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LA VILLE SANS 
URBANISTES ? 
Urbanisme Tactique 
En Amérique du Nord : 
Une Etude De Cas Artiviste 
à Toronto 
Rémi Crombez 
Mémoire de fin d’études 
Année 2013-2014 
MASTER de Sciences et Technologies, 
Mention Aménagement, Urbanisme et Développement des Territoires 
Spécialité : Ville et Projet 
Parcours : Projet Urbain 
Sous la direction de 
Maryvonne Prévot 
www.stepsinitiative.com
2 
SOMMAIRE 
REMERCIEMENTS ............................................................................................................................ 4 
INTRODUCTION ............................................................................................................................... 5 
PARTIE 1 Un activisme urbain ............................................................................................. 8 
1.1 : Qu’est-ce que l’urbanisme tactique ? ............................................................. 10 
1.1.1 : Une jeunesse urbanophile et connectée dans une ville en crise économique ................ 10 
1.1.2 : …qui remet en cause la planification classique du développement urbain ................. 11 
1.1.3 : Un activisme urbain dépolitisé ................................................................ 12 
1.1.4 : Des interventions de court-terme… ......................................................... 13 
1.1.5 : …avec un impact de long terme .............................................................. 14 
1.1.6 : Une flexibilité d’intervention et un impact sur la vie quotidienne ........................... 16 
1.1.7 : Une approche bottom-up pour un empowerment citoyen ..................................... 18 
1.2 : Des penseurs Européens aux activistes Nord-Américains, approche théorique de l’urbanisme 
tactique ................................................................................................... 21 
1.2.1 : Henri Lefebvre, la théorie marxiste de l’espace vécu ......................................... 21 
1.2.2 : Les situationnistes et la réinvention du quotidien ........................................... 22 
1.2.3 : Michel de Certeau et Jurgen Habermas : transformer le réel par la tactique ............... 23 
1.2.4 : Kevin Lynch, Jane Jacobs et William Whyte : l’humain d’abord .............................. 24 
1.2.5 : Le placemaking et le Congress for New Urbanism ............................................ 25 
1.3 : L’ARTivisme de STEPS initiative : une forme de tactique urbaine ? ............................. 26 
1.3.1 : L’art comme outil de la ville conviviale ........................................................ 26 
1.3.2 : Un art contextuel qui propose une critique dans l’espace public ............................ 27 
1.3.3 : De l’art urbain à l’ARTivisme : vers une médiation urbaine artistique ....................... 28 
PARTIE 2 Quel rôle dans la planification urbaine ? .................................................... 32 
2.1 : Quelle articulation planification / urbanisme tactique ? .......................................... 34 
2.1.1 : Du laboratoire expérimental… ............................................................... 34 
2.1.2 : … à la pérennisation ......................................................................... 35 
2.1.3 : Un vecteur d’intensité urbaine ................................................................ 36 
2.1.3 : Vers une consultation citoyenne collaborative ? ............................................. 37 
2.1.4 : Le soutien de la population locale et le renforcement de la cohésion sociale ............... 38 
2.1.5 : Un outil d’éducation urbaine .................................................................. 38 
2.2 : L’adaptation des procédures administratives : vers un lean urbanism ? ........................ 39 
2.2.1 : Le management du risque ..................................................................... 39 
2.2.2 : La difficulté de faire émerger des initiatives face à des règlements pesants ............... 39 
2.2.3 : Qu’est ce que le lean urbanism project ? .................................................... 40 
2.2.4 : Favoriser des projets spontanés par la flexibilité ............................................ 41 
2.3 : Vers la professionnalisation des activistes ? ..................................................... 42
2.3.1 : Une coopération entre activistes et institutions ............................................. 42 
2.3.2 : Une remise en cause du métier d’urbaniste ? ............................................... 43 
2.3.3 : Une professionnalisation des activistes ? ................................................... 44 
2.3.4 : L’enjeu de l’évaluation des impacts sociaux ................................................. 45 
2.3.4 : Un rééquilibrage des rôles .................................................................... 46 
2.3.5 : Les urbanistes de la ville open-source et collaborative ? ................................... 46 
PARTIE 3 Un regard critique .............................................................................................. 48 
3.1 : L’urbanisme tactique au service d’une économie néo libérale .................................... 50 
3.1.1 : L’aveu de l’impuissance des pouvoirs publics ................................................. 50 
3.1.3 : Quand la stratégie s’empare de la tactique ................................................... 50 
3.1.2 : La tactique au service de la ville créative et du néo libéralisme ............................. 51 
3.2 : L’urbanisme tactique, un hobbie de hipster ? .................................................... 52 
3.2.1 : Un profil d’activiste homogène ................................................................ 52 
3.2.2 : La tactique : un outil au service de la de gentrification ? .................................. 53 
3.2.3 : Vers un darwinisme urbain ? ................................................................. 54 
3.2.5 : La tactique urbaine n’est pas une solution miracle .......................................... 54 
CONCLUSION ................................................................................................................................ 56 
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 58 
3
4 
REMERCIEMENTS 
Je remercie en premier lieu mes parents qui m’ont soutenu tout au long de cette aventure canadienne. 
Merci à camarades de promotion, pour leur soutien et leur amitié à longue distance. 
Merci à Maryvonne Prévot pour ses encouragements. 
Merci à Mojan Jianfar pour m’avoir guidé durant le stage 
Merci à toute l’équipe de STEPS initiative pour m’avoir fait partagé leurs projets et leurs ambitions durant 
ces quelques mois.
5 
INTRODUCTION 
Qu’est-ce qu’être urbaniste ? C’est l’une des interrogations fondamentales pour tout étudiant en 
urbanisme. L’urbaniste est-il le grand chef en capacité de projeter sur plan le devenir de la ville ? Est-il 
le rigoureux spécialiste de la rédaction, de l’analyse et de la compréhension des règlements et des 
législations d’aménagement ? Est-il l’animateur de proximité capable d’attirer l’attention des habitants 
sur un projet de développement? Ou encore, est-il le fin négociateur capable de concilier les intérêts 
aussi divergeant que contradictoires des différents acteurs concernés par les projets ? Qui sommes 
nous, les urbanistes ? Si ce mémoire n’a pas pour ambition de répondre à cette question, il prétend 
néanmoins nourrir la réflexion en proposant un point de vue sur une méthode très particulière de faire la 
ville : l’urbanisme tactique. 
La complexité de la question urbaine, du fait de la multiplication des enjeux et des intérêts en présence, 
a fait émerger un système de lois, de règlements, de procédures, de codes chargés, sous le sceau de 
l’exigence démocratique, de veiller au maintien de l’intérêt général. L’urbaniste-planificateur est alors, 
du fait de sa formation et de ses connaissances, le seul en mesure de déchiffrer et de manipuler ces 
différents outils pour mener à terme des projets de développement urbain. La complexité est à ce point 
évidente que seul un professionnel semble en mesure de l’appréhender. Ainsi l’apparition d’une profession 
chargée de traduire la structure complexe des projets auprès des habitants lors de réunions publiques 
pourrait être interprétée comme le signal d’un fossé durablement creusé entre les usagers de la ville et 
ses concepteurs. Pour remédier à cela, l’urbanisme tactique a pour ambition de réveiller l’urbaniste qui 
sommeille en chaque citadin. 
Et si chaque citoyen avait le pouvoir et la capacité d’agir matériellement sur son environnement pour 
rendre celui-ci plus agréable à vivre et donc par conséquent plus attractif ? A quoi sert-il d’attendre que 
les autorités répondent à des aspirations quand celles-ci peuvent être satisfaites rapidement, 
efficacement et joyeusement ? C’est sans doute la question que s’est posée Mark Lakeman lorsque, en 
1996, il décide de mobiliser les habitants de son quartier résidentiel de Portland (USA) pour repeindre 
tout en fantaisies et en couleurs une intersection routière, installer des jeux pour enfants et du mobilier 
urbain à proximité. L’aspiration à une vie sociale de quartier stimulante, jusqu’alors obstruée par la 
domination de la voiture et l’absence d’espace public digne de ce nom, s’est traduite par une 
participation enthousiaste des résidents à ce qui pourrait ressembler à une conquête festive et créative 
d’espace public. Quelques pinceaux et pots de peintures partagés, des bancs, des chaises installés sur la 
chaussée, un petit stand thé artisanal… En quelques heures, Mark Lakeman et ses voisins 
transformèrent spontanément un espace de circulation routière en un lieu d’échanges, de partage et de 
fête, au vu et au su des autorités de la ville.
Figure 1 : Intersection Repair à Portland 
Source : daily.sightline.org 
Ainsi, l’urbanisme tactique s’attache à démontrer que chaque citadin possède la capacité d’agir 
directement sur son environnement, non pas en son nom propre, mais au nom d’intérêts partagés avec 
d’autres membres de sa communauté. A première vue, cette perspective remet en cause le rôle central 
des institutions publiques dans la régulation et la maîtrise de l’espace public, missions généralement 
confiées à un urbaniste. Or la conquête de l’intersection par Mark Lakeman et ses voisins a amené les 
autorités de la ville de Portland à soutenir ce type d’intervention à travers un décret municipal autorisant 
officiellement les habitants à développer librement de nouveaux espaces publics sur certaines 
intersections routières. Une initiative citoyenne est donc devenue une composante d’une politique 
municipale d’animation, de gestion et de création d’espace public. L’apparent antagonisme entre la 
planification des urbanistes et l’intervention des citoyens pourrait-il se transformer en coopération ? 
Est-ce là le début d’une évolution des pratiques de la planification urbaine ? 
« Improving the livablitity of our towns and cities… » tel est l’objectif de l’urbanisme tactique tel que 
formulé par l’un de ses « pères fondateurs », l’urbaniste américain Mike Lydon. L’absence de traduction 
officielle pour le néologisme anglophone livability, dont la définition la plus proche pourrait être celle de 
cadre de vie, est un indice du contexte urbain Nord-Américain dans lequel l’urbanisme tactique est 
apparu et s’est répandu au cours de ces dernières années. Mike Lydon est le leader d’un groupe de co- 
6
auteurs ayant rédigé le manuel de l’urbanisme tactique intitulé Tactical Urbanism : Short-Term Action, 
Long-Term Change et paru en 2010 et 2011 sous la forme d’une première version et d’une seconde mise à 
jour. C’est à ce jour la référence reconnue en terme de littérature professionnelle concernant l’urbanisme 
tactique. Par ailleurs, le succès de l’urbanisme tactique sur le territoire Nord-Américain s’illustre par sa 
présence thématique au sein du pavillon officiel des Etats-Unis lors de la biennale d’Architecture de 
Venise en 2012 ainsi que par la nomination du terme comme étant la tendance urbanistique –planning 
trend- de l’année 2011 par le magazine américain d’urbanisme online Planetizen1. Enfin, l’exposition à 
venir au Musée d’Art Moderne de New-York intitulée « Uneven Growth : Tactical Urbanism for Expanding 
Megacities » (novembre 2014) indique l’actualité de la pratique et les enthousiasmes qu’elle soulève. 
Quelles sont les conséquences d’une telle évolution des pratiques dans la fabrique de la ville Nord- 
Américaine ? Comment redéfinir le rôle de l’urbaniste face à la montée des activismes citoyens ? 
La lecture d’ouvrages de références et de réflexions académiques, l’analyse d’articles et de témoignages 
forment une première étape de recherche de pistes de réponses à ces questions. En outre, une 
expérience de stage au sein d’une organisation revendiquant et pratiquant une certaine forme 
d’urbanisme tactique apporte à cette réflexion une dimension pratique. Ce questionnement débutera par 
une définition à la fois empirique de l’urbanisme tactique (à travers des exemples et la pratique du stage) 
mais également théorique afin d’en comprendre l’héritage intellectuel et philosophique. L’articulation de 
la spontanéité des interventions urbaines avec la rigidité de la planification et des politiques publiques 
sera discutée dans un second temps. En dernier lieu, les limites et questionnements induits par les 
évolutions constatées précédemment seront soulevés. 
1 Nettler Johnathan, Top planning trends 2010-2011, Planetizen, 27 février 2012 
2 « The spirit of entrepreneurship combined with the aspiration of civic renewal » 
7
8 
PARTIE 1 
Un activisme urbain
L’urbanisme tactique est avant toute un projet citoyen qui remet l’espace public au coeur de la 
vie de la cité. Il prend place dans un contexte particulier marqué par les crises économiques, une lente 
transformation des modes de vies, des bouleversements technologiques et une critique du 
fonctionnement des institutions urbaines. C’est un projet d’accupuncture urbaine qui vise à réparer 
ponctuellement les défaillances de la ville identifiées par les habitants. Cette méthode n’est pas nouvelle, 
elle est issue de l’héritage philosophique de penseurs de l’urbain qui, depuis les années 1960 ont remis 
en cause la rigidité, la brutalité et l’efficacité de politiques de planification urbaine conçues par les 
experts. La dimension ludique de la tactique urbaine est quand elle le fruit d’un lien direct avec la 
pratique artistique dans l’espace public. 
9
1.1 : Qu’est-ce que l’urbanisme tactique ? 
1.1.1 : Une jeunesse urbanophile et connectée dans une ville en crise économique 
Le manuel de l’urbanisme tactique de Mike Lydon expose trois principales raisons contextuelles à 
l’émergence de l’urbanisme tactique dans les villes d’Amérique du Nord. Il s’agit en premier lieu d’un 
contexte de récession post-crise de 2008 qui a freiné la croissance économique Nord-Américaine. Les 
subventions et financements de projets urbains ont décliné, se sont raréfiés et sont devenus plus ardus à 
obtenir. De même, les budgets resserrés de citadins subissant les effets de cette crise ont remis en 
question un mode de vie culturellement fondé sur les déplacements automobiles et l’acquisition d’une 
maison individuelle sur une parcelle isolée. L’image éternelle de la suburb Nord-Américaine et de 
l’étalement urbain sans limite est alors questionnée par une frange de la population majoritairement 
composée de jeunes créatifs réinvestissant des downtown longtemps désertés et d’autres quartiers 
laissés en désuétude. Il s’agit de la génération des millenials, ces jeunes nés entre les années 1980 et 
2000, également connus sous le nom de génération Y. Cette nouvelle génération d’urbains est désireuse 
d’un mode de vie où l’accessibilité piétonne est au coeur des préoccupations et où la densité favorise les 
contacts et les échanges. Face à la difficulté de compter sur les institutions et les acteurs classiques de 
l’aménagement urbain, ces citadins choisissent de prendre en main le devenir de leur espace de vie en y 
intervenant hors des circuits traditionnels de la planification. La créativité qui les caractérise s’exprime 
alors à travers des actions ponctuelles et localisées sur leur environnement urbain. Cette capacité à agir 
est par ailleurs valorisée par leur appropriation des nouveaux outils numériques de communication. Cette 
place prépondérante du numérique et des médias sociaux encourage le partage de nouvelles idées, la 
mise en place de projets collaboratifs et l’échange de tactiques. Cette évolution technologique instaure 
un état d’esprit propice à la prise d’initiative, à un renouveau de l’engagement civique et un regain 
d’intérêt pour la vie publique2 (Lydon, 2011). Couplée à la culture en expansion du Do It Yourself3, la 
technologie a favorisé la popularisation des interventions d’urbanisme tactique. A l’origine du mouvement 
Park(ing) Day, les membres du collectif REBAR basé à San Francisco ont pour objectif de créer des 
projets aisément compréhensibles, partageables et adaptables par des communautés de citadins à 
travers le monde (Benner, 2013). Reflet des préoccupations de la génération des millenials, ces militants 
agissent contre la domination de l’automobile qui ruinent l’urbanité et font obstacle aux échanges et à la 
vie sociale dans la ville. En 2005, ils transforment le temps d’un journée une places de parking de San 
Francisco en un espace public piéton. Puis l’idée se propage et se partage à travers les réseaux sociaux. 
En 2008, 500 installations ont été recensées à travers le monde. Ainsi REBAR a largement contribué à 
l’émergence de l’idée selon laquelle, face à des villes en difficulté, les habitants demandeurs d’une 
2 « The spirit of entrepreneurship combined with the aspiration of civic renewal » 
10
qualité de vie urbaine pouvaient agir sans attendre l’intervention des acteurs traditionnels de 
l’aménagement, tout en partageant simultanément leur créativité à travers les outils numériques. 
Figure 2 : Park(ing) Day à San Francisco par REBAR 
Source : rebargroup.org 
1.1.2 : …qui remet en cause la planification classique du développement urbain 
La principale critique formulée par l’urbanisme tactique est celle d’un système de planification et 
de développement urbain déconnecté des intérêts des citoyens. En effet, la planification urbaine propose 
une vision à grande échelle, celle d’une région, d’une ville ou d’un quartier. Or cette méthode omet les 
problématiques posées au niveau du bâtiment ou de la rue. La crise économique a renforcé cette lacune 
des politiques de planification, la raréfaction des ressources financières ayant contribué à la négligence 
de nombreux espaces urbains. Ainsi, c’est à une déconnexion des échelles entre les projets des 
professionnels de l’urbanisme et les intérêts des citoyens que tente de remédier l’urbanisme tactique. 
Mike Lydon évoque un décalage entre des projets urbains de grande envergure et le système de pensée 
des habitants construit à partir des préoccupations de la vie quotidienne. Ce décalage a pour résultat de 
nombreux comportements NIMBYistes4 de la part d’habitants qui, dépassés par l’ampleur des projets 
11 
4 NIMBY : Not In My Backyard
qu’on leur propose, freinent des propositions dont ils peinent à voir le bénéfice qu’ils pourraient en tirer5 
(Lydon, 2011). Ce sont par ailleurs des projets dont les impacts économiques et/ou sociaux sur le long 
terme sont difficilement prévisibles de façon fiable. Le temps long requis pour par le processus de la 
planification est d’ailleurs souvent à la source d’un décalage entre les promesses originelles et la réalité 
du site qui aura évolué en même temps que le chantier. Le baron Haussmann admis d’ailleurs lui-même 
que ses plans pour Paris devinrent inadaptés avant-même leur achèvement (Bishop, 2012). C’est 
également à la tentation du contrôle maximal et exclusif du développement urbain par les autorités et les 
institutions que s’oppose l’urbanisme tactique, qui prône une approche plus ouverte et inclusive envers 
les aspirations des citoyens. Pour cela, les interventions sont immédiatement appropriables par les 
usagers qui peuvent alors en percevoir les impacts positifs. La perte de confiance envers la capacité des 
organisations publiques et privées à répondre aux attentes des citoyens conduit donc à une remise en 
cause de leur rôle par les interventions spontanées des avocats et des activistes de l’urbanisme tactique. 
12 
1.1.3 : Un activisme urbain dépolitisé 
Cette remise en cause d’un mode de planifier et de développer la ville conduit ces jeunes 
individus issus de la génération des millenials à intervenir sur leur environnement. L’expertise des 
professionnels de la ville est mise de côté pour valoriser la créativité et l’engagement citoyen des 
habitants. L’urbanisme tactique est une forme d’activisme urbain qui est définit comme étant « une 
action collective et concertée, parfois illégale, qui vise à transformer l’espace urbain local tout en 
participant souvent à des débats globaux » (Douay, 2012). L’activisme urbain se différencie des 
activistes et militantismes politiques qui prônent une remise en cause ou une confrontation afin de 
transformer, voire renverser un ordre établi. Il ne s’agit pas ici d’une lutte contre un système, celui d’une 
planification urbaine défaillante. Ce n’est pas une question politique qui est soulevée par l’urbanisme 
tactique. Il ne cherche pas la confrontation, et s’il est inoffensif vis-à-vis des institutions il prétend 
néanmoins impacter positivement l’environnement. L’urbanisme tactique ne se pose pas en opposant de 
la planification urbaine et de l’urbanisme de projet. Il s’insère dans un espace laissé vide par les failles 
de ce système qui néglige l’échelle de la vie quotidienne. A une vision politique de l’activisme urbain 
s’oppose ici une vision souriante de cet activisme (Mathieu, 2009). Cela se manifeste par la forme 
souvent joyeuse, ludique et festive de ces interventions, leur mise en scène par la valorisation de la 
créativité et leur accompagnement par une dimension artistique. Le vecteur de l’art urbain utilisé par 
STEPS initiative à Toronto est symptomatique de cette vision apolitique. L’expression artistique est 
utilisée par l’organisation comme un outil consensuel de rassemblement des jeunes individus d’origines 
5 « residents are asked to react to proposals that are often conceived for interests disconnected from their own, and at a scale for 
which they have little control »
et d’opinions diverses autour d’une même cause, celle de la réclamation d’espaces publics créatifs et 
citoyens. 
13 
1.1.4 : Des interventions de court-terme… 
L’urbanisme tactique est un mouvement qui prône l’intervention urbaine, c’est-à-dire une action 
rapide, réalisable sur le court-terme. L’objectif de l’intervention est de produire des effets immédiats. 
