de ces expositions (voir ci-contre), celles des dettes libellées et financées dans la devise de l’emprunteur
sont pondérées à 0 %.
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2121 LA LETTRE RÉGLEMENTAIRE _ SEPTEMBRE 2016 #15
3. Pondération des expositions libellées en monnaie étrangère – méthode standard
Source : Art. 114 (2) du CRR
Source : APCR - annexe C1 des modalités de calcul des ratios prudentiels dans le cadre de la CRD IV - 2016
• En approche fondée sur les notations internes, la pondération des expositions souveraines
est calculée sur la base de la formule réglementaire reposant sur les probabilités de défaut à
1 an associée à la notation interne de l’exposition. En pratique, ces calculs conduisant à une
pondération faible, voire nulle, les établissements ont été autorisés à opter pour l’application
de l’approche standard sur ces expositions (utilisation partielle des modèles internes), sous
réserve de l’autorisation de l’ACPR en France, lorsque :
§§ le nombre de contreparties significatives est limité ; et
§§ la mise en œuvre d’un système de notations internes pour ces contreparties représente une
contrainte excessive pour l’établissement assujetti (art 150 (1) (d) du CRR).
PLUS OU MOINS-VALUES LATENTES SUR LES TITRES :
TRAITEMENT TRANSITOIRE ET DISCRÉTION NATIONALE
Conformément à l’article 467 (2) du CRR, les autorités nationales peuvent autoriser les
établissements de crédit à ne pas comptabiliser les plus ou moins-values latentes des titres AFS
souverains si ce traitement était appliqué avant le 1er
janvier 2014.
Le traitement dérogatoire énoncé ci-avant prévaut pour les établissements significatifs jusqu’au
1er
octobre 2016.Au-delà de cette date,ce sont les articles 14 et 15 du règlement (UE) n°2016/445
de la BCE du 14 mars 2016 qui entreront en vigueur avec un filtre à hauteur de 40% en 2016,
puis 20% en 2017.
Liquidité
Le ratio de liquidité à court terme (LCR),instauré par les accords de Bâle III,permet de mesurer
le profil de risque d’un établissement de crédit au regard de la liquidité. Le respect de ce ratio
à 100%, objectif à atteindre graduellement d’ici le 1er
janvier 2018, permet de s’assurer de la
capacité de l’établissement à couvrir son besoin de liquidité durant un mois, en cas de crise de
liquidité, grâce aux actifs liquides de haute qualité (HQLA) dont il dispose.
La consultation du Comité de
Bâle est attendue pour fin 2016
– début 2017
DATE
CLÉ
Une réforme délicate tant
les impacts sont nombreux au
niveau prudentiel, économique
et politique
POINT
CLÉ
LA LETTRE RÉGLEMENTAIRE _ SEPTEMBRE 2016 #15 22
4. 4
Les encours HQLA, et plus précisément ceux de niveau 1,
sont définis dans l’article 10 de l’Acte Délégué entré en
vigueur depuis le 1er
octobre 2015. Ce niveau d’actifs
recouvrant la majeure partie des titres et créances émis par
des Administrations Centrales se voit appliquer une décote de
0%, sauf cas particulier, ce qui justifie en grande partie la part
importante des titres souverains dans le coussin de liquidité
constitué par les établissements.
Grands Risques
En vertu de l’article 400 (1) du CRR, les expositions sur ou
garanties par des Administrations Centrales sont exemptées de
la limite de Grands Risques,permettant ainsi aux établissements
de crédit d’être exposés aux contreparties souveraines au-delà
de 25% de leurs fonds propres éligibles.
Par conséquent, nous constatons que le traitement prudentiel
actuel de la dette souveraine est particulièrement avantageux
pour les établissements de crédit, ce qui peut apparaître
contradictoire au regard de la crise qu’a connu l’Union
Européenne 4 ans auparavant.
EVOLUTIONS POSSIBLES DU
TRAITEMENT PRUDENTIEL ET
CONSEQUENCES ASSOCIEES
Etant donné les interactions fortes demeurant entre le risque
bancaire et le risque souverain,il apparaît nécessaire d’envisager
l’instauration d’une période transitoire, comme souligné dans
le rapport du Mécanisme Européen de Stabilité5
paru en mars
2016, et ce, quel que soit le nouveau traitement adopté.