L’impact positif de la réalisation du projet doit être perceptible immédiatement. Dans son manuel, Mike 
Lydon préconise le réalisme comme ligne de conduite (Lydon, 2011). L’urbanisme tactique s’attaque à des 
problèmes concrets qui peuvent être résolus rapidement. Par exemple, le chair bombing, littéralement 
« assaut de sièges », consiste à combler un manque de mobilier urbain par l’installation spontanée de 
chaises et de bancs sur l’espace public. Le problème identifié ici est celui d’un déficit de convivialité 
urbaine et de sociabilité et la cause revendiquée par les instigateurs de l’intervention est celle de 
l’absence de mobilier urbain support de la vie sociale de quartier. Il s’agit donc d’une problématique 
simple à laquelle il est possible de répondre par une action rapide. Lorsque les chaises sont installées sur 
le trottoir ou sur la place publique, leur occupation par les passants et les habitants est le signe de 
l’impact positif de l’intervention. Le guerrilla gardening, qui consiste à cultiver un jardin de façon illégale 
dans une propriété publique ou privée laissée en friche, répond au déséquilibre identifié entre la demande 
d’espaces verts en ville face à l’inexploitation de propriétés ou de sites abandonnés. L’appropriation 
illicite du lieu par les intervenants (souvent durant la nuit) est une action rapide durant laquelle sont 
amenés sur le site les premiers matériaux et les premières plantations. Ensuite, la floraison des cultures 
couplée à l’occupation humaine du site par les cultivateurs entraîne un changement de perception de 
l’espace qui devient de facto un espace vert approprié par la communauté locale. A Toronto, STEPS 
initiative a identifié un déficit d’art public urbain dans certains quartiers de la ville. Les interventions 
proposées par l’organisation servent alors à apporter une solution rapide à ce problème en invitant des 
artistes à proposer des oeuvres dans les espaces publics concernés. Le projet PATCH (Public Art Through 
Construction Hoarding) porté par l’organisation, plus particulièrement, souligne la multiplication des 
chantiers de développement immobilier dans la ville et donc la prolifération des palissades de chantier qui 
ont un impact négatif sur le paysage urbain. La réponse apportée est alors celle de proposer des 
interventions artistiques en se servant de ces palissades comme support mural.
Figure 3 : intervention PATCH it up ! – Août 2014 - Toronto 
Source : thepatchproject.com 
14 
1.1.5 : …avec un impact de long terme 
La satisfaction d’un besoin ou d’un usage sur le court-terme s’inscrit dans une vision plus large. 
Par une intervention construite sur le court-terme, l’urbanisme tactique a pour objectif d’amorcer un 
changement sur le temps long6 (Lydon, 2011). Ce changement de long-terme peut revêtir différentes 
formes. Au Texas, l’expérience de Build a Better Block menée à Dallas en 2010 propose un scénario 
express de revitalisation d’un block d’habitations le temps d’un week-end. La première expérience menée 
Jason Roberts, un ingénieur informatique, s’est basé sur le constat de rues transformées en autoroutes 
en raison de l’instauration d’un sens unique, cela ayant fait fuir les piétons et les habitants et donc 
appauvri le quartier en termes d’activités et de vie sociale. Jason Roberts mobilise alors ses amis et ses 
voisins durant un week-end pendant lequel chacun est invité à participer à une opération éclair de 
transformation urbaine. Installation de terrasses sur les trottoirs, peinture d’une piste cyclable sur la 
route, ouverture de cafés et de commerces éphémères… L’idée est ici de mettre en valeur le potentiel 
inexploité d’un quartier. Mais un week-end d’intervention peut-il changer durablement la vie d’un 
quartier ? Un rapport du Department of Urban Studies & Planning du Massachusetts Institute of 
Technology reste mesuré sur les impacts à long-terme de ce type d’intervention. Néanmoins, les auteurs 
soulignent que ce type de projet permet de mobiliser et d’engager la population locale, de potentiels 
commerçants ainsi que les représentants des institutions, autour de l’idée d’une redynamisation 
6 « A deliberate phased approach to instigating change »
(Silderberg, 2013). L’urbanisme tactique agit ici comme un initiateur de dynamique locale pour 
l’attractivité urbaine. La mobilisation des habitants et des curieux permettent d’enclencher un cercle 
vertueux grâce une image dynamique d’une population locale répondant présent à l’appel de l’installation 
de différents cafés et commerces temporaires; avec, au delà de l’événement, l’objectif d’un 
développement commercial pérenne. La tactique de court-terme, proposer rapidement une activité pour 
animer un espace, se marie à un projet de long terme. Il s’agit ici d’attirer l’attention sur l’intensité de la 
vie urbaine d’un quartier et donc son attractivité. La tactique permet d’éviter le cercle vicieux qui 
consiste à voir les surfaces commerciales fermer les unes après les autres en raison d’une désaffection 
croissante des usagers pour des espaces de moins en moins vivant. 
Figure 4 : opération Build a Better Block à Dallas à 2010 
Source : www.gooackcliff.org 
L’aspect pratique et concret des interventions d’urbanisme tactique peut aussi permettre de faire 
émerger des réflexions et des débats sur la place publique. Ainsi STEPS initiative focalise son travail sur 
les quartiers en difficulté en proposant aux habitants, par des interventions artistiques, de renouer avec 
une identité et une fierté locale perdue en raison de la réputation et de la dégradation de leur 
environnement. Regent Park est un quartier de grands ensembles et de logements sociaux situé à l’Est du 
downtown de Toronto. Les difficultés sociales s’y étant accumulées, une vaste opération de revitalisation 
urbaine est en train de remodeler le visage de cette communauté. Pour participer au renouveau local, 
STEPS initiative a organisé une intervention artistique sur la palissade d’un chantier. L’artiste local Troy 
Mclure a proposé une fresque portant le message « conquérir l’adversité par la diversité », mettant en 
avant la richesse multiculturelle du quartier comme outil de renouveau de l’identité et de la fierté 
15
locales. Le court-terme, celui de la réalisation d’une fresque murale durant une après-midi, s’articule 
avec un projet social pérenne, celui de revaloriser l’image dégradée d’un quartier en difficulté. 
Figure 5 : opération PATCH it up ! – juin 2014 - Toronto 
Source : thepatchproject.com 
1.1.6 : Une flexibilité d’intervention et un impact sur la vie quotidienne 
L’urbanisme tactique est avant tout caractérisé par une échelle d’intervention locale. Il s’agit de 
proposer une alternative à un urbanisme des grands projets urbains dont les impacts dépassent la 
dimension quotidienne. L’urbanisme tactique se place du point de vue de l’habitant ou de l’usager de 
l’espace public, c’est-à-dire à l’échelle la plus fine, celle du bâtiment, de la rue, voir du block –que l’on 
pourrait rapporter au voisinage européen. Alors que la planification urbaine implique une vision globale, 
une cohérence pensée à minima à l’échelle du quartier, l’urbanisme tactique propose un recentrage sur 
l’habitant, son expérience du quotidien, son vécu de l’espace public, son ressenti de la vie de tous les 
jours. L’habitant est l’acteur central, et souvent l’instigateur, des interventions d’urbanisme tactique. 
Pour s’adapter aux besoins et aux aspirations de la vie quotidienne, la planification n’est pas adaptée en 
raison de sa rigidité de procédé qui provoque un éloignement au fil de l’eau des intentions et des 
motivations originelles du projet (Taylor 1998). L’urbanisme tactique répond à cette faille avec une 
approche basée sur la flexibilité. Il s’agit de projets de dimensions réduites, donc rapides à mettre en 
oeuvre et par conséquent aisément modifiables et transformables au cours même de leur réalisation. Leur 
dimension réduite implique également un faible coût (on peut parler à leur sujet de projets low cost) qui 
16
s’inscrit dans un contexte de difficultés budgétaires (Benner, 2012). Ce faible coût diminue les risques 
d’échec et de faillite inhérents au projet ce qui participe de leur flexibilité de mise en oeuvre. En 2012, 
Matt Tomasulo, un habitant de Raleigh (Caroline du Nord, USA), fait le constat d’un potentiel piéton 
inexploité dans le downtown de sa ville accaparé par la voiture et les infrastructures routières. Intrigué 
par la faible présence de piétons, il comprend très vite le rôle des barrières psychologiques créées par 
l’habitude des déplacements en voiture. Pour répondre à ce constat, Matt Tomasulo imagine alors un 
moyen simple et peu onéreux de dépasser ces barrières virtuelles et de démontrer qu’il est possible de se 
déplacer dans la ville en marchant : des panneaux d’indication. Une nuit de janvier 2012, accompagné 
d’amis, il place 27 panneaux indiquant aux piétons les directions vers les principaux repères de la ville 
ainsi qu’une estimation de temps de marche nécessaire. Appelée Walk Raleigh, cette intervention rapide, 
flexible et efficace, a permis de mettre sur table la problématique de la place du piéton dans cette ville à 
partir de l’expérience de l’un de ses habitants. 
Figure 6 : panneaux signalétiques du projet Walk Raleigh 
Source : raleighpublicrecord.org 
Installer des tables et des chaises, sur le modèle du pop up cafe, sur une partie de l’asphalte de Time 
Square à New-York (USA), fermé à la circulation à l’occasion du programme Greenlight for Midtown7, a 
permis Tim Hopkins8 de mesurer, par le succès de son opération, l’enthousiasme des touristes et des 
8 Tim Hopkins est le Président de Times Square Alliance, une organisation non-lucrative fondée en 1992 et chargée de promouvoir le 
site, soutenir les activités, organiser des évènements, assurer la sécurité du lieu. 
17
usagers pour une piétonisation partielle du site. Ces chaises et ces tables évoquent le plaisir de la 
flânerie en terrasse, un usage nouveau pour un site qui fut longtemps entièrement dominé par la 
circulation automobile. Cette réappropriation du piéton par l’entremise d’un matériel de base, des 
chaises et des tables, a permis de remettre l’humain au centre du fonctionnement du site. Ainsi, l’impact 
de court-terme, le faible coût et la rapidité de mise en place ainsi que l’impact positif du projet 
impliquent la mise en valeur d’un usage à échelle humaine, car c’est l’usage que l’on fait d’un espace qui 
constitue l’impact le plus facilement perceptible et mesurable. 
Figure 7 : pop-up café sur Time Square à New York 
source : www.pps.org 
1.1.7 : Une approche bottom-up pour un empowerment citoyen 
L’un des fondamentaux de l’urbanisme tactique tel qu’énoncé dans le manuel est sa capacité à 
établir des relations sociales durables entre les habitants d’un quartier, c’est-à-dire la construction d’un 
capital social collectif (Lydon, 2011). L’objectif est de créer ou renforcer une cohésion communautaire, 
une identification à un groupe d’intérêts communs, celui du voisinage. L’importance de cette 
18
caractéristique dans la définition de l’urbanisme tactique renvoie à son caractère collectif d’engagement 
citoyen. Il ne s’agit plus de subir un projet mais d’y contribuer activement, voir d’en être à l’origine. On 
retrouve là le processus d’empowerment, qui n’est pas une tentative d’accéder au pouvoir mais en un 
processus de renforcement des capacités d’action et d’émancipation d’un groupe d’individus (Bacqué, 
2010). Par ailleurs, l’empowerment se réfère aux capacités individuelles d'épanouissement, de prise de 
contrôle de sa propre vie, qui s’articule autour de l’idée de self help (s’aider soi-même) et de self esteem 
(s’estimer soi-même). Elle s’envisage tout autant dans une dimension collective, avec le pouvoir d'un 
groupe, en particulier celui des have not (ceux qui n'ont pas), les groupes dominés. Pour cela, l’urbanisme 
tactique revendique une approche bottom-up qui permet d’identifier à la base les problématiques 
rencontrées par l’expérience et le vécu de la population. L’engagement des habitants dans la résolution 
de problèmes qu’ils ont eux-mêmes identifié permet de mettre en oeuvre une méthode d’aménagement 
plus sensible à l’amélioration de l’espace vécu que ne l’est la planification urbaine traditionnelle 9 
(Benner, 2013). Les activistes de l’urbanisme tactique ont un rôle de mobilisateur, ils doivent devenir les 
leaders pour mobiliser les membres d’une communauté et leur démontrer qu’ils ont la capacité d’agir 
pour la transformation de leur environnement. Ces interventions sont également l’occasion d’établir ou de 
rétablir des relations avec les institutions, les autorités administratives et les acteurs privés 
(entreprises, promoteurs…). Cette démarche s’inscrit également dans le processus d’empowerment 
citoyen avec ici la mise en valeur de la capacité d’un groupement d’intérêts à se faire entendre et écouté 
auprès des autorités dans un objectif de transformation sociale (Bacqué, 2010). Dans tous les projets qui 
ont servi d’exemple précédemment, le succès, ou du moins la reconnaissance de l’intervention tactique 
ont permis d’établir a posteriori des relations de travail avec les acteurs publics ou privés. Ainsi la 
première expérience de guerrilla gardenning à New-York en 1973 par le Green Guerrilla Group a été 
prolongée par une coopération avec le département chargé des parcs de la municipalité new-yorkaise. 
L’intervention de chair bombing réalisée par le groupe DoTank dans le quartier de Williamsburg à Brooklyn 
(New-York) a résulté en une terrasse permanente au Blue Bottle Coffee. Le projet de terrasse urbaine 
mené par Tim Tompkins de Times Square Alliance s’est retrouvé inclus dans un programme municipal 
intitulé Pavement to Plazas et consistant en la transformation progressive d’intersections routières en 
places urbaines à partir de projets pilotes d’interventions tactiques telle que celle menée sur Time 
Square. Les élus locaux de la ville de Dallas ont été invités lors de l’événement de Build a Better Block 
pour constater l’enthousiasme des habitants envers un quartier plus favorable aux piétons et aux activités 
commerciales. Durant l’été 2013, STEPS initiative a réalisé la plus grande fresque murale du monde sur un 
immeuble d’habitat social dans le quartier en difficulté de St James Town à Toronto. Si un artiste, Sean 
Martindale, était chargé de superviser la réalisation de l’oeuvre, l’idée moteur du projet était d’engager 
les jeunes habitants du quartier dans une réflexion sur l’identité de leur communauté. De ce 
brainstorming collectif a émergé l’idée picturale de l’envol d’un oiseau. Reprenant l’idée d’un phenix 
9 « Through the lens of the community problems are identified and innovative solutions are enacted like a citizen-led charrette. 
Enabling the community to physically participate in the improvement of a neighborhood creates a much more effective and engaging 
method of participatory planning. » 
19
renaissant de ses cendres, il s’agissait de donner en grandes dimensions l’image d’une communauté 
souhaitant changer l’image stigmatisée de leur quartier. L’engagement des jeunes citoyens autour du 
projet a permis à l’intervention de capter un regard neuf sur la communauté, aussi bien à l’intérieur qu’à 
l’extérieur de celle-ci. Un résident s’est d’ailleurs étonné de n’avoir jamais vu autant de monde s’arrêter 
sur le site que depuis l’intervention10. De plus, le projet a permis d’attirer le regard des autorités sur la 
destinée du quartier, jusqu’à la plus haute sphère des insitutions puisque le maire et un conseiller 
municipal saluèrent publiquement l’engagement des résidents autour de l’intervention11.« Local officials 
were very supportive. « Congratulations to everyone involved in this exciting projec that will add vibrancy 
to the Wellesley community » says Mayor Rob Ford. « Beautification of our public spaces is an essential 
component of building and maintaining healthy communities » said Councillor Pam McConnell, STEPS, 
2013). 
Figure 8 : World’s tallest mural – St James Town - Toronto 
Source : muralform.com 
10 «street resident George McIntyre says « I have never seen so many people stop by and look a tour building », site internet de 
STEPS initiative, 2013 
11 «Local officials were very supportive. « Congratulations to everyone involved in this exciting projec that will add vibrancy to the 
Wellesley community » says Mayor Rob Ford. « Beautification of our public spaces is an essential component of building and 
maintaining healthy communities» said Councillor Pam McConnell. Site internet de STEPS initiaitve, 2013. 
20
1.2 : Des penseurs Européens aux activistes Nord-Américains, approche théorique 
de l’urbanisme tactique 
1.2.1 : Henri Lefebvre, la théorie marxiste de l’espace vécu 
La volonté de réappropriation de l’espace public par les citoyens qu’exprime l’urbanisme tactique 
prend racine dans les idées du sociologue français Henri Lefebvre qui proclame dans Le Droit à la Ville 
(1968) la nécessité pour les citoyens de pratiquer leur environnement urbain, d’y construire leurs 
expériences personnelles en toute liberté, c’est-à-dire en dehors des structures hégémoniques de 
production de la ville industrielle. En effet pour Henri Lefebvre, « l’urbanisme des administrateurs 
véhiculé au secteur public (..) se croit scientifique et (…) tend à mépriser le facteur humain ». De la 
même manière concernant les acteurs privés, ceux-ci promeuvent un « urbanisme des promoteurs qui 
conçoit et réalise pour le marché, avec objectif lucratif, et sans le dissimuler » (Lefebvre, 1968). C’est 
une critique radicale de l’urbanisme fonctionnaliste incarné par les idées de l’architecte Le Corbusier et 
mis en oeuvre à grande échelle dans un contexte d’urgence à la suite de la seconde guerre mondiale. C’est 
par ailleurs une remise en cause d’une façon d’habiter la ville avec une vie quotidienne organisée autour 
de l’hypermarché, de la voiture, de la technologie domestique qui isolent l’individu de sa communauté et 
contribuent à le maintenir dans un état de passivité, sans expérience ni surprise (Simay 2008). Selon 
l’analyse marxiste du sociologue, cette forme urbaine est le produit d’une stratégie élaborée par les 
forces dominantes qui sont animées par une idéologie qui étouffe le désir de citoyenneté en faveur d’une 
production urbaine de masse et d’un consumérisme capitaliste. Pour lui, cette forme de production de 
l’urbain empêche toute innovation d’émerger et condamne les revendications citoyennes au silence. Dans 
La Production de l’Espace (1974), Henri Lefebvre développe son propos en se concentrant sur la notion 
d’espace. Il distingue trois représentations de l’espace qui correspondent chacune à un type de 
production de l’espace. Ainsi l’espace de la ville industrielle qu’il condamne est présenté comme un 
espace de l’ordre où règnent des rapports de productions établis et régis par des codes et des 
règlements. C’est l’espace conçu, celui des urbanistes et des planificateurs, celui des ingénieurs et des 
scientifiques. A celui-ci se confronte l’espace perçu qui est l’observation d’une interaction entre la 
société et l’espace qu’on lui soumet. Enfin l’espace vécu est celui des images et des symboles liés à la 
vie sociale mais aussi à l’art dans la ville. C’est l’espace des habitants, des usagers et des artistes. C’est 
« l’espace dominé et subi que l’imagination tente de s’approprier et de modifier » (Lefebvre, 1974). Dans 
les deux derniers chapitres de son ouvrage, Henri Lefebvre propose l’émergence d’un espace capable de 
transformer la société par la « possession et la gestion collective de l’espace par l’intervention 
perpétuelle des intéressés avec leurs multiples intérêts, divers et même contradictoires. » (Lefebvre, 
1974). Il s’agit de l’espace différentiel. Celui-ci se caractériserait par une diversité d’usages et une 
capacité à se transformer lui-même pour soutenir les besoins de la communauté locale. L’espace public 
21
ne serait alors plus le résultat d’une stratégie ou d’un plan mais le produit de la société qu’il accueille, 
dans ses synergies comme dans la confrontation des intérêts contradictoires qui la traversent. Il serait 
vécu et façonné par la société et serait ouvert « aux devenirs les plus inattendus et en même temps 
intérieurement contradictoires de par sa multiplicité même » (Martin, 2006). Cet espace différentiel 
devient un espace de participation dont la mise en place et la conception passent par un processus de 
revendication, de participation et d’engagement. Cette méthode de co-création de l’espace prime sur le 
résultat final qui évolue en permanence selon les besoins des habitants. C’est ici l’idée reprise par le 
paysagiste Delbaere dans sa Fabrique de l’Espace Public lorsqu’il affirme que « la dimension sociale de 
l’espace public émergent tient donc désormais moins à sa capacité à organiser une coprésence des 
hommes dans l’espace que dans le fait qu’il résulte d’une coproduction » (Delbaere, 2010). On retrouve 
cette conception de l’espace public au coeur des préoccupations de l’urbanisme tactique qui, comme nous 
l’avons vu, place l’usage et les préoccupations de la vie quotidienne au coeur de son projet. De plus les 
interventions revendiquent une origine citoyenne et, bien que dépolitisant la critique marxiste d’Henri 
Lefebvre, apportent une critique sous-jacente de la défaillance de la planification à répondre à des 
attentes et des aspirations à l’échelle de l’individu. En résumé, l’urbanisme tactique s’inspire des 
propositions du sociologue français en invitant les citadins à reprendre le pouvoir et à agir selon leurs 
propres motivations sur la transformation de leur environnement. 
1.2.2 : Les situationnistes et la réinvention du quotidien 
La remise en cause de la production industrielle de la ville mise en valeur par l’oeuvre d’Henri 
Lefebvre se retrouve également dans les revendications révolutionnaires de l’Internationale 
Situationniste. L’objectif partagé par les membres de collectif artistique d’avant-garde né en 1957 est la 
réappropriation du réel par des individus libérés par les promesses du développement technologique de 
l’appareil industriel. La psycho-géographie proposée par les situationnistes pour redécouvrir la ville fait 
écho à l’espace vécu d’Henri Lefebvre. Par la pratique de dérives urbaines inspirées des flâneries 
poétiques Baudelairiennes, la psycho-géographie consiste en la conception de cartes dessinées à partir 
d’un « laisser-aller aux sollicitations du terrains et des rencontres qui y correspondent » 
(Internationale Situationniste n°2). On retrouve ici le bottom-up de l’urbanisme tactique qui résout des 
problèmes identifiés à travers le vécu des habitants. Par ailleurs il s’agit d’analyser par la psycho-géographie 
les différentes ambiances et situations urbaines afin de déceler « la structure cachée de 
l’espace urbain » (Simay, 2008), de la même manière que l’urbanisme tactique révèle les potentiels 
inexploités de la ville contemporaine. Sur le plan de l’urbanisme, l’idée principale des situationnistes est 
de faire vivre aux habitants l’expérience des différentes situations de la ville afin d’entraîner ce 
spectateur urbain « à l’activité en provoquant ses capacités de bouleverser sa propre vie » 
(Internationale Situationniste n°1), ce qui rappelle l’objectif d’empowerment promut par l’urbanisme 
22
tactique. Ces situations urbaines sont des « moments de vie, à la fois singuliers et collectifs, à la 
création d’ambiances ou de jeux, d’évènements, tous transitoires » (Internationale Situationniste n°1). 
Les termes employés ici sont largement repris dans les interventions tactiques qui possèdent souvent une 
dimension transitoire (l’installation spontanée de mobilier urbain sur l’espace public met en valeur une 
lacune d’aménagement qui devra être comblée). Elles sont souvent conçus autour du jeu, revêtent un 
aspect ludique et populaire ; l’organisation d’évènements festifs servent à les mettre en valeur et la 
dimension artistique ou créative qui souvent les accompagne en font des composantes de nouvelles 
ambiances urbaines. Réinventer le quotidien est le désir que les situationnistes partageaient 
(philosophiquement mais également à travers de nombreux échanges), notamment la volonté de “faire 
renaître le désir au coeur de la ville, d’y introduire des vertiges et des troubles insoupçonnés, d’y inventer 
des formes de vie inédites et de lui offrir l’évènementialité dont elle est aujourd’hui dépourvue” 
(Internationale Situationniste n°2). La réinvention du quotidien urbain par les interventions de 
l’urbanisme tactique puisent donc leur héritage dans les propositions de renouvellement du vécu urbain 
des situationnistes. Par ailleurs il est à noter que les situationnistes replacaient les relations sociales au 
coeur du projet urbain par la créations de situations amusantes engageant les citoyens dans une 
interaction avec la ville mais aussi entre eux (Conklin, 2012). Si l’urbanisme tactique ne reprend à son 
compte pas la critique de relations humaines dénaturées par l’argent et la consommation, il valorise 
néanmoins l’importance des interactions sociales comme facteur 
1.2.3 : Michel de Certeau et Jurgen Habermas : transformer le réel par la tactique 
En cherchant à réinventer le quotidien urbain par la tactique, l’urbanisme tactique s’approprie la 
réflexion du philosophe Michel de Certeau. Dans L’invention du Quotidien (1980), l’auteur démontre la 
capacité de l’individu à faire preuve de créativité dans la pratique banale et quotidienne de la ville. C’est 
de l’expérience du piéton que naît l’infinité des possibilités de transformation et de détournement de 
l’espace. La tactique possède la capacité de transformer des évènements, des défauts, des critiques, en 
opportunités. Il définit cette notion de tactique comme étant une action autonome et mobile sur un 
terrain régit par une autorité supérieure (de Certeau, 1980). Pour illustrer cette vision, le géographe 
Olivier Mould propose la métaphore du virus informatique qui s’infiltre lentement et discrètement dans un 
disque dur pour l’atteindre et le transformer de l’intérieur. La tactique est donc une forme de virus qui 
intègre l’environnement urbain pour le transformer positivement, le déconstruire pour le reconstruire; 
contrairement au virus informatique ou biologique qui souvent n’a pour finalité que la destruction (Mould, 
2014). Michel de Certeau oppose la tactique à la stratégie, laquelle naît d’une relation de pouvoir 
dominée par un point de vue extérieur qui propose un plan de contrôle de l’espace. C’est sur le même 
principe que l’urbanisme tactique se pose en alternative à la planification urbaine jugée trop éloignée des 
préoccupations quotidiennes. De plus cette notion tactique implique la flexibilité caractéristique des 
23
interventions qui permet de se concentrer sur le processus de création collective et le réalisme dans 
l’évolution du projet plutôt que sur l’immobilité d’une production finale idéalisée (Benner, 2013). Par 
ailleurs, le sociologue et philosophe allemand Jurgen Habermas propose dans son ouvrage la théorie de la 
« rationalité communicative » qui propose, à la suite de l’espace vécu d’Henri Lefebvre, une approche 
globale dans le recueil d’informations sur l’espace. Il s’agit non plus de contenter d’approches techniques 
et stratégiques mais aussi de points de vue pratiques et des interprétations des usagers de l’espace et 
des institutions publiques (Herbermas, 1986). Et de la même façon que Michel de Certeau oppose la 
tactique à la stratégie, Jurgen Habermas oppose la rationalité communicative à la rationalité 
instrumentale qui est un outil de collecte quantitative d’informations dans une approche plus 
technocratique et top-down. L’état de l’art littéraire réalisé par Sophia Michelle Benner dans son 
Professional Report à l’Université du Texas donne un point de vue global sur la synthèse de ces réflexions 
théoriques. Elle explique ainsi que les réflexions complémentaires d’Henri Lefebvre, Michel de Certeau et 
Jurgen Habermas permettent de faire passer la pratique de l’urbanisme d’une pensée systématique ou 
top-down à un apprentissage social et empirique, une approche bottom-up de la conception de l’espace 
urbain. Dans la continuité se réflexion se dessine une remise en cause du rôle de l’urbaniste qui, de 
stratège et décideur, devient en quelques sortes un négociateur chargé d’établir des consensus à partir 
de la réalité sociale de l’espace (Benner, 2013). 
1.2.4 : Kevin Lynch, Jane Jacobs et William Whyte : l’humain d’abord 
Au même moment, une nouvelle pensée de l’urbain, emmenée principalement par Kevin Lynch, 
Jane Jacobs et William Whyte, émerge en Amérique du Nord. Leur critique se dirige vers une méthode de 
planification urbaine qui, dans un contexte d’industrialisation rapide, d’étalement et de renouvellement 
urbain à grands coups de projets démesurés, néglige l’humain. Leurs propositions font émerger une 
nouvelle façon d’appréhender l’espace en remettant au centre du débat les habitants et les communautés 
au détriment des principes d’efficacité, d’ordre et d’esthétique qui guident habituellement les politiques 
d’aménagement urbain. De ce fait, le rôle des experts de la ville est lui aussi remis en cause en faveur 
d’un pouvoir d’action réapproprié par les citoyens12 (Silberberg, 2013). L’image de la ville, l’ouvrage de 
Kevin Lynch paru en 1960, présente une recherche empirique sur la perception humaine de 
l’environnement urbain. En distinguant plusieurs variables qui façonnent le paysage et servent de repère à 
la conception que se font les citadins de leur ville, il propose une vision de la ville non plus fondée sur des 
principes de fonctionnalité et d’usage mais sur l’idée que c’est le regard humain qui façonne 
l’environnement et donc doit servir de guide à l’aménagement. Formée à la ville à travers ses observations 
quotidiennes et la conduite d’une lutte contre un projet d’autoroute détruisant le coeur de son quartier 
12 «Something was lost along the way ; communities were rendered powerless in the shadows of experts to shape their physical 
surroundings » 
24
new-yorkais de résidence, Greenwich village, Jane Jacobs questionne les politiques publiques qui ont pour 
objectif de créer de l’ordre dans l’environnement urbain. Dans son best-seller Survie et déclin des 
grandes villes américaines (1961), la journaliste met en valeur l’importance de l’espace public dans la 
construction d’une confiance entre les citadins et d’un état d’esprit général tourné vers le civisme, le 
bien vivre ensemble et la cohésion sociale13 (Jacobs, 1961). Elle explique également la théorie des yeux de 
la rue, selon laquelle la sécurité est assurée lorsque le plus grand nombre possible de passants et 
d’habitants tourne son regard vers l’espace public. En cela, Jane Jacobs renie la nécessité d’un ordre 
urbain infrastructurel et esthétique au profit d’une intensité de la vie sociale urbaine, et même si celle-ci 
doit émerger d’un apparent chaos urbain. Pour l’auteur, la diversité des usages, des fonctions, des modes 
de vie est le socle d’une vie sociale harmonieuse en ville. De la même manière qu’on pu le faire Henri 
Lefebvre, Michel de Certeau ou Jurgen Habermas, elle remet en cause le rôle des experts de la ville. Dans 
la continuité de Jane Jacobs, Sherry Arnstein (1969) souligne dans son travail l’enjeu de redonner aux 
citoyens un plus grand niveau de contrôle sur la prise de décision dans l’aménagement. Enfin, l’oeuvre de 
Jane Jacobs peut être lue comme une ode à la ville laboratoire que promeut l’urbanisme tactique, un 
espace d’essais, d’expériences et de droit à l’échec contre des politiques d’aménagement et une 
architecture trop figés (Bishop, 2012). William Whyte quand à lui a innové dans la façon d’analyser 
l’espace public. C’est en effet le premier photographe à avoir utilisé la technique du time lapse pour 
enregistrer les mouvements, les mobilités et les interactions dans l’espace public. Cette analyse 
empirique lui a permis de déterminer différents types de fonctionnement de la vie sociale. Dans son livre 
The Social Life of Small Urban Spaces (1980), William Whyte propose à l’issu de son travail un catalogue 
de critères de design qui font d’un espace public un espace vivant et social, permettant ainsi de lier le 
fonctionnement de la vie urbaine à l’aménagement de l’espace. Son analyse humano-centrée du design 
urbain a ainsi conduit l’un de ses étudiants, Fred Kent, a fonder Project for Public Spaces en 1975, une 
organisation pionnière dans la promotion et la mise en oeuvre du placemaking. 
1.2.5 : Le placemaking et le Congress for New Urbanism 
L’agence new-yorkaise Project for Public Spaces explique le concept de placemaking en 
s’inspirant des réflexions de Jacobs et Whyte. Il s’agit de penser l’aménagement des villes non plus en 
fonction de la voiture et de l’hypermarché mais autour de la vie sociale urbaine. Le placemaking met donc 
l’espace public au coeur de ses propositions. L’organisation à but non lucratif Project for Public Spaces, 
fondée en 1975, compte aujourd’hui à son actif l’accompagnement de projets dans plus de 30000 
quartiers à travers l’ensemble des Etats-Unis et dans 43 pays. L’objectif de l’organisation est de mettre à 
13 « The trust of a city street is formed over time from many little public sidewalk contacts. It grows out of people stoppbing by the bar 
for a beer, geeting advice from the grocer and giving advice to the newsstand man…(…) It is a feeling for the public identity of 
people, a web of public respect and trust » 
25
disposition un panel d’outils, de références, de conseils et de méthodes pour parvenir à créer des espaces 
public apte à stimuler la vie sociale et citoyenne. Dans la lignée des auteurs précédemment cités, le 
placemaking a pour vocation de redonner le pouvoir d’agir aux citadins en les aidant à transformer leurs 
espaces publics14. La valeur primordiale des projets de placemaking est de renforcer les liens entre les 
individus et les espaces qu’ils partagent. A ce titre, l’action de STEPS initiative s’inscrit dans la 
perspective du placemaking car se présentant en tant qu’organisation utilisant l’art pour connecter les 
humains aux espaces publics15. Ce retour de l’espace public au coeur des préoccupations est par ailleurs 
d’un des fondamentaux du Congrès pour un Nouvel Urbaniste (Congress for New Urbanism, CNU). qui 
réunit les professionnels de la ville, principalement Nord-Américains, et promeut une ville organisée 
autour du piéton, de la vie locale, et rompt avec le modèle de la suburb. Il est d’ailleurs à noter que 
l’urbanisme tactique est débattu au cours de conférences lors des congrès du CNU. 
1.3 : L’ARTivisme de STEPS initiative : une forme de tactique urbaine ? 
26 
1.3.1 : L’art comme outil de la ville conviviale 
Les interventions d’urbanisme tactique, du fait de leur dimension ludique et créative, font appel à 
la création artistique. L’utilisation de l’art permet de créer les conditions d’une convivialité urbaine. 
Cette convivialité urbaine inspire des espaces partagés où la démarche créative n’est pas limitée aux 
seuls artistes mais peut être appropriée par chacun pour activer le domaine public et créer les conditions 
d’une régénération urbaine heureuse. L’art permet également de marquer les lieux de l’empreinte de 
l’histoire et de l’identité des habitants, de façon à renforcer la cohésion sociale de la communauté locale. 
L’expression artistique sert à relier les usagers de l’espace urbain et les décideurs ou managers de ces 
espaces que sont les autorités en apportant une personnalisation créative d’espaces urbains aménagés 
de façon formelle (Courage, 2013). Enfin, le regard critique qu’engage l’expression artistique sur 
l’environnement dans lequel elle s’inscrit encourage la citoyenneté active promue par l’urbanisme 
tactique. C’est dans cet objectif de création d’espaces conviviaux et accueillants, sources d’une identité 
locale retrouvée et d’un vivre ensemble renforcé que s’inscrit le travail de STEPS initiative dans les 
communautés fragiles dans lesquelles les interventions artistiques sont proposées. 
14 « Placemaking is how people are more collectively and intentionally shaping our world, and our future on this planet », site 
internet de Project for Public Spaces, 2014 
15 « a non-profit organization that uses art to connect people to public spaces » site internet de STEPS initiative, 2014
1.3.2 : Un art contextuel qui propose une critique dans l’espace public 
Pour le géographe français Nicolas Bautès, deux formes d’intervention artistique en milieu urbain 
se distinguent. La première forme est celle d’un art que l’on pourrait qualifier d’officiel dont le but 
principal est de mettre en valeur par une approche esthétique un paysage, un monument, un site. La 
seconde forme est un art qui propose une vision critique de l’environnement dans lequel il s’inscrit avec 
une dimension de résistance ou de remise en cause de l’ordre établi autour de lui. C’est l’Art contextuel 
du critique Paul Ardenne qu’il définit comme étant un la mise en rapport directe de l’oeuvre et du réel, 
sans intermédiaire, l'oeuvre s'y configurant en fonction de son espace d'émergence et des conditions 
spécifiques le qualifiant » (Ardenne, 2011). L’artiste sort de son atelier, il a la volonté de créer une 
expérience artistique qui engage les lieux qu’il investit. Il se détache du conformise et du conservatisme 
présent dans des musées dont il critique l’élitisme. Il utilise sa fonction et sa vision d’artiste pour, à 
travers une intervention, proposer une “mise en rapport directe de l’oeuvre avec le réel” pour amener le 
spectateur, le citoyen, l’habitant, à se poser des questions. Cette émancipation progressive de l’artiste 
connaît une étape particulièrement marquante dans les années 1960 en Europe avec les interventions in 
situ de l’artiste Daniel Buren pour lequel ce type d’Art urbain est “le seul qui puisse permettre de 
contourner, et de s’adapter à la fois et intelligemment aux contraintes inhérentes à chaque lieu (…), il 
peut dialoguer directement avec le passé, la mémoire, l'histoire du lieu (…), il ouvre le champ d’une 
possible transformation, du lieu justement » (Ardenne, 2011). D’abord contestaire, la pratique artisique 
dans l’espace public va évoluer, au cours des décennies 1980 et 1990 vers des interventions de plus en 
plus institutionnalisées, le succès de l’Art dans la ville étant alors capté peu à peu par des institutions 
qu’il dénigrait au départ. Utilisée comme source de reconstruction de lien social dans des villes qui 
subissent les aléas d’une désindustrialisation progressive, l’Art urbain perd alors petit à petit de sa 
dimension transgressive et politique car les artistes sont de plus en plus financés, soutenus et donc 
contraints par les commandes des institutions publiques et des organisations privées. 
27
1.3.3 : De l’art urbain à l’ARTivisme : vers une médiation urbaine artistique 
Figure 9 : 28mm. Women are heroes. JR. Rio de Janeiro 
source : www.lazinc.com 
Dans son analyse de l’oeuvre “28mm. Women are heroes” de l’artiste JR dans les favelas de Rio 
de Janeiro, Nicolas Bautès (2010) montre que l’artivisme se distingue de l’activisme par sa dimension de 
médiation sociale. C’est un “art d'intervention et art engagé de caractère activiste (happenings en 
espace public, "manoeuvres"), art investissant le paysage ou l'espace urbain (land art, street art, 
performance…), esthétiques dites participatives ou actives dans le champ de l'économie, de la mode et 
des médias.” Ainsi lors de son travail dans la favela Morro Da Providência à Rio de Janeiro (Brésil), 
l’artiste JR a voulu attirer l’attention sur la condition des femmes et des enfants dans les favelas, 
marquée par la violence et la marginalité, en exposant leurs corps et leurs visages sur de grandes 
fresques peintes avec la collaboration des habitants sur les murs des habitations précaires installées sur 
la colline, donnant ainsi une perspective sur l’oeuvre à l’ensemble de la ville. Alors qu’au départ l’Art 
urbain propose une contestation politique, l’artivisme utilise l’art comme pour la prise de conscience d’un 
problème. L’art n’est pas utilisé comme une arme de confrontation directe ou d’opposition frontale. 
L’intervention artiviste se distingue également de l’art urbain des artistes par la dimension participative 
et interactive, l’engagement citoyen qu’elle implique, ainsi que par la recherche d’une médiatisation et 
d’une valorisation économique et sociale. Les spectateurs ne doivent plus être des observateurs passifs 
mais devient actif par leur appropriation mentale et physique de l’oeuvre proposée par l’artiste. De plus, 
alors que l’art urbain institutionnalisé et commandé sert à promouvoir des espaces urbains centraux (les 
centres-villes notamment), l’artivisme propose une stratégie de réappropriation du commun, c’est-à-dire 
des espaces marginalisés ou périphériques (Revel et Negri, 2008). C’est l’état d’esprit qui guide aux 
28
interventions proposées par STEPS initiative puisque l’artiste se met au service des aspirations et des 
inspirations des citoyens pour créer son oeuvre, à la construction de laquelle ces mêmes citoyens sont 
invités à participer. Il en va ainsi pour le projet de la plus grande fresque murale du monde de Saint James 
Town qui a été conçue à partir des idées des jeunes du quartier puis réalisées par eux sous la direction, 
les conseils et l’appui de l’artiste Sean Martindale. De même, lors des évènements « PATCH it up ! » 
organisés pour faire la promotion du projet PATCH lors des nombreux festivals de quartier qui rythment la 
vie de Toronto, les habitants et les passants sont invités à se joindre au travail de l’artiste. L’oeuvre 
finale, qui sera cédée au quartier à la fin de l’événement, est ainsi marquée de l’empreinte des habitants 
et de leur histoire. La fresque réalisée sert ensuite à valoriser l’image du quartier et parfois aider à 
mettre en valeur une surface commerciale vide afin d’en faire la promotion auprès de potentiels 
acheteurs comme ce fut le cas en juillet 2014 dans le quartier de Riverside. 
Figure 10 : opération PATCH it up ! – Juillet 2014 - Toronto 
Source : thepatchproject.org 
1.3.4 : Le street art, révélateur des tensions et des synergies dans l’espace public 
STEPS initiative utilise le street art, notamment à travers son projet PATCH, pour revaloriser des 
espaces urbains délaissés, notamment les chantiers. Le street art est une pratique artistique évoluée du 
graffiti. Le désir de prendre possession de lieux à travers des signes, des symboles humains, est une 
manière de communiquer ancestrale, en témoignent les fresques qui ornent les espaces archéologiques 
préservées de la préhistoire. La production d’oeuvres murales qui identifient et culturalisent un espace 
ont toujours eu pour vocation première de distinguer les espaces habités par l’homme des espaces 
29
sauvages (Wendl, 2011). C’est pour cette raison qu’émerge dans les années 1970, notamment à New-York 
et Philadelphie, une culture du graffiti qui s’ancre dans un contexte de crise pétrolière, de guerre du 
Vietnam et de remise en cause du modèle économique Américain. Les graffitis permettent en premier lieu 
à des populations marginalisées par le contexte économique de marquer leur présence dans la ville, avec 
au sein d’une compétition la volonté de marquer de sa présence le plus grand nombre de lieux possibles. 
Avec la multiplication du graffiti, celui-ci évolue vers la forme du tag en ajoutant à ce qui n’était au 
départ qu’une forme d’écriture sauvage sur les murs un souci du design et de la forme de plus en plus 
important (Conklin, 2012). Cependant le message reste le même, il ne possède aucune dimension 
politique ou revendicatrice mais exprime simplement la volonté de populations en fragilité de rappeler 
leur présence dans la société. Parallèlement à l’expansion de la pratique du graffiti va apparaître la forme 
dérivée du street art. Cette forme d’intervention urbaine est nouvelle réponse des artistes et des 
activistes à l’annihilation de la créativité les projets urbains brutaux et surdimensionnés qui refaçonne 
alors les downtown des centres urbains en déplaçant les résidents les moins fortunés au profit des plus 
riches et privatisant de plus en plus d’espaces publics. Le street art s’approprie directement les codes de 
la culture mainstream, en mettant en avant l’artistique et l’esthétique, en se distinguant de l’activité 
criminelle souvent associée au graffiti et au tag, lui permettant ainsi de s’adresser au plus grand nombre. 
Le street art permet de distinguer la consommation de l’espace public par deux types de consommateurs 
différents que sont les habitants et les artistes (Visconti, 2010). On peut également différencier le public 
space qui est anonyme du public place qui lui est approprié et identifié comme tel. Le street art est alors 
vu comme une forme de place marking qui invite les habitants à porter un regard critique sur l’anonymat 
des spaces et contribuent à les réclamer en tant que place. On distingue par ailleurs deux types 
d’approche de l’espace public, l’une individualiste, qui correspond à la volonté d’appropriation personnelle 
de l’espace selon les lois du marché et de la propriété; la seconde collective dans laquelle les 
consommateurs de l’espace ont conscience de sa dimension partagée et citoyenne (Visconti, 2010). A 
partir de là se dessine une typologie qui combine tour à tour les approches individuelles et collectives des 
citoyens d’un côté, des artistes de l’autre que nous résumons dans le tableau suivant. 