Une première option dite « approche Pilier 1 » pourrait
consister en l’augmentation des exigences en fonds propres au
niveau du ratio de solvabilité.Suite à la consultation du Comité
de Bâle de mars 2016 sur la revue des modèles internes du
risque de crédit, la classe d’actifs « Administrations Centrales »
pourrait se voir interdire l’utilisation des modèles internes, du
fait notamment des faibles taux de défaut observés dans le
passé. Cela signifierait que seule l’approche standard se verrait
modifier, mais il serait alors nécessaire de trouver un indicateur
pertinent pour déterminer le rating adéquat (croissance du
PIB, dette publique,…). Cependant, l’hétérogénéité actuelle
diviserait un peu plus le Nord et le Sud de l’Europe, entraînant
des pondérations divergentes au niveau des 19 Etats de la
zone Euro versus 0% pour tous les Etats actuellement. L’étude
publiée par Fitch6
en juin 2016 évoquait aussi l’éventualité
d’imposer un floor à la pondération du risque souverain.
Une seconde option dite « approche Pilier 2 » insisterait
davantage sur la gouvernance et les contrôles internes mis
en place pour s’assurer du pilotage sain et adapté du risque
souverain au niveau de chaque établissement. La BCE pourrait
alors imposer dans le cadre du SREP (Supervisory Review and
Evaluation Process) l’instauration de limites et seuils d’alerte
internes dédiés, voire imposer le respect d’un coussin de fonds
propres pour le risque souverain répondant d’une approche
au cas par cas. Cette option entrerait ainsi dans le principe du
Risk Appetite Framework avec une adéquation nécessaire entre
gestion du risque souverain et stratégie de l’établissement.
Par ailleurs, on peut aisément imaginer un renforcement des
exigences de publication de l’information financière (pilier 3)
dans la continuité des travaux actuellement menés par le Comité
de Bâle7
et l’EBA8
afin de promouvoir la transparence dans la
gestion qualitative et quantitative du pilotage de l’exposition
souveraine.
Enfin, que ce soit pour la gestion de la liquidité ou le risque de
concentration, les établissements pourraient se voir davantage
contraints à la diversification. Concernant la liquidité, la
détention d’actifs liquides de haute qualité autres que les
titres d’Etat imposerait un effort conséquent, notamment
pour combler la décote plus importante des actifs venant
en remplacement, tandis que la limite de Grands Risques
obligerait à détenir moins de dette domestique au profit de
la dette d’autres Etats-Membres, ce qui pourrait finalement
entraîner un risque de contagion plus important à l’échelle de
la zone Euro.
Les régulateurs ont donc un sujet épineux à résoudre, dont les
premières mesures devraient être connues d’ici fin 2016-début
2017 dans le prolongement de réformes déjà très structurantes
2323 LA LETTRE RÉGLEMENTAIRE _ SEPTEMBRE 2016 #15
5 : ESM Discussion Paper Series/1 March 2016 – Tackling sovereign risk in European banks
6 : FitchRatings Breaking the Sovereign-Bank Nexus: Prudential Reform – Special Report
7 : Consultation du 11 mars 2016 – Pillar 3 disclosure requirements – consolidated and enhanced framework
8 : CP du 29 juin 2016 – Guidelines on disclosure requirements under Part Eight of Regulation (EU) 575/2013
5. comme le MREL, le ratio de levier ou le NSFR. Le vote du
Brexit du 23 juin dernier et ses modalités encore très incertaines
ne font que rendre la tâche plus complexe.
Mais le risque souverain représente surtout un enjeu majeur
quant à la finalisation de l’Union Bancaire, à l’heure où son
troisième pilier, EDIS (European Deposit Guarantee Scheme), est
fortementcritiqué.Lesferventsopposantsàlamutualisationont
en effet rejeté le projet en attendant une révision du traitement
de la dette souveraine. Il restera alors à voir si, à l’issue de la
révision du traitement, le cercle vicieux se transforme peu à peu
en cercle vertueux…
LA LETTRE RÉGLEMENTAIRE _ SEPTEMBRE 2016 #15 24
Alors que le Comité de Bâle doit finaliser d’ici la fin de l’année sa revue des modalités de calcul du ratio
de solvabilité, incluant la refonte des risques de crédit (méthodes standard et avancée), la question
du traitement prudentiel applicable aux expositions sur les administrations centrales n’a pas vraiment
progressé depuis 2012. Il est vrai qu’il n’est pas aisé de revoir les charges en fonds propres allouées aux
expositions sur le Souverain, reconnu comme actif de haute qualité et présentant une rémunération faible,
cette dernière incluant, par nature, l’appréciation du risque. Au-delà des enjeux politiques, l’exercice de
revue devrait également permettre de résoudre des questions d’ordre technique, telles que le périmètre
effectivement couvert ou le maintien de l’approche partielle (« PPU »), pour lesquelles les pratiques des
superviseurs peuvent diverger.
GUILLAUME TABOURIN,
RESPONSABLE
EXPERTISE
RÉGLEMENTAIRE
RISQUES,GROUPE BPCE