30
31 
1. Appropriation 
privée de l’espace 
public 
Citoyen: approche 
individualiste 
Artistes: approche 
individualiste 
contestation hypocrite et affirmation d’une identité individuelle (l’artiste conteste mais se 
sert de cette contestation comme support de son travail, exemple d’Obey qui transforme son 
oeuvre en logo), exploitation par le marché (répondre à des appels d’offres officiels, exemple 
du Tate Modern à Londres), préservation de la propriété privée (refus par les citoyens de voir 
leur mur être dégradé par du street art) 
2. Résistance à 
l’alinéation de 
l’espace public 
Citoyens: approche 
collective 
Artistes : approche 
individualiste 
Subjectivité dans le rapport au street art, préférence pour les artistes locaux qui 
interviennent localement, qui promeuvent un empowerment local, et non pas des artistes qui 
viennent simplement “signer” de façon individualiste un mur sans implication locale. 
3. Pour une 
démocratie de rue 
Citoyens: approche 
individualiste 
Artistes: approche 
collective 
Contrairement aux citoyens, les artistes ne considèrent pas les murs comme une propriété 
privée. Volonté artistique de réanchanter l’espace urbain par l’art (réveiller les citoyens et les 
reconnecter à leur environnement, leur proposer un regard critique sur leur environnement) 
4. Effort pour un 
espace du commun, 
du partage 
Citoyens: approche 
collective 
Artistes: approche 
collective 
Même état d’esprit que pour le 3. mais participation, intégration des citoyens volontaires au 
processus. 
Figure 11 : Typologie de consommation de l’espace public à travers le street art 
Emerge alors l’idée que les artistes puissent agir comme des curators dans la ville, c’est-à-dire des 
travailleurs culturels indépendants qui sont capables d’éviter les contraintes architecturales, 
bureaucratiques, legislatives, économiques pour créer une relation d’appartenance et d’appropriation 
entre les gens et leur environnement (Visconti 2010). C’est dans cette logique que le travail artiviste de 
STEPS initiative s’inscrit.
32 
PARTIE 2 
Quel rôle dans la 
planification urbaine ?
Dans une démarche de provocation, la première opération de Build a Better Block a été organisée 
dans l’objectif consciemment mis en valeur d’enfreindre le plus de règlements d’urbanisme possibles16. 
Poussant la provocation encore plus loin, les activistes invitèrent les élus locaux et les autorités durant 
le week-end de l’événement afin que ceux-ci puissent constater l’enthousiasme de la population locale 
pour revitaliser leur quartier. Le but de cette opération était de souligner l’inadéquation des nombreuses 
régulations, codes et autres zonages de planification urbaine avec de petites actions ponctuelles de 
transformation urbaine destinés à redonner vie à un quartier. Jason Roberts explique la difficulté de 
proposer de petites activités d’animation (pop up store, cafés temporaires, terrasses, food truck, 
interventions artistiques…). Les autorisations sont difficiles à obtenir en raison du très grand nombre de 
règles à respecter et leur coût est généralement prohibitif. Et le respect du zonage urbain rend 
impossible l’émergence d’activités si la zone n’y est pas destinée. Dès lors, la question qui se pose est 
celle de l’articulation entre la planification urbaine, démarche rigide et rigoureuse mais nécessaire pour 
assurer le développement d’un territoire, et les interventions d’urbanisme tactique qui réclament une 
souplesse et une flexibilité propice à l’éclosion de multitudes de propositions. Cette question est 
d’ailleurs soulignée par Mike Lydon dans son manuel17. De plus, comme le souligne Laura Pfeifer dans son 
guide de l’Urbanisme Tactique à l’usage des urbanistes, le rôle des professionnels de l’urbanisme dans ce 
processus d’appropriation d’une méthode informelle demeure incertain (Pfeifer, 2013). Et si le bénéfice 
des interventions d’urbanisme tactique est avéré, quel est alors le rôle des urbanistes, partagés entre le 
rôle crucial de la planification urbaine et les atouts à mettre en avant par de petites actions spontanées 
qui dépassent le cadre réglementaire ? 
17 « Tactical urbanism is more effective when used in conjunction with long-term planning efforts that marry the urgency of now with 
the wisdom of patient capital » 
33
2.1 : Quelle articulation planification / urbanisme tactique ? 
34 
2.1.1 : Du laboratoire expérimental… 
Par leur échelle d’intervention, les interventions d’urbanisme tactique sont des prototypes pour 
l’aménagement urbain. Il s’agit du cadre idéal pour l’expérimentation et pour l’essai. Pour Mike Lydon, ce 
type de projet-prototype fonctionne en itération, c’est-à-dire que les échecs et les erreurs commises 
peuvent être corrigées, le projet peut être modifié et ajusté assez facilement grâce à la flexibilité qui 
caractérise l’urbanisme tactique (Benner, 2013). Cette flexibilité est due à l’échelle réduite des projets 
ainsi que leur faible coût qui induisent une minimisation du risque financier encouru. En effet la 
dimension expérimentale et innovatrice des interventions leur donne droit à l’échec, ce que soutiennent 
la plupart des urbanistes et des techniciens impliqués ce type de projet18 (Pfeifer, 2013). L’articulation 
entre l’urbanisme tactique et la planification urbaine se situe donc au niveau de ce rapport entre le 
prototype de petite taille et le grand projet de planification. C’est ainsi que le collectif REBAR définie à sa 
façon l’urbanisme tactique qui, par des révisions modestes ou temporaires de l’espace urbain, permet de 
faire émerger des transformations structurelles de l’environnement19 (Bishop, 2012). Il est à noter que la 
planification urbaine et l’urbanisme tactique partagent le même objectif, celui de donner à la 
communauté humaine qu’ils servent les moyens de son développement. Alors que la planification joue sa 
partition dans la gestion des problématiques à large échelle (étalement urbain, mobilité, transports, 
gestion et protection des espaces naturels…), l’urbanisme tactique semble être adapté à résoudre des 
problèmes à l’échelle de l’espace public. Alors qu’au premier abord, l’urbanisme tactique semble s’être 
construit en réaction, voire en opposition, à un système de planification jugé trop rigide et inefficace, la 
complémentarité des deux approches pourrait se situer dans cette dimension expérimentale qui fait de 
l’urbanisme tactique un espace d’innovations et de recherche pour l’environnement urbain. Dans le cas de 
l’intervention de Build a Better Block à Dallas en 2010, le succès de l’événement a conduit le conseil 
municipal à réviser des règlements afin de répondre aux envies et aux attentes constatées durant 
l’intervention. Les critères restrictifs pour les terrasses furent revus à la baisse, les vendeurs de rue 
furent autorisés et les permis de construire rendus plus faciles à obtenir pour de petites installations 
d’aménagement paysager. Le mouvement play street, qui propose de fermer régulièrement durant une 
journée l’accès automobile pour laisser la place à la déambulation et aux jeux dans une rue est un autre 
exemple de cette approche incrémentale qui fait passer une expérimentation-test à une démarche 
pérenne. Ainsi dans le quartier de Jackson Heights à New-York, une expérimentation de ce type fut menée 
durant les dimanches des mois de printemps, d’été et d’automne en 2008 et 2009. Face au succès de 
18 « Planners noted their department was supportive of taking measured risks and understood that failure was part of creating new and 
innovative programming » 
19 « the use of modest or temporary revisions to urban space to seed structural environmental change »
l’opération, la ville décida de restreindre l’accès automobile à la rue de façon permanente durant les mois 
de juillet et août de l’année suivante, puis en ajoutant le mois de septembre en 2011. 
Figure 12 : opération Play Street dans le quartier de Jackson Heights à New-York 
Source : walksteps.org 
35 
2.1.2 : … à la pérennisation 
Le potentiel des opérations d’urbanisme tactique dans le cadre de projets de planification urbaine 
réside donc en premier lieu dans leur dimension expérimentale. Les urbanistes et planificateurs peuvent 
se saisir de ces interventions temporaires en les incluant à l’intérieur de processus de planification à 
plus large échelle afin d’en mesurer concrètement les impacts. L’idée est ici d’intégrer les interventions 
tactiques en tant que partie intégrante de politiques d’aménagement urbain globales. Cette intégration 
peut s’effectuer à la suite du succès d’une opération, comme ce fut le cas à Raleigh. En effet, suite son 
retrait par les autorités, la réintroduction de la signalétique urbaine proposée par les activistes du projet 
Walk Raleigh a été proposée par le City Council. Il s’agissait d’inscrire cette volonté d’inciter à la marche 
dans le plan piéton de la ville, plus précisément dans le chapitre 5 de celui-ci consacré aux programmes 
et initiatives de promotion du réseau piéton de la marche à pieds (Benner, 2013). De plus, l’initiative de 
Walk Raleigh fut intégrée aux objectifs de développement à long terme contenus dans le programme 
Raleigh 2030 qui réclame une élévation des parts du vélo et de la marche dans les modes de 
déplacements. Pour certains urbanistes, l’avantage d’intégrer des interventions tactiques en amont de la 
conception de leurs projets de planification est d’en faire des bancs d’essais destinés à mesurer les 
impacts de propositions qui pourraient être contenues dans le projet final. C’est l’idée de projets pilotes 
servant d’échantillon de test pour les porteurs du projet et par la même occasion de vitrine auprès des
habitants. A New York, le succès de l’expérience de pop up cafe menée à Times Square a incité la ville à 
multiplier l’intervention à travers des quartiers moins prisés des touristes, au bénéfice de la population 
locale. Il s’agit du NY Plaza Program, une politique municipale de création de nouvelles place publiques 
mise en oeuvre par une organisation non lucrative créée ad hoc. Les communautés locales sont invitées à 
proposer leur vision à travers des ateliers desquels résultent une proposition d’aménagement léger, sur le 
modèle d’une intervention tactique. Lorsque le succès est au rendez-vous, c’est-à-dire que les habitants 
se sont appropriés l’aménagement et en expriment leur satisfaction, un aménagement plus travaillé, avec 
une intervention des services municipaux, transforme l’aménagement temporaire en une place publique 
permanente inscrite dans le long terme. A Toronto, le mouvement des pop up store qui s’installent de 
façon temporaire dans des surfaces commerciales vacantes a été analysé par l’étudiant Rudra Sarkar qui 
a démontré leur capacité à stabiliser un turnover commercial important ainsi que mobiliser les acteurs 
locaux autour du rôle qu’ils peuvent jouer pour fixer l’activité commerciale dans leur quartier (Sarkar, 
2004). De plus, ces interventions tactiques sont utiles car elles donnent du temps de réflexion aux 
urbanistes pour penser et construire un projet de long terme efficace par rapport aux caractéristiques 
locales constatées durant le temps de l’expérience (clientèle, flux, temporalité…). Les interventions 
tactiques ont donc servi de phase de test, de rampes de lancement pour des projets d’aménagement 
urbain à plus long terme ou pour la réflexion sur une stratégie de revitalisation commerciale et sociale 
d’un quartier. 
36 
2.1.3 : Un vecteur d’intensité urbaine 
L’un des avantages de l’urbanisme tactique sur la planification urbaine est qu’il ne met pas 
seulement en mouvement le bâti mais aussi les hommes. En mobilisant les citoyens, en les amenant à 
investir leurs rues, en créant du mouvement dans l’espace public, il contribue à construire ce que les 
urbanistes Nord-Américains appellent l’urban vibrancy, que l’on pourrait traduire par l’intensité urbaine. 
Il s’agit d’une qualité permettant d’attirer les populations, les activités dans des espaces, leur donnant 
de la valeur et augmentant les opportunités de développement et de prospérité économique de cet 
espace20 (ArtPlace, 2011). L’intensité urbaine permet en outre de renforcer la fierté locale par l’attraction 
extérieure qu’elle exerce. Elle existe de fait lorsque la population est capable d’investir les lieux pour 
accomplir le plus large panel possible dactivités. Or l’aménagement urbain traditionnel émanant des 
sphères décisionnelles place le projet physique avant la liberté de mouvement des populations21 (Mean & 
Tims,2005). Or l’investissement humain est indispensable pour créer cette intensité urbaine. Les 
20 « attracting of people, activities and value to a place and increasing the desire and the economic opportunity to thrive in a place » 
21 “A new town square could be carefully, beautifully designed, but there was no guarantee that people would come and use it. People 
have a wide variety of motivations, needs and resources that shape their personal capacity and desire to use…space. Indeed, public 
space is co-produced through the active involvement of the user”
interventions tactiques constituent alors le meilleur moyen de combiner les préoccupations 
d’aménagement physique et fonctionnel de l’espace avec la mobilisation de la population dès l’amont du 
projet, sans attendre de voir si celle-ci s’approprie les espaces nouvellement aménagés une fois que la 
livraison de ces derniers ait été effectuée. En 2013, une autre intervention de Build a Better Block à 
Norfolk (USA) a conduit aux mêmes constat : un urbaniste employé de la ville déclarait que le projet avait 
éveillé les autorités autant que les habitants au potentiel de développement du site en question. Suite à 
l’événement, les food truck furent autorisés, des surfaces commerciales vendues et de petits commerces 
testés durant le week-end de l’événement pérennisés22. Il s’agit ici d’une opération de revitalisation 
endogène puisque impulsée à partir des initiatives de la population locale. Ces petites améliorations 
ponctuelles forment le catalysateur d’un changement positif à plus long terme en faisant la 
démonstration du potentiel d’attractivité des lieux. Impulsée ou du moins soutenue par des politiques de 
planification urbaine, ces tactiques peuvent donc servir l’objectif social et économique de l’attractivité 
urbaine. 
2.1.3 : Vers une consultation citoyenne collaborative ? 
L’urbanisme tactique peut également être appréhendé comme un outil de renouvellement des 
méthodes de consultation citoyenne. Andrew Howard, l’un des co-fondateurs de Build a Better Block, fait 
ainsi le constat des failles des méthode de consultations actuelles qui ne proposent pas aux habitants 
qu’un rôle passif ou limité. Or l’urbanisme tactique permet justement une approche collaborative incluant 
la participation active des habitants à la mise en place du projet. Ainsi, bon nombre d’urbanistes veulent 
faire de l’urbanisme tactique une plateforme opérationnelle permettant une collaboration entre les 
citoyens et les autorités porteuses du projet, la qualifiant de « consultation en temps réel23 (Benner, 
2013). L’expérience de l’espace remplace ici l’observation rapide et souvent superficielle de projections 
3D couchées sur papier ou la lecture rapide de dossiers de présentation (Pfeifer, 2013). Ce type de projet 
temporaire permet de contrebalancer le temps long -et donc difficilement perceptible- des projets 
urbains. La mise en scène d’une expérience permet de souligner la transformation active d’un espace, de 
changer le point de vue des habitants sur celui-ci en invitant à l’imagination présente d’un futur plus ou 
moins lointain (Killing Architects, 2012). L’expérience et le vécu d’une installation permettent de 
déclencher une discussion sur la conformité des objectifs du projet proposé avec les besoins et les 
valeurs de la communauté locale. Certains urbanistes font d’ailleurs le constat de la diminution du 
sentiment d’appréhension face au changement manifesté par les opposants aux projets car ils ont la 
possibilité d’expérimenter de façon sensitive les impacts positifs promis par le projet (Benner, 2013). 
23 « The physical nature of the intervention could provide a platform for citizens to work directly with officials - acting as a form of 
community consultation in real-time » 
37
2.1.4 : Le soutien de la population locale et le renforcement de la cohésion sociale 
Cette méthode de consultation qui fait appel à l’expérimentation a pour avantage de favoriser le 
soutien des habitants. Cela peut d’ailleurs devenir un critère à la mise en place de l’expérimentation. Par 
exemple, dans le cas d’Intersection Repair à Portland, l’organisation des interventions, c’est-à-dire 
l’obtention du permis officiel pour les réaliser en toute légalité, repose sur l’obtention d’un soutien total 
de la population concernée. Cela se traduit par une demande précise de la part des autorités locales : 
l’approbation, à travers la collecte de signatures, de 100% des résidents qui vivent directement autour de 
l’intersection, et 80% des résidents qui vivent dans un rayon de 120 mètres autour de cette intersection 
(Pfeiffer, 2013). De la même manière, le NY Plaza Program cherche à solidariser les citoyens à 
l’aménagement de nouvelles places publiques. En effet ces interventions doivent être réclamées par des 
citoyens demandeurs qui doivent alors, pour bénéficier du programme, démontrer un large soutien de la 
part des autres habitants, des commerçants et du conseil communautaire local. Si l’intervention est 
accordée, le Department of Transportation travaille alors étroitement avec la population locale pour 
produire une installation issue d’un consensus. L’idée est de faire corps avec la communauté des 
habitants pour proposer des projets en adéquation avec leurs attentes et leurs valeurs. La construction 
d’un tel consensus autour d’un projet de petite échelle permet d’éviter les conflits d’intérêts locaux et 
les réactions de type NIMBY en solidarisant la population autour d’un projet d’avenir commun. En 2013, 
Lakeman, le fondateur de City Repair à Portland, exposa à Cleveland l’expérience d’Intersection Repair 
menée dans sa ville. Contrairement aux quartiers résidentiels de Portland, Cleveland est une ville 
marquée par une ségrégation raciale importante et une population précaire très largement représentée. 
Plus positivement, elle bénéficie d’une vie sociale très développée dans les différentes communautés de 
la ville. Inspiré par l’expérience de Lakeman, le directeur du département d’urbanisme de la municipalité 
pris la tête d’un projet similaire dans l’un des quartiers défavorisés de la ville. Pour lui, le processus de 
création collective d’une fresque murale permet d’engager les habitants et renforcer un sentiment 
d’appartenance commun indispensable au vivre ensemble, à la paix sociale24 (Silderberg, 2013). Redonner 
du souffle à l’identité partagée d’une communauté permet de faire changer le regard extérieur qui lui est 
adressé et par conséquent favoriser son développement harmonieux. 
38 
2.1.5 : Un outil d’éducation urbaine 
24 “The activities associated with designing a mural, painting it, and holding parties obviously engage the neighborhood and create a 
stronger sense of attachment between neighbors.This sense of community is what any neighborhood needs to be a great place to live.”
A travers ces formes renouvelées de consultation citoyenne, l’urbanisme tactique peut également 
appuyer une éducation populaire à l’environnement urbain (Killing Architects, 2012). Ces interventions, 
par leur dimension interactive et ludique, peuvent permettre de populariser des réunions de consultation 
qui sont souvent négligées par les citoyens, permettant au projet global de s’enrichir de contributions 
d’un panel plus élargi de citoyens. Par ailleurs, ces interventions peuvent aider à renouveler un regard 
parfois désabusé des habitants sur leur environnement. De façon plus générale, l’urbanisme tactique est 
un outil d’éveil et de pédagogie de la planification urbaine, pouvant faciliter la compréhension des 
mécanismes qui donnent corps à l’environnement quotidien. La dimension participative de ces 
interventions peut quant à elle permettre de libérer l’imagination locale et ouvrir le quotidien urbain à 
l’innovation, au design, encourageant chaque citoyen à proposer des idées, assumer des convictions et 
tester des expériences. On retrouve ici la notion d’empowerment qui, au-delà d’être un outil 
d’émancipation citoyenne, permet une participation plus active des individus à la vie de la cité et donc 
aux projets de planification qui décident de son devenir. 
2.2 : L’adaptation des procédures administratives : vers un lean urbanism ? 
39 
2.2.1 : Le management du risque 
L’un des enjeux est la question de la responsabilité autour des opérations d’urbanisme tactique. 
La question de la responsabilités faces à d’éventuels problèmes de sécurité se pose. Si quelqu’un vient à 
être blessé, est-ce la ville, en tant que propriétaire de l’espace public, qui doit se charger du respect des 
conditions de sécurité ? Qu’en est-il du rôle des organisateurs ou des activistes ? Si l’intervention se 
déroule au sein d’une propriété privée à l’image des pop-up stores, quel est le rôle du propriétaire du 
bâtiment ? La plupart du temps, cette problématique est partagée par l’ensemble des acteurs en 
présence, permettant une responsabilisation collective de l’environnement urbain. Par exemple, les 
autorités peuvent être responsables des risques d’accidents humains ou matériels, le propriétaire 
s’assure de la protection de son bien immobilier tandis que les organisateurs de l’intervention sont 
chargés d’acquérir une assurance professionnelle pour le bon déroulement de l’activité proposée (Pfeifer, 
2013). 
2.2.2 : La difficulté de faire émerger des initiatives face à des règlements pesants
L’un des obstacles qui rend l’urbanisme tactique si particulier au sein des différentes méthodes 
de développement urbain est un décalage en terme de temporalité. En effet, les processus de 
planification urbaine classiques sont basés sur des développements de long terme alors que l’urbanisme 
tactique est caractérisé par sa dimension temporaire et court-termiste. Il en résulte un décalage entre 
les besoins des activistes de l’urbanisme tactique et des démarches administratives non adaptées. Le 
subterfuge employé alors par l’urbanisme tactique est le contournement informel de ces règles et 
procédures. Les régulations font qu’aujourd’hui il est difficile de faire émerger des initiatives car les 
normes et autorisations réclamées sont devenues trop nombreuses25. La prolifération des régulation est 
intervenue à la suite d’une première phase de revitalisation des villes américaines (fin des années 1990) 
durant lesquelles une population souvent créative, composée d’artistes, d’entrepreneurs, a réinvestit des 
downtown et des quartiers délaissés pour y faire fleurir leur créativité. Cette forme de renaissance 
urbaine a attiré les investisseurs immobiliers privés. Cela a contraint les gouvernements locaux à réguler 
le développement de ces espaces urbains à travers la mise en place de codes de zonage et de 
règlements ; mais également par la prolifération de partenariats publics-privés tournés vers des projets 
de grande envergure, à large impact et aux budgets conséquents, au détriment des petits projets de mise 
en valeur de l’espace urbain. Ainsi en l’espace d’une vingtaine d’année, la prolifération bureaucratique a 
anesthésié la capacité de populations à revitaliser l’espace urbain par ses projets et ses actions. Or 
aujourd’hui, la génération des millenials est en de nouveau en demande pour pouvoir agir sur son 
environnement26. 
40 
2.2.3 : Qu’est ce que le lean urbanism project ? 
Dotés d’un site internet présentant leur démarche au slogan évocateur (« Making small 
possible ») Le lean urbanism représente une nouvelle étape dans les stratégies proposées par le 
Congress for New Urbanism (CNU) pour concrétiser sa vision d’une ville à échelle humaine. C’est 
également une manière de professionnaliser l’urbanisme tactique en fournissant une méthode de travail 
auprès des acteurs plus officiels de l’aménagement urbain que sont les promoteurs, les constructeurs, 
les aménageurs ou encore les entrepreneurs soucieux d’avoir un impact positif sur leur environnement. Il 
s’agit de proposer des méthodes de réalisation de projets d’amélioration de petite échelle, rapides, 
efficaces et peu couteux tout en respectant la loi et donc en évitant le risque d’être poursuivi ou 
sanctionné pour infraction. C’est un projet administré par le Center for Applied Transect Studies et 
25 This is too difficult in most places because of regulations, bureaucracy that makes it impossible to bake a cookie for sale without a 
certified kitchen, an accessible bathroom and constant inspections http://www.knightfoundation.org/ 
26 Bureaucracies have exterminated the slack that once allowed bohemians to inhabit a place organically. We elders haven’t noticed 
because most of us grew up amid the rising tide of regulation. Young people, however, are bewildered and repelled. Ibid.
La ville sans urbanistes ? Urbanisme tactique en Amérique du Nord. Mémoire de stage (master2)
La ville sans urbanistes ? Urbanisme tactique en Amérique du Nord. Mémoire de stage (master2)
La ville sans urbanistes ? Urbanisme tactique en Amérique du Nord. Mémoire de stage (master2)
La ville sans urbanistes ? Urbanisme tactique en Amérique du Nord. Mémoire de stage (master2)
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La ville sans urbanistes ? Urbanisme tactique en Amérique du Nord. Mémoire de stage (master2)

  • 1. LA VILLE SANS URBANISTES ? Urbanisme Tactique En Amérique du Nord : Une Etude De Cas Artiviste à Toronto Rémi Crombez Mémoire de fin d’études Année 2013-2014 MASTER de Sciences et Technologies, Mention Aménagement, Urbanisme et Développement des Territoires Spécialité : Ville et Projet Parcours : Projet Urbain Sous la direction de Maryvonne Prévot www.stepsinitiative.com
  • 2. 2 SOMMAIRE REMERCIEMENTS ............................................................................................................................ 4 INTRODUCTION ............................................................................................................................... 5 PARTIE 1 Un activisme urbain ............................................................................................. 8 1.1 : Qu’est-ce que l’urbanisme tactique ? ............................................................. 10 1.1.1 : Une jeunesse urbanophile et connectée dans une ville en crise économique ................ 10 1.1.2 : …qui remet en cause la planification classique du développement urbain ................. 11 1.1.3 : Un activisme urbain dépolitisé ................................................................ 12 1.1.4 : Des interventions de court-terme… ......................................................... 13 1.1.5 : …avec un impact de long terme .............................................................. 14 1.1.6 : Une flexibilité d’intervention et un impact sur la vie quotidienne ........................... 16 1.1.7 : Une approche bottom-up pour un empowerment citoyen ..................................... 18 1.2 : Des penseurs Européens aux activistes Nord-Américains, approche théorique de l’urbanisme tactique ................................................................................................... 21 1.2.1 : Henri Lefebvre, la théorie marxiste de l’espace vécu ......................................... 21 1.2.2 : Les situationnistes et la réinvention du quotidien ........................................... 22 1.2.3 : Michel de Certeau et Jurgen Habermas : transformer le réel par la tactique ............... 23 1.2.4 : Kevin Lynch, Jane Jacobs et William Whyte : l’humain d’abord .............................. 24 1.2.5 : Le placemaking et le Congress for New Urbanism ............................................ 25 1.3 : L’ARTivisme de STEPS initiative : une forme de tactique urbaine ? ............................. 26 1.3.1 : L’art comme outil de la ville conviviale ........................................................ 26 1.3.2 : Un art contextuel qui propose une critique dans l’espace public ............................ 27 1.3.3 : De l’art urbain à l’ARTivisme : vers une médiation urbaine artistique ....................... 28 PARTIE 2 Quel rôle dans la planification urbaine ? .................................................... 32 2.1 : Quelle articulation planification / urbanisme tactique ? .......................................... 34 2.1.1 : Du laboratoire expérimental… ............................................................... 34 2.1.2 : … à la pérennisation ......................................................................... 35 2.1.3 : Un vecteur d’intensité urbaine ................................................................ 36 2.1.3 : Vers une consultation citoyenne collaborative ? ............................................. 37 2.1.4 : Le soutien de la population locale et le renforcement de la cohésion sociale ............... 38 2.1.5 : Un outil d’éducation urbaine .................................................................. 38 2.2 : L’adaptation des procédures administratives : vers un lean urbanism ? ........................ 39 2.2.1 : Le management du risque ..................................................................... 39 2.2.2 : La difficulté de faire émerger des initiatives face à des règlements pesants ............... 39 2.2.3 : Qu’est ce que le lean urbanism project ? .................................................... 40 2.2.4 : Favoriser des projets spontanés par la flexibilité ............................................ 41 2.3 : Vers la professionnalisation des activistes ? ..................................................... 42
  • 3. 2.3.1 : Une coopération entre activistes et institutions ............................................. 42 2.3.2 : Une remise en cause du métier d’urbaniste ? ............................................... 43 2.3.3 : Une professionnalisation des activistes ? ................................................... 44 2.3.4 : L’enjeu de l’évaluation des impacts sociaux ................................................. 45 2.3.4 : Un rééquilibrage des rôles .................................................................... 46 2.3.5 : Les urbanistes de la ville open-source et collaborative ? ................................... 46 PARTIE 3 Un regard critique .............................................................................................. 48 3.1 : L’urbanisme tactique au service d’une économie néo libérale .................................... 50 3.1.1 : L’aveu de l’impuissance des pouvoirs publics ................................................. 50 3.1.3 : Quand la stratégie s’empare de la tactique ................................................... 50 3.1.2 : La tactique au service de la ville créative et du néo libéralisme ............................. 51 3.2 : L’urbanisme tactique, un hobbie de hipster ? .................................................... 52 3.2.1 : Un profil d’activiste homogène ................................................................ 52 3.2.2 : La tactique : un outil au service de la de gentrification ? .................................. 53 3.2.3 : Vers un darwinisme urbain ? ................................................................. 54 3.2.5 : La tactique urbaine n’est pas une solution miracle .......................................... 54 CONCLUSION ................................................................................................................................ 56 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 58 3
  • 4. 4 REMERCIEMENTS Je remercie en premier lieu mes parents qui m’ont soutenu tout au long de cette aventure canadienne. Merci à camarades de promotion, pour leur soutien et leur amitié à longue distance. Merci à Maryvonne Prévot pour ses encouragements. Merci à Mojan Jianfar pour m’avoir guidé durant le stage Merci à toute l’équipe de STEPS initiative pour m’avoir fait partagé leurs projets et leurs ambitions durant ces quelques mois.
  • 5. 5 INTRODUCTION Qu’est-ce qu’être urbaniste ? C’est l’une des interrogations fondamentales pour tout étudiant en urbanisme. L’urbaniste est-il le grand chef en capacité de projeter sur plan le devenir de la ville ? Est-il le rigoureux spécialiste de la rédaction, de l’analyse et de la compréhension des règlements et des législations d’aménagement ? Est-il l’animateur de proximité capable d’attirer l’attention des habitants sur un projet de développement? Ou encore, est-il le fin négociateur capable de concilier les intérêts aussi divergeant que contradictoires des différents acteurs concernés par les projets ? Qui sommes nous, les urbanistes ? Si ce mémoire n’a pas pour ambition de répondre à cette question, il prétend néanmoins nourrir la réflexion en proposant un point de vue sur une méthode très particulière de faire la ville : l’urbanisme tactique. La complexité de la question urbaine, du fait de la multiplication des enjeux et des intérêts en présence, a fait émerger un système de lois, de règlements, de procédures, de codes chargés, sous le sceau de l’exigence démocratique, de veiller au maintien de l’intérêt général. L’urbaniste-planificateur est alors, du fait de sa formation et de ses connaissances, le seul en mesure de déchiffrer et de manipuler ces différents outils pour mener à terme des projets de développement urbain. La complexité est à ce point évidente que seul un professionnel semble en mesure de l’appréhender. Ainsi l’apparition d’une profession chargée de traduire la structure complexe des projets auprès des habitants lors de réunions publiques pourrait être interprétée comme le signal d’un fossé durablement creusé entre les usagers de la ville et ses concepteurs. Pour remédier à cela, l’urbanisme tactique a pour ambition de réveiller l’urbaniste qui sommeille en chaque citadin. Et si chaque citoyen avait le pouvoir et la capacité d’agir matériellement sur son environnement pour rendre celui-ci plus agréable à vivre et donc par conséquent plus attractif ? A quoi sert-il d’attendre que les autorités répondent à des aspirations quand celles-ci peuvent être satisfaites rapidement, efficacement et joyeusement ? C’est sans doute la question que s’est posée Mark Lakeman lorsque, en 1996, il décide de mobiliser les habitants de son quartier résidentiel de Portland (USA) pour repeindre tout en fantaisies et en couleurs une intersection routière, installer des jeux pour enfants et du mobilier urbain à proximité. L’aspiration à une vie sociale de quartier stimulante, jusqu’alors obstruée par la domination de la voiture et l’absence d’espace public digne de ce nom, s’est traduite par une participation enthousiaste des résidents à ce qui pourrait ressembler à une conquête festive et créative d’espace public. Quelques pinceaux et pots de peintures partagés, des bancs, des chaises installés sur la chaussée, un petit stand thé artisanal… En quelques heures, Mark Lakeman et ses voisins transformèrent spontanément un espace de circulation routière en un lieu d’échanges, de partage et de fête, au vu et au su des autorités de la ville.
  • 6. Figure 1 : Intersection Repair à Portland Source : daily.sightline.org Ainsi, l’urbanisme tactique s’attache à démontrer que chaque citadin possède la capacité d’agir directement sur son environnement, non pas en son nom propre, mais au nom d’intérêts partagés avec d’autres membres de sa communauté. A première vue, cette perspective remet en cause le rôle central des institutions publiques dans la régulation et la maîtrise de l’espace public, missions généralement confiées à un urbaniste. Or la conquête de l’intersection par Mark Lakeman et ses voisins a amené les autorités de la ville de Portland à soutenir ce type d’intervention à travers un décret municipal autorisant officiellement les habitants à développer librement de nouveaux espaces publics sur certaines intersections routières. Une initiative citoyenne est donc devenue une composante d’une politique municipale d’animation, de gestion et de création d’espace public. L’apparent antagonisme entre la planification des urbanistes et l’intervention des citoyens pourrait-il se transformer en coopération ? Est-ce là le début d’une évolution des pratiques de la planification urbaine ? « Improving the livablitity of our towns and cities… » tel est l’objectif de l’urbanisme tactique tel que formulé par l’un de ses « pères fondateurs », l’urbaniste américain Mike Lydon. L’absence de traduction officielle pour le néologisme anglophone livability, dont la définition la plus proche pourrait être celle de cadre de vie, est un indice du contexte urbain Nord-Américain dans lequel l’urbanisme tactique est apparu et s’est répandu au cours de ces dernières années. Mike Lydon est le leader d’un groupe de co- 6
  • 7. auteurs ayant rédigé le manuel de l’urbanisme tactique intitulé Tactical Urbanism : Short-Term Action, Long-Term Change et paru en 2010 et 2011 sous la forme d’une première version et d’une seconde mise à jour. C’est à ce jour la référence reconnue en terme de littérature professionnelle concernant l’urbanisme tactique. Par ailleurs, le succès de l’urbanisme tactique sur le territoire Nord-Américain s’illustre par sa présence thématique au sein du pavillon officiel des Etats-Unis lors de la biennale d’Architecture de Venise en 2012 ainsi que par la nomination du terme comme étant la tendance urbanistique –planning trend- de l’année 2011 par le magazine américain d’urbanisme online Planetizen1. Enfin, l’exposition à venir au Musée d’Art Moderne de New-York intitulée « Uneven Growth : Tactical Urbanism for Expanding Megacities » (novembre 2014) indique l’actualité de la pratique et les enthousiasmes qu’elle soulève. Quelles sont les conséquences d’une telle évolution des pratiques dans la fabrique de la ville Nord- Américaine ? Comment redéfinir le rôle de l’urbaniste face à la montée des activismes citoyens ? La lecture d’ouvrages de références et de réflexions académiques, l’analyse d’articles et de témoignages forment une première étape de recherche de pistes de réponses à ces questions. En outre, une expérience de stage au sein d’une organisation revendiquant et pratiquant une certaine forme d’urbanisme tactique apporte à cette réflexion une dimension pratique. Ce questionnement débutera par une définition à la fois empirique de l’urbanisme tactique (à travers des exemples et la pratique du stage) mais également théorique afin d’en comprendre l’héritage intellectuel et philosophique. L’articulation de la spontanéité des interventions urbaines avec la rigidité de la planification et des politiques publiques sera discutée dans un second temps. En dernier lieu, les limites et questionnements induits par les évolutions constatées précédemment seront soulevés. 1 Nettler Johnathan, Top planning trends 2010-2011, Planetizen, 27 février 2012 2 « The spirit of entrepreneurship combined with the aspiration of civic renewal » 7
  • 8. 8 PARTIE 1 Un activisme urbain
  • 9. L’urbanisme tactique est avant toute un projet citoyen qui remet l’espace public au coeur de la vie de la cité. Il prend place dans un contexte particulier marqué par les crises économiques, une lente transformation des modes de vies, des bouleversements technologiques et une critique du fonctionnement des institutions urbaines. C’est un projet d’accupuncture urbaine qui vise à réparer ponctuellement les défaillances de la ville identifiées par les habitants. Cette méthode n’est pas nouvelle, elle est issue de l’héritage philosophique de penseurs de l’urbain qui, depuis les années 1960 ont remis en cause la rigidité, la brutalité et l’efficacité de politiques de planification urbaine conçues par les experts. La dimension ludique de la tactique urbaine est quand elle le fruit d’un lien direct avec la pratique artistique dans l’espace public. 9
  • 10. 1.1 : Qu’est-ce que l’urbanisme tactique ? 1.1.1 : Une jeunesse urbanophile et connectée dans une ville en crise économique Le manuel de l’urbanisme tactique de Mike Lydon expose trois principales raisons contextuelles à l’émergence de l’urbanisme tactique dans les villes d’Amérique du Nord. Il s’agit en premier lieu d’un contexte de récession post-crise de 2008 qui a freiné la croissance économique Nord-Américaine. Les subventions et financements de projets urbains ont décliné, se sont raréfiés et sont devenus plus ardus à obtenir. De même, les budgets resserrés de citadins subissant les effets de cette crise ont remis en question un mode de vie culturellement fondé sur les déplacements automobiles et l’acquisition d’une maison individuelle sur une parcelle isolée. L’image éternelle de la suburb Nord-Américaine et de l’étalement urbain sans limite est alors questionnée par une frange de la population majoritairement composée de jeunes créatifs réinvestissant des downtown longtemps désertés et d’autres quartiers laissés en désuétude. Il s’agit de la génération des millenials, ces jeunes nés entre les années 1980 et 2000, également connus sous le nom de génération Y. Cette nouvelle génération d’urbains est désireuse d’un mode de vie où l’accessibilité piétonne est au coeur des préoccupations et où la densité favorise les contacts et les échanges. Face à la difficulté de compter sur les institutions et les acteurs classiques de l’aménagement urbain, ces citadins choisissent de prendre en main le devenir de leur espace de vie en y intervenant hors des circuits traditionnels de la planification. La créativité qui les caractérise s’exprime alors à travers des actions ponctuelles et localisées sur leur environnement urbain. Cette capacité à agir est par ailleurs valorisée par leur appropriation des nouveaux outils numériques de communication. Cette place prépondérante du numérique et des médias sociaux encourage le partage de nouvelles idées, la mise en place de projets collaboratifs et l’échange de tactiques. Cette évolution technologique instaure un état d’esprit propice à la prise d’initiative, à un renouveau de l’engagement civique et un regain d’intérêt pour la vie publique2 (Lydon, 2011). Couplée à la culture en expansion du Do It Yourself3, la technologie a favorisé la popularisation des interventions d’urbanisme tactique. A l’origine du mouvement Park(ing) Day, les membres du collectif REBAR basé à San Francisco ont pour objectif de créer des projets aisément compréhensibles, partageables et adaptables par des communautés de citadins à travers le monde (Benner, 2013). Reflet des préoccupations de la génération des millenials, ces militants agissent contre la domination de l’automobile qui ruinent l’urbanité et font obstacle aux échanges et à la vie sociale dans la ville. En 2005, ils transforment le temps d’un journée une places de parking de San Francisco en un espace public piéton. Puis l’idée se propage et se partage à travers les réseaux sociaux. En 2008, 500 installations ont été recensées à travers le monde. Ainsi REBAR a largement contribué à l’émergence de l’idée selon laquelle, face à des villes en difficulté, les habitants demandeurs d’une 2 « The spirit of entrepreneurship combined with the aspiration of civic renewal » 10
  • 11. qualité de vie urbaine pouvaient agir sans attendre l’intervention des acteurs traditionnels de l’aménagement, tout en partageant simultanément leur créativité à travers les outils numériques. Figure 2 : Park(ing) Day à San Francisco par REBAR Source : rebargroup.org 1.1.2 : …qui remet en cause la planification classique du développement urbain La principale critique formulée par l’urbanisme tactique est celle d’un système de planification et de développement urbain déconnecté des intérêts des citoyens. En effet, la planification urbaine propose une vision à grande échelle, celle d’une région, d’une ville ou d’un quartier. Or cette méthode omet les problématiques posées au niveau du bâtiment ou de la rue. La crise économique a renforcé cette lacune des politiques de planification, la raréfaction des ressources financières ayant contribué à la négligence de nombreux espaces urbains. Ainsi, c’est à une déconnexion des échelles entre les projets des professionnels de l’urbanisme et les intérêts des citoyens que tente de remédier l’urbanisme tactique. Mike Lydon évoque un décalage entre des projets urbains de grande envergure et le système de pensée des habitants construit à partir des préoccupations de la vie quotidienne. Ce décalage a pour résultat de nombreux comportements NIMBYistes4 de la part d’habitants qui, dépassés par l’ampleur des projets 11 4 NIMBY : Not In My Backyard
  • 12. qu’on leur propose, freinent des propositions dont ils peinent à voir le bénéfice qu’ils pourraient en tirer5 (Lydon, 2011). Ce sont par ailleurs des projets dont les impacts économiques et/ou sociaux sur le long terme sont difficilement prévisibles de façon fiable. Le temps long requis pour par le processus de la planification est d’ailleurs souvent à la source d’un décalage entre les promesses originelles et la réalité du site qui aura évolué en même temps que le chantier. Le baron Haussmann admis d’ailleurs lui-même que ses plans pour Paris devinrent inadaptés avant-même leur achèvement (Bishop, 2012). C’est également à la tentation du contrôle maximal et exclusif du développement urbain par les autorités et les institutions que s’oppose l’urbanisme tactique, qui prône une approche plus ouverte et inclusive envers les aspirations des citoyens. Pour cela, les interventions sont immédiatement appropriables par les usagers qui peuvent alors en percevoir les impacts positifs. La perte de confiance envers la capacité des organisations publiques et privées à répondre aux attentes des citoyens conduit donc à une remise en cause de leur rôle par les interventions spontanées des avocats et des activistes de l’urbanisme tactique. 12 1.1.3 : Un activisme urbain dépolitisé Cette remise en cause d’un mode de planifier et de développer la ville conduit ces jeunes individus issus de la génération des millenials à intervenir sur leur environnement. L’expertise des professionnels de la ville est mise de côté pour valoriser la créativité et l’engagement citoyen des habitants. L’urbanisme tactique est une forme d’activisme urbain qui est définit comme étant « une action collective et concertée, parfois illégale, qui vise à transformer l’espace urbain local tout en participant souvent à des débats globaux » (Douay, 2012). L’activisme urbain se différencie des activistes et militantismes politiques qui prônent une remise en cause ou une confrontation afin de transformer, voire renverser un ordre établi. Il ne s’agit pas ici d’une lutte contre un système, celui d’une planification urbaine défaillante. Ce n’est pas une question politique qui est soulevée par l’urbanisme tactique. Il ne cherche pas la confrontation, et s’il est inoffensif vis-à-vis des institutions il prétend néanmoins impacter positivement l’environnement. L’urbanisme tactique ne se pose pas en opposant de la planification urbaine et de l’urbanisme de projet. Il s’insère dans un espace laissé vide par les failles de ce système qui néglige l’échelle de la vie quotidienne. A une vision politique de l’activisme urbain s’oppose ici une vision souriante de cet activisme (Mathieu, 2009). Cela se manifeste par la forme souvent joyeuse, ludique et festive de ces interventions, leur mise en scène par la valorisation de la créativité et leur accompagnement par une dimension artistique. Le vecteur de l’art urbain utilisé par STEPS initiative à Toronto est symptomatique de cette vision apolitique. L’expression artistique est utilisée par l’organisation comme un outil consensuel de rassemblement des jeunes individus d’origines 5 « residents are asked to react to proposals that are often conceived for interests disconnected from their own, and at a scale for which they have little control »
  • 13. et d’opinions diverses autour d’une même cause, celle de la réclamation d’espaces publics créatifs et citoyens. 13 1.1.4 : Des interventions de court-terme… L’urbanisme tactique est un mouvement qui prône l’intervention urbaine, c’est-à-dire une action rapide, réalisable sur le court-terme. L’objectif de l’intervention est de produire des effets immédiats. L’impact positif de la réalisation du projet doit être perceptible immédiatement. Dans son manuel, Mike Lydon préconise le réalisme comme ligne de conduite (Lydon, 2011). L’urbanisme tactique s’attaque à des problèmes concrets qui peuvent être résolus rapidement. Par exemple, le chair bombing, littéralement « assaut de sièges », consiste à combler un manque de mobilier urbain par l’installation spontanée de chaises et de bancs sur l’espace public. Le problème identifié ici est celui d’un déficit de convivialité urbaine et de sociabilité et la cause revendiquée par les instigateurs de l’intervention est celle de l’absence de mobilier urbain support de la vie sociale de quartier. Il s’agit donc d’une problématique simple à laquelle il est possible de répondre par une action rapide. Lorsque les chaises sont installées sur le trottoir ou sur la place publique, leur occupation par les passants et les habitants est le signe de l’impact positif de l’intervention. Le guerrilla gardening, qui consiste à cultiver un jardin de façon illégale dans une propriété publique ou privée laissée en friche, répond au déséquilibre identifié entre la demande d’espaces verts en ville face à l’inexploitation de propriétés ou de sites abandonnés. L’appropriation illicite du lieu par les intervenants (souvent durant la nuit) est une action rapide durant laquelle sont amenés sur le site les premiers matériaux et les premières plantations. Ensuite, la floraison des cultures couplée à l’occupation humaine du site par les cultivateurs entraîne un changement de perception de l’espace qui devient de facto un espace vert approprié par la communauté locale. A Toronto, STEPS initiative a identifié un déficit d’art public urbain dans certains quartiers de la ville. Les interventions proposées par l’organisation servent alors à apporter une solution rapide à ce problème en invitant des artistes à proposer des oeuvres dans les espaces publics concernés. Le projet PATCH (Public Art Through Construction Hoarding) porté par l’organisation, plus particulièrement, souligne la multiplication des chantiers de développement immobilier dans la ville et donc la prolifération des palissades de chantier qui ont un impact négatif sur le paysage urbain. La réponse apportée est alors celle de proposer des interventions artistiques en se servant de ces palissades comme support mural.
  • 14. Figure 3 : intervention PATCH it up ! – Août 2014 - Toronto Source : thepatchproject.com 14 1.1.5 : …avec un impact de long terme La satisfaction d’un besoin ou d’un usage sur le court-terme s’inscrit dans une vision plus large. Par une intervention construite sur le court-terme, l’urbanisme tactique a pour objectif d’amorcer un changement sur le temps long6 (Lydon, 2011). Ce changement de long-terme peut revêtir différentes formes. Au Texas, l’expérience de Build a Better Block menée à Dallas en 2010 propose un scénario express de revitalisation d’un block d’habitations le temps d’un week-end. La première expérience menée Jason Roberts, un ingénieur informatique, s’est basé sur le constat de rues transformées en autoroutes en raison de l’instauration d’un sens unique, cela ayant fait fuir les piétons et les habitants et donc appauvri le quartier en termes d’activités et de vie sociale. Jason Roberts mobilise alors ses amis et ses voisins durant un week-end pendant lequel chacun est invité à participer à une opération éclair de transformation urbaine. Installation de terrasses sur les trottoirs, peinture d’une piste cyclable sur la route, ouverture de cafés et de commerces éphémères… L’idée est ici de mettre en valeur le potentiel inexploité d’un quartier. Mais un week-end d’intervention peut-il changer durablement la vie d’un quartier ? Un rapport du Department of Urban Studies & Planning du Massachusetts Institute of Technology reste mesuré sur les impacts à long-terme de ce type d’intervention. Néanmoins, les auteurs soulignent que ce type de projet permet de mobiliser et d’engager la population locale, de potentiels commerçants ainsi que les représentants des institutions, autour de l’idée d’une redynamisation 6 « A deliberate phased approach to instigating change »
  • 15. (Silderberg, 2013). L’urbanisme tactique agit ici comme un initiateur de dynamique locale pour l’attractivité urbaine. La mobilisation des habitants et des curieux permettent d’enclencher un cercle vertueux grâce une image dynamique d’une population locale répondant présent à l’appel de l’installation de différents cafés et commerces temporaires; avec, au delà de l’événement, l’objectif d’un développement commercial pérenne. La tactique de court-terme, proposer rapidement une activité pour animer un espace, se marie à un projet de long terme. Il s’agit ici d’attirer l’attention sur l’intensité de la vie urbaine d’un quartier et donc son attractivité. La tactique permet d’éviter le cercle vicieux qui consiste à voir les surfaces commerciales fermer les unes après les autres en raison d’une désaffection croissante des usagers pour des espaces de moins en moins vivant. Figure 4 : opération Build a Better Block à Dallas à 2010 Source : www.gooackcliff.org L’aspect pratique et concret des interventions d’urbanisme tactique peut aussi permettre de faire émerger des réflexions et des débats sur la place publique. Ainsi STEPS initiative focalise son travail sur les quartiers en difficulté en proposant aux habitants, par des interventions artistiques, de renouer avec une identité et une fierté locale perdue en raison de la réputation et de la dégradation de leur environnement. Regent Park est un quartier de grands ensembles et de logements sociaux situé à l’Est du downtown de Toronto. Les difficultés sociales s’y étant accumulées, une vaste opération de revitalisation urbaine est en train de remodeler le visage de cette communauté. Pour participer au renouveau local, STEPS initiative a organisé une intervention artistique sur la palissade d’un chantier. L’artiste local Troy Mclure a proposé une fresque portant le message « conquérir l’adversité par la diversité », mettant en avant la richesse multiculturelle du quartier comme outil de renouveau de l’identité et de la fierté 15
  • 16. locales. Le court-terme, celui de la réalisation d’une fresque murale durant une après-midi, s’articule avec un projet social pérenne, celui de revaloriser l’image dégradée d’un quartier en difficulté. Figure 5 : opération PATCH it up ! – juin 2014 - Toronto Source : thepatchproject.com 1.1.6 : Une flexibilité d’intervention et un impact sur la vie quotidienne L’urbanisme tactique est avant tout caractérisé par une échelle d’intervention locale. Il s’agit de proposer une alternative à un urbanisme des grands projets urbains dont les impacts dépassent la dimension quotidienne. L’urbanisme tactique se place du point de vue de l’habitant ou de l’usager de l’espace public, c’est-à-dire à l’échelle la plus fine, celle du bâtiment, de la rue, voir du block –que l’on pourrait rapporter au voisinage européen. Alors que la planification urbaine implique une vision globale, une cohérence pensée à minima à l’échelle du quartier, l’urbanisme tactique propose un recentrage sur l’habitant, son expérience du quotidien, son vécu de l’espace public, son ressenti de la vie de tous les jours. L’habitant est l’acteur central, et souvent l’instigateur, des interventions d’urbanisme tactique. Pour s’adapter aux besoins et aux aspirations de la vie quotidienne, la planification n’est pas adaptée en raison de sa rigidité de procédé qui provoque un éloignement au fil de l’eau des intentions et des motivations originelles du projet (Taylor 1998). L’urbanisme tactique répond à cette faille avec une approche basée sur la flexibilité. Il s’agit de projets de dimensions réduites, donc rapides à mettre en oeuvre et par conséquent aisément modifiables et transformables au cours même de leur réalisation. Leur dimension réduite implique également un faible coût (on peut parler à leur sujet de projets low cost) qui 16
  • 17. s’inscrit dans un contexte de difficultés budgétaires (Benner, 2012). Ce faible coût diminue les risques d’échec et de faillite inhérents au projet ce qui participe de leur flexibilité de mise en oeuvre. En 2012, Matt Tomasulo, un habitant de Raleigh (Caroline du Nord, USA), fait le constat d’un potentiel piéton inexploité dans le downtown de sa ville accaparé par la voiture et les infrastructures routières. Intrigué par la faible présence de piétons, il comprend très vite le rôle des barrières psychologiques créées par l’habitude des déplacements en voiture. Pour répondre à ce constat, Matt Tomasulo imagine alors un moyen simple et peu onéreux de dépasser ces barrières virtuelles et de démontrer qu’il est possible de se déplacer dans la ville en marchant : des panneaux d’indication. Une nuit de janvier 2012, accompagné d’amis, il place 27 panneaux indiquant aux piétons les directions vers les principaux repères de la ville ainsi qu’une estimation de temps de marche nécessaire. Appelée Walk Raleigh, cette intervention rapide, flexible et efficace, a permis de mettre sur table la problématique de la place du piéton dans cette ville à partir de l’expérience de l’un de ses habitants. Figure 6 : panneaux signalétiques du projet Walk Raleigh Source : raleighpublicrecord.org Installer des tables et des chaises, sur le modèle du pop up cafe, sur une partie de l’asphalte de Time Square à New-York (USA), fermé à la circulation à l’occasion du programme Greenlight for Midtown7, a permis Tim Hopkins8 de mesurer, par le succès de son opération, l’enthousiasme des touristes et des 8 Tim Hopkins est le Président de Times Square Alliance, une organisation non-lucrative fondée en 1992 et chargée de promouvoir le site, soutenir les activités, organiser des évènements, assurer la sécurité du lieu. 17
  • 18. usagers pour une piétonisation partielle du site. Ces chaises et ces tables évoquent le plaisir de la flânerie en terrasse, un usage nouveau pour un site qui fut longtemps entièrement dominé par la circulation automobile. Cette réappropriation du piéton par l’entremise d’un matériel de base, des chaises et des tables, a permis de remettre l’humain au centre du fonctionnement du site. Ainsi, l’impact de court-terme, le faible coût et la rapidité de mise en place ainsi que l’impact positif du projet impliquent la mise en valeur d’un usage à échelle humaine, car c’est l’usage que l’on fait d’un espace qui constitue l’impact le plus facilement perceptible et mesurable. Figure 7 : pop-up café sur Time Square à New York source : www.pps.org 1.1.7 : Une approche bottom-up pour un empowerment citoyen L’un des fondamentaux de l’urbanisme tactique tel qu’énoncé dans le manuel est sa capacité à établir des relations sociales durables entre les habitants d’un quartier, c’est-à-dire la construction d’un capital social collectif (Lydon, 2011). L’objectif est de créer ou renforcer une cohésion communautaire, une identification à un groupe d’intérêts communs, celui du voisinage. L’importance de cette 18
  • 19. caractéristique dans la définition de l’urbanisme tactique renvoie à son caractère collectif d’engagement citoyen. Il ne s’agit plus de subir un projet mais d’y contribuer activement, voir d’en être à l’origine. On retrouve là le processus d’empowerment, qui n’est pas une tentative d’accéder au pouvoir mais en un processus de renforcement des capacités d’action et d’émancipation d’un groupe d’individus (Bacqué, 2010). Par ailleurs, l’empowerment se réfère aux capacités individuelles d'épanouissement, de prise de contrôle de sa propre vie, qui s’articule autour de l’idée de self help (s’aider soi-même) et de self esteem (s’estimer soi-même). Elle s’envisage tout autant dans une dimension collective, avec le pouvoir d'un groupe, en particulier celui des have not (ceux qui n'ont pas), les groupes dominés. Pour cela, l’urbanisme tactique revendique une approche bottom-up qui permet d’identifier à la base les problématiques rencontrées par l’expérience et le vécu de la population. L’engagement des habitants dans la résolution de problèmes qu’ils ont eux-mêmes identifié permet de mettre en oeuvre une méthode d’aménagement plus sensible à l’amélioration de l’espace vécu que ne l’est la planification urbaine traditionnelle 9 (Benner, 2013). Les activistes de l’urbanisme tactique ont un rôle de mobilisateur, ils doivent devenir les leaders pour mobiliser les membres d’une communauté et leur démontrer qu’ils ont la capacité d’agir pour la transformation de leur environnement. Ces interventions sont également l’occasion d’établir ou de rétablir des relations avec les institutions, les autorités administratives et les acteurs privés (entreprises, promoteurs…). Cette démarche s’inscrit également dans le processus d’empowerment citoyen avec ici la mise en valeur de la capacité d’un groupement d’intérêts à se faire entendre et écouté auprès des autorités dans un objectif de transformation sociale (Bacqué, 2010). Dans tous les projets qui ont servi d’exemple précédemment, le succès, ou du moins la reconnaissance de l’intervention tactique ont permis d’établir a posteriori des relations de travail avec les acteurs publics ou privés. Ainsi la première expérience de guerrilla gardenning à New-York en 1973 par le Green Guerrilla Group a été prolongée par une coopération avec le département chargé des parcs de la municipalité new-yorkaise. L’intervention de chair bombing réalisée par le groupe DoTank dans le quartier de Williamsburg à Brooklyn (New-York) a résulté en une terrasse permanente au Blue Bottle Coffee. Le projet de terrasse urbaine mené par Tim Tompkins de Times Square Alliance s’est retrouvé inclus dans un programme municipal intitulé Pavement to Plazas et consistant en la transformation progressive d’intersections routières en places urbaines à partir de projets pilotes d’interventions tactiques telle que celle menée sur Time Square. Les élus locaux de la ville de Dallas ont été invités lors de l’événement de Build a Better Block pour constater l’enthousiasme des habitants envers un quartier plus favorable aux piétons et aux activités commerciales. Durant l’été 2013, STEPS initiative a réalisé la plus grande fresque murale du monde sur un immeuble d’habitat social dans le quartier en difficulté de St James Town à Toronto. Si un artiste, Sean Martindale, était chargé de superviser la réalisation de l’oeuvre, l’idée moteur du projet était d’engager les jeunes habitants du quartier dans une réflexion sur l’identité de leur communauté. De ce brainstorming collectif a émergé l’idée picturale de l’envol d’un oiseau. Reprenant l’idée d’un phenix 9 « Through the lens of the community problems are identified and innovative solutions are enacted like a citizen-led charrette. Enabling the community to physically participate in the improvement of a neighborhood creates a much more effective and engaging method of participatory planning. » 19
  • 20. renaissant de ses cendres, il s’agissait de donner en grandes dimensions l’image d’une communauté souhaitant changer l’image stigmatisée de leur quartier. L’engagement des jeunes citoyens autour du projet a permis à l’intervention de capter un regard neuf sur la communauté, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de celle-ci. Un résident s’est d’ailleurs étonné de n’avoir jamais vu autant de monde s’arrêter sur le site que depuis l’intervention10. De plus, le projet a permis d’attirer le regard des autorités sur la destinée du quartier, jusqu’à la plus haute sphère des insitutions puisque le maire et un conseiller municipal saluèrent publiquement l’engagement des résidents autour de l’intervention11.« Local officials were very supportive. « Congratulations to everyone involved in this exciting projec that will add vibrancy to the Wellesley community » says Mayor Rob Ford. « Beautification of our public spaces is an essential component of building and maintaining healthy communities » said Councillor Pam McConnell, STEPS, 2013). Figure 8 : World’s tallest mural – St James Town - Toronto Source : muralform.com 10 «street resident George McIntyre says « I have never seen so many people stop by and look a tour building », site internet de STEPS initiative, 2013 11 «Local officials were very supportive. « Congratulations to everyone involved in this exciting projec that will add vibrancy to the Wellesley community » says Mayor Rob Ford. « Beautification of our public spaces is an essential component of building and maintaining healthy communities» said Councillor Pam McConnell. Site internet de STEPS initiaitve, 2013. 20
  • 21. 1.2 : Des penseurs Européens aux activistes Nord-Américains, approche théorique de l’urbanisme tactique 1.2.1 : Henri Lefebvre, la théorie marxiste de l’espace vécu La volonté de réappropriation de l’espace public par les citoyens qu’exprime l’urbanisme tactique prend racine dans les idées du sociologue français Henri Lefebvre qui proclame dans Le Droit à la Ville (1968) la nécessité pour les citoyens de pratiquer leur environnement urbain, d’y construire leurs expériences personnelles en toute liberté, c’est-à-dire en dehors des structures hégémoniques de production de la ville industrielle. En effet pour Henri Lefebvre, « l’urbanisme des administrateurs véhiculé au secteur public (..) se croit scientifique et (…) tend à mépriser le facteur humain ». De la même manière concernant les acteurs privés, ceux-ci promeuvent un « urbanisme des promoteurs qui conçoit et réalise pour le marché, avec objectif lucratif, et sans le dissimuler » (Lefebvre, 1968). C’est une critique radicale de l’urbanisme fonctionnaliste incarné par les idées de l’architecte Le Corbusier et mis en oeuvre à grande échelle dans un contexte d’urgence à la suite de la seconde guerre mondiale. C’est par ailleurs une remise en cause d’une façon d’habiter la ville avec une vie quotidienne organisée autour de l’hypermarché, de la voiture, de la technologie domestique qui isolent l’individu de sa communauté et contribuent à le maintenir dans un état de passivité, sans expérience ni surprise (Simay 2008). Selon l’analyse marxiste du sociologue, cette forme urbaine est le produit d’une stratégie élaborée par les forces dominantes qui sont animées par une idéologie qui étouffe le désir de citoyenneté en faveur d’une production urbaine de masse et d’un consumérisme capitaliste. Pour lui, cette forme de production de l’urbain empêche toute innovation d’émerger et condamne les revendications citoyennes au silence. Dans La Production de l’Espace (1974), Henri Lefebvre développe son propos en se concentrant sur la notion d’espace. Il distingue trois représentations de l’espace qui correspondent chacune à un type de production de l’espace. Ainsi l’espace de la ville industrielle qu’il condamne est présenté comme un espace de l’ordre où règnent des rapports de productions établis et régis par des codes et des règlements. C’est l’espace conçu, celui des urbanistes et des planificateurs, celui des ingénieurs et des scientifiques. A celui-ci se confronte l’espace perçu qui est l’observation d’une interaction entre la société et l’espace qu’on lui soumet. Enfin l’espace vécu est celui des images et des symboles liés à la vie sociale mais aussi à l’art dans la ville. C’est l’espace des habitants, des usagers et des artistes. C’est « l’espace dominé et subi que l’imagination tente de s’approprier et de modifier » (Lefebvre, 1974). Dans les deux derniers chapitres de son ouvrage, Henri Lefebvre propose l’émergence d’un espace capable de transformer la société par la « possession et la gestion collective de l’espace par l’intervention perpétuelle des intéressés avec leurs multiples intérêts, divers et même contradictoires. » (Lefebvre, 1974). Il s’agit de l’espace différentiel. Celui-ci se caractériserait par une diversité d’usages et une capacité à se transformer lui-même pour soutenir les besoins de la communauté locale. L’espace public 21
  • 22. ne serait alors plus le résultat d’une stratégie ou d’un plan mais le produit de la société qu’il accueille, dans ses synergies comme dans la confrontation des intérêts contradictoires qui la traversent. Il serait vécu et façonné par la société et serait ouvert « aux devenirs les plus inattendus et en même temps intérieurement contradictoires de par sa multiplicité même » (Martin, 2006). Cet espace différentiel devient un espace de participation dont la mise en place et la conception passent par un processus de revendication, de participation et d’engagement. Cette méthode de co-création de l’espace prime sur le résultat final qui évolue en permanence selon les besoins des habitants. C’est ici l’idée reprise par le paysagiste Delbaere dans sa Fabrique de l’Espace Public lorsqu’il affirme que « la dimension sociale de l’espace public émergent tient donc désormais moins à sa capacité à organiser une coprésence des hommes dans l’espace que dans le fait qu’il résulte d’une coproduction » (Delbaere, 2010). On retrouve cette conception de l’espace public au coeur des préoccupations de l’urbanisme tactique qui, comme nous l’avons vu, place l’usage et les préoccupations de la vie quotidienne au coeur de son projet. De plus les interventions revendiquent une origine citoyenne et, bien que dépolitisant la critique marxiste d’Henri Lefebvre, apportent une critique sous-jacente de la défaillance de la planification à répondre à des attentes et des aspirations à l’échelle de l’individu. En résumé, l’urbanisme tactique s’inspire des propositions du sociologue français en invitant les citadins à reprendre le pouvoir et à agir selon leurs propres motivations sur la transformation de leur environnement. 1.2.2 : Les situationnistes et la réinvention du quotidien La remise en cause de la production industrielle de la ville mise en valeur par l’oeuvre d’Henri Lefebvre se retrouve également dans les revendications révolutionnaires de l’Internationale Situationniste. L’objectif partagé par les membres de collectif artistique d’avant-garde né en 1957 est la réappropriation du réel par des individus libérés par les promesses du développement technologique de l’appareil industriel. La psycho-géographie proposée par les situationnistes pour redécouvrir la ville fait écho à l’espace vécu d’Henri Lefebvre. Par la pratique de dérives urbaines inspirées des flâneries poétiques Baudelairiennes, la psycho-géographie consiste en la conception de cartes dessinées à partir d’un « laisser-aller aux sollicitations du terrains et des rencontres qui y correspondent » (Internationale Situationniste n°2). On retrouve ici le bottom-up de l’urbanisme tactique qui résout des problèmes identifiés à travers le vécu des habitants. Par ailleurs il s’agit d’analyser par la psycho-géographie les différentes ambiances et situations urbaines afin de déceler « la structure cachée de l’espace urbain » (Simay, 2008), de la même manière que l’urbanisme tactique révèle les potentiels inexploités de la ville contemporaine. Sur le plan de l’urbanisme, l’idée principale des situationnistes est de faire vivre aux habitants l’expérience des différentes situations de la ville afin d’entraîner ce spectateur urbain « à l’activité en provoquant ses capacités de bouleverser sa propre vie » (Internationale Situationniste n°1), ce qui rappelle l’objectif d’empowerment promut par l’urbanisme 22
  • 23. tactique. Ces situations urbaines sont des « moments de vie, à la fois singuliers et collectifs, à la création d’ambiances ou de jeux, d’évènements, tous transitoires » (Internationale Situationniste n°1). Les termes employés ici sont largement repris dans les interventions tactiques qui possèdent souvent une dimension transitoire (l’installation spontanée de mobilier urbain sur l’espace public met en valeur une lacune d’aménagement qui devra être comblée). Elles sont souvent conçus autour du jeu, revêtent un aspect ludique et populaire ; l’organisation d’évènements festifs servent à les mettre en valeur et la dimension artistique ou créative qui souvent les accompagne en font des composantes de nouvelles ambiances urbaines. Réinventer le quotidien est le désir que les situationnistes partageaient (philosophiquement mais également à travers de nombreux échanges), notamment la volonté de “faire renaître le désir au coeur de la ville, d’y introduire des vertiges et des troubles insoupçonnés, d’y inventer des formes de vie inédites et de lui offrir l’évènementialité dont elle est aujourd’hui dépourvue” (Internationale Situationniste n°2). La réinvention du quotidien urbain par les interventions de l’urbanisme tactique puisent donc leur héritage dans les propositions de renouvellement du vécu urbain des situationnistes. Par ailleurs il est à noter que les situationnistes replacaient les relations sociales au coeur du projet urbain par la créations de situations amusantes engageant les citoyens dans une interaction avec la ville mais aussi entre eux (Conklin, 2012). Si l’urbanisme tactique ne reprend à son compte pas la critique de relations humaines dénaturées par l’argent et la consommation, il valorise néanmoins l’importance des interactions sociales comme facteur 1.2.3 : Michel de Certeau et Jurgen Habermas : transformer le réel par la tactique En cherchant à réinventer le quotidien urbain par la tactique, l’urbanisme tactique s’approprie la réflexion du philosophe Michel de Certeau. Dans L’invention du Quotidien (1980), l’auteur démontre la capacité de l’individu à faire preuve de créativité dans la pratique banale et quotidienne de la ville. C’est de l’expérience du piéton que naît l’infinité des possibilités de transformation et de détournement de l’espace. La tactique possède la capacité de transformer des évènements, des défauts, des critiques, en opportunités. Il définit cette notion de tactique comme étant une action autonome et mobile sur un terrain régit par une autorité supérieure (de Certeau, 1980). Pour illustrer cette vision, le géographe Olivier Mould propose la métaphore du virus informatique qui s’infiltre lentement et discrètement dans un disque dur pour l’atteindre et le transformer de l’intérieur. La tactique est donc une forme de virus qui intègre l’environnement urbain pour le transformer positivement, le déconstruire pour le reconstruire; contrairement au virus informatique ou biologique qui souvent n’a pour finalité que la destruction (Mould, 2014). Michel de Certeau oppose la tactique à la stratégie, laquelle naît d’une relation de pouvoir dominée par un point de vue extérieur qui propose un plan de contrôle de l’espace. C’est sur le même principe que l’urbanisme tactique se pose en alternative à la planification urbaine jugée trop éloignée des préoccupations quotidiennes. De plus cette notion tactique implique la flexibilité caractéristique des 23
  • 24. interventions qui permet de se concentrer sur le processus de création collective et le réalisme dans l’évolution du projet plutôt que sur l’immobilité d’une production finale idéalisée (Benner, 2013). Par ailleurs, le sociologue et philosophe allemand Jurgen Habermas propose dans son ouvrage la théorie de la « rationalité communicative » qui propose, à la suite de l’espace vécu d’Henri Lefebvre, une approche globale dans le recueil d’informations sur l’espace. Il s’agit non plus de contenter d’approches techniques et stratégiques mais aussi de points de vue pratiques et des interprétations des usagers de l’espace et des institutions publiques (Herbermas, 1986). Et de la même façon que Michel de Certeau oppose la tactique à la stratégie, Jurgen Habermas oppose la rationalité communicative à la rationalité instrumentale qui est un outil de collecte quantitative d’informations dans une approche plus technocratique et top-down. L’état de l’art littéraire réalisé par Sophia Michelle Benner dans son Professional Report à l’Université du Texas donne un point de vue global sur la synthèse de ces réflexions théoriques. Elle explique ainsi que les réflexions complémentaires d’Henri Lefebvre, Michel de Certeau et Jurgen Habermas permettent de faire passer la pratique de l’urbanisme d’une pensée systématique ou top-down à un apprentissage social et empirique, une approche bottom-up de la conception de l’espace urbain. Dans la continuité se réflexion se dessine une remise en cause du rôle de l’urbaniste qui, de stratège et décideur, devient en quelques sortes un négociateur chargé d’établir des consensus à partir de la réalité sociale de l’espace (Benner, 2013). 1.2.4 : Kevin Lynch, Jane Jacobs et William Whyte : l’humain d’abord Au même moment, une nouvelle pensée de l’urbain, emmenée principalement par Kevin Lynch, Jane Jacobs et William Whyte, émerge en Amérique du Nord. Leur critique se dirige vers une méthode de planification urbaine qui, dans un contexte d’industrialisation rapide, d’étalement et de renouvellement urbain à grands coups de projets démesurés, néglige l’humain. Leurs propositions font émerger une nouvelle façon d’appréhender l’espace en remettant au centre du débat les habitants et les communautés au détriment des principes d’efficacité, d’ordre et d’esthétique qui guident habituellement les politiques d’aménagement urbain. De ce fait, le rôle des experts de la ville est lui aussi remis en cause en faveur d’un pouvoir d’action réapproprié par les citoyens12 (Silberberg, 2013). L’image de la ville, l’ouvrage de Kevin Lynch paru en 1960, présente une recherche empirique sur la perception humaine de l’environnement urbain. En distinguant plusieurs variables qui façonnent le paysage et servent de repère à la conception que se font les citadins de leur ville, il propose une vision de la ville non plus fondée sur des principes de fonctionnalité et d’usage mais sur l’idée que c’est le regard humain qui façonne l’environnement et donc doit servir de guide à l’aménagement. Formée à la ville à travers ses observations quotidiennes et la conduite d’une lutte contre un projet d’autoroute détruisant le coeur de son quartier 12 «Something was lost along the way ; communities were rendered powerless in the shadows of experts to shape their physical surroundings » 24
  • 25. new-yorkais de résidence, Greenwich village, Jane Jacobs questionne les politiques publiques qui ont pour objectif de créer de l’ordre dans l’environnement urbain. Dans son best-seller Survie et déclin des grandes villes américaines (1961), la journaliste met en valeur l’importance de l’espace public dans la construction d’une confiance entre les citadins et d’un état d’esprit général tourné vers le civisme, le bien vivre ensemble et la cohésion sociale13 (Jacobs, 1961). Elle explique également la théorie des yeux de la rue, selon laquelle la sécurité est assurée lorsque le plus grand nombre possible de passants et d’habitants tourne son regard vers l’espace public. En cela, Jane Jacobs renie la nécessité d’un ordre urbain infrastructurel et esthétique au profit d’une intensité de la vie sociale urbaine, et même si celle-ci doit émerger d’un apparent chaos urbain. Pour l’auteur, la diversité des usages, des fonctions, des modes de vie est le socle d’une vie sociale harmonieuse en ville. De la même manière qu’on pu le faire Henri Lefebvre, Michel de Certeau ou Jurgen Habermas, elle remet en cause le rôle des experts de la ville. Dans la continuité de Jane Jacobs, Sherry Arnstein (1969) souligne dans son travail l’enjeu de redonner aux citoyens un plus grand niveau de contrôle sur la prise de décision dans l’aménagement. Enfin, l’oeuvre de Jane Jacobs peut être lue comme une ode à la ville laboratoire que promeut l’urbanisme tactique, un espace d’essais, d’expériences et de droit à l’échec contre des politiques d’aménagement et une architecture trop figés (Bishop, 2012). William Whyte quand à lui a innové dans la façon d’analyser l’espace public. C’est en effet le premier photographe à avoir utilisé la technique du time lapse pour enregistrer les mouvements, les mobilités et les interactions dans l’espace public. Cette analyse empirique lui a permis de déterminer différents types de fonctionnement de la vie sociale. Dans son livre The Social Life of Small Urban Spaces (1980), William Whyte propose à l’issu de son travail un catalogue de critères de design qui font d’un espace public un espace vivant et social, permettant ainsi de lier le fonctionnement de la vie urbaine à l’aménagement de l’espace. Son analyse humano-centrée du design urbain a ainsi conduit l’un de ses étudiants, Fred Kent, a fonder Project for Public Spaces en 1975, une organisation pionnière dans la promotion et la mise en oeuvre du placemaking. 1.2.5 : Le placemaking et le Congress for New Urbanism L’agence new-yorkaise Project for Public Spaces explique le concept de placemaking en s’inspirant des réflexions de Jacobs et Whyte. Il s’agit de penser l’aménagement des villes non plus en fonction de la voiture et de l’hypermarché mais autour de la vie sociale urbaine. Le placemaking met donc l’espace public au coeur de ses propositions. L’organisation à but non lucratif Project for Public Spaces, fondée en 1975, compte aujourd’hui à son actif l’accompagnement de projets dans plus de 30000 quartiers à travers l’ensemble des Etats-Unis et dans 43 pays. L’objectif de l’organisation est de mettre à 13 « The trust of a city street is formed over time from many little public sidewalk contacts. It grows out of people stoppbing by the bar for a beer, geeting advice from the grocer and giving advice to the newsstand man…(…) It is a feeling for the public identity of people, a web of public respect and trust » 25
  • 26. disposition un panel d’outils, de références, de conseils et de méthodes pour parvenir à créer des espaces public apte à stimuler la vie sociale et citoyenne. Dans la lignée des auteurs précédemment cités, le placemaking a pour vocation de redonner le pouvoir d’agir aux citadins en les aidant à transformer leurs espaces publics14. La valeur primordiale des projets de placemaking est de renforcer les liens entre les individus et les espaces qu’ils partagent. A ce titre, l’action de STEPS initiative s’inscrit dans la perspective du placemaking car se présentant en tant qu’organisation utilisant l’art pour connecter les humains aux espaces publics15. Ce retour de l’espace public au coeur des préoccupations est par ailleurs d’un des fondamentaux du Congrès pour un Nouvel Urbaniste (Congress for New Urbanism, CNU). qui réunit les professionnels de la ville, principalement Nord-Américains, et promeut une ville organisée autour du piéton, de la vie locale, et rompt avec le modèle de la suburb. Il est d’ailleurs à noter que l’urbanisme tactique est débattu au cours de conférences lors des congrès du CNU. 1.3 : L’ARTivisme de STEPS initiative : une forme de tactique urbaine ? 26 1.3.1 : L’art comme outil de la ville conviviale Les interventions d’urbanisme tactique, du fait de leur dimension ludique et créative, font appel à la création artistique. L’utilisation de l’art permet de créer les conditions d’une convivialité urbaine. Cette convivialité urbaine inspire des espaces partagés où la démarche créative n’est pas limitée aux seuls artistes mais peut être appropriée par chacun pour activer le domaine public et créer les conditions d’une régénération urbaine heureuse. L’art permet également de marquer les lieux de l’empreinte de l’histoire et de l’identité des habitants, de façon à renforcer la cohésion sociale de la communauté locale. L’expression artistique sert à relier les usagers de l’espace urbain et les décideurs ou managers de ces espaces que sont les autorités en apportant une personnalisation créative d’espaces urbains aménagés de façon formelle (Courage, 2013). Enfin, le regard critique qu’engage l’expression artistique sur l’environnement dans lequel elle s’inscrit encourage la citoyenneté active promue par l’urbanisme tactique. C’est dans cet objectif de création d’espaces conviviaux et accueillants, sources d’une identité locale retrouvée et d’un vivre ensemble renforcé que s’inscrit le travail de STEPS initiative dans les communautés fragiles dans lesquelles les interventions artistiques sont proposées. 14 « Placemaking is how people are more collectively and intentionally shaping our world, and our future on this planet », site internet de Project for Public Spaces, 2014 15 « a non-profit organization that uses art to connect people to public spaces » site internet de STEPS initiative, 2014
  • 27. 1.3.2 : Un art contextuel qui propose une critique dans l’espace public Pour le géographe français Nicolas Bautès, deux formes d’intervention artistique en milieu urbain se distinguent. La première forme est celle d’un art que l’on pourrait qualifier d’officiel dont le but principal est de mettre en valeur par une approche esthétique un paysage, un monument, un site. La seconde forme est un art qui propose une vision critique de l’environnement dans lequel il s’inscrit avec une dimension de résistance ou de remise en cause de l’ordre établi autour de lui. C’est l’Art contextuel du critique Paul Ardenne qu’il définit comme étant un la mise en rapport directe de l’oeuvre et du réel, sans intermédiaire, l'oeuvre s'y configurant en fonction de son espace d'émergence et des conditions spécifiques le qualifiant » (Ardenne, 2011). L’artiste sort de son atelier, il a la volonté de créer une expérience artistique qui engage les lieux qu’il investit. Il se détache du conformise et du conservatisme présent dans des musées dont il critique l’élitisme. Il utilise sa fonction et sa vision d’artiste pour, à travers une intervention, proposer une “mise en rapport directe de l’oeuvre avec le réel” pour amener le spectateur, le citoyen, l’habitant, à se poser des questions. Cette émancipation progressive de l’artiste connaît une étape particulièrement marquante dans les années 1960 en Europe avec les interventions in situ de l’artiste Daniel Buren pour lequel ce type d’Art urbain est “le seul qui puisse permettre de contourner, et de s’adapter à la fois et intelligemment aux contraintes inhérentes à chaque lieu (…), il peut dialoguer directement avec le passé, la mémoire, l'histoire du lieu (…), il ouvre le champ d’une possible transformation, du lieu justement » (Ardenne, 2011). D’abord contestaire, la pratique artisique dans l’espace public va évoluer, au cours des décennies 1980 et 1990 vers des interventions de plus en plus institutionnalisées, le succès de l’Art dans la ville étant alors capté peu à peu par des institutions qu’il dénigrait au départ. Utilisée comme source de reconstruction de lien social dans des villes qui subissent les aléas d’une désindustrialisation progressive, l’Art urbain perd alors petit à petit de sa dimension transgressive et politique car les artistes sont de plus en plus financés, soutenus et donc contraints par les commandes des institutions publiques et des organisations privées. 27
  • 28. 1.3.3 : De l’art urbain à l’ARTivisme : vers une médiation urbaine artistique Figure 9 : 28mm. Women are heroes. JR. Rio de Janeiro source : www.lazinc.com Dans son analyse de l’oeuvre “28mm. Women are heroes” de l’artiste JR dans les favelas de Rio de Janeiro, Nicolas Bautès (2010) montre que l’artivisme se distingue de l’activisme par sa dimension de médiation sociale. C’est un “art d'intervention et art engagé de caractère activiste (happenings en espace public, "manoeuvres"), art investissant le paysage ou l'espace urbain (land art, street art, performance…), esthétiques dites participatives ou actives dans le champ de l'économie, de la mode et des médias.” Ainsi lors de son travail dans la favela Morro Da Providência à Rio de Janeiro (Brésil), l’artiste JR a voulu attirer l’attention sur la condition des femmes et des enfants dans les favelas, marquée par la violence et la marginalité, en exposant leurs corps et leurs visages sur de grandes fresques peintes avec la collaboration des habitants sur les murs des habitations précaires installées sur la colline, donnant ainsi une perspective sur l’oeuvre à l’ensemble de la ville. Alors qu’au départ l’Art urbain propose une contestation politique, l’artivisme utilise l’art comme pour la prise de conscience d’un problème. L’art n’est pas utilisé comme une arme de confrontation directe ou d’opposition frontale. L’intervention artiviste se distingue également de l’art urbain des artistes par la dimension participative et interactive, l’engagement citoyen qu’elle implique, ainsi que par la recherche d’une médiatisation et d’une valorisation économique et sociale. Les spectateurs ne doivent plus être des observateurs passifs mais devient actif par leur appropriation mentale et physique de l’oeuvre proposée par l’artiste. De plus, alors que l’art urbain institutionnalisé et commandé sert à promouvoir des espaces urbains centraux (les centres-villes notamment), l’artivisme propose une stratégie de réappropriation du commun, c’est-à-dire des espaces marginalisés ou périphériques (Revel et Negri, 2008). C’est l’état d’esprit qui guide aux 28
  • 29. interventions proposées par STEPS initiative puisque l’artiste se met au service des aspirations et des inspirations des citoyens pour créer son oeuvre, à la construction de laquelle ces mêmes citoyens sont invités à participer. Il en va ainsi pour le projet de la plus grande fresque murale du monde de Saint James Town qui a été conçue à partir des idées des jeunes du quartier puis réalisées par eux sous la direction, les conseils et l’appui de l’artiste Sean Martindale. De même, lors des évènements « PATCH it up ! » organisés pour faire la promotion du projet PATCH lors des nombreux festivals de quartier qui rythment la vie de Toronto, les habitants et les passants sont invités à se joindre au travail de l’artiste. L’oeuvre finale, qui sera cédée au quartier à la fin de l’événement, est ainsi marquée de l’empreinte des habitants et de leur histoire. La fresque réalisée sert ensuite à valoriser l’image du quartier et parfois aider à mettre en valeur une surface commerciale vide afin d’en faire la promotion auprès de potentiels acheteurs comme ce fut le cas en juillet 2014 dans le quartier de Riverside. Figure 10 : opération PATCH it up ! – Juillet 2014 - Toronto Source : thepatchproject.org 1.3.4 : Le street art, révélateur des tensions et des synergies dans l’espace public STEPS initiative utilise le street art, notamment à travers son projet PATCH, pour revaloriser des espaces urbains délaissés, notamment les chantiers. Le street art est une pratique artistique évoluée du graffiti. Le désir de prendre possession de lieux à travers des signes, des symboles humains, est une manière de communiquer ancestrale, en témoignent les fresques qui ornent les espaces archéologiques préservées de la préhistoire. La production d’oeuvres murales qui identifient et culturalisent un espace ont toujours eu pour vocation première de distinguer les espaces habités par l’homme des espaces 29
  • 30. sauvages (Wendl, 2011). C’est pour cette raison qu’émerge dans les années 1970, notamment à New-York et Philadelphie, une culture du graffiti qui s’ancre dans un contexte de crise pétrolière, de guerre du Vietnam et de remise en cause du modèle économique Américain. Les graffitis permettent en premier lieu à des populations marginalisées par le contexte économique de marquer leur présence dans la ville, avec au sein d’une compétition la volonté de marquer de sa présence le plus grand nombre de lieux possibles. Avec la multiplication du graffiti, celui-ci évolue vers la forme du tag en ajoutant à ce qui n’était au départ qu’une forme d’écriture sauvage sur les murs un souci du design et de la forme de plus en plus important (Conklin, 2012). Cependant le message reste le même, il ne possède aucune dimension politique ou revendicatrice mais exprime simplement la volonté de populations en fragilité de rappeler leur présence dans la société. Parallèlement à l’expansion de la pratique du graffiti va apparaître la forme dérivée du street art. Cette forme d’intervention urbaine est nouvelle réponse des artistes et des activistes à l’annihilation de la créativité les projets urbains brutaux et surdimensionnés qui refaçonne alors les downtown des centres urbains en déplaçant les résidents les moins fortunés au profit des plus riches et privatisant de plus en plus d’espaces publics. Le street art s’approprie directement les codes de la culture mainstream, en mettant en avant l’artistique et l’esthétique, en se distinguant de l’activité criminelle souvent associée au graffiti et au tag, lui permettant ainsi de s’adresser au plus grand nombre. Le street art permet de distinguer la consommation de l’espace public par deux types de consommateurs différents que sont les habitants et les artistes (Visconti, 2010). On peut également différencier le public space qui est anonyme du public place qui lui est approprié et identifié comme tel. Le street art est alors vu comme une forme de place marking qui invite les habitants à porter un regard critique sur l’anonymat des spaces et contribuent à les réclamer en tant que place. On distingue par ailleurs deux types d’approche de l’espace public, l’une individualiste, qui correspond à la volonté d’appropriation personnelle de l’espace selon les lois du marché et de la propriété; la seconde collective dans laquelle les consommateurs de l’espace ont conscience de sa dimension partagée et citoyenne (Visconti, 2010). A partir de là se dessine une typologie qui combine tour à tour les approches individuelles et collectives des citoyens d’un côté, des artistes de l’autre que nous résumons dans le tableau suivant. 30
  • 31. 31 1. Appropriation privée de l’espace public Citoyen: approche individualiste Artistes: approche individualiste contestation hypocrite et affirmation d’une identité individuelle (l’artiste conteste mais se sert de cette contestation comme support de son travail, exemple d’Obey qui transforme son oeuvre en logo), exploitation par le marché (répondre à des appels d’offres officiels, exemple du Tate Modern à Londres), préservation de la propriété privée (refus par les citoyens de voir leur mur être dégradé par du street art) 2. Résistance à l’alinéation de l’espace public Citoyens: approche collective Artistes : approche individualiste Subjectivité dans le rapport au street art, préférence pour les artistes locaux qui interviennent localement, qui promeuvent un empowerment local, et non pas des artistes qui viennent simplement “signer” de façon individualiste un mur sans implication locale. 3. Pour une démocratie de rue Citoyens: approche individualiste Artistes: approche collective Contrairement aux citoyens, les artistes ne considèrent pas les murs comme une propriété privée. Volonté artistique de réanchanter l’espace urbain par l’art (réveiller les citoyens et les reconnecter à leur environnement, leur proposer un regard critique sur leur environnement) 4. Effort pour un espace du commun, du partage Citoyens: approche collective Artistes: approche collective Même état d’esprit que pour le 3. mais participation, intégration des citoyens volontaires au processus. Figure 11 : Typologie de consommation de l’espace public à travers le street art Emerge alors l’idée que les artistes puissent agir comme des curators dans la ville, c’est-à-dire des travailleurs culturels indépendants qui sont capables d’éviter les contraintes architecturales, bureaucratiques, legislatives, économiques pour créer une relation d’appartenance et d’appropriation entre les gens et leur environnement (Visconti 2010). C’est dans cette logique que le travail artiviste de STEPS initiative s’inscrit.
  • 32. 32 PARTIE 2 Quel rôle dans la planification urbaine ?
  • 33. Dans une démarche de provocation, la première opération de Build a Better Block a été organisée dans l’objectif consciemment mis en valeur d’enfreindre le plus de règlements d’urbanisme possibles16. Poussant la provocation encore plus loin, les activistes invitèrent les élus locaux et les autorités durant le week-end de l’événement afin que ceux-ci puissent constater l’enthousiasme de la population locale pour revitaliser leur quartier. Le but de cette opération était de souligner l’inadéquation des nombreuses régulations, codes et autres zonages de planification urbaine avec de petites actions ponctuelles de transformation urbaine destinés à redonner vie à un quartier. Jason Roberts explique la difficulté de proposer de petites activités d’animation (pop up store, cafés temporaires, terrasses, food truck, interventions artistiques…). Les autorisations sont difficiles à obtenir en raison du très grand nombre de règles à respecter et leur coût est généralement prohibitif. Et le respect du zonage urbain rend impossible l’émergence d’activités si la zone n’y est pas destinée. Dès lors, la question qui se pose est celle de l’articulation entre la planification urbaine, démarche rigide et rigoureuse mais nécessaire pour assurer le développement d’un territoire, et les interventions d’urbanisme tactique qui réclament une souplesse et une flexibilité propice à l’éclosion de multitudes de propositions. Cette question est d’ailleurs soulignée par Mike Lydon dans son manuel17. De plus, comme le souligne Laura Pfeifer dans son guide de l’Urbanisme Tactique à l’usage des urbanistes, le rôle des professionnels de l’urbanisme dans ce processus d’appropriation d’une méthode informelle demeure incertain (Pfeifer, 2013). Et si le bénéfice des interventions d’urbanisme tactique est avéré, quel est alors le rôle des urbanistes, partagés entre le rôle crucial de la planification urbaine et les atouts à mettre en avant par de petites actions spontanées qui dépassent le cadre réglementaire ? 17 « Tactical urbanism is more effective when used in conjunction with long-term planning efforts that marry the urgency of now with the wisdom of patient capital » 33
  • 34. 2.1 : Quelle articulation planification / urbanisme tactique ? 34 2.1.1 : Du laboratoire expérimental… Par leur échelle d’intervention, les interventions d’urbanisme tactique sont des prototypes pour l’aménagement urbain. Il s’agit du cadre idéal pour l’expérimentation et pour l’essai. Pour Mike Lydon, ce type de projet-prototype fonctionne en itération, c’est-à-dire que les échecs et les erreurs commises peuvent être corrigées, le projet peut être modifié et ajusté assez facilement grâce à la flexibilité qui caractérise l’urbanisme tactique (Benner, 2013). Cette flexibilité est due à l’échelle réduite des projets ainsi que leur faible coût qui induisent une minimisation du risque financier encouru. En effet la dimension expérimentale et innovatrice des interventions leur donne droit à l’échec, ce que soutiennent la plupart des urbanistes et des techniciens impliqués ce type de projet18 (Pfeifer, 2013). L’articulation entre l’urbanisme tactique et la planification urbaine se situe donc au niveau de ce rapport entre le prototype de petite taille et le grand projet de planification. C’est ainsi que le collectif REBAR définie à sa façon l’urbanisme tactique qui, par des révisions modestes ou temporaires de l’espace urbain, permet de faire émerger des transformations structurelles de l’environnement19 (Bishop, 2012). Il est à noter que la planification urbaine et l’urbanisme tactique partagent le même objectif, celui de donner à la communauté humaine qu’ils servent les moyens de son développement. Alors que la planification joue sa partition dans la gestion des problématiques à large échelle (étalement urbain, mobilité, transports, gestion et protection des espaces naturels…), l’urbanisme tactique semble être adapté à résoudre des problèmes à l’échelle de l’espace public. Alors qu’au premier abord, l’urbanisme tactique semble s’être construit en réaction, voire en opposition, à un système de planification jugé trop rigide et inefficace, la complémentarité des deux approches pourrait se situer dans cette dimension expérimentale qui fait de l’urbanisme tactique un espace d’innovations et de recherche pour l’environnement urbain. Dans le cas de l’intervention de Build a Better Block à Dallas en 2010, le succès de l’événement a conduit le conseil municipal à réviser des règlements afin de répondre aux envies et aux attentes constatées durant l’intervention. Les critères restrictifs pour les terrasses furent revus à la baisse, les vendeurs de rue furent autorisés et les permis de construire rendus plus faciles à obtenir pour de petites installations d’aménagement paysager. Le mouvement play street, qui propose de fermer régulièrement durant une journée l’accès automobile pour laisser la place à la déambulation et aux jeux dans une rue est un autre exemple de cette approche incrémentale qui fait passer une expérimentation-test à une démarche pérenne. Ainsi dans le quartier de Jackson Heights à New-York, une expérimentation de ce type fut menée durant les dimanches des mois de printemps, d’été et d’automne en 2008 et 2009. Face au succès de 18 « Planners noted their department was supportive of taking measured risks and understood that failure was part of creating new and innovative programming » 19 « the use of modest or temporary revisions to urban space to seed structural environmental change »
  • 35. l’opération, la ville décida de restreindre l’accès automobile à la rue de façon permanente durant les mois de juillet et août de l’année suivante, puis en ajoutant le mois de septembre en 2011. Figure 12 : opération Play Street dans le quartier de Jackson Heights à New-York Source : walksteps.org 35 2.1.2 : … à la pérennisation Le potentiel des opérations d’urbanisme tactique dans le cadre de projets de planification urbaine réside donc en premier lieu dans leur dimension expérimentale. Les urbanistes et planificateurs peuvent se saisir de ces interventions temporaires en les incluant à l’intérieur de processus de planification à plus large échelle afin d’en mesurer concrètement les impacts. L’idée est ici d’intégrer les interventions tactiques en tant que partie intégrante de politiques d’aménagement urbain globales. Cette intégration peut s’effectuer à la suite du succès d’une opération, comme ce fut le cas à Raleigh. En effet, suite son retrait par les autorités, la réintroduction de la signalétique urbaine proposée par les activistes du projet Walk Raleigh a été proposée par le City Council. Il s’agissait d’inscrire cette volonté d’inciter à la marche dans le plan piéton de la ville, plus précisément dans le chapitre 5 de celui-ci consacré aux programmes et initiatives de promotion du réseau piéton de la marche à pieds (Benner, 2013). De plus, l’initiative de Walk Raleigh fut intégrée aux objectifs de développement à long terme contenus dans le programme Raleigh 2030 qui réclame une élévation des parts du vélo et de la marche dans les modes de déplacements. Pour certains urbanistes, l’avantage d’intégrer des interventions tactiques en amont de la conception de leurs projets de planification est d’en faire des bancs d’essais destinés à mesurer les impacts de propositions qui pourraient être contenues dans le projet final. C’est l’idée de projets pilotes servant d’échantillon de test pour les porteurs du projet et par la même occasion de vitrine auprès des
  • 36. habitants. A New York, le succès de l’expérience de pop up cafe menée à Times Square a incité la ville à multiplier l’intervention à travers des quartiers moins prisés des touristes, au bénéfice de la population locale. Il s’agit du NY Plaza Program, une politique municipale de création de nouvelles place publiques mise en oeuvre par une organisation non lucrative créée ad hoc. Les communautés locales sont invitées à proposer leur vision à travers des ateliers desquels résultent une proposition d’aménagement léger, sur le modèle d’une intervention tactique. Lorsque le succès est au rendez-vous, c’est-à-dire que les habitants se sont appropriés l’aménagement et en expriment leur satisfaction, un aménagement plus travaillé, avec une intervention des services municipaux, transforme l’aménagement temporaire en une place publique permanente inscrite dans le long terme. A Toronto, le mouvement des pop up store qui s’installent de façon temporaire dans des surfaces commerciales vacantes a été analysé par l’étudiant Rudra Sarkar qui a démontré leur capacité à stabiliser un turnover commercial important ainsi que mobiliser les acteurs locaux autour du rôle qu’ils peuvent jouer pour fixer l’activité commerciale dans leur quartier (Sarkar, 2004). De plus, ces interventions tactiques sont utiles car elles donnent du temps de réflexion aux urbanistes pour penser et construire un projet de long terme efficace par rapport aux caractéristiques locales constatées durant le temps de l’expérience (clientèle, flux, temporalité…). Les interventions tactiques ont donc servi de phase de test, de rampes de lancement pour des projets d’aménagement urbain à plus long terme ou pour la réflexion sur une stratégie de revitalisation commerciale et sociale d’un quartier. 36 2.1.3 : Un vecteur d’intensité urbaine L’un des avantages de l’urbanisme tactique sur la planification urbaine est qu’il ne met pas seulement en mouvement le bâti mais aussi les hommes. En mobilisant les citoyens, en les amenant à investir leurs rues, en créant du mouvement dans l’espace public, il contribue à construire ce que les urbanistes Nord-Américains appellent l’urban vibrancy, que l’on pourrait traduire par l’intensité urbaine. Il s’agit d’une qualité permettant d’attirer les populations, les activités dans des espaces, leur donnant de la valeur et augmentant les opportunités de développement et de prospérité économique de cet espace20 (ArtPlace, 2011). L’intensité urbaine permet en outre de renforcer la fierté locale par l’attraction extérieure qu’elle exerce. Elle existe de fait lorsque la population est capable d’investir les lieux pour accomplir le plus large panel possible dactivités. Or l’aménagement urbain traditionnel émanant des sphères décisionnelles place le projet physique avant la liberté de mouvement des populations21 (Mean & Tims,2005). Or l’investissement humain est indispensable pour créer cette intensité urbaine. Les 20 « attracting of people, activities and value to a place and increasing the desire and the economic opportunity to thrive in a place » 21 “A new town square could be carefully, beautifully designed, but there was no guarantee that people would come and use it. People have a wide variety of motivations, needs and resources that shape their personal capacity and desire to use…space. Indeed, public space is co-produced through the active involvement of the user”
  • 37. interventions tactiques constituent alors le meilleur moyen de combiner les préoccupations d’aménagement physique et fonctionnel de l’espace avec la mobilisation de la population dès l’amont du projet, sans attendre de voir si celle-ci s’approprie les espaces nouvellement aménagés une fois que la livraison de ces derniers ait été effectuée. En 2013, une autre intervention de Build a Better Block à Norfolk (USA) a conduit aux mêmes constat : un urbaniste employé de la ville déclarait que le projet avait éveillé les autorités autant que les habitants au potentiel de développement du site en question. Suite à l’événement, les food truck furent autorisés, des surfaces commerciales vendues et de petits commerces testés durant le week-end de l’événement pérennisés22. Il s’agit ici d’une opération de revitalisation endogène puisque impulsée à partir des initiatives de la population locale. Ces petites améliorations ponctuelles forment le catalysateur d’un changement positif à plus long terme en faisant la démonstration du potentiel d’attractivité des lieux. Impulsée ou du moins soutenue par des politiques de planification urbaine, ces tactiques peuvent donc servir l’objectif social et économique de l’attractivité urbaine. 2.1.3 : Vers une consultation citoyenne collaborative ? L’urbanisme tactique peut également être appréhendé comme un outil de renouvellement des méthodes de consultation citoyenne. Andrew Howard, l’un des co-fondateurs de Build a Better Block, fait ainsi le constat des failles des méthode de consultations actuelles qui ne proposent pas aux habitants qu’un rôle passif ou limité. Or l’urbanisme tactique permet justement une approche collaborative incluant la participation active des habitants à la mise en place du projet. Ainsi, bon nombre d’urbanistes veulent faire de l’urbanisme tactique une plateforme opérationnelle permettant une collaboration entre les citoyens et les autorités porteuses du projet, la qualifiant de « consultation en temps réel23 (Benner, 2013). L’expérience de l’espace remplace ici l’observation rapide et souvent superficielle de projections 3D couchées sur papier ou la lecture rapide de dossiers de présentation (Pfeifer, 2013). Ce type de projet temporaire permet de contrebalancer le temps long -et donc difficilement perceptible- des projets urbains. La mise en scène d’une expérience permet de souligner la transformation active d’un espace, de changer le point de vue des habitants sur celui-ci en invitant à l’imagination présente d’un futur plus ou moins lointain (Killing Architects, 2012). L’expérience et le vécu d’une installation permettent de déclencher une discussion sur la conformité des objectifs du projet proposé avec les besoins et les valeurs de la communauté locale. Certains urbanistes font d’ailleurs le constat de la diminution du sentiment d’appréhension face au changement manifesté par les opposants aux projets car ils ont la possibilité d’expérimenter de façon sensitive les impacts positifs promis par le projet (Benner, 2013). 23 « The physical nature of the intervention could provide a platform for citizens to work directly with officials - acting as a form of community consultation in real-time » 37
  • 38. 2.1.4 : Le soutien de la population locale et le renforcement de la cohésion sociale Cette méthode de consultation qui fait appel à l’expérimentation a pour avantage de favoriser le soutien des habitants. Cela peut d’ailleurs devenir un critère à la mise en place de l’expérimentation. Par exemple, dans le cas d’Intersection Repair à Portland, l’organisation des interventions, c’est-à-dire l’obtention du permis officiel pour les réaliser en toute légalité, repose sur l’obtention d’un soutien total de la population concernée. Cela se traduit par une demande précise de la part des autorités locales : l’approbation, à travers la collecte de signatures, de 100% des résidents qui vivent directement autour de l’intersection, et 80% des résidents qui vivent dans un rayon de 120 mètres autour de cette intersection (Pfeiffer, 2013). De la même manière, le NY Plaza Program cherche à solidariser les citoyens à l’aménagement de nouvelles places publiques. En effet ces interventions doivent être réclamées par des citoyens demandeurs qui doivent alors, pour bénéficier du programme, démontrer un large soutien de la part des autres habitants, des commerçants et du conseil communautaire local. Si l’intervention est accordée, le Department of Transportation travaille alors étroitement avec la population locale pour produire une installation issue d’un consensus. L’idée est de faire corps avec la communauté des habitants pour proposer des projets en adéquation avec leurs attentes et leurs valeurs. La construction d’un tel consensus autour d’un projet de petite échelle permet d’éviter les conflits d’intérêts locaux et les réactions de type NIMBY en solidarisant la population autour d’un projet d’avenir commun. En 2013, Lakeman, le fondateur de City Repair à Portland, exposa à Cleveland l’expérience d’Intersection Repair menée dans sa ville. Contrairement aux quartiers résidentiels de Portland, Cleveland est une ville marquée par une ségrégation raciale importante et une population précaire très largement représentée. Plus positivement, elle bénéficie d’une vie sociale très développée dans les différentes communautés de la ville. Inspiré par l’expérience de Lakeman, le directeur du département d’urbanisme de la municipalité pris la tête d’un projet similaire dans l’un des quartiers défavorisés de la ville. Pour lui, le processus de création collective d’une fresque murale permet d’engager les habitants et renforcer un sentiment d’appartenance commun indispensable au vivre ensemble, à la paix sociale24 (Silderberg, 2013). Redonner du souffle à l’identité partagée d’une communauté permet de faire changer le regard extérieur qui lui est adressé et par conséquent favoriser son développement harmonieux. 38 2.1.5 : Un outil d’éducation urbaine 24 “The activities associated with designing a mural, painting it, and holding parties obviously engage the neighborhood and create a stronger sense of attachment between neighbors.This sense of community is what any neighborhood needs to be a great place to live.”
  • 39. A travers ces formes renouvelées de consultation citoyenne, l’urbanisme tactique peut également appuyer une éducation populaire à l’environnement urbain (Killing Architects, 2012). Ces interventions, par leur dimension interactive et ludique, peuvent permettre de populariser des réunions de consultation qui sont souvent négligées par les citoyens, permettant au projet global de s’enrichir de contributions d’un panel plus élargi de citoyens. Par ailleurs, ces interventions peuvent aider à renouveler un regard parfois désabusé des habitants sur leur environnement. De façon plus générale, l’urbanisme tactique est un outil d’éveil et de pédagogie de la planification urbaine, pouvant faciliter la compréhension des mécanismes qui donnent corps à l’environnement quotidien. La dimension participative de ces interventions peut quant à elle permettre de libérer l’imagination locale et ouvrir le quotidien urbain à l’innovation, au design, encourageant chaque citoyen à proposer des idées, assumer des convictions et tester des expériences. On retrouve ici la notion d’empowerment qui, au-delà d’être un outil d’émancipation citoyenne, permet une participation plus active des individus à la vie de la cité et donc aux projets de planification qui décident de son devenir. 2.2 : L’adaptation des procédures administratives : vers un lean urbanism ? 39 2.2.1 : Le management du risque L’un des enjeux est la question de la responsabilité autour des opérations d’urbanisme tactique. La question de la responsabilités faces à d’éventuels problèmes de sécurité se pose. Si quelqu’un vient à être blessé, est-ce la ville, en tant que propriétaire de l’espace public, qui doit se charger du respect des conditions de sécurité ? Qu’en est-il du rôle des organisateurs ou des activistes ? Si l’intervention se déroule au sein d’une propriété privée à l’image des pop-up stores, quel est le rôle du propriétaire du bâtiment ? La plupart du temps, cette problématique est partagée par l’ensemble des acteurs en présence, permettant une responsabilisation collective de l’environnement urbain. Par exemple, les autorités peuvent être responsables des risques d’accidents humains ou matériels, le propriétaire s’assure de la protection de son bien immobilier tandis que les organisateurs de l’intervention sont chargés d’acquérir une assurance professionnelle pour le bon déroulement de l’activité proposée (Pfeifer, 2013). 2.2.2 : La difficulté de faire émerger des initiatives face à des règlements pesants
  • 40. L’un des obstacles qui rend l’urbanisme tactique si particulier au sein des différentes méthodes de développement urbain est un décalage en terme de temporalité. En effet, les processus de planification urbaine classiques sont basés sur des développements de long terme alors que l’urbanisme tactique est caractérisé par sa dimension temporaire et court-termiste. Il en résulte un décalage entre les besoins des activistes de l’urbanisme tactique et des démarches administratives non adaptées. Le subterfuge employé alors par l’urbanisme tactique est le contournement informel de ces règles et procédures. Les régulations font qu’aujourd’hui il est difficile de faire émerger des initiatives car les normes et autorisations réclamées sont devenues trop nombreuses25. La prolifération des régulation est intervenue à la suite d’une première phase de revitalisation des villes américaines (fin des années 1990) durant lesquelles une population souvent créative, composée d’artistes, d’entrepreneurs, a réinvestit des downtown et des quartiers délaissés pour y faire fleurir leur créativité. Cette forme de renaissance urbaine a attiré les investisseurs immobiliers privés. Cela a contraint les gouvernements locaux à réguler le développement de ces espaces urbains à travers la mise en place de codes de zonage et de règlements ; mais également par la prolifération de partenariats publics-privés tournés vers des projets de grande envergure, à large impact et aux budgets conséquents, au détriment des petits projets de mise en valeur de l’espace urbain. Ainsi en l’espace d’une vingtaine d’année, la prolifération bureaucratique a anesthésié la capacité de populations à revitaliser l’espace urbain par ses projets et ses actions. Or aujourd’hui, la génération des millenials est en de nouveau en demande pour pouvoir agir sur son environnement26. 40 2.2.3 : Qu’est ce que le lean urbanism project ? Dotés d’un site internet présentant leur démarche au slogan évocateur (« Making small possible ») Le lean urbanism représente une nouvelle étape dans les stratégies proposées par le Congress for New Urbanism (CNU) pour concrétiser sa vision d’une ville à échelle humaine. C’est également une manière de professionnaliser l’urbanisme tactique en fournissant une méthode de travail auprès des acteurs plus officiels de l’aménagement urbain que sont les promoteurs, les constructeurs, les aménageurs ou encore les entrepreneurs soucieux d’avoir un impact positif sur leur environnement. Il s’agit de proposer des méthodes de réalisation de projets d’amélioration de petite échelle, rapides, efficaces et peu couteux tout en respectant la loi et donc en évitant le risque d’être poursuivi ou sanctionné pour infraction. C’est un projet administré par le Center for Applied Transect Studies et 25 This is too difficult in most places because of regulations, bureaucracy that makes it impossible to bake a cookie for sale without a certified kitchen, an accessible bathroom and constant inspections http://www.knightfoundation.org/ 26 Bureaucracies have exterminated the slack that once allowed bohemians to inhabit a place organically. We elders haven’t noticed because most of us grew up amid the rising tide of regulation. Young people, however, are bewildered and repelled. Ibid.